Veille Tendance Par Richard Bordenave, de BVA Directeur innovation et marketing du groupe Nouvelle rubrique Quand la recherche fait avancer le marketing Comment l’économie comportementale peut-elle transformer le marketing ? En renversant le constat de l’économie néo-classique : c’est le comportement, avec sa part d’influences inconscientes, qui préside à la construction des attitudes. Le monde de la recherche académique est traditionnellement source d’inspiration pour le marketing. En particulier les sciences humaines (psychologie, sociologie, anthropologie…), qui, depuis les années cinquante, alimentent les cadres conceptuels de notre compréhension du consommateur. Aujourd’hui, des disciplines émergentes, comme l’économie comportementale ou les neurosciences, viennent renouveler nos modèles. Elles offrent de nombreuses opportunités pour repenser le marketing. Pour les faire découvrir, BVA et Marketing Magazine ont créé cette rubrique qui présente une sélection d’ouvrages-clés regroupés autour d’une thématique différente chaque mois. 16Marketing magazine / n°162 / Novembre 2012 P armi les courants de recherche susceptibles de transformer la pensée marketing, il en est un, né aux ÉtatsUnis, qui n’a pas fini de faire parler de lui en cette période de crise économique : il répond au nom anglo-saxon de “behavioral economics”. L’économie dite “comportementale” se définit par opposition à l’économie néo-classique et s’attaque avant tout au mythe, porté par les théories traditionnelles, de l’“homo economicus”, cet agent rationnel, aux motivations individualistes, qui optimiserait son choix en maximisant son utilité. Ces modèles ne résistent pas à l’observation de la réalité. Nous savons tous, rationnellement, qu’il faut épargner pour préparer sa retraite, faire du sport et arrêter de fumer pour garder la forme… Et pourtant, nos comportements ne sont souvent pas optimaux ! Cette discipline trouve ses origines dans les années quarante, avec les travaux d’Herbert Simon (Carnegie Mellon University), qui a développé le concept de “rationalité limitée”. Notre jugement, expliquait-il, est sous contrainte des ressources attentionnelles finies dont nous disposons, mais aussi sous influence invisible de l’environnement. C’est toutefois Daniel Kahneman et feu son collègue Amos Tversky qui sont, aujourd’hui, considérés comme les pères de la “behavioral economics”, grâce à un article fondateur publié en 1979 : “la théorie des perspectives”. Ils ont en effet été les premiers à remettre en cause deux idées communément admises. La première : le consommateur est un agent rationnel et son jugement est généralement optimal. La seconde : seules les émotions mal maîtrisées peuvent faire dévier les comportements de cette logique rationnelle. En cherchant l’origine des approximations et raccourcis conduisant à nos jugements erronés, Kahneman (auteur de l’ouvrage Thinking Fast and Slow) et Tversky ont montré qu’ils venaient en fait de la manière dont notre cerveau est câblé pour traiter rapidement l’information, et non de “pollutions émotionnelles”. Simon et Kahneman ont d’ailleurs chacun reçu le prix Nobel d’économie pour la fécondité transdisciplinaire de leurs travaux. Retrouver Idée.zip sur e-marketing.fr avec un résumé de chacun de ces ouvrages nalité” est prédictible. Ariely démontre en particulier qu’il existe des effets de contexte prévisibles ou des normes sociales implicites qui régissent nos décisions. Mais nous en avons bien rarement conscience, tant nous sommes ignorants de nos propres limites. Et c’est là que se trouve le piège : si vous demandez à un consommateur les raisons de sa décision, il sera toujours prompt à vous fournir une réponse, alors qu’il en ignore les véritables motifs. Pour vérifier si les hypothèses “raisonnables” qui fondent nos équations le sont véritablement, l’économie comportementale prône la méthode expérimentale dans des situations de la vie réelle : en observant les décisions prises en fonction du contexte. Par exemple, augmenter le choix maximise-t-il vraiment la satisfaction ? Les réalités que les chercheurs découvrent vont souvent à rebours de l’opinion commune : ainsi, un grand choix a plutôt tendance à diminuer la satisfaction et même L’irrationalité du consommateur est prédictible. Aider le consommateur dans son choix Ainsi, l’économie