dossier thématique Quelles chimiothérapies pour quels patients âgés ? Quelle chimiothérapie dans le cancer de la prostate ? What chemotherapy regimen in prostate cancer in the elderly? Catherine Terret* L e cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme âgé et il représente la deuxième cause de décès par cancer (1). Le traitement des formes avancées est purement palliatif. La suppression androgénique reste le traitement de première intention, permettant un contrôle efficace des douleurs osseuses, de l’évolution des localisations métastatiques viscérales et une diminution du taux de l’antigène spécifique de prostate (PSA). La phase d’hormono-sensibilité a une durée médiane de 18 à 24 mois environ après l’instauration du traitement (2). Les manipulations hormonales suivantes n’ont que peu d’efficacité, et la survie médiane des patients dont la tumeur a acquis une hormono-résistance est de l’ordre de 6 à 12 mois, influencée par l’état général et l’importance de la symptomatologie (3). L’évolution métastatique des cancers de la prostate ouvre la voie aux indications de chimiothérapie (4). État des lieux * Programme lyonnais d’oncogériatrie, université de Lyon ; centre LéonBérard, Lyon. Pendant longtemps, aucun agent cytotoxique n’a été capable de changer le cours de l’histoire naturelle d’un cancer de la prostate hormono-résistant. La mitoxantrone avait démontré une certaine efficacité Tableau I. Résultats cliniques de l’étude TAX 327. Docétaxel 3 semaines Docétaxel hebdomadaire Mitoxantrone 3 semaines 18,9 17,4 16,5 0,76 (0,62-0,92) 0,91 (0,75-1,11) Amélioration des douleurs (%) 35 31 22 Amélioration de la qualité de vie (%) 22 23 13 Décroissance du taux de PSA ≥ 50 % (%) 45 48 32 Survie médiane (mois) Hazard-ratio de décès (IC95) 512 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008 symptomatique, mais aucune action sur la survie globale (SG). La situation a considérablement évolué à la suite de la publication des résultats de deux études cliniques, TAX 327 et SWOG 99-16, qui ont montré pour la première fois une amélioration de la survie grâce à l’utilisation du docétaxel (2, 5). Étude TAX 327 L’étude TAX 327 est un essai clinique dans lequel 1 006 patients ont été randomisés entre 3 protocoles différents de chimiothérapie : docétaxel 75 mg/­m² toutes les 3 semaines, docétaxel 30 mg/m²/sem. pendant 5 semaines consécutives suivies d’une semaine de repos, et mitoxantrone 12 mg/m² toutes les 3 semaines (5). Tous les bras comportaient l’admi­ nistration concomitante de 10 mg/j de prednisone. La durée prévue de traitement était de 30 semaines. Les patients qui ont reçu le docétaxel toutes les 3 semaines ont eu une survie significativement plus longue, un meilleur taux de décroissance du PSA et un meilleur contrôle des douleurs (tableau I). Une réactualisation publiée en 2008 confirme l’effet sur la survie du bras docétaxel toutes les 3 semaines par rapport au bras mitoxantrone (19,2 mois versus 16,3 mois) [6]. Étude SWOG 99-16 L’étude SWOG 99-16 a comparé l’efficacité d’une association de docétaxel (60 mg/m² toutes les 3 semaines) et d’estramustine, moutarde azotée conjuguée à un estrogène (280 mg x 3/j pendant 5 jours consécutifs toutes les 3 semaines) à celle du protocole combinant mitoxantrone (12 mg/­m² toutes les 3 semaines) et 10 mg/j de prednisone (2). La population de cette étude est assez ­comparable Résumé Le cancer de la prostate affecte l’homme âgé, l’âge médian au diagnostic étant de 68 ans. Le traitement des formes hormono-résistantes métastatiques comporte une chimiothérapie. Le docétaxel associé à une corticothérapie à faible dose est le traitement de référence dans cette situation clinique. Ce schéma a montré chez les sujets âgés en bonne santé une efficacité similaire à celle qu’il a sur des adultes plus jeunes. La balance bénéfice/risque n’a pas fait l’objet d’études particulières chez les sujets âgés fragiles ou vulnérables. La place d’un schéma hebdomadaire reste à évaluer pour ces patients. Un bilan gériatrique préalable apporte une meilleure connaissance de l’état de santé de ces patients, de leurs ressources et de leurs faiblesses sur les plans médical et social. Il permet d’envisager une adaptation individualisée des propositions thérapeutiques et du suivi. Un groupe d’experts, au sein de la Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG), travaille actuellement à l’élaboration de recommandations pour les hommes âgés atteints d’un cancer de la prostate. à celle de l’étude TAX 327. L’association de docétaxel et d’estramustine a permis d’améliorer la SG, le temps jusqu’à la progression et le taux de décroissance du PSA, et de diminuer le risque de décès de 20 % (tableau II). En revanche, cette combinaison