Thème 2 Sociologie - Intégration, conflit, changement social 2.2 - La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social? A - Qu’est-ce qu’un conflit social? Un conflit social est un affrontement entre deux groupes sociaux, pour des intérêts divergents, qui veulent modifier le rapport de force en leur faveur. Le mouvement social se distingue par son emploi, d’une telle ampleur, susceptible de remettre en cause l’ordre social : revendication de grande ampleur. A.1 : Le conflit ne débouche pas nécessairement sur la mobilisation Deux types de conflits : - conflits latents (les individus n’ont pas tellement conscience de leur situation de dominé) - conflits manifestes (conscience collective, avec une organisation) Albert O. Hirschman Exit, Voice and Loyalty (1970) : le conflit ne débouche pas forcément à la mobilisation. L’individu a trois choix : - défection : les individus peuvent refuser de participer au conflit - loyauté : la norme sociale n’est pas remise en cause, elle va être jugée légitime - protestation : prise de parole, participation collective pour changer les normes (avec des associations, des démonstrations…ex: Gaypride) A.2 : Le paradoxe de l’action collective M. Olson Logique de l’action collective (1966) : les individus, rationnels, font un calcul coût-avantage Paradoxe: l’action collective a un coût, mais est bénéfique pour tous (sans forcément en payer le prix) —> l’individu a intérêt à s’abstenir de participer : comportement de passager clandestin Deux solutions : - la contrainte (ex: piquet de grève) - les incitations sélectives (où les bénéfices ne sont destinés que pour les participants) Un conflit social correspond à la manifestation d’un antagonisme entre des groupes sociaux aux intérêts matériels ou symboliques divergents qui veulent modifier le rapport de force en leur faveur. Il y a donc une dimension collective dans le conflit social. Le conflit peut être latent ou ouvert. Un conflit latent est un conflit caché, qui ne s’exprime pas. En effet, dans une situation de conflit, Albert O. Hirschman a montré que les individus avaient le choix entre : le refus de participer qu’il appelle la défection (exit) ; l’acceptation de la norme (fidélité) ; enfin une participation protestataire pour changer le système (voice), débouchant sur l’action collective. Cependant, Mancur Olson va faire apparaitre le paradoxe de l’action collective : elle ne peut pas avoir lieu même si les individus ont clairement conscience de leurs intérêts et sont mécontents de leur situation. En effet, dans une perspective individualiste, les individus se livrent à un calcul rationnel coût/avantage de l’action collective. Or, les acquis sociaux de l’action collective bénéficient à tous sans que l’on ait à en payer le prix. Les individus vont donc adopter le comportement du « passager clandestin » en attendant que les autres agissent à leur place. Cependant, Olson considère que des moyens peuvent être utilisés pour déclencher l’action collective : la contrainte ou l’incitation, en réservant les bénéfices de l’action collective à ceux qui font l’action. B - Le conflit est-il une pathologie sociale ? B.1 : Une forme pathologique de l’intégration sociale Emile Durkheim De la division du travail social (1893) : la lutte des classes part de la division du travail —> plus de sentiment d’action collective —> intérêts qui divergent => Pour Durkheim, les conflits sont à éviter, pour ça, l’Etat peut imposer des normes et valeurs communes B.2 : Le conflit comme défaut d’intégration et de régulation Conflit : signe qu’une société ne fonctionne pas bien Pour Durkheim : les conflits sont une forme pathologiques qui montre un défaut d’intégration et de régulation —> même idée chez les fonctionnalistes (qui pensent que chaque individu à une fonction dans la société, toute société est un système intégré dans laquelle chacun a une fonction qui contribue au maintien du système) Les conflits peuvent résulter d’un défaut d’intégration, mais à leur tour, ils peuvent renforcer ce défaut d’intégration (affaiblir le consensus social…) Excès de la division du travail : isolement, affrontement d’individus, de groupes sociaux… Les conflits peuvent produire de la régulation, comme par exemple Mai 68 : double conflit (les étudiants+les syndicats marxistes qui veulent le prolétariat en renversant le gouvernement —> accords Matignon) Les émeutes de banlieues sont davantage une forme d’anomie au sens pas suffisamment régulé, pas bien intégré, ou au sens de Merton, une divergence entre les buts que proposent la société et les moyens dont disposent les individus pour y arriver. B.3 : Le conflit