comportementale nous montre que la manière dont les choix nous sont présentés compte autant que les alternatives proposées et que certains biais sont en fait la norme de nos comportements. Ce qui fait dire à Dan Ariely, dans son best-seller Predictably irrational, que notre “irratio- Retrouvez votre magazine sur www.e-marketing.fr 24 variétés proposées 6 variétés proposées 3 % d’achat 30 % d’achat Source : Iyengar et Lepper, 2000 Retrouvez votre magazine sur www.e-marketing.fr Dan Ariely l’achat (cf. infographie ci-dessous). La difficulté à arbitrer paralyse, ou laisse un doute sur une opportunité ratée. Accélérer l’innovation utile L’économie comportementale interroge sur l’utilisation de la seule parole du consommateur pour prévoir son comportement : nous sommes en effet bien peu aptes à prédire nos propres actions. Il est souhaitable que la culture marketing évolue vers une meilleure prise en compte des comportements observés. La connaissance des biais liés au contexte de recueil en matière d’étude devient essentielle. C’est en recherchant systématiquement la déformation que subissent les messages reçus qu’il devient possible de corriger la manière de les présenter pour les rendre plus efficaces en termes de marketing. Historiquement, les modèles marketing académiques expliquent le plus souvent les comportements du consommateur par les attitudes déclarées. L’économie comportementale renverse le constat : c’est le comportement qui devient un antécédent de la construction des attitudes. Le consommateur décide intuitivement en agissant dans un environnement donné et construit ensuite son discours en mobilisant alors sa rationalité. L’économie comportementale montre qu’il existe de multiples leviers indirects pour influencer un comportement. Ils ont trait, entre autres, à la manière dont le stimulus marketing est présenté au sein des alternatives, à la première impression générée en contexte ou à l’influence du regard des autres. Des facteurs que d’aucuns considéraient comme des biais d’étude à neutraliser voient leur statut renversé par l’économie comportementale : ils sont si puissants à guider nos comportements qu’il est préférable d’en faire des objets d’étude pour les transformer en leviers marketing. L’économiste Richard Thaler a baptisé ces leviers indirects des “nudges” (ou “coups de pouce”). Les “nudges” constituent une méthode douce parfois plus efficace que les logiques de persuasion publicitaires classiques. Ils sont particulièrement recommandés quand les discours normatifs ont montré leur impuissance à changer les comportements. La connaissance comportementale accélérera aussi l’innovation utile en révélant des besoins de l’utilisateur “inarticulables” a priori. Et la maîtrise de nombreux leviers sociaux tels que le mimétisme, le jeu, la starification, le contrôle social… seront autant d’opportunités pour concevoir des programmes marketing efficaces. À condition d’en faire un usage responsable : car le caractère moins visible de ces ressorts peut parfois soulever des questions éthiques. Il est en tout cas certain qu’une meilleure compréhension du consommateur est et restera le moteur essentiel du business. Novembre 2012 / n°162 / Marketing magazine 17 Idée.zip n°1 : « L'acte d'achat : un processus à deux vitesses ? » Par Richard Bordenave, directeur marketing et innovation du groupe BVA, 12/11/2012 Le directeur marketing et innovation du groupe BVA, Richard Bordenave, analyse une idée force du best-seller de Daniel Kahneman ("Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée") appliquée au marketing. Comment l'économie comportementale peut-elle transformer le marketing ? En complément de la nouvelle rubrique idée.zip parue dans le numéro 162 (pages 16/17) de "Marketing Magazine", Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, nous livre ici sa "critique" de l'ouvrage Daniel Kahneman, "Système 1, Système 2, les 2 vitesses de la pensée" qui vient de paraître en français chez Flammarion. "Et si l’évolution nous avait dotés de deux systèmes pour prendre nos décisions ? C’est ce que nous propose Daniel Kahnemandans son livre "thinking fast and slow" (les deux vitesses de la pensée) : Le système 1, en permanence connecté à nos sens, opère automatiquement, évalue intuitivement l’environnement, avec des règles d’approximation et des associations