Quand la recherche fait avancer le marketing

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Veille Tendance
Par Richard
Bordenave,
de BVA
Directeur innovation
et marketing du groupe
Nouvelle
rubrique
Quand la recherche
fait avancer le marketing
Comment l’économie comportementale peut-elle transformer
le marketing ? En renversant le constat de l’économie
néo-classique : c’est le comportement, avec sa part d’influences
inconscientes, qui préside à la construction des attitudes.
Le monde de la recherche
académique est traditionnellement source d’inspiration pour le marketing. En
particulier les sciences
humaines (psychologie,
sociologie, anthropologie…), qui, depuis les
années cinquante,
alimentent les cadres
conceptuels de notre
compréhension du
consommateur.
Aujourd’hui, des
disciplines émergentes,
comme l’économie
comportementale ou les
neurosciences, viennent
renouveler nos modèles.
Elles offrent de nombreuses opportunités pour
repenser le marketing.
Pour les faire découvrir, BVA
et Marketing Magazine ont
créé cette rubrique qui
présente une sélection
d’ouvrages-clés regroupés
autour d’une thématique
différente chaque mois.
16Marketing magazine / n°162 / Novembre 2012
P
armi les courants
de recherche
susceptibles de
transformer la
pensée marketing, il en
est un, né aux ÉtatsUnis, qui n’a pas fini de
faire parler de lui en
cette période de crise
économique : il répond au
nom anglo-saxon de
“behavioral economics”.
L’économie dite “comportementale” se définit par
opposition à l’économie
néo-classique et s’attaque
avant tout au mythe, porté
par les théories traditionnelles, de
l’“homo economicus”, cet agent
rationnel, aux motivations individualistes, qui optimiserait son choix
en maximisant son utilité.
Ces modèles ne résistent pas à l’observation de la réalité. Nous savons
tous, rationnellement, qu’il faut
épargner pour préparer sa retraite,
faire du sport et arrêter de fumer
pour garder la forme… Et pourtant,
nos comportements ne sont souvent
pas optimaux !
Cette discipline trouve ses origines
dans les années quarante, avec les
travaux d’Herbert Simon (Carnegie
Mellon University), qui a développé
le concept de “rationalité limitée”.
Notre jugement, expliquait-il, est
sous contrainte des ressources attentionnelles finies dont nous disposons, mais aussi sous influence invisible de l’environnement. C’est
toutefois Daniel Kahneman et feu
son collègue Amos Tversky qui sont,
aujourd’hui, considérés comme les
pères de la “behavioral economics”,
grâce à un article fondateur publié
en 1979 : “la théorie des perspectives”. Ils ont en effet été les
premiers à remettre en cause deux
idées communément admises. La
première : le consommateur est un
agent rationnel et son jugement est
généralement optimal. La seconde :
seules les émotions mal maîtrisées
peuvent faire dévier les comportements de cette logique rationnelle.
En cherchant l’origine des approximations et raccourcis conduisant à
nos jugements erronés, Kahneman
(auteur de l’ouvrage Thinking Fast
and Slow) et Tversky ont montré
qu’ils venaient en fait de la manière
dont notre cerveau est câblé pour
traiter rapidement l’information, et
non de “pollutions émotionnelles”.
Simon et Kahneman ont d’ailleurs
chacun reçu le prix Nobel d’économie pour la fécondité transdisciplinaire de leurs travaux.
Retrouver
Idée.zip sur
e-marketing.fr
avec un
résumé
de chacun de
ces ouvrages
nalité” est prédictible. Ariely
démontre en particulier qu’il
existe des effets de contexte prévisibles ou des normes sociales implicites qui régissent nos décisions.
Mais nous en avons bien rarement
conscience, tant nous sommes
ignorants de nos propres limites.
Et c’est là que se trouve le piège : si
vous demandez à un consommateur
les raisons de sa décision, il sera
toujours prompt à vous fournir une
réponse, alors qu’il en ignore les
véritables motifs.
Pour vérifier si les hypothèses
“raisonnables” qui fondent nos
équations le sont véritablement,
l’économie comportementale
prône la méthode expérimentale
dans des situations de la vie réelle :
en observant les décisions prises en
fonction du contexte. Par exemple,
augmenter le choix maximise-t-il
vraiment la satisfaction ?
