LES ÉTUDES INÉDITES DE L’OBJET D’ART LES PENDULES DU MARIAGE DU FUTUR LOUIS XVI Les deux pendules livrées pour le mariage du futur roi Louis XVI par le département de « l’Argenterie – Menus-Plaisirs et affaires de la Chambre » de la Maison du roi illustrent la carrière de l’horloger Charles-Athanase Pinon à son apogée et l’art du sculpteur et ornemaniste néoclassique Jean-Louis Prieur. Par Christian Baulez, conservateur en chef honoraire au château de Versailles Le mariage du dauphin Louis-Auguste avec l’archiduchesse Marie-Antoinette avait été la caution dynastique du « Renversement des Alliances » soutenu par le cardinal de Bernis et la marquise de Pompadour, puis imposé par le duc de Choiseul, tout puissant ministre de Louis XV. Par ce rapprochement avec l’Autriche, la France initiait un bouleversement de l’échiquier européen, réprouvé par une opinion publique largement défavorable, y compris dans la famille royale. MarieAntoinette y gagna le surnom d’« Autrichienne » chargé au fil des ans d’une connotation de plus en plus hostile. De tous les départements de la Maison du roi celui de l’« Argenterie – Menus-Plaisirs et affaires de la Chambre » était le plus impliqué dans la propagande royale, surtout par les fêtes et cérémonies qui en rythmaient les événements publics ou privés, heureux ou malheureux. À côté de l’organisation de la vie culturelle de la cour, les Menus avaient aussi un rôle plus discret dans la vie quotidienne du roi et de la famille royale, avec notamment des créations mobilières qui introduisaient dans leurs appartements des chefs-d’œuvre à l’esthétique régalienne. Parmi ceux-ci les pendules allégoriques en étaient une des plus tangibles manifestations. 62 FÉVRIER 2016 LE MÉMOIRE D’HORLOGERIE FOURNI POUR MONSEIGNEUR LE DAUPHIN Le mariage du futur Louis XVI en avait fourni une nouvelle illustration avec une série de commandes et d’achats d’horlogerie incluant six pièces. Deux pendules destinées à la chambre et au grand cabinet du dauphin, étaient des créations originales pour lesquelles on demanda 24 760 livres et 19 060 livres (respectivement réglées à 22 860 et 15 660). Une pendule à L’Étude destinée au cabinet particulier (1 200 livres réglées 1 000) et un régulateur d’ébénisterie pour l’antichambre des Nobles (720 livres réglées 600) avaient été trouvés tout faits dans le commerce parisien. Une belle montre à répétition ornée de diamants aux chiffres des époux avec sa riche chaîne entrait dans une catégorie intermédiaire (15 170 livres réglées 10 400) et peut-être aussi une montre de chasse « extraordinairement plate » (1 230 livres réglées 1 030). Au total une facture de 66 064 livres, y compris les étuis, emballages et port à Versailles fut présentée au duc de La Vauguyon, gouverneur du dauphin. Papillon de La Ferté, intendant des Menus-Plaisirs et plus au fait des réalités du marché, imposa un rabais jusqu’à 47 774 livres pour ce « Mémoire de l’horlogerie fournie pour Monseigneur le dauphin à l’occasion de son mariage, par Pinon Valet de 1 Chambre horloger du Roy ». Seules les deux pendules qui avaient fait l’objet de créations originales, l’une sur le thème de l’Alliance de la France et de l’Empire, l’autre sur celui de la Paix et de l’Abondance firent l’objet d’un résumé des étapes de leur élaboration et fabrication. LES VICISSITUDES DE L’ALLIANCE DE LA FRANCE ET DE L’EMPIRE Pinon dans son mémoire décrit ainsi la première pendule :« Une grande pendule placée dans la chambre du Prince dont le sujet est l’alliance de la France et de l’Empire, couronnée par l’hymen et l’amour représentés par deux femmes de deux pieds et demi de nature se donnant la main sur le tambour de la pendule. D’un côté la figure représentant la L’Alliance de la France et de l’Empire, pendule allégorique. Buenos Aires, musée national des Arts décoratifs. © Buenos Aires, musée national des Arts décoratifs France est revêtue d’un manteau