qui lui permettent de prendre des décisions très rapides, sur lesquelles nous n’avons que peu de prise consciente. Le système 2, mobilisé plus ponctuellement, demande de l’effort, s’occupe des opérations complexes, calcule, formalise le jugement dans un dialogue avec le système 1 (qui a lui plutôt tendance à sauter aux conclusions). Après délibération, il sait alors en verbaliser le résultat. Kahneman montre que deux facteurs conditionnent la voie d’aiguillage du système 1 vers le 2, et l’influence de chacun dans nos décisions : le contexte (environnement physique et attentionnel) et surtout le temps mobilisé pour traiter l’information. Conséquences pour le marketing ? Nous nous identifions tous bien volontiers au système 2, celui de notre jugement rationnel (lent). Or c’est le système 1, celui de l’intuition ou de l’émotion (rapide), qui oriente d’abord nos choix, et souvent bien malgré nous. Pourtant beaucoup de méthodes d’études se limitent aujourd’hui à n’interroger que le système 2 du consommateur avec des questionnaires faisant abstraction des effets de contexte, de durée et d’attention. C’est la raison pour laquelle remettre le consommateur dans un scenario au plus près de la vraie vie, et observer son comportement en contexte, préside à la fiabilité de nos modèles de prédiction chez BVA. Les nouvelles technologies de recueil (micro-caméras, smartphone) et l’afflux de données digitales (navigation, données transactionnelles et bientôt internet des objets) sont autant d’opportunités pour capturer ce comportement dans nos design d’études. Car si le marketing doit devenir un facilitateur de choix il doit commencer par comprendre quelle pondération du système 1/ Système 2 est en jeu dans la décision d’achat de sa catégorie de produit. En effet, les leviers d’action qui sont efficaces pour notre système 1 : ceux qui agissent en première impression, intuitivement, émotionnellement, s’opposent souvent aux logiques persuasives argumentées (orientées système 2) qui dominent pourtant dans les raisonnements marketing : ex le discours insight/bénéfice/preuve. De plus, en qualité d’institut, connaitre finement les « biais humains» de nos chemins de décision lors des moments de vérité d’un parcours d’achat, c’est éviter de s’attacher aux mauvaises causes tirées du discours du consommateur post-rationalisé. Mais c’est surtout le moyen de découvrir les véritables raisons non-verbalisables qui contribuent à la décision d’achat d’un produit ou service : facteurs environnementaux, filtres mentaux inconscient… Et ce afin de recommander les leviers d’action les plus efficaces car adaptés aux systèmes à l’œuvre dans nos têtes de consommateurs une fois en contexte". Un mot sur l’auteur de l’ouvrage : Psychologue émérite et prix Nobel d’économie, fondateur de l’économie comportementale, Daniel Kahneman était l’invité d’honneur de la dernière édition du plus gros congrès mondial des Etudes marketing aux Etats-Unis (Market Research Event). Idée.zip n°2 : "Mieux prédire l'irrationalité du consommateur" Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 03/12/2012 Richard Bordenave donne son point de vue sur les idées fortes du bestseller de Dan Ariely, "Predictably irrational" (sorti en français chez Flammarion sous le titre "C'est vraiment moi qui décide ?"). "Predictably irrational" de Dan Ariely bat en brèche le mythe du consommateur porté par l’économie néoclassique. Non, le consommateur n’est pas cet agent rationnel et calculateur qui maximiserait son propre intérêt en évaluant toute l’information disponible. Dans la vraie vie, sous le poids des contraintes, nous agissons plus comme Homer Simpson que comme un supercalculateur. La preuve : nous sommes toujours prompts à craquer sur des articles chers et pas si indispensables, et nous remettons à demain les choix sur l'épargne ou la retraite par exemple. Dans nos achats quotidiens, nos émotions et nos raccourcis décisionnels nous éloignent dans la plupart des cas de l’optimum mathématique, sans pour autant que nous ne sachions toujours exactement pourquoi ni comment. Grâce à de multiples expériences ludiques, et non moins scientifiques, Dan Ariely nous dévoile le pourquoi et le comment de cette fameuse irrationalité : les circonstances de la décision comptent autant que la décision elle-même. Et nos biais de jugement sont