16 Retrouvez votre magazine sur www.e-marketing.frMARKETING MAGAZINE / n°162 / Novembre 2012
Quand la recherche
fait avancer le marketing
Parmi les courants
de recherche
susceptibles de
transformer la
pensée marketing, il en
est un, né aux États-
Unis, qui n’a pas fini de
faire parler de lui en
cette période de crise
économique : il répond au
nom anglo-saxon de
“behavioral economics”.
L’économie dite “compor-
tementale” se définit par
opposition à l’économie
néo-classique et s’attaque
avant tout au mythe, porté
par les théories traditionnelles, de
l’“homo economicus”, cet agent
rationnel, aux motivations indivi-
dualistes, qui optimiserait son choix
en maximisant son utilité.
Ces modèles ne résistent pas à l’ob-
servation de la réalité. Nous savons
tous, rationnellement, qu’il faut
épargner pour préparer sa retraite,
faire du sport et arrêter de fumer
pour garder la forme… Et pourtant,
nos comportements ne sont souvent
pas optimaux !
Cette discipline trouve ses origines
dans les années quarante, avec les
travaux d’Herbert Simon (Carnegie
Mellon University), qui a développé
le concept de “rationalité limitée”.
Notre jugement, expliquait-il, est
sous contrainte des ressources atten-
tionnelles finies dont nous dispo-
sons, mais aussi sous influence invi-
sible de l’environnement. C’est
Comment l’économie comportementale peut-elle transformer
le marketing ? En renversant le constat de l’économie
néo-classique : cest le comportement, avec sa part d’influences
inconscientes, qui préside à la construction des attitudes.
Veille
Tendance
nalité” est prédictible. Ariely
démontre en particulier qu’il
existe des effets de contexte prévi-
sibles ou des normes sociales impli-
cites qui régissent nos décisions.
Mais nous en avons bien rarement
conscience, tant nous sommes
ignorants de nos propres limites.
Et c’est là que se trouve le piège : si
vous demandez à un consommateur
les raisons de sa décision, il sera
toujours prompt à vous fournir une
réponse, alors qu’il en ignore les
véritables motifs.
Pour vérifier si les hypothèses
“raisonnables” qui fondent nos
équations le sont véritablement,
l’économie comportementale
prône la méthode expérimentale
dans des situations de la vie réelle :
en observant les décisions prises en
fonction du contexte. Par exemple,
augmenter le choix maximise-t-il
vraiment la satisfaction ?
Les réalités que les chercheurs
découvrent vont souvent à rebours
de l’opinion commune : ainsi, un
grand choix a plutôt tendance à
diminuer la satisfaction et même
l’achat (cf. infographie ci-dessous).
La difficulté à arbitrer paralyse,
ou laisse un doute sur une opportu-
nité ratée.
Accélérer l’innovation utile
L’économie comportementale inter-
roge sur l’utilisation de la seule
parole du consommateur pour
prévoir son comportement : nous
sommes en effet bien peu aptes à
prédire nos propres actions. Il est
souhaitable que la culture marke-
ting évolue vers une meilleure prise
en compte des comportements
observés. La connaissance des biais
liés au contexte de recueil en
matière d’étude devient essentielle.
C’est en recherchant systématique-
ment la déformation que subissent
les messages reçus qu’il devient
possible de corriger la manière de
les présenter pour les rendre plus
efficaces en termes de marketing.
Historiquement, les modèles marke-
ting académiques expliquent le plus
souvent les comportements du
consommateur par les attitudes
déclarées. L’économie comporte-
mentale renverse le constat : c’est le
comportement qui devient un anté-
cédent de la construction des atti-
tudes. Le consommateur décide
intuitivement en agissant dans un
environnement donné et construit
ensuite son discours en mobilisant
alors sa rationalité.
L’économie comportementale
montre qu’il existe de multiples
leviers indirects pour influencer un
comportement. Ils ont trait, entre
autres, à la manière dont le stimulus
marketing est présenté au sein des
alternatives, à la première impres-
sion générée en contexte ou à l’in-
fluence du regard des autres. Des
facteurs que d’aucuns considéraient
comme des biais d’étude à neutrali-
ser voient leur statut renversé par
l’économie comportementale : ils
sont si puissants à guider nos
comportements qu’il est préférable
d’en faire des objets d’étude pour
les transformer en leviers marketing.
L’économiste Richard Thaler a
baptisé ces leviers indirects des
“nudges” (ou “coups de pouce”).
