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LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
LES PENDULES
DU MARIAGE
DU FUTUR LOUIS XVI
Les deux pendules livrées pour le mariage du futur roi Louis XVI
par le département de « l’Argenterie – Menus-Plaisirs et affaires de la Chambre »
de la Maison du roi illustrent la carrière de l’horloger Charles-Athanase Pinon à son apogée
et l’art du sculpteur et ornemaniste néoclassique Jean-Louis Prieur.
Par Christian Baulez, conservateur en chef honoraire au château de Versailles
Le mariage du dauphin Louis-Auguste avec
l’archiduchesse Marie-Antoinette avait été la
caution dynastique du « Renversement des
Alliances » soutenu par le cardinal de Bernis
et la marquise de Pompadour, puis imposé
par le duc de Choiseul, tout puissant ministre
de Louis XV. Par ce rapprochement avec
l’Autriche, la France initiait un bouleversement de l’échiquier européen, réprouvé par
une opinion publique largement défavorable,
y compris dans la famille royale. MarieAntoinette y gagna le surnom d’« Autrichienne » chargé au fil des ans d’une connotation de plus en plus hostile.
De tous les départements de la Maison du roi
celui de l’« Argenterie – Menus-Plaisirs et
affaires de la Chambre » était le plus impliqué
dans la propagande royale, surtout par les
fêtes et cérémonies qui en rythmaient les
événements publics ou privés, heureux ou
malheureux. À côté de l’organisation de la vie
culturelle de la cour, les Menus avaient aussi
un rôle plus discret dans la vie quotidienne du
roi et de la famille royale, avec notamment
des créations mobilières qui introduisaient
dans leurs appartements des chefs-d’œuvre
à l’esthétique régalienne. Parmi ceux-ci les
pendules allégoriques en étaient une des
plus tangibles manifestations.
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LE MÉMOIRE D’HORLOGERIE
FOURNI POUR
MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
Le mariage du futur Louis XVI en avait fourni
une nouvelle illustration avec une série de
commandes et d’achats d’horlogerie incluant
six pièces. Deux pendules destinées à la
chambre et au grand cabinet du dauphin,
étaient des créations originales pour lesquelles on demanda 24 760 livres et 19 060
livres (respectivement réglées à 22 860 et
15 660). Une pendule à L’Étude destinée au
cabinet particulier (1 200 livres réglées
1 000) et un régulateur d’ébénisterie pour
l’antichambre des Nobles (720 livres réglées
600) avaient été trouvés tout faits dans le
commerce parisien. Une belle montre à répétition ornée de diamants aux chiffres des
époux avec sa riche chaîne entrait dans une
catégorie intermédiaire (15 170 livres
réglées 10 400) et peut-être aussi une montre de chasse « extraordinairement plate »
(1 230 livres réglées 1 030). Au total une
facture de 66 064 livres, y compris les étuis,
emballages et port à Versailles fut présentée
au duc de La Vauguyon, gouverneur du dauphin. Papillon de La Ferté, intendant
des Menus-Plaisirs et plus au fait des réalités du marché, imposa un rabais jusqu’à
47 774 livres pour ce « Mémoire de l’horlogerie fournie pour Monseigneur le dauphin à
l’occasion de son mariage, par Pinon Valet de
1
Chambre horloger du Roy ». Seules les deux
pendules qui avaient fait l’objet de créations originales, l’une sur le thème de
l’Alliance de la France et
de l’Empire, l’autre sur
celui de la Paix et de
l’Abondance firent
l’objet d’un résumé
des étapes de leur
élaboration et fabrication.
