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Lundi 12 janvier 2015 ♦ page 16
Correspondance de la Publicité
ETUDE DOCUMENTAIRE
Lundi 12 janvier 2015
Action de groupe : lors d'une table ronde
organisée par le cabinet Carlara, M. George
STANSFIELD, directeur juridique groupe
d'Axa, et Mes Hervé LECUYER, Michel RASLE
et Ranéha TOUIL ont débattu des enjeux de
la loi Hamon à la lumière, notamment, de
l'expérience américaine
La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (n° 2014-344) portée par M. Benoît HAMON,
alors ministre délégué chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, complétée
par le décret d'application du 24 septembre 2014 (n° 2014-1081) a introduit en droit français
l'action de groupe.
Organisée fin 2014 par le cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle & Associés (Carlara), une table ronde
introduite par Me Michel RASLE, associé du cabinet Carlara, et Me Ranéha TOUIL, associée du
cabinet Carlara Social-Alcimus, a permis d'apporter un double éclairage sur cette question :
− en droit comparé entre le dispositif américain et la loi française d'une part, grâce à l'analyse de
M. George STANSFIELD, aujourd'hui directeur juridique Groupe et directeur Groupe des
ressources humaines d'AXA, membre du comité exécutif, après avoir été plusieurs années
avocat au barreau de New York ;
− une réflexion sur les moyens de défense à la
disposition du professionnel confronté à un
recours collectif d'autre part, avec l'intervention
de Me Hervé LECUYER, associé chez Carlara,
professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas
notamment en droit civil et en droit des
assurances.
Action de groupe : les contours de la loi Hamon
Annoncée de longue date, l'action de groupe a finalement été introduite en droit français par la loi
Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation, a rappelé Me Michel RASLE, lors de son
propos introductif. L'hexagone a ainsi rejoint les treize pays de l'Union européenne qui, au fil des
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ans, ont complété leur arsenal législatif en y introduisant une procédure de recours collectif. C'est
le cas notamment du Portugal, de l'Italie, de la Suède, des Pays-Bas, ou encore de l'Angleterre et
du Pays de Galles. Mais pas celui de l'Allemagne, s'est félicité Me Lutz HARTMANN, avocat aux
Barreaux de Francfort et de Paris, interrogé par Me RASLE lors de la table ronde. Même si des cas
de recours collectifs existent outre-Rhin, ceux-ci ne peuvent jamais fixer un préjudice à compenser,
a-t-il détaillé. Ils ne peuvent concerner que des cas d'omissions, à l'image, par exemple, de
conditions générales de vente sur Internet qui ne seraient pas conformes à la loi. Dans de tels cas,
des associations de consommateurs peuvent agir en leur nom pour les modifier. Cependant, dans
des affaires où les magistrats se trouvent face à plusieurs cas identiques, on voit se développer la
jonction des procédures dans un contentieux unique afin de déterminer une décision socle. Celleci est déclinée, dans un deuxième temps, dans chacune des procédures, le préjudice étant alors
déterminé au cas par cas. Il en est ainsi notamment dans le secteur des marchés financiers.
En France, plusieurs contentieux ont d'ores et déjà été lancés, à l'image de celui initié par
l'association UFC Que Choisir qui, dès le 1er octobre 2014, jour de l'entrée en vigueur de la
réforme, a été la première association de consommateurs à agir, en l'espèce contre le groupe
immobilier Foncia auquel il reproche d'avoir indûment facturé pendant plusieurs années des frais
pour l'émission d'avis d'échéance de loyer. Mais des actions de groupe ciblent déjà d'autres
professionnels tel le secteur bancaire ou celui de l'assurance. Ce dernier intervient également en
amont, comme prestataire, pour assurer des professionnels qui veulent se protéger contre les effets
de recours collectifs.
Le cadre de l'action de groupe, a détaillé Me RASLE, est déterminé à l'article
L. 423-1 du code de la consommation qui dispose qu'une association de
défense des consommateurs agréée au niveau national peut agir devant une
juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis
par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et
ayant pour cause commune un manquement d'un ou des mêmes
professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles soit à l'occasion de
la vente de biens ou de la fourniture de services, soit lorsque ces préjudices
résultent de pratiques anticoncurrentielles.