Les réalités que les chercheurs
découvrent vont souvent à rebours
de l’opinion commune : ainsi, un
grand choix a plutôt tendance à
diminuer la satisfaction et même
L’irrationalité du consommateur
est prédictible.
Aider le consommateur
dans son choix
Ainsi, l’économie comportementale nous montre que la manière
dont les choix nous sont présentés
compte autant que les alternatives
proposées et que certains biais sont
en fait la norme de nos comportements. Ce qui fait dire à Dan
Ariely, dans son best-seller Predictably irrational, que notre “irratio-
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24 variétés proposées
6 variétés proposées
3 % d’achat
30 % d’achat
Source : Iyengar et Lepper, 2000
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Dan Ariely
l’achat (cf. infographie ci-dessous).
La difficulté à arbitrer paralyse,
ou laisse un doute sur une opportunité ratée.
Accélérer l’innovation utile
L’économie comportementale interroge sur l’utilisation de la seule
parole du consommateur pour
prévoir son comportement : nous
sommes en effet bien peu aptes à
prédire nos propres actions. Il est
souhaitable que la culture marketing évolue vers une meilleure prise
en compte des comportements
observés. La connaissance des biais
liés au contexte de recueil en
matière d’étude devient essentielle.
C’est en recherchant systématiquement la déformation que subissent
les messages reçus qu’il devient
possible de corriger la manière de
les présenter pour les rendre plus
efficaces en termes de marketing.
Historiquement, les modèles marketing académiques expliquent le plus
souvent les comportements du
consommateur par les attitudes
déclarées. L’économie comportementale renverse le constat : c’est le
comportement qui devient un antécédent de la construction des attitudes. Le consommateur décide
intuitivement en agissant dans un
environnement donné et construit
ensuite son discours en mobilisant
alors sa rationalité.
L’économie comportementale
montre qu’il existe de multiples
leviers indirects pour influencer un
comportement. Ils ont trait, entre
autres, à la manière dont le stimulus
marketing est présenté au sein des
alternatives, à la première impression générée en contexte ou à l’influence du regard des autres. Des
facteurs que d’aucuns considéraient
comme des biais d’étude à neutraliser voient leur statut renversé par
l’économie comportementale : ils
sont si puissants à guider nos
comportements qu’il est préférable
d’en faire des objets d’étude pour
les transformer en leviers marketing.
L’économiste Richard Thaler a
baptisé ces leviers indirects des
“nudges” (ou “coups de pouce”).
Les “nudges” constituent une
méthode douce parfois plus efficace
que les logiques de persuasion publicitaires classiques. Ils sont particulièrement recommandés quand les
discours normatifs ont montré leur
impuissance à changer les comportements. La connaissance comportementale accélérera aussi l’innovation utile en révélant des besoins de
l’utilisateur “inarticulables” a priori.
Et la maîtrise de nombreux leviers
sociaux tels que le mimétisme, le
jeu, la starification, le contrôle
social… seront autant d’opportunités pour concevoir des programmes
marketing efficaces. À condition
d’en faire un usage responsable : car
le caractère moins visible de ces
ressorts peut parfois soulever des
questions éthiques. Il est en tout cas
certain qu’une meilleure compréhension du consommateur est et
restera le moteur essentiel du
business.
Novembre 2012 / n°162 / Marketing magazine
17
Idée.zip n°1 : « L'acte d'achat : un
processus à deux vitesses ? »
Par Richard Bordenave, directeur marketing et innovation du groupe BVA, 12/11/2012
Le directeur marketing et innovation du groupe BVA, Richard
Bordenave, analyse une idée force du best-seller de Daniel Kahneman
("Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée") appliquée au
marketing.
Comment l'économie comportementale peut-elle transformer le marketing ? En
complément de la nouvelle rubrique idée.zip parue dans le numéro 162 (pages 16/17) de
"Marketing Magazine", Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe
BVA, nous livre ici sa "critique" de l'ouvrage Daniel Kahneman, "Système 1, Système 2, les 2
vitesses de la pensée" qui vient de paraître en français chez Flammarion.
"Et si l’évolution nous avait dotés de deux systèmes pour prendre nos décisions ? C’est ce
que nous propose Daniel Kahnemandans son livre "thinking fast and slow" (les deux vitesses
de la pensée) :
 Le système 1, en permanence connecté à nos sens, opère automatiquement, évalue
intuitivement l’environnement, avec des règles d’approximation et des associations
qui lui permettent de prendre des décisions très rapides, sur lesquelles nous n’avons
que peu de prise consciente.
