Hegel Vol. 3 N° 2 – 2013 124 DOI : 10.4267/2042/51159 Le Bézoard gastrique : à propos de deux observations et revue de la littérature The gastric bezoar: report of two cases and review of the literature Asma Farouk, Azzedine Diffaa, Khadija Krati Service de gastroentérologie, CHU Med VI, Université Cadi Ayyad, Marrakech (Maroc) [email protected] Cascliniques Résumé Introduction : Le «Bézoard» désigne une affection rare, secondaire à l’accumulation inhabituelle, sous forme de masses solides ou de concrétions, de substances de diverses natures à l’intérieur du tube digestif et plus particulièrement, au niveau de l’estomac. Il affecte essentiellement de jeunes patientes perturbées par des désordres psychologiques. Nous rapportons deux cas de bézoard gastrique au travers desquels seront discutées les difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Observation 1 : Il s’agit d’un phytobézoard chez une femme de 46 ans, révélé par un syndrome de sténose pylorique. Un traitement endoscopique a été proposé pour l’extraction du bézoard. Observation 2 : Il s’agit d’un trichobézoard chez une femme de 18 ans, révélé par une masse épigastrique. La fibroscopie haute (FOGD) a posé le diagnostic. La prise en charge thérapeutique était chirurgicale. Conclusion : Le bézoard est une affection facile à diagnostiquer et à traiter ; toutefois, une prise en charge psychiatrique reste indispensable. Mots-clés Bézoard ; Estomac ; FOGD ; Chirurgie Abstract Introduction: The «Bezoar» means a rare condition, secondary to the unusual accumulation under the form of solid masses or concretions of various kinds of substances inside the digestive tract and especially in the stomach. It affects mainly young women disturbed by psychological disorders. We report two cases of gastric bezoar through which we will discuss the diagnostic and therapeutic difficulties. Observation 1: A syndrome of pyloric stenosis revealed a phytobezoar in a 46-year woman. Endoscopic treatment was proposed for the extraction of the bezoar. Observation 2: Upper endoscopy performed for an epigastric mass diagnosed a trichobezoar in an 18-year woman. The treatment was surgical. Conclusion: Bezoar is a condition easy to diagnose and treat; however, psychiatric care remains essential. Keywords Bezoar; Stomach; Upper endoscopy; Surgery Introduction Le bézoard gastrique est une affection rare désignant la présence inhabituelle de substances de diverses natures, au niveau de l’estomac. Son diagnostic repose principalement sur l’endoscopie digestive haute, et son traitement est essentiellement chirurgical. © aln.editions Hegel Vol. 3 N° 2 – 2013 125 Observation1 Patiente I.M. âgée de 46 ans ayant un ATCD d’épigastralgies atypiques évoluant depuis 5 ans et qui présente un syndrome de sténose pylorique clinique associé à des mélénas. La FOGD avait montré une œsophagite de stade 1, un estomac de stase avec présence au niveau antral d’un corps étranger de coloration jaune « bézoard » de 3 cm et un bulbe œdematié boursouflé qui reste franchissable. Sur le plan biologique, on notait la présence d’une anémie microcytaire à10 g/dl et une insuffisance rénale fonctionnelle. La prise en charge thérapeutique a consisté en l’extraction du bézoard par voie endoscopique sans incident notable, la correction des troubles biologiques et la mise sous IPP pour traiter la bulbite et l’œsophagite. L’évolution a été favorable. Observation2 Patiente J.H. âgée de 18 ans, suivie pour une dépression et rapportant la notion de trichophagie. Elle présente depuis 1 mois des douleurs abdominales épigastriques et péri ombilicales d’installation progressive, associées à des vomissements et une AEG. L’examen clinique retrouvait une masse épigastrique et de l’hypochondre gauche de consistance ferme de 6 cm x 5 cm, et un indice de masse corporelle (IMC) = 15. L’échographie abdominale