n 1997, Hamm et al. publiaient les
résultats d’une étude qui allaient
influencer la pratique, les recom-
mandations et la façon d’appréhender le
dosage des marqueurs d’ischémie coro-
naire. Parmi les patients des urgences
consultant pour douleur thoracique de
moins de 12 h avec un ECG non diagnos-
tique, un dosage cinétique de Tn per-
mettait de sélectionner les patients les
plus à risque dinfarctus du myocarde
(IDM) ou de décès d’origine cardiaque à
30 jours(1).
Dans cet essai, le premier dosage était
réalisé dès l’admission aux urgences, le
second 4 h plus tard. L’interprétation d’une
cinétique de dosage de Tn permettait de
mieux identifier ceux des patients qui rele-
vaient d’une hospitalisation immédiate
pour évaluation précoce du retentisse-
ment d’une athérothrombose coronaire.
Par analogie, la Tn est devenu incontour-
nable pour le diagnostic dIDM en cas
d’ECG non diagnostique. La nouvelle
finition de l’IDM admet qu’une varia-
tion de Tn au-delà du 99epercentile d’une
population témoin est pertinente, à par-
tir du moment où la méthode utilisée est
suffisamment précise à ce seuil (coeffi-
cient de variation<10 %)(2).
Le New England Journal of Medicine, a
publié deux articles en 2009 qui ont testé
la supériorité à utiliser le 99epercentile
d’un dosage de Tn par des techniques
plus sensibles(3,4).
L’étude de Reichlin et al.(3) a porté sur
718 patients se présentant aux urgences
avec des symptômes suspects dIDM
évoluant depuis moins de 12 h. Les résul-
tats ont répondu à l’objectif, démontrant
le bénéfice de 4 techniques de dosage
plus sensibles pour détecter un IDM dans
l’ensemble de la population. C’est dans
un délai de 2 heures que les dosages plus
sensibles montrent les écarts de perfor-
mance les plus amples pour détecter un
événement aigu lié à l’athérothrombose,
par rapport à la technique de référence.
L’étude de Keller et al.(4) a obtenu des
résultats très proches sur une popula-
tion de 1 818 admis dans trois chest pain
units pour un nouvel épisode de douleur
thoracique. C’est dans le groupe de
patients pour lesquels le délai de la dou-
leur est < 3 heures que le dosage ultra-
sensible de TnI surpasse le plus le dosage
de génération antérieure. Pour ces deux
études, les performances d’un dosage
plus sensible de Tn sont excellentes pour
détecter un IDM dès l’admission. Si la
capacité du test à exclure les patients ne
présentant pas d’IDM varie peu selon
les délais, il n’en est pas de même pour
la capaci à tecter les malades, puisque
Dosage hypersensible
de la troponine T :
vers une stratégie minimaliste ?
Y.-E. CLAESSENS, C. FISSORE-MAGDELEIN,
X. MAGDELEIN Centre Hospitalier Princesse Grace,
Service de Médecine d’Urgence, Monaco
L’utilisation de stratégies combinant l’évaluation clinique et le
dosage de troponine cardiaque (Tn) constitue un progrès signi-
ficatif de la prise en charge des douleurs thoraciques présu-
mées d’origine coronaire. En particulier, le bénéfice a été
démontré chez les patients se présentant aux urgences.
Urgences
&Marqueurs
&Marqueurs
1
Cahier 2
du N° 1031 – 16 janvier 2013
En Bref
Quarante ans
d’évolution,
une production
croissante et l’aube
d’un consensus
C. MEUNE,
Service de cardiologie, Hôpital Cochin
La première définition de l’infarctus
du myocarde (IDM) par l’OMS date
de 1971 et reposait essentiellement
sur des données épidémiologiques ;
les biomarqueurs en étaient absents.
Trente années se sont écoulées entre
ce premier essai de l’OMS et la pre-
mière définition universelle de l’IDM
par un groupe de travail international.
Le rythme s’est ensuite accéléré puis-
qu’en 11 ans seulement se sont suc-
cédées la deuxième puis la troisième
définition universelle de l’IDM. Cha-
cune de ces définitions universelles
accorde aux marqueurs de nécrose myo-
cardique un rôle central, mais non exclu-
sif. Cela va de pair avec le nombre
d’études scientifiques publiées sur le
sujet.