 Le système 2, mobilisé plus ponctuellement, demande de l’effort, s’occupe des
opérations complexes, calcule, formalise le jugement dans un dialogue avec le
système 1 (qui a lui plutôt tendance à sauter aux conclusions). Après délibération, il
sait alors en verbaliser le résultat.
Kahneman montre que deux facteurs conditionnent la voie d’aiguillage du système 1 vers le
2, et l’influence de chacun dans nos décisions : le contexte (environnement physique et
attentionnel) et surtout le temps mobilisé pour traiter l’information.
Conséquences pour le marketing ?
Nous nous identifions tous bien volontiers au système 2, celui de notre jugement rationnel
(lent). Or c’est le système 1, celui de l’intuition ou de l’émotion (rapide), qui oriente d’abord
nos choix, et souvent bien malgré nous. Pourtant beaucoup de méthodes d’études se
limitent aujourd’hui à n’interroger que le système 2 du consommateur avec des
questionnaires faisant abstraction des effets de contexte, de durée et d’attention. C’est la
raison pour laquelle remettre le consommateur dans un scenario au plus près de la vraie vie,
et observer son comportement en contexte, préside à la fiabilité de nos modèles de
prédiction chez BVA. Les nouvelles technologies de recueil (micro-caméras, smartphone) et
l’afflux de données digitales (navigation, données transactionnelles et bientôt internet des
objets) sont autant d’opportunités pour capturer ce comportement dans nos design
d’études. Car si le marketing doit devenir un facilitateur de choix il doit commencer par
comprendre quelle pondération du système 1/ Système 2 est en jeu dans la décision d’achat
de sa catégorie de produit.
En effet, les leviers d’action qui sont efficaces pour notre système 1 : ceux qui agissent en
première impression, intuitivement, émotionnellement, s’opposent souvent aux logiques
persuasives argumentées (orientées système 2) qui dominent pourtant dans les
raisonnements marketing : ex le discours insight/bénéfice/preuve. De plus, en qualité
d’institut, connaitre finement les « biais humains» de nos chemins de décision lors des
moments de vérité d’un parcours d’achat, c’est éviter de s’attacher aux mauvaises causes
tirées du discours du consommateur post-rationalisé. Mais c’est surtout le moyen de
découvrir les véritables raisons non-verbalisables qui contribuent à la décision d’achat d’un
produit ou service : facteurs environnementaux, filtres mentaux inconscient… Et ce afin de
recommander les leviers d’action les plus efficaces car adaptés aux systèmes à l’œuvre dans
nos têtes de consommateurs une fois en contexte".
Un mot sur l’auteur de l’ouvrage :
Psychologue émérite et prix Nobel d’économie, fondateur de
l’économie comportementale, Daniel Kahneman était l’invité d’honneur
de la dernière édition du plus gros congrès mondial des Etudes
marketing aux Etats-Unis (Market Research Event).
Idée.zip n°2 : "Mieux prédire l'irrationalité
du consommateur"
Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 03/12/2012
Richard Bordenave donne son point de vue sur les idées fortes du bestseller de Dan Ariely, "Predictably irrational" (sorti en français chez
Flammarion sous le titre "C'est vraiment moi qui décide ?").
"Predictably irrational" de Dan Ariely bat en brèche le mythe du consommateur porté par
l’économie néoclassique. Non, le consommateur n’est pas cet agent rationnel et calculateur qui
maximiserait son propre intérêt en évaluant toute l’information disponible. Dans la vraie vie, sous le
poids des contraintes, nous agissons plus comme Homer Simpson que comme un supercalculateur.
La preuve : nous sommes toujours prompts à craquer sur des articles chers et pas si indispensables,
et nous remettons à demain les choix sur l'épargne ou la retraite par exemple. Dans nos achats
quotidiens, nos émotions et nos raccourcis décisionnels nous éloignent dans la plupart des cas de
l’optimum mathématique, sans pour autant que nous ne sachions toujours exactement pourquoi ni
comment.
Grâce à de multiples expériences ludiques, et non moins scientifiques, Dan Ariely nous dévoile le
pourquoi et le comment de cette fameuse irrationalité : les circonstances de la décision comptent
autant que la décision elle-même. Et nos biais de jugement sont tellement systématiques qu'ils en
deviennent prédictibles : le biais est en fait la norme !