semé de fleurs de lys, le sceptre à la main et la couronne à côté d’elle sur un coussin ; de l’autre côté celle qui représente l’Empire est revêtue du manteau impérial tenant à la main la boule du monde surmontée d’une croix, symbole de l’Empire chrétien ;à côté d’elle est un aigle de neuf pouces de nature ; au dessus du tambour sont placés l’hymen et l’amour avec tous leurs attributs qui couronnent cette alliance avec une couronne de fleurs – Les figures sont assises sur un soc d’environ quatre pieds de long, orné de guirlandes de fleurs sortant des rosettes, le milieu est une couronne de laurier d’où sortent des branches de palmes ; le soc est posé sur huit boutons travaillés ; avoir fait différents dessins pour choisir (60 livres) – Lorsque le dessin a été arrêté, avoir fait des modèles en terre d’après nature, des mannequins aussi en terre d’après nature afin de pouvoir draper les figures de différentes manières, des mains moulées sur nature, frais de pose de modèle, fait les moules, les cires, reparé les cires, tiré un plâtre dans les creux qui a été reparé avec soin pour servir de guide dans la coupe des cires et dans la monture du cuivre, la somme de 8 500 livres (réglé à 6 000) – Pour la matière du cuivre et frais de fonte, ensuite l’avoir fait reparer, ciseler, monter et finir avec soin, 9 000 livres (réglé à 6 000) – Pour la dorure de la boite entière en or moulu doré et surdoré, 6 000 livres – Pour le mouvement à secondes, échappement à cheville, cristal, cadran, éguilles, fond de la boite gravé avec soin et autres frais dépendant du mouvement, 1 200 livres (réglé à 1 000). Un mémoire d’entretien du même Pinon pour l’année 1772 ne laisse pas d’inquiéter sur la psychologie du dauphin à l’égard d’une pendule si symbolique : « pour avoir réparé la grande pendule qui est sur la cheminée de la chambre à coucher du prince dont il avait 1 Arch. nat., O1 3029B, « Mémoire de l’horlogerie fournie pour Monseigneur le Dauphin ». D.P.J. Papillon de La Ferté, Journal des Menus-Plaisirs du roi, 17561780, 2002, p. 199. Il cite le chiffre de 47 400 livres. FÉVRIER 2016 63 LES ÉTUDES INÉDITES DE L’OBJET D’ART démonté la boite, arraché les fleurs de lys qui ornaient la draperie de la figure représentant la France et les aiglons qui caractérisent celle qui représente l’empire ainsi que le globe qui était détaché et dédoré ;la croix qui 2 est dessus était cassée... 263 livres ». Devenu roi, Louis XVI utilisa cette pendule dans ses nouveaux appartements et les inventaires successifs la signalent en 1784 3 dans le Cabinet du Conseil jusqu’en 1785, puis à partir de 1787 dans l’antichambre de 4 l’Œil de Boeuf . Son séjour dans l’Œil de Boeuf ne dut pas avoir été toujours très paisible car Robert Robin, horloger ordinaire du roi et successeur de Pinon, dut à nouveau s’en occuper pendant le quartier d’octobre 1790 et la réparer pour la faire servir aux Tuileries, adressant à cette occasion une fac5 ture de 288 livres . C’est au même Robin qu’elle fut confiée en 1793 après la chute de la monarchie comme le prouve un « Etat de l’horlogerie particulière du cy devant roi » : « N° 4 – Une pendule d’un fort volume représentant l’alliance de la France avec l’Empire, montée sur un socle de cuivre... Cette pendule est destinée pour chez les ministres mais il y aurait des changements à faire. 