LA SÉLECTION DE PARENTÈLE A) Introduction : la sélection naturelle

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LA SÉLECTION DE PARENTÈLE
A) Introduction : la sélection naturelle et l'altruisme.
1) Les principes de la sélection naturelle.
Le 24 novembre 1859, Charles Darwin publie « De l'origine des espèces au moyen de la sélection
naturelle ou la conservation des espèces dans la lutte pour la survie ». Cette publication est une
véritable révolution scientifique.
Darwin arrive à 2 constats majeurs :
•
la notion d'évolution des espèces au cours du temps : les individus des espèces actuelles sont
issus d'individus d'espèces ancestrales par un mécanisme de descendance avec modifications
•
la notion de sélection naturelle qui est un mécanisme responsable de l'évolution des
espèces : parmi une population de variant, l'environnement élimine les moins « aptes » et
donc maintient les plus « aptes ».
→ La sélection naturelle a pour résultat : l'évolution adaptative = accumulation de caractères
héréditaires favorisant l'aptitude des organismes à survivre et à se reproduire dans certains
environnements.
a) Évolution des espèces.
Darwin n'est pas le premier à mentionner que les espèces puissent évoluer au cours du temps.
Lamarck proposa en 1809 (année de naissance de Darwin) que les espèces pouvaient évoluer au
cours du temps via un mécanisme d'hérédité des caractères acquis : les espèces se transforment
progressivement sous l'action du milieu en transmettant à leur descendance les caractères acquis
durant leur vie.
Darwin rejeta ce mécanisme d'hérédité des caractères acquis au profit de la sélection naturelle.
Néanmoins Darwin pensait que la variation dans une population venait de la transmission héréditaire des caractères acquis … ce qui est bien sur faux.
b) La sélection naturelle.
Cette idée de sélection naturelle ou de « lutte pour l'existence » lui serait venu en lisant un ouvrage
de l'économiste Thomas Malthus (1798). Mathus affirmait que la majorité des souffrances de
l'humain (maladies, guerres, famines etc …) découlaient directement de cette tendance des humains
à croître plus rapidement que les ressources disponibles.
→ Selon Darwin, cette capacité à se reproduire à l'excès par rapport aux ressources du milieu, est
caractéristiques de tous les organismes vivants.
Cet excès oblige obligatoirement à une compétition entre les individus pour avoir accès aux
ressources du milieu. Ainsi, à chaque génération, les facteurs environnementaux vont jouer le rôle
de « filtre » en éliminant les variants les moins aptes.
→ La sélection naturelle : un environnement va sélectionner au cours du temps les populations les
plus aptes à la survie et à la reproduction pour cet environnement donné.
D'un point de vue comportementale, la sélection naturelle va donc sélectionner les comportements
visant à favoriser le succès de survie et de reproduction individuel = les comportements
« égoïstes ».
2) Problèmes de l'altruisme dans le cadre de la sélection naturelle.
a) Comportement altruiste.
L'apparition du mode de vie sociale, remplaçant le mode de vie solitaire, est une transition majeure
au cours de l'évolution. Le mode vie sociale se caractérise par la présence d'une coopération entre
les individus d'une même société. Cette coopération peut être de 2 sortes :
•
« l'entre-aide » : actions à bénéfices réciproques. Exemple : capture collective de proies.
•
l'altruisme : action à bénéfices non réciproques. Exemple : les abeilles qui meurent après
avoir piquées l'agresseur afin de défendre la colonie.
Un cas particulier d'altruisme : l'altruisme de reproduction. Dans les sociétés les plus « complexes »
(= eusocialité), il existe 2 sortes d'individus :
•
les individus fertiles : individus présentant des organes reproducteurs fonctionnels, et dont le
rôle est de se reproduire et de « produire » la génération suivante.
•
les individus stériles : individus présentant une atrophie partielle ou complète des organes
reproducteurs, et dont le rôle dans la société et de s'occuper des individus fertiles et de leur
descendance (protection, nutrition etc ...).
→ Exemple des fourmis : ouvrières = ♀ stériles, reine = ♀ fertile.
Ainsi l'altruisme de reproduction correspond à des comportements visant à augmenter le succès de
survie et de reproduction du bénéficiaire, et de diminuer le succès de survie et de reproduction de
l'altruiste.
b) Altruisme de reproduction et sélection naturelle.
Si la sélection naturelle sélectionne les comportements visant à favoriser le succès de survie et de
reproduction individuel = les comportements « égoïstes », comment expliquer :
•
l'existence de comportements altruistes visant à sacrifier son propre développement, sa
propre descendance et sa propre existence au profit d'autres individus.
•
qu'il ait été sélectionné et maintenu au cours de de l'évolution des individus stériles.
L'altruisme de reproduction est tout à fait le type de comportement qui devrait pas être maintenus
par sélection naturelle : le succès de survie et de reproduction des altruiste étant inférieur à celui des
bénéficiaires, la fréquence des individus altruistes dans un population devrait diminuer jusqu'à
devenir nulle.
Darwin était tout à fait conscient de ce problème, il le mentionne dans « De l'origine des espèces au
moyen de la sélection naturelle ou la conservation des espèces dans la lutte pour la survie »:
Version française (P.298) :
« On pourrait, sans aucun doute, opposer à la théorie de la sélection naturelle un grand nombre
d'instincts qu'il est très difficile d'expliquer […] je m'entendrai à une difficulté toute spéciale, qui
au premier abord, me parut assez insurmontable pour renverser ma théorie. Je veux parler des
neutres ou femelles stériles des communautés d'insectes ».
Version originale (P.257) :
« No doubt many instincts of very difficult explanation could be opposed to the theory of natural
selection [...] I will confine myself to one special difficulty, which at first appeared to me
insuperable, and actually fatal to my whole theory. I allude to the neuters or sterile females in
insect communities »
B) La kin selection = la sélection de parentèle.
1) Darwin : la sélection familiale.
Pour expliquer la stérilité des ouvrières, Darwin propose dans « De l'origine des espèces au moyen
de la sélection naturelle ou la conservation des espèces dans la lutte pour la survie », l'existence
d'une « sélection familiale » ou « sélection de groupe » : la sélection naturelle va agir sur la famille
et non sur l'individu.
Version française (P.301) (édition Flammarion) :
« Insurmontable, au premier abord, cette difficulté s'amoindrit et disparaît même, si l'on se rappelle
que la sélection s'applique à la famille aussi bien qu'à l'individu […] de légères modification de
structure ou d'instinct, en corrélation avec la stérilité de certains membres de la colonie, se sont
trouvées être avantageuses à celle-çi; en conséquence, les mâles et les femelles fécondes ont
prospéré et transmis à leur progéniture féconde la même tendance à produire des membres stériles
présentant les mêmes modifications. »
Version originale (P.259) :
« This difficulty, though appearing insuperable, is lessened, or, as I believe, disappears, when it is
remembered that selection may be applied to the family, as well as the individual […] a s1ight
modification of structure, or instinct, correlated with the sterile condition of certain members of the
community, has been advantageous to the community: consequently the fertile males and females of
the same community flourished, and trasmitted to their fertile offspring a tendency to produce
sterile members having the same modification. »
Selon Darwin le sacrifice des ouvrières stériles devait profiter à l'ensemble de la communauté, ce
qui devait conférer un avantage par rapport aux animaux solitaires. Raison pour laquelle ces
ouvrières stériles étaient maintenues au cours de l'évolution.
→ Dans ce cas, la sélection naturelle n'agit pas sur les individus, mais sur la communauté.
Néanmoins :
•
absence de modèle mathématique capable de l'expliquer cette sélection de groupe.
•
Sewall Wright (1948) démontre qu'un avantage conféré à groupe n'empêche pas la sélection
intra-spécifique.
•
Fisher rejete dans « The genetical theory of natural selection » (1958) (2ème édition, P.49)
une explication basée sur le bénéfice de l'espèce.
2) Haldane : ébauche de la sélection de parentèle.
Dans « The causes of evolution » (1932), Haldane démontre mathématiquement que :
•
la fitness d'un groupe augmente avec le nombre d'individus altruiste.
•
il peut y avoir une propagation d'un gène de l'altruisme à condition que la fréquence du gène
de départ soit assez élevée et l'inconvénient individuel assez bas par rapport à l'avantage
conféré au groupe.
