l`exception des médicaments hospitaliers

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CLAUDE LE PEN
«L’EXCEPTION
DES MÉDICAMENTS
HOSPITALIERS
SEMBLE RÉVOLUE»
Pour Claude Le Pen, économiste de la santé,
la situation des médicaments innovants et coûteux
reste confuse et la pratique des accords de bon
usage des soins, s’appliquant désormais à l’hôpital,
ne simplifie pas la régulation des systèmes.
——————
Quels sont les effets attendus de la
réforme sur le poste médicament à
l’hôpital?
> Il faut distinguer les médicaments
« normaux » inclus dans le coût des
groupes homogènes de séjours
(GHS) et les médicaments innovants
et coûteux, inscrits sur la fameuse
liste « en sus » et financés en dehors
des GHS. Les hôpitaux restent
maîtres des achats et des négociations de prix pour les premiers et il
est prévu de renforcer leurs capacités
d’achat face à l’industrie. Dans ce cas,
les médicaments sont en concurrence avec les autres moyens diagnostiques et thérapeutiques au sein
d’un même GHS.
Pour les médicaments hors T2A, la
logique est différente. Ils sont inscrits
sur une liste nationale gérée centralement et bénéficient d’une dotation
budgétaire spécifique. Les médicaments innovants sont ainsi en
concurrence les uns avec les autres.
Sur le plan institutionnel, le CEPS
entre à l’hôpital en négociant le prix
plafond auquel ils seront vendus. Les
volumes sont également régulés, par
le biais notamment des accords de
bon usage. La pratique de ces AcBUS,
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2006
longtemps limitée à la ville, s’applique désormais à l’hôpital. Ce sont
des changements majeurs. Mais il
n’existe pas pour le moment de réponse claire à la question : à quelles
conditions un médicament sort-il de
la liste « en sus » ? Avec ces deux
modes de régulation, dont on ne sait
comment ils vont communiquer, on
appréhende mal à l’heure actuelle les
conséquences sur l’industrie. Ce qui
est certain, c’est que la situation d’exception des médicaments hospitaliers semble révolue.
Le poste médicament occupe une
part relativement faible dans les
dépenses hospitalières, mais le
gouvernement souhaite en réduire
les coûts, alors que c’est un
élément dynamique du marché du
médicament. Pourtant, vous avez
mis en évidence la contribution des
médicaments aux progrès de la
santé et à la diminution des frais
d’hospitalisation.
> Nous avons en effet montré que le
médicament hospitalier innovant
était un facteur de restructuration du
système de santé avec deux effets
complémentaires. D’une part, ils
augmentent l’efficacité des soins et
ils induisent de nouvelles activités,
comme la greffe d’organe. D’autre
part, ils permettent une sortie plus
rapide des patients qui peuvent
poursuivre en ville ou en consultation externe des traitements qui nécessitaient des hospitalisations
longues et coûteuses. La séparation
des modes de régulation entre la ville
et l’hôpital ne permet pas à un médicament innovant de « capitaliser »
pleinement les effets favorables sur
l’organisation des soins. La solution
de ce problème réside dans la coordination des modes de régulation en
ville et à l’hôpital qui restent dominés
par la logique des « silos », comme disent les anglo-saxons. La tarification
à l’activité, l’intervention du CEPS et
la pratique des AcBUS peuvent s’interpréter comme une pénétration
– incomplète – des modes de régulation ambulatoire à l’hôpital. Pour le
médicament, cela correspond à un
renforcement des mécanismes de régulation publique, conformément
d’ailleurs à une tendance mondiale :
dans la pharmacie, contrairement
aux transports ou aux télécoms,
l’heure n’est pas à la dérégulation,
même aux Etats-Unis !
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Pour
l’économiste
Claude Le Pen,
«La T2A est un
principe sain ».
La T2A se substitue au mode de
financement par dotation globale
des hôpitaux, établissant un lien
direct entre activités médicales
pratiquées et ressources allouées.
Pourtant, depuis sa mise en place
progressive, elle ne fait pas
l’unanimité. Est-ce la bonne façon de
procéder pour aller vers un
financement transparent, simple
et équitable ?
> En théorie, la tarification à l’activité
consiste à financer les hôpitaux par
rapport à leurs activités. On tient
compte des pathologies prises en charge et des différents coûts qui en découlent. C’est un principe sain et la T2A
devient d’ailleurs le financement standard des hôpitaux dans les pays
européens –démarrage en Allemagne,
en place en Italie, en préparation en
Grande-Bretagne – avec des listes de
groupes homogènes de malades assez
semblables d’un pays à l’autre. Ce
changement permet de mieux suivre
l’activité, de comparer les établissements, de développer des stratégies
locales… La T2A est plus logique que le
prix de journée qui était inflationniste
et que le budget global qui est
rationnant!
