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Comportement du consommateur face à un risque
endogène immédiat
Gildas Appéré
1
Frédéric Dupont
2
Muriel Travers
3
Résumé
L’objet de cet article est d’analyser le comportement du consommateur face à un bien courant
dont la consommation peut générer un risque sanitaire pouvant se réaliser dans un bref délai. A
partir d’un modèle simple, dans lequel la fonction de probabilité individuelle dépend de la
quantité consommée, nous démontrons que l’endogénéisation du risque déforme les préférences
du consommateur et conduit à une non-convexité des préférences. Les équilibres de
consommation et les fonctions de demandes qui en résultent en sont singulièrement affectées,
notamment selon le degré de sévérité perçu et selon la forme de la fonction subjective Quantité-
Probabilité utilisée par le consommateur. Ce modèle cible en particulier les comportements face à
des risques se réalisant à brève échéance après la consommation comme par exemple les risques
de toxi-infections d’origine alimentaire.
Mots-clés: risques endogènes; non convexité des préférences; biens alimentaires
Classification JEL: D11, D8
1
Auteur correspondant : Université de Brest, UFR de Droit et d’Economie, 12 rue de Kergoat 29 238 Brest Cedex
3, gildas.appere@univ-brest.fr
2
ICI, Université de Brest
3
UMR Granem, Université d’Angers
2
La prise en compte du risque et de l’incertitude dans les actes quotidiens de consommation
semble devenir une préoccupation évidente pour le consommateur : ces risques ne se cantonnent
plus à des biens spécifiques de nature addictive (cigarettes, alcool, drogues) mais peuvent être
étendus à une large gamme de produits de consommation courante comme, par exemple, les
aliments, les produits ménagers, la wifi et les téléphones portables, produits pour lesquels, le
consommateur peut s’interroger, à tort ou à raison, sur la nature risquée de leur consommation, du
fait de la présence inhérente, accidentelle ou frauduleuse d’éléments nocifs pour la santé.
Concernant les biens alimentaires, les études scientifiques dévoilent progressivement l’étendue
des risques potentiels associés à leur consommation quotidienne : certains de ces risques sont liés
aux produits eux-mêmes lorsque qu’ils sont consommés dans des proportions non raisonnables
(e.g. maladies cardio-vasculaires associées à une alimentation trop riche en graisses et sucres),
tandis que d’autres sont liés à la présence d’éléments nocifs tels que des composés chimiques ou
encore des micro-organismes pathogènes. Parallèlement à cette distinction, nous pouvons
distinguer les risques dont les effets possibles surviennent très rapidement après l’acte de
consommation (e.g. la survenue de toxi-infections liées à la présence de micro-organismes
pathogènes) et les risques dont les effets possibles surviennent avec une durée de latence
relativement longue (e.g. la survenue de cancers liés à la présence de pesticides).
Cependant, quelque soit le cas de figure envisagé, le consommateur peut penser qu’il existe un
lien entre la quantité qu’il consomme et l’exposition au risque. Dans cet article, nous nous
intéressons à la consommation d’un bien générant un risque sanitaire à effet immédiat.
Formellement, il convient alors d’ajouter une dimension de risque au programme habituel de
consommation. Pour cela, nous utilisons le concept de bien à risque, défini comme un bien dont
la consommation procure simultanément un bien-être et un risque dont la probabilité
d’occurrence est perçue par le consommateur comme une fonction croissante de la quantité