L'action de groupe, précise enfin cet article, ne peut porter que sur la réparation des préjudices
patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs.
La loi Hamon a en outre introduit une définition du consommateur, qui n'existait pas jusque-là, par
le biais d'un article préliminaire du code de la consommation qui précise qu'est considéré comme
tel "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité
commerciale, industrielle, artisanale ou libérale". Une définition en creux qui ne facilitera pas le
travail du juge, a relevé Me RASLE.
Ainsi le demandeur à l'action est-il nécessairement une association de défense des consommateurs
représentative au niveau national et agréée. Celle-ci peut s'adjoindre, avec l'autorisation du juge, le
service d'avocats ou d'huissiers de justice afin de procéder à la réception des demandes
d'indemnisation et plus généralement afin de "(représenter) les consommateurs lésés auprès du
professionnel, en vue de leur indemnisation", précisent les textes.
Quant au préjudice, ne sont concernés que les préjudices d'ordre patrimonial résultant de
dommages matériels. Il s'agit donc de réparer un préjudice individuel mais subi par une pluralité
de consommateurs.
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Enfin, au regard de la procédure, la loi Hamon prévoit la possibilité qu'une médiation puisse
intervenir. Cette faculté est réservée aux associations de consommateurs agréées qui peuvent opter,
si elles le souhaitent, pour la médiation et aboutir à un accord qui sera homologué par le juge, a de
son côté détaillé Me Hervé LECUYER. Interrogé par Mme Géraldine de NICOLAY PRATE, chef de
projet informatique chez BNP-Paribas, celui-ci a estimé que ce dispositif ne devrait cependant pas
contrecarrer la faculté ouverte de longue date à des particuliers de saisir en direct les médiateurs
mis en place au sein des banques ou d'organismes professionnels comme le Groupement des
entreprises mutuelles d'assurance (GEMA) ou encore la Fédération française des sociétés
d'assurances (FFSA).
La loi prévoit également, outre la procédure de droit commun, une procédure simplifiée. Cette
dernière peut être décidée par le juge lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont
connus, et lorsque ceux-ci ont subi un préjudice d'un même montant. Le juge peut alors
condamner le professionnel à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et
selon des modalités qu'il fixe. Répondant à Mme Marine GUYON-GODET, chargée de mission à la
direction juridique et conformité de la Fédération bancaire française (FBF), Me Hervé LECUYER a
estimé que cette procédure ne devrait s'imposer qu'exceptionnellement. En effet, a-t-il fait valoir,
les conditions de sa mise en œuvre – identité et nombre des consommateurs connus, préjudice
d'un même montant – seront très difficiles à réunir. Si l'on admet par exemple qu'un tiers au
contrat puisse être en mesure d'invoquer le manquement contractuel, l'entreprise en défense
pourra faire valoir qu'on est dans l'impossibilité de réunir ces conditions. Celle-ci pourra certes
connaître ses clients contractants mais les consommateurs lésés ne seront pas nécessairement
réduits à ces derniers. La loi de 2014 n'a pas réservé l'action de groupe aux seuls contractants du
professionnel mais a inclus les tiers. De fait, il sera quasi impossible d'anticiper le nombre total de
personnes à indemniser.
Plusieurs axes de défense à explorer
Si le souci de protection du consommateur est tout à fait légitime, un équilibre doit cependant être
trouvé avec celui tout aussi légitime du professionnel, a défendu lors de son intervention Me Hervé
LECUYER, pour qui l'on peut craindre une sorte de "présomption de responsabilité" à son
encontre, accentué inévitablement par le poids médiatique qui pèsera sur l'entreprise, phénomène
que l'on peut d'ailleurs déjà constater.
Alors que la question est posée de l'articulation et de la coexistence entre ce droit nouveau et le
cadre ancien, des moyens de défense peuvent être envisagés, a-t-il cependant estimé, et ce autour
de deux axes : procédural d'une part, tenant à la règle de droit, d'autre part.