social remplit une fonction d’intégration Le conflit peut : - être un facteur d’intégration sociale. Il peut créer l’identité d’un groupe. Pour Bourdieu l’identité d’un groupe se construit dans l’opposition (ex: les conflits ouvriers ont permis à la classe ouvrière de s’affirmer) - renforcer la cohésion du groupe, la solidarité, les liens sociaux (ex: sociabilité militaire renforcée par des fêtes, bals, manifestations…) - rapprocher des groupes qui sont en conflits entre eux —> le groupe risque de se dissoudre une fois ses adversaires vaincus Georg Simmel, Le conflit (1908) B.4 : L’institutionnalisation du conflit Institutionnalisation : mise en place de règles acceptées par les acteurs du conflit qui permet d’encadrer et de réguler les conflits. But : pacification du conflit Ralf Dahrendorf Classes et conflits de classe dans la société industrielle (1973) : pour lui, il y aurait une triple institutionnalisation : - des acteurs : reconnaissance des syndicats (1884 : loi Waldeck-Rousseau) qui deviennent des interlocuteurs légitimes, des partenaires sociaux - des formes que prend le conflit : autorisation d’un certain nombre d’actions collectives, puis encadrement - des objets : ce sur quoi porte le conflit Institutionnalisation sur le montant des salaires (le SMIC et son mécanisme d’indexation : on prévoit la façon dont il va augmenter), de la durée du travail (congés payés…), de la protection sociale, du fonction des syndicats et des conflits. Henri Mendras « L’ordre social est fondé sur des conflits résolus » Pour Emile Durkheim, le conflit social est une menace pour la cohésion sociale. Normalement, la division du travail social devrait produire de la solidarité. Mais, un excès de division du travail peut conduire, au contraire, à un défaut d’intégration et de régulation. Cette analyse a été prolongée par les fonctionnalistes américains comme Talcott Parsons. Ils ont une vision organique de la société constituée d’organes qui ont chacun une fonction. En reprenant la distinction de Durkheim entre le « normal » et le « pathologique », ils vont considérer que le conflit est une pathologie, c’est-à-dire une maladie qui peut remettre en cause le bon fonctionnement du corps social. Cette analyse peut être critiquée sur plusieurs points. Si le conflit social intervient de façon régulière, il devrait être classé comme un fait social « normal » et non comme une pathologie. Si le conflit est normal, il peut en revanche prendre des formes plus ou moins régulées. D’autre part, les conflits qui remettent en cause la société dans son fondement sont peu nombreux. Enfin, le conflit social peut être intégrateur. Cette approche du conflit est celle de Georg Simmel, et a été prolongé par des auteurs comme Lewis Coser : le conflit renforce l’identité du groupe. En effet, l’opposition avec un autre groupe social permet de mieux définir les traits caractéristiques du groupe et de mieux en délimiter les frontières. Le conflit renforce la cohésion et les liens sociaux au sein du groupe comme le montre la forte syndicalisation pendant le mouvement de 1936. Le sentiment d’appartenance des membres du groupe est renforcé. Les conflits se sont pacifiés et institutionnalisés en obéissant à des règles qui en organisent le fonctionnement. Les acteurs des conflits ont acquis une reconnaissance officielle, et sont associés à la gestion de la Sécurité Sociale. Un répertoire légitime d’actions collective s’est imposé. Enfin, l’objet des conflits s’est également institutionnalisé (droit du travail). Le conflit produit donc des règles et renforce donc l’ordre social. C - Quelle est la place du conflit dans le changement social ? C.1 : KARL MARX : la lutte des classes Changement social : transformation durable de l’organisation de la société, ou de sa culture (normes et valeurs) Les classes sociales se construisent par une position stratégique dans le processus de production Classes en soi ≠ Classes pour soi La lutte des classes est moteur de l’histoire : chaque époque a son conflit de classe dont on ne peut sortir qu’avec le conflit Relation intensité du conflit et obtention des droits (ex: 1936) Les syndicats ne sont plus révolutionnaires mais réformistes : les conflits n’ont plus pour but de renverser l’ordre social mais de créer un rapport de force favorable C.2 : Le conflit social est facteur de changement social Pour Alain Touraine, les conflits sont plutôt culturels. Les groupes en conflit cherchent à avoir le principe d’historicité. Le pouvoir n’est plus détenu par les propriétaires des moyens de production mais par les professions intellectuelles supérieures etc qui imposent leurs