Séance publique du 9 mai 2006 SCIENCES COGNITIVES ET ÉDUCATION Résumés • Présentation par Pierre Léna, délégué à l’éducation et à la formation, Académie des sciences Constatant la richesse des travaux actuels issus des sciences cognitives et leur impact possible sur l’évolution des pratiques pédagogiques en milieu scolaire et dans les programmes de formation des enseignants au sein des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) (et ce, alors que la place des sciences expérimentales décline dans le choix des filières choisies par les jeunes et reste faible dans la formation des maîtres), l’Académie des sciences, neuf ans après la naissance de La main à la pâte et forte de son expérience en matière d’enseignement des sciences, souhaite contribuer à rapprocher l’éducation des résultats de la recherche. Elle a, dans ce but, organisé, avec le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE/CERI), un séminaire consacré aux relations Éducation, cognition, cerveau, les 9 et 10 novembre 2005, dont les premières conclusions et recommandations feront l’objet de cette présentation. • Explorer le développement de l’enfant, par Ghislaine Dehaene-Lamberz, Inserm U562, Neuro-imagerie cognitive, Service hospitalier Frédéric Joliot, Orsay Le développement récent de l’imagerie cérébrale nous fournit les moyens d’étudier le développement du cerveau tant sur le plan structurel que sur le plan fonctionnel. Sur le plan structurel, le développement cérébral n’est pas homogène, certaines régions se développant très rapidement après la naissance alors que d’autres ont un développement qui se prolonge jusqu’à l’adolescence. Sur le plan fonctionnel, l’utilisation de méthodes à haute résolution spatiale, comme l’imagerie par résonance magnétique, et de méthodes à haute résolution temporelle, comme l’électro- et la magnéto-encéphalographie, permettent de mieux cerner les mécanismes d’apprentissage. Il devient également possible de comprendre comment ces apprentissages peuvent être perturbés et mener à des troubles de lecture, de calcul, d’attention… qui perturbent la scolarité. Seront présentées les différentes méthodes d’imagerie utilisables dès le plus jeune âge, quelques résultats marquants obtenus par ces méthodes et enfin ce qu’on peut attendre (et ne pas attendre) de ces méthodes dans le cadre de l’éducation. Académie des sciences de l’Institut de France mardi 9 mai 2006 • Lecture et développement cognitif, par José Morais, Unité de recherche en neurosciences cognitives, Université libre de Bruxelles La lecture est une activité complexe dont la capacité spécifique est la reconnaissance des mots écrits. Pour comprendre les processus sous-jacents à cette reconnaissance, il faut tenir compte de deux faits : le langage écrit n’est pas un langage en soi, mais une représentation du langage parlé ; et le système d’écriture que nous utilisons, le système alphabétique, est un corpus de graphèmes qui représentent des phonèmes. Les sciences cognitives de la lecture ont permis de tracer, sans doute encore de manière approximative, les processus impliqués dans la lecture experte et dans son apprentissage. En apprenant à lire dans le système alphabétique et en utilisant cette capacité, les individus acquièrent de nouvelles compétences, surtout dans le domaine langagier, aussi bien au niveau de leurs intuitions phonologiques que de leurs processus de reconnaissance des mots parlés. Enfin, la lecture est accompagnée d’autres apprentissages dans le cadre de la scolarité. La pratique de cet ensemble de capacités est responsable d’autres changements cognitifs, notamment en ce qui concerne l’utilisation des capacités de mémoire. • Sciences cognitives et apprentissage, par Bruno della Chiesa, analyste principal, responsable du projet « Sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau » à l’OCDE/CERI Les principales conclusions du rapport OCDE/CERI à venir, Le Cerveau apprenant (titre de travail): en quoi les connaissances disponibles aujourd’hui dans le domaine des neurosciences peuvent-elles et vont-elles modifier les approches des apprentissages? Les travaux des spécialistes que