LES VICISSITUDES DE
L’ALLIANCE DE LA FRANCE
ET DE L’EMPIRE
Pinon dans son mémoire décrit ainsi la première pendule :« Une grande pendule placée
dans la chambre du Prince dont le sujet est
l’alliance de la France et de l’Empire, couronnée par l’hymen et l’amour représentés par
deux femmes de deux pieds et demi de
nature se donnant la main sur le tambour de
la pendule. D’un côté la figure représentant la
L’Alliance de la France et
de l’Empire, pendule
allégorique. Buenos Aires,
musée national des Arts
décoratifs. © Buenos
Aires, musée national
des Arts décoratifs
France est revêtue d’un manteau semé de
fleurs de lys, le sceptre à la main et la couronne à côté d’elle sur un coussin ; de l’autre
côté celle qui représente l’Empire est revêtue
du manteau impérial tenant à la main la boule
du monde surmontée d’une croix, symbole de
l’Empire chrétien ;à côté d’elle est un aigle de
neuf pouces de nature ; au dessus du tambour sont placés l’hymen et l’amour avec
tous leurs attributs qui couronnent cette
alliance avec une couronne de fleurs – Les
figures sont assises sur un soc d’environ quatre pieds de long, orné de guirlandes de fleurs sortant des
rosettes, le milieu est une
couronne de laurier d’où
sortent des branches de
palmes ; le soc est posé
sur huit boutons travaillés ; avoir fait
différents dessins
pour choisir (60 livres) – Lorsque le dessin a
été arrêté, avoir fait des modèles en terre
d’après nature, des mannequins aussi en
terre d’après nature afin de pouvoir draper les
figures de différentes manières, des mains
moulées sur nature, frais de pose de modèle,
fait les moules, les cires, reparé les cires, tiré
un plâtre dans les creux qui a été reparé avec
soin pour servir de guide dans la coupe des
cires et dans la monture du cuivre, la somme
de 8 500 livres (réglé à 6 000) – Pour la
matière du cuivre et frais de fonte, ensuite
l’avoir fait reparer, ciseler, monter et finir avec
soin, 9 000 livres (réglé à 6 000) – Pour la
dorure de la boite entière en or moulu doré et
surdoré, 6 000 livres – Pour le mouvement à
secondes, échappement à cheville, cristal,
cadran, éguilles, fond de la boite gravé avec
soin et autres frais dépendant du mouvement, 1 200 livres (réglé à 1 000).
Un mémoire d’entretien du même Pinon pour
l’année 1772 ne laisse pas d’inquiéter sur la
psychologie du dauphin à l’égard d’une pendule si symbolique : « pour avoir réparé la
grande pendule qui est sur la cheminée de la
chambre à coucher du prince dont il avait
1 Arch. nat., O1 3029B, « Mémoire de l’horlogerie
fournie pour Monseigneur le Dauphin ». D.P.J. Papillon
de La Ferté, Journal des Menus-Plaisirs du roi, 17561780, 2002, p. 199. Il cite le chiffre de 47 400 livres.
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LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
démonté la boite, arraché les fleurs de lys
qui ornaient la draperie de la figure représentant la France et les aiglons qui caractérisent
celle qui représente l’empire ainsi que le
globe qui était détaché et dédoré ;la croix qui
2
est dessus était cassée... 263 livres ».
Devenu roi, Louis XVI utilisa cette pendule
dans ses nouveaux appartements et les
inventaires successifs la signalent en 1784
3
dans le Cabinet du Conseil jusqu’en 1785,
puis à partir de 1787 dans l’antichambre de
4
l’Œil de Boeuf . Son séjour dans l’Œil de
Boeuf ne dut pas avoir été toujours très paisible car Robert Robin, horloger ordinaire du
roi et successeur de Pinon, dut à nouveau
s’en occuper pendant le quartier d’octobre
1790 et la réparer pour la faire servir aux
Tuileries, adressant à cette occasion une fac5
ture de 288 livres . C’est au même Robin
qu’elle fut confiée en 1793 après la chute de
la monarchie comme le prouve un « Etat de
l’horlogerie particulière du cy devant roi » :
« N° 4 – Une pendule d’un fort volume représentant l’alliance de la France avec l’Empire,
montée sur un socle de cuivre... Cette pendule est destinée pour chez les ministres
mais il y aurait des changements à faire.
