Lundi 12 janvier 2015 page 16
Correspondance de la Publicité
ETUDE DOCUMENTAIRE Lundi 12 janvier 2015
Action de groupe : lors d'une table ronde
organisée par le cabinet Carlara, M. George
STANSFIELD, directeur juridique groupe
d'Axa, et Mes Hervé LECUYER, Michel RASLE
et Ranéha TOUIL ont débattu des enjeux de
la loi Hamon à la lumière, notamment, de
l'expérience américaine
La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (n° 2014-344) portée par M. Benoît HAMON,
alors ministre délégué chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, complétée
par le décret d'application du 24 septembre 2014 (n° 2014-1081) a introduit en droit français
l'action de groupe.
Organisée fin 2014 par le cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle & Associés (Carlara), une table ronde
introduite par Me Michel RASLE, associé du cabinet Carlara, et Me Ranéha TOUIL, associée du
cabinet Carlara Social-Alcimus, a permis d'apporter un double éclairage sur cette question :
en droit comparé entre le dispositif américain et la loi française d'une part, grâce à l'analyse de
M. George STANSFIELD, aujourd'hui directeur juridique Groupe et directeur Groupe des
ressources humaines d'AXA, membre du comité exécutif, après avoir été plusieurs années
avocat au barreau de New York ;
une réflexion sur les moyens de défense à la
disposition du professionnel confronté à un
recours collectif d'autre part, avec l'intervention
de Me Hervé LECUYER, associé chez Carlara,
professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas
notamment en droit civil et en droit des
assurances.
Action de groupe : les contours de la loi Hamon
Annoncée de longue date, l'action de groupe a finalement été introduite en droit français par la loi
Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation, a rappelé Me Michel RASLE, lors de son
propos introductif. L'hexagone a ainsi rejoint les treize pays de l'Union européenne qui, au fil des
Lundi 12 janvier 2015 page 17
Correspondance de la Publicité
ans, ont complété leur arsenal législatif en y introduisant une procédure de recours collectif. C'est
le cas notamment du Portugal, de l'Italie, de la Suède, des Pays-Bas, ou encore de l'Angleterre et
du Pays de Galles. Mais pas celui de l'Allemagne, s'est félicité Me Lutz HARTMANN, avocat aux
Barreaux de Francfort et de Paris, interrogé par Me RASLE lors de la table ronde. Même si des cas
de recours collectifs existent outre-Rhin, ceux-ci ne peuvent jamais fixer un préjudice à compenser,
a-t-il détaillé. Ils ne peuvent concerner que des cas d'omissions, à l'image, par exemple, de
conditions générales de vente sur Internet qui ne seraient pas conformes à la loi. Dans de tels cas,
des associations de consommateurs peuvent agir en leur nom pour les modifier. Cependant, dans
des affaires où les magistrats se trouvent face à plusieurs cas identiques, on voit se développer la
jonction des procédures dans un contentieux unique afin de déterminer une décision socle. Celle-
ci est déclinée, dans un deuxième temps, dans chacune des procédures, le préjudice étant alors
déterminé au cas par cas. Il en est ainsi notamment dans le secteur des marchés financiers.
En France, plusieurs contentieux ont d'ores et déjà été lancés, à l'image de celui initié par
l'association UFC Que Choisir qui, dès le 1er octobre 2014, jour de l'entrée en vigueur de la
réforme, a été la première association de consommateurs à agir, en l'espèce contre le groupe
immobilier Foncia auquel il reproche d'avoir indûment facturé pendant plusieurs années des frais
pour l'émission d'avis d'échéance de loyer. Mais des actions de groupe ciblent déjà d'autres
professionnels tel le secteur bancaire ou celui de l'assurance. Ce dernier intervient également en
amont, comme prestataire, pour assurer des professionnels qui veulent se protéger contre les effets
de recours collectifs.
Le cadre de l'action de groupe, a détaillé Me RASLE, est déterminé à l'article
L. 423-1 du code de la consommation qui dispose qu'une association de
défense des consommateurs agréée au niveau national peut agir devant une
juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis
par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et
ayant pour cause commune un manquement d'un ou des mêmes
professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles soit à l'occasion de
la vente de biens ou de la fourniture de services, soit lorsque ces préjudices
résultent de pratiques anticoncurrentielles.
