Le mariage du dauphin Louis-Auguste avec
l’archiduchesse Marie-Antoinette avait été la
caution dynastique du «Renversement des
Alliances» soutenu par le cardinal de Bernis
et la marquise de Pompadour, puis impo
par le duc de Choiseul, tout puissant ministre
de Louis XV. Par ce rapprochement avec
l’Autriche, la France initiait un bouleverse-
ment de l’échiquier européen, réprouvé par
une opinion publique largement défavorable,
y compris dans la famille royale. Marie-
Antoinette y gagna le surnom d’« Autri -
chienne » chargé au fil des ans d’une conno-
tation de plus en plus hostile.
De tous les départements de la Maison du roi
celui de l’«Argenterie – Menus-Plaisirset
affaires de la Chambre» était le plus impliqué
dans la propagande royale, surtout par les
fêtes et cérémonies qui en rythmaient les
événements publics ou privés, heureux ou
malheureux. À côté de l’organisation de la vie
culturelle de la cour, les Menus avaient aussi
un rôle plus discret dans la vie quotidienne du
roi et de la famille royale, avec notamment
des créations mobilières qui introduisaient
dans leurs appartements des chefs-d’œuvre
à l’esthétique régalienne. Parmi ceux-ci les
pendules allégoriques en étaient une des
plus tangibles manifestations.
LE MÉMOIRE D’HORLOGERIE
FOURNI POUR
MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
Le mariage du futur Louis XVI en avait fourni
une nouvelle illustration avec une série de
commandes et d’achats d’horlogerie incluant
six pièces. Deux pendules destinées à la
chambre et au grand cabinet du dauphin,
étaient des créations originales pour les-
quelles on demanda 24760 livres et 19060
livres (respectivement réglées à 22860 et
15660). Une pendule à L’Étude destinée au
cabinet particulier (1200 livres réglées
1000) et un régulateur d’ébénisterie pour
l’antichambre des Nobles (720 livres réglées
600) avaient été trouvés tout faits dans le
commerce parisien. Une belle montre à répé-
tition ornée de diamants aux chiffres des
époux avec sa riche chaîne entrait dans une
catégorie intermédiaire (15170 livres
réglées 10400) et peut-être aussi une mon-
tre de chasse «extraordinairement plate»
(1230 livres réglées 1030). Au total une
facture de 66064 livres, y compris les étuis,
emballages et port à Versailles fut présentée
au duc de La Vauguyon, gouverneur du dau-
phin. Papillon de La Ferté, intendant
des Menus-Plaisirs et plus au fait des réali-
tés du marché, imposa un rabais jusqu’à
47 774 livres pour ce «Mémoire de l’horlo-
gerie fournie pour Monseigneur le dauphin à
l’occasion de son mariage, par Pinon Valet de
Chambre horloger du Roy1». Seules les deux
pendules qui avaient fait l’objet de créa-
tions originales, l’une sur le thème de
l’Alliance de la France et
de l’Empire, l’autre sur
celui de la Paix et de
l’Abondance firent
l’objet d’un résumé
des étapes de leur
élaboration et fabri-
cation.
62 FÉVRIER 2016
Les deux pendules livrées pour le mariage du futur roi Louis XVI
par le département de «l’Argenterie – Menus-Plaisirs et affaires de la Chambre»
de la Maison du roi illustrent la carrière de l’horloger Charles-Athanase Pinon à son apogée
et l’art du sculpteur et ornemaniste néoclassique Jean-Louis Prieur.