Les “nudges” constituent une
méthode douce parfois plus efficace
que les logiques de persuasion publi-
citaires classiques. Ils sont particuliè-
rement recommandés quand les
discours normatifs ont montré leur
impuissance à changer les compor-
tements. La connaissance comporte-
mentale accélérera aussi l’innova-
tion utile en révélant des besoins de
l’utilisateur “inarticulables” a priori.
Et la maîtrise de nombreux leviers
sociaux tels que le mimétisme, le
jeu, la starification, le contrôle
social… seront autant d’opportuni-
tés pour concevoir des programmes
marketing efficaces. À condition
d’en faire un usage responsable : car
le caractère moins visible de ces
ressorts peut parfois soulever des
questions éthiques. Il est en tout cas
certain qu’une meilleure compré-
hension du consommateur est et
restera le moteur essentiel du
business.
Retrouver
Idée.zip sur
e-marketing.fr
avec un
résumé
de chacun de
ces ouvrages
24 variétés proposées 6 variétés proposées
3 % d’achat 30 % d’achat
L’irrationalité du consommateur
est prédictible.
Dan Ariely
Source : Iyengar et Lepper, 2000
Novembre 2012 / n°162 / MARKETING MAGAZINE17
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Nouvelle
rubrique
toutefois Daniel Kahneman et feu
son collègue Amos Tversky qui sont,
aujourd’hui, considérés comme les
pères de la “behavioral economics”,
grâce à un article fondateur publié
en 1979 : “la théorie des perspec-
tives”. Ils ont en effet été les
premiers à remettre en cause deux
idées communément admises. La
première : le consommateur est un
agent rationnel et son jugement est
généralement optimal. La seconde :
seules les émotions mal maîtrisées
peuvent faire dévier les comporte-
ments de cette logique rationnelle.
En cherchant l’origine des approxi-
mations et raccourcis conduisant à
nos jugements erronés, Kahneman
(auteur de l’ouvrage Thinking Fast
and Slow) et Tversky ont montré
qu’ils venaient en fait de la manière
dont notre cerveau est câblé pour
traiter rapidement l’information, et
non de “pollutions émotionnelles”.
Simon et Kahneman ont d’ailleurs
chacun reçu le prix Nobel d’écono-
mie pour la fécondité transdiscipli-
naire de leurs travaux.
Aider le consommateur
dans son choix
Ainsi, l’économie comportemen-
tale nous montre que la manière
dont les choix nous sont présentés
compte autant que les alternatives
proposées et que certains biais sont
en fait la norme de nos comporte-
ments. Ce qui fait dire à Dan
Ariely, dans son best-seller Predic-
tably irrational, que notre “irratio-
Par RICHARD
BORDENAVE,
de BVA
Directeur innovation
et marketing du groupe
Le monde de la recherche
académique est tradition-
nellement source d’inspira-
tion pour le marketing. En
particulier les sciences
humaines (psychologie,
sociologie, anthropolo-
gie…), qui, depuis les
années cinquante,
alimentent les cadres
conceptuels de notre
compréhension du
consommateur.
Aujourd’hui, des
disciplines émergentes,
comme l’économie
comportementale ou les
neurosciences, viennent
renouveler nos modèles.
Elles offrent de nom-
breuses opportunités pour
repenser le marketing.
Pour les faire découvrir, BVA
et Marketing Magazine ont
créé cette rubrique qui
présente une sélection
d’ouvrages-clés regroupés
autour d’une thématique
différente chaque mois.
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Idée.zip 1 : « L'acte d'achat : un
processus à deux vitesses ? »
Par Richard Bordenave, directeur marketing et innovation du groupe BVA, 12/11/2012
Le directeur marketing et innovation du groupe BVA, Richard
Bordenave, analyse une idée force du best-seller de Daniel Kahneman
("Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée") appliquée au
marketing.
Comment l'économie comportementale peut-elle transformer le marketing ? En
complément de la nouvelle rubrique idée.zip parue dans le numéro 162 (pages 16/17) de
"Marketing Magazine", Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe
BVA, nous livre ici sa "critique" de l'ouvrage Daniel Kahneman, "Système 1, Système 2, les 2
vitesses de la pensée" qui vient de paraître en français chez Flammarion.
"Et si l’évolution nous avait dotés de deux systèmes pour prendre nos décisions ? C’est ce
que nous propose Daniel Kahnemandans son livre "thinking fast and slow" (les deux vitesses
de la pensée) :
Le système 1, en permanence connecté à nos sens, opère automatiquement, évalue
intuitivement l’environnement, avec des règles d’approximation et des associations
qui lui permettent de prendre des décisions très rapides, sur lesquelles nous n’avons
que peu de prise consciente.
