Journal Identification = JPC Article Identification = 0222 Date: September 13, 2012 Time: 1:13 pm
J Pharm Clin, vol. 31 n◦3, septembre 2012 165
Entérocolite neutropénique associée au docétaxel
quelques cas ont été décrits). À la coproculture, la
recherche de la toxine de Clostridium difficile est
négative ; la réalisation d’une coloscopie ou d’une recto-
sigmoïdoscopie en urgence est différée par crainte d’une
perforation colique et un rapport bénéfice/risque estimé
défavorable. Une antibiothérapie intraveineuse par cef-
triaxone (2 g par jour), métronidazole (500 mg trois fois
par jour) et amikacine (20 mg/kg par jour) est instaurée
en association avec une réhydratation parentérale par du
sérum glucosé isotonique 1 litre par 24 heures, une mise
au repos du tube digestif et par la suite une nutrition
parentérale totale.
Quarante-huit heures plus tard, l’état de la patiente
continue de se dégrader avec la survenue d’un syn-
drome septique sévère avec majoration du syndrome
inflammatoire (CRP à 514 mg/L), collapsus tensionnel,
insuffisance rénale aiguë (urée à 12,69 mmol/L ; créati-
nine à 357,1 mol/L), dans un contexte de persistance
de la leucopénie à 2 200 éléments/mm3. La patiente
est alors transférée en réanimation où elle bénéficie
d’une intensification des soins à visée symptomatique
et d’un changement d’antibiothérapie par pipéracilline-
tazobactam (4 g trois fois par jour) et ciprofloxacine
(500 mg deux fois par jour). Devant cette aggravation,
le diagnostic étiologique est reconsidéré et devant la
localisation essentiellement iléo-cæcale et le contexte thé-
rapeutique, l’hypothèse d’une colite neutropénique au
docétaxel est finalement retenue comme la plus pro-
bable. L’évolution est finalement favorable avec une
normalisation tensionnelle en 24 heures, obtention d’une
apyrexie en 48 heures et normalisation des paramètres
biologiques.
Discussion
L’entérocolite neutropénique est une colite ulcéreuse inté-
ressant en priorité le cæcum et le côlon ascendant, parfois
l’iléon terminal [2]. Il s’agit d’une pathologie redoutable
qui peut évoluer vers une pancolite puis se compli-
quer de nécrose, de perforation et de péritonite. Devant
l’absence de critères diagnostiques précis, le diagnostic
d’entérocolite neutropénique exige d’avoir éliminé les
autres causes possibles de colite, particulièrement infec-
tieuses. La coproculture doit être réalisée avant toute
antibiothérapie et après avoir précisé la demande au
biologiste, notamment la recherche de Clostridium sep-
ticum et sa toxine. La recherche systématique de toxine
de Clostridium difficile permet d’écarter une colite pseu-
domembraneuse qui nécessite un traitement antibiotique
adapté. Devant un tableau d’iléite et de colite cæcale
(aussi appelée typhlite), la réalisation d’une rectosigmoï-
doscopie en urgence est de peu d’utilité. La coloscopie
totale permet essentiellement de rechercher une colite
ulcérée typiquement due au cytomégalovirus (CMV).
L’aspect macroscopique est très évocateur mais pas stric-
tement spécifique et la preuve de l’implication du CMV
ne peut être obtenue que par la recherche d’ADN viral
sur des biopsies coliques par technique de PCR. Cet exa-
men impose cependant une préparation colique parfaite
et augmente de manière conséquente le risque de trans-
location bactérienne et de perforation colique : le rapport
risque/bénéfice doit donc être soigneusement pesé. Dans
la mesure où les colites à CMV demeurent exceptionnelles
au cours des tumeurs solides traitées par chimiothérapie
[14], cet examen n’a pas été réalisé pour cette patiente.
Le mécanisme physiopathologique exact n’est pas
connu, mais l’hypothèse acceptée est la survenue ini-
tiale d’ulcérations de la muqueuse digestive, associée à
une neutropénie, un déséquilibre de la flore microbienne
intestinale, et à une baisse du débit sanguin au niveau
du cæcum, favorisant ainsi la pullulation microbienne et
la translocation bactérienne [3, 15, 16]. L’agent infectieux
très majoritairement impliqué est le Clostridium septicum,
commensal du côlon. D’autres germes peuvent également
être impliqués comme des bacilles à Gram négatif tels
que Pseudomonas aeruginosa,Escherichia coli,Klebsiella
pneumoniae, des coccis à Gram positif, Candida sp. [4].
Les agents cytotoxiques anticancéreux, par leur toxi-
cité hématologique et digestive (lésions de la muqueuse
digestive, modifications de la flore digestive), jouent très
vraisemblablement un rôle dans la survenue des entéroco-
lites neutropéniques [17]. Plusieurs observations similaires
à la nôtre sont rapportées avec les taxanes : le pacli-
taxel [2, 18] et comme dans notre observation le docétaxel
[3-11]. Concernant plus particulièrement les entérocolites
neutropéniques associées au docétaxel, le délai moyen
de survenue est de huit jours après la cure de docétaxel
[6], au nadir de la neutropénie [12], et peuvent surve-
nir après le premier cycle de docétaxel mais également,
comme dans notre observation, lors de cycles ultérieurs.
Pour Ibrahim et al., un facteur ischémique s’ajoute dans la
survenue des entérocolites neutropéniques associées au
docétaxel [6]. En effet, des biopsies du côlon effectuées
chez quatre patients ayant présenté une entérocolite, neu-
tropénique ou non, associée au docétaxel, retrouvent des
lésions ischémiques.
D’autres types de colites sont également rapportés
avec le docétaxel : colites ischémiques, colites pseudo-
membraneuses [6, 10, 12, 13]. Certains auteurs proposent
que ces différents types de colite partagent la même
physiopathologie et représentent des degrés variables
d’inflammation de l’intestin associée au docétaxel [10].
L’incidence de ces entérocolites neutropéniques asso-
ciées au docétaxel n’est pas connue. Li et al. retrouvent,
en 2004, pour les colites de manière générale une inci-
dence de 1,9 % chez les patients traités par docétaxel [2].
Le pronostic est défavorable avec un taux de mortalité
important estimé entre 40 et 50 % [5, 6, 13].
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