6
Sans nom (d’horloger) ». Son histoire se fait
alors plus obscure et son existence ne fut
plus rappelée que par des publications éru8
7
dites aux XIXe et XXe siècles . Pas assez
cependant pour permettre en 1937 le
rapprochement avec la pendule de
la collection Victor de Rothschild
9
dispersée à Londres . On peut la
voir désormais au
musée
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national des Arts décoratifs de Buenos Aires
dans un état qui montre que les changements préconisés en 1793 par Robin avaient
été exécutés ou qu’on y avait partiellement
remédié beaucoup plus tard. Aujourd’hui les
figures ont été dédorées et bronzées à une
date indéterminée mais probablement
ancienne, sans doute pour correspondre au
goût régnant à la fin du XVIIIe siècle.
LE DESTIN RUSSE DE
LA PAIX ET L’ABONDANCE
L’Alliance de la France et de l’Empire devait
aussi contribuer au bonheur des peuples
avec le retour de La Paix et l’Abondance qui en
était le corollaire et faisait le sujet de la
seconde pendule originale ordonnée à Pinon
par le duc de La Vauguyon en 1770. Le
mémoire déjà cité mentionne donc : « Pour
une autre grande pendule qui est placée dans
le grand cabinet du Prince dont le sujet est la
Paix et l’Abondance – La pièce est un jeu
d’enfants d’après le dessin du Sr Boucher –
d’un côté du tambour est placé un groupe
d’enfants d’un pied de
nature qui représente
la Paix ; un des enfants rassemble toute sorte
d’armes, massues, boucliers, casques, faisceaux et autres attributs ; l’autre d’une main
tient un flambeau (qui) brule tout l’attirail de
la guerre et de l’autre main présente une
branche d’olive – De l’autre côté un enfant est
assis sur un cornet d’abondance rempli de
raisins, de blé, de fruits de toute espèce et de
toute sorte de monnaies différentes ; à côté
un autre enfant représentant la Générosité
compagne de l’Abondance, prend des
espèces dans le cornet et les distribue – Au
dessus du tambour est un enfant placé sur
des nuages tenant d’une main le cartouche
des armes de Monseigneur le Dauphin, et de
l’autre main y posant la couronne dauphine
(delphinale) ; du cartouche d’armes sortent
des guirlandes de fleurs qui enchaînent les
différents sujets de la pièce – Le soc est porté
sur des boutons travaillés – Pour les différents dessins à choisir 60 livres – Pour le
modèle en terre d’après nature, mannequins
pour draperie, frais de pose des modèles,
façon des moules de cires et reparations des
cires ;avoir tiré un plâtre qui a été reparé avec
soin pour guider dans la coupe des cires et
dans la monture des cuivres, la somme de
7 600 livres (réglé 4 600) – Pour la dorure de
la boite entière en or moulu, dorée et surdorée, 6 000 livres (réglé 5 000) – Pour le
La Paix et l’Abondance, pendule allégorique.
Mouvement par Antoine Pelletier. Saint-Pétersbourg,
musée et domaine national de Tsarskoïe Selo.
© Tsarskoïe Selo State Museum Preserve
13
n° 14 et une estimation ramenée à 5 500 .
Le 12 avril 1796 elle était attribuée pour une
valeur de 3 000 livres au citoyen Abraham
14
Alcan , entrepreneur général des vivres de
l’armée de Rhin et Moselle, et à ce titre un des
15
gros créanciers de la République : « une
autre pendule d’un horloger de Capet surmontée de 5 amours ». Nous l’avons retrouvée en
1985 au musée Pouchkine près de SaintPétersbourg et avions espéré la faire figurer à
l’exposition organisée à Paris en 1989 et
consacrée au destin des collections
16
royales . Depuis, nos collègues russes ont
pu poursuivre son histoire à partir des achats
effectués en 1798 auprès du négociant
Xavier-François Labensky pour l’ameublement du tsar Paul Ier au château Saint17
Michel . Elle semble être alors encore entièrement dorée et les figures pourraient n’avoir
été bronzées que pour être en conformité
avec les bronzes plus modernes acquis pour
le souverain.
