explorer, repérer, sélectionner, expertiser, évaluer, marchander – que l’acheteur d’occasion acquiert souvent
graduellement dans le temps. Ainsi, on ne naît pas acheteur d’occasion, on le devient. L’habitus familial,
l’initiation entre pairs, les hasards et les trajectoires de vie sont autant de modalités qui conduisent diversement
les individus à s’écarter des circuits classiques :
« L'occasion, je l'ai découvert par ma meilleure amie, qui se trouvait à Tours. Elle adore ça, j'ai suivi et elle
m'a fait voir. Elle a un truc à elle. Elle fait toutes les brocantes, tous les marchés, toutes les puces. Et elle m'a
emmenée dans tous les magasins spécialisés et c'est elle qui m'a fait découvrir tout ça » (Clara, F, 29 ans).
« Nous avons habité à Lille et c'est là que nous avons découvert les brocantes. Il y en avait tous les week-
ends. C'était fantastique. Sans compter la grande braderie de Lille que nous avons fait deux années de suite
au moins et qui procure des joies incroyables. C'était un peu comme la caverne d'Ali Baba : des milliers de
choses à des prix dérisoires. Tout ce qu'un grand magasin ne pourra jamais procurer, ni en variété, ni en
prix » (Alice, F, 42 ans).
L’une des capacités les plus essentielles que doit acquérir l’acheteur d’occasion est d’abord celle de
l’expertise du produit – savoir détecter un défaut, évaluer la justesse du prix demandé en regard de la valeur
objective ou subjective de l’objet. Le plus souvent visuel, ce savoir s’appuie sur une série d’indices et
d’inférences découlant de l’aspect du produit, mais aussi de son propriétaire :
« Aux étiquettes, on voit déjà ce qui est plus ou moins porté, neuf ou pas. Si l'étiquette était vraiment lavée et
relavée, les tissus usés ou les tâches, je ne prenais pas » (Clara, F, 29 ans).
« J'achète en fonction du vendeur. Je regarde les vêtements et les gens, et si les gens me paraissent bizarres,
alors là, ce n'est même pas la peine » (Lisa, F, 52 ans).
L’habileté à savoir trouver l’objet recherché constitue ensuite une deuxième forme de compétence qui
discrimine les acheteurs. Certains ont acquis une connaissance des différents circuits et les fréquentent en
fonction de la catégorie de produits recherchée. Comme Vincent, ils pensent « qu’on peut tout trouver
d’occasion » à condition de savoir où aller :
« L’électroménager, je ne l’achèterai jamais neuf parce que je le trouve par le journal d’annonces FUSAC.
Les gens sont d’un certain niveau socioprofessionnel, ils sont en France depuis un an et doivent brusquement
repartir aux Etats-Unis. On fait des bonnes affaires. Le matériel est toujours impeccable » (Rémi, H, 32 ans).
D’autres en revanche, segmentent les catégories de produits qu’ils savent ou non trouver d’occasion et
éliminent celles dans lesquelles ils ne se sentent pas à l’aise pour juger de l’état ou du prix des objets :
« Il y a toute une série d'objets qui est exclue de l'achat d'occasion parce qu'il y a des risques. Il y a peut-être
d'autres gens qui savent ne pas en prendre, mais moi je ne sais pas, donc je les exclus complètement pour ne
pas perdre de temps. Perdre du temps sur ces choses-là, ça ne m'intéresse pas. Ou de l'argent. Donc je vais
sur du neuf, forcément. Jusqu'au jour où je m'apercevrai que je peux le contrôler en occasion et que j'y
arriverai aussi » (Claude, H, 48 ans).
Enfin, l’expertise de l’acheteur d’occasion consiste à savoir négocier le prix. Même s’il ne s’agit pas toujours de
payer l’objet convoité le moins cher possible, le côté « malin » consiste à contrecarrer les objectifs
d’enrichissement qui animent généralement le vendeur. Certains répondants critiquent ainsi durement ce qui, peu
ou prou, leur rappelle le système de profit dont les producteurs, les distributeurs et les intermédiaires marchands
classiques sont les emblèmes honnis. Lisa, par exemple, fustige, dans les brocantes, le comportement des
professionnels ou des particuliers trop cupides qui réintroduisent le calcul et l’intérêt dans des lieux qu’elle
souhaiterait marqués par l’authenticité et le contact humain. Faire des affaires ressort alors comme un
comportement qui viole le système de valeurs qu’elle espère y trouver, mais qu’elle reproduit pourtant,
paradoxalement, avec la même âpreté :
« Certains particuliers sont vraiment trop intéressés. Parfois, je leur dis : ‘écoutez, vous êtes là, c’est
sympathique. Vous n’êtes pas un commerçant sinon, prenez un commerce, vous n’avez rien à faire là !’. Et
aussi, souvent les antiquaires, enfin les vrais brocanteurs, ils sont ignobles, ces gens-là. C’est vrai que nous,
on n’est pas toujours particulièrement agréables non plus, parce qu’on prend cette habitude de la brocante
de payer très peu cher. Acheter, négocier, c’est quelque chose qu’on parvient à apprendre aussi. On n’en
sait pas autant qu’eux sur les objets, mais on n’en laisse pas trop raconter quand même » (Lisa, F, 52 ans).
Les compétences acquises dans les circuits d’occasion mettent donc parfois en lumière, chez les acheteurs, un
sens du calcul à la hauteur de celui qui est attribué aux professionnels. Pour de nombreux répondants, ce savoir
est le résultat d’une longue expérience de la comparaison des circuits (neufs et d’occasion) et de la rationalité
extrême qu’ils affichent dans leur processus d’arbitrage. Le système par lequel le marché tente d’agir sur eux en
produisant les conduites désirées est aussi, in fine, celui dans lequel ils acquièrent des savoirs qui alimentent