En effet, la courbe du nombre de publi-
cations indexées dans PubMed est
linéaire alors que celle portant spécifi-
quement sur les biomarqueurs est elle
exponentielle.
Les thèmes de recherche ont eux aussi
évolués. Initialement focalisés sur le
diagnostic et le pronostic de l’IDM puis
de l’insuffisance cardiaque, nous cou-
vrons aujourd’hui de nombreuses aut-
res affections pour lesquelles les bio-
marqueurs vont jouer un rôle clé dans
les prochaines années… et surtout la
possibilité de proposer un traitement à
la carte, basé sur la mesure de ces mar-
queurs.
Dans ce nouveau numéro de
Cœur &
Marqueurs
, vous découvrirez des arti-
cles de synthèse sur deux avancées
cliniques majeures : le traitement de
l’insuffisance cardiaque basé sur le
NT-proBNP et l’apport de la troponine
hypersensible pour les médecins urgen-
tistes.
●●●
E
la sensibilité augmente avec le délai, sug-
gérant que l’appréciation d’une cinétique
reste utile(3,4). Un algorithme avec une
cinétique plus courte (2-3 h) entre deux
dosages a ainsi pu être proposé.
Raccourcir les délais aux
urgences
À partir de données issues de 872 patients
(dont 147 IDM), une stratégie a été tes-
e pour diminuer à 1 h le lai entre les
deux prélèvements(5). Un algorithme déci-
sionnel a été proposé, prenant en compte
la concentration initiale de TnT-HS et la
différence avec un second dosage à 1 heure.
Cette stratégie, testée puis validée dans
deux cohortes de 436 patients chacune
(figure), a démontré sa pertinence. Ainsi,
l’algorithme exclut le diagnostic d’AMI
chez 60 % des patients et le propose chez
17 %. Parmi les 23 % se trouvant dans la
zone dite d’observation, 8 % d’entre eux
ont au final un diagnostic d’IDM. La valeur
prédictive positive est de 84 %, aucun
IDM n’ayant été exclu à tort ; plus inté-
a premre étape pour aider au suivi
de l’ICC est de fixer le pronostic
du patient dont dépendent en par-
tie les mesures thérapeutiques. Chez les
patients ambulatoires, les taux de PN
constituent un marqueur pronostique
puissant dans la prédiction des événe-
ments cardiovasculaires.
Au cours de lICC, la valeur seuil de
NT-proBNP semble être de 1 000 ng/L(2-4).
Néanmoins, le moment le plus opportun
pour mesurer sa concentration après
une hospitalisation pour décompensa-
tion d’une insuffisance cardiaque systo-
lique reste débattu. La concentration de
NT-proBNP obtenue après optimisation
du traitement et son évolution par rap-
port à son taux de base semble avoir la
meilleure valeur pronostique(5). Les varia-
tions des concentrations ne sont signifi-
catives qu’au-delà de 30 % du fait de leur
variabilité intra-individuelle.
Ainsi, quelques semaines après une
décompensation, quand le patient est
stabilisé, sous traitement neurohormonal
optimal, à son « poids sec », il pourrait
être pertinent de contrôler la concentra-
tion des PN qui constituera la valeur de
férence pour le suivi, servant de com-
parateur en cas d’événement aigu.
Optimiser le traitement
de l’ICC grâce au suivi
des peptides natriurétiques ?
Fort des données pronostiques, il sem-
blerait logique d’utiliser les valeurs des
concentrations plasmatiques des pepti-
des natriurétiques pour guider le traite-
ment de l’ICC. Néanmoins, les résultats
des différentes études réalisées sur ce
sujet restent divergents (tableau) et leur
analyse souligne limportance de trois
paratres : la concentration cibe de
PN, l’âge des patients et la valeur de leur
fraction d’éjection.
Pour les patients stables, les valeurs de
PN atteintes dans les 15 premiers jours
après une hospitalisation sont trop éle-
es pour servir de guide au traitement
et il semble pférable d’utiliser une valeur
cible prédéterminée relativement basse
qui pourrait être pour le NT-proBNP <
1 000 ng/L(6).
Après 75 ans, l’analyse des données des
études TIME-CHF et BATTLESCARRED
suggère que l’utilisation des PN pour
guider le traitement n’a plus d’intérêt.