tellement systématiques qu'ils en deviennent prédictibles : le biais est en fait la norme ! Par exemple : - nous fuyons plus le risque que nous ne courons après le gain : ce qui nous pousse à accepter plus facilement une opération chirurgicale à 95% de chance de succès plutôt qu'une autre avec 5% de risque d'échec. - nous inférons inconsciemment le prix sur la qualité : ce qui rend étonnement plus «efficace» un médicament payé plus cher... - nous survalorisons le plaisir de l'instant plutôt que celui de demain : ce qui nous pousse à manger cette tablette de chocolat maintenant et à repousser le régime à plus tard. - l’humeur que crée la situation modifie nos jugements : et nous sommes moins prudents dans l'excitation d'un moment agréable (en matière de contraception ou de boisson par exemple). - et plus étonnant nos évaluations sont par exemple largement influençables par le dernier chiffre manipulé lors d'un exercice antérieur (biais d'ancrage), ou bien par nos souvenirs les plus frais (biais de disponibilité) ... Au-delà de ces mécanismes individuels (déjà bien explorés par Kahneman, voir idée zip n°1), Dan Ariely va plus loin en montrant que des mécanismes sociaux, comme l’altruisme ou le mimétisme, peuvent aussi se révéler de puissants moteurs de nos comportements. Ils influencent notre consommation sans jamais la réduire à l'intérêt individuel de l’impossible homo economicus...Ainsi le premier qui donne son choix au restaurant influence-t-il le choix de tous les autres! Conséquence pour le marketing : s'intéresser d'abord aux circonstances de la décision Tout ce que nous dit le consommateur n'est pas à prendre pour argent comptant, car l'être humain est un champion de la post-rationalisation, même de bonne foi. La connaissance du mode de formation implicite de nos jugements est ainsi au cœur de notre savoir-faire historique : chez BVA nous analysons conjointement observation des comportements et mesure des opinions. Cette double lecture permet d’éviter les biais classiques (effets de groupes, ou les effets d'ordre par exemple). Mais paradoxalement : ce savoir-faire est beaucoup plus précieux dans l'art et la manière de reproduire en test ce qui fait la norme du jugement du consommateur dans la vraie vie : en recréant le contexte ou la mission qui vont conditionner les écarts à la rationalité. Nos programmes de recherche ont montré qu'un consommateur n'est souvent pas capable de donner une réponse prédictive de son comportement futur à moins d'être immergé dans les circonstances de test adéquates. Cela n'est ni du mensonge ni de la sur-déclaration, il lui manque souvent deux éléments clefs pour former son jugement habituel : le contexte et le cadre mental. Pour révéler les leviers marketing qui comptent dans la décision du shopper en rayon, BVA vient de lancer un programme de recherche en magasin expérimental avec Dan Ariely et son équipe : les résultats seront partagés avec l'ensemble de la communauté scientifique. Bien qu’identique dans les deux cas, la taille du rond rouge semble différente en fonction du contexte Vers une nouvelle approche des leviers de fidélisation ? Les idées d'Ariely prennent un écho particulier en matière d'analyse de la relation client. Il nous alerte sur le fait qu'en matière de comportements, les deux moteurs que sont les lois du marché et les normes sociales sont en fait assez peu compatibles. Imaginez que quelqu’un vous demande de l’aide pour pousser sa voiture qui ne démarre pas : vous accepterez peut-être par sympathie. Mais s’il vous propose de vous donner deux euros pour le faire ? La relation devient transactionnelle et cela modifie complètement votre perception. Peut-être allez-vous même refuser de l’aider pour si peu ! Ce constat est essentiel en matière d’évaluation de la relation à la marque : comprendre l’articulation entre les programmes relationnels (e-mailings, communautés, réseau sociaux) et transactionnels (site de vente, offres promo), donne les clefs de construction du lien à la marque. L’analyse des points de contacts, virtuels ou réels, permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans la relation : fidélisation ou fragilisation ? Un mot sur l’auteur : Enseignant chercheur en psychologie cognitive au MIT de 1998 à 2008, il est aujourd’hui professeur d’économie comportementale à la Duke University. Le succès de ses livres et sa personnalité hors-norme ont donné une visibilité mondiale à ses travaux (The New York Times, Wall Street Journal, Washington Post, Scientific American, Science, CNN…) et accéléré l’essor de sa discipline. Idée.zip n°3 "Le paradoxe du choix : et si la satisfaction client était ailleurs ?" Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 11/12/2012 Offrir trop de choix au consommateur n'est pas la clef du bonheur ! C'est une des idées fortes de l'ouvrage de Barry Schwartz, "The Paradox of Choice - Why More is Less" (en français : "Le Paradoxe du choix : pourquoi la culture de l'abondance nous éloigne du bonheur"). Dans son ouvrage "The paradox of choice – why more is less" (en Français : "le paradoxe du choix : pourquoi la culture de l’abondance nous éloigne du bonheur"), Barry Schwartz a recensé et vulgarisé, dès 2004, les apports de l’économie comportementale. Il s’appuie sur les expérimentations menées par les chercheurs de cette discipline (dont Kahneman, cf Idée.zip n°1 et article print Marketing Magazine N° 162) pour montrer qu’offrir trop de choix au consommateur n’est pas la clef de son bonheur. Si vous souhaitez acheter un jean par exemple et que la vendeuse vous demande : plutôt slim fit ou baggy, uni, couleur, délavé, à zip ou à bouton, enduit ou usé ? … Il arrive un moment où l’abondance d’option ne séduit plus : elle tyrannise. Je veux juste un jean ! Trop de choix nous stresse, voire nous paralyse devant l’effort à fournir pour décider : qu’il s’agisse de placements, d’éducation, de santé ou même de rencontres amoureuses. Poussé à l’extrême, Schwartz avance que c’est un facteur de dépression dans notre société de consommation ou la pression sociale vous rajoute la frustration de n’avoir pas le "dernier modèle"… Dans ses travaux, il montre que nous n’avons pas tous la même propension au bonheur, en particulier suivant les types de choix à faire : - Les maximizers ne veulent que le meilleur. De fait ils vont plus souffrir à balayer l’ensemble des options, et s’exposer à des pensées qui vont altérer leur satisfaction : les regrets potentiels et opportunités ratées. Par exemple : en quête d’un restaurant pour diner ils compareront toutes les cartes, prix et ambiances, au point parfois de rater l’heure du service. Mais heureusement nous ne "maximisons" pas tous les types de choix ! - Les satisficers se contentent d’une solution convenable et accessible. Ils réduisent leurs champs d’investigation au départ et savent ce qu’ils cherchent. Les satisficers ont ainsi plus d’aptitude au bonheur car ils profitent mieux du temps qui leur reste. Ainsi conseille Schwartz, s’en remettre à quelques "règles de vie" simples, même si elles semblent limiter notre liberté, procure paradoxalement plus de satisfaction. Une mine d’idées pour la réflexion marketing : la psychologie du bonheur S’il dénonce clairement la sur-segmentation marketing, l’auteur, recense aussi des mécanismes psychologiques qui trouvent des applications utiles en matière d’études et de satisfaction client. Le phènomène du "peak-end" par exemple, qui montre que notre satisfaction perçue à l’issue d’une expérience client, n’est pas une moyenne des différents évènements qui la compose. Ce sont les moments les plus forts (positifs ou non) et les plus récents qui contribuent le plus à notre jugement global. Ne vous est-il jamais arrivé de dire qu’un film est mauvais simplement parce que sa fin est ratée, ou qu’un concert est ruiné uniquement du fait d’un couac mal placé ? D’autres expériences montrent que la durée de l’expérience n’y change rien : seuls certains évènements sont mémorisés par notre cerveau comme "représentatifs" de l’expérience globale. Ainsi, le souvenir des vacances est meilleur quand ces dernières ont été marquées par une expérience mémorable et une fin agréable, et ce même si le séjour fut très court. Lors de nos études de parcours client ou de satisfaction nous utilisons ce cadre d’analyse pour identifier in-situ les "moments de vérité" qui auront l’influence la plus forte sur l’évaluation finale. Le couplage de mesures a posteriori (mémorisées, déclarées postexpérience) et à chaud (observées ou auto-administrées in situ : type smart-phone ou tablettes) permet d’identifier des effets de leviers d’amélioration de l’existant. Mais il nous permet