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court-circuit
G. Abetel
A. Forclaz
A. Jaussi
Dr Gilbert Abetel
FMH médecine interne
Place du Marché 6
1350 Orbe
Drs Andrei Forclaz et Andres Jaussi
FMH cardiologie
Rue de Neuchâtel 16
1400 Yverdon-les-Bains
Coordination rédactionnelle
Dr Pierre-Alain Plan
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1743-5
Une femme de 49 ans se plaint depuis son adolescence de palpitations
cardiaques survenant de manière
abrupte, accompagnées d’un sentiment
d’oppression avec malaise, sans perte
de connaissance.
En 1980, l’ECG (figure 1) avait mis en évidence des épisodes d’extrasystoles ventriculaires (ESV) bénignes (isolées, peu fréquentes) et le Holter écarté l’hypothèse de
a Ce diagnostic de «bombement du feuillet mitral postérieur»
doit être apprécié dans le contexte historique. En 1980,
cette particularité était une entité jeune et «surestimée»,
aujourd’hui elle ne serait, dans le présent cas, plus du tout
considérée comme un prolapsus mitral et encore moins
comme un «syndrome de Barlow».
Arythmie sur cœur sain
tachycardie supraventriculaire. A l’époque, un
diagnostic de syndrome de Barlow a (prolapsus de la valve mitrale) avait été posé sur
la base d’une échographie en mode M. Un
traitement de métoprolol (25-50 mg/jour)
avait atténué les symptômes.
La patiente est par ailleurs en bonne santé.
Elle est mariée et mère d’une fille née en
1983 après une grossesse sans histoires.
Elle fait un peu de sport et travaille à plein
temps dans un laboratoire. Son poids est
de 68 kg pour 152 cm (IMC : 29,4 kg/m2).
A l’auscultation cardiaque, présence d’un
clic mésosystolique sans souffle de régurgitation mitrale. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. L’ECG est normal
avec quelques ESV.
Au printemps 2008, elle se déclare gênée
par ses extrasystoles, se plaint de vertiges,
dit être fatiguée et avoir de la peine à rester
debout, immobile, devant son plan de travail.
Un enregistrement ambulatoire de la TA permet alors d’exclure une hypotension orthostatique (TA moyenne diurne : 131/76 mmHg,
pouls : 85/min ; TA nocturne : 111/65 mmHg,
pouls : 81/min) et les examens sanguins
(TSH, T4, Na, K) sont dans les normes. Le
bilan effectué par le cardiologue n’apporte
pas d’éléments nouveaux (tableau 1).
Rassurée, la patiente poursuit son traitement de métoprolol (50 mg 2 x/jour), associé à un tranquillisant déjà prescrit par le
Tableau 1. Résultats du bilan cardiologique
•ECG:normalàpartquelquesESVisolées
àmorphologiedeblocdebranchegauche
avecunaxeverticalà80°dansleplan
frontal
•Holtersur24heures:12279extrasystolesventriculaires(ESV)monomorphes
•Echographietransthoracique:bombement
du feuillet mitral postérieur
•IRM:suspiciondedysplasieventriculaire
droite
passé (Deanxit, 1 cp matin et midi).
Quelques semaines plus tard, elle consulte en fin de journée, très angoissée, à la
suite de plusieurs malaises sans perte de
connaissance. Elle est accompagnée de
son conjoint qui doit la soutenir. La situation
semble dramatique mais l’examen clinique
est rassurant : TA : 120/80 mmHg, pouls :
100/min (attribué à l’angoisse de la patiente), irrégulier avec 4 à 6 ESV/min. Face à
l’angoisse de la patiente qui tient à peine
debout, une hospitalisation d’urgence est
programmée à l’hôpital régional.
L’examen médical à l’admission est normal
(TA : 150/90 mmHg, pouls : 90/min) à l’exception d’une température à 38°C. La patiente est mise sous surveillance télémétrique et, le lendemain matin, elle présente un
Figure 1. Morphologie des extrasystoles ventriculaires (janvier 1980) : bloc de branche gauche atypique avec axe QRS
vertical ; à noter aussi l’absence d’onde epsilon des complexes sinusaux
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court malaise dans son lit. L’enregistrement
montre une tachycardie ventriculaire (TV)
d’une durée de sept secondes (figure 2),
avec retour spontané à un rythme sinusal.
D’autres épisodes de TV de courte durée
sont aussi enregistrés.