→ Du point de vue procédural
Ainsi, au plan procédural, le décret d'application du 24 septembre 2014 instaure une articulation
entre, d'un côté, des dispositions propres à l'action de groupe et, de l'autre, le code de procédure
civile. A cet égard, Me LECUYER a relevé plusieurs exigences en l'absence desquelles l'action de
groupe ne peut prospérer, autant de moyens à explorer.
L'action doit être attitrée. En effet, la loi exige ici une qualité à agir faisant ainsi un tri parmi les
personnes ayant un intérêt à agir et réserve celle-ci aux seules associations de consommateurs
représentatives au niveau national, qui doivent avoir reçu un agrément. Elles sont à ce jour au
nombre de quinze.
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Si toute association agréée a qualité à agir, est-elle pour autant en mesure d'agir ? Encore faut-il
que, dans ses statuts, son objet social en prévoit la possibilité. C'est une exigence qu'a rappelée
dans un autre cadre la Cour de cassation : une association peut agir dès lors que cette faculté figure
dans son objet social. Evidemment, a pointé Me Hervé LECUYER, un tel oubli ne vaudra qu'une
fois, l'association complétant alors ses statuts pour combler ce vide.
Dans ce même registre on assiste, comme l'a souligné Me Michel RASLE dans son propos
introductif, à des tentatives de contournement de la loi du fait de certains avocats qui essaient de
s'immiscer dans le processus alors que le législateur les a pourtant écartés des personnes ayant
qualité à agir. Ainsi voit-on quelques-uns d'entre eux tenter de contourner la difficulté en s'abritant
derrière des sites Internet, a-t-il averti. Ceux-ci, pilotés en fait par des avocats, entreprennent sous
couvert d'assistance technique, d'agréger une multitude de demandes individuelles pour faire
masse avec à l'arrivée une sorte de collectivisation des recours individuels, a relevé pour sa part
Me LECUYER. Celui-ci a rejoint M. Philippe SAULT, directeur du contentieux et du recouvrement
au CIC, pour qui il s'agit là en fait d'une fraude civile, sanctionnable par des dommages et intérêts.
Alors que le Conseil de l'Ordre est déjà saisi de cette question sous l'angle professionnel et
déontologique, la question mériterait en effet d'être posée en droit sous l'angle de la théorie de la
fraude, à savoir une règle obligatoire qu'on contourne à dessein par l'emploi d'un moyen valable
juridiquement.
D'autres pistes peuvent également être explorées par le jeu du
code de procédure civile, a détaillé Me LECUYER.
Ainsi en est-il de la notion d'intérêt à agir. En effet, celui-ci ne se
présume pas, il doit être prouvé. L'action est ouverte à tous ceux
qui y ont un intérêt légitime. De ce point de vue, la question
pourrait être posée dans le cas d'une réparation qui, ramenée à
chaque individu membre du groupe, s'avèrerait dérisoire. Cette
notion est d'ailleurs reprise par l'Autorité de la concurrence qui exige un seuil plancher pour
examiner une plainte. Se plaçant au plan des principes, on a là un changement substantiel quant à
la finalité de la responsabilité civile, a pour sa part considéré Me Michel RASLE. En effet, dans les
procédures classiques, il s'agit de réparer un préjudice. Dans le cas présent, on pourra faire face à
une quantité importante de "mini" préjudices. Et d'illustrer son propos en évoquant deux affaires
aux Etats-Unis, l'une concernant des taxis dans laquelle chaque personne a reçu 7 dollars ; une
autre contre un club de golf où chaque membre du groupe a reçu une consommation gratuite. Si
prise individuellement, la réparation paraît symbolique, elle peut être très lourde pour le
professionnel si le groupe de consommateurs est important. Ne basculerait-on pas alors d'une
notion de réparation du préjudice vers une notion punitive, à l'image de ce qui existe aux EtatsUnis avec les "punitive damages", ou dommages punitifs, s'est-il interrogé. Un précédent existe
déjà en France avec la récente loi sur la contrefaçon (loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre
la contrefaçon) aux termes de laquelle les dommages et intérêts doivent désormais être fixés en
prenant également en considération les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Autre moyen de défense à examiner, a relevé Me Hervé LECUYER, l'intérêt doit être né et actuel,
écartant de facto un intérêt futur. C'est ce qu'a dit la Cour de cassation dans un arrêt de 1985 dans
un tout autre domaine, celui de la clause de conscience applicable aux journalistes, faisant valoir
qu'on ne peut provoquer un contentieux en l'absence de litige ou de différend. Transposée à
l'action de groupe, la question serait de savoir si l'on peut provoquer une telle procédure en
l'absence de sollicitation, de litige préexistant provenant des membres de la classe que l'on
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souhaite protéger. De la même façon, ne pourrait-on écarter un tel contentieux en présence d'un
intérêt passé, dans le cas où la personne n'a plus d'intérêt à agir en présence de faits anciens ?
