La Confédération des institutions financières d’Afrique de l’Ouest: Une force institutionnelle et financière en construction Par Alpha Ouédraogo, Directeur général Confédération des institutions financières d’Afrique de l’Ouest En se fondant sur la solidarité coopérative de six réseaux de caisses issus de cinq pays de la sous-région ouest-africaine, nous avons créé la Confédération des institutions financières d'Afrique de l'Ouest (CIF), un regroupement régional visant à favoriser le partage d’expertise et de ressources de même qu’à initier et développer une offre de service et un marché régionaux. Les six réseaux composant la CIF sont la FECECAM du Bénin, le Réseau des caisses populaires du Burkina Faso (RCPB), Nyèsigiso et Kafo Jiginew du Mali, PAMÉCAS du Sénégal et la FUCEC du Togo. Ensemble, ces coopératives comptent 726 points de service et plus de quatre millions de membres, emploient 4400 personnes et affichent un actif total de 700 M $CA. Quelques éléments de contexte La principale menace qui a donné lieu à la création de la CIF réside dans la forte concurrence qui caractérise désormais le marché de la microfinance, avec l'arrivée de plusieurs nouveaux joueurs de tous horizons (coopératives et autres). Cette concurrence accrue exige des institutions financières en place qu’elles renforcent leurs capacités et améliorent leur performance afin de défendre leurs parts de marché. Au plan des opportunités, notons que les six réseaux qui se sont regroupés au sein de la CIF opèrent dans une région dotée d'une loi et d'une monnaie unique: ils partagent donc un contexte, des caractéristiques et des préoccupations similaires. En outre, la population ouest-africaine n’est bancarisée que dans une très faible mesure et la majorité de cette population est exclue des services financiers classiques. Le marché qui s’offre aux coopératives financières de la région est donc vaste (bien que convoité par la concurrence), et ce, tant en milieux urbains que ruraux. En créant la CIF, les réseaux qui en sont membres aujourd’hui souhaitaient se donner les moyens de répondre aux besoins nombreux et diversifiés émanant de ce marché. La CIF, d’hier à aujourd’hui La création de la CIF a été un processus de longue haleine qui a pris naissance autour d’un besoin de validation et d’échange, de partage d’expertise et d’innovation exprimé par quelques leaders d’institutions financières coopératives d’Afrique de l’Ouest. Ces premiers échanges ont ensuite donné lieu à la construction institutionnelle d’un partenariat solide et durable entre six fédérations. Et de ce partenariat est né une société africaine, d’abord une société anonyme à propriété coopérative, après quoi la société anonyme s’est mutée en société coopérative. Les premières discussions qui ont été entamées entre les réseaux qui constituent aujourd'hui la Confédération remontent à la fin des années 1990. Ces discussions ont donné naissance, en 2003, au Centre d'innovation financière, dont l'objectif était d'unir les forces de chacun afin de favoriser le développement de nouveaux produits et services innovateurs. En 2007, LE CIF a fait place à LA CIF, soit la Confédération des institutions financières, dont le mandat était passablement plus large puisqu'il englobait non seulement l'innovation, mais également la normalisation et la standardisation des opérations, la protection des avoirs collectifs par l'entremise d'un programme de surveillance rigoureux ainsi que la mise en place d'expertises et d'outils communs. Le processus décisionnel et de consultation mis en place Au moment de jeter les bases de ce regroupement, un vaste mécanisme de consultation a été mis en place auprès des instances de gestion et de gouvernance des institutions visées, touchant quelque 300 personnes. Un effort a été fait pour identifier et mobiliser les leaders de chaque milieu touché. C’est ainsi qu’une résolution a été adoptée au sein de chacune des institutions membres pour appuyer la création de la CIF, et qu’une Assemblée Générale Constitutive a été organisée par ces institutions afin de procéder à la création officielle de la Confédération. Il faut noter que la construction de ce mouvement régional s'appuyait au départ sur la solidarité coopérative en vue de se doter d'une solidarité financière. La transparence et la représentativité de chacune des instances concernées étaient donc au cœur