Reflux gastro-œsophagien (RGO) et inhibiteurs de la pompe à

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Table ronde
Ces médicaments largement prescrits, souvent
inutiles… et parfois délétères
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Mots clés : Reflux gastro-œsophagien ;
Inhibiteurs de la pompe à proton ; Effets
indésirables.
Reflux gastro-œsophagien (RGO)
et inhibiteurs de la pompe à proton (IPP)
chez l’enfant : panacée ou abus ?
Gastrœsophageal reflux and proton pump inhibitors: panacea
or prescription abuse?
O. Mouterde*, M. Bellaïche, C. Dumant, E. Mallet
Département de Pédiatrie, Hôpital Charles-Nicolle, Rouen, France
L
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es IPP sont très prescrits, à tous âges et pour de nombreuses
indications dont la plupart sortent de l’AMM [1-5]. Ces
médicaments peuvent donner lieu à des effets secondaires,
dans 14 % des cas [6,7]. La publication de recommandations est
une occasion de faire le point sur les indications de ces molécules
dans le RGO, afin d’encourager une prescription plus raisonnée.
Le RGO est un phénomène physiologique, d’ascension vers l’œsophage du contenu gastrique. Il concernerait 32 % des nourrissons
et 11 % des adolescents [8]. Ce contenu peut être alimentaire, ou
constitué de suc gastrique avec acide et pepsine éventuellement
de sécrétions bilio-pancréatiques. Il peut donc être acide, neutre
ou alcalin.
Les complications ont des mécanismes divers : distension de
l’œsophage, agression chimique, inhalations, régurgitations. La
définition du RGO pathologique reste floue, et les moyens d’exploration imparfaits. Il n’a pas été établi de parallélisme entre le pH
ou l’importance du RGO, et ses conséquences, qui dépendraient en
partie d’autres facteurs propres à l’enfant (maturation, protection
des voies aériennes, déglutition, réparation muqueuse) [5]. La
pHmétrie ne détecte que les reflux acides, plus difficilement les
reflux alcalins et aucunement les reflux neutres. L’impédancemétrie est une nouvelle technique, détectant tous les reflux quel que
soit leur pH et recherchant leurs conséquences respectives. Il est
d’ores et déjà établi que près de la moitié des reflux n’est pas acide,
mais que tous peuvent avoir des conséquences.
En pratique le RGO et son acidité sont accusés de nombreuses
complications, digestives et extradigestives, ce qui explique sans
les justifier les prescriptions fréquentes d’IPP. Les IPP sont prescrits
selon une étude chez 17 % des nourrissons, 32 % des enfants et
64 % des adolescents suspects de reflux [8]. Le traitement du RGO
acide par IPP n’est pas validé dans nombre de pathologies, parmi
lesquelles on peut citer les symptômes cardio-respiratoires ou
digestifs du prématuré [9], l’asthme sévère [3], l’érythème de la
margelle postérieure du larynx, la toux chronique [10], les pleurs
du nourrisson [4]
Dans nombre de ces études pourtant, les patients traités avaient
été sélectionnés comme ayant un RGO pathologique à la pHmétrie.
Le traitement par IPP a entraîné une amélioration de la pHmétrie
* Auteur correspondant.
e-mail : [email protected]
mais non des symptômes ayant amené à la prescrire [4,9]. Il existe
donc une sur-prescription importante, que l’on se fie à la clinique
ou aux examens complémentaires [5].
De fait, la plupart des prescriptions ne sont pas étayées scientifiquement, et sortent de l’AMM. Ceci n’est pas sans risque de conséquence médicale, la liste des effets secondaires possibles étant
longue, ni sans conséquence médico-légale éventuelle. La prescription hors AMM d’un médicament peut être justifiée lorsque
des preuves existent ou lorsque des consensus le conseillent. Utiliser un traitement « d’épreuve » dans une indication non validée et
non recommandée peut aboutir à la mise en cause du médecin en
cas d’effet secondaire, ou en cas d’erreur de diagnostic.
Les IPP diminuent la sécrétion acide gastrique de façon importante
mais sans l’annuler. Ils pourraient en cela traiter des pathologies ou
symptômes directement reliés et éventuellement proportionnels
à l’acidité (ou à l’action conjuguée de l’acide et de la pepsine, ce qui
est très peu connu). Ils n’ont aucun effet sur le volume du reflux, les
régurgitations, les symptômes liés à la distension œsophagienne
ou aux reflux non acides. Ils pourraient avoir un effet partiel en cas
d’inhalation de liquide gastrique, en en diminuant l’acidité, mais
un effet délétère en cas de reflux alcalin (bilio-pancréatique).