6 Sans nom (d’horloger) ». Son histoire se fait alors plus obscure et son existence ne fut plus rappelée que par des publications éru8 7 dites aux XIXe et XXe siècles . Pas assez cependant pour permettre en 1937 le rapprochement avec la pendule de la collection Victor de Rothschild 9 dispersée à Londres . On peut la voir désormais au musée 64 FÉVRIER 2016 national des Arts décoratifs de Buenos Aires dans un état qui montre que les changements préconisés en 1793 par Robin avaient été exécutés ou qu’on y avait partiellement remédié beaucoup plus tard. Aujourd’hui les figures ont été dédorées et bronzées à une date indéterminée mais probablement ancienne, sans doute pour correspondre au goût régnant à la fin du XVIIIe siècle. LE DESTIN RUSSE DE LA PAIX ET L’ABONDANCE L’Alliance de la France et de l’Empire devait aussi contribuer au bonheur des peuples avec le retour de La Paix et l’Abondance qui en était le corollaire et faisait le sujet de la seconde pendule originale ordonnée à Pinon par le duc de La Vauguyon en 1770. Le mémoire déjà cité mentionne donc : « Pour une autre grande pendule qui est placée dans le grand cabinet du Prince dont le sujet est la Paix et l’Abondance – La pièce est un jeu d’enfants d’après le dessin du Sr Boucher – d’un côté du tambour est placé un groupe d’enfants d’un pied de nature qui représente la Paix ; un des enfants rassemble toute sorte d’armes, massues, boucliers, casques, faisceaux et autres attributs ; l’autre d’une main tient un flambeau (qui) brule tout l’attirail de la guerre et de l’autre main présente une branche d’olive – De l’autre côté un enfant est assis sur un cornet d’abondance rempli de raisins, de blé, de fruits de toute espèce et de toute sorte de monnaies différentes ; à côté un autre enfant représentant la Générosité compagne de l’Abondance, prend des espèces dans le cornet et les distribue – Au dessus du tambour est un enfant placé sur des nuages tenant d’une main le cartouche des armes de Monseigneur le Dauphin, et de l’autre main y posant la couronne dauphine (delphinale) ; du cartouche d’armes sortent des guirlandes de fleurs qui enchaînent les différents sujets de la pièce – Le soc est porté sur des boutons travaillés – Pour les différents dessins à choisir 60 livres – Pour le modèle en terre d’après nature, mannequins pour draperie, frais de pose des modèles, façon des moules de cires et reparations des cires ;avoir tiré un plâtre qui a été reparé avec soin pour guider dans la coupe des cires et dans la monture des cuivres, la somme de 7 600 livres (réglé 4 600) – Pour la dorure de la boite entière en or moulu, dorée et surdorée, 6 000 livres (réglé 5 000) – Pour le La Paix et l’Abondance, pendule allégorique. Mouvement par Antoine Pelletier. Saint-Pétersbourg, musée et domaine national de Tsarskoïe Selo. © Tsarskoïe Selo State Museum Preserve 13 n° 14 et une estimation ramenée à 5 500 . Le 12 avril 1796 elle était attribuée pour une valeur de 3 000 livres au citoyen Abraham 14 Alcan , entrepreneur général des vivres de l’armée de Rhin et Moselle, et à ce titre un des 15 gros créanciers de la République : « une autre pendule d’un horloger de Capet surmontée de 5 amours ». Nous l’avons retrouvée en 1985 au musée Pouchkine près de SaintPétersbourg et avions espéré la faire figurer à l’exposition organisée à Paris en 1989 et consacrée au destin des collections 16 royales . Depuis, nos collègues russes ont pu poursuivre son histoire à partir des achats effectués en 1798 auprès du négociant Xavier-François Labensky pour l’ameublement du tsar Paul Ier au château Saint17 Michel . Elle semble être alors encore entièrement dorée et les figures pourraient n’avoir été bronzées que pour être en conformité avec les bronzes plus modernes acquis pour le souverain. Notons que les Menus-Plaisirs avaient à nouveau traité les thèmes des deux pendules La Paix et l’Abondance, baromètre allégorique. Sculpture de J.-J. Lemaire. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Daniel Arnaudet mouvement à secondes, échappement à chevilles et sonnerie, cristal, cadran, éguilles, fond de la boite gravé avec soin et autres frais dépendant du mouvement, 1 200 livres 10 (réglé 1 000) ». Épargnée par le dauphin en 1772, la pendule du grand cabinet nécessita néanmoins l’année suivante les soins de Pinon qui, pour 36 livres, la répara et la remit en état, refai11 sant l’aiguille des secondes . Ici encore elle suivit Louis XVI, mais dans ses appartements intérieurs où elle donna l’heure dans la salle à manger aux salles neuves dite des porce- laines. Considérée comme étrangère au Garde-Meuble de la Couronne, elle ne fut pas inventoriée par cette administration avant 1791. Restée à Versailles, elle fut intégrée dans le grand récolement qui précéda les ventes révolutionnaires : « N° 1748 – une grande pendule ornée de cinq enfants avec corne d’abondance, massue d’armes et autres attributs de guerre, le tout doré d’or moulu, 12 6 000 livres ». La note « échangé » qui accompagne cette description révèle qu’elle échappa à la grande session de ventes versaillaises qui dispersa 17 182 lots entre le 25 août 1793 et le 11 août 1794. Le 13 décembre 1794 elle fit en effet partie des objets « qui sans être nécessaires à l’instruction, seront jugés propres aux échanges », sous le 2 Arch. nat., O1 3036, dossier 2, pièce 252. Il pourrait s’agir aussi d’une manifestation de curiosité technique car les mémoires d’horlogers témoignent de nombreuses réparations liées à des démontages intempestifs. 3 Arch. nat., O1 3510, O1 3329 f° 202. 4 Ibid. et O1 3371. 5 Ibid., O1 3089, dossier 4, pièce 35. Avant l’envoi aux Tuileries elle était entreposée chez Lamy Gouge horloger et valet de chambre du Roi (O1 3510). 6 Ibid., O1 3510. 7 A. Maze-Sencier, Le Livre des Collectionneurs, Paris 1885, pp. 276-277. G. Bapst, « Notes et souvenirs artistiques sur Marie-Antoinette », Gazette des Beaux-Arts, 1893-2, pp. 384-386. 8 P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris 1987, p. 460. 9 Je remercie Vincent Bastien de m’avoir signalé cette vente. 10 Arch. nat., O1 3029B. 11 Ibid., O1 3041, dossier 2, pièce 413. 12 Bibl. Hist. Ville de Paris, Manuscrit MS 796, f° 132 sq. Arch. Musée du Louvre, V3 (1e liasse), janvier 1795. 13 Arc. Dép. Yvelines, 2 Q 67. 14 Bibl. Municipale Versailles, Manuscrit 437, n° 14 de la Liste civile. 15 C. Baulez, « Le choix du citoyen Alcan », Drouot 1984-1985, pp. 149-151. 16 cat. expo. De Versailles à Paris. Le destin des collections royales, Centre culturel du Panthéon, mairie du Ve arrondissement de Paris, ouvrage collectif sous la direction de Jacques Charles-Gaffiot, 1989, n° 94, pp. 249-250. 17 I. Zek, « Bronzes d’ameublement et meubles français achetés par Paul Ier pour le château SaintMichel de Saint-Pétersbourg en 1798-1799 », Bulletin de la Société de l’Art français, 1994 (1995), pp. 142-143, 156, 158. FÉVRIER 2016 65 66 FÉVRIER 2016 LES ÉTUDES INÉDITES DE L’OBJET D’ART après le mariage, grâce à deux grands baromètres de Jean-Baptiste Torré, en bois sculpté 18 par Jean-Joseph Lemaire , l’un pour Louis XV, entrepris en 1772, l’autre pour le dauphin, commencé en 1773. LES BONNES FÉES DE L’HORLOGER CHARLES-ATHANASE PINON Charles-Athanase Pinon (1734-1815) est un horloger surtout documenté pour ses travaux et fournitures aux Menus-Plaisirs à l’intention de la famille royale à partir de 1765. Ses antécédents familiaux facilitèrent cette carrière officielle. Son père, Charles, avait été premier commis des Monnaies et des Médailles sous la direction de Nicolas Delaunay et sa première femme Marie Vernier avait tenu la maison de ce 19 directeur . Charles-Athanase eut pour marraine Suzanne Delaunay, l’épouse de JulesRobert de Cotte, intendant des Bâtiments du roi et directeur des Médailles. Sa mère, Marie-Marthe Gounod, seconde épouse de son père, était la fille d’Antoine Gounod, fourbisseur du roi. Quand Charles Gounod mourut en 1746, le subrogé tuteur de Charles-Athanase fut Jacques Courtin, pein20 tre ordinaire du roi , qui le mit aussitôt en apprentissage avec l’horloger FrançoisEdme Hardi, lequel transféra l’année suivante son brevet chez Eustache-François 21 Houblin . Sans qu’il eut besoin d’accéder à la maîtrise, sa mère lui acheta en 1760 la survivance de Charles Gamard, qui était valet de chambre horloger du roi pour le 22 quartier de janvier . Gamard lui céda le 14 mai 1761 le privilège de « pouvoir travailler et exercer librement l’horlogerie dans toute l’étendue du royaume ». Le 23 juin 1763 Gamard se démettait de sa charge en faveur de son survivancier qui exerça dès lors pleinement son quartier jusqu’en 1784, puis le Ci-contre. L’Alliance de la France et de l’Empire, baromètre allégorique au mariage du dauphin, futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Philipp Bernard À droite. Cartouche aux armes de la marquise de Pompadour. Gravure de W.