charge et à son autonomie. Mais pour ce faire, l’éducateur, fût-ce à son corps défendant,
n’intervient-il pas insidieusement par le biais de son pouvoir ? « Deviens autonome, en
m’obéissant ! Rends ton corps libre, en le soumettant à mes consignes ! » Nous sommes ici dans
une situation typique de « double contrainte » c’est-à-dire en présence de deux propositions
radicalement contradictoires mais dont chacune implique l’autre inexorablement. Le cruel piège
du paradoxe emprisonne l’élève entre ses deux mâchoires : « Si je n’obéis pas, je ne serai pas
autonome, mais si j’obéis, en cela même je m’interdis de le devenir ». Nous voici au-delà d’une
simple contradiction : chacune des deux attitudes nie l’autre mais tout en faisant appel
impérativement à elle. La dépendance de l’élève est scellée. Les éducateurs rencontrent tous le
paradoxe en chemin, et parfois de façon explosive. Même le célèbre exemple de la maïeutique au
cours duquel Socrate est censé faire découvrir à un esclave la solution d’un problème de
géométrie, n’est qu’une situation en trompe-l’œil, de type hyper directif, qui fait de la relation
pédagogique une relation de maître à esclave. Rendons-nous à l’évidence : la double contrainte
est constitutive de la situation éducative qui ne peut échapper aux rapports de pouvoir, pouvoir
institutionnel certes, mais plus fondamentalement pouvoir dû au décalage des savoirs respectifs.
Les interlocuteurs ne sont pas et ne peuvent pas être à égalité. On voit bien que la
« communication paradoxale » est lovée au creux même de l’échange pédagogique. L’éducation
est une tension qui va entraîner bien des déchirures. « L’enfant vous sera reconnaissant de l’avoir
forcé ; il vous méprisera de l’avoir flatté. » Ces propos d’Alain gardent aujourd’hui toute leur
actualité. Placer l’élève au centre du système, ce n’est pas favoriser des caprices d’enfant gâté ni
se livrer à des facilités démagogiques : on ne demandera pas à un pseudo-enfant-roi de rectifier le
théorème de Pythagore ou d’amender la loi de Mariotte. Pourrait-il sérieusement réfuter les règles
du langage, les lois du football ou la règle de trois ? S’il est capital de respecter l’enfant, il est
également primordial de respecter les savoirs. Cependant, il faut créer les conditions de contexte
pour que l’élève s’approprie authentiquement ces connaissances et pour qu’il puisse les utiliser à
bon escient. Les actions d’enseignement pourront faire intervenir maints réseaux médiateurs,
mais finalement, c’est toujours le rapport de l’élève au savoir qui restera la clef de voûte. Dans
cette perspective, l’enseignant stimule la prise en compte active et fructueuse des savoirs. Il
encourage l’indispensable « sortie » de la situation paradoxale en permettant à l’enfant de
s’approprier de haute lutte les connaissances, de prendre force et d’affirmer de plus en plus son
propre pouvoir de futur adulte. Les méthodes d’éducation active ont fait leur choix sans