La décomposition de Dunford des endomorphismes.

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Document de travail pour l’atelier de la journée régionale APMEP d’Aix-Marseille du 17 mai
André BONNET [email protected]
La décomposition de Dunford des endomorphismes.
En travaillant avec un jeune collègue, candidat à l’agrégation interne de mathématiques, je suis
tombé, tout à fait par hasard, sur un article Daniel Ferrand1 dont l’introduction est la suivante :
« A un candidat qui avait donné la démonstration usuelle, sur
Dunford :
avec
,
, de la décomposition de
diagonalisable et
nilpotent »
le jury a posé la question suivante :
« peut-on calculer
et
sans connaître les valeurs propres de
».
La réponse étant affirmative, le but de cet article est d’adapter2 la méthode (donnée par Daniel
Ferrand) au cas des endomorphismes sur un K-espace vectoriel de dimension finie et dont le corps
de base est K = ou .
Dans cette méthode l’endomorphisme
est obtenu par une suite qui stationne à partir d’un certain
rang. La formule de récurrence, qui définit cette suite, est très proche de la "vénérable" méthode de
Newton (bien connue pour la recherche de valeurs approchées de racines d’une équation
numérique).
1 – La décomposition de Dunford d’un endomorphisme par la méthode usuelle :
Théorème :
Si est un K-espace vectoriel de dimension finie, avec
ou et si
de , alors il existe deux endomorphismes de , notés
et tels que :
,
est diagonalisable,
est nilpotent
et
Cette décomposition est unique (sous réserve de commutativité) ; de plus
est un endomorphisme
et
sont dans
.
Démonstration :
Elle repose essentiellement sur l’utilisation du théorème de décomposition des noyaux.
1.a. Commençons par le cas complexe (
).
Démonstration de l’existence :
Ecrivons le polynôme caractéristique de
sous forme factorisée :
∏ (
)
1
Université de Rennes 1, « Une méthode effective pour la décomposition de Dunford » Préparation à l’agrégation
interne de mathématiques, 2003. http://www.math.jussieu.fr/~dferrand/Dunford.pdf
2
Le théorème et sa démonstration sont donnés dans le cadre général d’une K-algèbre de dimension finie et
pour un corps K quelconque.
André BONNET,
Journée Régionale APMEP,
atelier du 17 mai
Page 1
(
est la somme directe des sous-espaces caractéristiques
Soit
l’endomorphisme de
dont la restriction à
est exactement
est diagonalisable et admet comme sous espaces propres les sous espaces
Posons
. Il reste à vérifier que
est nilpotent et que
)
.
. Cet endomorphisme
.
commute avec
.
Comme chaque sous-espace caractéristique de est stable par et par , il est stable aussi par
reste donc à vérifier la commutativité pour les restrictions aux sous-espaces .
Notons, avec l’indice , les restrictions à
Or, par définition de
immédiatement que
De plus,
avec .
, (
est nilpotent.
étant une homothétie,
Démontrons maintenant que
et
. On a :
)
et
; ce qui démontre que
commute avec
.
est nilpotent, on déduit
ce qui permet d’affirmer que
sont des polynômes en
; il
commute
.
Si on note
la projection sur parallèlement à la somme de tous les autres sous-espaces
caractéristiques de . Le théorème de décomposition des noyaux nous permet d’affirmer que ces
projections sont des éléments de
. Or par construction on a :
∑
Bien entendu,
est aussi dans
.
Démontrons l’unicité de la décomposition :
Supposons l’existence d’un autre couple (
condition
. On a alors :
) vérifiant les conditions requises, en particulier la
.
Comme commute avec , il commute aussi avec , mais aussi avec et avec (car se sont des
polynômes en ). On en conclu que commute avec et que et sont codiagonalisables ce qui
entraine que
est diagonalisable.
De même,
commute avec
(
. Il en découle que
)
∑ (
est nilpotent ; en effet pour
)
assez grand :
( )
Or le seul endomorphisme à la fois diagonalisable et nilpotent est l’endomorphisme nul. On en
conclu que
et
.