Par Christian Baulez,
conservateur en chef honoraire au château de Versailles
LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
LES PENDULES
DU MARIAGE
DU FUTUR LOUIS XVI
LES VICISSITUDES DE
L’ALLIANCE DE LA FRANCE
ET DE L’EMPIRE
Pinon dans son mémoire décrit ainsi la pre-
mière pendule: « Une grande pendule placée
dans la chambre du Prince dont le sujet est
l’alliance de la France et de l’Empire, couron-
née par l’hymen et l’amour représentés par
deux femmes de deux pieds et demi de
nature se donnant la main sur le tambour de
la pendule. D’un côté la figure représentant la
France est revêtue d’un manteau semé de
fleurs de lys, le sceptre à la main et la cou-
ronne à côté d’elle sur un coussin; de l’autre
côté celle qui représente l’Empire est revêtue
du manteau impérial tenant à la main la boule
du monde surmontée d’une croix, symbole de
l’Empire chrétien; à côté d’elle est un aigle de
neuf pouces de nature; au dessus du tam-
bour sont placés l’hymen et l’amour avec
tous leurs attributs qui couronnent cette
alliance avec une couronne de fleurs – Les
figures sont assises sur un soc d’envi-
ron quatre pieds de long, orné de guir-
landes de fleurs sortant des
rosettes, le milieu est une
couronne de laurier d’où
sortent des branches de
palmes; le soc est posé
sur huit boutons tra-
vaillés; avoir fait
différents dessins
pour choisir (60 livres) – Lorsque le dessin a
été arrêté, avoir fait des modèles en terre
d’après nature, des mannequins aussi en
terre d’après nature afin de pouvoir draper les
figures de différentes manières, des mains
moulées sur nature, frais de pose de modèle,
fait les moules, les cires, reparé les cires, tiré
un plâtre dans les creux qui a été reparé avec
soin pour servir de guide dans la coupe des
cires et dans la monture du cuivre, la somme
de 8500 livres (réglé à 6000) – Pour la
matière du cuivre et frais de fonte, ensuite
l’avoir fait reparer, ciseler, monter et finir avec
soin, 9000 livres (réglé à 6000) – Pour la
dorure de la boite entière en or moulu doré et
surdoré, 6000 livres – Pour le mouvement à
secondes, échappement à cheville, cristal,
cadran, éguilles, fond de la boite gravé avec
soin et autres frais dépendant du mouve-
ment, 1200 livres (réglé à 1000).
Un mémoire d’entretien du même Pinon pour
l’année 1772 ne laisse pas d’inquiéter sur la
psychologie du dauphin à l’égard d’une pen-
dule si symbolique: «pour avoir réparé la
grande pendule qui est sur la cheminée de la
chambre à coucher du prince dont il avait
63
FÉVRIER 2016
L’Alliance de la France et
de l’Empire
, pendule
allégorique. Buenos Aires,
musée national des Arts
décoratifs. © Buenos
Aires, musée national
des Arts décoratifs
1 Arch. nat., O1 3029B, «Mémoire de l’horlogerie
fournie pour Monseigneur le Dauphin». D.P.J. Papillon
de La Ferté, Journal des Menus-Plaisirs du roi, 1756-
1780, 2002, p. 199. Il cite le chiffre de 47400 livres.
64 FÉVRIER 2016
LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
démonté la boite, arraché les fleurs de lys
qui ornaient la draperie de la figure représen-
tant la France et les aiglons qui caractérisent
celle qui représente l’empire ainsi que le
globe qui était détaché et dédoré; la croix qui
est dessus était cassée... 263 livres2».
Devenu roi, Louis XVI utilisa cette pendule
dans ses nouveaux appartements et les
inventaires successifs la signalent en 1784
dans le Cabinet du Conseil3jusqu’en 1785,
puis à partir de 1787 dans l’antichambre de
l’Œil de Boeuf4. Son séjour dans l’Œil de
Boeuf ne dut pas avoir été toujours très pai-
sible car Robert Robin, horloger ordinaire du
roi et successeur de Pinon, dut à nouveau
s’en occuper pendant le quartier d’octobre
1790 et la réparer pour la faire servir aux
Tuileries, adressant à cette occasion une fac-
ture de 288 livres5. C’est au même Robin
qu’elle fut confiée en 1793 après la chute de
la monarchie comme le prouve un «Etat de
l’horlogerie particulière du cy devant roi»:
«N° 4 – Une pendule d’un fort volume repré-
sentant l’alliance de la France avec l’Empire,
montée sur un socle de cuivre... Cette pen-
dule est destinée pour chez les ministres
mais il y aurait des changements à faire.
