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The Altruism Equation. Seven Scientists
Search for the Origins of Goodness
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Cyrille piateCki
Responsable du laboratoire d’économie de l’université d’Orléans
Mais pourquoi vais-je vous aider ? C’est à cette question que Lee Alan Dugatkin a
consacré son livre, The Altruism Equation,qui retrace la vie et la pensée de sept
chercheurs –Charles Darwin, Thomas Huxley,Petr Kropotkine,Warder Clyde Allee,
John Burdon Sanderson Haldane,William Donald Hamilton et George Price – dont
les contributions ont participé à notre compréhension des origines et des causes de
l’altruisme.
Parler d’altruisme ici peut paraître surprenant tant le changement de point
de vue par rapport à ma précédente recension1semble important.
Le fil conducteur du livre de Dugatkin est simple:Darwin retardait la
publicationdeL’Origine des espèces2parce qu’ilavait conscience que souvre était un
démenti flagrant de toutes les convictions de l’époque,mais aussi parce qu’ellen’expli-
quait pas le comportement des insectes sociaux comme les abeilles, dont une grande
partie des membres sont prêts àsesacrifier pour la survie du groupe –n’oublions pas
1. «LaViee des poissons rouges », Sociétal, n°63.
2. Les premières notes de Darwin sur la théorie de l’évolution datent de la publication de son journal de voyage, en
1845, qui fut un succès public. Mais ce n’est qu’après avoir reçu une lettre d’AlfredRussel Wallace, qui arrivait aux
mêmes conclusions que celles qu’il avait conçues, qu’il se décida à publier L’Origine des espèces en novembre 1859.
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qu’étantdonl’ancienneté du rapport entretenu par l’homme avec les abeilles au
travers de l’apiculture, cet animal était et est encoreleplus étudié depuis les temps
les plus éloignés. Une des questions sur lesquelles achoppait la théorie darwinienne
concernait l’altruisme.SiDarwin avait une ponse àlaquestiondesavoir pourquoi
les travailleuses stériles aidaient les reines àsereproduire–aider des individus très
proches du point de vue nétique àsereproduirepeut favoriser la survie de la classe
des individus qui ne peuvent se reproduire–,l’altruisme,l’entraide entreindividus qui
ne partagent aucun patrimoine nétique,restait une énigme àlaquelle la théorie de
l’évolutionsedevait d’apporter une ponse claire, sous peine de se retrouver rangée sur
les étagères au rayondes théories iconoclastes sans intérêt.
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En 1888, Thomas Huxley, montant au créneau pour défendre la théorie à laquelle
il adhérait corps et âme,avança l’argument selon lequel l’altruisme était un phéno-
mène rare et qu’il ne pouvait se produire que dans la parentèle.Huxley avait été pro-
fondément convaincu par l’argument de Malthus qui prétendait que l’accroissement
exponentiel des populations ne pouvait aboutir qu’à des ressources de plus en plus
rares et à un ritable combat pour la survie.
Cet argument rentrait en contradiction complète avec les convictions acquises dans
l’observation de la vie des steppes par le prince Petr Kropotkine.Ce dernier venait
de s’installerenAngleterre,après avoir fui la déportationenSibérie àlaquelle il
avait été condamné par la justice du tsar pour anarchisme.Kropotkine n’en avait pas
après Darwin lui-même,mais après ses vulgarisateurs, au premier rang desquels se
trouvait Huxley. Il leur reprochait d’avoir convaincu les hommes que le dernier mot
de la science concluait à une lutte sans pitié entre les êtres vivants.