surtout de recommander la création de moments qui n’existent pas encore. Il est en effet possible de modifier la perception de l’expérience globale en créant un évènement positif à un moment critique de votre relation client (type renouvellement d’abonnement par exemple). Si cette nouvelle interaction peut transformer l’ensemble de l’expérience, par définition elle n’est pas mesurable a priori, car il convient le plus souvent de l’inventer. Les effets d’adaptation dans "la course au plaisir" : selon cette théorie (Hedonic Treadmill), notre niveau de satisfaction prérequis, ou point de référence individuel, finit par augmenter à mesure que nous courrons après de nouvelles expériences. Nous ne sommes donc pas tous égaux en matière d’exigence : car nos expériences passées conditionnent notre évaluation. Notre profil "maximiser" ou "satisficer", ainsi que nos routines d’achat l’influencent aussi. Ce ne sont donc pas les notes de satisfaction que nous portons dans l’absolu qui comptent, mais leur appréciation relative, et leurs évolutions. Il convient donc de manipuler les "normes" avec précaution, car les variables de contexte et de cible sont clefs pour apprécier un score et ses déterminants. En effet, une eau à 25° peut vous paraître froide si la température extérieure est tropicale ; avant que vous ne finissiez par vous y habituer. D’où l’importance d’inclure autant que possible un volet comportemental à ces études : il permettra de déterminer les leviers cachés d’amélioration de la satisfaction client. Ou bien il servira à définir les bons assortiments sur des critères observés : car la gamme idéale est celle qui développe les achats réels des shoppers en rayon, et pas nécessairement le choix revendiqué a priori par le consommateur. A propos de l’auteur : Psychologue et Professeur en Sociologie et Action sociale, Barry Schwartz est un des premiers auteurs à avoir vulgarisé les apports des théories à la frontière entre l’économie et la psychologie : aujourd’hui baptisée économie comportementale. Best-seller en business-book aux US en 2004 (Top 10 Business Week), il est plutôt classé en thématique "société" ou "développement personnel" en France. Idée.zip n°4 : "Nudge : un marketing de l'incitation douce ?" Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 22/01/2013 Nudge (littéralement "coup de pouce") est le titre du livre de Thaler et Sustein, les deux économistes à l'origine du concept. Ce livre propose des solutions pour mettre l'économie comportementale au service des politiques publiques. Après le marketing de la persuasion et son contraire, celui de la permission, une voie médiane émerge dans le monde anglo-saxon : le marketing de l'incitation douce ! Nudge (littéralement "coup de pouce") est le titre du livre de Thaler et Sustein, les deux économistes à l'origine du concept. Ce livre propose des solutions pour mettre l'économie comportementale au service des politiques publiques. Les auteurs partent du constat que nos comportements ne sont pas régis par la rationalité théorique qui sous-tend l'économie classique. Notre nature humaine nous conduit souvent à emprunter des raccourcis simplificateurs. De plus, les circonstances du choix et notre environnement social ont une influence redoutable (voir Idée.Zip n°1 et 2). Seul problème : nous n'en sommes la plupart du temps pas conscients, même pour des décisions essentielles (mariage, éducation, retraite, santé...). La complexité de certains choix nous conduit bien souvent à privilégier la facilité insouciante, ou bien à nous figer dans la torpeur et la non-décision ... Aider le consommateur-citoyen à faire les bons choix La thèse des auteurs est que pour aider des individus à faire les bons choix (ceux qui préservent leurs intérêts et ceux de la collectivité) il faut comprendre leurs processus de décision. Pas ceux qu'ils expliquent en les rationalisant, mais les arbitrages réels, qui s'observent en contexte. C'est là que se trouvent les clefs pour remettre chacun intuitivement sur la bonne voie. Par exemple, en réponse à un questionnaire plus de gens acceptent de figurer sur la liste des donneurs d'organe lorsque l'option cochée par défaut est d'être donneur, bien qu'ils aient la possibilité de refuser (optout). Cette présentation réduit les non réponses des gens qui hésitent au moment de remplir, remettent