Questions théoriques autour de l`efficacité environnementale des CTE

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Questions théoriques autour de l'efficacité environnementale
des Contrats Territoriaux d’Exploitation
Laurent GRIMAL, Charilaos KEPHALIACOS, Patrice ROBIN1
INTRODUCTION
La promulgation en 1999 de la Loi d'Orientation Agricole traduit la volonté des
pouvoirs publics français de mettre en place une politique environnementale
ambitieuse dans un secteur d'activité qui fait l'objet depuis longtemps d'une
régulation sectorielle spécifique2. A cet effet, un dispositif nouveau, le contrat
territorial d'exploitation (CTE) a été mis en place en France depuis fin 19993. La
justification mise en avant est la promotion d'une agriculture multifonctionnelle
contribuant au développement durable des territoires. La mise en œuvre de cette
politique se fait sous plusieurs contraintes : l'atteinte d'objectifs environnementaux
(une certaine qualité de l'environnement), l'atteinte d'objectifs économiques et
sociaux pour le secteur productif agricole (un certain niveau de production et de
revenu) et le respect de contraintes internationales (compatibilité avec les règles
de l'Organisation Mondiale du Commerce et celles de l'Union Européenne).
Parallèlement aux difficultés de sa mise en œuvre4, le CTE suscite des débats
quant à l'adéquation du dispositif au plan national, mais également pour ce qui est
de la légitimité de ce type d'intervention dans le contexte européen et
international.
1 Respectivement Maître de conférences en Sciences Economiques, Laboratoire Intelligence des Organisations,
Université de Haute Alsace, Département Universitaire de Colmar, 32, rue du Grillenbreit, 68 008 Colmar,  : +
3 89 20 65 59 / Fax : +3 89 20 65 56 /  : [email protected]
Professeur en Sciences Economiques, Laboratoire Dynamiques Rurales, UMR/ENFA-UTM-ENSAT, Ecole
Nationale de Formation Agronomique, BP 87, 31326 Castanet-Tolosan,  : + 561753264 / Fax : + 561750309 /
 : [email protected]
Doctorant, Laboratoire Dynamiques Rurales, UMR/ENFA-UTM-ENSAT, Adresse postale : Fédération
Régionale des CIVAM Midi-Pyrénées, 122, allée de Barcelone, 31000 Toulouse,  : + 562271687 / Fax : +
561224828 /  : [email protected]
2 “La politique agricole prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l'agriculture
et participe à l'aménagement du territoire, en vue d'un développement durable”, loi d'orientation agricole du 9
juillet 1999, article 1er.
3 “Le contrat territorial d'exploitation a pour objectif d'inciter les exploitations agricoles à développer un projet
économique global qui intègre les fonctions de l'agriculture mentionnées à l'article 1er de la loi…”, loi
d'orientation agricole du 9 juillet 1999, article 4.
4 Au 31 décembre 2000, environ 4 000 CTE avaient été agréés, alors que l'objectif officiellement annoncé était
de 50 000. En avril 2002, le nombre de CTE signé était passé à 24 018.
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
L'objet de l’article est d'apporter une contribution à ces débats en cherchant à
dégager, à partir des caractéristiques propres aux CTE, les outils économiques
mobilisables pour analyser l'efficacité du dispositif pour l'atteinte d'objectifs
environnementaux. Par efficacité, nous entendons la capacité à atteindre les
objectifs en question. Mais, le dispositif du CTE doit également être évalué en
terme de coût pour la société en regard des résultats obtenus et, éventuellement, en
comparaison avec d'autres dispositifs. De plus, la question de l'efficacité des CTE,
en tant que politique publique, renvoie également à la capacité de ce dispositif à
construire durablement sa propre légitimité au plan national et international
(Godard, 1989).
Dans une première partie, nous restituons les enjeux économiques autour des
CTE. Nous proposons dans une deuxième partie un cadre d'analyse permettant de
traiter la question de l'efficacité environnementale des CTE. Nous articulons pour
cela deux courants théoriques, à savoir l'économie néo-institutionnelle et
l'économie écologique.
1 - CONTRAINTES INSTITUTIONNELLES ET ENJEUX ECONOMIQUES
AUTOUR DES CTE
Le CTE peut être replacé dans l'histoire des dispositifs nationaux français visant à
réguler les effets de l'agriculture sur l'environnement. La mise en évidence
d'impacts jugés négatifs de l'agriculture sur l'environnement a progressivement
amené les pouvoirs publics et les Organisations Professionnelles Agricoles à
envisager les moyens d'y remédier. Ainsi, les pouvoirs publics français ont pris un
certain nombre d'initiatives réglementaires ou incitatives, visant notamment à
réduire la pollution des eaux par l'activité agricole (création du Comité
d'orientation pour la réduction des pollutions des eaux par les nitrates, les
phosphates et les produits phytosanitaires provenant des activités agricoles en
1984, mise en place des actions Fertimieux et Phytomieux, mise en œuvre du
Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole en 1992, etc.). Mais, le
véritable élan va venir des évolutions du contexte européen, puisque la
Communauté Européenne, dès 1985, permettait aux États membres de mettre en
œuvre “un régime d'aides aux exploitations agricoles dans les zones sensibles du
point de vue de la protection de l'environnement et des ressources naturelles ainsi
que du point de vue du maintien de l'espace naturel et des paysages” 5. Cette
disposition a ouvert la voie à une justification politique de mesures de protection