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Àvrai dire, entre Darwin et ses prosélytes, d’une part, et Kropotkine,del’autre, les
différences venaient principalement des territoires sur lesquels ils avaient alisé leurs
principales observations. Darwin, lors de son voyage sur le Beagle,s’était essentielle-
ment penché sur l’Amérique du Sud et, par ailleurs, ne connaissait très intimement
que la flore et la faune de l’Angleterre et de l’Europe occidentale ;laformation de
biologiste de Kropotkine l’avait conduit, lui, à observer surtout la vie sibérienne.Or,
dans un environnement défavorable,Kropotkine observait que « l’aide et la tolérance
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mutuelles étaient développées de manière si intensive qu’il [lui] en arrivait de penser
qu’elles constituaient des éléments de première importance pour la survie et l’évo-
lution de chaque espèce ». L’essentiel des observations qu’il avait pu aliser dans ce
milieu conduisait à futer la position d’Huxley:non seulement la coopération était
omniprésente,mais elle dépassait largement le cadre étroit de la parentèle.
Une fois les observations de Kropotkine admises,leflambeau de la croyance en un
altruismeetune coopération gisantaucœurdes comportements sociaux des humains
et desnon-humains futrepris par Warder ClydeAllee –qui était quaker,cequi l’inci-
tait àrechercherlebienenl’homme.Ilseconsacraàl’étudeducomportement social,
et particulièrement au problème de l’aggation des animaux en groupe–comme les
bancs de poissons –qui de manièrvidente semble plus néfaste que bienfaisante.
Apsdenombreuses expérimentations, il putdémontrer qu’au-delàd’unseuil de sous-
populationetendàd’un seuil de surpopulation,legroupe accroît la durée de vie,la
protectioncontreles prédateurs, la conservationdelachaleur,les taux de reproduction,
tout celaindépendamment des liens parentaux pouvant exister entre individus.
Alors que ses premiers travaux se concentraient sur les avantages de se regrouper du
point de vue de l’écologie du corps, l’arrivée de Sewall Wright à la faculté de zoologie
de l’université de Chicago, il étudia et professa, le fit peu à peu adopter une pers-
pective évolutionniste.Les théories de Wright, bien que très mathématisées, peuvent
être sumées comme suit :même si certains organismes doivent payer un certain
coût pour leur coopération, ce type de comportement peut malgré tout évoluer si
des groupes incluant un grand nombre de coopérateurs non liés nétiquement sont
plus efficaces que des groupes qui en incluent un nombre plus petit. Mais, dans ce
cas, la sélection naturelle va jouer à deux niveaux. Le premier niveau concerne l’inté-
rieur des groupes :parce que les égoïstes y exploitent les altruistes, ils sont favorisés
dans le groupe – ils bénéficient d’un service à coût nul. Le second niveau joue en
sens contraire entre groupes :les groupes incluant plus de coopérateurs se protègent
mieux à tous les niveaux que les groupes qui en incluent moins.
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Dans ce panthéondes chercheurs qui nous conduisirent vers l’équationdel’al-
truisme,on doit aussi s’arrêter sur John Burdon Sanderson Haldane qui fut, toutes
nérations confondues, l’un des esprit les plus universels, pouvant écrire des modè-
les mathématiques complexes et l’instant suivant citer Dante dans le texte,l’Ancien
testament en hébreu ou des épopées digées en sanskrit.
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Haldane acquit la notoriété –qui fit de lui un des piliers de la théorie de la bio-
logie –enpubliant dix articles mathématisant les débats sous le titregénérique
AMathematical Theory of Natural and Artificial Selection et en les déclinant selon une
vaste palette de conditions environnementales – structures de population, systèmes
nétiques, etc. L’importance du travail d’Haldane provient du fait que dans les
années 1920-1930 un grand débat agitait furieusement le milieu des biologistes :
soit on était du côté des scientifiques qui prétendaient que l’évolution était organisée
par la sélection naturelle qui agissait lentement et méthodiquement, soit on défen-
dait avec les mendéliens3la position selon laquelle elle agissait par sauts brutaux sur
des échelles importantes.
Si,initialement, il était impossible de distinguer laquelle des deux approches avait
été suivie par la nature, au fur et à mesure que les données s’accumulaient, la balance
penchait de plus en plus en faveur de la sélection naturelle.