Sans nom (d’horloger)6». Son histoire se fait
alors plus obscure et son existence ne fut
plus rappelée que par des publications éru-
dites aux XIXe7et XXesiècles8. Pas assez
cependant pour permettre en 1937 le
rapprochement avec la pendule de
la collection Victor de Rothschild
dispersée à Londres9. On peut la
voir désormais au
musée
national des Arts décoratifs de Buenos Aires
dans un état qui montre que les change-
ments préconisés en 1793 par Robin avaient
été exécutés ou qu’on y avait partiellement
remédié beaucoup plus tard. Aujourd’hui les
figures ont été dédorées et bronzées à une
date indéterminée mais probablement
ancienne, sans doute pour correspondre au
goût régnant à la fin du XVIIIesiècle.
LE DESTIN RUSSE DE
LA PAIX ET L’ABONDANCE
L’Alliance de la France et de l’Empire devait
aussi contribuer au bonheur des peuples
avec le retour de La Paix et l’Abondance qui en
était le corollaire et faisait le sujet de la
seconde pendule originale ordonnée à Pinon
par le duc deLa Vauguyon en 1770. Le
mémoire déjà cité mentionne donc: « Pour
une autre grande pendule qui est placée dans
le grand cabinet du Prince dont le sujet est la
Paix et l’Abondance – La pièce est un jeu
d’enfants d’après le dessin du Sr Boucher –
d’un côté du tambour est placé un groupe
d’enfants d’un pied de
nature qui représente
la Paix; un des enfants rassemble toute sorte
d’armes, massues, boucliers, casques, fais-
ceaux et autres attributs; l’autre d’une main
tient un flambeau (qui) brule tout l’attirail de
la guerre et de l’autre main présente une
branche d’olive – De l’autre côté un enfant est
assis sur un cornet d’abondance rempli de
raisins, de blé, de fruits de toute espèce et de
toute sorte de monnaies différentes; à côté
un autre enfant représentant la Générosité
compagne de l’Abondance, prend des
espèces dans le cornet et les distribue – Au
dessus du tambour est un enfant placé sur
des nuages tenant d’une main le cartouche
des armes de Monseigneur le Dauphin, et de
l’autre main y posant la couronne dauphine
(delphinale) ; du cartouche d’armes sortent
des guirlandes de fleurs qui enchaînent les
différents sujets de la pièce – Le soc est porté
sur des boutons travaillés – Pour les diffé-
rents dessins à choisir 60 livres – Pour le
modèle en terre d’après nature, mannequins
pour draperie, frais de pose des modèles,
façon des moules de cires et reparations des
cires; avoir tiré un plâtre qui a été reparé avec
soin pour guider dans la coupe des cires et
dans la monture des cuivres, la somme de
7600 livres (réglé 4600) – Pour la dorure de
la boite entière en or moulu, dorée et surdo-
rée, 6000 livres (réglé 5000) – Pour le
La Paix et l’Abondance
, pendule allégorique.
Mouvement par Antoine Pelletier. Saint-Pétersbourg,
musée et domaine national de Tsarskoïe Selo.
© Tsarskoïe Selo State Museum Preserve
mouvement à secondes, échappement à che-
villes et sonnerie, cristal, cadran, éguilles,
fond de la boite gravé avec soin et autres frais
dépendant du mouvement, 1200 livres
(réglé 1000)10 ».
Épargnée par le dauphin en 1772, la pendule
du grand cabinet nécessita néanmoins l’an-
née suivante les soins de Pinon qui, pour -
36 livres, la répara et la remit en état, refai-
sant l’aiguille des secondes11. Ici encore elle
suivit Louis XVI, mais dans ses appartements
intérieurs où elle donna l’heure dans la salle à
manger aux salles neuves dite des porce-
laines. Considérée comme étrangère au
Garde-Meuble de la Couronne, elle ne fut pas
inventoriée par cette administration avant
1791. Restée à Versailles, elle fut intégrée
dans le grand récolement qui précéda les
ventes révolutionnaires: « N° 1748 – une
grande pendule ornée de cinq enfants avec
corne d’abondance, massue d’armes et autres
attributs de guerre, le tout doré d’or moulu,
6000 livres12 ». La note «échan» qui
accompagne cette description révèle qu’elle
échappa à la grande session de ventes versail-
laises qui dispersa 17182 lots entre le 25 août
1793 et le 11 août 1794. Le 13 décembre
1794 elle fit en effet partie des objets
«qui sans être nécessaires à l’instruction,
seront jugés propres aux échanges», sous le
n° 14 et une estimation ramenée à 5 50013.