Qu'en est-il, par ailleurs, en matière de prescription ? La loi du 17 mars 2014 en dit peu de choses,
a souligné Me LECUYER. Ainsi, l'article L. 423-20 du code de la consommation se contente-t-il
d'indiquer que l'action de groupe "suspend la prescription des actions individuelles". Dans le droit
commun, en présence d'une action en justice, il y a interruption, notion plus radicale qui remet les
compteurs à zéro. Si la loi de 2014 vise en la matière les actions individuelles, elle ne dit rien en
revanche de l'action de groupe elle-même. C'est donc le droit commun qui s'appliquera ici, en
l'occurrence l'article 2224 du code civil qui dispose que les actions personnelles ou mobilières se
prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître
les faits lui permettant de l'exercer.
Dans l'action de groupe, c'est l'association qui est titulaire du droit à agir. C'est donc son droit à agir
qui se prescrira par cinq ans à compter du moment où elle a connu ou aurait dû connaître les faits.
Dans ce type de contentieux, on sera souvent face à des faits qui se répètent et qui s'échelonnent
dans le temps. C'est le cas, par exemple, pour SFR à qui l'on a reproché des surfacturations d'appels
vers les autres opérateurs à La Réunion entre 2000 et 2012. Si l'on pense que l'association de
consommateurs aurait dû connaître ces faits dès 2000, l'action sera aujourd'hui prescrite. Mais si l'on
se base sur les derniers comportements fautifs, intervenus en 2012, alors l'action ne sera prescrite
qu'en 2017. On voit, a fait valoir Me Hervé LECUYER, que l'on se trouve là face à un moyen de
défense qui peut s'avérer très efficace.
Dans le cas d'une personne dont l'action à titre individuel serait prescrite, celle-ci ne devrait pas
pouvoir être indemnisée via une action de groupe, a estimé Me Hervé LECUYER, en réponse à une
question de Mme Laurence GUINCHARD, directrice juridique de Fivory (groupe Crédit Mutuel). Il
en ira différemment dans le cas d'une procédure de recours collectif arrivant à son terme. A l'heure
de la liquidation du préjudice, celle-ci concrètement s'opèrera par une demande adressée soit à
l'association de consommateurs, soit au professionnel. S'agissant de la demande individuelle de
chaque consommateur membre de la classe, le professionnel pourra éventuellement opposer des
moyens de défense, notamment au regard de la prescription individuelle de chacun d'entre eux. En
effet, on verrait mal le juge estimer que la recevabilité de l'action de groupe puisse annihiler tous
les moyens de défense vis-à-vis de chaque individu, a précisé Me LECUYER.
Dernière question à examiner en matière procédurale, celle de l'autorité de la chose jugée. La loi
de 2014 a posé une limite à l'article L. 423-23 du code de la consommation en disposant que n'est
pas recevable l'action de groupe "lorsqu'elle se fonde sur les mêmes faits, les mêmes manquements
et la réparation des mêmes préjudices" que ceux ayant déjà fait l'objet d'un jugement ou d'un
accord homologué. Ainsi y aura-t-il un obstacle à une nouvelle action identique mais avec une
association différente. A l'inverse, dans le cas d'une action individuelle préexistante d'un membre
de la classe, celle-ci ne pourrait empêcher une association d'agir, a indiqué Me LECUYER. En effet,
on ne pourra alors parler d'identité de demandeurs.