1.b. Le cas réel (
).
Si le polynôme caractéristique
est scindé dans
la démonstration précédente peut être
reconduite à l’identique. Supposons donc que possède au moins une valeur propre complexe (non
réelle). On peut alors écrire
sous la forme :
André BONNET,
Journée Régionale APMEP,
atelier du 17 mai
Page 2
∏
On pose
(
∏
)
et on définit les polynômes
(
̅ )
) (
ainsi que les exposants
(
)
|
|
∏
( ) .
En appliquant le théorème de décomposition des noyaux à
écrire comme somme directe des sous espaces
Comme dans le cas complexe, on pose, pour
par :
:
on peut encore
.
Pour les valeurs
, on peut remarquer que les sous-espaces sont de dimensions
paires, donc chaque est une somme directe de plans et on définit
en imposant que sa
restriction à ces plans soit une similitude caractérisée par le nombre complexe
. La matrice de la
restriction de
à un plan est donc de forme :
|
( )
( )
|(
( )
)
( )
(
)
On termine la démonstration, comme dans le cas complexe, en imposant que l’endomorphisme
de ait comme restriction à
exactement
et en prenant
.
2 – La décomposition de Dunford d’un endomorphisme par une méthode explicite :
On reprend les notations de la première partie :
est un K-espace vectoriel de dimension finie avec
et on note
son polynôme caractéristique.
2.a. Décomposition de
-
Si
,
,
:
est scindé :
(
∏
)
On pose dans ce cas :
-
Si
, et si
-
Si
, et si
∏
∑
( )
.
est scindé sur
: on pose
.
possède au moins une valeur propre complexe,
(
)
∏
(
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est scindé sur
̅ )
) (
on pose :
o pour les valeurs propres réelles :
o Pour les valeurs propres complexes :
et
.
André BONNET,
est un endomorphisme de E
:
( )
et
(
)(
̅ ),
Page 3
Dans tous les cas on peut écrire le polynôme caractéristique de
sous la forme :
∏
2.b. Définition du polynôme
:
∏
On pose :
et
.
On peut alors affirmer que le polynôme
2.c.
et
divise
et que
divise
sont premiers entre eux :
On considère ici la décomposition des polynômes dans le corps des complexes :
∏
On en déduit :
∑
(∏
)
et on a :
( )
(
)
On obtiendrait de même (éventuellement) que
(̅)
Donc
( )
∏
et
∏
n’ont aucune racine commune; ils sont premiers entre eux.
(
2.d. La relation
Posons
)
:
(
, alors
On en déduit que
(
Donc
.
)
en divisant
(
divise
par
∏
) . Mais
)
ne divise pas
.
. Ce qui prouve qu’il est possible de déterminer
(
).
2.e. Un lemme d’inversibilité :
Lemme :
Dans une algèbre, la somme d’un élément inversible et d’un élément nilpotent, qui commutent, est
un élément inversible.
Démonstration :
Soit
un élément inversible et
Posons
Montrons que
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et
un élément nilpotent d’ordre
tels que
et
commutent.
.
est un élément nilpotent, d’ordre
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, et que
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est un élément inversible.
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(
)
(
) (
)
(
)(
)
Or
produit de deux éléments inversibles qui commutent.
2.f. Construction de la suite
(
et
, donc
( )
et
(ii)
( ) est nilpotent
(iii)
( )
( )
A
On sait que
tels que
et
sont premiers entre eux, donc (Bezout) il existe deux polynômes
( )
( )
( )
ce qui implique ( )
.
( )
( )
, donc
( ).
Il est évident que ( ( ))
Or
est divisible par
, donc il existe un polynôme
Pour
,
, donc
Démontrons
.
( )
( )
( )
tel que
ce qui donne
( )
A
:
Comme
est un polynôme, en utilisant la définition de de la suite
(
)
(
donc
lemme, que
-
( )
et
( ) est inversible et que son inverse est dans A .