a entraîné une toxicité digestive et cardiaque plus importante, avec notamment un nombre plus important de thromboses veineuses et d’embolies pulmonaires probablement liées aux effets estrogéniques de l’estramustine. Traitement de référence Ces essais cliniques ont montré que le docétaxel est un agent cytotoxique actif pour le cancer de la prostate métastatique hormono-résistant. Le schéma associant le docétaxel en administration toutes les 3 semaines à de petites doses de prednisone a le profil le plus favorable et est considéré comme le traitement de référence. Pour beaucoup de spécialistes, la chimiothérapie est proposée aux patients dont la maladie devient symptomatique. Toutefois, elle peut être indiquée en cas de maladie rapidement progressive avant même l’apparition des symptômes. Les études semblent montrer que le bénéfice en termes de survie est meilleur pour les patients ayant un taux de PSA initial plus bas et un temps de doublement du PSA plus lent (7). Chimiothérapie et sujet âgé Résultats des essais cliniques Les études de phase III randomisées ont été conduites dans une population sélectionnée en bon état de santé, bien différente de la population âgée réelle. Toutefois, l’efficacité du docétaxel ne semble pas être influencée par l’âge. Dans l’étude TAX 327, 20 % des sujets inclus étaient âgés de plus de 75 ans. L’analyse en sous-groupes a montré que les bénéfices obtenus avec le docétaxel étaient similaires pour les patients âgés de moins de 65 ans, plus de 65 ans et 75 ans. La réactualisation des données à 3 ans confirme ces résultats. Cancer prostate Âge Vulnérabilité Hormonorésistance Chimiothérapie Highlights Tableau II. Résultats de l’étude SWOG 99-16. Docétaxel + estramustine Mitoxantrone 17,5 15,6 Hazard-ratio de décès (IC95) 0,8 (0,67-0,97) - Décroissance du taux de PSA ≥ 50 % (%) 50 27 Survie médiane (mois) Mots-clés La toxicité hématologique est un effet indésirable fréquent lors de l’administration du docétaxel toutes les 3 semaines. Il semble que le schéma d’administration hebdomadaire soit moins fréquemment associé à cet effet et qu’il pourrait être préféré pour les patients âgés vulnérables ou fragiles. Attitude pratique ◆◆ Quel schéma ? La sous-représentation des sujets âgés dans les essais thérapeutiques rend l’extrapolation de leurs résultats très difficile. De fait, le docétaxel représente l’agent de référence compte tenu des résultats des essais cliniques. D’autres molécules sont envisageables, telles que la mitoxantrone, sous réserve d’une bonne fonction cardiaque, ou la vinorelbine, en l’absence de neuropathie préexistante. Il existe parfois une évolution neuro-endocrine, caractérisée par une atteinte métastatique viscérale, un taux modérément élevé du PSA et une élévation des marqueurs neuro-endocriniens tels que la neuronspecific enolase (NSE) et la chromogranine. Dans ces situations, des protocoles intégrant un sel de platine, l’étoposide ou les taxanes peuvent également être envisagés. Toutefois, leur utilisation chez le sujet âgé peut être source d’effets indésirables. Prostate cancer affects older men, with a median age at diagnosis of 68 years. The standard treatment in hormonerefractory metastatic disease is chemotherapy including docetaxel plus low-dose prednisone. The regimen has proved effective in healthy elderly men as well as in younger adults. The benefit/risk ratio has not been particularly studied in vulnerable and frail older patients. Weekly docetaxel should be evaluated in this population. A pre-therapeutic geriatric assessment should provide accurate information on patients’ general health status, strengths and needs. This evaluation should help tailor an individualized care plan and follow up. A specific task force of the International Society of Geriatric Oncology (SIOG) is currently working on the development of guidelines for the management of prostate cancer in the elderly. Keywords Prostate cancer Age Frailty Hormone-refractory Chemotherapy ◆◆ Quelle population ? Il s’agit d’une population hétérogène du fait de la grande variabilité de l’état mental et physique des sujets âgés, de leurs pathologies associées et de leur désir de recevoir un traitement par chimiothérapie. Cela souligne l’importance de bien connaître l’état de santé du patient âgé pour être à même de lui La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008 | 513 dossier thématique Quelles chimiothérapies pour quels patients âgés ? Cancer de la prostate proposer un traitement adapté, tenant compte aussi bien des paramètres cancérologiques que des caractéristiques gériatriques de l’hôte (8). Ces patients relèvent donc d’un bilan gériatrique afin d’identifier au minimum les pathologies associées et d’apprécier