L'action de groupe, précise enfin cet article, ne peut porter que sur la réparation des préjudices
patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs.
La loi Hamon a en outre introduit une définition du consommateur, qui n'existait pas jusque-là, par
le biais d'un article préliminaire du code de la consommation qui précise qu'est considéré comme
tel "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité
commerciale, industrielle, artisanale ou libérale". Une définition en creux qui ne facilitera pas le
travail du juge, a relevé Me RASLE.
Ainsi le demandeur à l'action est-il nécessairement une association de défense des consommateurs
représentative au niveau national et agréée. Celle-ci peut s'adjoindre, avec l'autorisation du juge, le
service d'avocats ou d'huissiers de justice afin de procéder à la réception des demandes
d'indemnisation et plus généralement afin de "(représenter) les consommateurs lésés auprès du
professionnel, en vue de leur indemnisation", précisent les textes.
Quant au préjudice, ne sont concernés que les préjudices d'ordre patrimonial résultant de
dommages matériels. Il s'agit donc de réparer un préjudice individuel mais subi par une pluralité
de consommateurs.
Lundi 12 janvier 2015 page 18
Correspondance de la Publicité
Enfin, au regard de la procédure, la loi Hamon prévoit la possibilité qu'une médiation puisse
intervenir. Cette faculté est réservée aux associations de consommateurs agréées qui peuvent opter,
si elles le souhaitent, pour la médiation et aboutir à un accord qui sera homologué par le juge, a de
son côté détaillé Me Hervé LECUYER. Interrogé par Mme Géraldine de NICOLAY PRATE, chef de
projet informatique chez BNP-Paribas, celui-ci a estimé que ce dispositif ne devrait cependant pas
contrecarrer la faculté ouverte de longue date à des particuliers de saisir en direct les médiateurs
mis en place au sein des banques ou d'organismes professionnels comme le Groupement des
entreprises mutuelles d'assurance (GEMA) ou encore la Fédération française des sociétés
d'assurances (FFSA).
La loi prévoit également, outre la procédure de droit commun, une procédure simplifiée. Cette
dernière peut être décidée par le juge lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont
connus, et lorsque ceux-ci ont subi un préjudice d'un même montant. Le juge peut alors
condamner le professionnel à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et
selon des modalités qu'il fixe. Répondant à Mme Marine GUYON-GODET, chargée de mission à la
direction juridique et conformité de la Fédération bancaire française (FBF), Me Hervé LECUYER a
estimé que cette procédure ne devrait s'imposer qu'exceptionnellement. En effet, a-t-il fait valoir,
les conditions de sa mise en œuvre – identité et nombre des consommateurs connus, préjudice
d'un même montant – seront très difficiles à réunir. Si l'on admet par exemple qu'un tiers au
contrat puisse être en mesure d'invoquer le manquement contractuel, l'entreprise en défense
pourra faire valoir qu'on est dans l'impossibilité de réunir ces conditions. Celle-ci pourra certes
connaître ses clients contractants mais les consommateurs lésés ne seront pas nécessairement
réduits à ces derniers. La loi de 2014 n'a pas réservé l'action de groupe aux seuls contractants du
professionnel mais a inclus les tiers. De fait, il sera quasi impossible d'anticiper le nombre total de
personnes à indemniser.
Plusieurs axes de défense à explorer
Si le souci de protection du consommateur est tout à fait légitime, un équilibre doit cependant être
trouvé avec celui tout aussi légitime du professionnel, a défendu lors de son intervention Me Her
LECUYER, pour qui l'on peut craindre une sorte de "présomption de responsabilité" à son
encontre, accentué inévitablement par le poids médiatique qui pèsera sur l'entreprise, phénomène
que l'on peut d'ailleurs déjà constater.
Alors que la question est posée de l'articulation et de la coexistence entre ce droit nouveau et le
cadre ancien, des moyens de défense peuvent être envisagés, a-t-il cependant estimé, et ce autour
de deux axes : procédural d'une part, tenant à la règle de droit, d'autre part.
Du point de vue procédural
Ainsi, au plan procédural, le décret d'application du 24 septembre 2014 instaure une articulation
entre, d'un côté, des dispositions propres à l'action de groupe et, de l'autre, le code de procédure
civile. A cet égard, Me LECUYER a relevé plusieurs exigences en l'absence desquelles l'action de
groupe ne peut prospérer, autant de moyens à explorer.
