Cahier 2 du N° 1031 – 16 janvier 2013 &Marqueurs En Bref Quarante ans d’évolution, une production croissante et l’aube d’un consensus C. MEUNE, Service de cardiologie, Hôpital Cochin L a première définition de l’infarctus du myocarde (IDM) par l’OMS date de 1971 et reposait essentiellement sur des données épidémiologiques ; les biomarqueurs en étaient absents. Trente années se sont écoulées entre ce premier essai de l’OMS et la première définition universelle de l’IDM par un groupe de travail international. Le rythme s’est ensuite accéléré puisqu’en 11 ans seulement se sont succédées la deuxième puis la troisième définition universelle de l’IDM. Chacune de ces définitions universelles accorde aux marqueurs de nécrose myocardique un rôle central, mais non exclusif. Cela va de pair avec le nombre d’études scientifiques publiées sur le sujet. En effet, la courbe du nombre de publications indexées dans PubMed est linéaire alors que celle portant spécifiquement sur les biomarqueurs est elle exponentielle. Les thèmes de recherche ont eux aussi évolués. Initialement focalisés sur le diagnostic et le pronostic de l’IDM puis de l’insuffisance cardiaque, nous découvrons aujourd’hui de nombreuses autres affections pour lesquelles les biomarqueurs vont jouer un rôle clé dans les prochaines années… et surtout la possibilité de proposer un traitement à la carte, basé sur la mesure de ces marqueurs. Dans ce nouveau numéro de Cœur & Marqueurs, vous découvrirez des articles de synthèse sur deux avancées cliniques majeures : le traitement de l’insuffisance cardiaque basé sur le NT-proBNP et l’apport de la troponine hypersensible pour les médecins urgentistes. Urgences Dosage hypersensible de la troponine T : vers une stratégie minimaliste ? Y.-E. CLAESSENS, C. FISSORE-MAGDELEIN, X. MAGDELEIN ■ Centre Hospitalier Princesse Grace, Service de Médecine d’Urgence, Monaco L’utilisation de stratégies combinant l’évaluation clinique et le dosage de troponine cardiaque (Tn) constitue un progrès significatif de la prise en charge des douleurs thoraciques présumées d’origine coronaire. En particulier, le bénéfice a été démontré chez les patients se présentant aux urgences. n 1997, Hamm et al. publiaient les résultats d’une étude qui allaient influencer la pratique, les recommandations et la façon d’appréhender le dosage des marqueurs d’ischémie coronaire. Parmi les patients des urgences consultant pour douleur thoracique de moins de 12 h avec un ECG non diagnostique, un dosage cinétique de Tn permettait de sélectionner les patients les plus à risque d’infarctus du myocarde (IDM) ou de décès d’origine cardiaque à 30 jours(1). Dans cet essai, le premier dosage était réalisé dès l’admission aux urgences, le second 4 h plus tard. L’interprétation d’une cinétique de dosage de Tn permettait de mieux identifier ceux des patients qui relevaient d’une hospitalisation immédiate pour évaluation précoce du retentissement d’une athérothrombose coronaire. Par analogie, la Tn est devenu incontournable pour le diagnostic d’IDM en cas d’ECG non diagnostique. La nouvelle définition de l’IDM admet qu’une variation de Tn au-delà du 99e percentile d’une population témoin est pertinente, à partir du moment où la méthode utilisée est suffisamment précise à ce seuil (coefficient de variation<10 %)(2). Le New England Journal of Medicine, a publié deux articles en 2009 qui ont testé la supériorité à utiliser le 99e percentile E d’un dosage de Tn par des techniques plus sensibles(3,4). L’étude de Reichlin et al. (3) a porté sur 718 patients se présentant aux urgences avec des symptômes suspects d’IDM évoluant depuis moins de 12 h. Les résultats ont répondu à l’objectif, démontrant le bénéfice de 4 techniques de dosage plus sensibles pour détecter un IDM dans