Notons que les Menus-Plaisirs avaient à nouveau traité les thèmes des deux pendules
La Paix et l’Abondance, baromètre allégorique.
Sculpture de J.-J. Lemaire. Versailles, musée national
des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand
Palais (château de Versailles) / Daniel Arnaudet
mouvement à secondes, échappement à chevilles et sonnerie, cristal, cadran, éguilles,
fond de la boite gravé avec soin et autres frais
dépendant du mouvement, 1 200 livres
10
(réglé 1 000) ».
Épargnée par le dauphin en 1772, la pendule
du grand cabinet nécessita néanmoins l’année suivante les soins de Pinon qui, pour 36 livres, la répara et la remit en état, refai11
sant l’aiguille des secondes . Ici encore elle
suivit Louis XVI, mais dans ses appartements
intérieurs où elle donna l’heure dans la salle à
manger aux salles neuves dite des porce-
laines. Considérée comme étrangère au
Garde-Meuble de la Couronne, elle ne fut pas
inventoriée par cette administration avant
1791. Restée à Versailles, elle fut intégrée
dans le grand récolement qui précéda les
ventes révolutionnaires : « N° 1748 – une
grande pendule ornée de cinq enfants avec
corne d’abondance, massue d’armes et autres
attributs de guerre, le tout doré d’or moulu,
12
6 000 livres ». La note « échangé » qui
accompagne cette description révèle qu’elle
échappa à la grande session de ventes versaillaises qui dispersa 17 182 lots entre le 25 août
1793 et le 11 août 1794. Le 13 décembre
1794 elle fit en effet partie des objets
« qui sans être nécessaires à l’instruction,
seront jugés propres aux échanges », sous le
2 Arch. nat., O1 3036, dossier 2, pièce 252. Il pourrait
s’agir aussi d’une manifestation de curiosité technique
car les mémoires d’horlogers témoignent de nombreuses
réparations liées à des démontages intempestifs.
3 Arch. nat., O1 3510, O1 3329 f° 202.
4 Ibid. et O1 3371.
5 Ibid., O1 3089, dossier 4, pièce 35. Avant l’envoi aux
Tuileries elle était entreposée chez Lamy Gouge
horloger et valet de chambre du Roi (O1 3510).
6 Ibid., O1 3510.
7 A. Maze-Sencier, Le Livre des Collectionneurs, Paris
1885, pp. 276-277. G. Bapst, « Notes et souvenirs
artistiques sur Marie-Antoinette », Gazette des
Beaux-Arts, 1893-2, pp. 384-386.
8 P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle,
Paris 1987, p. 460.
9 Je remercie Vincent Bastien de m’avoir signalé
cette vente.
10 Arch. nat., O1 3029B.
11 Ibid., O1 3041, dossier 2, pièce 413.
12 Bibl. Hist. Ville de Paris, Manuscrit MS 796, f° 132 sq.
Arch. Musée du Louvre, V3 (1e liasse), janvier 1795.
13 Arc. Dép. Yvelines, 2 Q 67.
14 Bibl. Municipale Versailles, Manuscrit 437, n° 14
de la Liste civile.
15 C. Baulez, « Le choix du citoyen Alcan »,
Drouot 1984-1985, pp. 149-151.
16 cat. expo. De Versailles à Paris. Le destin des
collections royales, Centre culturel du
Panthéon, mairie du Ve arrondissement de Paris,
ouvrage collectif sous la direction de
Jacques Charles-Gaffiot, 1989, n° 94, pp. 249-250.
17 I. Zek, « Bronzes d’ameublement et meubles
français achetés par Paul Ier pour le château SaintMichel de Saint-Pétersbourg en 1798-1799 », Bulletin
de la Société de l’Art français, 1994 (1995),
pp. 142-143, 156, 158.
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LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
après le mariage, grâce à deux grands baromètres de Jean-Baptiste Torré, en bois sculpté
18
par Jean-Joseph Lemaire , l’un pour Louis XV,
entrepris en 1772, l’autre pour le dauphin,
commencé en 1773.
