Comment faire du collectif avec de l’individuel ? Le paradoxe de Mancur
Olson
A la question « Pourquoi les individus se mobilisent pour produire de l’action
collective ? », de nombreuses réponses ont été apportées.
1. La réponse la plus spontanée propose de voir dans le conflit social la réaction
à une situation perçue comme inégale, que ce soit le cas ou non. Comme
l’écrit Erik Neveu, « plus une personne ou un groupe sont mal lotis dans la
répartition des richesses et du prestige social, plus la perception qu’ils ont de
leur situation est critique, plus ils seront disponibles pour le conflit ». Le sens
commun suggère ainsi que dès qu’un ensemble d’individus peut trouver
avantage à se mobiliser et en a conscience, le déclenchement de l’action
collective va de soi.
2. Cette sociologie spontanée a été remise en cause par l’économiste américain
Mancur Olson qui développe un paradoxe en 1966 dans La logique de l'action
collective. Pour lui, la mobilisation d’individus en faveur d’une cause ne va pas
de soi. Olson observe qu’il existe en effet de nombreuses situations où,
malgré les nombreux avantages qu’auraient les individus à se mobiliser,
aucune action n’est engagée. Comment expliquer l’absence de mobilisation ?
Et s’il n’existe aucun lien direct et mécanique entre un intérêt et l’émergence
d’un conflit collectif comment rendre compte que certains mouvements
émergent tandis que d’autres demeurent inexprimés ?
3. Pour expliquer comment naissent les mouvements sociaux, Olson part de
l’hypothèse que les acteurs sont rationnels (l’homo economicus) et tente de
montrer le poids des calculs individuels dans le déclenchement de l’action
collective. En effet, toute action collective a un coût pour l'individu
(engagement, prise de risque, perte de temps, argent investi…) et des
bénéfices ou avantages obtenus par l'action collective (protection sociale,
augmentation de salaire, emploi…). Or il existe une tendance pour les
membres d'un groupe à profiter du bénéfice d'une action collective en
cherchant à payer le coût minimum, voire à échapper au coût de cette action.
Plus grand est le groupe et plus cette tendance est importante. C’est par
exemple le cas du non gréviste qui bénéficie des avantages acquis par la
grève sans avoir participé au mouvement et sans en avoir payé le coût
(retenues de salaires). C’est le phénomène du « passager clandestin » ou
du « cavalier seul » (free rider en anglais), ou encore du paradoxe d’Olson :
« Les grand groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l'action
même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe ».
4. Le paradoxe semble déboucher sur une impasse. L’accent mis sur les
rationalités individuelles suggère l’improbabilité de l’action collective. On opère
dès lors un retour à la case départ en interrogeant la possibilité d’une action
commune. Pour surmonter la tendance des individus à jouer la stratégie du
« passager clandestin » ou du « ticket gratuit », les organisations doivent
inciter les individus à prendre part à l’action collective par le biais d’incitations
sélectives. Soit en fournissant aux participants des biens et prestations
(matérielles ou symboliques) qui s’ajoutent au bien collectif, soit à l’inverse en
usant de la contrainte auprès des personnes risquant de faire défection au
groupe. Cette analyse s’applique parfaitement aux règles de fonctionnement
du syndicalisme à travers la pratique du « closed-shop » où l’embauche peut
être conditionnée par l’adhésion à l’organisation ou du « syndicalisme de
services » qui suppose la proposition de prestations auprès des membres du
groupe.
5. Le principal intérêt du paradoxe d’Olson est d’avoir démontré qu’il n’existait
pas de lien direct entre l’existence d’intérêts communs à un groupe et sa
mobilisation, focalisant ainsi l’attention sur le passage de l’action individuelle à
la mobilisation collective. Si cette théorie permet de rendre compte des
mobilisations fondées sur des intérêts économiques ou matériels, elle s’avère
en revanche plus fragile lorsque les normes et les valeurs prennent une part
essentielle de la mobilisation. Fondé sur le calcul économique, le paradoxe
d’Olson fait l’impasse sur les sentiments de solidarité ou de sociabilité qui
constituent des ferments tout aussi puissants de l’action collective que
l’intérêt. Son modèle peine également à expliquer les engagements dont les
participants ne tirent aucun avantage matériel (associations caritatives et
engagements alter-mondialistes). Même s’il a été depuis été remis en cause,
le paradoxe du « cavalier seul » constitue l’un des fondements de l’analyse de
l’action collective, sans cesse enrichie après lui.
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