consommée. Dans une première partie, nous détaillerons le programme du consommateur
lorsqu’un risque pour la santé dépend de la quantité consommée par le consommateur. Dans une
seconde partie, nous analyserons les effets de l’introduction du risque sur les préférences du
consommateur, notamment selon le degré de sévérité perçu. Dans les troisième et quatrième
parties, nous montrerons les effets singuliers respectifs sur l’équilibre de consommation ainsi que
la déformation de la fonction de demande partielle. Dans la cinquième partie, nous appliquerons
ce modèle au cas d’un choix de consommation face à un risque alimentaire de toxi-infection.
1. Programme du consommateur face à un risque endogène dépendant de la quantité
consommée
Nous partons tout d’abord d’un modèle simple de consommation à deux biens consommés
respectivement en quantités x et z et où le premier bien
4
est choisi comme numéraire :
,
( , )
x z
Max U x z
(1)
Sous contrainte que :
. 0,
0, 0
z
z
y x p z
y p
− −
> > (2)
Nous considérons que les hypothèses habituelles du modèle standard sont vérifiées, en particulier
la convexité des préférences. Dans ces conditions, on sait qu’il existe un équilibre (x*, z*) ainsi
que des fonctions de demande partielle dont les propriétés sont bien connues.
4
Par la suite, par souci de simplification, nous parlerons des biens x et z.
3
Prise en compte de la vulnérabilité perçue par le consommateur au travers d’une fonction
subjective Quantité-Probabilité
Nous supposons maintenant que le consommateur pense tort ou à raison) que le bien z génère
un risque pour sa santé. Pour simplifier, nous admettons que sa consommation n’a que deux
conséquences : être ou ne pas être malade. La probabilité d’occurrence perçue par le
consommateur est une fonction croissante de la quantité z consommée. Cette fonction Quantité-
Probabilité (dont on peut faire le parallèle avec une fonction Dose-Réponse), notée π (z), semble
avérée puisque de nombreuses études épidémiologiques mettent en évidence l’accroissement d’un
risque avec les quantités consommées d’un bien : le risque relatif du cancer du sein augmenterait,
par exemple, de 7,1% pour chaque accroissement de dix grammes de la consommation d’alcool
(Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer, 2002). De même, passé un certain
seuil, la probabilité d’une maladie coronarienne augmente de façon plus que proportionnelle aux
millilitres de café consommés quotidiennement (Demosthenes et al. ,2003).
Pour tout produit ayant potentiellement ce caractère risqué, il existe a priori une famille de
fonctions Quantité-Probabilité déclinables selon le type de pathologie et selon les caractéristiques
physiologiques des individus (âge, sexe, antécédents médicaux, etc.). Cependant, on peut émettre
l’hypothèse que chaque individu a sa propre perception subjective des risques liés à la
consommation de ce type de biens, notamment lorsqu’il n’existe pas de quantification précise de
ces risques voire lorsque ces risques font eux mêmes l’objet de débats au sein de la communauté
scientifique (e.g. cas d’allergies alimentaires générées par la consommation d’organismes
génétiquement modifiés).
Par conséquent, la forme de la fonction individuelle π(z) repose fondamentalement sur la façon
dont un individu perçoit le risque lié à la consommation de quantités croissantes d’un bien à
risque. En particulier, si la fonction individuelle de probabilités π(z) peut être supposée
croissante, elle ne prend pas nécessairement ses valeurs dans l’intervalle [0, 1].
Dans le cas présent, nous pouvons modéliser la fonction π(z) par une loi de Weibull «aménagée»
à notre cas d’étude :
( ) 1
 