→ Sur le fond
Quant aux moyens de défense d'ordre substantiel, la difficulté majeure, a relevé Me Hervé
LECUYER, repose sur la juxtaposition d'un droit nouveau, l'action de groupe, sur le droit existant,
sans que l'articulation des deux ait été étudiée.
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Or, il y a tout à parier que cette articulation sera malaisée. Et d'évoquer une première fragilité au
regard de l'engagement de la responsabilité civile contractuelle. Préalable obligatoire à toute
sanction, le créancier lui-même doit mettre en demeure le professionnel d'exécuter la prestation.
Mais dans le cas de l'action de groupe, la mise en demeure ne viendra pas du créancier, mais de
l'association. Voici qui illustre l'absence d'articulation avec le droit existant.
Une autre illustration de cette fragilité juridique apparaît avec le rôle que la loi de 2014 confère au
juge. Ainsi, le nouvel article L. 423-3 du code de la consommation dispose notamment que le juge se
prononce sur la responsabilité du professionnel sans pour autant avoir constaté le préjudice puisque, à
ce stade, il ne détermine que les préjudices "susceptibles" d'être réparés. Or, en droit français, a relevé
Me LECUYER, la détermination du préjudice est un préalable à l'engagement de la responsabilité.
Dans ce même article, il est dit que le juge statue sur la responsabilité du professionnel, "au vu des
cas individuels présentés par l'association requérante". A ce stade, a précisé Me LECUYER en
réponse à une question de Me Fanny DESCLOZEAUX, associée au sein du cabinet Carlara, les
consommateurs sont encore anonymes, la loi n'exigeant pas la connaissance des membres de la
classe dans leur totalité. L'association, ici, doit seulement présenter quelques cas individuels, à titre
d'illustration en quelque sorte, afin que le juge puisse se faire une idée et statuer sur la
responsabilité du professionnel, définir le groupe des consommateurs concernés et fixer les critères
de rattachement. Critiquant cette disposition, Me Michel RASLE a relevé que le juge pourra ainsi
statuer sur la responsabilité du professionnel sans pour autant que le nombre de créanciers soit
connu. Une fois encore, on est là en effet dans une approximation que le droit de la responsabilité
ne peut tolérer, a estimé Me LECUYER.
Quant à la notion de "groupe", si c'est au juge d'en définir le périmètre, il n'y a pas en revanche un
nombre minimum d'individus requis pour former une classe, a précisé Me LECUYER en réponse à
Mme Laurence GUINCHARD. La loi se borne à indiquer que les consommateurs du groupe défini
par le juge doivent être placés dans une situation "similaire ou identique" (art. L. 423-1), et que
celui-ci en fixe les critères de rattachement. Le juge dispose donc ici d'une marge d'appréciation
très importante, a relevé Me Hervé LECUYER, au regard notamment de ce qu'il considèrera comme
"une situation similaire".
"Art. L. 423-3.-Dans la même décision, le juge constate que les conditions de recevabilité mentionnées à l'article
L. 423-1 sont réunies et statue sur la responsabilité du professionnel, au vu des cas individuels présentés par
l'association requérante. Il définit le groupe des consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du
professionnel est engagée et en fixe les critères de rattachement.
Le juge détermine les préjudices susceptibles d'être réparés pour chaque consommateur ou chacune des
catégories de consommateurs constituant le groupe qu'il a défini, ainsi que leur montant ou tous les éléments
permettant l'évaluation de ces préjudices. Lorsqu'une réparation en nature du préjudice lui paraît plus adaptée, le
juge précise les conditions de sa mise en œuvre par le professionnel.
A cette fin, à tout moment de la procédure, le juge peut ordonner toute mesure d'instruction légalement admissible
nécessaire à la conservation des preuves et de production de pièces, y compris celles détenues par le professionnel."