leur état nutritionnel et fonctionnel (9). Recommandations thérapeutique Il n’existe pas actuellement de recommandations spécifiques pour la prise en charge de sujets âgés atteints d’un cancer de la prostate hormono-résistant et métastatique. Un groupe d’experts, au sein de la Société internationale d’oncologie gériatrique, s’est réuni pour combler ce manque. Leurs conclusions préliminaires sont les suivantes : l’approche urologique ne doit pas être différente de celle adoptée pour les adultes plus jeunes. Toutefois, la décision thérapeutique doit tenir compte de l’état de santé général du patient et de sa probabilité de survie. Selon les données d’un bilan de dépistage gériatrique, 4 groupes de patients peuvent être définis (figure). Les patients en bonne santé, comme les plus jeunes, doivent bénéficier d’une réflexion thérapeutique. Le schéma de docétaxel administré toutes les 3 semaines représente le traitement de référence pour ces patients. Les patients considérés comme vulnérables peuvent également être traités comme les adultes plus jeunes après correction de leurs facteurs de vulnérabilité. Les patients fragiles, sans espoir d’amélioration de leurs autres problèmes de santé, peuvent être candidats à des traitements adaptés, l’administration hebdomadaire de docétaxel représentant une bonne alternative. Enfin, les patients dont l’état général est trop altéré avec une probabilité de survie à court terme relèvent d’une prise en charge symptomatique pouvant inclure une irradiation à visée antalgique, une radiothérapie métabolique et des traitements médicaux antalgiques. Bilan gériatrique Conclusion Groupe 1 Bonne santé Groupe 2 Vulnérable (i.e. problème[s] réversible[s]) Groupe 3 Fragile (i.e. problème[s] non réversible[s]) • Comorbidité (CISR-G) de grade 0-2 • Indépendant pour IADL • Pas de dénutrition • ≥ 1 comorbidité de grade 3 • Dépendant pour ≥ 1 IADL • > 1 comorbidité de grade 3 ou ≥ 1 comorbidité de grade 4 • Dépendant pour ≥ 1 IADL • Déclin cognitif • Dénutrition sévère Docétaxel 75 mg/m2/3 sem. Docétaxel 75 mg/m2/3 sem. Schéma adapté (docétaxel hebdomadaire ?) Groupe 4 État précaire • Stade terminal • Grabataire • Comorbidités majeures • Atteinte cognitive Traitement symptomatique Réhabilitation Figure. Définition de quatre groupes de patients selon un bilan de dépistage ­gériatrique. La prise en charge des patients âgés atteints d’un cancer de la prostate hormono-résistant métastatique reste une question ouverte, du fait de l’absence de données scientifiques réellement applicables à cette population particulière. Le docétaxel administré toutes les 3 semaines peut être considéré comme le schéma de référence pour les patients en bonne santé. Son administration n’a pas été étudiée dans des populations vulnérables, voire fragiles, pour lesquelles il existe peut-être une place pour le schéma hebdomadaire. Une étude française devrait prochainement aborder ce sujet. L’adaptation individuelle des protocoles nécessite une évaluation correcte de l’état de santé, des comorbidités, et l’estimation la plus précise possible de la probabilité de survie du patient. Une évaluation gériatrique reste la meilleure approche pour offrir aux patients âgés un traitement optimal et cohérent.■ Références bibliographiques 1. Ferlay J, Autier P, Boniol M et al. Estimates of the cancer incidence and mortality in Europe in 2006. Ann Oncol 2007; 18:581-92. 2. Petrylak DP, Tangen CM, Hussain MH et al. Docetaxel and estramustine compared with mitoxantrone and prednisone for advanced refractory prostate cancer. N Engl J Med 2004;351:1513-20. 3. De Wit R. Shifting paradigms in prostate cancer; docetaxel plus low-dose prednisone – finally an effective chemotherapy. Eur J Cancer 2005;41:502-7. 4. De Wit R. Chemotherapy in hormone-refractory prostate cancer. BJU Int 2008;101(Suppl. 2):11-5. 5. Tannock IF, de Wit R, Berry WR et al. Docetaxel plus prednisone or mitoxantrone plus prednisone for advanced prostate cancer. N Engl J Med 2004;351:1502-12. 6. Berthold DR, Pond G, Soban F et al. Docetaxel plus prednisone or mitoxantrone plus prednisone for advanced prostate cancer: updated survival of the TAX327 study. J Clin Oncol 2008;26:242-5. 514 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008 7. Armstrong AJ, Garrett-Mayer ES, Yang YC et al. A contemporary prognostic nomogram for men with hormone-refractory metastatic prostate cancer: a TAX327 study analysis. Clin Cancer Res 2007;13:6396-403. 8. Droz JP, Chaladaj A. Management of metastatic prostate cancer: the crucial role of geriatric assessment. BJU Int 2008; 101(Suppl. 2):23-29. 9. Terret C, Albrand G, Droz JP. Geriatric assessment in elderly patients with prostate cancer. Prostate Cancer 2004;2:236-40.