-W. Ryland d’après François Boucher. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado 23 céda à Robert Robin . Charles-Athanase avait épousé le 15 juin 1765 Marie-Anne Simon, fille de Pierre-Denis Simon, huissier du Cabinet de la reine et ancien huissier ordinaire du roi. Louis XV signa au contrat, ainsi que ses trois petits-fils, Berry, Provence, Artois, le duc de La Vauguyon leur gouverneur, les ducs d’Aumont, de Richelieu et de Duras, tous trois, Premiers Gentilshommes de la Chambre, le comte de Saint-Florentin, ministre de la Maison du roi. Si les Simon pouvaient aligner de nombreux officiers au service du roi, les Pinon pouvaient se vanter de cousiner avec des fourbisseurs officiels, Gounod et Ravoisié ou encore avec des Dutrou et Sallior, réputés dans la 24 broderie et la tapisserie . Les années 1770-1775 furent pour Charles-Athanase des années glorieuses grâce à la fourniture de cette superbe horlogerie pour les mariages des princes en 1770, 1771, 1773, indépendamment de ses travaux pour Louis XV. On peut toutefois se demander si ces compétences n’étaient pas surtout théoriques car il ne brilla pas spécialement par ses qualités horlogères à l’inverse de son collègue Antoine Pelletier officiant pour le quartier de juillet depuis 1743, et qui signa le cadran de la pendule La Paix et l’Abondance. Les ambitions extra-horlogères de Pinon se manifestèrent à nouveau en janvier 1773 quand il acquit la survivance de la charge d’huissier des 25 ballets du roi . En 1774, 1776 et 1778, il réclama sans succès le droit à un logement aux Galeries du Louvre qu’avait eu Gounod son aïeul et après lui son cousin 26 germain . Ce triple échec l’amena à louer à Versailles une maison rue Saint-Médéric qui le mettait mieux à même d’exercer sa double charge d’huissier et de valet de cham27 bre-horloger . Plus tard il s’installa dans un bel immeuble, le « Pavillon Levesque » appartenant à son beau-père28 et qui existe encore au 10 rue d’Anjou. Il passa les années sombres de la Révolution 29 à Fontainebleau puis revint à Versailles. Il 30 mourut en 1815 . DES BRONZES EXCEPTIONNELS Les pendules livrées par Pinon brillaient davantage par la qualité de leurs boîtes de bronze. L’horloger ne cite jamais le nom de leurs auteurs. Exceptionnellement, pour la pendule La Paix et l’Abondance, il mentionne un « jeu d’enfants d’après un dessin du Sr Boucher ». Sans en avoir identifié la source exacte, on y retrouve bien l’esprit de cette « fricassée d’amours » que répandit François Boucher et dont quelques années plus tôt un exemple avait été gravé d’après ce maître pour un frontispice aux armes de madame de Pompadour. Un autre indice peut 18 C. Baulez, « Le grand baromètre du roi à Versailles », Revue du Louvre, 1990, pp. 91-93. 19 Arch. nat., M.C.N., LXX 244, constitution donation du 25.V.1714. 20 Ibid., CXVI 328, inventaire du 5.III.1746. 21 Ibid., XXXIV 561, 1.IX.1746 et XXXIV 567, 9.XI.1747. 22 Ibid., XCIV 297, convention du 1.IV.1760. 23 Ibid., O1 3095, 5e dossier, gages de 1785. 24 Ibid., M.C.N., XXVI 543. 25 Ibid., O1 120, f° 15. 26 Ibid., O1 1205, f° 111 ; O1 1207, f° 115 ; O1 2069, f° 160. 27 Ibid., M.C.N., III 1110, bail du 4.VI.1779. 28 J. Lagny, Versailles, ses rues, le quartier SaintLouis, Versailles 1990, p. 19. 29 Arch. nat., M.C.N., XII 685, achat du 4.III.1778. 