Elle est alors transférée au CHUV où une
IRM de contrôle fait suspecter une dysplasie arythmogène du ventricule droit (fraction d’éjection (FE) à 40%, diamètre de
l’infundibulum pulmonaire à la limite supérieure de la norme et mouvements de contraction irréguliers) alors que la fonction globale et segmentaire du ventricule gauche
est normale, avec une FE à 66%. Cette
trouvaille motive une thermoablation de l’infundibulum effectuée deux jours plus tard
au CHUV.
Depuis lors, la dose de métoprolol a été
diminuée (25 mg 2 x/jour) mais la patiente
présente toujours quelques ESV, des oppressions thoraciques et des palpitations,
généralement au repos et surtout lorsqu’elle
est fatiguée. Ces événements l’inquiètent
car elle craint une récidive de TV. Une benzodiazépine (Xanax 0,25 mg) lors des épisodes symptomatiques permet d’améliorer
la situation.
nale du myocarde par du tissu adipeux,
etc.), caractérisée cliniquement par des tachyarythmies ventriculaires polymorphes et
surtout des syncopes. Cette pathologie est
grevée d’un pronostic bien plus grave.
questions au spécialiste
Commentaire général
Ce cas est une démonstration complète
d’une tachycardie ventriculaire de la cham­
bre de chasse droite, qui fait partie des
arythmies sur cœur sain et qui est bénigne,
les salves de tachycardie monomorphes se
terminant spontanément. La morphologie
des ESV en est caractéristique, tout comme
la salve de TV enregistrée par Holter. Le
cœur est structuralement et fonctionnellement normal. La thermoablation constitue
le traitement de choix si le patient est symptomatique comme c’est le cas ici.
Cette entité doit être clairement distinguée
de la dysplasie arythmogène du ventricule
droit, dont l’anomalie fondamentale est une
dysplasie du myocarde (substitution régio-
A quel moment et comment investiguer une arythmie par ESV chez une
jeune femme ?
Chez une jeune femme, une extrasystolie à l’ECG standard est bénigne tant que
les ESV sont isolées et monomorphes. Une
arythmie par ESV nécessite la consultation
d’un cardiologue pour des investigations
complémentaires (échocardiographie transthoracique, éventuellement ergométrie en
fonction de la situation) si les extrasystoles
sont très fréquentes (risque de tachycardiomyopathie), polymorphes ou complexes, et
si la patiente est symptomatique. Une étude
électrophysiologique peut alors éventuellement être envisagée en fonction de l’ensemble des éléments à disposition.
Figure 2. Episode de tachycardie ventriculaire avec retour spontané à un rythme sinusal
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Quand faut-il penser à une dysplasie
ventriculaire ?
Le diagnostic différentiel d’une extrasystolie ventriculaire est large. La dysplasie
arythmogène du ventricule droit (DAVD) est
rare ; elle peut être suspectée en présence
d’une onde epsilon (figure 3) sur l’ECG standard et doit être recherchée en cas de syncopes.
ladie infiltrative). Elle peut être réalisée en
deuxième intention dans le cadre de la recherche d’une ischémie myocardique.
Même si, dans le cas présent, le diagnostic
ne fait guère de doute (tachycardie ventriculaire de la chambre de chasse droite) la réalisation d’une IRM cardiaque paraît légitime.
Quelle est la place de l’ablation électrique de ces arythmies ?
Toute arythmie fortement symptomatique
doit faire l’objet d’une discussion des possi-
bilités interventionnelles avec l’électrophysiologue.
Le cas d’une tachycardie ventriculaire de
la chambre de chasse droite telle que présentée ici constitue une indication classique à la thermoablation.
Quel est le risque de récidive de
tachycardie ventriculaire ?
Dans ce cas, le risque de récidive de tachycardie ventriculaire après thermoablation est très faible (l 5%).
Bibliographie
Figure 3. Onde epsilon à l’ECG
Petite déflexion positive qui prolonge le QRS et
apparaît de façon spécifique dans environ 30%
des cas de dysplasie ventriculaire droite arythmogène. Elle traduit l’existence de micropotentiels
terminaux (ECG courtesy of Dr. De Voogt and ECGpedia.org).
Quelle est la place de l’IRM dans le
bilan cardiologique ?
L’IRM cardiaque est réalisée si l’échocardiographie soulève un doute concernant une
possible DAVD ou ne permet pas une conclusion claire au sujet de la (dys)fonction du
ventricule gauche. Elle est particulièrement
utile pour l’analyse structurale du ventricule
gauche (myocardite, cardiomyopathie, ma-
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ventricular arrhythmias and the prevention of sudden
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Envoi des textes à : [email protected] (avec mention «rubrique court-circuit»)
Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi,
Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, Yverdon-les-Bains ; Dr Ivan Nemitz, Estavayer-le-Lac ;
Dr Pierre-Alain Plan, Grandson
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