Imagerie I magerie Arrêtons de nous faire des cheveux ! # Ertan Yilmaz*, Alain Courtade**, Thierry Bruna* OBSERVATION Une jeune fille âgée de 16 ans était adressée au service d’accueil des urgences en raison d’un syndrome douloureux abdominal associé à des nausées et vomissements dans un contexte d’altération de l’état général. Il était retrouvé à l’interrogatoire un antécédent personnel d’appendicectomie. Il n’y avait pas d’antécédent familial notable. Une allergie au pollen était relevée. On ne retrouvait pas d’éthylotabagisme. Le seul traitement habituel consistait en la prise d’une pilule estroprogestative minidosée à visée contraceptive. Cliniquement, la patiente était nauséeuse, sans vomissements. L’abdomen était douloureux et sensible dans son ensemble; à la palpation, une masse était retrouvée au niveau épigastrique qui débordait vers la région périombilicale sans défense ni contracture par ailleurs. Il n’y avait pas d’ictère cutanéo-muqueux. Le reste de l’examen clinique, sur le plan urinaire et gynécologique, était normal. Les touchers pelviens étaient normaux. Enfin, des signes de déshydratation étaient constatés avec, notamment, une tendance à l’hypotension artérielle et un pli cutané. Sur le plan biologique, la numération formule sanguine/plaquettes était normale, hormis une tendance à l’hémoconcentration. L’ionogramme plasmatique permettait de voir une hypochlorémie avec une élévation de la protidémie à 84 g/l. La fonction rénale était altérée, avec une insuffisance rénale d’allure fonctionnelle. Le bilan hépatique ainsi que la lipasémie étaient normaux. Les β-HCG demandées de principe étaient négatives. La CRP était à 60 mg/l. Le diagnostic d’un éventuel syndrome occlusif grêlique sur bride, vu l’antécédent d’appendicectomie, était évoqué par le médecin urgentiste. Toutefois, l’abdomen sans préparation ne permettait pas de voir de niveaux hydro-aériques. Tout au plus existait-il une dilatation de la poche à air gastrique. L’échographie abdominale faite dans la foulée permettait de voir une formation d’allure tumorale hétérogène développée a priori aux dépens de l’antre. Un scanner abdomino-pelvien concluait au diagnostic de bézoard gastrique volumineux sans épaississement pariétal gastrique, avec une dilatation gastrique réactionnelle (photo 1). Il n’y avait notamment pas d’adénomégalie cœlio-mésentérique qui fasse craindre un éventuel processus néoplasique gastrique. La patiente était adressée au service de gastro-entérologie pour la suite de la prise en charge. *Service d’hépato-gastroentérologie, CHG de Rodez. **Service de chirurgie viscérale, CHG de Rodez. 70 HGE 2(XI) MARS AVRIL 2008.indd 70 Image scanographique initiale permettant de voir un estomac dilaté avec un volumineux bézoard. La gastroscopie permettait de voir un volumineux bézoard avec un amas de fils à coudre et de cheveux. Ce bézoard occupait toute la cavité gastrique jusqu’à la jonction œsogastrique avec des ulcérations antrofundiques réactionnelles. L’amas de cheveux et de cils semblant se déliter facilement, il était décidé d’en assurer l’ablation sous anesthésie générale après quelques jours d’administration de sirop de papaïne per os et d’un inhibiteur de la pompe à protons par voie intraveineuse. Entre-temps, la patiente était évidemment hydratée et les désordres métaboliques corrigés. Lors de la seconde fibroscopie gastrique, l’aspect était inchangé. Il était tenté une ablation ou du moins une fragmentation de ce trichobézoard à la pince crocodile puis à l’anse diathermique. Finalement, le traitement endoscopique semblait impossible, d’autant qu’il existait par ailleurs un risque d’incarcération dans la cavité gastrique (photo 2). La patiente était alors confiée au chirurgien viscéral. Une laparotomie était réalisée avec gastrotomie linéaire antropylorique. L’estomac présentait un aspect pseudotumoral. Un bézoard d’environ 2,4 kg moulant l’estomac était extrait (photo 3). Nous apprenions a posteriori, par sa mère, que cette jeune patiente avait présenté un épisode d’anorexie mentale à l’âge de 11 ans, et qu’à l’époque une prise en charge pédopsychiatrique avait été effectuée. Au bout de 18 mois, le suivi avait été interrompu à l’initiative de la famille, la patiente reprenant du poids. La patiente quittait l’hôpital au bout de huit jours d’hospitalisation, après avoir été vue en consultation de psychiatrie. Elle était ensuite prise en charge sur le plan psychiatrique en raison de troubles du comportement alimentaire associés à une trichotillomanie-trichophagie. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. XI - n° 2 - mars-avril 2008 14/04/08 16:04:19 Imagerie I magerie COMMENTAIRES Les deux grands types de bézoards sont les phytobézoards et les trichobézoards, les premiers étant nettement plus fréquents que les seconds (1). Les phytobézoards correspondent bien souvent à des débris alimentaires agglomérés et se rencontrent surtout chez les patients âgés, tous sexes confondus. Les trichobézoards, quant à eux, sont des amalgames de cheveux et éventuellement de fils à coudre et se rencontrent le plus fréquemment chez les femmes. En effet, dans 90 % des cas, ils concernent des jeunes filles ou des femmes souffrant notamment de trichotillomanie ou de trichophagie dans un contexte anxiodépressif (1, 2). Les bézoards peuvent être de siège œsophagien, gastrique et parfois intestinal. Au niveau œsophagien, ce sont les corps étrangers le plus fréquemment rencontrés chez l’adulte édenté présentant des anomalies anatomiques telles qu’un anneau de Schatzki, une sténose peptique, un diverticule ou une néoplasie, notamment œsophagienne. Les trichobézoards sont le plus souvent retrouvés au niveau de l’estomac, parfois au niveau de l’estomac et de l’intestin grêle et plus rarement au niveau de l’intestin grêle seulement (3). Parmi les facteurs favorisants, on retrouve, pour les phytobézoards, le grand âge, le mauvais état bucco-dentaire, les antécédents de chirurgie gastrique, les troubles moteurs tels que la gastroparésie diabétique et, pour les trichobézoards, le sexe féminin, le jeune âge, ainsi que les troubles du comportement alimentaire (1). La symptomatologie comporte habituellement nausées, vomissements, douleurs abdominales et, en cas de complication, défense, contracture, voire état de choc. Il est ainsi décrit des chocs hémorragiques en rapport avec une hématémèse massive liée à une gastrite ulcérée hémorragique réactionnelle, voire des péritonites par perforation gastrique. Des syndromes occlusifs de l’intestin grêle en rapport avec de volumineux trichobézoards occupant l’estomac et se prolongeant dans le duodéno-jéjunum d’un seul tenant sont également décrits dans la littérature, sous la dénomination de syndrome de Raiponce (Rapunzel Syndrome en anglais) [4, 5]. Évidemment, devant tout syndrome douloureux abdominal, l’abdomen sans préparation garde une place incontournable et on recherchera, comme d’habitude, un pneumopéritoine et des niveaux hydro-aériques. Bien souvent, le scanner abdomino-pelvien complémentaire, associé à l’anamnèse et au contexte clinique, permettra de faire le diagnostic, et une fibroscopie gastrique sera réalisée (1). Dans les bézoards gastriques, il n’est pas rare de mettre en évidence une gastrite ulcérée réactionnelle, comme c’était le cas chez notre patiente. Le traitement des bézoards œsophagiens consiste habituellement en l’administration de solutions huileuses ainsi que de boissons gazeuses. On retrouve dans la littérature l’utilisation par voie intraveineuse de glucagon, qui aurait pour effet de dilater le sphincter inférieur de l’œsophage et de favoriser ainsi le passage vers l’estomac. Il est recommandé La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. XI - n° 2 - mars-avril 2008 HGE 2(XI) MARS AVRIL 2008.indd 71 Découverte du trichobézoard à la fibroscopie gastrique et tentative de fragmentation. Aspect macroscopique suite à l’ablation