fait tomber les barrières par rapport à cette approche et le
traitement de substitution a été vu comme une mesure
préventive. Ce traitement visait à réduire les risques liés à
l’usage de matériel d’injection potentiellement infecté chez
les personnes qui consommaient des opiacés. Un rapport
de l’Organisation mondiale de la santé, fait en 1989, met
l’accent sur la nécessité de promouvoir les traitements de
substitution pour contrecarrer l’épidémie VIH.
La Suisse, dans le contexte des scènes ouvertes de la
drogue à la fin des années 80, a instauré la politique des
quatre piliers dès 1991. Cette politique unique au monde
propose de s’attaquer aux problèmes liés aux drogues à
travers quatre axes : la prévention, la réduction des risques,
le traitement et la répression. Cette politique en matière
de drogues a fait ses preuves et est définitivement inscrite
dans la loi depuis 2008. En ce qui concerne les traitements
de substitution, afin d’enrichir la palette déjà proposée de
traitements de substitution, la Confédération suisse dé-
bute en 1994 un projet très encadré en y adjoignant le trai-
tement de substitution à l’héroïne. Actuellement, la Suisse
compte 21 centres de prescription d’héroïne.2,3
Ce regard porté sur les traitements de substitution
comme étant une modalité de réduction des risques per-
dure même si, actuellement en Suisse, la problématique
VIH a clairement régressé. En 2013, une évaluation des pa-
tients du programme de prescription d’héroïne du Service
d’addictologie du Département de santé mentale et de
psychiatrie des HUG montre que 79% d’entre eux sont
séro négatifs pour le VIH. Le problème est plus lié à l’hépa-
tite C, qui touche 84% des patients.
nécessité d’un nouveau concept :
«l’addictologie existentielle»
En 2013, l’accessibilité au traitement de méthadone est
facilitée et simplifiée. Le réseau prescripteur est très élar-
gi et comporte un grand nombre de médecins généralistes
installés en pratique privée. Il est donc légitime actuelle-
ment de se questionner sur ce qui fait la spécificité d’un
centre psychiatrique public proposant un traitement de
substitution.
Les patients dépendants aux opiacés ont actuellement
une offre de soins très variée, ils vieillissent et les théra-
peutes prescripteurs d’opiacés voient émerger des comor-
bidités psychiatriques qui étaient auparavant moins au
premier plan. Parallèlement à l’intérêt de poursuivre le dé-
veloppement d’approches originales permettant de traiter
conjointement les comorbidités psychiatriques et l’addic-
tion, la priorité en addictologie est de déplacer le focus des
soins sur la question du sens d’un traitement.
Dans cette optique, il est légitime de positionner les
soins dans une perspective existentielle, c’est-à-dire dans
une réflexion portée sur le projet de vie. Le traitement
psychiatrique et psychothérapeutique basé sur la substi-
tution s’intègre dans cette vision et porte une attention
particulière sur les objectifs du patient et les moyens pour
les concrétiser. L’accent n’est plus seulement mis sur la
substitution comme un moyen pour réduire les ravages
causés par les risques liés au comportement addictif, mais
se porte actuellement sur les apprentissages, eux-mêmes
au service du projet du patient.
La figure 1 résume ce propos en montrant que le con-
texte en Suisse a changé au cours des dernières décen-
nies. Les enjeux des années 80-90, confrontés à la forte
morbidité et mortalité en lien avec les overdoses et les
épidémie VIH, sont des objectifs de survie. La logique qui
sous-tend les approches thérapeutiques pour les patients
dépendants aux opiacés à ce moment-là est prioritairement
celle de maintenir en vie, de contrôler, stabiliser et possi-
blement d’infléchir l’épidémie VIH ainsi que d’améliorer
l’accessibilité aux soins.
Actuellement, les patients dépendants aux opiacés vivent
plus longtemps, les séroconversions VIH ont clairement di-
minué, l’accès aux soins s’est amélioré et on peut considé-
rer que la substitution à visée de réduction des risques est
un succès. Le défi actuel des thérapeutes est celui de guider
les patients dépendants aux opiacés et demandeurs d’un
traitement de substitution, dans un questionnement ap-
profondi de la vision qu’ils ont d’une vie qui ait du sens
pour eux, dans une perspective de réhabilitation et d’inté-
gration citoyenne.
substitution et autoprescription
Remettre le traitement de substitution au service d’un
projet de vie permet de sortir d’un rapport au traitement
qui se suffit à lui-même, qui devient son propre but et qui
est donc à risque d’être «fétichisé» et enjeu de pouvoir :
pouvoir ordonné par le thérapeute qui décide du moment,
de la dose, de la fréquence, des modalités de début de
traitement et de la reprise. Les seuls pouvoirs restant aux
patients étant ceux de l’obéissance ou de l’usage de la
force, ceci pouvant peut-être éclairer les nombreux pro-
blèmes d’incivilités.
Pour un patient qui consulte dans un dispositif psychia-
trique pour passer de la consommation de drogues illé-
gales à une prescription médicalisée, il s’agit d’initier une
démarche qui va le conduire à passer de la logique de la
fin à celle du moyen. En effet, la personne souffrant d’ad-
diction a comme but de consommer et les relations qu’elle
développe dans ce contexte sont des moyens pour parvenir
1670 Revue Médicale Suisse
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www.revmed.ch
–
18 spetembre 2013
Figure 1. De la survie à la vie : le défi actuel des
thérapies basées sur la substitution
Années 80-90
Contexte
Problème de mortalitéq
(épidémie VIH, overdoses)
Logique de «maintien»,
«contrôle», «stabilisation»,
«assainissement», etc.
Logique de «développement»,
«déploiement», «créativité»,
«fertilité», etc.
Objectif
survie
Objectif
vie
Contexte
Survie garantie, qespérance de vie
mais : non-participation citoyenne
Aujourd’hui
Succès
Défis
Programmes
substitution
opiacés