l’ensemble de la population. C’est dans un délai de 2 heures que les dosages plus sensibles montrent les écarts de performance les plus amples pour détecter un événement aigu lié à l’athérothrombose, par rapport à la technique de référence. L’étude de Keller et al. (4) a obtenu des résultats très proches sur une population de 1 818 admis dans trois chest pain units pour un nouvel épisode de douleur thoracique. C’est dans le groupe de patients pour lesquels le délai de la douleur est < 3 heures que le dosage ultrasensible de TnI surpasse le plus le dosage de génération antérieure. Pour ces deux études, les performances d’un dosage plus sensible de Tn sont excellentes pour détecter un IDM dès l’admission. Si la capacité du test à exclure les patients ne présentant pas d’IDM varie peu selon les délais, il n’en est pas de même pour la capacité à détecter les malades, puisque ●●● 1 &Marqueurs &Marqueurs la sensibilité augmente avec le délai, suggérant que l’appréciation d’une cinétique reste utile (3,4). Un algorithme avec une cinétique plus courte (2-3 h) entre deux dosages a ainsi pu être proposé. Raccourcir les délais aux urgences À partir de données issues de 872 patients (dont 147 IDM), une stratégie a été testée pour diminuer à 1 h le délai entre les deux prélèvements(5). Un algorithme décisionnel a été proposé, prenant en compte la concentration initiale de TnT-HS et la différence avec un second dosage à 1 heure. Cette stratégie, testée puis validée dans deux cohortes de 436 patients chacune (figure), a démontré sa pertinence. Ainsi, l’algorithme exclut le diagnostic d’AMI Urgences ●●● suite de la page 1 Douleur thoracique compatible ECG non diagnostique Dosage TnT HS (H0) et (H1) TnT HS (H0) < 12 ng/L et DTnT HS (H0-H1) < 3 ng/L Toute autre situation TnT HS (H0) ≥ 52 ng/L ou DTnT HS (H0-H1) > 5 ng/L Diagnostic d’infarctus EXCLU Dosage TnT HS à distance (H6) Diagnostic d’infarctus POSITIF Figure. Algorithme décisionnel intégrant le dosage de TnT HS pour le diagnostic à 1 h de l’IDM chez les patients se présentant aux urgences pour douleurs thoraciques (d’après(5)). TnT HS : troponine T cardiaque hypersensible ; TnT HS (H0-H1) : différence entre les dosages de TnT à l’arrivée et à la 1re heure. chez 60 % des patients et le propose chez 17 %. Parmi les 23 % se trouvant dans la zone dite d’observation, 8 % d’entre eux ont au final un diagnostic d’IDM. La valeur prédictive positive est de 84 %, aucun IDM n’ayant été exclu à tort ; plus inté- Suivi thérapeutique référence pour le suivi, servant de comparateur en cas d’événement aigu. Le NT-proBNP dans le suivi de l’insuffisance cardiaque chronique Optimiser le traitement de l’ICC grâce au suivi des peptides natriurétiques ? M. GALINIER ■ Fédération des Services de cardiologie, CHU Toulouse-Rangueil, Toulouse La place des peptides natriurétiques (PN) de type B reste débattue dans le suivi de l’insuffisance cardiaque chronique (ICC) alors que leur utilisation est recommandée pour le diagnostic de l’IC aiguë et chronique avec des valeurs seuils clairement déterminées(1). Or posséder un marqueur biologique fiable, facilement accessible, quantifiable comme le sont les PN pour participer au suivi ambulatoire des insuffisants cardiaques et guider leur traitement serait d’un intérêt clinique majeur en raison du risque élevé de décompensation au cours de cette maladie chronique. L a première étape pour aider au suivi de l’ICC est de fixer le pronostic du patient dont dépendent en partie les mesures thérapeutiques. Chez les patients ambulatoires, les taux de PN constituent un marqueur pronostique puissant dans la prédiction des événements cardiovasculaires. lique reste débattu. La concentration de NT-proBNP obtenue après optimisation du traitement et son évolution par