LES BONNES FÉES
DE L’HORLOGER
CHARLES-ATHANASE PINON
Charles-Athanase Pinon (1734-1815) est
un horloger surtout documenté pour ses
travaux et fournitures aux Menus-Plaisirs à
l’intention de la famille royale à partir de
1765. Ses antécédents familiaux facilitèrent cette carrière officielle. Son père,
Charles, avait été premier commis des
Monnaies et des Médailles sous la direction
de Nicolas Delaunay et sa première femme
Marie Vernier avait tenu la maison de ce
19
directeur . Charles-Athanase eut pour marraine Suzanne Delaunay, l’épouse de JulesRobert de Cotte, intendant des Bâtiments
du roi et directeur des Médailles. Sa mère,
Marie-Marthe Gounod, seconde épouse de
son père, était la fille d’Antoine Gounod,
fourbisseur du roi. Quand Charles Gounod
mourut en 1746, le subrogé tuteur de
Charles-Athanase fut Jacques Courtin, pein20
tre ordinaire du roi , qui le mit aussitôt en
apprentissage avec l’horloger FrançoisEdme Hardi, lequel transféra l’année suivante son brevet chez Eustache-François
21
Houblin . Sans qu’il eut besoin d’accéder à
la maîtrise, sa mère lui acheta en 1760 la
survivance de Charles Gamard, qui était
valet de chambre horloger du roi pour le
22
quartier de janvier . Gamard lui céda le 14
mai 1761 le privilège de « pouvoir travailler
et exercer librement l’horlogerie dans toute
l’étendue du royaume ». Le 23 juin 1763
Gamard se démettait de sa charge en faveur
de son survivancier qui exerça dès lors pleinement son quartier jusqu’en 1784, puis le
Ci-contre. L’Alliance de la France et de l’Empire,
baromètre allégorique au mariage du dauphin,
futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette. Versailles,
musée national des châteaux de Versailles et de
Trianon. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /
Philipp Bernard
À droite. Cartouche aux armes de la marquise de
Pompadour. Gravure de W.-W. Ryland d’après François
Boucher. Paris, musée du Louvre, département des Arts
graphiques. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) /
Michel Urtado
23
céda à Robert Robin . Charles-Athanase
avait épousé le 15 juin 1765 Marie-Anne
Simon, fille de Pierre-Denis Simon, huissier
du Cabinet de la reine et ancien huissier
ordinaire du roi. Louis XV signa au contrat,
ainsi que ses trois petits-fils, Berry,
Provence, Artois, le duc de La Vauguyon leur
gouverneur, les ducs d’Aumont, de Richelieu
et de Duras, tous trois, Premiers
Gentilshommes de la Chambre, le comte de
Saint-Florentin, ministre de la Maison du roi.
Si les Simon pouvaient aligner de nombreux
officiers au service du roi, les Pinon pouvaient se vanter de cousiner avec des fourbisseurs officiels, Gounod et
Ravoisié ou encore avec des
Dutrou et Sallior, réputés dans la
24
broderie et la tapisserie .
Les années 1770-1775 furent
pour Charles-Athanase des années
glorieuses grâce à la fourniture de
cette superbe horlogerie pour les
mariages des princes en 1770,
1771, 1773, indépendamment de
ses travaux pour Louis XV. On peut
toutefois se demander si ces compétences n’étaient pas surtout
théoriques car il ne brilla pas spécialement par ses qualités horlogères à l’inverse de son collègue
Antoine Pelletier officiant pour le
quartier de juillet depuis 1743, et
qui signa le cadran de la pendule
La Paix et l’Abondance. Les ambitions extra-horlogères de Pinon se
manifestèrent à nouveau en janvier 1773 quand il acquit la survivance de la charge d’huissier des
25
ballets du roi . En 1774, 1776 et
1778, il réclama sans succès le droit à un
logement aux Galeries du Louvre qu’avait
eu Gounod son aïeul et après lui son cousin
26
germain . Ce triple échec l’amena à louer à
Versailles une maison rue Saint-Médéric qui
le mettait mieux à même d’exercer sa double charge d’huissier et de valet de cham27
bre-horloger . Plus tard il s’installa dans un
bel immeuble, le « Pavillon Levesque »
appartenant à son beau-père28 et qui existe
encore au 10 rue d’Anjou. Il passa les
années sombres de la Révolution
29
à Fontainebleau puis revint à Versailles. Il
30
mourut en 1815 .
