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Le Courrier de l’algologie (5), n°1, janvier/février/mars 2006
C
omme l’écrit Canguilhem dans La connaissance de la vie : “L’acte
médico-chirurgical n’est pas qu’un acte scientifique, car l’homme malade
n’est pas seulement un problème physiologique à résoudre, il est sur-
tout une détresse à secourir”. C’est ce que les malades ont voulu rappeler, lors
de leurs États généraux, en réclamant une approche de la maladie plus humaine,
dans laquelle le médecin serait véritablement à l’écoute de la personne qui existe
derrière les symptômes de la maladie. Il y a cinq ans, lors de ces États généraux
des malades du cancer, une patiente nous interpellait, nous, soignants, de la
manière suivante : “Je suis un être physique, psychique, un être subtil et spi-
rituel. Comment m’avez-vous traitée ?”. À maintes reprises, les malades ont
demandé que s’instaure, dès l’annonce du diagnostic, un véritable dialogue qui
leur permette de “dire” ce qui les angoisse, de poser des questions, d’obtenir
des informations, de connaître (ou non) la vérité…
La loi du 4 mars 2002, la consultation budgétisée pour l’annonce du diagnostic
dans le cadre du Plan cancer, la référence 32 du manuel d’accréditation qui
pointe l’obligation de la prise en charge de la douleur aiguë et/ou chronique,
physique et/ou morale, ainsi que le code de déontologie médicale ont servi
de point d’appui à une évolution des mentalités. Le traditionnel rapport
paternaliste du médecin au malade tend progressivement à disparaître pour
laisser place – conformément à la doctrine des Droits de l’homme qui s’ap-
plique désormais au droit médical –, à une altérité, à une volonté de faire de
l’autre, malade, un partenaire du soin. Mais si l’information au malade est
un préalable nécessaire à l’établissement d’une relation de confiance et à l’ob-
tention d’un “consentement éclairé”, en aucun cas l’information donnée,
aussi bien donnée soit-elle, ne peut résoudre la question de la douleur morale
inhérente à la maladie grave. Car donner une information claire et précise
sur la maladie, sur les symptômes et les traitements n’élimine pas forcément
le vécu subjectif, les peurs et les angoisses. Certaines résistent à toutes les
approches rationnelles.
Que l’on donne du crédit ou non à cette réalité, le malade a à faire avec la
mort, avec sa mort et non pas avec la maladie. Roland Gori rappelle à ce pro-
pos “qu’on oublie que, pour le patient cancéreux, il n’y a pas de ‘bons’ can-
cers établis par une probabilité de guérir, mais seulement une angoisse et une
souffrance en quête de certitude et de réassurance…” Il ajoute : “En fin de
compte, qui contestera qu’il vaut mieux faire partie des 10 % qui survivent
à un ‘mauvais’ cancer que des 10 % qui meurent d’un ‘bon’ cancer ?”
En créant une commission Douleur morale au CLUD du CHU de Nice, nous
souhaitions rappeler, à plusieurs, dans une authentique pluridisciplinarité
(incluant aussi les associations de malades), que la douleur morale des malades
atteints de maladies graves doit bénéficier d’une attention tout aussi grande
de la part de nos pouvoirs publics que celle qui a été accordée depuis plu-
sieurs années à leur douleur physique. En confiant la responsabilité de cette
commission à une psychologue clinicienne, il s’agissait aussi de rappeler que,
Et si l’on s’occupait de la douleur morale… ?
Hélène Brocq*
* Psychologue clinicienne, service
de médecine physique
et de réadaptation,
Centre de référence
pour les maladies neuromusculaires
et la SLA, hôpital Archet 1, Nice.