Un arrêt circulatoire récupéré dans un contexte d amylose cardiaque

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Un arrêt circulatoire récupéré
dans un contexte d’amylose cardiaque
● M. Borentain, M. Laporte, C. Le Feuvre*
OBSERVATION
Il s’agit d’une femme de 44 ans, hospitalisée dans le service de
soins intensifs cardiologiques suite à un arrêt cardio-respiratoire
récupéré.
Son histoire clinique commence en 1999, quand, devant une première poussée d’insuffisance cardiaque globale, on diagnostique
une amylose primitive de type AL avec une atteinte exclusivement cardiaque, mise en évidence par la biopsie myocardique. Il
a été réalisé, dans les suites, une autogreffe de moelle (transplantation de cellules souches médullaires) associée à une chimiothérapie de conditionnement par alkylants. Ce traitement a
permis une rémission clinique et l’absence de toute manifestation cardiaque pendant deux ans.
Début 2001, les symptômes d’insuffisance cardiaque récidivent,
traités par diurétiques et vasodilatateurs, avec une tolérance clinique médiocre et la survenue de plusieurs malaises lipothymiques. Lors d’une hospitalisation dans le service d’hématologie survient un collapsus suivi d’un arrêt cardio-respiratoire, traité
par massage cardiaque externe, ventilation assistée et injection
d’adrénaline, avec une récupération complète. La patiente nous
est alors transférée pour poursuite de la prise en charge.
Démarche diagnostique
À l’examen clinique, la patiente est en stade III de la NYHA,
avec des signes d’insuffisance cardiaque globale. Elle pèse 57 kg
pour 1,55 m.
L’ECG montre un rythme sinusal à 100/mn et un microvoltage.
L’échographie cardiaque trouve un épaississement pariétal
concentrique à 15 mm, une dysfonction ventriculaire gauche systolique avec une fraction d’éjection calculée à 40 % par la
méthode de Simpson, un bas débit mitro-aortique (VTI sous-aortique à 8 cm), un flux mitral de type restrictif, des signes doppler
d’adiastolie [courbe d’insuffisance pulmonaire à trois “têtes”
(figure 1) ou annulation en mésodiastole, temps de demi-décroissance du flux de l’insuffisance pulmonaire raccourci, onde S du
flux veineux hépatique inversée], et enfin une insuffisance tricuspide modérée avec un gradient VD-OD à 20 mmHg.
* Hôpital Necker, Paris.
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Figure 1. Insuffisance pulmonaire en doppler continu : aspect à trois têtes, habituellement rencontré dans les adiastolies.
L’enregistrement holter ECG des 24 heures montre un rythme
sinusal avec de nombreuses extrasystoles auriculaires.
On réalise une exploration électrophysiologique endocavitaire,
afin d’éliminer un trouble du rythme ventriculaire grave. Cette
exploration n’a pas pu déclencher de tachycardie ventriculaire,
mais chaque stimulation ventriculaire à 100/mn, entraînant la
perte de la systole auriculaire, produit un collapsus avec syncope
par bas débit cardiaque.
Le cathétérisme droit confirme le diagnostic d’adiastolie du
cœur droit avec bas débit cardiaque et hypertension artérielle pulmonaire (débit cardiaque à 1,9 l/mn, index cardiaque à 1,2 l/mn,
pression capillaire pulmonaire à 34 mmHg, pression artérielle
pulmonaire à 50/30/40 mmHg, pression ventriculaire droite à
50/10-30 mmHg avec aspect de dip plateau, pression de
l’oreillette droite à 30 mmHg) (figure 2).
La Lettre du Cardiologue - n° 355 - mai 2002
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Figure 2. Courbes de pressions capillaire pulmonaire, artérielle pulmonaire, ventriculaire droite et auriculaire droite (de gauche à droite) : aspect de
dip plateau sur la courbe ventriculaire droite et égalisation des pressions diastoliques depuis le capillaire pulmonaire jusqu’à l’oreillette droite.
Démarche thérapeutique
L’évolution a été favorable initialement après arrêt du traitement
vasodilatateur et introduction d’une association amiodarone et
faibles doses de bêtabloquant (1,25 mg de bisoprolol), avec ralentissement de la fréquence cardiaque à 75/mn et légère augmentation du débit cardiaque calculé à l’échographie.
Une récidive de signes cliniques de l’insuffisance cardiaque est
néanmoins apparue, avec des difficultés importantes à maintenir
l’équilibre entre la précharge et le débit cardiaque.
Dans ce contexte, après discussion médico-chirurgicale, on a
retenu l’indication de transplantation cardiaque. Elle a été réalisée après seulement 15 jours d’attente, avec des suites postopératoires simples.
DISCUSSION
L’amylose primitive AL est caractérisée par le dépôt dans l’espace extracellulaire d’une protéine fibrillaire dérivée des chaînes
légères d’immunoglobulines (1).
Le pronostic de cette maladie est effroyable. En l’absence de
traitement étiologique, la médiane de survie est de 13 mois après
le diagnostic, et l’atteinte cardiaque abaisse cette médiane de survie à 5 mois (2).
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Au stade de l’insuffisance cardiaque congestive, le traitement
classique n’est pas envisageable en raison du risque d’hypovolémie et de collapsus induit par les diurétiques à fortes doses et les
vasodilatateurs, notamment les IEC. On a proposé l’amiodarone
pour éviter les troubles du rythme auriculaires et des petites doses
de bêtabloquant pour allonger la diastole, et donc le remplissage.
Les traitements à visée curative sont la chimiothérapie et la transplantation des cellules souches médullaires. Le plus ancien traitement à visée curative est la chimiothérapie par alkylants et prednisone, utilisée depuis une vingtaine d’années, mais la réponse au
traitement et la rémission dépassent rarement 30 % (3).
Plus récemment, la transplantation de cellules souches médullaires par auto- ou allogreffe a montré une réponse au traitement
beaucoup plus importante, de l’ordre de 60 %, avec une régression des dépôts amyloïdes (3, 4, 5). Ce traitement est associé à
un conditionnement par une chimiothérapie lourde ou une irradiation corporelle totale. L’atteinte cardiaque est donc une contreindication à la transplantation de cellules souches. Dans la série
de Gertz et al. (3), la transplantation de moelle a été évaluée chez
23 patients atteints d’amylose primitive AL. Six patients avaient
des signes échographiques d’atteinte cardiaque amylosique sans
aucun signe clinique (les patients ayant des signes cliniques ont
été exclus de l’étude). Cinq des 6 patients sont décédés au décours
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du traitement, suggérant que l’atteinte cardiaque serait un facteur
limitant et de mauvaise tolérance de ce traitement particulièrement agressif.
Dans le cas exposé, l’état cardiaque rend tout geste de transplantation de cellules souches illusoire. La seule solution envisageable
est la transplantation cardiaque préalable à la transplantation des
cellules souches associée à la chimiothérapie, des résultats très
satisfaisants ayant été obtenus par d’autres équipes (6). La transplantation cardiaque seule n’est pas envisageable en raison de la
rapide récidive des dépôts amyloïdes dans le greffon (7).
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2. Comenzo
RL, Vosburgh E, Falk RH. Dose-intensive melphalan with blood
stem- cell support for the treatement of AL (amyloid light-chain) amyloidosis.
Blood 1998 ; 91 (10) : 3662-70.
3. Gertz MA, Lacy MQ, Gastineau DA. Blood stem cell transplantation as therapy for primary systemic amyloidosis (AL). Bone Marrow Transplantation 2000 ;
26 : 963-69.
4. Reich G, Held Th, Siegert W. Four patients with AL amyloidosis treated with
high-dose chemotherapy and autologous stem cell transplantation. Bone Marrow
Transplantation 2001 ; 27 : 341-3.
5. Gillmore JD, Davies J, Iqbal A : Allogenic bone marrow transplantation for
systemic AL amyloidosis. Br J Haematol 1998 ; 100 : 226-8.
6. Mohty M, Albat B, Fegueux N, Rossi JF. Autologous peripheral blood stem cell
Bibliographie
transplantation following heart transplantation for primary systemic amyloidosis.
Leuk Lymphoma 2001 ; 41 : 221-3.
1. Stone MJ. Amyloidosis : a final common pathway for protein deposition in tissues. Blood 1990 ; 75 : 531-45.
7. Dubrey SW, Burke MM, Khaghani A. Long terme results of heart transplanta-
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tion in patients with amyloid heart disease. Heart 2001 ; 85 (2) : 202-7.
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