DES BRONZES EXCEPTIONNELS
Les pendules livrées par Pinon brillaient
davantage par la qualité de leurs boîtes de
bronze. L’horloger ne cite jamais le nom de
leurs auteurs. Exceptionnellement, pour la
pendule La Paix et l’Abondance, il mentionne
un « jeu d’enfants d’après un dessin du Sr
Boucher ». Sans en avoir identifié la source
exacte, on y retrouve bien l’esprit de cette
« fricassée d’amours » que répandit
François Boucher et dont quelques années
plus tôt un exemple avait été gravé d’après
ce maître pour un frontispice aux armes de
madame de Pompadour. Un autre indice peut
18 C. Baulez, « Le grand baromètre du roi à Versailles
», Revue du Louvre, 1990, pp. 91-93.
19 Arch. nat., M.C.N., LXX 244, constitution donation
du 25.V.1714.
20 Ibid., CXVI 328, inventaire du 5.III.1746.
21 Ibid., XXXIV 561, 1.IX.1746 et XXXIV 567,
9.XI.1747.
22 Ibid., XCIV 297, convention du 1.IV.1760.
23 Ibid., O1 3095, 5e dossier, gages de 1785.
24 Ibid., M.C.N., XXVI 543.
25 Ibid., O1 120, f° 15.
26 Ibid., O1 1205, f° 111 ; O1 1207, f° 115 ; O1 2069,
f° 160.
27 Ibid., M.C.N., III 1110, bail du 4.VI.1779.
28 J. Lagny, Versailles, ses rues, le quartier SaintLouis, Versailles 1990, p. 19.
29 Arch. nat., M.C.N., XII 685, achat du 4.III.1778.
30 cf. le dossier familial communiqué par M. Emmanuel
Lourdelet et ses enfants que je remercie vivement.
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Hannibal distribuant des anneaux aux chevaliers après
la bataille de Cannes, pendule exécutée en 1773 pour
le comte d’Artois à Versailles. Versailles, musée
national des châteaux de Versailles et de Trianon ;
dépôt du Mobilier national. © château de Versailles,
Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Marc Manaï
être retrouvé grâce à la signature « Leroy
fecit » qui figure sur le socle de la pendule
que Pinon livra en 1773 pour le cabinet du
comte d’Artois à Versailles et qui représente
Hannibal distribuant des anneaux aux chevaliers après la bataille de Cannes. Cette
signature a été interprétée comme étant
celle du fondeur Edme Roy, souvent appelé
Le Roy, qui était le fondeur de la pendule à
L’Étude, dite à la Geoffrin, dont un exemplaire
avait été livré par Lazare Duvaux en 1758
pour le duc de Bourgogne et peut-être un
31
second par Pinon au dauphin en 1770 .
Cette collaboration pourrait néanmoins
n’avoir pas été la règle et c’est en fait le nom
de Jean-Louis Prieur qui s’impose comme
dénominateur commun pour la majorité des
boîtes des pendules de Pinon livrées au roi et
à la famille royale.
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JEAN-LOUIS PRIEUR ET
LE RENOUVEAU DE
LA FIGURE NÉOCLASSIQUE
Ce sculpteur, né fin 1731 ou début 1732
d’un père maître éventailliste, était aussi le
neveu du maître ébéniste Joseph de SaintGermain, dont le fils, Jean-Joseph, fut un
maître fondeur réputé et peut-être aussi son
32
maître . Par son mariage en 1756 avec
Marguerite Levallois, J.-L. Prieur était devenu
le beau-frère de Julien Levallois, un ciseleur,
33
et de Jacques Levallois, un sculpteur .
