L Quelle chimiothérapie dans le cancer de la prostate ? DOSSIER ThÉmATIQuE

512 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008
DOSSIER THÉMATIQUE
Quelles chimiothérapies
pour quels patients âgés ?
Quelle chimiothérapie
dans le cancer de la prostate ?
What chemotherapy regimen in prostate cancer in the elderly?
Catherine Terret*
* Programme lyonnais d’oncogéria-
trie, université de Lyon ; centre Léon-
Bérard, Lyon.
L
e cancer de la prostate est le cancer le plus
fréquent chez l’homme âgé et il représente
la deuxième cause de décès par cancer (1).
Le traitement des formes avancées est purement
palliatif. La suppression androgénique reste le traite-
ment de première intention, permettant un contrôle
efficace des douleurs osseuses, de l’évolution des
localisations métastatiques viscérales et une dimi-
nution du taux de l’antigène spécifique de prostate
(PSA). La phase d’hormono-sensibilité a une durée
médiane de 18 à 24 mois environ après l’instauration
du traitement (2). Les manipulations hormonales
suivantes n’ont que peu d’efficacité, et la survie
médiane des patients dont la tumeur a acquis une
hormono-résistance est de l’ordre de 6 à 12 mois,
influencée par l’état général et l’importance de la
symptomatologie (3). Lévolution métastatique des
cancers de la prostate ouvre la voie aux indications
de chimiothérapie (4).
État des lieux
Pendant longtemps, aucun agent cytotoxique n’a été
capable de changer le cours de l’histoire naturelle
d’un cancer de la prostate hormono-résistant. La
mitoxantrone avait démontré une certaine efficacité
symptomatique, mais aucune action sur la survie
globale (SG). La situation a considérablement évolué
à la suite de la publication des résultats de deux
études cliniques, TAX 327 et SWOG 99-16, qui ont
montré pour la première fois une amélioration de la
survie grâce à l’utilisation du docétaxel (2, 5).
Étude TAX 327
L’étude TAX 327 est un essai clinique dans lequel
1 006 patients ont été randomisés entre 3 protocoles
différents de chimiothérapie : docétaxel 75 mg/
toutes les 3 semaines, docétaxel 30 mg/m²/sem.
pendant 5 semaines consécutives suivies d’une
semaine de repos, et mitoxantrone 12 mg/m² toutes
les 3 semaines (5). Tous les bras comportaient l’admi-
nistration concomitante de 10 mg/j de prednisone.
La durée prévue de traitement était de 30 semaines.
Les patients qui ont reçu le docétaxel toutes les
3 semaines ont eu une survie significativement plus
longue, un meilleur taux de décroissance du PSA et
un meilleur contrôle des douleurs (tableau I). Une
réactualisation publiée en 2008 confirme l’effet sur
la survie du bras docétaxel toutes les 3 semaines
par rapport au bras mitoxantrone (19,2 mois versus
16,3 mois) [6].
Étude SWOG 99-16
L’étude SWOG 99-16
a comparé l’efficacité d’une
association de docétaxel (60 mg/m² toutes les
3 semaines) et d’estramustine, moutarde azotée
conjuguée à un estrogène (280 mg x 3/j pendant
5 jours consécutifs toutes les 3 semaines) à celle
du protocole combinant mitoxantrone (12 mg/
toutes les 3 semaines) et 10 mg/j de prednisone (2).
La population de cette étude est assez comparable
Tableau I. Résultats cliniques de l’étude TAX 327.
Docétaxel
3 semaines
Docétaxel
hebdomadaire
Mitoxantrone
3 semaines
Survie médiane (mois) 18,9 17,4 16,5
Hazard-ratio de décès (IC95) 0,76 (0,62-0,92) 0,91 (0,75-1,11)
Amélioration des douleurs (%) 35 31 22
Amélioration de la qualité de vie (%) 22 23 13
Décroissance du taux de PSA ≥ 50 % (%) 45 48 32
La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008 | 513
Résumé
Le cancer de la prostate affecte l’homme âgé, l’âge médian au diagnostic étant de 68 ans. Le traitement des formes
hormono-résistantes métastatiques comporte une chimiothérapie. Le docétaxel associé à une corticothérapie à
faible dose est le traitement de référence dans cette situation clinique. Ce schéma a montré chez les sujets âgés
en bonne santé une efficacité similaire à celle qu’il a sur des adultes plus jeunes. La balance bénéfice/risque n’a
pas fait l’objet d’études particulières chez les sujets âgés fragiles ou vulnérables. La place d’un schéma hebdo-
madaire reste à évaluer pour ces patients. Un bilan gériatrique préalable apporte une meilleure connaissance de
l’état de santé de ces patients, de leurs ressources et de leurs faiblesses sur les plans médical et social. Il permet
d’envisager une adaptation individualisée des propositions thérapeutiques et du suivi. Un groupe d’experts, au
sein de la Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG), travaille actuellement à l’élaboration de recom-
mandations pour les hommes âgés atteints d’un cancer de la prostate.
