Cancers du Cavum Dr Pierre BLANCHARD1, Dr Caroline EVEN2 1. Département de Radiothérapie – Gustave Roussy 2. Département de Cancérologie Cervico-Faciale – Gustave Roussy Particularités des cancers du cavum Les cancers du cavum constituent une sous-entité rare des cancers des voies aérodigestives supérieures. Ils s’en distinguent par plusieurs facteurs : - étiologie : liée au virus Epstein Barr (EBV) histologie : majoritairement indifférenciés, on distingue les carcinomes non kératinisant (type OMS 2 et 3) et les kératinisant (type OMS 1, souvent liés au tabagisme, se rapprochant des épidermoïdes classiques des VADS) distribution géographique : rare chez les français autochtones, ils sont plus fréquents chez les originaires d’Asie du Sud-Est (région de Canton – Vietnam) ou d’Afrique du Nord traitement : non chirurgical en première intention (association radiothérapie et chimiothérapie) Histoire naturelle La localisation anatomique tumorale et les voies d’extension expliquent la symptomatologie et les traitements proposés. Ainsi, les cancers du cavum s’étendent spontanément : - - vers les fosses nasales et l’oropharynx : obstruction nasale, épistaxis, anosmie en arrière et en haut vers la base du crâne et le sinus caverneux : douleur, paralysie des nerfs crâniens (V, VI, VII) latéralement vers les espaces parapharyngés et la fosse infratemporale : atteinte du V3, trismus l’envahissement intra-crânien est le fait des tumeurs localement évoluées l’envahissement ganglionnaire est fréquent (75% au diagnostic), avec une prédilection particulière pour les ganglions rétropharyngés et cervicaux postérieurs : palpation attentive cervicale et des aisselles Bilan paraclinique Ce bilan paraclinique comprend un scanner et une IRM cervicofaciaux, une TEP au FDG et une biopsie, éventuellement réalisée sous AG. Un bilan préthérapeutique avant chimiothérapie (fonction rénale, hépatique et cardiaque, audiogramme) et radiothérapie (hormonal) est également réalisé. Facteurs pronostiques Le processus tumoral se développe initialement dans les parois du nasopharynx, avec des symptômes non spécifiques (obstruction nasale, otite séreuse), expliquant le retard de diagnostic habituel. Plus tard, l’invasion locorégionale peut s’étendre aux nerfs crâniens et à la base du crâne, ce qui accroit le risque de persistance tumorale ou de rechute locale après radiothérapie. L’envahissement ganglionnaire (N+) est fréquent et s’associe à un risqué élevé de métastases à distance (osseuses, pulmonaires et hépatiques) et une espérance de vie réduite. Les patients N1 et N2/N3 ont un risque de survenue de métastases de 33% et 70% à 10 ans respectivement [Chua et al., Cancer,2003]. Le stade TNM est donc le facteur pronostique majeur. Parmi les paramètres biologiques qui pourraient être des marqueurs pronostiques utiles, les taux de DNA de l’EBV, pré thérapeutiques et après radiothérapie, ont été corrélés avec l’évolution et la survie [Yip et al. Oral Oncol, 2014]. En routine, cependant, aucun marqueur biologique n’est actuellement utilisé. Traitement : radiothérapie Le traitement doit être réalisé en centre spécialisé compte tenu de la rareté de ces cancers. Sa pierre angulaire est la radiothérapie. Celle ci doit être réalisée en modulation d’intensité (RCMI, ou IMRT en anglais) en raison du risque élevé de complication à long terme en cas de traitement conventionnel. La radiothérapie délivre classiquement une dose de 70 Gy en 35 fractions de 2 Gy sur le volume tumoral macroscopique et une dose intermédiaire sur les volumes à risque intermédiaires et faibles (50 à 60 Gy selon la technique et la modalité de prescription). Concernant la tumeur primitive, les zones à risque d’extension microscopique comprennent au moins : - - en avant : tiers postérieur des fosses nasales, des sinus maxillaires et fosses ptérygomaxillaires latéralement : espaces parapharyngés bilatéraux en arrière : moitié antérieure du clivus, voire totalité en cas d’envahissement, partie inférieure du sinus caverneux homolatérale en haut : tiers inférieur du sinus sphénoïde en bas : paroi pharyngée postérieure et latérale jusqu’à l’oropharynx au minimum L’utilisation d’IMRT permet de protéger les glandes parotides, les structures de la déglutition, les muscles masticateurs et les articulations temporomandibulaires, les lobes temporaux, les cochlées, la moëlle épinière et le tronc cérébral… limitant ainsi de manière importante la toxicité à long terme des traitements. Traitement : Chimiothérapie Le bénéfice lié à l’ajout d’une chimiothérapie concomitante a été démontré pour la première fois par l’essai Intergroup 00-99 qui a comparé chez 193 la radiothérapie seule à la radiothérapie associée à du cisplatine concomitant (100 mg/m2) et à 3 cycles de chimiothérapie adjuvante (association cisplatine-5FU toutes les 4 semaines). Il a été observé une augmentation significative de la survie globale à 3 ans (de 47% à 78%) et de la survie sans récidive (de 24% à 69%) en faveur du bras chimiothérapie. Ce bénéfice a été confirmé par la réalisation d’une méta-analyse sur données individuelles publiée par l’équipe de méta-analyse de Gustave Roussy (8 essais – 1753 patients). L’ajout de chimiothérapie est associé à une augmentation de la survie globale, sans événement, du contrôle locorégional et métastatique. Le bénéfice en survie est limité à l’utilisation de la chimiothérapie en concomitant (+/- adjuvant, il n’y avait