L'action doit être attitrée. En effet, la loi exige ici une qualité à agir faisant ainsi un tri parmi les
personnes ayant un intérêt à agir et réserve celle-ci aux seules associations de consommateurs
représentatives au niveau national, qui doivent avoir reçu un agrément. Elles sont à ce jour au
nombre de quinze.
Lundi 12 janvier 2015 page 19
Correspondance de la Publicité
Si toute association agréée a qualité à agir, est-elle pour autant en mesure d'agir ? Encore faut-il
que, dans ses statuts, son objet social en prévoit la possibilité. C'est une exigence qu'a rappelée
dans un autre cadre la Cour de cassation : une association peut agir dès lors que cette faculté figure
dans son objet social. Evidemment, a pointé Me Hervé LECUYER, un tel oubli ne vaudra qu'une
fois, l'association complétant alors ses statuts pour combler ce vide.
Dans ce même registre on assiste, comme l'a souligné Me Michel RASLE dans son propos
introductif, à des tentatives de contournement de la loi du fait de certains avocats qui essaient de
s'immiscer dans le processus alors que le législateur les a pourtant écartés des personnes ayant
qualité à agir. Ainsi voit-on quelques-uns d'entre eux tenter de contourner la difficulté en s'abritant
derrière des sites Internet, a-t-il averti. Ceux-ci, pilotés en fait par des avocats, entreprennent sous
couvert d'assistance technique, d'agréger une multitude de demandes individuelles pour faire
masse avec à l'arrivée une sorte de collectivisation des recours individuels, a relevé pour sa part
Me LECUYER. Celui-ci a rejoint M. Philippe SAULT, directeur du contentieux et du recouvrement
au CIC, pour qui il s'agit là en fait d'une fraude civile, sanctionnable par des dommages et intérêts.
Alors que le Conseil de l'Ordre est déjà saisi de cette question sous l'angle professionnel et
déontologique, la question mériterait en effet d'être posée en droit sous l'angle de la théorie de la
fraude, à savoir une règle obligatoire qu'on contourne à dessein par l'emploi d'un moyen valable
juridiquement.
D'autres pistes peuvent également être explorées par le jeu du
code de procédure civile, a détaillé Me LECUYER.
Ainsi en est-il de la notion d'intérêt à agir. En effet, celui-ci ne se
présume pas, il doit être prou. L'action est ouverte à tous ceux
qui y ont un intérêt légitime. De ce point de vue, la question
pourrait être posée dans le cas d'une réparation qui, ramenée à
chaque individu membre du groupe, s'avèrerait dérisoire. Cette
notion est d'ailleurs reprise par l'Autorité de la concurrence qui exige un seuil plancher pour
examiner une plainte. Se plaçant au plan des principes, on a là un changement substantiel quant à
la finalité de la responsabilité civile, a pour sa part considéré Me Michel RASLE. En effet, dans les
procédures classiques, il s'agit de réparer un préjudice. Dans le cas présent, on pourra faire face à
une quantité importante de "mini" préjudices. Et d'illustrer son propos en évoquant deux affaires
aux Etats-Unis, l'une concernant des taxis dans laquelle chaque personne a reçu 7 dollars ; une
autre contre un club de golf où chaque membre du groupe a reçu une consommation gratuite. Si
prise individuellement, la réparation paraît symbolique, elle peut être très lourde pour le
professionnel si le groupe de consommateurs est important. Ne basculerait-on pas alors d'une
notion de réparation du préjudice vers une notion punitive, à l'image de ce qui existe aux Etats-
Unis avec les "punitive damages", ou dommages punitifs, s'est-il interrogé. Un précédent existe
déjà en France avec la récente loi sur la contrefaçon (loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre
la contrefaçon) aux termes de laquelle les dommages et intérêts doivent désormais être fixés en
prenant également en considération les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Autre moyen de défense à examiner, a relevé Me Hervé LECUYER, l'intérêt doit être né et actuel,
écartant de facto un intérêt futur. C'est ce qu'a dit la Cour de cassation dans un arrêt de 1985 dans
un tout autre domaine, celui de la clause de conscience applicable aux journalistes, faisant valoir
qu'on ne peut provoquer un contentieux en l'absence de litige ou de différend. Transposée à
l'action de groupe, la question serait de savoir si l'on peut provoquer une telle procédure en
l'absence de sollicitation, de litige préexistant provenant des membres de la classe que l'on
Lundi 12 janvier 2015 page 20
Correspondance de la Publicité
souhaite protéger. De la même façon, ne pourrait-on écarter un tel contentieux en présence d'un
intérêt passé, dans le cas où la personne n'a plus d'intérêt à agir en présence de faits anciens ?