Enfin, une autre faiblesse de la loi concerne la fixation du montant du préjudice. Le législateur a
raisonné globalement, au niveau de l'ensemble du groupe. Mais le droit français en matière de
responsabilité civile est par essence un droit individuel. Il est à parier que le préjudice ne sera
jamais le même pour deux personnes face à un même dommage. Il y aura nécessairement une
individualisation des éléments au regard de la situation de chacun des membres du groupe. Et c'est
sans prendre en compte le comportement de la victime qui pourra parfois être opposé à certains
membres du groupe, pas à d'autres.
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Concluant sur ce point, Me Hervé LECUYER a estimé que la meilleure approche consiste à faire la
démonstration que la logique globalisante ne tient pas et qu'il conviendra de fixer éventuellement
des critères qui permettront ultérieurement de déterminer les dommages et intérêts au regard de
chaque demande. Ce faisant, une telle démarche affectera nécessairement l'approche collective de
l'action de groupe. L'idée est bien de faire éclater l'approche globalisante en individualisant le sort
de chacun des membres de la classe.
En l'absence de recul, il ne s'agit à ce stade que de pistes de réflexion sans pouvoir disposer d'aucune
certitude sur le succès de tel ou tel moyen de défense, a cependant nuancé Me LECUYER.
Les conséquences potentielles en France de l'introduction de l'action de groupe à l'aune
de l'expérience américaine
Si l'on n'a guère de recul en France, c'est tout le contraire aux Etats-Unis où la
"class action" existe depuis plus de soixante ans. Interrogé par Me Ranéha
TOUIL, avocate associée du cabinet Carlara Social-Alcimus, M. George
STANSFIELD, directeur juridique Groupe et directeur des ressources humaines
d'Axa, a tout d'abord évalué l'action de groupe à la française, fort de son
expérience d'avocat au barreau de New York.
L'introduction de l'action de groupe, a-t-il fait valoir, va radicalement changer
l'environnement juridique en France. D'une certaine façon, c'est en effet la boîte de Pandore que
l'on a ouverte. Sans surprise, ce sera une bonne chose pour les avocats, une mauvaise pour les
entreprises, mais plus que tout, ce sera source de complexité pour les magistrats qui devront faire
face à une augmentation significative des contentieux. Les problèmes qu'ils soulèveront en droit
seront de nature très différente de ceux connus jusque-là. A commencer par la question de la
recevabilité des actions de groupe et de leur périmètre ou encore de leur "certification" selon le
terme consacré en droit américain. Autre source de complexité, celle de la théorie des dommages.
Ainsi, aux Etats-Unis, cette question mobilise des experts, très coûteux, qui ne font que ça. Voilà
pour les conséquences directes.
Il ne faut pas en sous-estimer pour autant les conséquences indirectes. Ainsi, ce nouveau champ du
droit aura nécessairement des incidences au niveau de la gouvernance des entreprises en France.
En premier lieu, la question sera posée des implications sur le fonctionnement des conseils
d'administration des entreprises et des conséquences potentielles pour les administrateurs du
simple fait de siéger au sein d'un conseil. En effet, on pourrait voir, à l'image de ce qu'il se passe
aux Etats-Unis, des administrateurs cités individuellement à l'occasion d'un contentieux. A cet
égard, Me Lutz HARTMANN a regretté l'excès de prudence qui s'est malheureusement répandu au
sein des conseils du fait de la "class action". Ainsi a-t-il vu des entreprises allemandes renoncer à
lancer de nouveaux produits aux Etats-Unis en raison du simple risque de poursuites sur ce terrain.
Les conséquences, a détaillé M. George STANSFIELD, devraient également se faire sentir dans les
relations entre les conseils d'administration et l'exécutif, qui peuvent changer profondément. Enfin,
les rapports annuels seront rédigés de façon beaucoup plus défensive et prudente en prévision
d'éventuels contentieux et la communication institutionnelle de l'entreprise s'en trouvera modifiée.
Ces changements devraient se voir assez rapidement. Trois autres éléments qui existent aux EtatsUnis pourraient venir significativement modifier le contexte judiciaire français s'ils devaient voir le
jour : la procédure de recherche de preuves ("discovery"), les "contingent fees" pour les avocats
(c'est-à-dire les honoraires conditionnels déterminés en fonction du résultat) et, enfin, la question
des dommages punitifs.