( ( ))
-
.
:
On en déduit que
-
( )
( ) est inversible et son inverse est dans A
: (i)
Or (Caley-Hamilton)
-
, c’est-à-dire l’ensemble des
( ) ; celle-ci sera obtenu par récurrence.
L’existence de cette suite repose sur l’inversibilité de
-
)
:
On pose
Démontrons
(
est un élément inversible, car
Dans la suite A désigne la sous-algèbre, notée habituellement
combinaisons linéaires des puissances de à coefficients dans .
Posons
)
( )
(
)A
on a :
( )A
) est la somme de
( ) et d’un élément nilpotent. Ceci prouve, d’après le
(
) est inversible.
étant un polynôme on peut écrire :
̃(
(
)
( )
( )
)
Il suffit, pour cela, d’utiliser le binôme de Newton sur les monômes que l’on peut écrire :
̃ (
(
)
)
(
)
(
( ) ( ) )
On en tire :
( )
( ) ( )
( )
( )
( ) ̃( )
( )
( ) ̃( )
Donc
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(
)
( ) A
Journée Régionale APMEP,
( )
A.
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-
Comme ( ) est nilpotent,
(
) est aussi nilpotent.
Conclusion : La définition, par récurrence, de la suite
2.g. La suite
est stationnaire :
Dès que
on a
On notera
est justifiée.
( )
donc, d’après (iii)
( )
le rang à partir du quel la suite stationne et
2.h. Etude de l’élément final
On pose
ce qui implique
.
l’élément final.
:
.
En écrivant sous la forme :
, c’est-à-dire comme une
somme d’éléments nilpotents qui commutent (car ce sont des polynômes en ), on montre que
est nilpotent.
Il reste à montrer que
Pour
est diagonalisable.
( )
, la relation de récurrence devient :
Le polynôme
étant à racines simples, on en déduit que
On obtient la décomposition de Dunford en posant
( )
; donc
( )
.
est diagonalisable3.
et
.
2.i. Etude algorithmique :
On constate que la détermination de ne nécessite pas la connaissance des valeurs propres de , ce
qui donne la réponse à la question posée au début.
La détermination de
Maple par exemple.
est purement algorithmique et automatique pour certains logiciels comme
On a vu que la détermination de
peut se faire par division de
par
(
).
On peut donc construire la suite
de façon automatique avec un logiciel de calcul formel et ainsi
déterminer la décomposition de Dunford (voir en annexe l’algorithme ).
2.j. Rapidité de l’algorithmique :
( ). On est donc assuré d’obtenir
est le premier entier tel que
( ).
On a vu que la suite
stationne dès que
; or
l’endomorphisme , en un nombre d’itérations où
Ceci donne :
pour
( )
pour
( )
pour
( )
…
3
On peut même affirmer que est le polynôme minimal de . En effet, comme et commutent ils sont
cotrigonalisables (sur ). Dans une base commune de trigonalisation, les valeurs propres de
apparaissent sur la diagonale, comme sommes des valeurs propres de et de . L’endomorphisme n’ayant
que zéro comme valeur propre. On peut conclure que de et de ont les mêmes valeurs propres.
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On retrouve ainsi la rapidité " phénoménale " de la méthode de Newton.
Annexe : l’algorithme
Celui-ci est écrit en langage naturel.
L’endomorphisme à décomposer est supposé être fourni par une matrice et la décomposition de
Dunford sera obtenue, à la fin de l’algorithme, par les deux matrices et associées à et .
Algorithme Dunford :
entrer la matrice
Calculer le polynôme caractéristique
(
)
( )
tant que
de
(ou de )
( )
faire
( )
( )
fin faire
afficher (
)
Remarque :
Suivant le langage utilisé, la condition
exemple, le cas de Maple) .
pourra être remplacée par
( )
(c’est, par
Attention ! : En Maple, la lettre est un symbole réservé (à la dérivation), il faut impérativement
changer le nom de cette variable (prendre par exemple ).
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