de l'environnement, qui, bien que concernant des acteurs économiques
principalement soumis à une régulation marchande, n'étaient pas, a priori,
considérées comme générant des distorsions de concurrence excessives entre
5 Article 19 du réglement européen 797/85.
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
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exploitations6. Depuis cette période, les relations contractuelles dans le domaine
des interactions agriculture-environnement se sont développées (Mesures agrienvironnementales (MAE), Plans de développement durable, etc.), conformément
à l'évolution contemporaine des formes d'intervention des pouvoirs publics
(Lascoumes et Valluy, 1996). La volonté de réduire les effets polluants de
l'agriculture (externalités négatives) et de promouvoir les pratiques générant des
aménités (externalités positives, telles que l'entretien de l'espace, la protection de
la biodiversité, la prévention des risques…) se retrouve à la fin des années 90, à
travers les négociations sur l'Agenda 2000 et surtout du Règlement
Développement Rural adopté en juillet 1999. Ce règlement intègre les MAE et des
mesures visant le développement des zones rurales. Il appelle des modalités
d'application propres à chaque État membre. C'est dans ce cadre que la France a
conçu le Contrat Territorial d'Exploitation.
Le CTE, à la différence des MAE, vise conjointement des objectifs économiques
et sociaux et des objectifs environnementaux. En effet, un agriculteur signant un
CTE doit prendre des engagements sur le volet "Économie-Emploi" et sur le volet
"Environnement-Territoire". De ce fait, le CTE pose des problèmes de légitimité,
que ce soit sur le plan national (les agriculteurs et leurs organisations ne vont-ils
pas chercher à limiter les exigences en matière d'environnement tout en profitant
des aides sur le volet économique ?), européen (la Commission européenne
acceptera-t-elle indéfinimment que les actions agri-environnementales soient
essentiellement entreprises dans le cadre des CTE ?) ou international (cet
amarrage entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux au nom de
la multifonctionnalité sera-t-il compatible avec les règlements de l'OMC ?).
Sur ce dernier point, la question du soutien public à l'agriculture avait été intégrée
aux négociations de l'Uruguay Round conclues en 1994. Elles ont abouti à un
classement des interventions, en instituant une “boîte verte” contenant des
mesures visant la protection de l'environnement, sous différentes conditions. Elles
doivent, d’une part, selon le principe de découplage, perturber le moins possible
les conditions de la concurrence. Mais comment apprécier ce "moins possible" ?
D'autre part, les mesures doivent donner lieu au versement de subventions qui sont
calculées sur la base des surcoûts supportés par l'agriculteur dans leur mise en
œuvre. Outre le fait que ce principe arbitre de facto entre le "droit du pollueur" et
le "droit du pollué" au détriment de ce dernier, un tel mode de calcul ne convient
pas nécessairement pour établir la rémunération des services collectifs (aménités
positives) rendus par l'agriculteur à la société. Pour ce type de soutien, les critères
permettant d'en juger la légitimité du point de vue de l'OMC restent à définir
(Vasavada et Warmerdam, 1998). La définition du contenu de cette “boîte verte”
reste donc l’objet de négociations actuelles et futures au sein de l'OMC,
négociations dont l'issue ne sera pas sans conséquences sur un dispositif tel que le
6 Par rapport à ce point, la question du contrôle de l'application des mesures est primordiale, puisqu'un contrôle
insuffisant peut se traduire uniquement par des effets-revenu purs équivalents aux aides reçues par l'agriculteur.
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
CTE (Petit, 1999). D'autre part, la question des relations entre la poursuite
d'objectifs marchands et la poursuite d'objectifs non marchands par des firmes
reste l'objet de controverses internationales. Il s'agit là de la définition du concept
de multifonctionnalité et des domaines de sa légitimité quand elle fait l'objet du
soutien public. On peut d'ailleurs s'interroger sur la compatibilité entre la
conception du découplage et le principe de la multifonctionnalité. Celle-ci devrait
être envisagée comme découlant de l’intégration des systèmes économique social
et écologique (Passet, 1996). Or, le découplage relève d’une dissociation entre ce
qui est marchand et ce qui a trait à l'équité et à la production de biens publics dont l'environnement - (Larrère et Vermersch, 2000).
En définitive, depuis quelques années, la régulation de l'agriculture fait l'objet de
changements institutionnels à plusieurs échelles, ces échelles s'emboîtant les unes
dans les autres. Les États, et la France en particulier, doivent être en mesure de
produire un discours cohérent quant à la justification de la poursuite d'un soutien
public dans le secteur de l'agriculture. Le rôle joué par cette activité dans le
développement des espaces ruraux est un argument souvent mis en avant. Justifier
un tel soutien signifiera argumenter les objectifs poursuivis et leur cohérence mais
aussi la manière dont ils sont poursuivis.
2 - QUELS SONT LES OUTILS ECONOMIQUES MOBILISABLES POUR
ANALYSER L'EFFICACITE ENVIRONNEMENTALE DES CTE ?