le choix à plus tard et finissent par l'oublier. Les auteurs qualifient leur approche de paternalisme libertaire : au service du bien commun, tout en maintenant la liberté de choix de l'individu. Changer les comportements en agissant indirectement sur le contexte Les potentialités des nudges ne sont pas passées inaperçues chez les politiques : les gouvernements d'Obama et Cameron ont intégré des équipes spécialisées "Behavioural Insights Teams" pour élaborer leurs politiques publiques. Les nudges peuvent être mis en oeuvre selon deux tactiques : - Les tactiques implicites, fondées sur les inclinaisons naturelles de l'individu. Elles construisent leur efficacité dans le design circonstancié de l'offre. Par exemple, associer l'arrivée du premier salaire avec une ouverture automatique de compte-épargne permet d'augmenter le nombre d'épargnants plus efficacement qu'une campagne de sensibilisation. - Les tactiques explicites (affichées) s'appuient sur l'acceptation par l'individu d'une contrainte pour prévenir ses faiblesses, tel Ulysse qui se fit attacher au mat du navire pour résister aux chants des sirènes. Elles s'appuient aussi sur la création de facteurs de motivation externe : le système de bonus-malus encourage l'achat de véhicules verts. Les leviers sociaux sont eux utilisés pour propager les bons comportements. Par exemple donner à un foyer un retour d'information sur sa consommation d'eau et lui fournir un élément de comparaison avec celle de maisons voisines similaires lui permet de mesurer l'effort à faire pour réduire sa consommation.... Et par mimétisme de s'engager dans cette démarche en ayant les moyens de la piloter. De nouvelles ouvertures pour les études ? Cette approche par nudges considère la décision comme une interaction entre un contexte et un individu. Ce qui était considéré hier comme un biais d'étude à contrôler (le contexte ou le regard des autres) devient aujourd'hui un objet d'étude à potentialiser. Sustein et Thaler appellent cela déconstruire l'architecture du choix. Reconstruire un environnement favorable permet de modifier l'inclinaison initiale de l'individu sans faire appel à sa rationalité. Quand un discours normatif peine à faire changer les comportements, les nudges peuvent faire la différence : tout est souvent question de mobilisation de l'attention au bon moment. Par exemple pour inciter à réduire la vitesse sur une route dangereuse, si le panneau ne suffit pas, les bandes rugueuses au sol seront un nudge efficace. Les marketeurs de demain : architectes du choix responsable ? Le marketing peut se prévaloir d'être déjà grand utilisateur de nudges : le design du packaging ou de l'e-mailing commercial par exemple. Ces nudges sont plus au bénéfice des marques que des consommateurs. Pourtant, les études vidéo-ethnographiques que BVA mène in situ permettent de trouver de sources de création de valeur partagée en observant les usages au quotidien. Ainsi, identifier des nudges orientés dans l'intérêt du consommateur et de sa communauté, c'est inspirer l'innovation utile. - L'innovation fonctionnelle remet l'expérience utilisateur et l'ergonomie au cœur de la proposition des marques. Nos études de parcours clients par exemple conduisent souvent à un re-design de l'offre pour rendre l'expérience plus simple, plus ludique ou simplement plus agréable. Sans parler des opportunités de nouveaux services identifiées autour de l'usage du produit (coaching alimentaire, aide à l'observance médicale, modes d'emploi interactifs, soutien au sevrage...) - L'innovation sociétale crée de la valeur au bénéfice des communautés et de leurs parties prenantes. Elle peut provenir de la mise en réseau des utilisateurs, de la mutualisation des contenus, de la création d'occasions d'échanges et de rencontre. Mais aussi de l'animation d'outils aidant à la diffusion de bonnes pratiques et valorisant les comportements citoyens (maitrise des dépenses de santé, éco-gestes...) Pour identifier ces sources d'innovation, nous avons redéfini les focales de l'orientation client pour passer du point de vue client/consommateur à celui d'utilisateur et de circonstance d'usage. Et finir en ouvrant le champ à la communauté. Car c'est en comprenant la logique d'ensemble de l'écosystème des marques que l'on peut imaginer comment y mettre en place des cercles vertueux.