Dans quelles indications est-il légitime de prescrire un IPP ? Elles
sont limitées et précises.
Selon les monographies (Vidal® 2009, le lecteur devra actualiser
ces données), l’oméprazole est indiqué dans le traitement de
l’œsophagite érosive ou ulcérée symptomatique de l’enfant de
plus de 1 an. Le lanzoprazole et le rabéprazole ne sont pas recommandés chez l’enfant en France. L’esoméprazole et le pantoprazole
sont indiqués chez l’enfant de plus de 12 ans dans les mêmes
indications que celles de l’adulte (œsophagite, traitement symptomatique du reflux). Une forme pédiatrique d’esoméprazole
devrait être bientôt disponible, avec une AMM pour l’enfant de 1 à
11 ans. L’utilisation hors AMM est admise dans certains cas par les
recommandations et consensus : chez le nourrisson, le prématuré
et dans certaines indications.
Selon les recommandations de bonne pratique de l’AFSSAPS (www.
afssaps.fr), les IPP sont indiqués dans le traitement de l’œsophagite peptique et du RGO acide pathologique authentifié, y compris
chez le nourrisson et le nouveau-né. Ils ne sont pas indiqués de
première intention dans les pleurs et le malaise du nourrisson, les
régurgitations, les manifestations ORL et respiratoires. En cas de
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RGO prouvé, la relation de cause à effet n’est pas établie et doit
être discutée.
Selon le consensus récent des sociétés européenne et nord-américaine de gastropédiatrie [6], l’utilisation prolongée des IPP sans
diagnostic établi est déconseillée, de même que l’augmentation
des doses en cas d’inefficacité. Il existe des réserves sur l’innocuité
de ces produits chez le nourrisson. Le pyrosis du grand enfant est
une indication, pour 2 semaines à 3 mois selon l’effet. L’œsophagite
prouvée se traite 3 mois par IPP. Les pleurs du nourrisson ne sont
pas une indication, sauf en cas de RGO acide prouvé. Il n’est pas
recommandé de traiter en première intention par IPP des prématurés présentant apnées, symptômes de douleur ou troubles
alimentaires, les régurgitations du nourrisson ou de l’enfant, les
vomissements, les enfants asthmatiques, les enfants souffrant de
dysphagie ou odynophagie, les pneumopathies récidivantes, les
symptômes respiratoires hauts (voix enrouée, sinusites, rhinites,
otites, toux chronique, érythème du larynx), les érosions dentaires,
les enfants présentant une dysplasie broncho-pulmonaire, les
malaises du nourrisson. Les explorations du reflux ou de ses
conséquences (œsophagite) sont conseillées devant ces tableaux
cliniques avant d’envisager le traitement éventuel par IPP d’un
RGO authentifié, au cas par cas. La présence d’un RGO n’implique
cependant pas une relation de cause à effet et les preuves de
l’efficacité des IPP font souvent défaut.
Conclusion
Les IPP sont très prescrits dans le traitement du RGO considéré
comme pathologique. Les indications extra-digestives sont les
plus représentées. La littérature montre que les IPP sont efficaces
sur leur cible, la sécrétion acide gastrique, mais non sur de nombreux symptômes attribués probablement à tort au RGO acide.
En suivant strictement l’AMM, peu de ces enfants justifieraient en
fait un tel traitement. Dans les autres cas, le reflux doit également
être exploré et prouvé avant traitement. En cas de RGO prouvé,
sa responsabilité doit être discutée au cas par cas en se référant
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aux données de la littérature. Le rapport bénéfice-risque dans
des indications hors AMM doit être pris en compte et les parents
doivent en être informés.
Références
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asthma symptoms in children with asthma and GERD? A systematic review. J Investig Allergol Clin Immunol 2009;19:1-5.
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of a cross-sectional study. Gut 2009;58:A40.
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on acid gestrœsophageal reflux and gastric acidity in preterm
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reflux treatment for prolonged non-specific cough in children and
adults. Chochrane Database Syst Rev 2006;4:CD004823.
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