Les instruments de gestion de l'environnement sont généralement présentés en
deux grands ensembles : d'une part, des instruments "purement" économiques,
taxes, redevances, permis négociables, subventions et, d'autre part, des normes,
permis, réglementations, “deux approches (…) désormais tenues pour
complémentaires et nullement opposées” (Barde, 1991).
En règle générale, la conception et la mise en œuvre des différentes mesures d'une
politique économique prennent appui sur des références théoriques particulières.
Pour évaluer d'un point de vue scientifique l'impact de ces mesures, il convient
donc de mobiliser ces références. Par exemple, afin de réduire les impacts négatifs
des produits phytosanitaires sur la qualité de l’eau, les pouvoirs publics peuvent
mettre en place une taxe grevant les prix de ces produits. L’impact de cette
taxation sur la diminution des effluents sera alors théoriquement évalué en terme
de baisse des externalités produites (hausse du surplus des agents pollués) et en
terme de désavantages pécuniers (baisse du surplus des agents pollueurs). Le cadre
théorique de référence, dans ce cas, est l'approche pigouvienne de la taxation des
agents pollueurs. Rappelons toutefois que l'approche coasienne, que nous
développerons plus loin, propose de son côté une vision et donc une évaluation
différente de cette même mesure dans un cadre théorique plus large (Coase, 1960).
Le dispositif des CTE mobilise plusieurs des instruments évoqués ci-dessus. Dans
son analyse, nous pourrons donc être amenés à appréhender ces instruments en
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
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faisant éventuellement référence à plusieurs approches théoriques. Sur le plan
méthodologique, nous nous posons la question de la possibilité de proposer un
cadre théorique le plus englobant possible pour traiter un dispositif aussi novateur.
Dans un premier temps, nous dégageons les principales caractéristiques des CTE
en tant que contrats individuels entre l'État et les agriculteurs. Ensuite, nous
indiquons différents cadres analytiques que nous pouvons mobiliser pour prendre
en compte ces caractéristiques.
2.1 - Caractéristiques des CTE
Le CTE est d'abord un contrat entre deux parties. D'un côté une firme, une
exploitation agricole, et de l'autre l'État en la personne du Préfet du département
concerné. Toutefois, il n’est pas possible de s'arrêter à une description
apparemment aussi simple de la relation contractuelle et donc de la transaction
dont elle est le siège7. La présence de l'État est justifiée par les objectifs qui
concernent la sauvegarde ou la production de biens publics que ce soit par la
réduction d'externalités négatives ou par la production d'aménités, la frontière
entre ces deux catégories étant parfois difficile à tracer (Thiébaut, 1996). Mais,
d'un point de vue institutionnel, cette relation agriculteur - État est médiatisée par
l'intervention d'autres acteurs : chambres d'agriculture, associations,
administrations départementales et régionales, collectivités territoriales, etc. Cette
intervention se concrétise notamment par la définition des mesures-types et
contrats-types à l'échelle départementale ou à l'échelle de projets collectifs.
L'agriculteur demeure toutefois le seul à pouvoir contractualiser un CTE, alors
même que s’agissant de biens publics ou de ressources naturelles dans l'espace
rural, il n’en est pas le seul gestionnaire8. On peut alors se demander comment le
dispositif des CTE peut permettre d'atteindre des objectifs nécessitant une forte
coordination entre des acteurs qui ne sont pas nécessairement tous agriculteurs. Ce
problème a déjà été soulevé à propos des Opérations Locales AgriEnvironnementales (Thannberger, 1997).
Le contrat comporte une série d'engagements. Pour la partie environnementale, ces
engagements reposent sur la modification ou l'introduction d'actions techniques. Il
s'agit là de prendre en compte une caractéristique propre aux activités agricoles
dont les relations avec le milieu naturel sont complexes. En effet, les actes
productifs destinés à la fourniture de biens marchands permettent en même temps
la production de biens - ou de maux - publics environnementaux. Le bien
environnemental peut en effet être lié au bien marchand selon deux modalités.
7 Nous définirons la transaction comme une "expérience vécue en confiance de transfert de promesses avec
matérialisation par un contrat respectant des règles et créant des obligations et des dettes" (Baslé M., 2000,
reprenant Commons).
8 Au sens donné par Mermet qui définit la "gestion effective" d'un milieu comme l'ensemble des actions qui
génèrent un effet sur ce milieu, quel que soit l'acteur à l'origine de ces actions et que ces actions soient ou ne
soient pas conscientes ou voulues (Mermet, 1991)
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
Tout d'abord, il peut constituer une production jointe (output involontaire) ou
résulter d'une telle production. Ainsi, le maintien de l'ouverture du paysage peut
être un produit joint des activités d'élevage dans les zones de montagne. Quant à la
qualité de l'eau (nappe ou rivière), si on ne peut la considérer directement comme
un produit joint, elle dépend en partie de la qualité et la quantité des effluents
issus des actes productifs. Ensuite, la qualité du bien environnemental peut avoir
un effet sur les caractéristiques de certains actifs et donc sur la fonction de profit
de l'agriculteur : il peut s'agir de caractéristiques matérielles, comme la fertilité
d'un sol ou immatérielles améliorant la valorisation commerciale de biens ou
services marchands.
Le contrat fait l'objet d'un contrôle. Celui-ci est également caractéristique de
l'application de la réglementation. Toutefois, par rapport à cette dernière,
l'engagement dans un contrat introduit des enjeux au niveau informationnel.
