21 octobre 2004 MEDICAMENTS ET PERSONNES AGEES : des rapports particuliers La vieillesse n'est pas une maladie, mais elle est marquée par la dégradation de certaines capacités fonctionnelles (fonction rénale, hépatique…), entraînant une plus grande sensibilité aux agressions et une propension accrue à développer des maladies. D'où la nécessité de recourir à des médicaments, préventifs et/ou curatifs. Des poly-pathologies La France peut s'enorgueillir d'avoir une espérance de vie parmi les plus élevées du monde (65 ans). Le nombre de seniors dans notre société augmente : + 1 million de plus de 65 ans en France en dix ans. Ils seront ainsi près d'un million et demi de plus en 2010. Cette embellie du 3ème, voire du 4ème âge, est due aux progrès de l'hygiène générale, de l'alimentation, de l'habitat, mais aussi, et sans doute surtout, à l'amélioration des prises en charges médicales, qu'elles soient préventives ou curatives. Le vieillissement a comme corollaire l'augmentation de la consommation de soins. Il n'est que de citer les pathologies liées au vieillissement ou aggravées par lui : insuffisance cardiaque, cardiopathies ischémiques (angine de poitrine), troubles du rythme, artériopathies des membres inférieurs, accidents vasculaires cérébraux, diabète, maladie d'Alzheimer, états dépressifs, maladie de Parkinson, dégénérescence maculaire, cataracte, glaucome, ostéoporose, arthrose, insuffisances respiratoires par broncho-pneumopathies obstructives, incontinence urinaire, cancers… L'énumération est terrible. Le risque ne l'est pas moins, d'autant que ces pathologies sont le plus souvent associées, intriquées. Dès lors, une prise en charge, de la prévention au dépistage et du diagnostic au traitement, s'impose. Concrètement, ces prises en charge conduisent le plus souvent à la prescription de médicaments. Ainsi, il est fréquent qu'une personne âgée soit de manière prolongée sous traitement à visée cardiovasculaire, métabolique (diabète), neurologique, etc. La pluri ou poly-médication est souvent inévitable. Selon une étude du CREDES, corroborée par d'autres auteurs, les patients de plus de 70 ans prennent en moyenne 4 à 5 médicaments par jour, du fait de la co-existence de pathologies et de risques. Les ordonnances complexes sont à prendre en compte. Les médicaments sont prescrits par un ou plusieurs médecins (généralistes et spécialistes), et/ou légitimement conseillés par le pharmacien, mais s'y ajoutent parfois ceux suggérés au patient par un ami ou achetés de sa propre initiative. Les interactions deviennent plus nombreuses. Les risques d'effets indésirables se multiplient. 1 Une observance incertaine La moitié au moins des personnes âgées font preuve d'un manque de rigueur dans la prise de leur médicaments. Oubli ou confusion, le traitement est soit omis, soit pris deux fois, soit de manière erronée, un produit à la place d'un autre ou à une posologie inadéquate. Le moindre changement de lieu ou d'habitude est ici redoutable. Il faut aussi souligner que le devenir des médicaments chez la personne âgée, et par conséquent leur effet, diffèrent de ce que l'on observe chez le sujet plus jeune, en rapport notamment avec un certain degré de dénutrition, d'insuffisance rénale, hépatique, etc. Le grand âge voit s'instaurer en effet une considérable variabilité inter et intra-individuelle de la pharmacocinétique des médicaments – c'est-à-dire de leur distribution dans l'organisme, de leur transformation et de leur élimination. Ainsi, leur activité s'en trouve affectée, pouvant être majorée, prolongée, ou parfois réduite. La prescription doit naturellement en tenir compte et intégrer les données d'études cliniques spécifiquement conduites chez des sujets âgés, au demeurant encore trop peu fréquentes. Une surveillance clinique et biologique, un respect strict des conditions d'emploi ainsi qu'une adaptation des doses et des horaires de prise s'imposent. On comprend que toute utilisation à mauvais escient puisse entraîner des effets qui ne sont pas ceux attendus et qui peuvent se révéler néfastes. Refuser les facteurs "évitables" Comme le constate une étude récente consacrée aux "Enjeux du vieillissement"1 : "une partie des facteurs de iatrogénèse est inhérente aux évolutions physiologiques du vieillissement, mais certains pourraient être réduits par une meilleure connaissance scientifique des effets du médicament dans la population âgée, par une meilleure prescription, une meilleure délivrance et par un meilleur usage par les malades eux-mêmes". Cette même étude rappelle la complexité de la prise en charge médicale chez le sujet âgé, et détaille plusieurs facteurs qui y contribuent. La situation de poly-pathologies ou de poly-déficits est au premier rang. L'interprétation des symptômes intriqués devient difficile, la prescription délicate et la gestion des interactions médicamenteuses un vrai problème. Des efforts sont donc entrepris pour