De plus, leur utilisation semble plus per-
tinente dans l’IC systolique que dans
l’IC à fraction d’éjection préservée. En
tenant compte de ces limites, leur utili-
sation comme guide du traitement sem-
ble utile puisque dans la métaana-
&Marqueurs
&Marqueurs
2
&Marqueurs
Urgences
●●● suite de la page 1
Le NT-proBNP dans le suivi de
l’insuffisance cardiaque chronique
M. GALINIER Fédération des Services de cardiologie,
CHU Toulouse-Rangueil, Toulouse
La place des peptides natriurétiques (PN) de type B reste
débattue dans le suivi de l’insuffisance cardiaque chronique
(ICC) alors que leur utilisation est recommandée pour le dia-
gnostic de l’IC aiguë et chronique avec des valeurs seuils clai-
rement déterminées(1). Or posséder un marqueur biologique fia-
ble, facilement accessible, quantifiable comme le sont les PN
pour participer au suivi ambulatoire des insuffisants car-
diaques et guider leur traitement serait d’un intérêt clinique
majeur en raison du risque élevé de décompensation au cours
de cette maladie chronique.
Suivi thérapeutique
Figure. Algorithme décisionnel intégrant le dosage de TnT HS pour le
diagnostic à 1 h de l’IDM chez les patients se présentant aux urgences
pour douleurs thoraciques (d’après(5)). TnT HS : troponine T cardiaque
hypersensible ;  TnT HS (H0-H1) : différence entre les dosages de TnT à
l’arrivée et à la 1re heure.
TnT HS (H0) < 12 ng/L et
DTnT HS (H0-H1) < 3 ng/L
Diagnostic d’infarctus
EXCLU
Diagnostic d’infarctus
POSITIF
Dosage TnT HS
à distance (H6)
TnT HS (H0) 52 ng/L ou
DTnT HS (H0-H1) > 5 ng/L
Toute autre
situation
Douleur thoracique compatible
ECG non diagnostique
Dosage TnT HS (H0) et (H1)
L
ressant encore, aucun des patients
pour lesquels le diagnostic d’IDM
est exclu à la 1re heure n’a présenté
ce diagnostic au cours du suivi.
Comme cela a été précisé, et conformé-
ment aux recommandations(2), la plupart
des études ont utilisé le 99epercentile
pour seuil. Or, la Tn permettant de strati-
fier le risque, et le dosage hypersensible
permettant de détecter des concentra-
tions 10 fois plus faibles, la question a
été posée d’exclure dès l’admission les
patients dont les concentrations de TnT-
HS se trouvent à la limite de détection
de la technique.
R. Body et al. ont ainsi proposé une appro-
che le dosage permet l’exclusion du
diagnostic d’IDM dès l’admission(6). Parmi
703 patients consultant aux urgences
pour douleur thoracique, la concentra-
tion initiale de TnT-HS était < 3 ng/L chez
195 d’entre eux. À 6 mois, aucun de ces
patients n’avait présenté d’IDM. Dans
cette gamme de concentrations,
la capacidu test à exclure le dia-
gnostique est de 100 %, quel qu’ait
été le délai des symptômes avant
prélèvement. Sur une cohorte de vali-
dation de 915 malades, un seul a pré-
senté une élévation secondaire de TnT-
HS au-delà du 99epercentile alors que la
concentration initiale était < 3 ng/L.
L’exemple de la TnT-HS et des progrès
liés à la meilleure connaissance de ses
caractéristiques illustre comment l’ap-
prentissage des marqueurs permet d’en
améliorer l’utilisation.
Ainsi, en intégrant la TnT-HS pas à
pas dans un raisonnement clinique
Bayesien, il est envisageable demain
de poser le diagnostic d’exclusion plus
rapide pour les patients exempts de
complications de l’athérothrombose
coronaire, mais aussi d’orienter et trai-
ter plus rapidement ceux constituant
un IDM. Au regard des études les plus
récentes, les progrès des techniques
de dosage permettront à n’en pas
douter d’améliorer encore les pratiques
cliniques.
Références
1. Hamm CW et al. N Engl J Med 1997 ; 337:1648-53.
2. Thygesen K et al. Eur Heart J 2007 ; 28:2525-38.
3. Reichlin T et al. N Engl J Med 2009 ; 361:858-67.
4. Keller T et al. N Engl J Med 2009 ; 361:868-77.
5. Reichlin T et al. Arch Intern Med 2012 ; 172:1211-8.
6. Body R et al. J Am Coll Cardiol 2011 ; 58:1332-9.
lyse de 6 études contrôlées, por-
tant sur 1 627 patients, elle est
associée à une diminution de
31 % de la mortalité(7, 8).