rapport à son taux de base semble avoir la meilleure valeur pronostique(5). Les variations des concentrations ne sont significatives qu’au-delà de 30 % du fait de leur variabilité intra-individuelle. Au cours de l’ICC, la valeur seuil de NT-proBNP semble être de 1 000 ng/L(2-4). Néanmoins, le moment le plus opportun pour mesurer sa concentration après une hospitalisation pour décompensation d’une insuffisance cardiaque systo- Ainsi, quelques semaines après une décompensation, quand le patient est stabilisé, sous traitement neurohormonal optimal, à son « poids sec », il pourrait être pertinent de contrôler la concentration des PN qui constituera la valeur de 2 &Marqueurs Fort des données pronostiques, il semblerait logique d’utiliser les valeurs des concentrations plasmatiques des peptides natriurétiques pour guider le traitement de l’ICC. Néanmoins, les résultats des différentes études réalisées sur ce sujet restent divergents (tableau) et leur analyse souligne l’importance de trois paramètres : la concentration ciblée de PN, l’âge des patients et la valeur de leur fraction d’éjection. Pour les patients stables, les valeurs de PN atteintes dans les 15 premiers jours après une hospitalisation sont trop élevées pour servir de guide au traitement et il semble préférable d’utiliser une valeur cible prédéterminée relativement basse qui pourrait être pour le NT-proBNP < 1 000 ng/L(6). Après 75 ans, l’analyse des données des études TIME-CHF et BATTLESCARRED suggère que l’utilisation des PN pour guider le traitement n’a plus d’intérêt. De plus, leur utilisation semble plus pertinente dans l’IC systolique que dans l’IC à fraction d’éjection préservée. En tenant compte de ces limites, leur utilisation comme guide du traitement semble utile puisque dans la métaana- &Marqueurs ressant encore, aucun des patients pour lesquels le diagnostic d’IDM est exclu à la 1re heure n’a présenté ce diagnostic au cours du suivi. Comme cela a été précisé, et conformément aux recommandations(2), la plupart des études ont utilisé le 99 e percentile pour seuil. Or, la Tn permettant de stratifier le risque, et le dosage hypersensible permettant de détecter des concentrations 10 fois plus faibles, la question a été posée d’exclure dès l’admission les patients dont les concentrations de TnTHS se trouvent à la limite de détection de la technique. R. Body et al. ont ainsi proposé une approche où le dosage permet l’exclusion du diagnostic d’IDM dès l’admission(6). Parmi 703 patients consultant aux urgences pour douleur thoracique, la concentration initiale de TnT-HS était < 3 ng/L chez 195 d’entre eux. À 6 mois, aucun de ces patients n’avait présenté d’IDM. Dans cette gamme de concentrations, la capacité du test à exclure le diagnostique est de 100 %, quel qu’ait été le délai des symptômes avant prélèvement. Sur une cohorte de validation de 915 malades, un seul a présenté une élévation secondaire de TnTHS au-delà du 99e percentile alors que la concentration initiale était < 3 ng/L. Ainsi, en intégrant la TnT-HS pas à pas dans un raisonnement clinique Bayesien, il est envisageable demain de poser le diagnostic d’exclusion plus rapide pour les patients exempts de complications de l’athérothrombose coronaire, mais aussi d’orienter et traiter plus rapidement ceux constituant un IDM. Au regard des études les plus récentes, les progrès des techniques de dosage permettront à n’en pas douter d’améliorer encore les pratiques cliniques. L’exemple de la TnT-HS et des progrès liés à la meilleure connaissance de ses caractéristiques illustre comment l’apprentissage des marqueurs permet d’en améliorer l’utilisation. Références 1. Hamm CW et al. N Engl J Med 1997 ; 337:1648-53. 2. Thygesen K et al. Eur Heart J 2007 ; 28:2525-38. 3. Reichlin T et al. N Engl J Med 2009 ; 361:858-67. 