Malencontreusement, jusqu’aux contributions d’Haldane,iln’y avait aucune théorie
mathématique capable d’expliquer comment pouvait opérer un processus aussi lent
que celui conçu par les théoriciens de la sélection naturelle.C’est à cette occasion
qu’il intervint dans le débat sur les causes de l’altruisme.L’argument d’Haldane peut
être exposé comme suit :supposons que vous possédiez le ne de l’altruisme.Alors,
il y a une chance sur deux que vous l’ayez légué à votre enfant. En revanche,votre
neveu ou nièce – le fils ou la fille de votre frère ou de votre sœur – n’a qu’une chance
sur quatre de posséder ce ne dans la mesure où votre frère ou sœur n’a qu’une
chance sur deux de l’avoir et une chance sur deux de le transmettre à son enfant.
Supposons qu’onvous appelle pour sauver un enfant de votre famille dans des cir-
constances telles que vous ayez une chance sur cent d’y perdre la vie et que cette
circonstance se reproduise dix fois de suite pour des enfants différents. En moyenne,
vous échangerez donc la perte d’un ne contre la survie de cinq nes si ces enfants
sont vos enfants et la survie de deux nes et demi si cet enfant est le fils de votre
frère ou de votre sœur.Par conséquent, sauver vos enfants procure à votre ne un
gain net de quatre et sauver les enfants de votre frère ou de votre sœur lui procure
un gain net de un et demi. Si vous ne savez pas de qui il s’agit, votre gain net est de
deux. Ces gains étant positifs, Haldane démontre qu’il est intéressant de sacrifier sa
vie pour les personnes avec lesquelles le patrimoine nétique partagé est proche.
Mais Haldane ne s’intéressa pas à construire une équation qui permette de calcu-
ler la balance coût-bénéfice.Il ne chercha pas non plus à comprendre comment la
sélection naturelle agit de manière à maximiser les gles de distribution des actes
d’altruisme entre parents.
3. Quiseclament de la théorie de l’hérédité développée par Gregor Mendel.
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Lesderniers pas qui devaient êtrefranchis pour obtenir une visionclairedela
manière dont l’évolution permet à des comportements altruistes de se développer
et de se maintenirlefurent par William Donald Hamiltonqui, dès 1963, posait
la question de savoir pourquoi certains animaux promeuvent les avantages d’autres
membres de la même espèce qui ne leur sont pas directement liés par un rapport de
parentèle.
Supposons qu’il existe deux nes, l’un qui code pour l’altruisme,et le second qui
ne le fait pas. Comme le premier fait subir un coût à l’individu qui le possède et un
bénéfice pour celui qui ne le possède pas, les modèles standards développés jusque-là
ne permettaient pas de comprendre comment un tel ne peut se développer puis-
que le ne qui n’encode pas l’altruisme possède un avantage sélectif sur le ne qui
l’encode et devrait donc conduire à la disparition du premier.L’idée d’Hamilton est
très simple :le bénéfice de l’action altruiste pour l’altruiste est d’autant plus ampli-
fié que le lien de parenté est proche,alors que le coût est invariant avec le lien de
parenté.L’action altruiste sera donc entreprise si le bénéfice après amplification est
plus important que le coût.
L’avantagedecette équationest qu’ellerésume de manièretlémentaireles
concepts introduits par tous ses prédécesseurs. Malgré l’immense talent en biologie
d’Hamilton, sa notoriété se fit attendre parce qu’il ne s’intéressa à sa carrière que tar-
divement, mais aussi parce que la publication de son article fut retardée par un autre
biologiste qui était au courant de ses recherches et travaillait sur le même champ :
John Maynard-Smith.
Les portraits de ces grands scientifiques ayant participé à la compréhension de l’al-
truisme sont brossés par Dugatkin de manière très vivante.Ils nous montrent à quel
point l’altruisme a été pour la science difficile à appréhender.
Le livre et son auteur
Lee Alan Dugatkin : The Altruism Equation. Seven Scientists Search for the Origins of
Goodness,Princeton University Press, 2006, 224 pages.
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