L'agriculteur est tenu en effet de produire une information de départ (le diagnostic
d'exploitation dans le cas des CTE) dont certains éléments étaient jusque là, soit
privés, soit inexistants. Le contrôle se fera “sur l'ensemble de l'exploitation et sur
la totalité des engagements (rémunérés ou non) souscrits”9 en tenant compte de
trois éléments : l'information objective préalable pour les engagements s'y référant
explicitement, l'évaluation des pratiques au moment du contrôle et l'écart à la
norme visée à travers l'engagement10. La qualité de l'information initiale, qui
dépendra de la nature des informations demandées et de la fiabilité de celles qui
seront recueillies est donc essentielle. Cette qualité est d'autant plus importante
qu'elle vise également à combler un hiatus entre une information privée
concernant l'impact environnemental des pratiques, et une information publique
qui, le plus souvent, ne peut être mesurée qu'à un niveau agrégé. C'est le cas aussi
bien pour la pollution diffuse que pour la production d'aménités (paysage,
biodiversité, prévention des risques, etc.). Mais, la question du contrôle renvoie
également à un autre niveau, non plus celui du contrôle technique du respect des
engagements, mais celui du contrôle social de l'action individuelle.
L'enrichissement du cadre marchand et réglementaire par une relation
contractuelle peut-il avoir pour effet un raffermissement du contrôle social des
activités des agriculteurs au détriment de la rente informationnelle qui est la leur
au niveau de leurs pratiques ? On peut supposer que cette question n'est pas neutre
dans la perception qu'ont les agriculteurs du dispositif CTE et dans leurs décisions
de contractualiser ou non.
Le CTE comporte une dimension territoriale. Si les engagements du CTE portent
sur la conduite de l'exploitation, sur les actes et pratiques de l'agriculteur, c'est la
production d'un bien public qui est visé : biodiversité, paysage, qualité de l'eau ou
de l'air, etc. Cette particularité est liée à la nature même de l'acte productif
9 Circulaire DEPSE/SDEA/C99-7030 du 17 novembre 1999
10 C'est notamment le cas pour la mesure intitulée "réduction de 20% des apports azotés par rapport à des
références locales", qui nécessite logiquement la réalisation d'un bilan de fertilisation avant sa mise en œuvre.
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
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agricole, qui se déploie sur l'espace rural en utilisant les ressources de cet espace.
Ces ressources sont partie intégrante d'un système écologique dont les pratiques
agricoles, comme d'autres activités, modifient les caractéristiques. La production
d'un bien marchand se double donc d'un impact sur ces ressources. Mais la nature
du contrat, individuel, et celle des objectifs visés, collectifs, posent le problème du
passage entre ces deux échelles. Concernant ce passage, le dispositif des CTE
s'accompagne d'un zonage agri-environnemental au niveau régional. Ce zonage est
censé délimiter des territoires homogènes du point de vue des enjeux
environnementaux. A ces enjeux sont associés des actions prioritaires à mettre en
œuvre11. A l'intérieur de ce zonage, chaque département garde la possibilité de
définir son propre découpage, qui peut ainsi être plus proche des problématiques
locales. Grâce au zonage, les comportements coopératifs entre acteurs devraient
théoriquement être favorisés (Mahé et Le Goffe, 2000). Cependant, le zonage d'un
contrat engageant l'échelle de l'exploitation et parfois de la parcelle ne suffit pas
nécessairement pour résoudre des problèmes se posant à l'échelle d'un territoire
(Thannberger, 1997 et 1999). La question de l'échelle renvoie ainsi aux modalités
de coordination locale entre acteurs, agriculteurs et autres, pour une mise en œuvre
efficace des CTE vis à vis des objectifs environnementaux. En effet, que ce soit
pour la résolution de problèmes de pollution diffuse, la production de paysage ou
encore l'amélioration de la biodiversité, les efforts des agriculteurs doivent être
coordonnés pour produire des résultats.
2.2 - Approches théoriques
Nous avons vu plus haut que le contrat territorial d'exploitation porte sur des
engagements qui visent à modifier les pratiques pour tenir compte de leurs impacts
sur la production de biens publics environnementaux. Ce faisant, le CTE modifie
les usages qui sont faits de l'espace rural par les agriculteurs et notamment les
usages de la terre et de l'eau. Les ressources de l'espace rural font l'objet de modes
d'appropriation différenciés : privative dans le cas de la terre, publique en accès
plus ou moins libre pour l'eau, commune pour certains espaces comme les estives.
Ces modes d'appropriation constituent les cadres institutionnels à l'intérieur
desquels s'organisent les pratiques. On peut donc tout d'abord se demander si le
CTE ne pourrait pas de fait contribuer à une réorganisation des droits de propriété
et des droits d'usage dans l'espace rural, problématique abordée par d'autres
travaux dans le cas des MAE (Vermersch, 1996 et 1998 ; Thannberger, 1997). Ou,
en renversant la perspective, la mise en œuvre des CTE, c'est à dire la poursuite
des enjeux visés par ce dispositif, ne nécessite-t-elle pas une certaine
réorganisation des droits de propriété et des droits d'usage dans l'espace rural ?