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Mis bout à bout, ces différents éléments constituent un levier très puissant pour inciter à poursuivre
quasiment n'importe quel professionnel. Immanquablement, on a assisté ainsi aux Etats-Unis à une
dérive avec le développement d'une économie autour de la "class action". Elle est devenue le
fonds de commerce de certains cabinets d'avocats dont la seule activité est de débusquer à leur
profit d'éventuels contentieux qui se sont logiquement multipliés. Ce phénomène s'est de surcroît
amplifié avec les recours collectifs dans le domaine boursier ("securities class actions") qui sont
admis outre-Atlantique et qui surgissent quasi systématiquement à l'occasion notamment
d'opérations de fusions avec à la clé la situation des actionnaires minoritaires.
Auto-entretenant ce "business", l'intérêt de chaque cas est alors évalué à l'aune de sa rentabilité
pour le cabinet d'avocats, plus qu'à celui de son intérêt pour le consommateur concerné, a
souligné M. George STANSFIELD. L'avocat en Amérique pouvant être rémunéré en proportion du
résultat obtenu, ses honoraires peuvent atteindre 25 à 30 % des sommes allouées aux plaignants.
Dans la plupart des cas, d'ailleurs, le procès ne va même pas à son terme, 90 % des "class actions"
faisant l'objet d'une transaction sans nécessairement que l'entreprise ait eu un comportement fautif.
En effet, plutôt que de conduire un procès extrêmement coûteux et long, les entreprises sont
tentées de transiger alors que les honoraires d'avocats peuvent s'élever jusqu'à 50, voire
100 millions de dollars avant même que ne débute le procès à proprement parler. L'équation est
devenue plus complexe encore lors d'enquêtes publiques. En effet, elles sont suivies dans la
plupart des cas de plaintes au civil et toutes les déclarations faites lors de la procédure publique
sont ensuite utilisées contre l'entreprise. D'un point de vue économique, le risque est désormais
double, à la fois lors de ces enquêtes, puis dans la foulée lors des contentieux au civil.
Interrogé par Me Coline BIED-CHARRETON, avocate au sein du cabinet Carlara Social-Alcimus,
sur les chances de gagner pour la minorité d'entre elles qui décident néanmoins d'aller devant le
tribunal, M. STANSFIELD a reconnu qu'il ne leur arrive que rarement de l'emporter.
Les périmètres respectifs de l'action de groupe française versus la "class action"
américaine
Alors qu'aucune limite n'est fixée à l'action de groupe américaine, le périmètre français est
indéniablement contenu, pour l'heure, dans un cadre étroit. Mais pour combien de temps, s'est
interrogé M. STANSFIELD, qui parie sur un élargissement progressif du dispositif. Ainsi, à titre
d'exemple, qu'est-ce qui justifiera de ne pas inclure à terme les recours collectifs dans le domaine
boursier ? Pourquoi une telle discrimination, a-t-il fait valoir.
Pourquoi ne pas introduire la procédure de la "discovery", phase préalable au procès pour la
recherche de preuves par les parties, a encore relevé M. George STANSFIELD [NDLR : phase, aux
Etats-Unis, qui précède le procès et au cours de laquelle chaque partie peut obtenir des preuves
auprès de la partie adverse par divers moyens tels des demandes de produire des documents, envoi
de questionnaires, interrogatoires, etc.]. En effet, la pression sera forte en raison du contexte qui va
totalement changer. C'est une chose lors d'un procès d'être face à un demandeur unique. C'en est
une tout autre lorsque l'on est face à 10 000 plaignants.
Quant au rôle clé attribué par la loi française aux associations, c'est assurément un précieux gardefou, a jugé ce dernier. Cependant, il rendra les règlements amiables beaucoup plus rares, a-t-il
prédit. Du point de vue de l'association, c'est une option qu'elle ne devrait pas privilégier. En tout
état de cause, elle devrait le faire avec prudence compte tenu des implications pour elle vis-à-vis
des consommateurs qu'elle représente. De plus, la culture de la transaction est moins répandue en
France. Inéluctablement, cela rejaillira sur les tribunaux qui feront face à un afflux très important de
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contentieux. Parallèlement, devrait se développer le recours à des experts afin de calculer le
montant des indemnités à allouer qu'il faudra individualiser pour refléter la situation de chacun des
plaignants, comme l'a relevé Me LECUYER.
