lepen4849 27/04/06 11:13 Page 40 48 S p é c i a l h ô p i t a l CLAUDE LE PEN «L’EXCEPTION DES MÉDICAMENTS HOSPITALIERS SEMBLE RÉVOLUE» Pour Claude Le Pen, économiste de la santé, la situation des médicaments innovants et coûteux reste confuse et la pratique des accords de bon usage des soins, s’appliquant désormais à l’hôpital, ne simplifie pas la régulation des systèmes. —————— Quels sont les effets attendus de la réforme sur le poste médicament à l’hôpital? > Il faut distinguer les médicaments « normaux » inclus dans le coût des groupes homogènes de séjours (GHS) et les médicaments innovants et coûteux, inscrits sur la fameuse liste « en sus » et financés en dehors des GHS. Les hôpitaux restent maîtres des achats et des négociations de prix pour les premiers et il est prévu de renforcer leurs capacités d’achat face à l’industrie. Dans ce cas, les médicaments sont en concurrence avec les autres moyens diagnostiques et thérapeutiques au sein d’un même GHS. Pour les médicaments hors T2A, la logique est différente. Ils sont inscrits sur une liste nationale gérée centralement et bénéficient d’une dotation budgétaire spécifique. Les médicaments innovants sont ainsi en concurrence les uns avec les autres. Sur le plan institutionnel, le CEPS entre à l’hôpital en négociant le prix plafond auquel ils seront vendus. Les volumes sont également régulés, par le biais notamment des accords de bon usage. La pratique de ces AcBUS, PHARMACEUTIQUES _ MAI 2006 longtemps limitée à la ville, s’applique désormais à l’hôpital. Ce sont des changements majeurs. Mais il n’existe pas pour le moment de réponse claire à la question : à quelles conditions un médicament sort-il de la liste « en sus » ? Avec ces deux modes de régulation, dont on ne sait comment ils vont communiquer, on appréhende mal à l’heure actuelle les conséquences sur l’industrie. Ce qui est certain, c’est que la situation d’exception des médicaments hospitaliers semble révolue. Le poste médicament occupe une part relativement faible dans les dépenses hospitalières, mais le gouvernement souhaite en réduire les coûts, alors que c’est un élément dynamique du marché du médicament. Pourtant, vous avez mis en évidence la contribution des médicaments aux progrès de la santé et à la diminution des frais d’hospitalisation. > Nous avons en effet montré que le médicament hospitalier innovant était un facteur de restructuration du système de santé avec deux effets complémentaires. D’une part, ils augmentent l’efficacité des soins et ils induisent de nouvelles activités, comme la greffe d’organe. D’autre part, ils permettent une sortie plus rapide des patients qui peuvent poursuivre en ville ou en consultation externe des traitements qui nécessitaient des hospitalisations longues et coûteuses. La séparation des modes de régulation entre la ville et l’hôpital ne permet pas à un médicament innovant de « capitaliser » pleinement les effets favorables sur l’organisation des soins. La solution de ce problème réside dans la coordination des modes de régulation en ville et à l’hôpital qui restent dominés par la logique des « silos », comme disent les anglo-saxons. La tarification à l’activité, l’intervention du CEPS et la pratique des AcBUS peuvent s’interpréter comme une pénétration – incomplète – des modes de régulation ambulatoire à l’hôpital. Pour le médicament, cela correspond à un renforcement des mécanismes de régulation publique, conformément d’ailleurs à une tendance mondiale : dans la pharmacie, contrairement aux transports ou aux télécoms, l’heure n’est pas à la dérégulation, même aux Etats-Unis ! lepen4849 27/04/06 11:13 Page 41 © PHANIE 49 Pour l’économiste Claude Le Pen, «La T2A est un principe sain ». La T2A se substitue au mode de financement par dotation globale des hôpitaux, établissant un lien direct entre activités médicales pratiquées et ressources allouées. Pourtant, depuis sa mise en place progressive, elle ne fait pas l’unanimité. Est-ce la bonne façon de procéder pour aller vers un financement transparent, simple et équitable ? > En théorie, la tarification à l’activité consiste à financer les hôpitaux par rapport à leurs activités. On tient compte des pathologies prises en charge et des différents coûts qui en découlent. C’est un principe sain et la T2A devient d’ailleurs le financement standard des hôpitaux dans les pays européens –démarrage en Allemagne, en place en Italie, en préparation en Grande-Bretagne – avec des listes de groupes homogènes de malades assez semblables