Le système 2, mobilisé plus ponctuellement, demande de l’effort, s’occupe des
opérations complexes, calcule, formalise le jugement dans un dialogue avec le
système 1 (qui a lui plutôt tendance à sauter aux conclusions). Après délibération, il
sait alors en verbaliser le résultat.
Kahneman montre que deux facteurs conditionnent la voie d’aiguillage du système 1 vers le
2, et l’influence de chacun dans nos décisions : le contexte (environnement physique et
attentionnel) et surtout le temps mobilisé pour traiter l’information.
Conséquences pour le marketing ?
Nous nous identifions tous bien volontiers au système 2, celui de notre jugement rationnel
(lent). Or c’est le système 1, celui de l’intuition ou de l’émotion (rapide), qui oriente d’abord
nos choix, et souvent bien malgré nous. Pourtant beaucoup de méthodes d’études se
limitent aujourd’hui à n’interroger que le système 2 du consommateur avec des
questionnaires faisant abstraction des effets de contexte, de durée et d’attention. C’est la
raison pour laquelle remettre le consommateur dans un scenario au plus près de la vraie vie,
et observer son comportement en contexte, préside à la fiabilité de nos modèles de
prédiction chez BVA. Les nouvelles technologies de recueil (micro-caméras, smartphone) et
l’afflux de données digitales (navigation, données transactionnelles et bientôt internet des
objets) sont autant d’opportunités pour capturer ce comportement dans nos design
d’études. Car si le marketing doit devenir un facilitateur de choix il doit commencer par
comprendre quelle pondération du système 1/ Système 2 est en jeu dans la décision d’achat
de sa catégorie de produit.
En effet, les leviers d’action qui sont efficaces pour notre système 1 : ceux qui agissent en
première impression, intuitivement, émotionnellement, s’opposent souvent aux logiques
persuasives argumentées (orientées système 2) qui dominent pourtant dans les
raisonnements marketing : ex le discours insight/bénéfice/preuve. De plus, en qualité
d’institut, connaitre finement les « biais humains» de nos chemins de décision lors des
moments de vérité d’un parcours d’achat, c’est éviter de s’attacher aux mauvaises causes
tirées du discours du consommateur post-rationalisé. Mais c’est surtout le moyen de
découvrir les véritables raisons non-verbalisables qui contribuent à la décision d’achat d’un
produit ou service : facteurs environnementaux, filtres mentaux inconscient… Et ce afin de
recommander les leviers d’action les plus efficaces car adaptés aux systèmes à l’œuvre dans
nos têtes de consommateurs une fois en contexte".
Un mot sur l’auteur de l’ouvrage :
Psychologue émérite et prix Nobel d’économie, fondateur de
l’économie comportementale, Daniel Kahneman était l’invité d’honneur
de la dernière édition du plus gros congrès mondial des Etudes
marketing aux Etats-Unis (Market Research Event).
Idée.zip 2 : "Mieux prédire l'irrationali
du consommateur"
Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 03/12/2012
Richard Bordenave donne son point de vue sur les idées fortes du best-
seller de Dan Ariely, "Predictably irrational" (sorti en français chez
Flammarion sous le titre "C'est vraiment moi qui décide ?").
"Predictably irrational" de Dan Ariely bat en brèche le mythe du consommateur porté par
l’économie néoclassique. Non, le consommateur n’est pas cet agent rationnel et calculateur qui
maximiserait son propre intérêt en évaluant toute l’information disponible. Dans la vraie vie, sous le
poids des contraintes, nous agissons plus comme Homer Simpson que comme un supercalculateur.
La preuve : nous sommes toujours prompts à craquer sur des articles chers et pas si indispensables,
et nous remettons à demain les choix sur l'épargne ou la retraite par exemple. Dans nos achats
quotidiens, nos émotions et nos raccourcis décisionnels nous éloignent dans la plupart des cas de
l’optimum mathématique, sans pour autant que nous ne sachions toujours exactement pourquoi ni
comment.
Grâce à de multiples expériences ludiques, et non moins scientifiques, Dan Ariely nous dévoile le
pourquoi et le comment de cette fameuse irrationalité : les circonstances de la décision comptent
autant que la décision elle-même. Et nos biais de jugement sont tellement systématiques qu'ils en
deviennent prédictibles : le biais est en fait la norme !