montrait une masse hétérogène intra-gastrique bien limitée. Au scanner abdominal, la masse paraissait hypodense, ne prenant pas le contraste (Fig. 1). La FOGD mettait en évidence un énorme trichobézoard envahissant la totalité de l’estomac avec une muqueuse a n t ro - f u n d i q u e é r y t h é m a t e u s e (Fig. 2). Le bilan biologique montrait une hypo albuminémie à 21 g/dl et une anémie microcytaire à 9 g/dl. La prise en charge thérapeutique a consisté en une extraction chirurgicale d u t r i c h o b é z o a rd a v e c s u t u re s (Fig. 3). Celui-ci envahissait la totalité de l’estomac sans extension grêlique. La correction de l’hypo albuminémie et de l’anémie a été faite. La patiente a bénéficié d’une consultation psychiatrique qui a confirmé le diagnostic d’un trouble bipolaire. Un traitement avec suivi a été préconisé. Figure 1 Scanner abdominal : masse hypodense intragastrique ne prenant pas le contraste en rapport avec un trichobézoard Figure 2 Aspect endoscopique d’un trichobézoard gastrique Figure 3 Trichobézoard gastrique après extraction chirurgicale © aln.editions Hegel Vol. 3 N° 2 – 2013 126 Discussion Le «bézoard» désigne une affection rare, secondaire à l’accumulation inhabituelle, sous la forme de masses solides ou de concrétions, de substances de diverses natures à l’intérieur du tube digestif et plus particulièrement au niveau de l’estomac. La nature de ces substances détermine le type du bézoard [1]. On distingue plusieurs types de bézoards selon la substance ingérée : • le lac téobézoard composé de lait caillé, obser vé chez le nourrisson ; • le phy tobézoard, formé par un conglomérat de fibres végétales ; • d’autres substances intra-gastriques diverses peuvent constituer des bézoards incluant des conglomérats fungiques, des résidus alimentaires, des concrétions chimiques, des médicaments et des corps étrangers [2] ; • le trichobézoard qui représente 55 % de tous les bézoards est fait de cheveux, poils ou fibres de tapis ou moquet te de taille variable, entrelacés entre eux le plus souvent dans la lumière gastrique, pouvant mouler celle-ci avec parfois des prolongements dans le duodénum, le jéjunum et même au-delà. Il est connu sous la dénomination de «Syndrome de Rapunzel» [3]. Le premier cas de trichobézoard a été publié en 1779 [4,5]. Les facteurs favorisants classiques sont entre autres les troubles de la vidange gastrique [6,7], la perte des fonctions motrices normales du pylore, les suites de gastrectomie partielle, et une alimentation riche en fibres [5]. Les traitements antisécrétoires gastriques [8,9] semblent jouer un rôle : l’hypoacidité qu’ils induisent, diminue l’activité des enzymes (pepsine, cellulase) impliquées dans la désintégration des fibres alimentaires. L’insuffisance de mastication, en raison de l’absence de dents, par exemple, ainsi que la tachyphagie peuvent mener à la formation de bézoards. Le fait de manger des cheveux ou des matériaux non digestibles, ou encore la consommation excessive d’aliments difficilement digestibles peut également conduire à un bézoard. Ce sont des phénomènes rares, plus fréquents au niveau de l’intestin grêle que de l’estomac [2,8,9]. Des perturbations psychologiques, comme c’est le cas chez notre patiente, sont généralement rapportées : dépression, retard mental, troubles du comportement [10-14]. L’âge de survenue du Trichobézoard est dans 80 % des cas inférieur à 30 ans avec un pic de fréquence entre 10 et 19 ans [15,16]. Notre patiente était âgée de 18 ans. La prédominance féminine est nette (90 % des cas). Les patients avalent leurs cheveux (trichophagie) après les avoir arrachés (trichotillomanie) [1,17]. La symptomatologie clinique est variée et non spécifique. Elle est d’installation progressive : douleur, vomissement, anorexie, ou amaigrissement [11,12,18,19]. L’examen clinique peut noter la présence d’une