4. Keller T et al. N Engl J Med 2009 ; 361:868-77. 5. Reichlin T et al. Arch Intern Med 2012 ; 172:1211-8. 6. Body R et al. J Am Coll Cardiol 2011 ; 58:1332-9. Tableau 1. Résultats des travaux s’intéressant à l’utilisation des peptides natriurétiques de type B comme un guide du traitement de l’insuffisance cardiaque chronique Valeur cible Résultats Après une décompensation cardiaque BATTLESCARRED (2010) (n = 364), âge moyen : 76 ans NT-proBNP < 1 300 pg/mL ≤ 75 ans PRIMA (2010) (n = 345), âge moyen : 72 ans Valeur cible individualisée NT-proBNP sorties/J15 (≤ 2 492 pg/mL) Cibles atteintes ≥ 75 % des visites (58 % des patients) VIENNESE (2010) (n = 278) NT-proBNP < 2 200 pg/mL > 75 ans Mortalité : NS mortalité (15,5 vs 31 % à 3 ans, p< 0,05) NS Survie sans hospitalisation : NS Mortalité, p < 0,01 Réhospitalisation pour IC Mortalité : NS En phase de stabilité NT-proBNP < 736 pg/mL Décès et hospitalisations pour IC STARTS (2007) (n = 220), âge moyen : 66 ans NYHA II-III BNP < 100 pg/mL Décès et hospitalisations pour IC TIME-CHF (2009) (n = 499), âge moyen : 77 ans NYHA II-IV Population totale Survie sans hospitalisation : NS < 75 ans : NT-proBNP < 400 pg/mL RR : 0,70 (IC 95 % : 0,49-1,01; p = 0,05) ≥ 75 ans : NT-proBNP < 800 pg/mL RR : 0,70 (IC 95 % : 0,82-1,47; NS) PROTECT (2010) (n = 151), FE ≤ 40 % NT-proBNP < 1000 pg/mL Troughton (2000) (n = 69), âge moyen : 68 ans Evénement cxvx en rapport avec une hospitalisation pour IC lyse de 6 études contrôlées, portant sur 1 627 patients, elle est associée à une diminution de 31 % de la mortalité(7, 8). corticoïdes (ARM) et une régression du remodelage ventriculaire gauche. À noter que cette étude retrouve ce bénéfice également chez les patients de plus de 75 ans. L’étude PROTECT(9) confirme l’intérêt de ce suivi biologique, en retrouvant une amélioration du pronostic des patients insuffisants cardiaques surveillés avec le NT-proBNP (valeur cible < 1 000 pg/mL), associée à une optimisation de leur traitement, avec une prescription plus forte d’antagonistes des récepteurs minéralo- Il reste cependant à déterminer quelles sont les modifications thérapeutiques qui devraient être fondées sur les valeurs des taux de PN. En effet, s’il paraît logique de modifier les doses de diurétiques proximaux en fonction de ces concentrations qui sont directement reliées au niveau des pressions intraventriculaires, les poso- logies des traitements à visée neurohormonale de l’insuffisance cardiaque, IEC, ARAII, bêtabloquants, ARM, doivent obéir aux recommandations internationales qui en fixent les valeurs cibles. Cependant, il paraît évident à l’analyse des études que la connaissance des concentrations des PN a un impact sur ces derniers traitements, avec un effet incitatif, les taux élevés amenant à majorer davantage les traitements jusqu’à la dose optimale et luttant contre l’inertie thérapeutique. Ainsi de manière pragmatique, il semble pertinent de surveiller les concentrations des peptides natriurétiques chez les patients d’âge ≤ 75 ans et présentant une IC systolique, après une décompensation pour sélectionner les plus à risque (NT-proBNP > 2 200 pg/mL) et leur proposer un suivi renforcé mensuel. En phase de stabilité, on instaure un contrôle tous les 3 mois chez les patients en stade III-IV de la NYHA et tous les 6 mois chez ceux en stade II, afin d’adapter la posologie des diurétiques en ciblant un taux de NT-proBNP < 1 000 ng/L, après s’être assuré que les doses des médicaments à action neurohormonale sont le plus proche possible des doses cibles recommandées. Un dosage sera réalisé en cas de survenue de symptômes atypiques pour détecter précocement une décompensation à un stade où elle est encore accessible à une thérapeutique ambulatoire. 3 &Marqueurs