d’un pays à l’autre. Ce changement permet de mieux suivre l’activité, de comparer les établissements, de développer des stratégies locales… La T2A est plus logique que le prix de journée qui était inflationniste et que le budget global qui est rationnant! Et en pratique ? > Il faut déterminer ces fameux tarifs nationaux par GHS. En France, nous avons opté pour un calcul basé sur les coûts passés et non sur les coûts protocolés. Cela risque de poser un problème pour le financement de l’innovation qui, par définition, n’est pas prise en compte dans l’historique. Par ailleurs, l’unicité du tarif entraîne des redistributions entre établissements qui n’ont pas les mêmes prix de revient. La mise en œuvre de la T2A bouleverse les modes de gestion traditionnels. Les hôpitaux retrouvent la pratique de la facturation, perdue lors de l’instauration de la dotation globale. Ils bénéficient en outre d’autres dotations budgétaires, notamment pour les Missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC), dont la diversité complexifie la gestion hospitalière. La T2A est un système plus performant mais plus délicat à mettre en œuvre et à gérer. On parle de maîtriser les dépenses hospitalières avec la T2A, alors que les trois quarts sont liés au personnel. Comment peut-on concilier baisse des dépenses hospitalières avec revalorisation salariale et augmentation des effectifs ? > Le fait que le personnel représente 70 % des coûts ne change rien à l’affaire. C’est le cas dans tous les pays ayant adopté la T2A. Mais il faut être clair : le but est de rendre le système plus efficient, et non de réduire les dépenses. Pour maîtriser la dépense, le budget global était plus efficace. Mais pendant des années, il a amené les établissements à sacrifier les dépenses d’investissement au profit des dépenses de fonctionnement. Le plan hôpital 2007 a aussi pour objectif d’enrayer cette tendance. Le plan hôpital souhaite harmoniser les tarifs entre public et privé. Jusqu’où est-il possible d’aller ? > Il est vrai que le privé est sensiblement moins cher que le public. Luimême l’explique par sa meilleure productivité tandis que le public invoque les charges liées au service public, telles que la permanence des soins, l’enseignement et la recherche… En théorie, ces charges devraient être couvertes par le budget MIGAC. En pratique, on constate que, malgré ce dernier, les coûts par pathologie ne peuvent être alignés. Peut-être ce budget est-il sous-dimensionné, il est en général plus élevé dans les autres pays européens. Mais l’historique des deux formes de structures, leur mode de fonctionnement, le statut du personnel… empêchent la convergence et l’application du principe : à soins égaux, financement égal. La logique de la T2A implique à terme que les conditions d’environnement soient harmonisées, mais cela risque de prendre un certain temps! L’harmonisation des tarifs passe donc par l’harmonisation des modes de gestion ? > Oui. La T2A est en cours d’installation pour le public alors que l’intégralité du privé l’a adoptée en 2005. Dans le public, la tâche d’adaptation est plus importante et les établissements doivent désormais apprendre à raisonner activité par activité et non plus globalement. Les problématiques de gestion devraient se rapprocher, avec sans doute une meilleure coopération entre les deux secteurs. La pratique de la T2A devrait conduire à une plus grande autonomie des établissements publics et à une gestion plus serrée de leurs ressources au niveau de chaque GHS. Mais ne risque-t-elle pas d’entraîner des dérives comme la sélection de malades pour éviter les plus lourds ? C’est ce que l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances ont pointé du doigt dans un rapport* de 2005. > Des effets pervers sont possibles avec la T2A comme avec tout autre système. Le choix de la classification du séjour est crucial de même qu’un établissement peut avoir intérêt à multiplier les séjours pour un même patient. C’est pourquoi des mécanismes de contrôle sont nécessaires. Mais la vraie solution réside dans la sincérité des tarifs et des MIGAC. La tutelle doit en permanence « piloter » le système pour éviter les distorsions entre GHS d’une part et entre soins et missions de service public d’autre part. Le système est contraignant pour tout le monde, y compris la tutelle.■ PROPOS RECUEILLIS PAR MÉLANIE MAZIÈRE * http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/ 064000004/0000.pdf MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES