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LETTRE
DE CONJONCTURE
écembre 2012
L’excès de confiance chez la dinde
uel bonheur d’être une dinde ! Tous les matins, je me réveille en compagnie de mes congénères pour la
s. est la probabilité de voir le
Le 31 d
Q
promenade matinale, je gambade en plein air en profitant de la fraicheur du matin. Il y a aussi un monsieur
très gentil qui vient, tous les jours, nous apporter à manger et à boire afin que jamais nous ne soyons en
situation de manque. Il faut dire qu’il prend bien soin de nous. En plus de nous fournir le couvert, il nous a
construit un très beau gîte, confortable, douillet et surtout chauffé pour les dures nuits d’hiver.
La vie est douce… surtout si je me compare à mes amis, les mouettes, qui tous les jours doivent se
trouver un abri pour dormir, de la nourriture et de l’eau. J’ai bien vu que les humains ne les aimaient pas :
ils les font fuir et ne leur concèdent que les miettes ou les restes de leurs sandwiches. Dans notre cas, le
monsieur s’occupe bien de nous. Il est toujours d’une prévenance extrême et plein de délicates attentions.
Il faut se rendre à l’évidence, il vaut mieux naître dinde que mouette !
ertains diront qu’une dinde ne peut penser et raisonner de la sorte. CerteC
Mettons-nous malgré tout, un instant dans la peau de cette dinde. Quelle
bienveillant monsieur qui s’occupe de vous toute l’année, commettre un meurtre sur votre personne pour
vous manger le 25 décembre?
Quasi nulle assurément ! Vu l’attitude bienveillante de l’éleveur, un tel comportement paraît en effet
totalement inenvisageable.
L’excès de confiance de la dinde est à mettre en parallèle avec la méfiance naturelle de la mouette. Cette
dernière a certes une vie plus difficile (la liberté a un coût) mais elle assure sa survie à long terme grâce à
des réflexes innés dans l’appréciation du risque.
GESTION SOUS MANDAT
4ème TRIMESTRE 2012
C’est la régularité des attentions que lui porte l’éleveur qui pousse la dinde à penser qu’il n’y a pas de
risque et c’est le fait de ne jamais s’abandonner qui sauve la mouette.
En finance, la confiance/méfiance des investisseurs vis-à-vis d’un actif financier se mesure grâce à un
indicateur : la volatilité. Elle est l’instrument d’évaluation du risque le plus répandu et le plus utilisé dans
toute l’industrie de la gestion d’actifs et constitue l’un des fondements de la réglementation des banques et
des assurances (les investisseurs institutionnels). Les réformes réglementaires de Bâle 3 (secteur
bancaire) ou Solvency 2 (secteur de l’assurance) reposent ainsi sur ces principes et ses modèles dérivés
(value at risk, écart type, CAPM notamment).
La volatilité se mesure en pourcentage et exprime le degré de confiance dans un actif. Plus la volatilité est
élevée, plus la probabilité d’atteindre le rendement attendu est faible. La théorie est la suivante : si un actif
(action, obligation ou portefeuille) rapporte historiquement en moyenne 5% par an, l’investisseur peut
s’attendre raisonnablement à obtenir le même type de rémunération annuelle quelque soit le timing
d’investissement. Ce 5% n’est toutefois pas garanti et une probabilité existe que cet objectif ne se réalise
pas. La volatilité nous donne le degré de confiance que nous pouvons avoir dans la réalisation de cet
objectif. Ainsi, si la volatilité de cet actif est de 10%, la probabilité d’atteindre l’objectif est plus élevée que
pour un actif dont la volatilité est de 50%.
A contrario, l’actif ayant une volatilité de 50% a plus de chance de dépasser (à la hausse ou à la baisse)
son objectif de rendement que celui qui a une volatilité de 10%.
Ainsi, en un seul chiffre, la volatilité permet à quiconque de déterminer la dangerosité d’un investissement.
La mathématisation de la finance a ceci de caractéristique qu’elle rassemble la majorité des investisseurs
autour d’une vision unique du risque.
Le problème de la vision unique du risque (outre le fait qu’elle soit unique) est précisément qu’elle n’est
pas efficace lorsque les prix de marchés n’évoluent pas librement. A l’instar de la dinde qui, enfermée
dans un périmètre délimité, s’imagine en sécurité, les niveaux de volatilité extrêmement bas constatés sur
les obligations d’États ne reflètent pas la réalité du risque qu’encourent les investissements en bons du
Trésor. L’explication est simple : en raison de l’interventionnisme des banques centrales, les prix des
obligations d’États n’évoluent plus de façon libre. La volatilité de 2% constatée sur l’indice d’obligations
d’État européennes ne donne plus selon nous, que l’illusion de la sécurité.
Taux sans risque et risque sans taux
En ramenant les taux d’intérêts réels (taux directeurs inflation déduite) en territoire négatif et en
accroissant de façon significative la taille de leur bilan, les banques centrales américaines, européennes,
anglaises et bientôt japonaises ont choisi délibérément de sacrifier la valeur de la monnaie afin de soutenir
les finances des États auxquels elles appartiennent. Les programmes de « Quantitative Easing »
respectifs ont pour but l’achat de bons du Trésor par création monétaire la plupart du temps.
En achetant massivement et indéfiniment ces titres de créance, elles agissent sur les taux d’intérêts qui
servent de référence. L’objectif est de maintenir des taux extrêmement bas afin que les États puissent se
financer à un coût minimum. Les banquiers centraux sont les acheteurs de dernier ressort. Ils répondront
présents pour aider les États. Dès lors, le risque disparaît et la volatilité s’effondre. Le message est clair :
les banques centrales ne laisseront pas les États faire défaut sur leurs créances.
Par ailleurs, n’oublions pas que les taux réels négatifs soulagent la charge de la dette pour les acteurs
économiques qui en profitent en premier lieu : les États1. Toutefois, les taux réels négatifs entraînent avec
eux toute une série de conséquences pas toujours visibles mais particulièrement néfastes pour le reste
des acteurs économiques parmi lesquelles :
- Le maintien en vie d’entreprises en situation de faillite qui ne survivent qu’en raison de
conditions de financement trop favorable. Ces sociétés ne créent ni richesse, ni emploi,
mobilisent du capital disponible et abaissent donc le rythme de croissance global.
- La destruction de la valeur de la monnaie
1 Voir lettre de conjoncture du 3ème trimestre
- La préférence des investisseurs pour les actifs réels non productifs (or, grands crus, toiles de
maîtres)
Une obligation d’État à 10 ans d’un pays comme la France offre un rendement brut de 2.0% (soit un
rendement réel de -0.20% en tenant compte de l’inflation) pour une volatilité de 4%.
Notre opinion est que cette volatilité extrêmement basse ne reflète pas le risque réel d’un tel
investissement :
- Risque d’investissement sur un État très endetté dont le taux de croissance potentiel est affecté par
la politique monétaire des banques centrales.
- Risque d’inflation
Comment se couvrir contre les risques ?
Notre métier est de gérer des avoirs en tenant compte des risques réels d’un investissement (la perte
permanente de capital). Nous le constatons : lorsque les prix n’évoluent pas librement (du fait de
l’interventionnisme des banques centrales et / ou de la réglementation), la volatilité n’est plus un indicateur
fiable. Dès lors, les obligations d’États ne sont plus un actif nous permettant de diversifier efficacement le
risque d’un portefeuille.
La visibilité sur l’évolution de la croissance économique est plus que réduite et les risques de rechute
brutale des économies développées n’ont en aucun cas disparu contrairement à ce que laissent entendre
les prix actuels de marchés.
En poursuivant cette logique, nous pensons qu’il est légitime de baser notre investissement sur les actifs
dont les prix évoluent librement selon la loi de l’offre et de la demande. A ce titre, les actions, les matières
premières et les obligations d’entreprises font partie de ces actifs dont les prix évoluent librement.
Bien que cela paraisse contre intuitif, il nous semble que l’introduction ou l’accroissement du poids des
actions dans les portefeuilles est certainement la meilleure diversification possible face à ce qui nous
semble représenter le risque le plus important aujourd’hui : les obligations d’État.
Bilan 2012 et stratégie 2013
En prenant la décision de sacrifier la valeur de la monnaie afin de prévenir toute baisse sur les prix des
obligations d’État et ce pour une durée relativement longue (fin 2015 ?), les banquiers centraux ont
considérablement augmenté leur influence sur le prix des actifs.
Agir sur les taux sans risque revient à agir sur le prix de l’ensemble des classes d’actifs. En faisant monter
le prix des obligations d’État, les banquiers centraux ont également provoqué une hausse significative des
obligations d’entreprises. Ainsi le millésime 2012 restera marqué par une progression significative du prix
des titres de créance et donc par une baisse marquée des taux de rendement.
Aujourd’hui, les rendements des obligations des entreprises les plus solides financièrement sont
extrêmement réduits. A titre d’exemple, Danone a pu emprunter, fin novembre, 750 millions d’euros à un
taux de 1.13% sur 5 ans.
L’attractivité d’une telle obligation pour un investisseur est ainsi des plus réduite. Si l’année 2012 aura été
marquée par la baisse des rendements, nous pensons que 2013 offre un potentiel désormais limité. Notre
stratégie d’investissement vise donc à privilégier des segments obligataires moins traditionnels mais dont
les prix reflètent un peu plus la réalité des risques que nous encourons en investissant sur des obligations.
Ainsi, vous l’aurez compris nous évitons les obligations d’État, privilégions encore et toujours les
échéances courtes (afin de se prémunir d’une hausse soudaine des taux d’intérêts néfaste à
l’investissement obligataire) mais augmentons les poids des stratégies « Total Return » qui nous
permettent d’investir sur des courbes de taux de pays souvent émergents dont les banques centrales ne
se sont pas engagées dans une politique de taux réels négatifs et qui utilise les devises comme moteur de
performance. L’avantage de ce type de fonds est que leur duration est généralement courte tout en offrant
une rentabilité supérieure à ce que l’on peut trouver sur des obligations traditionnelles grâce à leur
capacité de modifier rapidement leur allocation.
Nous renforçons donc nos positions sur des fonds comme Pimco Unconstrained, Franklin Templeton
Global Bonds ou M&G Optimal Income. D’autres fonds de ce type pourraient venir renforcer ces lignes de
titres.
L’influence des banques centrales sur le prix des actifs se traduit également sur le marché des actions.
En début d’année, peu auraient parié sur le fait que l’indice action grec réaliserait la meilleure performance
de l’année avec +33%.
Comme indiqué plus haut dans cette lettre, nous pensons qu’investir sur les actifs dont les prix évoluent
librement est un meilleur gage de gestion des risques que d’investir sur des actifs dont les prix sont
décidés par la politique monétaire.
Nous pensons que les actions devraient poursuivre leur belle embellie amorcée durant l’été. La
conjoncture économique devrait rester très délicate en 2013 (marquée par des taux de croissance faible et
un chômage élevé). Cependant, les actions présentent selon nous un profil d’investissement très favorable
dans l’environnement monétaire dans lequel nous nous trouvons.
Nous privilégions toujours les entreprises de qualité, caractérisées par un faible endettement, une
rentabilité élevée des capitaux, bénéficiant d’avantages compétitifs forts et capables de générer des cash
flows en dollar. Certes, les valorisations n’offrent plus vraiment de décote mais la rentabilité exceptionnelle
de leur capital couplée à la distribution de généreux dividendes sont de nature à largement satisfaire
l’investisseur.
Un autre phénomène devrait soutenir le marché des actions en 2013. Il découle directement de
l’abaissement sensible des taux d’intérêts et de l’augmentation de la fiscalité des entreprises : il s’agit du
rachat d’actions et/ou mouvements de fusion acquisition. En effet, lorsqu’une entreprise comme Danone
n’emprunte qu’au taux de 1.13% à 5 ans alors même qu’elle distribue un dividende de 2.8%, la tentation
est très forte d’emprunter pour racheter des actions en circulation sur le marché. Ce faisant, la société
diminue son impôt (car les charges d’intérêts sont déductibles) et distribue moins de dividendes (puisqu’il y
a moins d’actions en circulation).
La vie est certes moins confortable en investissant sur des instruments dont les prix évoluent librement
mais le risque de perte permanente en capital est largement réduit et plus diversifié. Contrairement au
confort doré de la dinde, la liberté dont bénéficie la mouette entraîne de sa part un comportement de
prudence naturelle qui prévient des risques extrêmes en contrepartie d’un effort de méfiance quotidien.
Nous restons à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous souhaitons une excellente
année 2013.
Sébastien Cavernes
Responsable de la Gestion sous mandat
www.privatebanking.societegenerale.mc
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