Intervention de Michel Fayol sur l’apprentissage de la lecture 15 mars 2006 En 50 ans le niveau des connaissances sur l’apprentissage de la lecture a doublé par rapport à la période antérieure. On peut s’attendre à ce qu’un nouveau doublement des connaissances actuelles intervienne dans les vingt ans à venir. Ces deux éléments invitent à un renouvellement des pratiques pédagogiques de l’enseignement de la lecture. Toutes les grandes démocraties sont confrontées au même défi : la maîtrise par les enfants scolarisés des outils nécessaires aux apprentissages fondamentaux : lire, écrire, compter, accéder aux TIC1, en tenant compte des capacités d’auto-apprentissage des enfants. Evaluations des compétences des jeunes français Les résultats récents aux grandes évaluations internationales sont les suivants : Pearls (niveau équivalent au CM1) : la France est 13ème ou 14ème sur une trentaine de nations, loin derrière la Finlande et la Suède et derrière le Royaume Uni ; PISA (maîtrise de la langue et littérature, vers 12/13 ans) : la France est encore dans le peloton central derrière les pays nordiques ; même positionnement pour les mathématiques, loin derrière l’Asie du Sud Est. Les évaluations récentes comparées des JAPD et de l’INSEE montrent une difficulté de lecture plus faible chez les jeunes que dans la tranche 40-50 ans et plus. Les JAPD évaluent à 9 ou 10% les jeunes illettrés : si c’est évidemment toujours trop, ce n’est cependant pas plus catastrophique qu’il y a 20 ou 30 ans. Améliorer les compétences de nos élèves en lecture Il faut distinguer lecteur expert et lecteur apprenti : la question de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est une question faussement simple. Il s’agit de faire avec l’écrit ce qu’on fait avec l’apprentissage de l’oral ; au collège, l’élève devra utiliser ses compétences de lecteur pour apprendre de nouvelles connaissances. L’objectif de l’école primaire est donc d’amener ses élèves à des capacités de compréhension satisfaisantes. Le travail d’apprentissage de la lecture s’organisera selon deux dimensions : la compréhension et l’interprétation des textes, l’identification des mots écrits. Aucune de ces deux directions n’est suffisante, chacune d’entre elles est nécessaire. L’apprentissage de l’écrit nécessite un enseignement explicite, dans la mesure où, contrairement à ce qui se passe pour l’apprentissage de la langue orale, les recherches actuelles laissent à penser que le cerveau n’est pas programmé pour cela. Il s’agit de faire correspondre une forme auditive qui se déroule dans le temps à une forme visuelle spatiale (par la lecture, cette forme visuelle spatiale doit être codée en forme auditive et temporelle). Avant les années 60, les méthodes de lecture privilégiaient les activités de fusion. Après les années 60, certaines hypothèses de chercheur ont supposé que la méthode 1 A quoi on pourrait ajouter, en référence aux IO, parler. Notes P. MOULLET, IEN BORDEAUX-BEGLES 1/5 Intervention de Michel Fayol sur l’apprentissage de la lecture 15 mars 2006 idéovisuelle permettait un apprentissage direct des mots. Cette conception pose cependant le problème des mots nouveaux pour lesquels un déchiffrage restait nécessaire. Cette conception pouvait être schématisée de la façon suivante : Concept Ecrit Oral la forme orale comme la forme écrite du mot référant directement au concept. On sait à présent avec certitude qu’aucune lecture globale n’est effectuée, y compris par les lecteurs experts : chaque mot est fixé, les pseudo-mots2 et les mots rares sont décomposés (comme chacun de nous peut s’en assurer, confronté à un mot difficile ou d’un registre de langue étranger à notre expérience quotidienne). Les connaissances actuelles permettent donc d’enrichir et de préciser cette représentation : Caractère génératif de la relation précédemment établie entre le lexique oral et le lexique écrit Concept Relation dérivée plus ou moins forte selon la fréquence des rencontres avec le mot considéré Ecrit (mots ou parties de mots) Oral (mots ou parties de mots) Système de transcription = recodage Quelles unités seront-elles nécessaires pour aller de l’oral à l’écrit et inversement ? Les syllabes ? Elles sont composées de graphèmes à l’écrit qui correspondent aux phonèmes à l’oral. Mais les phonèmes ne sont perceptibles que si l’on a appris à lire dans un système alphabétique3. Le lecteur expert possède deux « grandes habiletés » l’identification rapide de mots connus, le déchiffrement de mots nouveaux, et la capacité à « mixer » les deux. Mot inventé auquel on donne un aspect « plausible » : ex : relibo, baveau, … Cet élément a été démontré par une étude portant sur des asiatiques ayant appris à lire leur langue dans un système idéovisuel : même les lecteurs experts étaient incapables de percevoir les phonèmes ; la perception de ceux-ci s’établit donc par l’apprentissage et les allers retours systématiques entre écriture et lecture. 