Mots-clés
Cancer prostate
Âge
Vulnérabilité
Hormonorésistance
Chimiothérapie
Highlights
Prostate cancer affects older
men, with a median age at
diagnosis of 68 years. The stan-
dard treatment in hormone-
refractory metastatic disease
is chemotherapy including
docetaxel plus low-dose pred-
nisone. The regimen has proved
effective in healthy elderly men
as well as in younger adults.
The benefit/risk ratio has not
been particularly studied in
vulnerable and frail older
patients. Weekly docetaxel
should be evaluated in this
population. A pre-therapeutic
geriatric assessment should
provide accurate information
on patients’ general health
status, strengths and needs.
This evaluation should help
tailor an individualized care
plan and follow up. A specific
task force of the International
Society of Geriatric Oncology
(SIOG) is currently working on
the development of guidelines
for the management of prostate
cancer in the elderly.
Keywords
Prostate cancer
Age
Frailty
Hormone-refractory
Chemotherapy
à celle de l’étude TAX 327. L’association de docé-
taxel et d’estramustine a permis d’améliorer la SG,
le temps jusqu’à la progression et le taux de décrois-
sance du PSA, et de diminuer le risque de décès de
20 % (tableau II). En revanche, cette combinaison
a entraîné une toxicité digestive et cardiaque plus
importante, avec notamment un nombre plus impor-
tant de thromboses veineuses et d’embolies pulmo-
naires probablement liées aux effets estrogéniques
de l’estramustine.
Traitement de référence
Ces essais cliniques ont montré que le docétaxel est
un agent cytotoxique actif pour le cancer de la pros-
tate métastatique hormono-résistant. Le schéma
associant le docétaxel en administration toutes les
3 semaines à de petites doses de prednisone a le
profil le plus favorable et est considéré comme le
traitement de référence.
Pour beaucoup de spécialistes, la chimiothérapie
est proposée aux patients dont la maladie devient
symptomatique. Toutefois, elle peut être indiquée en
cas de maladie rapidement progressive avant même
l’apparition des symptômes. Les études semblent
montrer que le bénéfice en termes de survie est
meilleur pour les patients ayant un taux de PSA
initial plus bas et un temps de doublement du PSA
plus lent (7).
Chimiothérapie et sujet âgé
Résultats des essais cliniques
Les études de phase III randomisées ont été conduites
dans une population sélectionnée en bon état de
santé, bien différente de la population âgée réelle.
Toutefois, l’efficacité du docétaxel ne semble pas être
influencée par l’âge. Dans l’étude TAX 327, 20 % des
sujets inclus étaient âgés de plus de 75 ans. L’analyse
en sous-groupes a montré que les bénéfices obtenus
avec le docétaxel étaient similaires pour les patients
âgés de moins de 65 ans, plus de 65 ans et 75 ans.
La réactualisation des données à 3 ans confirme
ces résultats.
La toxicité hématologique est un effet indésirable
fréquent lors de l’administration du docétaxel toutes
les 3 semaines. Il semble que le schéma d’admi-
nistration hebdomadaire soit moins fréquemment
associé à cet effet et qu’il pourrait être préféré pour
les patients âgés vulnérables ou fragiles.
Attitude pratique
Quel schéma ?
La sous-représentation des sujets âgés dans les essais
thérapeutiques rend l’extrapolation de leurs résul-
tats très difficile. De fait, le docétaxel représente
l’agent de référence compte tenu des résultats des
essais cliniques. D’autres molécules sont envisa-
geables, telles que la mitoxantrone, sous réserve
d’une bonne fonction cardiaque, ou la vinorelbine,
en l’absence de neuropathie préexistante. Il existe
parfois une évolution neuro-endocrine, caractérisée
par une atteinte métastatique viscérale, un taux
modérément élevé du PSA et une élévation des
marqueurs neuro-endocriniens tels que la neuron-
specific enolase (NSE) et la chromogranine. Dans ces
situations, des protocoles intégrant un sel de platine,
l’étoposide ou les taxanes peuvent également être
envisagés. Toutefois, leur utilisation chez le sujet
âgé peut être source d’effets indésirables.
Quelle population ?