Enfin, dernier point soulevé par Me Ranéha TOUIL, la question du choix du
législateur français de privilégier la procédure de l'opt-in qui oblige chaque
plaignant à se déclarer, plutôt que celle de l'opt-out en vigueur outre-Atlantique
où à l'inverse, le plaignant signifie, le cas échéant, qu'il se retire de la
procédure. La bonne option ne s'impose pas de prime abord, a reconnu
M. George STANSFIELD qui, contre toute attente, a jugé néanmoins l'opt-out
préférable, y compris du point de vue du professionnel. Dans l'esprit de
certains, l'opt-in doit permettre de limiter l'ampleur d'un recours collectif. Ce
n'est pas son avis. En effet, dans cette hypothèse, le contentieux une fois soldé
fixera en quelque sorte une sanction plancher en attendant que d'autres plaignants se manifestent.
L'entreprise, pour sa part, sera contrainte de provisionner d'éventuels dédommagements futurs à
hauteur de la totalité de la cible des consommateurs potentiellement concernés, et ce jusqu'au
terme du délai de prescription. Ce qui peut prendre des années.
Maîtriser à l'avenir le cadre législatif de l'action de groupe, une nécessité
On voit bien en France, a reconnu Me Ranéha TOUIL, que l'on n'en est qu'aux balbutiements de
l'action de groupe. Celle-ci, inexorablement, devrait se répandre. Mais il est trop tôt pour prédire ses
évolutions futures. Il faut espérer, a fait valoir M. George STANSFIELD, que ne se combineront pas en
France les différentes caractéristiques de la "class action" américaine qui, mises bout à bout, ont conduit
aux excès que l'on connaît outre-Atlantique. Mais la pression sera très forte, a-t-il mis en garde, et il sera
difficile de s'en tenir, dans le temps, aux limites fixées par le droit français. Pour autant, le pire n'est pas
sûr. Il n'y a qu'à regarder l'exemple du Québec qui a su mettre en place un dispositif qui a fait ses
preuves. Indéniablement l'action de groupe a permis une modification des comportements. Ce n'est
donc pas le principe même de l'action de groupe qui est à condamner, ce sont les débordements
auxquels elle a donné lieu, a-t-il souligné. Aux Etats-Unis, la "class action" est devenue une menace
pour le professionnel, menace contre laquelle il cherche à tout prix à se prémunir, notamment en
contractant de coûteuses assurances en responsabilité civile en prévision d'éventuels recours, a relevé
M. STANSFIELD, en réponse à une question de Me Coline BIED-CHARRETON.
Ce nouveau droit deviendra inéluctablement un business en soi, a-t-il prédit, et c'est là que la
vigilance est indispensable. Son coût pour l'économie d'un pays est considérable. Il y a certes des
cas délictuels, mais le plus souvent, il s'agit purement et simplement de taxer les entreprises, a-t-il
jugé. Il faut donc s'assurer que ce cadre légal nouveau reste sous contrôle.
Interrogé en conclusion par Me TOUIL sur une éventuelle américanisation du droit français,
M. George STANSFIELD ne l'a pas appelé de ses vœux, loin s'en faut. Il s'est au contraire félicité
de la qualité et de la solidité du système juridique français. Aux Etats-Unis, la crainte d'une mise en
cause de la responsabilité est telle que cela a considérablement rigidifié les comportements et l'on
est tout de suite considéré comme un "adversaire" dans un univers devenu franchement hostile. A
cela est venu s'ajouter, depuis les années 2004-2005, la combinaison dans les mains d'une même
institution, celle de certains procureurs généraux, de l'ambition politique et du pouvoir poursuites
judiciaires. A l'inverse, en France, il est encore possible d'avoir un dialogue rationnel et de qualité
tant avec les autorités de régulation qu'avec la puissance publique. Le système français, dans son
ensemble, est plus équilibré, a-t-il estimé.
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