synthétise cette étude, en permettant de mieux comprendre comment le cerveau traite l’information et comment les processus d’apprentissage évoluent au cours de la vie, ouvrent des perspectives nouvelles, notamment en matière de littératie (apprentissage de la lecture) et de numératie (apprentissage de l’arithmétique). Au-delà, le rôle fondamental joué par les émotions dans l’apprentissage commence à être étudié de près par les neurosciences, et par ailleurs une «carte» de la plasticité et de la périodicité cérébrales sur l’ensemble du cycle de vie émerge peu à peu. Ce qui n’est pas sans implications pour les politiques et les pratiques éducatives, et pourrait bientôt avoir un impact sur la formation des enseignants…. Académie des sciences de l’Institut de France mardi 9 mai 2006 1 Académie des sciences Séance du mardi 9 mai 2006 Grande salle des séances du Palais de l‘Institut de France Question d’actualité SCIENCES COGNITIVES ET ÉDUCATION N euf ans après la naissance de La main à la pâte (action de rénovation de l’enseignement de la science à l’école primaire lancée en 1996 à l’initiative de Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992, membre de l’Académie des sciences), il est frappant de constater, en France et plus particulièrement dans les milieux de l’enseignement, l’impact encore très limité des travaux concernant le rapport entre l’éducation et les sciences cognitives, avec leurs développements récents. Dans d’autres pays (États-Unis, Japon, PaysBas, Royaume-Uni), la recherche à l’interface de ces deux domaines paraît beaucoup plus active. Forte de l’action et de la réflexion qu’elle mène depuis de longues années dans le domaine de l’enseignement des sciences et en collaboration avec une division de l’OCDE, le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI), qui a lancé, en 1999, le premier projet international dans ce domaine, l’Académie des sciences a organisé en novembre 2005 un séminaire sur le thème « Éducation, cognition et cerveau ». Ce séminaire fermé, réunissant une quarantaine de personnes, a été l’occasion de faire le point avec les personnalités éminentes qui, d’une discipline à l’autre et un peu partout dans le monde, se préoccupent de ces questions. L’ambition de l’Académie, partagée par le CERI et la Conférence des directeurs des instituts universitaires de formation des maîtres (CIUFM), est de donner à ces travaux une plus grande visibilité en France, de sensibiliser les différents acteurs de l’éducation à leur intérêt et à leurs enjeux, de contribuer à ce qu’ils soient mieux connus - en particulier lors de la formation initiale et continuée des maîtres - et d’inciter des enseignants-chercheurs au sein des IUFM à s’y engager plus fortement qu’aujourd’hui. C’est pour faire partager la réflexion à un public peu familier de la recherche de pointe sur ces thèmes qu’a été conçue cette question d’actualité. Succédant aux exposés depuis 1989, les questions d’actualité, proposées également lors des séances publiques de l’Académie des sciences, sont en effet le cadre par excellence pour exposer à un auditoire non scientifique comme aux membres de l’Académie les connaissances les plus récentes touchant à des préoccupations qui intéressent la société dans son ensemble. Les relations entre sciences cognitives et éducation en font désormais partie. *** 2 « Éducation, cognition et cerveau » Un séminaire conjoint de l’Académie des sciences & de l’OCDE/CERI (Paris, 9-10/11/05), tenu avec le concours de la Fondation Simone & Cino del Duca. Un volume d’actes du séminaire, édité par Pierre Léna & Béatrice Ajchenbaum-Boffety (Délégation à l’éducation et la formation, Académie des sciences). À paraître en 2006. Souhaitant jeter un pont entre la pratique pédagogique, la formation initiale et continue des enseignants et les travaux les plus récents en matière de sciences cognitives liées à l’apprentissage, ce séminaire, qui rassembla une quarantaine de participants, a été ouvert par Nicole Le Douarin, Secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences, tandis que la collaboration avec le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE était présentée par Bruno Della Chiesa et l’intérêt des IUFM par Patrick Mendelsohn (Vice-Président de la Conférence des directeurs d’IUFM). Les sessions ont été présidées par Pierre Buser, Jacques Friedel et Marc Jeannerod, la table ronde finale par Pierre Léna, tous quatre membres de l’Académie. Le séminaire a abordé les questions suivantes, que les actes reprendront en publiant l’ensemble des communications et des débats. Que nous apprend aujourd’hui l’investigation cérébrale directe ? Michael Posner (Department of Psychology, University of Oregon, Etats-Unis), Brain networks and acquisition of school subjects. Stanislas Dehaene (Collège de France, Paris), Can cognitive neuro-science help design innovative education protocols ? The case of arithmetic. Jellemer Jolles (Brain & Behavior Institute, University of Maastricht, Pays-Bas), Executive functioning, Prefrontal cortex and learning in an aging perspective. Eamonn Kelly (School of education, George Mason University, Etats-Unis), Brain research and education : potentials implications for pedagogy. Quels éclairages pour la pédagogie et les apprentissages, qu’il s’agisse de la lecture, du multi-linguisme ou du raisonnement ? Michel Fayol (Laboratoire de psychologie sociale et cognitive, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand), L’apprentissage de l’orthographe : un exemple de la complexité des phénomènes d’apprentissage. José Morais (Neurosciences cognitives, Université libre de Bruxelles, Belgique), En quoi l’apprentissage de la lecture et les autres apprentissages scolaires changent-ils les capacités cognitives de l’être humain ? Johannes Ziegler (Laboratoire de psychologie cognitive, Université de Provence, France), Apprentissage de la lecture et dyslexie : comparaison inter-langues. Núria Sebastián Gallès (Basic Psychology, Université de Barcelone, Espagne), Grandir et vivre à Babel : le bilinguisme considéré sous l’angle des neurosciences cognitives. André Tricot (Université de Toulouse II et IUFM de Midi-Pyrénées, France), De l’intelligence à l’expertise, les effets de la diversité. Pierre Barouillet (Psychologie de l’enfant et de l’adolescent, Université de Bourgogne, France), Logique, rationalité et développement du raisonnement. Lors de la table ronde, intitulée Sciences cognitives et formation des maîtres : quel dialogue ? sont intervenus Ghislaine Dehaene-Lamberz (Inserm, Service hospitalier Frédéric-Joliot, Orsay, France), Patrick Mendelsohn (Université Pierre-Mendès-France et IUFM de Grenoble, France), Christine Petit (Collège de France & Institut Pasteur, Paris), Claude Sauvageot (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, France), Marie-Christine Toczek-Capelle (IUFM d’Auvergne, France). Les conclusions finales ont été présentées par Jarl Bengtsonn (Conseiller OCDE/CERI). 3 Quelques perspectives Les dix années qui viennent vont voir le remplacement de près de la moitié des enseignants. En France, leur formation initiale est confiée aux Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), qui seront désormais rattachés aux Universités (Loi du 25 avril 2005) et donc plus proches de la recherche, tandis que la formation continue relève des recteurs. Peut-on mettre à contribution le profond renouvellement des sciences cognitives, notamment par l’investigation plus directe du cerveau - imagerie fonctionnelle par exemple en complément des méthodes plus classiques de psychologie expérimentale ? Est-il possible de mieux préparer les enseignants et de fonder leurs pratiques sur une connaissance scientifiquement plus instruite et approfondie de l’apprentissage humain, sur les mécanismes d’acquisition du savoir et sur leurs dysfonctionnements ? Lors du séminaire, plusieurs perspectives ont été évoquées, susceptibles d’inspirer des évolutions souhaitables : • En France, la formation initiale des enseignants - ceux du primaire comme ceux du secondaire - met fortement l’accent sur l’excellence disciplinaire, ainsi que sur une préparation immédiate au métier. Pour recevoir l’attention des étudiants, les recherches plus fondamentales sur l’apprentissage devraient être