Tout en se basant sur la perspective d'une telle réorganisation, notre approche
théorique s'inscrit dans le souci de ne pas traiter cette question sans prendre en
11 Ainsi le région Midi-Pyrénées a été découpée en 13 zones sur 8 départements.
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
compte les liens existant entre la production des biens publics environnementaux
et la production des biens et services marchands en agriculture. Ceci nous
conduira à rechercher la cohérence entre les différentes composantes de ce qu'il
convient d’appeler la multifonctionnalité de l'agriculture. Il s'agira notamment
d'identifier la place de la fonction environnementale au niveau de l'exploitation
agricole, parmi les deux autres fonctions, économique et sociale. Pour rechercher
cette cohérence, il faut tenir compte des liens particuliers qui unissent l'agriculture
et l'environnement, à savoir que l'agriculture est techniquement capable de réduire
la rareté des ressources naturelles, tout en utilisant ces mêmes ressources qui ne
peuvent être réduites à de simples facteurs de production, au sens de la théorie
néoclassique. Cette dynamique n'est possible que dans la mesure où le
renouvellement de ces ressources est assuré à un niveau suffisant pour permettre la
perpétuation de l'activité agricole. En d'autres termes, le maintien ou
l'augmentation de la productivité de l'agriculture (qui est un objectif lié à la
fonction économique de celle-ci), est subordonnée, à moyen et long terme, au
respect du fonctionnement des systèmes écologiques, respect nécessaire au
renouvellement des ressources que l'agriculture utilise. On doit donc s'interroger
sur les impacts du dispositif des CTE sur les conditions de ce renouvellement dans
une perspective de développement durable.
Ces conditions ne sont pas garanties par la fonction économique à l'échelle de
l'exploitation individuelle, car dans le calcul de la productivité de l'agriculteur
n'apparaissent pas les impacts positifs ou négatifs de l'utilisation de ces ressources.
La raison en est double. D'une part, il existe une différence de temporalité entre
les processus écologiques et les processus économiques : le signal-prix est
transmis plus rapidement que le signal physique (c'est à dire le signal écologique).
Cet écart pose notamment tout le problème des phénomènes d'irréversibilité.
D'autre part, quand ce signal physique se manifeste, c'est souvent à une échelle
collective qui n'est pas celle de l'exploitation. Cette disjonction de l'information
véhiculée par les prix et par les signaux physiques est habituellement absente dans
le cas des produits ou ressources marchands. Elle est traditionnellement prise en
compte dans la littérature économique à travers la notion d'externalité. On tentera
donc d'interpréter le dispositif des CTE comme un moyen de réduire la distance
entre ces deux signaux.
La démarche que nous adoptons nous conduit donc à privilégier d'une part, une
approche théorique permettant de traiter la question de la réorganisation des droits
de propriété et, d'autre part, une approche permettant de traiter la question des
relations agriculture-environnement telles que nous les avons analysées plus haut.
2.2.1. Réorganiser les droits de propriété : une perspective néo-institutionnaliste
Le concept économique central de la relation environnement-économie est le
concept d'effets externes ou d'externalités. L'analyse économique envisage alors
les externalités comme résultantes d'une défaillance du marché, ce dernier se
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
9
révélant incapable d'amener les acteurs économiques à intégrer dans leurs calculs
des coûts ou des bénéfices sociaux. Si l’on examine dans l'histoire de la pensée
économique comment a été traitée cette question des externalités, on constate que
les économistes ont en effet cherché les moyens permettant aux acteurs
économiques de les intégrer dans leurs choix. Si A. Pigou privilégie l'intervention
de l'État au moyen de l'instauration d'une taxe (ou symétriquement d'une
subvention), une critique radicale de cette solution va venir de R.H. Coase.
Dans The problem of social cost (Coase, 1960), l'auteur envisage en effet la
résolution du problème des externalités par la voie de la négociation entre les
acteurs concernés pour résoudre ce qu'il analyse comme un conflit sur des droits
de propriété et d'usage des ressources. L'interprétation de ces travaux par les
économistes néoclassiques a eu tendance à évacuer certaines dimensions de
l'analyse coasienne, afin de privilégier une conception "libérale" de la résolution
des problèmes en question (Caron, 1998 ; Larrère et Vermersch, 2000). Tout
d'abord, les coûts de transaction sont négligés, alors que pour Coase, il est clair
qu'il faut au contraire considérer l'univers économique comme un univers
caractérisé par des coûts de transaction non négligeables 12. D'autre part, s'il est
vrai que Coase privilégie dans son article des situations dans lesquelles les droits
de propriété sont susceptibles d'être échangés, par le biais d'une négociation
directe entre les agents, et dans des termes librement consentis par ces
coéchangistes (Caron, 1998), dans le domaine de l'environnement, de telles
situations peuvent être considérées comme peu fréquentes. Son objectif était en
fait plus général : il s'agissait de proposer un cadre d'analyse qui permette
d'intégrer les interactions entre le droit et l'économique, et qui a donné naissance à
la perspective institutionnaliste.