pas de sous groupe spécifique concomitant + adjuvant), avec une réduction de 40% du risque instantané de décès. L’actualisation de la méta-analyse en 2014 (4798 patients) a confirmé le bénéfice de la chimiothérapie concomitante. Un essai récent (Chen et al, Lancet Oncol 2012) a évalué l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante après radiochimiothérapie. Il n’a pas mis en évidence de différence significative en survie globale, mais une tendance NS pour la survie sans récidive. Le suivi de cet essai est court, et une analyse avec un suivi plus long est attendue pour voir si cette tendance se confirme. Actuellement le bénéfice lié à la phase adjuvante est discuté. La chimiothérapie d’induction avant radiochimiothérapie n’a pas démontré son bénéfice dans les cancers du cavum et ne constitue pas un traitement standard, mais la grande chimiosensibilité des cancers du cavum explique sa large utilisation. De nombreux essais thérapeutiques sont en cours pour évaluer cette stratégie. Surveillance La surveillance est clinicoradiologique. Elle recherche les récidives et les toxicités du traitement. Elle doit être poursuivie à très long terme. Une IRM est réalisée de manière annuelle. Les autres examens ne sont pas actuellement recommandés, mais la surveillance de la PCR de l’EBV (avant et post traitement) ainsi que la réalisation de TEP régulières sont en cours d’évaluation. En cas de rechute locale ou régionale un nouveau traitement local doit être discuté. Stade métastatique Les cancers du cavum sont très chimiosensibles. Le traitement repose sur la chimiothérapie avec dans certains cas des rémissions ou stabilisations prolongées, qui peuvent être obtenues également après la deuxième ligne [Fandi et al., JCO 2008]. Cependant, il existe un intérêt certain à associer à la chimiothérapie des traitements locaux comme la chirurgie, la radiofréquence ou la radiothérapie permettant d’augmenter le contrôle local mais aussi la survie. En cas de maladie d’emblée métastatique, une radiothérapie à visée curative au niveau loco-régional peut être proposée surtout en cas de réponse complète des sites métastatiques après 4 à 6 cycles de chimiothérapies. A ce jour, les protocoles à base de cisplatine constituent la chimiothérapie standard des patients métastatiques. A c ô t é d u s t a n d a r d c isplatine et 5-FU, les associations à base de platine avec gemcitabine ou taxanes (carbopltine-paclitaxel) [Tan, Ann Oncol 1999, Ma, Cancer 2002] sont actuellement préférées aux associations avec la bléomycine et les anthracyclines sans qu’aucune comparaison de façon prospective n’ait été faite [Ma, Cancer 2005]. Les triplets ou plus à base de sels de platine n’ont pas démontré d’avantage mais une toxicité significative [Ma, Cancer 2005]. En deuxième ou troisième ligne, des réponses peuvent être obtenues avec une chimiothérapie à base de gemcitabine seule ou combinée. Les autres agents actifs en deuxième ligne sont le paclitaxel et la capécitabine. Cependant l’altération du performance status et la diminution de la tolérance médullaire limite souvent les possibilités de délivrer plusieurs lignes de chimiothérapie, chez ces patients fréquemment atteints de métastases osseuses diffuses. Les thérapies moléculaires ciblées sont en développement, et notamment les anti-EGFR (comme le cetuximab) [Chan, JCO 2005], les anti-angiogéniques mais avec des risques hémorragiques non négligeables, les inhibiteurs de PI3K, les agents ciblant l’épigénétique (agent déméthylant…) et l’immunothérapie (anti-PD1 notamment). Références : - Chua DTT, Sham JST, Kwong DLW et al. Treatment outcome after radiotherapy alone for patients with stage I-II nasopharyngeal carcinoma. Cancer 2003; 98: 74-80. Yip TT, Ngan RK, Fong AH, Law SC. Application of circulating plasma/serum EBV DNA in the clinical management of nasopharyngeal carcinoma. Oral Oncol. 2014 Jun;50(6):527-38. Al-Sarraf M, LeBlanc M, Giri PG, et al. Chemoradiotherapy versus radiotherapy in patients with advanced nasopharyngeal cancer: phase III randomized Intergroup study 0099. J Clin Oncol. 1998 Apr;16(4):1310-7. PubMed PMID: 9552031. Baujat B, Audry H, Bourhis J, et al; MAC-NPC Collaborative Group. Chemotherapy in locally advanced nasopharyngeal carcinoma: an individual patient data meta-analysis of eight randomized trials and 1753 patients. Int J Radiat Oncol Biol Phys. 2006 Jan 1;64(1):47-56. - - - Lee AW, Ng WT, Chan YH, Sze H, Chan C, Lam TH. The battle against nasopharyngeal cancer. Radiother Oncol. 2012 Sep;104(3):272-8. Fandi A, Bachouchi M, Azli N, Taamma A, Boussen H, Wibault P, et al. Longterm disease- free survivors in metastatic undifferentiated carcinoma of nasopharyngeal type. J Clin Oncol 2000; 18: 1324-1330. Tan EH, Khoo KS, Wee J et al. Phase II trial of a paclitaxel and carboplatin combination in Asian patients with metastatic nasopharyngeal carcinoma. Ann Oncol 1999; 10:235-237. Ma BB, Tannock IF, Pond GR et al. Chemotherapy with gemcitabinecontaining regimens for locally recurrent or metastatic nasopharyngeal carcinoma. Cancer 2002; 95: 2516-2523. Ma BBY, Chan ATC. Recent perspectives in the role of chemotherapy in the management of advanced nasopharyngeal carcinoma. Cancer 2005; 103: 2231. Chan AT, Hsu MM, Goh BC et al. Multicenter, phase II study of cetuximab in combination with carboplatin in patients with recurrent or metastatic nasopharyngeal carcinoma. J Clin Oncol 2005; 23 :3568-76.