Il s’agit d’une population hétérogène du fait de la
grande variabilité de l’état mental et physique des
sujets âgés, de leurs pathologies associées et de leur
désir de recevoir un traitement par chimiothérapie.
Cela souligne l’importance de bien connaître l’état
de santé du patient âgé pour être à même de lui
Tableau II. Résultats de l’étude SWOG 99-16.
Docétaxel +
estramustine Mitoxantrone
Survie médiane
(mois)
17,5 15,6
Hazard-ratio de décès
(IC95)
0,8
(0,67-0,97)
-
Décroissance du taux
de PSA ≥ 50 % (%)
50 27
Bilan gériatrique
Groupe 1
Bonne santé Groupe 4
État précaire
Groupe 2
Vulnérable
(i.e. problème[s]
réversible[s])
Groupe 3
Fragile
(i.e. problème[s]
non réversible[s])
Docétaxel
75 mg/m2/3 sem. Traitement
symptomatique
Docétaxel
75 mg/m2/3 sem.
Réhabilitation
Schéma adapté
(docétaxel
hebdomadaire ?)
• Comorbidité (CISR-G)
de grade 0-2
• Indépendant pour IADL
• Pas de dénutrition
• > 1 comorbidité de grade 3
ou ≥ 1 comorbidité
de grade 4
• Dépendant pour ≥ 1 IADL
• Déclin cognitif
• Dénutrition sévère
• Stade terminal
• Grabataire
• Comorbidités majeures
• Atteinte cognitive
• ≥ 1 comorbidité
de grade 3
• Dépendant
pour ≥ 1 IADL
Figure. Définition de quatre groupes de patients selon un bilan de dépistage
gériatrique.
514 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n° 10 - décembre 2008
Cancer de la prostate
DOSSIER THÉMATIQUE
Quelles chimiothérapies
pour quels patients âgés ?
proposer un traitement adapté, tenant compte aussi
bien des paramètres cancérologiques que des carac-
téristiques gériatriques de l’hôte (8). Ces patients
relèvent donc d’un bilan gériatrique afin d’identifier
au minimum les pathologies associées et d’apprécier
leur état nutritionnel et fonctionnel (9).
Recommandations thérapeutique
Il n’existe pas actuellement de recommandations
spécifiques pour la prise en charge de sujets âgés
atteints d’un cancer de la prostate hormono-résistant
et métastatique. Un groupe d’experts, au sein de la
Société internationale d’oncologie gériatrique, s’est
réuni pour combler ce manque. Leurs conclusions
préliminaires sont les suivantes : l’approche urolo-
gique ne doit pas être différente de celle adoptée
pour les adultes plus jeunes. Toutefois, la décision
thérapeutique doit tenir compte de l’état de santé
général du patient et de sa probabilité de survie.
Selon les données d’un bilan de dépistage géria-
trique, 4 groupes de patients peuvent être définis
(figure). Les patients en bonne santé, comme les
plus jeunes, doivent bénéficier d’une réflexion
thérapeutique. Le schéma de docétaxel administré
toutes les 3 semaines représente le traitement de
référence pour ces patients. Les patients considérés
comme vulnérables peuvent également être traités
comme les adultes plus jeunes après correction de
leurs facteurs de vulnérabilité. Les patients fragiles,
sans espoir d’amélioration de leurs autres problèmes
de santé, peuvent être candidats à des traitements
adaptés, l’administration hebdomadaire de docétaxel
représentant une bonne alternative. Enfin, les patients
dont l’état général est trop altéré avec une probabilité
de survie à court terme relèvent d’une prise en charge
symptomatique pouvant inclure une irradiation à
visée antalgique, une radiothérapie métabolique et
des traitements médicaux antalgiques.
Conclusion
La prise en charge des patients âgés atteints d’un
cancer de la prostate hormono-résistant métasta-
tique reste une question ouverte, du fait de l’absence
de données scientifiques réellement applicables à
cette population particulière. Le docétaxel admi-
nistré toutes les 3 semaines peut être considéré
comme le schéma de référence pour les patients
en bonne santé. Son administration n’a pas été
étudiée dans des populations vulnérables, voire
fragiles, pour lesquelles il existe peut-être une place
pour le schéma hebdomadaire. Une étude française
devrait prochainement aborder ce sujet.
L’adaptation individuelle des protocoles nécessite une
évaluation correcte de l’état de santé, des comor-
bidités, et l’estimation la plus précise possible de
la probabilité de survie du patient. Une évaluation
gériatrique reste la meilleure approche pour offrir aux
patients âgés un traitement optimal et cohérent.
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