Par exemple :
- nous fuyons plus le risque que nous ne courons après le gain : ce qui nous pousse à accepter plus
facilement une opération chirurgicale à 95% de chance de succès plutôt qu'une autre avec 5% de
risque d'échec.
- nous inférons inconsciemment le prix sur la qualité : ce qui rend étonnement plus «efficace» un
médicament payé plus cher...
- nous survalorisons le plaisir de l'instant plutôt que celui de demain : ce qui nous pousse à manger
cette tablette de chocolat maintenant et à repousser le régime à plus tard.
- l’humeur que crée la situation modifie nos jugements : et nous sommes moins prudents dans
l'excitation d'un moment agréable (en matière de contraception ou de boisson par exemple).
- et plus étonnant nos évaluations sont par exemple largement influençables par le dernier chiffre
manipulé lors d'un exercice antérieur (biais d'ancrage), ou bien par nos souvenirs les plus frais (biais
de disponibilité) ...
Au-delà de ces mécanismes individuels (déjà bien explorés par Kahneman, voir idée zip n°1), Dan
Ariely va plus loin en montrant que des mécanismes sociaux, comme l’altruisme ou le mimétisme,
peuvent aussi se révéler de puissants moteurs de nos comportements. Ils influencent notre
consommation sans jamais la réduire à l'intérêt individuel de l’impossible homo economicus...Ainsi le
premier qui donne son choix au restaurant influence-t-il le choix de tous les autres!
Conséquence pour le marketing : s'intéresser d'abord aux circonstances de la
décision
Tout ce que nous dit le consommateur n'est pas à prendre pour argent comptant, car l'être humain
est un champion de la post-rationalisation, même de bonne foi. La connaissance du mode de
formation implicite de nos jugements est ainsi au cœur de notre savoir-faire historique :
chez BVA nous analysons conjointement observation des comportements et mesure des opinions.
Cette double lecture permet d’éviter les biais classiques (effets de groupes, ou les effets d'ordre par
exemple). Mais paradoxalement : ce savoir-faire est beaucoup plus précieux dans l'art et la manière
de reproduire en test ce qui fait la norme du jugement du consommateur dans la vraie vie : en
recréant le contexte ou la mission qui vont conditionner les écarts à la rationalité. Nos programmes
de recherche ont montré qu'un consommateur n'est souvent pas capable de donner une réponse
prédictive de son comportement futur à moins d'être immergé dans les circonstances de test
adéquates. Cela n'est ni du mensonge ni de la sur-déclaration, il lui manque souvent deux éléments
clefs pour former son jugement habituel : le contexte et le cadre mental. Pour révéler les leviers
marketing qui comptent dans la décision du shopper en rayon, BVA vient de lancer un programme
de recherche en magasin expérimental avec Dan Ariely et son équipe : les résultats seront partagés
avec l'ensemble de la communauté scientifique.
Bien qu’identique dans les deux cas, la taille du rond rouge semble différente en fonction du contexte
Vers une nouvelle approche des leviers de fidélisation ? Les idées d'Ariely prennent un écho
particulier en matière d'analyse de la relation client. Il nous alerte sur le fait qu'en matière de
comportements, les deux moteurs que sont les lois du marché et les normes sociales sont en fait
assez peu compatibles. Imaginez que quelqu’un vous demande de l’aide pour pousser sa voiture qui
ne démarre pas : vous accepterez peut-être par sympathie. Mais s’il vous propose de vous donner
deux euros pour le faire ? La relation devient transactionnelle et cela modifie complètement votre
perception. Peut-être allez-vous même refuser de l’aider pour si peu ! Ce constat est essentiel en
matière d’évaluation de la relation à la marque : comprendre l’articulation entre les programmes
relationnels (e-mailings, communautés, réseau sociaux) et transactionnels (site de vente, offres
promo), donne les clefs de construction du lien à la marque. L’analyse des points de contacts, virtuels
ou réels, permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans la relation : fidélisation ou
fragilisation ?