Qu'en est-il, par ailleurs, en matière de prescription ? La loi du 17 mars 2014 en dit peu de choses,
a souligné Me LECUYER. Ainsi, l'article L. 423-20 du code de la consommation se contente-t-il
d'indiquer que l'action de groupe "suspend la prescription des actions individuelles". Dans le droit
commun, en présence d'une action en justice, il y a interruption, notion plus radicale qui remet les
compteurs à zéro. Si la loi de 2014 vise en la matière les actions individuelles, elle ne dit rien en
revanche de l'action de groupe elle-même. C'est donc le droit commun qui s'appliquera ici, en
l'occurrence l'article 2224 du code civil qui dispose que les actions personnelles ou mobilières se
prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître
les faits lui permettant de l'exercer.
Dans l'action de groupe, c'est l'association qui est titulaire du droit à agir. C'est donc son droit à agir
qui se prescrira par cinq ans à compter du moment où elle a connu ou aurait dû connaître les faits.
Dans ce type de contentieux, on sera souvent face à des faits qui se répètent et qui s'échelonnent
dans le temps. C'est le cas, par exemple, pour SFR à qui l'on a reproché des surfacturations d'appels
vers les autres opérateurs à La Réunion entre 2000 et 2012. Si l'on pense que l'association de
consommateurs aurait dû connaître ces faits dès 2000, l'action sera aujourd'hui prescrite. Mais si l'on
se base sur les derniers comportements fautifs, intervenus en 2012, alors l'action ne sera prescrite
qu'en 2017. On voit, a fait valoir Me Hervé LECUYER, que l'on se trouve là face à un moyen de
défense qui peut s'avérer très efficace.
Dans le cas d'une personne dont l'action à titre individuel serait prescrite, celle-ci ne devrait pas
pouvoir être indemnisée via une action de groupe, a estimé Me Hervé LECUYER, en réponse à une
question de Mme Laurence GUINCHARD, directrice juridique de Fivory (groupe Crédit Mutuel). Il
en ira différemment dans le cas d'une procédure de recours collectif arrivant à son terme. A l'heure
de la liquidation du préjudice, celle-ci concrètement s'opèrera par une demande adressée soit à
l'association de consommateurs, soit au professionnel. S'agissant de la demande individuelle de
chaque consommateur membre de la classe, le professionnel pourra éventuellement opposer des
moyens de défense, notamment au regard de la prescription individuelle de chacun d'entre eux. En
effet, on verrait mal le juge estimer que la recevabilité de l'action de groupe puisse annihiler tous
les moyens de défense vis-à-vis de chaque individu, a précisé Me LECUYER.
Dernière question à examiner en matière procédurale, celle de l'autorité de la chose jugée. La loi
de 2014 a posé une limite à l'article L. 423-23 du code de la consommation en disposant que n'est
pas recevable l'action de groupe "lorsqu'elle se fonde sur les mêmes faits, les mêmes manquements
et la réparation des mêmes préjudices" que ceux ayant déjà fait l'objet d'un jugement ou d'un
accord homologué. Ainsi y aura-t-il un obstacle à une nouvelle action identique mais avec une
association différente. A l'inverse, dans le cas d'une action individuelle préexistante d'un membre
de la classe, celle-ci ne pourrait empêcher une association d'agir, a indiqué Me LECUYER. En effet,
on ne pourra alors parler d'identité de demandeurs.
Sur le fond
Quant aux moyens de défense d'ordre substantiel, la difficulté majeure, a relevé Me Her
LECUYER, repose sur la juxtaposition d'un droit nouveau, l'action de groupe, sur le droit existant,
sans que l'articulation des deux ait été étudiée.
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!