En rapport avec les caractéristiques analysées précédemment, il est possible de
considérer que le CTE instaure un nouveau type d'organisation, c'est à dire de
nouvelles relations structurelles (contrat reposant sur des principes nouveaux,
création de nouvelles arènes sociales…) et de nouvelles règles (contrôle,
compensations monétaires…)13. La théorie de l'agence fournit un cadre analytique
très puissant pour apprécier dans une relation contractuelle la signification de
certaines caractéristiques du CTE qui contribuent à son incomplétude. Cependant,
le CTE peut aussi être analysé sous un angle différent, et d'un certain point de vue
plus large, comme une institution, c'est à dire comme un ensemble de dispositifs
12 C'est par exemple le cas pour la pollution diffuse : le nombre de "pollueurs" et de "pollués" peut être très élevé
et poser des problèmes d'identification. Il est nécessaire pour cela de produire des connaissances de divers ordres,
mobilisant diverses disciplines scientifiques… La résolution de ce type de problème nécessite donc la mise en
place de dispositifs économiques, techniques et sociaux, qui ont un coût qui ne peut être négligé. A ce sujet, on
peut se référer par exemple au travail mené en Isère sur la protection de la nappe de Bièvre-Liers-Valloire
(Mollard, 1997), ou encore les travaux menés dans le périmètre de Vittel (INRA, 1997).
13 Cette organisation, ayant comme objectif transversal et prioritaire la production de biens publics, est censée
coexister avec celle, dominante dans le secteur agricole, de l'intervention sur les marchés même si la tendance
affichée consiste à réduire l'importance de cette dernière.
10
Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
combinant, d'une part, des règles et des normes délimitant les conditions des
transactions, et, d'autre part, un ensemble de supports permettant la mise en œuvre
de ces règles et normes (Ménard, 2000). Les projets collectifs 14 du dispositif CTE
peuvent être envisagés comme améliorant la complémentarité entre ces deux
composantes. Ils définissent d'une part des objectifs à atteindre et élaborent d'autre
part des règles portant sur les choix et le comportement à adopter de la part des
acteurs individuels. Dans le secteur agro-alimentaire, il est souvent mis en
évidence le poids économique de l'environnement institutionnel (Ménard, 2000).
L'enjeu est de pouvoir justifier la possibilité d'organiser les transactions selon des
modalités autres que celles proposées par l'alternative entre firme intégrée ou
marché. Appliquée à un secteur d'activité caractérisé par l'échange et la production
de marchandises, cette analyse nous semble également pertinente pour la
production de biens non marchands ici les biens environnementaux. Or,
concernant les CTE, un niveau d'organisation qui n'est justement ni le marché, ni
la firme intégrée, se trouve être mis en avant comme un moyen d'atteindre les
objectifs fixés par le législateur : ce sont les projets collectifs.
Concernant les biens publics, la question se pose en effet du cadre institutionnel
de leur production. Les critères de rivalité/non-rivalité et d'exclusion/nonexclusion par rapport aux biens produits apparaissent comme déterminants sur ce
point pour envisager l'opportunité d'une production marchande, d'une production
publique ou d'une production associative, réalisée par exemple par un groupe
d'individus (Greffe, 1997 ).
Ainsi, un élément central de notre démarche consiste, d'une part, à identifier les
droits de propriété ou d'usage sur les ressources naturelles utilisées par les
agriculteurs et, d'autre part, à essayer de justifier une relative remise en cause ou
une redistribution de ces droits entre l'ensemble des utilisateurs de ces ressources
dans la société. Certes, le fait que les actions environnementales constitutives du
CTE relèvent du principe du "consentement à recevoir" (indemnisation des
surcoûts ou des pertes de revenu générés par des modifications de pratique) donne
à penser qu'en fait, la répartition des droits de propriété reste inchangée.
Cependant, l'établissement d'un engagement juridiquement formalisé dans un
contrat ayant une contrepartie financière équivaut à la création d'une transaction.
Cette transaction est en fait créée ex nihilo pour réduire une externalité négative
ou produire une externalité positive. Elle traduit donc un certain déplacement des
14 Le projet collectif correspond à un volet spécifique du dispositif des CTE. La circulaire du 17 novembre 1999
portant sur la mise en œuvre des CTE précise les conditions dans lesquelles les projets collectifs peuvent se
mettre en place et le rôle qu'ils peuvent jouer quant à la définition d'objectifs à atteindre dans un territoire donné,
de mesures-type ou de contrats-type adaptés à ces objectifs, ainsi que dans le suivi et l'accompagnement des
agriculteurs contractualisant. Un projet collectif se présente donc comme une démarche portée par un ou
plusieurs acteurs (association, chambre d'agriculture, collectivité locale, coopérative, etc.) cherchant à construire
un cadre au sein duquel des agriculteurs pourront élaborer leurs propres CTE. Le projet collectif se présente donc
fondamentalement comme un dispositif de coordination.
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
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droits de propriété et d'usage du cadre individuel vers le cadre collectif
(Thannberger-Gaillarde, 1999).
Le recours à l'approche néo-institutionnaliste permet alors d'envisager certains
apports des projets collectifs pour l'atteinte d'objectifs environnementaux dans le
dispositif des CTE. Mais, il est également nécessaire pour cela de faire appel au
cadre d'analyse de l'économie écologique dans la mesure où celui-ci permet de
prendre en compte d'une façon très large les liens entre agriculture et
environnement naturel.
2.2.2. Les apports de l'économie écologique pour analyser les relations entre
agriculture et environnement
Nous avons vu précédemment pourquoi nous jugeons nécessaire de prendre en
compte les spécificités des relations agriculture-environnement.