Un mot sur l’auteur : Enseignant chercheur en psychologie cognitive au MIT
de 1998 à 2008, il est aujourd’hui professeur d’économie comportementale à
la Duke University. Le succès de ses livres et sa personnalité hors-norme ont
donné une visibilité mondiale à ses travaux (The New York Times, Wall Street
Journal, Washington Post, Scientific American, Science, CNN…) et accéléré
l’essor de sa discipline.
Idée.zip n°3 "Le paradoxe du choix : et si la
satisfaction client était ailleurs ?"
Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 11/12/2012
Offrir trop de choix au consommateur n'est pas la clef du bonheur ! C'est
une des idées fortes de l'ouvrage de Barry Schwartz, "The Paradox of
Choice - Why More is Less" (en français : "Le Paradoxe du choix :
pourquoi la culture de l'abondance nous éloigne du bonheur").
Dans son ouvrage "The paradox of choice – why more is less" (en Français : "le paradoxe du
choix : pourquoi la culture de l’abondance nous éloigne du bonheur"), Barry Schwartz a
recensé et vulgarisé, dès 2004, les apports de l’économie comportementale. Il s’appuie sur
les expérimentations menées par les chercheurs de cette discipline (dont Kahneman,
cf Idée.zip n°1 et article print Marketing Magazine N° 162) pour montrer qu’offrir trop de
choix au consommateur n’est pas la clef de son bonheur.
Si vous souhaitez acheter un jean par exemple et que la vendeuse vous demande : plutôt
slim fit ou baggy, uni, couleur, délavé, à zip ou à bouton, enduit ou usé ? … Il arrive un
moment où l’abondance d’option ne séduit plus : elle tyrannise. Je veux juste un jean ! Trop
de choix nous stresse, voire nous paralyse devant l’effort à fournir pour décider : qu’il
s’agisse de placements, d’éducation, de santé ou même de rencontres amoureuses. Poussé à
l’extrême, Schwartz avance que c’est un facteur de dépression dans notre société de
consommation ou la pression sociale vous rajoute la frustration de n’avoir pas le "dernier
modèle"…
Dans ses travaux, il montre que nous n’avons pas tous la même propension au bonheur, en
particulier suivant les types de choix à faire :
- Les maximizers ne veulent que le meilleur. De fait ils vont plus souffrir à balayer l’ensemble
des options, et s’exposer à des pensées qui vont altérer leur satisfaction : les regrets
potentiels et opportunités ratées. Par exemple : en quête d’un restaurant pour diner ils
compareront toutes les cartes, prix et ambiances, au point parfois de rater l’heure du
service. Mais heureusement nous ne "maximisons" pas tous les types de choix !
- Les satisficers se contentent d’une solution convenable et accessible. Ils réduisent leurs
champs d’investigation au départ et savent ce qu’ils cherchent. Les satisficers ont ainsi plus
d’aptitude au bonheur car ils profitent mieux du temps qui leur reste. Ainsi conseille
Schwartz, s’en remettre à quelques "règles de vie" simples, même si elles semblent limiter
notre liberté, procure paradoxalement plus de satisfaction.
Une mine d’idées pour la réflexion marketing : la psychologie du bonheur
S’il dénonce clairement la sur-segmentation marketing, l’auteur, recense aussi des
mécanismes psychologiques qui trouvent des applications utiles en matière d’études et de
satisfaction client.
Le phènomène du "peak-end" par exemple, qui montre que notre satisfaction perçue à
l’issue d’une expérience client, n’est pas une moyenne des différents évènements qui la
compose. Ce sont les moments les plus forts (positifs ou non) et les plus récents qui
contribuent le plus à notre jugement global. Ne vous est-il jamais arrivé de dire qu’un film
est mauvais simplement parce que sa fin est ratée, ou qu’un concert est ruiné uniquement
du fait d’un couac mal placé ? D’autres expériences montrent que la durée de l’expérience
n’y change rien : seuls certains évènements sont mémorisés par notre cerveau comme
"représentatifs" de l’expérience globale. Ainsi, le souvenir des vacances est meilleur quand
ces dernières ont été marquées par une expérience mémorable et une fin agréable, et ce
même si le séjour fut très court.