L’étude PROTECT(9) confirme l’intérêt de
ce suivi biologique, en retrouvant une amé-
lioration du pronostic des patients insuffi-
sants cardiaques surveillés avec le
NT-proBNP (valeur cible < 1 000 pg/mL),
associée à une optimisation de leur
traitement, avec une prescription plus forte
d’antagonistes des récepteurs minéralo-
corticoïdes (ARM) et une régression du
remodelage ventriculaire gauche. À noter
que cette étude retrouve ce bénéfice éga-
lement chez les patients de plus de 75 ans.
Il reste cependant à déterminer quelles
sont les modifications thérapeutiques qui
devraient être fondées sur les valeurs
des taux de PN. En effet, s’il part logique
de modifier les doses de diurétiques pro-
ximaux en fonction de ces concentrations
qui sont directement reliées au niveau
des pressions intraventriculaires, les poso-
logies des traitements à visée neurohor-
monale de l’insuffisance cardiaque, IEC,
ARAII, tabloquants, ARM, doivent obéir
aux recommandations internationales qui
en fixent les valeurs cibles. Cependant, il
paraît évident à l’analyse des études que
la connaissance des concentrations des
PN a un impact sur ces derniers traite-
ments, avec un effet incitatif, les taux
élevés amenant à majorer davantage les
traitements jusqu’à la dose optimale et
luttant contre l’inertie thérapeutique.
Ainsi de manière pragmatique, il sem-
ble pertinent de surveiller les concen-
trations des peptides natriurétiques
chez les patients d’âge 75 ans et
psentant une IC systolique, après
une décompensation pour sélection-
ner les plus à risque (NT-proBNP >
2 200 pg/mL) et leur proposer un suivi
renformensuel. En phase de stabi-
lité, on instaure un contrôle tous les
3 mois chez les patients en stade
III-IV de la NYHA et tous les 6 mois
chez ceux en stade II, afin d’adapter
la posologie des diurétiques en ciblant
un taux de NT-proBNP < 1 000 ng/L,
après s’être assuré que les doses des
médicaments à action neurohormo-
nale sont le plus proche possible des
doses cibles recommandées. Un dosage
sera réalisé en cas de survenue de
symptômes atypiques pour détecter
précocement une décompensation à
un stade où elle est encore accessible
à une thérapeutique ambulatoire.
&Marqueurs
&Marqueurs
3
Tableau 1. Résultats des travaux s’intéressant à l’utilisation des peptides natriurétiques
de type B comme un guide du traitement de l’insuffisance cardiaque chronique
Valeur cible Résultats
Après une décompensation cardiaque
BATTLESCARRED (2010) NT-proBNP < 1 300 pg/mL Mortalité : NS
(n = 364), âge moyen : 76 ans 75 ans mortalité (15,5 vs 31 % à 3 ans,
p< 0,05)
> 75 ans NS
PRIMA (2010) Valeur cible individualisée Survie sans hospitalisation : NS
(n = 345), âge moyen : NT-proBNP sorties/J15
72 ans ( 2 492 pg/mL)
Cibles atteintes 75 % des visites Mortalité, p < 0,01
(58 % des patients)
VIENNESE (2010) NT-proBNP < 2 200 pg/mL Réhospitalisation pour IC
(n = 278) Mortalité : NS
En phase de stabilité
Troughton (2000) NT-proBNP < 736 pg/mL Décès et hospitalisations pour IC
(n = 69), âge moyen : 68 ans
STARTS (2007)
(n = 220), âge moyen : 66 ans BNP < 100 pg/mL Décès et hospitalisations pour IC
NYHA II-III
TIME-CHF (2009) Population totale Survie sans hospitalisation : NS
(n = 499), âge moyen : 77 ans < 75 ans : NT-proBNP < 400 pg/mL RR : 0,70 (IC 95 % : 0,49-1,01; p = 0,05)
NYHA II-IV 75 ans : NT-proBNP < 800 pg/mL RR : 0,70 (IC 95 % : 0,82-1,47; NS)
PROTECT (2010) NT-proBNP < 1000 pg/mL Evénement cxvx en rapport avec une
(n = 151), FE 40 % hospitalisation pour IC
1 / 4 100%
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