mieux fonder la prescription et mieux accompagner la délivrance de ces médicaments. Des logiciels ont pour objet la détection et la gestion des interactions, voire la détermination de la meilleure dose pour chaque patient âgé. Plus en amont, sous l'impulsion de la DGS (Direction générale de la santé), des professionnels se sont penchés sur l'enseignement de la iatrogénèse en faculté, conduisant à la mise en place d'un séminaire en fin de deuxième cycle commun aux futurs médecins et pharmaciens. L'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a annoncé en septembre 2004 qu'elle s'apprêtait à mettre en place une nouvelle enquête nationale sur la iatrogénèse médicamenteuse. Dans le même temps, les Entreprises du Médicament se sont engagées à intensifier les recherches sur les pathologies et la pharmaco-épidémiologie des personnes âgées, à multiplier les évaluations cliniques spécifiques, à mettre en place des développements galéniques adaptés… Simultanément, l'analyse des modalités de prescription et d'utilisation des médicaments chez les personnes âgées est renforcée, tandis que des formations au bon usage sont mises en place et que se développent des partenariats locaux de prévention et d'action. C'est dans ce contexte de réflexion et de mobilisation que s'inscrit l'engagement des professionnels libéraux et des entreprises du médicament. 1 Etude ACE-JNB pour le LEEM et le LIR, Editions de santé, juin 2003 2 L'opération "Prévention de la Iatrogénèse évitable du sujet âgé" de Santé en Action C'est une action forte, nationale, de sensibilisation et d'information. Elle vise à la fois les professionnels de la santé et les personnes âgées. Les médecins prescripteurs, les pharmaciens dispensateurs et les autres professionnels recevront un document qui rappelle succinctement les enjeux : - Les effets indésirables médicamenteux sont deux fois plus fréquents après 65 ans - Près d'un malade sur 2 est inobservant - Changements (dans la vie du malade ou dans la prescription) et défaut de vigilance font le lit des effets indésirables, qui peuvent être graves et dont les 2/3 sont évitables. Le dépliant rappelle que trop souvent, deux fois sur trois, le malade âgé ne signale pas un effet indésirable. Tout changement, tout phénomène inhabituel, (somnolence, confusion, troubles du comportement, de l'équilibre, malaises, asthénie, troubles digestifs…) doit conduire à s'interroger sur une possible origine iatrogène. Un tableau synthétique présente 5 tableaux cliniques susceptibles d'être causés par diverses classes de médicaments de prescription courante. C'est à la vigilance du médecin et du pharmacien, comme à celle de l'infirmière ou du kinésithérapeute, qu'il est ici fait appel : "Et si c'était lié au traitement ?" Quant au patient, son implication peut être résumée par l'acronyme AVEC les professionnels de la santé qui figure sur le document et l'affiche qui lui sont destinées : - A comme Accueil : c'est dans une attitude accueillante que médecins et pharmaciens invitent leurs patients âgés à ouvrir le dialogue à propos de leurs traitements. V comme Vigilance : il faut apprendre à être attentif aux changements dans son état de santé, dans son corps, dans sa vie. E comme Ecoute : il n'est pas de vrai dialogue sans patiente et profonde écoute. Les professionnels s'engagent à ne pas méconnaître tout ce qu'une écoute vraie peut détecter. Et espèrent que le patient, en retour, saura les écouter. C comme Conseils : il s'agit d'une invitation à demander à son médecin ou à son pharmacien les explications et les conseils qui assureront la pleine efficacité et la meilleure sécurité du traitement. Cette invitation au dialogue - "Parlez-en AVEC nous." - est déclinée sur un mode déculpabilisant : "Vous avez du mal à comprendre votre ordonnance ? Vous n'être pas le(la) seul(e) !. Il s'agit de lever les freins, les inhibitions qui limitent trop souvent le questionnement : "Vos médicaments ? Osez en parler !" Le document offre également des conseils généraux d'hygiène de vie : boire suffisamment, ne pas oublier fruits, légumes et laitages dans l'alimentation, conserver une activité physique raisonnable, faire contrôler vue, audition et état dentaire, entretenir ses facultés intellectuelles et garder le contact avec les autres, développer la confiance en soi et en l'avenir. Deux accidents sur trois liés à la iatrogénèse médicamenteuse sont évitables. Médecins, pharmaciens, infirmières …, tous les professionnels de santé sont concernés, en ville comme à l'hôpital. Les malades âgés et leur entourage le sont tout autant. La vigilance active des professionnels de la santé, des conseils simples à la portée des malades permettront de limiter la survenue d'effets indésirables induits dans l'utilisation quotidienne du médicament. C'est pour cela que Santé en Action mobilise les professionnels afin qu'ils s'engagent et mobilisent, à leur tour, leurs patients âgés. 3