normes et valeurs. Selon Alain Touraine, un mouvement social consiste en la combinaison de 3 principes : - un principe d’identité (orientations communes au nom desquelles les acteurs se mobilisent) - un principe d’opposition (lutte contre d’autres acteurs qui sont porteurs d’orientations contraires) - un principe de totalité (la lutte vise des enjeux « sociétaux ») C.3 : Le mouvement féministe Ce mouvement correspond aux trois principes de Touraine. Il a induit une modification de nombreuses normes : droit de vote 1944, droit sur la parité 2000, avortement, contraception… Il a fait évoluer les valeurs : image de la femme qui a changé avec l’idée qu’elle puisse exercer toutes les professions, plus grande égalités dans le couple Les NMS (Nouveaux Mouvements Sociaux) sont bien porteurs de changements sociaux avec comme enjeu d’imposer leurs valeurs à la société. La réussite d’un mouvement social se mesure au résultat et par la récupération/domestication du mouvement. C.4 : Des conflits offensifs aux conflits défensifs Les conflits ont longtemps été offensifs (pour obtenir quelque chose), aujourd’hui, ils sont défensifs (pour défendre quelque chose). Depuis les années 80 : politiques libérales mettant en cause un certains nombre d’acquis pour restaurer la compétitivité des entreprises (mouvements défensifs qui portent sur la sphère du travail). Mouvements défensifs qui portent sur la sphère sociale, culturelle (ZAD: zone à défendre, manif pour tous… C.5 : Alain Juppé et la réforme des retraites/Les mouvements NIMBY Réforme sur les retraites : constat qu’il n’y a pas suffisamment d’actifs pour payer les retraites des babyboom + 10% de chômage solution : travailler plus longtemps (=cotiser +) 1995 : Juppé a tous les syndicats contre lui et 2millions de manifestants, il finit par renoncer. NIMBY : Not In My BackYard - mouvement qui s’est développé à partir des années 80 ex des salles de shoot à Gare du Nord Les conflits défensifs ne sont pas nouveaux (ex: révolte des CANUTS à Lyon en 1831) mais aujourd’hui, ils se multiplient. Le conflit est facteur de changement social, c’est à dire d’une transformation durable de l’organisation et/ ou de la culture d’une société. Selon la théorie du conflit élaborée par Marx, la lutte des classes est au coeur du changement social. Cependant, les conflits du travail se sont institutionnalisés et permettent l’amélioration de la condition ouvrière sans passer nécessairement par la révolution. Dans les années 1960, Alain Touraine montre quand dans les sociétés « post-industrielles » les conflits sont plus de nature culturelle que de nature matérielle et voient l’émergence de « NMS » qui cherchent à leurs propres valeurs à toute la société. Des entrepreneurs de moral (Becker) peuvent se mobiliser pour transformer les normes sociales, puis vont s’institutionnaliser une fois le combat terminé. Les évolutions récentes montrent que certains conflits défensifs visent plus particulièrement à s’opposer à des transformations sociales jugées défavorables ou peu souhaitables pa certains acteurs. Un certain nombre de conflits prennent pour enjeux la résistance au changement, en particulier lorsque ceux-ci s’incarnent dans la « modernisation » des entreprises ou de l’Etat, présentée comme « nécessaire » mais qui viendrait menacer le statut et l’identité conférés aux personnes par la société au travers du travail. Ou encore en opposition avec des évolutions sociétales jugées dangereuses (manif pour tous). Enfin, certains mouvements se battent au nom de la défense d’intérêts individuels (NIMBY) pour préserver un cadre de vie par exemple. D - Les mutations des conflits sociaux D.1 : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit » N. Sarkosy Désyndicalisation : baisse du taux de syndicalisation Chaque conflit réuni moins de grévistes, diminution du nombre de journées ind. non travaillées… Les grèves sont moins visible (loi sur le service minimum dans les transports) Raisons pour lesquelles il y a peu de mobilisation : - des avancés ont été obtenues pour les salariés - le cout marginal de l’action est plus important (grosse mobilisation pour un gain moindre) - déclin de l’industrie - tertiairisation - tendance à la moyennisation - hausse du chômage - crise de confiance dans les mouvements syndicaux qui n’ont pas su empêcher la hausse du chômage —> la grève n’est plus efficace Le taux de syndicalisation baisse lorsque le chômage augmente, donc plus on est stable dans l’emploi, plus le taux de syndicalisation augmente. Autrement dit : les salariés ne sont pas en position de force D.2 : Les conflits du travail changent de forme Diminution