Par exemple :
- nous fuyons plus le risque que nous ne courons après le gain : ce qui nous pousse à accepter plus
facilement une opération chirurgicale à 95% de chance de succès plutôt qu'une autre avec 5% de
risque d'échec.
- nous inférons inconsciemment le prix sur la qualité : ce qui rend étonnement plus «efficace» un
médicament payé plus cher...
- nous survalorisons le plaisir de l'instant plutôt que celui de demain : ce qui nous pousse à manger
cette tablette de chocolat maintenant et à repousser le régime à plus tard.
- l’humeur que crée la situation modifie nos jugements : et nous sommes moins prudents dans
l'excitation d'un moment agréable (en matière de contraception ou de boisson par exemple).
- et plus étonnant nos évaluations sont par exemple largement influençables par le dernier chiffre
manipulé lors d'un exercice antérieur (biais d'ancrage), ou bien par nos souvenirs les plus frais (biais
de disponibilité) ...
Au-delà de ces mécanismes individuels (déjà bien explorés par Kahneman, voir idée zip n°1), Dan
Ariely va plus loin en montrant que des mécanismes sociaux, comme l’altruisme ou le mimétisme,
peuvent aussi se révéler de puissants moteurs de nos comportements. Ils influencent notre
consommation sans jamais la réduire à l'intérêt individuel de l’impossible homo economicus...Ainsi le
premier qui donne son choix au restaurant influence-t-il le choix de tous les autres!
Conséquence pour le marketing : s'intéresser d'abord aux circonstances de la
décision
Tout ce que nous dit le consommateur n'est pas à prendre pour argent comptant, car l'être humain
est un champion de la post-rationalisation, même de bonne foi. La connaissance du mode de
formation implicite de nos jugements est ainsi au cœur de notre savoir-faire historique :
chez BVA nous analysons conjointement observation des comportements et mesure des opinions.
Cette double lecture permet d’éviter les biais classiques (effets de groupes, ou les effets d'ordre par
exemple). Mais paradoxalement : ce savoir-faire est beaucoup plus précieux dans l'art et la manière
de reproduire en test ce qui fait la norme du jugement du consommateur dans la vraie vie : en
recréant le contexte ou la mission qui vont conditionner les écarts à la rationalité. Nos programmes
de recherche ont montré qu'un consommateur n'est souvent pas capable de donner une réponse
prédictive de son comportement futur à moins d'être immergé dans les circonstances de test
adéquates. Cela n'est ni du mensonge ni de la sur-déclaration, il lui manque souvent deux éléments
clefs pour former son jugement habituel : le contexte et le cadre mental. Pour révéler les leviers
marketing qui comptent dans la décision du shopper en rayon, BVA vient de lancer un programme
de recherche en magasin expérimental avec Dan Ariely et son équipe : les résultats seront partagés
avec l'ensemble de la communauté scientifique.
Bien qu’identique dans les deux cas, la taille du rond rouge semble différente en fonction du contexte
Vers une nouvelle approche des leviers de fidélisation ? Les idées d'Ariely prennent un écho
particulier en matière d'analyse de la relation client. Il nous alerte sur le fait qu'en matière de
comportements, les deux moteurs que sont les lois du marché et les normes sociales sont en fait
assez peu compatibles. Imaginez que quelqu’un vous demande de l’aide pour pousser sa voiture qui
ne démarre pas : vous accepterez peut-être par sympathie. Mais s’il vous propose de vous donner
deux euros pour le faire ? La relation devient transactionnelle et cela modifie complètement votre
perception. Peut-être allez-vous même refuser de l’aider pour si peu ! Ce constat est essentiel en
matière d’évaluation de la relation à la marque : comprendre l’articulation entre les programmes
relationnels (e-mailings, communautés, réseau sociaux) et transactionnels (site de vente, offres
promo), donne les clefs de construction du lien à la marque. L’analyse des points de contacts, virtuels
ou réels, permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans la relation : fidélisation ou
fragilisation ?
Un mot sur l’auteur : Enseignant chercheur en psychologie cognitive au MIT
de 1998 à 2008, il est aujourd’hui professeur d’économie comportementale à
la Duke University. Le succès de ses livres et sa personnalité hors-norme ont
donné une visibilité mondiale à ses travaux (The New York Times, Wall Street
Journal, Washington Post, Scientific American, Science, CNN…) et accéléré
l’essor de sa discipline.
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