2 3 Notes P. MOULLET, IEN BORDEAUX-BEGLES 2/5 Intervention de Michel Fayol sur l’apprentissage de la lecture 15 mars 2006 Comment y arriver ? en travaillant la compréhension (lexique, syntaxe, connaissance du monde4), en travaillant le déchiffrement et la reconnaissance des mots, en intégrant systématiquement ces deux dimensions au cours de l’apprentissage de la lecture. La compréhension se travaillera d’abord à l’oral, durant toute l’école maternelle et audelà, puis à l’écrit, dès l’entrée dans l’apprentissage de la lecture et durant toute la scolarité5. Le cycle 2 (GS, CP, CE1) correspond à la difficile période d’intégration de la compréhension à l’oral et à l’écrit. Les élèves y seront confrontés à des problèmes de liaison : quelles frontières entre les mots ? Les maîtres y seront confrontés à la question de l’introduction de l’apprentissage du code par rapport à la mise en relation avec la compréhension. On peut considérer le l’apprentissage du code pourra s’effectuer dans une relative autonomie, tandis que les la compréhension sera travaillée dans la mise en relation entre le code et le sens6. L’identification des mots s’appuiera sur l’apprentissage du principe alphabétique : la correspondance graphème/ phonème est plus assurée en lecture qu’en écriture7. Cet apprentissage est compliqué par le problème de l’enseignement des consonnes : dans la mesure où elles sont des entités abstraites, non directement perceptibles, elles ne peuvent être enseignées directement. On s’appuiera donc sur des situations de discrimination (colle # folle, colle # Gaule, vrai # frais, craie # très, etc.). On sait à présent qu’il existe une forte corrélation entre capacité d’analyse de la chaîne orale, connaissance du nom des lettres et apprentissage de la lecture (déchiffrement). vitesse de dénomination des couleurs, des chiffres En conséquence en maternelle seront travaillées conscience phonologique et connaissance du nom et de la valeur des lettres ; ce travail sera à poursuivre en début CP avec les élèves constituant « la population à risques »8, on s’attachera à une utilisation conjointe de la lecture et de l’écriture (bien que nous ne possédions pas là-dessus de données prédictives), sans oublier que nous travaillons sur un système orthographique opaque (cf. note 7). D’où l’importance d’enrichir de façon significative les référents culturels des élèves. C’est le degré de complexité des activités qui variera. 6 Tout travail sur un texte devrait donner lieu à des allers retours systématiques entre le code et le sens : toute hypothèse partant du code entraînant une vérification au niveau du sens et inversement, toute hypothèse construite à partir di sens entraînant une vérification au niveau du code. 7 Pour des raisons d’organisation du code de notre langue : en français 32 à 36 phonèmes (selon les régions) sont codés par 26 lettres. 8 De ne pas apprendre à lire bien sûr. 4 5 Notes P. MOULLET, IEN BORDEAUX-BEGLES 3/5 Intervention de Michel Fayol sur l’apprentissage de la lecture 15 mars 2006 Le problème sera donc souvent d’associer un phonème à une combinaison de lettres dont chacune perd sa valeur (cf. o+u=ou) et de ne pas oublier que certains graphèmes simples peuvent correspondre à plusieurs phonèmes : Nous mentions # les mentions. Les comparaisons internationales sur les premières années d’apprentissage de la lecture sont riches d’enseignements : En fin de CP pour ce qui concerne la connaissance de la correspondance lettres/ sons, on n’observe pas de variation significative selon le pays, la capacité de lecture de mots isolés varie selon les pays 95% en Espagne et Italie, 79% en France, 34% en Angleterre Tout comme la capacité de lecture de pseudo-mots 89% en Espagne et Italie, 85% en France, 29% en Angleterre. Ces chiffres montrent bien que plus un système est difficile et irrégulier, plus l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est long et complexe. L’acquisition demande une automatisation de la reconnaissance des mots, c'est-à-dire la mémorisation d’une représentation orthographique précise. Ex : oiseau / oignon montagne / monsieur affamé / femme Selon les cas, il faudra mémoriser les mots eux-mêmes ou les régularités de la langue. Le meilleur prédicteur de compétence dans la lecture de mots irréguliers en fin de CP est la compréhension du principe alphabétique en maternelle (fin GS). Conscience phonologique Lecture des mots réguliers Lecture des mots réguliers ou irréguliers Connaissance de la valeur et du nom des lettres Lexique oral Notes P. MOULLET, IEN BORDEAUX-BEGLES 4/5 Compréhension Intervention de Michel Fayol sur l’apprentissage de la lecture 15 mars 2006 4 5 6 7 8 9 10 ans compréhension du principe alphabétique développement de la conscience phonologique développement du orthographique lexique, du répertoire compréhension L’apprentissage de la lecture tirera partie du fait que notre langue fonctionne comme un système génératif. Notes P. MOULLET, IEN BORDEAUX-BEGLES 5/5