Antonin Artaud
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Dans les années 60, je logeais chez Jean Paulhan dans une chambre proche de son bureau. Sur
la cheminée régnait, seul, le masque mortuaire d’Antonin Artaud. Je savais ce poète et homme
de théâtre à la fois proche et lointain : il défendait des positions spirituelles différentes des
miennes, mais nombre de ses poèmes me paraissaient marqués à la fois par un génie certain et
la souffrance invaincue. Il eut le courage et la lucidité de quitter le groupe surréaliste fondé
par André Breton dès que ce groupe envisagea de rejoindre le parti communiste.
Il fut l’inventeur de ce qu’il appelait le « théâtre de la cruauté » ; la citation choisie explicite
ce qu’il entendait par là : « Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre
n'est pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes c'est par la peau qu'on fera
rentrer la métaphysique dans les esprits. »
(1932).
Son but était de révolutionner la littérature, le cinéma et le théâtre. Tout système particulier de
communication devenait entre ses mains « un moyen pour atteindre un peu de la réalité qui le
fuit ». En fait sa vie fut un constant combat contre les douleurs qui l’asservissaient à des
pratiques souvent très dangereuses : médications extrêmes et drogues ; Très jeune il découvrit
l’opium et en devint très dépendant.
Antonin Artaud dut passer neuf ans de sa vie dans un asile où régulièrement il devait subir des
électrochocs ! Le suivait alors le docteur Ferdière, que j’ai rencontré à plusieurs reprises aux
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- Antoine Marie Joseph Paul Artaud naquit à Marseille, le 4 septembre 1896 et mourut à
Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948. Il se voulut théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste,
dessinateur et poète français.
dîners donnés par Lise Deharme. Ne disposant à la vérité que de moyens dérisoires, il apparut
comme un bourreau à nombre de surréalistes. En vérité, il ne pouvait quasi rien pour sortir
Artaud de sa trajectoire de perte.
Dans mes années paulhaniennes je nourrissais une vive compassion pour cet éternel traqué par
la folie et la douleur. Certains de ses textes m’impressionnèrent fortement, y décelant à la fois
une conscience vive de la dégradation de l’époque, véritable repoussoir
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, et un désespoir qui
ne pouvait que le pousser à l’extrême du tolérable. Ses violences verbales trahissaient les
remous impensables qui l’agitaient au plus profond de son être.
Il ne suivait pas vraiment les sentiers que je fréquentais mais les angles aigus de son visage
n’ont jamais cessé de me faire penser à ce qu’il a souffert : ne cesse jamais, me dis-je
aujourd’hui encore, de prier pour le pauvre Antonin, malgré les blasphèmes qui purent
s’échapper de sa « boîte en os ».
Autoportrait
Citation trouvée sur l’Araignée :
« Génie pour certains, fou pour d'autres, Artaud fut poète, auteur et metteur en scène de
théâtre, comédien, plasticien, c'est-à-dire un homme un peu hors norme. Membre du
mouvement surréaliste, il incarna un verbe unique, étrange, toujours aux confins de la folie ;
sa poésie et son théâtre furent le reflet de son âme et de ses pratiques toxicomanes.
Aujourd'hui ce qu'il nous reste de lui : une œuvre unique, grinçante, inscrite dans l'absurde
d'une vie que l'on détourna du bien-pensant. Prenons garde alors que ses mots ou ses maux,
plus que jamais trouvent à nous dire quelque chose...
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- Mais quelle époque ne le fut pas ? La nôtre me paraît encore pire que celle de l’avant Seconde Guerre
mondiale.
Texte d’Antonin Artaud
« Le Pèse-Nerfs »
Extraits :
« Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce
qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.
Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci.
Tous ceux qui ont des points de repère dans l'esprit, je veux dire d'un certain
côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux
qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous
ceux pour qui il existe des altitudes dans l'âme, et des courants dans la pensée,
ceux qui sont esprit de l'époque, et qui ont nommé ces courants de pensée, je
pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d'automate que rend à tous
vents leur esprit, - sont des cochons.
Ceux pour qui certains mots ont un sens, et certaines manières d'être, ceux qui
font si bien des façons, ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui
discutent sur un degré quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui
croient encore à des "termes", ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang
dans l'époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces femmes aussi qui
parlent si bien et qui parlent des courants de l'époque, ceux qui croient encore à
une orientation de l'esprit, ceux qui suivent des voies, qui agitent des noms, qui
font crier les pages des livres, - ceux-là sont les pires cochons.
– Vous êtes bien gratuit, jeune homme !
– Non, je pense à des critiques barbus.
Et je vous l'ai dit : pas d'œuvres, pas de langue, pas de parole, pas d'esprit, rien.
Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.
Une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans
l'esprit.
Et n'espérez pas que je vous nomme ce tout, en combien de parties il se divise,
que je vous dise son poids, que je marche, que je me mette à discuter sur ce tout,
et que, discutant, je me perde et que je me mette ainsi sans le savoir à PENSER,
et qu'il s'éclaire, qu'il vive, qu'il se pare d'une multitude de mots, tous bien
frottés de sens, tous divers, et capables de bien mettre au jour toutes les
attitudes, toutes les nuances d'une très sensible et pénétrante pensée.
Ah ces états qu'on ne nomme jamais, ces situations éminentes d'âme, ah ces
intervalles d'esprit, ah ces minuscules ratées qui sont le pain quotidien de mes
heures, ah ce peuple fourmillant de données, ce sont toujours les même mots
qui me servent et vraiment je n'ai pas l'air de beaucoup bouger dans ma pensée,
mais j'y bouge plus que vous en réalité, barbes d'ânes, cochons pertinents,
maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-chaussée,
herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue.
Je vous l'ai dit, que je n'ai plus ma langue, ce n'est pas une raison pour que vous
persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue. Allons, je serai compris
dans dix ans par les gens qui feront aujourd'hui ce que vous faites.
Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris à
dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d'âmes. Alors tous mes cheveux
seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon
bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors on verra fumer les
jointures des pierres, et d'arborescents bouquets d'yeux mentaux se
cristalliseront en glossaires, alors on verra choir des aérolithes de pierre, alors
on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans espaces, et on
apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on comprendra
comment j’ai perdu l’esprit.
Masque mortuaire d’Artaud,
L’une des sept photos de D.Daguet
Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les
langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir, les
figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des
ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans
l’air, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de
lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si
pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se
retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants,
d’irrigations pénétrantes et vireuses, alors tout ceci sera trouvé bien, et je
n’aurai plus besoin de parler. »
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Antonin Artaud
Voir les sept photographies
du masque mortuaire d’Antonin Artaud
faites par Dominique Daguet en 1963
chez Jean Paulhan
1/ Commander l’album des sept photographies
tirées au format A4 au prix unitaire de 120 €.
ou
Commande d’une photographie seule : 30 €
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- « Le Pèse-nerf » fut publié par Louis Aragon dans la collection « Pour vos beaux yeux », qu’il dirigeait.
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