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Le Courrier de l’algologie (2), no3, juillet/août/septembre 2003
L’algologie doit avoir un code éthique
Michel Y. Dubois *, Alex Cahana **
Éthique
Éthique
L’
algologie, aux États-Unis et dans la plupart des
pays occidentaux, est arrivée à maturité. Au cours
des dix dernières années, l’algologie est en
effet devenue une véritable spécialité, et, parallèlement,
l’un des champs d’activité les plus dynamiques de la
médecine.
Curieusement, néanmoins, et contrairement à d’autres
domaines de la médecine, l’algologie n’a pas développé
de recommandations d’ordre éthique concernant ses pro-
blèmes cliniques spécifiques. Des problèmes éthiques
isolés concernant le traitement de la douleur, comme
l’insuffisance de prescription analgésique ou encore l’uti-
lisation des opiacés pour le traitement des douleurs non
cancéreuses, ont fait l’objet de discussions et abouti à des
propositions de recommandations. Mais la seule situa-
tion clinique pour laquelle les aspects éthiques ont été
réellement discutés correspond au scénario du contrôle
de la douleur chez les patients en fin de vie. Cet aspect
a très longuement été discuté au cours des dernières an-
nées avec un certain nombre de résultats positifs. Il reste
néanmoins une tâche considérable à accomplir pour éta-
blir des recommandations similaires adaptées aux autres
situations cliniques couramment rencontrées.
L’algologie a bénéficié d’avancées considérables sur le
plan de la recherche comme sur le plan thérapeutique.
Néanmoins, de nombreuses barrières s’opposent encore
à une prise en charge efficace de la douleur. Ces bar-
rières peuvent avoir été érigées par le patient, le soignant
ou le système de soins. L’état actuel du système de soins
aux Etats-Unis ne facilite guère le travail quotidien de
l’algologue. Des décisions critiques concernant la stra-
tégie thérapeutique, prises au jour le jour, sont ou ne
sont pas les meilleures pour le malade, particulièrement
lorsqu’elles sont réduites de manière significative par
un tiers non soignant, en l’occurrence les organismes
payeurs. L’algologie nécessite de manière urgente et cru-
ciale de disposer des moyens de démontrer l’efficacité
des traitements mis en œuvre et de mesurer leurs effets.
Les médecins de la douleur sont en effet très fréquem-
ment confrontés aux dilemmes suscités par des tech-
niques dont l’efficacité n’est pas scientifiquement dé-
montrée, par des traitements qu’ils contrôlent mal et dont
ils ne mesurent pas les effets et l’efficacité. Nombre de
ces dilemmes comportent un élément éthique qui doit
être pris en considération.
La prise en considération et la discussion de ces aspects
éthiques en préalable à la décision médicale en général, et
thérapeutique en particulier, ont des implications pratiques
en ce sens qu’elles évitent les abus : abus de la part du ma-
lade mais aussi abus engendré par le système de soins ou
par le praticien.
Quatre grandes situations schématiques favorisent l’abus :
✓la situation bénéficie au médecin algologue dont “l’éco-
nomie” personnelle (dettes, emprunts...) peut entraîner la
prescription de soins qui ne sont pas nécessaires. En outre,
en raison même du fait que ce domaine de la médecine n’a
pas de standards bien établis (c’est-à-dire de protocoles
cliniques), contrairement aux spécialités plus anciennes,
et malgré les efforts pour construire des programmes de
formation et exiger une formation minimale, la porte reste
largement ouverte au charlatanisme ;
✓la situation bénéficie au patient qui peut l’utiliser pour
obtenir des bénéfices secondaires, ou encore pour s’ins-
taller dans une adaptation à sa maladie qui ne peut que
rendre vaine et inefficace toute proposition thérapeutique ;
✓la situation bénéficie au payeur, lorsque les excès aux-
quels entraîne une conception des soins fondée sur le
profit des compagnies d’assurance, conduisent inévita-
blement à des abus de la part du malade ou du médecin ;
✓l’agenda politique, qui n’a qu’un rapport éloigné avec
les soins médicaux, peut avoir une influence décisive en
fonction d’une plate-forme de propositions électorales,
telles que la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants,
qui peut mener, parfois, à une restriction de l’accès aux an-
talgiques opiacés.
Tous ces facteurs entraînent des prises de décision parfois
difficiles pour l’algologue. Toutes ces situations com-
portent d’une certaine manière et de façon plus ou moins
importante, un élément éthique. Comment un algologue
pourrait-il, dans sa pratique quotidienne, suivre stricte-
ment les règles cardinales de l’éthique médicale : bénéfice
pour le patient, absence de préjudice pour le patient, res-
pect de l’équité et de l’autonomie pour le patient ? Com-
ment le même médecin peut-il analyser des situations
complexes lorsqu’il n’existe ni recommandations ni mé-
thodologie ? Le besoin de concepts éthiques validés, ac-
ceptés et transposables à l’algologie est évident.
L’Académie américaine de médecine de la douleur
(AAPM,American Academy of Pain Medicine) et la So-
ciété américaine de la douleur (APS,American Pain So-
ciety) ont réuni un comité ad hoc (task force) et adressé
un questionnaire à ses membres en août 1999, dans le but
de les interroger sur leurs difficultés éventuelles et sur
* New York University Pain Program, New York, États-Unis.
** Programme Antalgie interventionnelle, département APSIC, hôpitaux
universitaires de Genève, Suisse.