Le 12 avril 1796 elle était attribuée pour une
valeur de 3 000 livres au citoyen Abraham
Alcan14, entrepreneur général des vivres de
l’armée de Rhin et Moselle, et à ce titre un des
gros créanciers de la République15 : «une
autre pendule d’un horloger de Capet surmon-
tée de 5 amours ». Nous l’avons retrouvée en
1985 au musée Pouchkine près de Saint-
Pétersbourg et avions espéré la faire figurer à
l’exposition organisée à Paris en 1989 et
consacrée au destin des collections
royales16. Depuis, nos collègues russes ont
pu poursuivre son histoire à partir des achats
effectués en 1798 auprès du négociant
Xavier-François Labensky pour l’ameuble-
ment du tsar Paul Ier au château Saint-
Michel17. Elle semble être alors encore entiè-
rement dorée et les figures pourraient n’avoir
été bronzées que pour être en conformité
avec les bronzes plus modernes acquis pour
le souverain.
Notons que les Menus-Plaisirs avaient à nou-
veau traité les thèmes des deux pendules
65
FÉVRIER 2016
La Paix et l’Abondance
, baromètre allégorique.
Sculpture de J.-J. Lemaire. Versailles, musée national
des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand
Palais (château de Versailles) / Daniel Arnaudet
2 Arch. nat., O1 3036, dossier 2, pièce 252. Il pourrait
s’agir aussi d’une manifestation de curiosité technique
car les mémoires d’horlogers témoignent de nombreuses
réparations liées à des démontages intempestifs.
3 Arch. nat., O1 3510, O1 3329 f° 202.
4Ibid. et O1 3371.
5Ibid., O1 3089, dossier 4, pièce 35. Avant l’envoi aux
Tuileries elle était entreposée chez Lamy Gouge
horloger et valet de chambre du Roi (O1 3510).
6 Ibid., O1 3510.
7 A. Maze-Sencier, Le Livre des Collectionneurs, Paris
1885, pp. 276-277. G. Bapst, « Notes et souvenirs
artistiques sur Marie-Antoinette », Gazette des
Beaux-Arts, 1893-2, pp. 384-386.
8 P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIesiècle,
Paris 1987, p. 460.
9 Je remercie Vincent Bastien de m’avoir signalé
cette vente.
10 Arch. nat., O1 3029B.
11 Ibid., O1 3041, dossier 2, pièce 413.
12 Bibl. Hist. Ville de Paris, Manuscrit MS 796, f° 132 sq.
Arch. Musée du Louvre, V3 (1eliasse), janvier 1795.
13 Arc. Dép. Yvelines, 2 Q 67.
14 Bibl. Municipale Versailles, Manuscrit 437, n° 14
de la Liste civile.
15 C. Baulez, « Le choix du citoyen Alcan »,
Drouot 1984-1985, pp. 149-151.
16 cat. expo. De Versailles à Paris. Le destin des
collections royales, Centre culturel du
Panthéon, mairie du Vearrondissement de Paris,
ouvrage collectif sous la direction de
Jacques Charles-Gaffiot, 1989, n° 94, pp. 249-250.
17 I. Zek, « Bronzes d’ameublement et meubles
français achetés par Paul Ier pour le château Saint-
Michel de Saint-Pétersbourg en 1798-1799 », Bulletin
de la Société de l’Art français, 1994 (1995),
pp. 142-143, 156, 158.
66 FÉVRIER 2016
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !