Artaud (1896-1948)
Un comédien n’est-il que le porte parole d’un théâtre de
parole ?
( Pour Artaud, le langage concret de la scène n'est pas la parole, mais la
“ poésie dans l'espace ” que crée l'acteur. Pour lui, le théâtre n'est pas
le texte de théâtre, mais une expérience "cruelle", - qui défait les
habitudes quotidiennes - communiquée par un acteur en "transes".)
“ Le dialogue - chose écrite et parlée n'appartient pas spécifiquement à la
scène ; il appartient au livre ; et la preuve, c'est que l'on réserve dans
les manuels d'histoire littéraire une place au théâtre considéré comme une
branche accessoire de l'histoire du langage articulé.
Je dis que la scène est un lieu physique et concret qui demande qu'on le
remplisse, et qu'on lui fasse parler son langage concret.
Je dis que ce langage concret, destiné aux sens et indépendant de la
parole, doit satisfaire d'abord les sens, qu'il y a une poésie pour les
sens comme il y en a une pour le langage, et que ce langage physique et
concret auquel je fais allusion n'est vraiment théâtral que dans la mesure
où les pensées qu'il exprime échappent au langage articulé... et cela
permet la substitution à la poésie du langage , d'une poésie dans l'espace
qui se résoudra justement dans le domaine de ce qui n'appartient pas
strictement aux mots. Faire la métaphysique du langage articulé, c'est
faire servir le langage à exprimer ce qu'il n'exprime pas d'habitude :
c'est s'en servir d'une façon nouvelle, exceptionnelle et inaccoutumée,
c'est lui rendre ses possibilités d'ébranlement physique, c'est le diviser
et le répartir activement dans l'espace, c'est prendre des intonations
d'une manière concrète et absolue et leur restituer le pouvoir qu'elles
auraient de déchirer et de manifester réellement quelque chose, c'est se
retourner contre le langage et ses sources bassement utilitaires, on pour-
rait dire alimentaires, contre ses origines de bête traquée, c'est enfin
considérer le langage sous la forme de l'Incantation. ”
( Artaud La mise en scène et la métaphysique dans Le théâtre et son double
)