Et en pratique ?
> Il faut déterminer ces fameux tarifs
nationaux par GHS. En France, nous
avons opté pour un calcul basé sur
les coûts passés et non sur les coûts
protocolés. Cela risque de poser un
problème pour le financement de l’innovation qui, par définition, n’est pas
prise en compte dans l’historique. Par
ailleurs, l’unicité du tarif entraîne des
redistributions entre établissements
qui n’ont pas les mêmes prix de revient. La mise en œuvre de la T2A
bouleverse les modes de gestion traditionnels. Les hôpitaux retrouvent la
pratique de la facturation, perdue lors
de l’instauration de la dotation globale. Ils bénéficient en outre d’autres
dotations budgétaires, notamment
pour les Missions d’intérêt général
et d’aide à la contractualisation
(MIGAC), dont la diversité complexifie la gestion hospitalière. La T2A est
un système plus performant mais plus
délicat à mettre en œuvre et à gérer.
On parle de maîtriser les dépenses
hospitalières avec la T2A, alors
que les trois quarts sont liés au
personnel. Comment peut-on
concilier baisse des dépenses
hospitalières avec revalorisation
salariale et augmentation des
effectifs ?
> Le fait que le personnel représente
70 % des coûts ne change rien à l’affaire. C’est le cas dans tous les pays
ayant adopté la T2A. Mais il faut être
clair : le but est de rendre le système
plus efficient, et non de réduire les dépenses. Pour maîtriser la dépense, le
budget global était plus efficace. Mais
pendant des années, il a amené les
établissements à sacrifier les dépenses
d’investissement au profit des dépenses de fonctionnement. Le plan
hôpital 2007 a aussi pour objectif
d’enrayer cette tendance.
Le plan hôpital souhaite harmoniser
les tarifs entre public et privé.
Jusqu’où est-il possible d’aller ?
> Il est vrai que le privé est sensiblement moins cher que le public. Luimême l’explique par sa meilleure productivité tandis que le public invoque
les charges liées au service public,
telles que la permanence des soins,
l’enseignement et la recherche… En
théorie, ces charges devraient être
couvertes par le budget MIGAC. En
pratique, on constate que, malgré ce
dernier, les coûts par pathologie ne
peuvent être alignés. Peut-être ce budget est-il sous-dimensionné, il est en
général plus élevé dans les autres pays
européens. Mais l’historique des deux
formes de structures, leur mode de
fonctionnement, le statut du personnel… empêchent la convergence et
l’application du principe : à soins
égaux, financement égal. La logique
de la T2A implique à terme que les
conditions d’environnement soient
harmonisées, mais cela risque de
prendre un certain temps!
L’harmonisation des tarifs passe
donc par l’harmonisation des modes
de gestion ?
> Oui. La T2A est en cours d’installation pour le public alors que l’intégralité du privé l’a adoptée en 2005.
Dans le public, la tâche d’adaptation
est plus importante et les établissements doivent désormais apprendre à
raisonner activité par activité et non
plus globalement. Les problématiques de gestion devraient se rapprocher, avec sans doute une meilleure
coopération entre les deux secteurs.
La pratique de la T2A devrait conduire
à une plus grande autonomie des établissements publics et à une gestion
plus serrée de leurs ressources au
niveau de chaque GHS.
Mais ne risque-t-elle pas
d’entraîner des dérives comme
la sélection de malades pour éviter
les plus lourds ? C’est ce que
l’inspection générale des affaires
sociales et l’inspection générale des
finances ont pointé du doigt dans
un rapport* de 2005.
> Des effets pervers sont possibles
avec la T2A comme avec tout autre
système. Le choix de la classification
du séjour est crucial de même qu’un
établissement peut avoir intérêt à
multiplier les séjours pour un même
patient. C’est pourquoi des mécanismes de contrôle sont nécessaires.
Mais la vraie solution réside dans la
sincérité des tarifs et des MIGAC. La
tutelle doit en permanence « piloter »
le système pour éviter les distorsions
entre GHS d’une part et entre soins et
missions de service public d’autre
part. Le système est contraignant pour
tout le monde, y compris la tutelle.■
PROPOS RECUEILLIS
PAR MÉLANIE MAZIÈRE
*
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/
064000004/0000.pdf
MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES
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