 
 
= −
k
z
z e
λ
π
(3)
Outre sa souplesse qui lui permet de reproduire le comportement d’autres distributions de
probabilités, cette loi présente l’avantage d’être définie sur les réels positifs, d’avoir deux
paramètres permettant de moduler son échelle (λ) et sa forme (k). Elle est donc tout à fait
indiquée pour rendre compte de la plasticité des perceptions subjectives de la relation Quantité-
Probabilité par les individus (cf. figure 1).
4
Figure 1 : Fonctions Quantité-Probabilité modélisées par une loi de Weilbull
Il est également possible d’introduire un seuil z
s0
(resp. z
s1
), en dessous (resp. au dessus) duquel,
le consommateur pense, à tort ou à raison, que le risque est nul (resp. certain). La fonction
Quantité-Probabilité construite à partir d’une fonction de Weilbull devient alors
5
:
0
( ) 0
s
z z z
π
0
1 0
0 1 0 0
1
( )
1
 
 
 
 
 
 
= ≤ ≤
k
s
k
s s
s s s s
z z
z z
e
z z z z z z
e
λ
λ
π
1
( ) 1
= >
s
z z z
π
Figure 2 : Fonction Quantité-Probabilité avec effets de seuils (z
s0
= 2 ; z
s1
= 16)
L’introduction de seuils subjectifs permet de caractériser la fonction Quantité-Probabilité (outre
les paramètres λ et k) par l’amplitude
6
zs = zs1 – zs0.
5
Remarquons alors que le cas précédent « sans seuil » est obtenu lorsque
0 1
0et
= →+
s s
z z
6
Néanmoins, en vue de simplifier nos propos, nous nous référerons uniquement par la suite à une fonction Quantité –
Probabilité sans effets de seuils.
λ = 19
λ = 9
λ = 14
λ = 4
k = 2 k = 4
k = 6
5
Prise en compte de la sévérité perçue par le consommateur
Dans ce modèle simple, la sévérité du risque est indépendante de la quantité consommée. De
même, par souci de simplification, le risque est supposé survenir très rapidement après la
consommation afin de ne pas tenir compte provisoirement de la question de la latence du risque et
donc les questions de choix inter-temporels (cette dernière hypothèse devra être levée dans un
modèle ultérieur). Par conséquent, la quantité consommée n’agit que sur la probabilité perçue de
subir l’effet négatif et non sur la durée ou la gravité de cet effet.
Dans cette nouvelle situation, ce risque individuel est contrôlable
7
. Le consommateur peut
moduler son exposition au risque en faisant varier la quantité consommée du bien risqué. Il lui
incombe de faire la balance entre l’avantage associé à une augmentation de la quantité
consommée et les inconvénients liés à ce supplément de consommation.
Il convient alors d’introduire cette dimension de risque associée à la consommation du bien (z)
dans le programme du consommateur. L’ensemble de consommation d’un individu représentatif
est composé d’un bien composite non risqué (x) et d’un bien risqué (z).Les préférences du
consommateur sont représentées par une fonction d’utilité dépendant des états du monde (Eisner
et Strotz, 1961 ; Hirshleifer, 1970 ; Arrow, 1973), notée :
u (x,z,s)
(4)
s= 0 si l’issue défavorable ne se réalise pas et s=1 si elle se réalise. Nous simplifions la
notation en les écrivant us(x, z). La fonction u
0
est munie des propriétés habituelles. Définie
sur
2
+
, elle est continûment différentiable et strictement quasi-concave. Le cas de la fonction u
1
est un peu plus compliqué. En effet, il serait contradictoire de la définir pour des paniers de biens
positifs ou nuls puisqu’on ne peut simultanément dire que la consommation de z est nulle et que
l’issue défavorable s’est réalisée. Nous posons donc que :
≥ >
≥ =
1 1
1 0
u =u (x,z), x 0,z 0
u =u (x,z), x 0,z 0
(5)
L’utilité espérée U du panier (x, z) est donc :
(
)
0 1
1
+
= + ∀ ∈
U( x,z ) ( z ) .u ( x,z ) ( z ).u ( x,z ), z
π π
(6)
Notons alors que la difficulté évoquée pour la définition de la fonction u
1
n’a pas réellement de
conséquences. En effet, si la consommation du bien risqué est nulle, la probabilité π(z) de subir
l’issue défavorable est nulle et la façon de définir u
1
en z=0 n’a finalement que peu d’importance.
Nous appelons «sévérité» — notée S — la différence d’utilité entre un même panier dans les deux
états du monde. La sévérité est donc une grandeur subjective variable d’un individu à l’autre.
7
Il est également suppoque le consommateur ne dispose pas de mesure d’autoprotection face au risque encouru
autre que la modulation de sa consommation du bien à risque. De même, il est supposé que les consommateurs ne
supportent pas les coûts financiers de l’éventuel effet négatif lié à la consommation du bien à risque (il existe un
système de couverture sociale intégrale et d’assurance couvrant tous les coûts financiers induits par la maladie :
soins, pertes de journées de travail, etc.). Ainsi, l
effet négatif n
agit pas directement sur sa contrainte budgétaire mais
uniquement sur sa fonction d’utilité.
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