Lors de nos études de parcours client ou de satisfaction nous utilisons ce cadre d’analyse
pour identifier in-situ les "moments de vérité" qui auront l’influence la plus forte sur
l’évaluation finale. Le couplage de mesures a posteriori (mémorisées, déclarées postexpérience) et à chaud (observées ou auto-administrées in situ : type smart-phone ou
tablettes) permet d’identifier des effets de leviers d’amélioration de l’existant. Mais il nous
permet surtout de recommander la création de moments qui n’existent pas encore. Il est en
effet possible de modifier la perception de l’expérience globale en créant un évènement
positif à un moment critique de votre relation client (type renouvellement d’abonnement
par exemple). Si cette nouvelle interaction peut transformer l’ensemble de l’expérience, par
définition elle n’est pas mesurable a priori, car il convient le plus souvent de l’inventer.
Les effets d’adaptation dans "la course au plaisir" : selon cette théorie (Hedonic
Treadmill), notre niveau de satisfaction prérequis, ou point de référence individuel, finit par
augmenter à mesure que nous courrons après de nouvelles expériences. Nous ne sommes
donc pas tous égaux en matière d’exigence : car nos expériences passées conditionnent
notre évaluation. Notre profil "maximiser" ou "satisficer", ainsi que nos routines d’achat
l’influencent aussi. Ce ne sont donc pas les notes de satisfaction que nous portons dans
l’absolu qui comptent, mais leur appréciation relative, et leurs évolutions. Il convient donc
de manipuler les "normes" avec précaution, car les variables de contexte et de cible sont
clefs pour apprécier un score et ses déterminants. En effet, une eau à 25° peut vous paraître
froide si la température extérieure est tropicale ; avant que vous ne finissiez par vous y
habituer. D’où l’importance d’inclure autant que possible un volet comportemental à ces
études : il permettra de déterminer les leviers cachés d’amélioration de la satisfaction client.
Ou bien il servira à définir les bons assortiments sur des critères observés : car la gamme
idéale est celle qui développe les achats réels des shoppers en rayon, et pas nécessairement
le choix revendiqué a priori par le consommateur.
A propos de l’auteur :
Psychologue et Professeur en Sociologie et Action sociale, Barry
Schwartz est un des premiers auteurs à avoir vulgarisé les
apports des théories à la frontière entre l’économie et la
psychologie : aujourd’hui baptisée économie comportementale.
Best-seller en business-book aux US en 2004 (Top 10 Business
Week), il est plutôt classé en thématique "société" ou
"développement personnel" en France.
Idée.zip n°4 : "Nudge : un marketing de
l'incitation douce ?"
Par Richard Bordenave, directeur innovation et marketing du groupe BVA, 22/01/2013
Nudge (littéralement "coup de pouce") est le titre du livre de Thaler et
Sustein, les deux économistes à l'origine du concept. Ce livre propose
des solutions pour mettre l'économie comportementale au service des
politiques publiques.
Après le marketing de la persuasion et son contraire, celui de la permission, une voie médiane émerge
dans le monde anglo-saxon : le marketing de l'incitation douce ! Nudge (littéralement "coup de
pouce") est le titre du livre de Thaler et Sustein, les deux économistes à l'origine du concept. Ce livre
propose des solutions pour mettre l'économie comportementale au service des politiques publiques.
Les auteurs partent du constat que nos comportements ne sont pas régis par la rationalité théorique
qui sous-tend l'économie classique. Notre nature humaine nous conduit souvent à emprunter des
raccourcis simplificateurs. De plus, les circonstances du choix et notre environnement social ont une
influence redoutable (voir Idée.Zip n°1 et 2). Seul problème : nous n'en sommes la plupart du temps
pas conscients, même pour des décisions essentielles (mariage, éducation, retraite, santé...).
La complexité de certains choix nous conduit bien souvent à privilégier la facilité insouciante, ou bien
à nous figer dans la torpeur et la non-décision ...
Aider le consommateur-citoyen à faire les bons choix
La thèse des auteurs est que pour aider des individus à faire les bons choix
(ceux qui préservent leurs intérêts et ceux de la collectivité) il faut
comprendre leurs processus de décision. Pas ceux qu'ils expliquent en les
rationalisant, mais les arbitrages réels, qui s'observent en contexte. C'est là
que se trouvent les clefs pour remettre chacun intuitivement sur la bonne
voie.
Par exemple, en réponse à un questionnaire plus de gens acceptent de
figurer sur la liste des donneurs d'organe lorsque l'option cochée par
défaut est d'être donneur, bien qu'ils aient la possibilité de refuser (optout). Cette présentation réduit les non réponses des gens qui hésitent au
moment de remplir, remettent le choix à plus tard et finissent par l'oublier. Les auteurs qualifient
leur approche de paternalisme libertaire : au service du bien commun, tout en maintenant la liberté
de choix de l'individu.