du succès de l'opération. Les artisans de la CIF visaient ainsi à appuyer la bonne gouvernance de la confédération à naître, mais aussi à innover en matière de gouvernance afin de relever les défis rencontrés. Aujourd'hui, la CIF mise sur un système de gouvernance qui répond bien à ces objectifs. Des groupes de référence regroupant des experts issus de chaque réseau membre dans des domaines d'affaires variés ont d'abord le mandat d'étayer les décisions qui doivent être prises par le conseil d'administration en faisant des propositions réfléchies sur les thèmes étudiés. Le Collège des Directeurs généraux des réseaux membres de la CIF reçoit et étudie ces propositions avant d'acheminer au Conseil des recommandations claires et consensuelles. Enfin, le Conseil d’administration de la CIF est composé d'élus qui administrent l'institution de façon démocratique en voyant à ce que les orientations de la Confédération favorisent l’atteinte d’objectifs communs tout en respectant les préoccupations et enjeux auxquels font face ses différentes composantes. Les difficultés rencontrées Les principales difficultés rencontrées ont été, d’une part, de mobiliser toutes les énergies autour d’une vision, d’une mission, de défis et d'objectifs communs et, d’autre part, d'éviter que la CIF ne devienne la propriété d'un groupe restreint d'élites. La première de ces difficultés s'est avérée moins importante que nous l'avions prévu: alors que nous estimions à six mois la période nécessaire pour convaincre les nombreux intervenants touchés de la crédibilité et du bien-fondé du projet, il n'en a fallu qu'un seul! La seconde difficulté rencontrée a pour sa part été contournée par la mise en place d'un processus consultatif rigoureux et efficace, misant sur des comités consultatifs regroupant à la fois des élus et des employés des réseaux concernés. Ce processus de consultation est d'ailleurs instauré de façon permanente à la CIF et permet ainsi de limiter le perpétuel conflit entre la solidarité et le désir d'autonomie qui anime les composantes de la Confédération. On peut également mentionner au nombre des difficultés rencontrées celles de traduire la mission de la CIF en opérations concrètes capables de soutenir la vision de l’organisation; de sortir de la logique « pays » pour construire une solidarité coopérative profitable à l’ensemble du Mouvement; et d’établir clairement la distinction entre l’identité CIF et l’identité Mouvement. Les résultats apportés D’abord, la Confédération existe, ce qui est en soi un résultat éloquent! Déjà, son capital s’élève à 600 millions de francs CFA (1,1 M $CA), alors que la plupart des institutions similaires ont une capitalisation qui ne dépasse pas le million de francs FCA (moins de 2000 $CA). Cette bonne capitalisation traduit l’engagement concret de chacun des réseaux membres. La CIF est par ailleurs devenue un levier pour l’acquisition de technologies et d’unités d’affaires communes, qui demeurent la propriété du mouvement coopératif. Le système transactionnel SAF et le système d’intelligence d’affaires Stratego sont deux exemples d’outils technologiques communs à tous les réseaux membres. Également, ces réseaux sont en train de se doter d’une caisse centrale ainsi que d’une compagnie d’assurance qui leur permettront respectivement de faire une meilleure utilisation de leurs liquidités et d’élargir leur offre de service. Un service d’inspection croisée a pu être mis en place au bénéfice des réseaux membres et des épargnants faisant affaire avec eux, et on observe un début de normalisation et de standardisation des opérations qui favorisera la conformité des réseaux membres à la nouvelle loi encadrant les coopératives financières récemment promulguée par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). La CIF est devenue un joueur important sur la scène financière ouest-africaine ainsi qu’un interlocuteur privilégié auprès des autorités de tutelle et des instances gouvernementales. Par exemple, la BCEAO a consulté la CIF à plusieurs reprises dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle loi sur les coopératives financières. Aujourd’hui, les réseaux membres de la CIF sont à l’origine de 40 % des activités de microfinance réalisées en Afrique de l’Ouest. Enfin, la CIF est devenue une plate-forme efficace de partage d’expertise et d’innovations mise au service de ses réseaux membres et des communautés desservies par ceux-ci, mais également au service d’autres institutions de microfinance à travers le monde. C’est ainsi que des réseaux coopératifs d’Amérique latine désireux d’initier un regroupement régional ont récemment fait appel à la CIF en tant qu’institution de référence. Les réalisations de la CIF sont également partagées au sein du réseau international Proxfin, qui regroupe 25 institutions de finance de proximité issues des quatre coins de la planète et dont presque tous les membres participent d’ailleurs au Sommet international des coopératives. Ce que nous aurions pu faire autrement Procéder plus rapidement! Avec le recul et voyant les nombreux avantages et bons résultats associés à la mise en place de la Confédération des institutions financières, il aurait été préférable de créer directement cette confédération sans passer par le Centre d’innovation financière. On pourrait même aller plus loin en disant que la vision qui anime la CIF aurait dû guider la construction des réseaux membres. En effet, l’autonomie présuppose un ensemble de capacités qui, si elles sont déficientes, devraient faire appel à la solidarité. Et cette solidarité s’exprime de façon exemplaire à travers la CIF. Également, la CIF nous a permis d’instaurer une gouvernance et des mécanismes institutionnels innovants dans un contexte où des changements s’imposaient. Bien qu’il ne soit jamais trop tard pour bien faire, il aurait été profitable de bénéficier plus tôt de ces importants atouts. Néanmoins, il faut reconnaître que la création préalable du Centre d’innovation financière a permis aux membres d’apprendre à travailler ensemble dans le cadre d’un projet moins ambitieux que celui de mettre en place une confédération. Aujourd'hui, ces membres sont prêts à « prendre le risque » ensemble. Les bons coups que nous referions La crédibilité de la CIF s’est rapidement construite autour de la rigueur avec laquelle étaient réalisées les opérations d’épargne et de crédit par les réseaux membres ainsi que de l’intégrité des individus composant ces réseaux. Un autre facteur de succès réside dans la constance de l’accompagnement reçu de Desjardins et de sa composante Développement international Desjardins (DID), des institutions d’envergure internationale pour lesquelles l’intégrité et la fiabilité des opérations sont des valeurs centrales. Le choix des ressources humaines associées au projet a été déterminant : tous les profils ne se prêtent pas nécessairement au développement. Pour ce faire nous avons misé sur des personnes intègres, mais ayant également une bonne capacité d’absorption des innovations, ce qui s’est avéré un autre élément de succès. Enfin, on peut souligner le fait que les gestionnaires de la CIF sont issus des institutions membres, ce qui amène une plus grande synergie au sein de la Confédération. L’intercoopération au service d’un meilleur accès aux services financiers La Confédération des institutions financières d’Afrique de l’Ouest (CIF-AO) est l’un des membres fondateurs du réseau international de réflexion et d’échange Proxfin, qui regroupe 28 institutions de finance de proximité partenaires de Développement international Desjardins (DID est une composante du Mouvement Desjardins, le premier groupe financier coopératif du Canada). Créé en 2006, ce réseau s’est donné la mission de contribuer à l’avancement des bonnes pratiques en microfinance et d’améliorer ainsi l’accès pour tous aux services financiers. En cette Année internationale des coopératives, les membres de Proxfin sont fiers de faire valoir l’importance des valeurs et principes coopératifs comme outils privilégiés pour améliorer l’accès aux services financiers pour tous, incluant les plus défavorisés. Ces valeurs et ces principes coopératifs, qui sont au cœur du fonctionnement de toutes les institutions de finance de proximité membres de Proxfin, incluent une gouvernance basée sur la transparence et la représentation des intérêts des membres et clients, l’appropriation locale, l’enracinement et le rayonnement communautaires et l’intercoopération. Ensemble, ces institutions permettent à plus de huit millions de familles et d’entrepreneurs d’avoir accès à des services financiers qui leur permettent de prendre en main leur développement socioéconomique. Voilà une démonstration concrète de « l’étonnant pouvoir des coopératives »!