Haldane conclut que que l'altruisme pourrait se fixer dans les populations suffisamment divisées en
«tribus» pour le mutant altruiste puisse se rapprocher de la fréquence critique pour se fixer.
3) Hamilton : développement de la sélection de parentèle.
a) Sélection parentèle.
La véritable révolution apportée par Hamilton porte sur 2 points :
•
réfléchir en terme de « gènes » et non d'individus ou de groupe : la sélection naturelle
s'exerce sur les gènes. Cette idée lui vient de sa fréquentation avec Richard Dawkins, auteur
de la théorie selon laquelle les organismes vivant ne serait que des enveloppes charnelles
manipulés par leurs gènes.
•
réfléchir en terme de lien de parenté : pourcentage de génome partagé entre l'altruiste et le
bénéficiaire.
« As a simple but admittedly crude model we may imagine a pair of genes g and G such that G
tends to cause some kind of altruistic behavior while g is null. Despite the principle of survival of
the fittest the ultimate criterion which detetmines whether G will spread is not whether the behavior
is to the benefit of the behaver but whether it is to the benefit of the gene G […] With altruism this
will happen only if the affected individual is a relative of the altruist, therefore having an increased
chance of carrying the gene, and if the advantage conferred is large enough compared to the
personal disadvantage to offset the regression, or 'dilution', of the altruist’s genotype in the relative
in question.»
(Hamilton (1963) - The evolution of altruistic behavior)
Démonstration d'Hamilton :
•
il part du principe que le comportement altruiste est codé par 1 seul gène.
•
l'acte altruiste confère un bénéfice b à l'individu bénéficiaire de l'acte. Cela se manifeste par
une augmentation du succès reproductif (= augmentation du nombre de descendants) du
bénéficiaire.
•
l'acte altruiste confère un coût c à l'individu altruiste. Cela se manifeste par une diminution
du succès reproductif (= diminution du nombre de descendants) de l'altruiste.
•
soit un coefficient de corrélation génétique r : % du génome en commun entre l'altruisme et
le bénéficiaire.
→ D'après la théorie d'Hamilton = théorie de la sélection parentèle, la fréquence du gène qui code
pour le comportement altruiste augmente dans une population lorsque le coût c affligé à ce gène
est inférieure à l'augmentation de sa fréquence via la reproduction du bénéficiaire de l'acte
altuiste :
caltruiste < bbénéficiaire x r(altruiste-bénéficiaire)
Ainsi les conditions d'apparition/maintient/propagation du comportement altruisme dans une
population sont :
•
plus la parenté génétique entre l'altruisme et le bénéficiaire est élevée, plus la probabilité
d'apparition/maintient/propagation de l'altruisme sera élevée.
•
l'apparition/maintient/propagation de l'altruisme peut également se faire même lorsque la
corrélation génétique est faible mais à condition que :
- que la corrélation génétique > 0.
- le bénéfice > coût.
b) Propagation des gènes dans une population.
De cette théorie d'Hamilton émerge une nouvelle vision de la propagation des gènes dans un
population : les gènes peuvent se propager par filiation directe (parent/enfant) mais également par
filiation indirecte (frère/neveu).
Ainsi d'après Hamilton, le succès reproductif global d'un individu est la somme :
•
du succès reproductif personnel.
•
du succès reproductif d'un parent tiers.
→ Sglobal = Spersonnel + bbénéficiaire x r(altruiste-bénéficiaire)
→ Ainsi le gène de l'altruisme (mais vrai pour n'importe quel autre gène) peut se propager dans une
population, tout en défavorisant la fitness de l'altruiste, en favorisant la propagation de ses copies
dans les individus apparentés à l'altruiste.
c) Exemple des fourmis.
Les sociétés de fourmis sont constituées de différentes castes qui sont des groupes d'individus qui
assurent une ou plusieurs fonctions bien précises. Dans ces sociétés, on peut observer une caste dont
le rôle est de pondre les œufs (femelles fertiles) et une caste pour s'occuper de ces œufs (femelles
stériles).
→ Ces femelles vont stériles vont adapter un comportement d'altruisme et de coopération : protection et nourrissages des femelles fertiles et des œufs. Ainsi ces femelles stériles s'occupent
uniquement de la descendance des autres.