alopécie, d’une masse épigastrique, ou d’un syndrome de sténose pylorique, comme c’est le cas chez notre patiente [20]. Les bézoards peuvent provoquer des ulcères gastriques, une obstruction intestinale, une perforation ou une hémorragie [21]. Leur présence n’induit pas systématiquement des perturbations profondes des paramètres biologiques. L’hémogramme peut indiquer une anémie hypochrome modérée, une hypo-albuminémie a été rapportée [22]. L’endoscopie est la technique de choix pour diagnostiquer et classifier les bézoards. Les trichobézoards sont noirs comme du goudron, tandis que les phytobézoards sont multicolores variant du jaune au brun ou au vert [2,10,20,22]. La radiographie de l’abdomen peut montrer une masse envahissant la poche à air gastrique, mais elle permet rarement de retrouver la masse en cause dans l’occlusion : risque de confusion avec des selles ou un abcès [2]. Le scanner et l’IRM révèlent une masse présentant des poches d’air sans prise de contraste [10,20]. Plusieurs thérapeutiques ont été rapportées dans la littérature. Ainsi, en présence de trichobézoard de petite taille, certains auteurs proposent l’usage de boisson abondante associée à la prise d’accélérateurs du transit. En cas d’échec, l’extraction endoscopique peut être tentée en s’aidant de rayon laser pour le fragmenter. La lithotripsie extracorporelle a été proposée dans la littérature comme alternative. Cependant, ces techniques sont souvent incomplètes et exposent le patient à un grand risque d’occlusion intestinale sur fragment de trichobézoard [1]. Par voie endoscopique, le bézoard peut être fragmenté mécaniquement à l’aide d’une pince à biopsie ou d’une anse à polypectomie et ensuite éliminé par lavage et aspiration [2,20]. Mais ce geste risque d’entraîner une perforation gastrique ou œsophagienne rapportée dans certaines séries [20]. Des essais de dissolution ont été réalisés au moyen de papaïne, d’acétylcystéine et de cellulase, mais ceux-ci réussissent rarement [2]. © aln.editions Hegel Vol. 3 N° 2 – 2013 127 Le traitement de choix reste la chirurgie conventionnelle ou cœlioscopique, permettant l’exploration de tout le tube digestif, l’extraction du bézoard gastrique à travers une gastrotomie ainsi que l’extraction d’éventuels prolongements (queue) ou fragments de celui-ci bloqués à distance de l’estomac à travers une ou plusieurs entérotomies [1,2]. En général l’évolution en post opératoire est bonne [18]. Dans notre étude, une patiente a pu bénéficier d’une extraction endoscopique tandis que l’autre était opérée. En cas de trouble de comportement alimentaire qui n’est pas rare en psychiatrie, un suivi et une psychothérapie de soutien sont nécessaires pour éviter les récidives [4]. Conclusion Le bézoard reste une curiosité pathologique, du fait de sa nature et de sa rareté. Son diagnostic et son traitement sont simples. La prise en charge psychiatrique des patients est indispensable. Références 1. Karim Ibn Majdoub Hassani1, Hicham El Bouhaddouti, Youssef Benamar, Khalid Mazaz, Khalid Ait Taleb. Trichobezoar gastrique - à propos de deux cas. Panafricain Medical journal : Cas clinique, 2010; 6[19]:1-8. 2. J.Ahazam, A.Lakhloufi et al. Le trichobezoard gastrique : à propos d’un cas. Médecine du Maghreb 2008 :40-2. 3. Mehta M, Patel RV. Intussusception and intestinal perforations caused by multiple trichobezoars. J Pediatr Surg 1992;27:1234-5. 4. Balik E, Ulman I, et al. The Rapunzel syndrome: a case report and a review of the literature. Eur.J.Pediatric.Surg 1993;3:171-3. 5. Marcos Alonso S, Bravo Mata M and al. Trichobezoar as an atypical from of presentation of celiac disease. An Pediatr (Barc) 2005;62(6):601-2. 6. Sharma S, Sharma R, Basu S, gastric and intestinal trichobezoar a case report. J Indian Med Assoc 2004;102(9):516-18. 7. Stanten A, Peter HE. 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