30 cf. le dossier familial communiqué par M. Emmanuel Lourdelet et ses enfants que je remercie vivement. FÉVRIER 2016 67 Hannibal distribuant des anneaux aux chevaliers après la bataille de Cannes, pendule exécutée en 1773 pour le comte d’Artois à Versailles. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon ; dépôt du Mobilier national. © château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Marc Manaï être retrouvé grâce à la signature « Leroy fecit » qui figure sur le socle de la pendule que Pinon livra en 1773 pour le cabinet du comte d’Artois à Versailles et qui représente Hannibal distribuant des anneaux aux chevaliers après la bataille de Cannes. Cette signature a été interprétée comme étant celle du fondeur Edme Roy, souvent appelé Le Roy, qui était le fondeur de la pendule à L’Étude, dite à la Geoffrin, dont un exemplaire avait été livré par Lazare Duvaux en 1758 pour le duc de Bourgogne et peut-être un 31 second par Pinon au dauphin en 1770 . Cette collaboration pourrait néanmoins n’avoir pas été la règle et c’est en fait le nom de Jean-Louis Prieur qui s’impose comme dénominateur commun pour la majorité des boîtes des pendules de Pinon livrées au roi et à la famille royale. 68 FÉVRIER 2016 JEAN-LOUIS PRIEUR ET LE RENOUVEAU DE LA FIGURE NÉOCLASSIQUE Ce sculpteur, né fin 1731 ou début 1732 d’un père maître éventailliste, était aussi le neveu du maître ébéniste Joseph de SaintGermain, dont le fils, Jean-Joseph, fut un maître fondeur réputé et peut-être aussi son 32 maître . Par son mariage en 1756 avec Marguerite Levallois, J.-L. Prieur était devenu le beau-frère de Julien Levallois, un ciseleur, 33 et de Jacques Levallois, un sculpteur . Installé en 1758 rue Frépillon, il fit la même année, comme sculpteur, une première faillite dont les créanciers étaient surtout des artisans du métal, fondeurs, ciseleurs ou 34 doreurs . Réduit à travailler « au noir », il fut poursuivi en 1764 comme « sculpteurmodeleur sans qualité » par Quentin-Claude Pitoin et Nicolas-Joseph Maria alors Gardes 35 en charge de l’Académie de Saint-Luc . Il fut aussi un dessinateur très prolifique, comme en témoignent d’importants fonds de 36 dessins et de gravures , et s’illustra par les bronzes de son invention dont il surchargea le carrosse du Sacre de Louis XVI . Le souve37 nir de cette voiture fameuse , dépecée en 1794, a survécu grâce à la gravure qu’il en donna en 1783. D’autres projets se caractérisent par la permanence des mêmes groupes de figures et surtout d’amours qui étaient un domaine où Prieur excella et qu’il ne dédaignait pas de signer, à l’exemple de la 38 pendule à L’Étude conservée au Louvre . Prieur était sculpteur par formation première et avait été reçu dans cette spécialité en 39 1765 à l’Académie de Saint-Luc . Il fut reçu 40 maître fondeur le 13 juillet 1769 , mais dans ses publicités il se qualifiait surtout de « sculpteur et modeleur pour les ciseleurs », ce qui implique qu’il ne fondait pas lui-même et avait recours à des confrères spécialisés dans cette technique et dits « fondeurs fondants ». Il procédait de même pour la dorure. Le document le plus précis sur ses activités 41 parut en 1777 . Il devait faire à nouveau faillite le 13 juin 1778, entraînant dans sa débâcle une grande part de ses multiples sous-traitants 42 dans l’art du métal ainsi que des sculpteurs, des marbriers, des horlogers et des ébénistes. Réfugié dans l’enclos privilégié du Temple, il prit bientôt un nouveau départ pro- Carrosse du sacre de Louis XVI, exécuté en 1775 avec des bronzes de Louis Prieur « Sculpteur, Cizeleur et Doreur du Roi ». Gravure exécutée en 1783. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Droits réservés LES ÉTUDES INÉDITES DE L’OBJET D’ART fessionnel comme ornemaniste, tout en rappelant ses anciennes activités : « Le Sieur Prieur, sculpteur ciseleur et doreur du Roi (...) vient de graver à l’eau forte et dans un beau style la voiture du Sacre du Roi, dont les bronzes ont été exécutés d’après ses dessins, ainsi qu’une première suite de « Fleurons, de rinceaux et de dessus de 43 Portes » dans un genre tout nouveau... » . Cette suite de gravures connut effectivement un grand succès, auquel il faut probablement associer le nom de son fils JeanLouis, surtout passé à la postérité pour ses Tableaux de la Révolution française publiés de 1789 à 1792. Ce fils devait mourir guillotiné comme complice de Fouquier-Tinville, le 44 7 mai 1795 . Son père, qui lui survécut de peu, avait sollicité le 31 août 1794 un emploi de professeur dans une école nationale de dessin ou même un poste d’entretien des objets d’art du Muséum. À l’appui de sa demande il rappelait ses quarante-cinq ans d’études et ses travaux : « soit pour la sculpture, soit pour la ciselure (...), les immenses travaux que j’ai fait pour la Russie, l’Italie, la Pologne et l’Espagne (...) (du) choeur et de la grille de la cidevant cathédrale de Chartres que j’ai exécuté d’après mes dessins qui (...) ont passé pour des chefs-d’œuvre (...) la voiture du sacre du dernier de nos tyrans La perfection du 45 bronze est encore mon ouvrage (...) » . S’il est incontestable que Jean-Louis Prieur fut un des grands noms des arts décoratifs du néoclassicisme français, il convient néanmoins de relativiser son rôle dans la technique du métal et d’insister sur son activité de dessinateur, de modeleur et de sculpteur, participant au renouveau des décors figuristes qui succédèrent au triomphe du règne du végétal et du minéral. Il réussit tout spécialement dans le traitement des jeunes enfants bien potelés comme sujets ou supports d’allégories. REMERCIEMENTS J’ai plaisir à remercier Jean-Luc Augustin, Roland Bossard et Pascal Dauphin, Natalia Grigrovitcz, Sylvie Legrand-Rossi, la famille Lourdelet pour les portraits de Pinon et de son épouse, Hugo Pontoriero, Tamara Rappé, Tatiana Serpinskaya. 31 C. Baulez, « La pendule à la Geoffrin », L’Estampille-L’Objet d’Art, avril 1989, pp. 34-41. 32 J.-D. Augarde in The Dictionnary of Art, vol. XXV, 1996, pp. 577-578. 33 Arch. nat., M.C.N., XXVIII 348, contrat du 29.XI.1756. Cf. l’exposition « Dessiner et ciseler le bronze. JeanLouis Prieur 1732-1795 », Musée Nissim de Camondo, Paris octobre 2015-janvier 2016. Catalogue en ligne par Sylvie Legrand-Rossi, avec les contributions de Christian Baulez, Éric Thiriet, Marc Veriot, Przemplavo Watroba. 34 Ibid., XXXVIII 444, atermoiement du 30.VIII.1758. AD 75, D4 B6 , carton 19, dossier 914, faillite du 21.IX.1758. 35 Arch. nat., Y 10005B , p.v. du 17-18.VII.1764. 36 D. Guilmard, Les maîtres ornemanistes, 1880, pp. 256-258. L. Deshairs, Dessins originaux des Maîtres décorateurs. Bibliothèque des Arts Décoratifs. XVIIIe siècle. Fin du règne de Louis XV et règne de Louis XVI, s.d. S. Lorentz, Victor Louis et Varsovie, Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, janvier-mars 1958. 37 R. Wackernagel, La voiture du sacre de Louis XVI, un vestige retrouvé en Suisse, in D. Roche, Voitures, chevaux et attelages du XVIe au XIXe siècle, 2000, pp. 142-155. 38 D. Alcouffe et al., Les Bronzes d’ameublement du Louvre, Dijon 2004, pp. 137-138. 39 S. Ericksen, Early neoclassicism in France, Londres 1974, p. 217. Cet auteur se trompe en retirant à Prieur la faillite de 1758. 40 Arch. nat., Y 9331,n f° 94 v°. 41 Roze de Chantoiseau, Tablettes de la Renommée, 1777, f° 24. 42 Arch. nat., M.C.N., 333. Union des créanciers, 13.VI.1778. 43 Mercure de France, oct. 1783, n° 43, p. 190. 44 P. de Nolhac, Un artiste révolutionnaire. Les dessins de Jean-Louis Prieur (1789-1792), Revue de l’Art Ancien et Moderne, 1901, 2e partie, pp. 319-336. 45 C. Baulez, De Dugourc à Pernon, dans P. ArizzoliClémentel Les dossiers du Musée des Tissus/3, Lyon 1990-1991, p. 33. Le Réveil et l’Étude, pendule allégorique, mouvement de Joseph-Léonard Roque. Le bronze signé « Prieure sculpteur a Paris ». Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Les frères Chuzeville FÉVRIER 2016 69