Il s'agit tout d'abord de considérer que l'agriculture, comme la plupart des activités
de production, contribue à la fois à la production de biens privés et de biens
publics, et notamment de biens publics environnementaux. On peut parler à ce
sujet de production jointe, c'est à dire d'un processus de production générant
plusieurs outputs, qu'ils soient marchands ou non (Baumgärtner et alii, 2001). En
conséquence de quoi, envisager la question des relations agricultureenvironnement uniquement sous l'angle du concept pigouvien des externalités
nous semble insuffisant.
D'une part, l'externalité renvoie à un constat fait ex post. C'est un concept qui
repose sur une perception. Considérer la production jointe revient à se placer ex
ante, au moment même de l'acte qui est à la source des externalités. Ce point nous
semble particulièrement important lorsqu'il s'agit de pollutions diffuses. En effet,
les effets externes se manifestent souvent à des échelles spatiale et sociale qui ne
sont pas celles de l'exploitation agricole. Cela génère donc un problème
d'identification de la source qui nuit à la résolution du problème. De plus, de par
leur nature, il existe un délai entre l'émission des flux au moment de l'acte
productif et la manifestation de ces effets. La mise en évidence de cette dimension
temporelle renvoie ainsi nécessairement à la question de la réversibilité des
processus naturels et des choix technologiques. Il s'agit ici de considérer les
contraintes liées au fonctionnement des écosystèmes supports et ressources pour
l'activité agricole. Ceci nous conduit à examiner la question de la substituabilité
entre capital technique et capital naturel. La dégradation de ce dernier, c'est à dire
la remise en cause de son renouvellement, peut-elle être compensée par la
production du premier dans l'économie ? La dimension temporelle des relations
entre l'économie et l'environnement a été prise en compte dans le cadre de la
théorie néoclassique des ressources renouvelables et non renouvelables.
Cependant, de par son acceptation, plus ou moins explicite, de l'hypothèse de
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
substituabilité forte15, ce cadre d'analyse ne peut pas totalement rendre compte, ni
a fortiori justifier le large éventail des objectifs qui sont constitutifs de la notion
de développement durable dont relève en principe la mise en place des CTE. Nous
faisons là, par exemple, référence à la gestion qualitative de l'eau ou encore la
gestion de la biodiversité. A notre sens, ces objectifs sont susceptibles de légitimer
la nouvelle formule d'intervention étatique et surtout de lui donner sa place dans
un cadre cohérent englobant également les interventions traditionnelles. Par
contre, le courant théorique de l'économie écologique qui a récemment émergé
met l'accent sur l'hypothèse de substituabilité faible (plus ou moins faible selon les
différentes tendances au sein de ce courant) entre les ressources naturelles. De par
cette hypothèse, l'économie écologique relève explicitement de considérations
éthiques qui dépassent l'analyse économique traditionnelle. De plus, cette
approche considère la dimension temporelle centrale pour toute analyse abordant
la question des relations agriculture-environnement (Whittaker, 1998 a). De ce
fait, certains de ses enseignements pourraient justifier des orientations ou mesures
prises par le dispositif des CTE.
D'autre part, le concept d'externalité est un concept analytique, conçu à partir d'une
approche en terme de perte de bien-être individuel. Or, dans le cas de l'agriculture,
c'est une approche qui nous semble insuffisante compte tenu que les pratiques
agricoles ont des effets non seulement multiples sur l'environnement, mais que ces
effets sont en interaction entre eux. C'est à dire qu'ils contribuent dans une certaine
mesure à construire l'environnement général de l'activité productive et les
caractéristiques de certains actifs utilisés dans le processus de production. On peut
parler à ce sujet d'effets transverses ou d'interdépendance circulaire (Froger,
1997). Il est donc réducteur, d'une part, de concevoir les effets externes
indépendamment les uns des autres, et d'autre part, de les concevoir sans lien avec
les caractéristiques de certains actifs de production.
Ces particularités nous conduisent à privilégier une approche systémique, holiste,
de la relation agriculture-environnement. Ce type d'approche doit également
s'étendre à toute politique publique ayant pour objectif de réguler cette relation.
Un des critères de cette évaluation devient alors la capacité des acteurs
économiques à intégrer cette approche holiste dans les choix qu'ils opèrent au
niveau de la production mais aussi au niveau de la consommation.
Enfin, il faut considérer les biens environnementaux non plus seulement comme
des outputs, mais également comme des inputs du processus de production
(Whittaker, 1998 a, b). En mettant l'accent sur les possibilités de réduire la source
des externalités, et non sur les externalités elles-mêmes, l'économie écologique se
focalise sur les liens entre la technologie utilisée et les effluents issus de l'activité
économique. Cet élargissement de perspective nous conduit à analyser comment le
15 Entre capital naturel et capital physique, et même entre les différentes ressources naturelles elles-mêmes
(Faucheux et Noël, 1995).
Questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
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dispositif des CTE peut générer des changements technologiques et évaluer
l'impact de ces changements au regard des objectifs poursuivis. Il est notamment
intéressant ici de rappeler que le dispositif des CTE s'appuie sur le respect des
"bonnes pratiques agricoles". Ce respect constitue son socle de base. Whittaker
souligne comment le cadre d'analyse de l'économie écologique permet d'approcher
cette dimension technologique : « Ecological economics stresses that preferences
and technology are in part endogeneous to the system, although, as with genetics,
the possibility for novelty exists » (Whittaker, 1998 a).