Changer les comportements en agissant indirectement sur le contexte
Les potentialités des nudges ne sont pas passées inaperçues chez les politiques : les gouvernements
d'Obama et Cameron ont intégré des équipes spécialisées "Behavioural Insights Teams" pour
élaborer leurs politiques publiques. Les nudges peuvent être mis en oeuvre selon deux tactiques :
- Les tactiques implicites, fondées sur les inclinaisons naturelles de l'individu. Elles construisent leur
efficacité dans le design circonstancié de l'offre. Par exemple, associer l'arrivée du premier salaire
avec une ouverture automatique de compte-épargne permet d'augmenter le nombre d'épargnants
plus efficacement qu'une campagne de sensibilisation.
- Les tactiques explicites (affichées) s'appuient sur l'acceptation par l'individu d'une contrainte pour
prévenir ses faiblesses, tel Ulysse qui se fit attacher au mat du navire pour résister aux chants des
sirènes. Elles s'appuient aussi sur la création de facteurs de motivation externe : le système de
bonus-malus encourage l'achat de véhicules verts. Les leviers sociaux sont eux utilisés pour propager
les bons comportements. Par exemple donner à un foyer un retour d'information sur sa
consommation d'eau et lui fournir un élément de comparaison avec celle de maisons voisines
similaires lui permet de mesurer l'effort à faire pour réduire sa consommation.... Et par mimétisme
de s'engager dans cette démarche en ayant les moyens de la piloter.
De nouvelles ouvertures pour les études ?
Cette approche par nudges considère la décision comme une interaction entre un contexte et un
individu. Ce qui était considéré hier comme un biais d'étude à contrôler (le contexte ou le regard des
autres) devient aujourd'hui un objet d'étude à potentialiser. Sustein et Thaler appellent cela
déconstruire l'architecture du choix.
Reconstruire un environnement favorable permet de modifier l'inclinaison initiale de l'individu sans
faire appel à sa rationalité. Quand un discours normatif peine à faire changer les comportements, les
nudges peuvent faire la différence : tout est souvent question de mobilisation de l'attention au bon
moment. Par exemple pour inciter à réduire la vitesse sur une route dangereuse, si le panneau ne
suffit pas, les bandes rugueuses au sol seront un nudge efficace.
Les marketeurs de demain : architectes du choix responsable ?
Le marketing peut se prévaloir d'être déjà grand utilisateur de nudges : le design du packaging ou de
l'e-mailing commercial par exemple. Ces nudges sont plus au bénéfice des marques que des
consommateurs.
Pourtant, les études vidéo-ethnographiques que BVA mène in situ permettent de trouver de sources
de création de valeur partagée en observant les usages au quotidien. Ainsi, identifier des nudges
orientés dans l'intérêt du consommateur et de sa communauté, c'est inspirer l'innovation utile.
- L'innovation fonctionnelle remet l'expérience utilisateur et l'ergonomie au cœur de la proposition
des marques. Nos études de parcours clients par exemple conduisent souvent à un re-design de
l'offre pour rendre l'expérience plus simple, plus ludique ou simplement plus agréable. Sans parler
des opportunités de nouveaux services identifiées autour de l'usage du produit (coaching
alimentaire, aide à l'observance médicale, modes d'emploi interactifs, soutien au sevrage...)
- L'innovation sociétale crée de la valeur au bénéfice des communautés et de leurs parties
prenantes. Elle peut provenir de la mise en réseau des utilisateurs, de la mutualisation des contenus,
de la création d'occasions d'échanges et de rencontre. Mais aussi de l'animation d'outils aidant à la
diffusion de bonnes pratiques et valorisant les comportements citoyens (maitrise des dépenses de
santé, éco-gestes...)
Pour identifier ces sources d'innovation, nous avons redéfini les focales de l'orientation client pour
passer du point de vue client/consommateur à celui d'utilisateur et de circonstance d'usage. Et finir
en ouvrant le champ à la communauté. Car c'est en comprenant la logique d'ensemble de
l'écosystème des marques que l'on peut imaginer comment y mettre en place des cercles vertueux.
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