des grèves longues, mais de nouvelles formes de conflits se développent : - grèves courtes - débrayage : s’arrêter plusieurs fois par jour pour gêner la production - grève perlée : baisse volontaire de la productivité - travailler au ralenti - grève du zèle : excès de zèle qui va ralentir la productivité - refus des heures supplémentaires —> mutation des conflits du travail D.3 : Valeurs post-matérialistes et transformation des conflits Valeur post-matérialiste : distinction des besoins de base (pouvoir d’achat, logement…) et des besoins postmatérialistes (qualité de vie…) qui portent sur l’épanouissement personel. Ronald Inglehart : nouvelles revendications, nouvelles formes d’action qui se développent avec la hausse du niveau de vie, d’instruction. Une fois les besoins primaires satisfaits, on se tourne vers les secondaires. Il y a conflit quand il y a un décalage entre les actions et les aspirations de la société. D.4 : La démocratie protestataire Depuis les années 90 : reprise des conflits du travail Les conflits post-matérialistes sont davantage une diversification des conflits qu’une substitution. Les relations dans l’entreprise sont plus individualisés, du coup, les conflits aussi. —> individualisation des méthodes de management… le conflit est vécu de manière personnelle Le recours aux droits (Prud’hommes) arrive plus souvent dans les petites entreprises : car pas de syndicats en dessous de 50 salariés - l’individu est tout seul D.5 : L’émeute, un mode d’entrée en politique Principaux facteurs de l’émeute : population jeune avec fratrie de grande taille, zone urbaine, ségrégation sociale, immigration récente… Les enfants de ceux qui ont fait des émeutes n’entrent pas dans le même schéma : parcours d’intégration à travers l’emploi, l’école, la vie associative… Pour les immigrés récents qui n’ont pas accès aux codes de la société etc, l’émeute est le seul moyen d’expression. Il existe une grande diversité de mouvements sociaux. Le XIXe et le XXe siècle sont surtout marqués dans les pays industrialisés par le mouvement ouvrier et les conflits du travail, avec des revendications principalement matérialistes (revendication salariales, durée du travail…) Mais, dès la fin du XIXe siècle, d’autres mouvements apparaissent qui sont moins « matérialistes » et n’ont pas pour seul objectif un meilleur partage de la richesse créée. Ronald Inglehart souligne que les nouveaux mouvements sociaux apparus dans les années 1960 s’appuient davantage dus des valeurs « post-matérialistes ». Les conflits concerneraient moins la répartition des ressources, les revenus, les salaires ou le pouvoir que des questions liées à l’identité, à la reconnaissance ou aux « droits culturels ». Ceci résulte du développement, de la hausse du niveau d’éducation qui génère altruisme et solidarité (intérêt porté aux générations futures, par exemple), l’égalité hommes-femmes, le respect de l’environnement…Ils ne concernent pas seulement la classe ouvrière mais aussi les classes moyennes. La plupart ne reposent pas sur une identité de classe mais sur l’appartenance à d’autres groupes sociaux : les femmes, les minorités culturelles et ethniques, les exclus… Cependant, les revendications matérialistes sont loin d’avoir disparu et l’émergence des NMS n’a pas fait disparaitre les conflits du travail. Cependant il prennent plus fréquemment une forme individuelle du fait de nouvelles méthodes de management (individualisation des rémunérations…) Les formes des conflits auraient ainsi changé. On observe une baisse régulière des taux de syndicalisation ainsi qu’une baisse apparente des grèves et des nombre de grévistes dans la plupart des pays développés. Une des principales explications se trouve dans la croissance du chômage et du travail précaire qui a empêché une partie des salariés de se stabiliser dans l’entreprise et d’adhérer à un syndicat. Cependant, de nouvelles formes d’actions apparaissent (débrayages, conflits sans arrêts de travail, pétitions…). Enfin, la baisse des conflits du travail ne signifie pas nécessairement une amélioration des rapports dans les entreprises ou des conditions de travail, dans la mesure où les conflits peuvent ne pas s’exprimer sous une forme collective. Les mouvements sociaux apparus dans les années 1960, utilisent davantage des formes d’actions non conventionnelles : boycott, marches de protestation, grèves de la faim, sit-in, utilisation des réseaux sociaux et médiatiques… Cependant certains groupes faiblement intégrés ne disposant pas de relais politiques ou médiatiques pour faire faire valoir leur mécontentement, peuvent s’exprimer de façon violente (émeutes).