En définitive, l'économie écologique nous invite à accorder un poids au rôle que
les acteurs locaux peuvent jouer pour infléchir l'évolution des techniques utilisées
par l'agriculture dans les espaces ruraux. De plus, ce courant mettant l'accent sur
les liens entre les agro-écosystèmes et la sphère économique, il peut fournir des
critères pour juger de la pertinence de l'échelle géographique choisie pour
résoudre le problème environnemental en question. Par exemple, quelle place doit
jouer le bassin versant d'une rivière donnée dans la manière d'appréhender la
résolution d'un problème de pollution diffuse sur cette rivière? Comment cette
échelle du bassin versant doit-elle s'articuler avec d'autres échelles telles que la
parcelle, le système de cultures ou encore le zonage agri-environnemental défini
dans la région ?
CONCLUSION
Dans ce papier, sont examinées certaines caractéristiques des CTE en tant que
nouvelle institution introduite dans le système de régulation de l’agriculture
française. Plus précisément, c’est la dimension environnementale de ce dispositif
qui est analysée sur la base d’outils issus des courants de pensée de l’économie
néo-institutionnaliste et de l’économie écologique. Ainsi, l'ambition de la théorie
néo-institutionnaliste consiste à raisonner sur la modification des institutions
permettant ainsi d'induire ex ante des changements dans les résultats du jeu
économique16. Reconnaître ou modifier la répartition des droits de propriété et
d'usage sur les ressources naturelles peut alors favoriser la production de biens
publics environnementaux. Ceci conduit bien sûr à remettre en cause les résultats
économiques de l'activité agricole pour l'ensemble de la société. En d'autres
termes, le dispositif des CTE, vu à travers le paradigme en question, pourra être
considéré comme une manière de modifier ex ante la répartition des bénéfices et
des inconvénients de l'activité agricole. De façon complémentaire, l'économie
écologique fournit des outils d'analyse permettant de prendre en compte, au-delà
du traitement des externalités de l'agriculture, les conditions technologiques qui
président à l'existence même de ces externalités.
16 Ceci par opposition au cadre de la théorie néoclassique qui envisage la gestion des externalités comme des
corrections ex post aux problèmes de distribution liés à la production ou à l'échange.
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Laurent Grimal, Charilaos Kephaliacos, Patrice Robin
Au delà des questions théoriques autour de l’efficacité environnementale des CTE
évoquées dans ce papier, l’évaluation de cette efficacité peut s’envisager au
travers des projets collectifs. Le contenu du projet collectif peut être vu comme un
ensemble de règles plus ou moins explicites contribuant à la fourniture de biens
publics environnementaux. L’établissement de ces règles de façon endogène exige
la mise en commun d’informations, entre les acteurs concernés sur les avantages
nets aussi bien collectifs qu’individuels, qu'ils peuvent retirer de leur coopération.
Il s’agit d’une production endogène de coordination dont on peut se demander si
elle ne permet pas une meilleure prise en compte des interdépendances entre les
différents enjeux visés par les CTE. Dans le cadre d’une recherche empirique à
venir, des indicateurs de l’efficacité environnementale des CTE seront déterminés
et évalués. Ces indicateurs prendront ainsi appui, pour une large part, sur l’analyse
des projets collectifs.
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Résumé : La Loi d'Orientation Agricole de 1999 introduit un nouveau dispositif, le contrat
territorial d'exploitation (CTE). Celui-ci vise conjointement des objectifs économiques,
sociaux et environnementaux. Le papier propose un cadre théorique pour traiter la
question de l'efficacité environnementale des CTE. Les caractéristiques propres aux CTE
et le contexte institutionnel dans lequel ils se mettent en place conduisent à privilégier une
analyse reposant sur deux démarches complémentaires. La première, à savoir l'économie
néo-institutionnaliste, considère que les changements s'opérant à travers la production
exogène et endogène de règles et d'institutions se traduisent par une réaffectation des
droits de propriété entre les acteurs économiques. La seconde, au moyen des outils
proposés par l'économie écologique, permet d'appréhender le type de changements
techniques visant la gestion durable de l'environnement qui devront être induits par les
CTE.
Mots clés : Contrat territorial d’exploitation, èconomie néoinstitutionnelle, èconomie
écologique, externalités, droit de propriété.
Abstract: The new french agricultural law, promulgated in 1999, introduced a new
intervention procedure, the Farm Local Contract (FLC). The FLC has jointly economic,
social and environmental targets. The paper proposes a theoretical framework in order to
consider the efficacy of the FLC procedure towards environmental sustainability. The
characteristics of the FLC and the institutional context in which it is set up lead us to
combine two complementary approaches. The first, namely the neo-institutionnalist
economics, considers that the changes induced by exogenous and endogenous production
of rules and institutions result in a reassignment of the property rights between the
economic actors. The second one, ecological economics, enables us to assess the proenvironmental character of technical changes that should be induced by the FLC.
Keywords : Farm Local Contract, neo-institutionnal economics, ecological economics,
externalities, property rights.
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