mieux intégrées dans leurs parcours de licence, sous forme élémentaire et accessible. • En outre, un accès plus approfondi à ces travaux devrait être inclus dans la formation continue, lorsque les enseignants auront rencontré dans leur pratique des situations concrètes mettant en jeu le développement cognitif. Cet intérêt devrait non se limiter aux seuls dysfonctionnements - dyslexie, dyscalculie, orthophonie, troubles de l’émotivité -, mais considérer l’apprentissage sous tous ses aspects. • L’absence, en France, de programme de recherche interdisciplinaire de haut niveau, jetant des ponts entre spécialistes de sciences cognitives, neuro-sciences et enseignants, est regrettable. L’évolution de profils de recrutement d’enseignantschercheurs en IUFM, la création de classes scolaires d’observation, liées à la recherche, pourraient également contribuer à ces ponts. Bien des travaux de didactique seraient ainsi utilement renouvelés. • Un effort important de valorisation de la recherche en sciences cognitives, sous forme d’ouvrages accessibles et d’études de cas, est souhaitable. En effet, les connaissances qu’en ont les enseignants sont souvent fragmentaires, naïves, fondées sur des préconceptions rudimentaires ou empreintes de « neuro-mythes ». Les importants travaux réalisés dans le monde anglo-saxon gagneraient à être mieux connus, grâce à l’apport et la publication des travaux de l’OCDE/CERI. • L’ouverture, par l’OCDE/CERI, d’un site francophone de forum et de dialogue sur ces sujets, ouvert aux enseignants, est une étape importante : www.teach-the-brain.org *** 4 Le cerveau apprenant (titre provisoire) Une publication de l’OCDE /CERI A près Comprendre le cerveau, vers une nouvelle science de l’apprentissage, publié en juillet 2002 par le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE, Le cerveau apprenant (titre provisoire) synthétise les travaux menés dans la deuxième phase du projet Sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau. Lancé en 1999, celui-ci a pour objectif de favoriser le dialogue et la coopération entre sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau, ainsi qu’entre chercheurs et décideurs politiques. Le cerveau apprenant expose en trois grandes sections les principaux résultats des études qu’ont réalisées des réseaux internationaux et transdisciplinaires sur la lecture / écriture (« literacy»), l’arithmétique (« numeracy »), la formation tout au long de la vie et le rôle des émotions profondes dans les apprentissages. • Promouvoir des politiques et des pratiques éducatives instruites par des modèles et des preuves scientifiques passe par un bilan des recherches à l’intersection des neurosciences cognitives et de l’apprentissage : c’est à quoi cette publication s’attache dans un premier temps, avant d’aborder les implications éthiques et les risques de simplification que présente la diffusion des découvertes. • C’est au cerveau en action, à son organisation et à son fonctionnement qu’est consacrée la deuxième partie. Comment le cerveau apprend-il et quelles conséquences tirer de sa plasticité avérée tout au long de la vie ? Quels apprentissages se prêtent à une approche par les neurosciences cognitives et quelles sont les difficultés identifiées et comprises aujourd’hui en matière d’apprentissage de la « littératie » comme de la « numératie » ? Comment les processus émotionnels affectent-ils l’acte d’apprendre et la cognition ?… • Récapitulant les leçons apprises à la croisée des neurosciences et de l’éducation, la troisième partie, enfin, explore la voie à suivre et propose de mettre en débat un nouveau programme de recherche où sont énumérées les priorités touchant les seules neurosciences et celles qui relèvent d’approches transdisciplinaires associant sciences expérimentales et sciences sociales. Les décideurs politiques ne sont pas oubliés dans ces perspectives que concluent une série de recommandations à leur intention. OCDE/Direction de l’éducation Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI) 2, rue André Pascal 75775 Paris Cedex 16 [email protected] librairie en ligne de l’OCDE www.oecdbookshop.org