Installé en 1758 rue Frépillon, il fit la même
année, comme sculpteur, une première faillite dont les créanciers étaient surtout des
artisans du métal, fondeurs, ciseleurs ou
34
doreurs . Réduit à travailler « au noir », il
fut poursuivi en 1764 comme « sculpteurmodeleur sans qualité » par Quentin-Claude
Pitoin et Nicolas-Joseph Maria alors Gardes
35
en charge de l’Académie de Saint-Luc .
Il fut aussi un dessinateur très prolifique,
comme en témoignent d’importants fonds de
36
dessins et de gravures , et s’illustra par les
bronzes de son invention dont il surchargea
le carrosse du Sacre de Louis XVI . Le souve37
nir de cette voiture fameuse , dépecée en
1794, a survécu grâce à la gravure qu’il en
donna en 1783. D’autres projets se caractérisent par la permanence des mêmes
groupes de figures et surtout d’amours qui
étaient un domaine où Prieur excella et qu’il
ne dédaignait pas de signer, à l’exemple de la
38
pendule à L’Étude conservée au Louvre .
Prieur était sculpteur par formation première
et avait été reçu dans cette spécialité en
39
1765 à l’Académie de Saint-Luc . Il fut reçu
40
maître fondeur le 13 juillet 1769 , mais
dans ses publicités il se qualifiait surtout de
« sculpteur et modeleur pour les ciseleurs »,
ce qui implique qu’il ne fondait pas lui-même
et avait recours à des confrères spécialisés
dans cette technique et dits « fondeurs fondants ». Il procédait de même pour la dorure.
Le document le plus précis sur ses activités
41
parut en 1777 .
Il devait faire à nouveau faillite le 13 juin
1778, entraînant dans sa débâcle une
grande part de ses multiples sous-traitants
42
dans l’art du métal ainsi que des sculpteurs, des marbriers, des horlogers et des
ébénistes. Réfugié dans l’enclos privilégié du
Temple, il prit bientôt un nouveau départ pro-
Carrosse du sacre de Louis XVI,
exécuté en 1775 avec des
bronzes de Louis Prieur
« Sculpteur, Cizeleur et
Doreur du Roi ». Gravure
exécutée en 1783.
Versailles, musée national des
châteaux de Versailles et de
Trianon. © RMN-Grand Palais
(château de Versailles) /
Droits réservés
LES ÉTUDES INÉDITES
DE L’OBJET D’ART
fessionnel comme ornemaniste, tout en rappelant ses anciennes activités : « Le Sieur
Prieur, sculpteur ciseleur et doreur du Roi (...)
vient de graver à l’eau forte et dans un beau
style la voiture du Sacre du Roi, dont les
bronzes ont été exécutés d’après ses dessins, ainsi qu’une première suite de
« Fleurons, de rinceaux et de dessus de
43
Portes » dans un genre tout nouveau... » .
Cette suite de gravures connut effectivement un grand succès, auquel il faut probablement associer le nom de son fils JeanLouis, surtout passé à la postérité pour ses
Tableaux de la Révolution française publiés
de 1789 à 1792. Ce fils devait mourir guillotiné comme complice de Fouquier-Tinville, le
44
7 mai 1795 . Son père, qui lui survécut de
peu, avait sollicité le 31 août 1794 un
emploi de professeur dans une école nationale de dessin ou même un poste d’entretien des objets d’art du Muséum. À l’appui de
sa demande il rappelait ses quarante-cinq
ans d’études et ses travaux : « soit pour la
sculpture, soit pour la ciselure (...), les
immenses travaux que j’ai fait pour la
Russie, l’Italie, la Pologne et l’Espagne (...)