Chez les fourmis le système de reproduction est haplodiploïde → les femelles fertiles produisent 2
types d'œufs :
•
des œufs fertilisés (ovocyte + spermatozoïde) diploïdes dont le développement donnera des
femelles.
•
des œufs non fertilisés (que ovocyte) haploïdes dont le développement donnera des mâles.
Dans le cas d'une société monogyne (= 1 seule reine) et monoandre (= reine fécondée par un seul
mâle) :
•
le coefficient d'apparentement « sœur/sœur » : (0,5 x 0,5) + (0,5 x 1) = 0,75
•
le coefficient d'apparentement « mère/œuf » : (0,5 x 0,5) + (0,5 x 0,5) = 0,5
→ Ainsi les femelles sont plus apparentées à leurs sœurs plutôt qu'à leur propre progéniture, elles
ont donc plus d'intérêt à s'occuper des œufs qui formeront leurs futurs sœurs plutôt que leurs
propres œufs.
→ Ce système favorise bien l'existence de femelles stériles.
d) Conclusion.
« La renonciation à sa propre descendance n'est qu'une habile manœuvre destinée à favoriser ses
propre gènes » (Luc Passera)
→ D'un point vue comportementale, les ouvrières sont altruistes, mais d'un point de vue génétique
elles sont égoïstes !
C) Conclusion.
La sélection de parentèle fut une avancé majeure permettant d'expliquer les anomalies ne pouvant
être expliquées par la sélection naturelle Darwienne (altruisme, présence de femelles stériles …),
mais a également révolutionné la biologie évolutive : l'unité de sélection est le gène et non
l'individu → effet de la sélection naturelle sur le plan génétique.
Nombreux sont les exemples dans la nature qui témoignent de l'expression de la sélection
parentèle :
•
les populations de fourmis.
•
les femelles chez les Grallinule de Tasmanie
•
les écureuils à terrier.
Néanmoins, nombreux sont également les exemples dans la nature qui ne peuvent être expliqués par
cette théorie :
•
problème des colonies de fourmis polygynes (= plusieurs reines) et/ou polyandres (plusieurs
mâles fécondent une même reine) qui sont également eusociales.
•
les populations de termites : organismes eusociaux au même titre que les fourmis, mais dont
le système de reproduction est diploïde.
•
Au début des années 90, les chercheurs se sont rendus compte qu'il existe en réalité plus
d'espèces eusociales diploïdes que haplodiploïdes.
Décembre 2010 : remise en cause de la Kin selection → « The evolution of eusociality » de Nowak
Tarnita1 & E.O Wilson (Nature). Selon les auteurs, le caractère eusocial pourrait s'expliquer
simplement par sélection naturelle :
« We argue that standard natural selection theory in the context of precise models of population
structure represents a simpler and superior approach »
Suite à cette publication, de très nombreux chercheurs (répartis dans plusieurs publications) ont
répondu à cet article.
Bibliographie.
Darwin (1859) - On the Origin of species by Means of natural selection, or the preservation of
Favored races in struggle for life. London : printed by Clowes and sons, Stamford street and
Charing Cross (Third edition - 1861)
Darwin (1859) – L'origine des espèces. Edition Flammarion (1992). Traduction d'Edmond Barbier,
revue par Daniel Becquemont.
Fisher R. A. (1930) - The Genetical Theory of Natural Selection. Oxford : Clarendon Press.
Haldane J.B.S (1932) – The causes of evolution. Princeton science library (édition 1990).
Hamilton W. D. (1963) - The evolution of altruistic behavior. American Naturalist, 97: 354–356.
Hamilton W.D. (1964) - The genetical evolution of social behavior. Journal of Theoretical Biology,
7: 1-52.
Smith J.M. (1964) - Group selection and kin selection. Nature, 201: 1145-1147
Luc Passera, Serge Aron (2000) - Les sociétés animales: évolution de la coopération et organisation sociale. Edition De Boek Université
Luc Passera, Serge Aron (2005) - Les fourmis: comportement, organisation sociale et évolution.
CNRC-NRC (Conseil National de Recherches Canada)
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