(du) choeur et de la grille de la cidevant
cathédrale de Chartres que j’ai exécuté
d’après mes dessins qui (...) ont passé pour
des chefs-d’œuvre (...) la voiture du sacre
du dernier de nos tyrans La perfection du
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bronze est encore mon ouvrage (...) » .
S’il est incontestable que Jean-Louis Prieur
fut un des grands noms des arts décoratifs
du néoclassicisme français, il convient
néanmoins de relativiser son rôle dans la
technique du métal et d’insister sur son activité de dessinateur, de modeleur et de sculpteur, participant au renouveau des décors
figuristes qui succédèrent au triomphe du
règne du végétal et du minéral. Il réussit tout
spécialement dans le traitement des jeunes
enfants bien potelés comme sujets ou supports d’allégories.
REMERCIEMENTS
J’ai plaisir à remercier Jean-Luc Augustin, Roland
Bossard et Pascal Dauphin, Natalia Grigrovitcz, Sylvie
Legrand-Rossi, la famille Lourdelet pour les portraits de
Pinon et de son épouse, Hugo Pontoriero, Tamara Rappé,
Tatiana Serpinskaya.
31 C. Baulez, « La pendule à la Geoffrin »,
L’Estampille-L’Objet d’Art, avril 1989, pp. 34-41.
32 J.-D. Augarde in The Dictionnary of Art, vol. XXV,
1996, pp. 577-578.
33 Arch. nat., M.C.N., XXVIII 348, contrat du 29.XI.1756.
Cf. l’exposition « Dessiner et ciseler le bronze. JeanLouis Prieur 1732-1795 », Musée Nissim de Camondo,
Paris octobre 2015-janvier 2016. Catalogue en ligne
par Sylvie Legrand-Rossi, avec les contributions de
Christian Baulez, Éric Thiriet, Marc Veriot,
Przemplavo Watroba.
34 Ibid., XXXVIII 444, atermoiement du 30.VIII.1758.
AD 75, D4 B6 , carton 19, dossier 914, faillite
du 21.IX.1758.
35 Arch. nat., Y 10005B , p.v. du 17-18.VII.1764.
36 D. Guilmard, Les maîtres ornemanistes, 1880,
pp. 256-258.
L. Deshairs, Dessins originaux des Maîtres décorateurs.
Bibliothèque des Arts Décoratifs. XVIIIe siècle. Fin du
règne de Louis XV et règne de Louis XVI, s.d.
S. Lorentz, Victor Louis et Varsovie, Revue historique
de Bordeaux et du département de la Gironde,
janvier-mars 1958.
37 R. Wackernagel, La voiture du sacre de Louis XVI,
un vestige retrouvé en Suisse, in D. Roche, Voitures,
chevaux et attelages du XVIe au XIXe siècle, 2000,
pp. 142-155.
38 D. Alcouffe et al., Les Bronzes d’ameublement
du Louvre, Dijon 2004, pp. 137-138.
39 S. Ericksen, Early neoclassicism in France,
Londres 1974, p. 217. Cet auteur se trompe en retirant
à Prieur la faillite de 1758.
40 Arch. nat., Y 9331,n f° 94 v°.
41 Roze de Chantoiseau, Tablettes de la Renommée,
1777, f° 24.
42 Arch. nat., M.C.N., 333. Union des créanciers,
13.VI.1778.
43 Mercure de France, oct. 1783, n° 43, p. 190.
44 P. de Nolhac, Un artiste révolutionnaire. Les dessins
de Jean-Louis Prieur (1789-1792), Revue de l’Art
Ancien et Moderne, 1901, 2e partie, pp. 319-336.
45 C. Baulez, De Dugourc à Pernon, dans P. ArizzoliClémentel Les dossiers du Musée des Tissus/3, Lyon
1990-1991, p. 33.
Le Réveil et l’Étude, pendule
allégorique, mouvement de
Joseph-Léonard Roque.
Le bronze signé « Prieure
sculpteur a Paris ».
Paris, musée du Louvre.
© RMN-Grand Palais
(musée du Louvre) /
Les frères Chuzeville
FÉVRIER 2016
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