par gastrostomie. habituellement de ne pas pousser le bézoard à l’aveugle, en raison d’un risque de perforation. Il est parfois possible de lui faire longer la paroi œsophagienne, ce qui a pour effet de le faire basculer dans la cavité gastrique. Une fragmentation est alors parfois possible, pour procéder ensuite à l’extraction à la sonde à panier de type Dormia® (5). Pour les bézoards gastriques, les mesures habituelles à prendre sont la mise à jeun initiale, l’administration intraveineuse d’inhibiteurs de la pompe à protons et, par voie orale, de sirop de papaïne (1, 6). Pour les phytobézoards, il a également été décrit des résultats intéressants pour l’administration de Coca-Cola® per os ou via une sonde nasogastrique avec des quantités variant entre 800 ml/j et 3 l/12 h. On retrouve ainsi dans la littérature neuf cas de patients traités de cette façon avec succès. Dans cinq cas, il s’agissait de patients souffrant de gastroparésie diabétique, pour lesquels il y avait eu un échec d’évacuation par voie endoscopique après fragmentation. Ces patients se sont alors vu administrer du Coca-Cola® en une seule fois à la “posologie” de 3 l sur 12 h, avec succès dans tous les cas (7-9). 71 14/04/08 16:04:21 Imagerie I magerie En cas d’échec de ces mesures, il est parfois possible de procéder à une fragmentation du bézoard à l’aide d’une sonde de Dormia® et de réaliser ensuite l’extraction. Fragmenter les bézoards et les laisser s’évacuer par voie naturelle en cas d’échec d’extraction per os présente toutefois un risque d’occlusion du grêle. Dans une série de 11 patients présentant 13 phytobézoards, la durée moyenne de fragmentation puis d’évacuation à l’aide d’un gastroscope à large canal opérateur était de 50 et 60 mn. Le traitement endoscopique avait été efficace chez 9 patients et 2 avaient dû bénéficier d’une évacuation chirurgicale par gastrotomie (10, 11). CONCLUSION Cette observation est donc assez caricaturale, et les différentes caractéristiques sont superposables à ce qui a été décrit dans la littérature concernant les trichobézoards, à savoir le jeune âge, le sexe féminin et les troubles psychiatriques. Dans le cas de cette jeune patiente, nous avons donc été initialement trop présomptueux quant aux possibilités thérapeutiques sur le plan endoscopique. En effet, a posteriori, il est clair que l’ablation (per)endoscopique de ce volumineux trichobézoard était illusoire vu son importance. Néanmoins, le diagnostic pouvait être précisé au mieux par la mise en évidence endoscopique de cette masse intragastrique. La fragmentation sans extraction complète aurait exposé la patiente à un risque de syndrome de Rapunzel avec les conséquences inhérentes à une chirurgie pour occlusion de l’intestin grêle. Enfin, l’intérêt de l’administration de Coca-Cola® en forte quantité est décrit dans la prise en charge des phytobézoards, mais nous n’avons pas retrouvé de cas illustrant son utilité dans les trichobézoards. N RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Zamir D, Golblum C, Linova L et al. Phytobezoars and trichobezoars: a 10 year experience. J Clin Gastroenterol 2004;38(10):873-6. 2. Hoover K, Piotrowski J, St-Pierre K et al. Simultaneous gastric and small intestinal trichobezoars-a hairy problem. J Pediatr Surg 2006;41(8):1495-7. 3. Fiches de recommandations de la SFED. Les corps étrangers ingérés. 4. Eryilmaz R, Sahin M, Alimoglu O et al. A case of Rapunzel syndrome. Ulus Trauma Acil Cerrahi Derg 2004;10(4):260-3. 5. Pérez E, Santan JR, Garci G et al. Gastric perforation due to trichobezoar in an adult (Rapunzel syndrome). Cir Esp 2005;78(4):268-70. 6. Chung YW, Han DS, Park YK et al. Huge gastric diospyrobezoars successfully treated by oral intake and endoscopic injection of CocaCola®. 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À lire Les enfants de la Tuilerie Patrick Errard, Séguier, 256 pages, 23 euros Il est étrange de réaliser à quel point un détail, une rencontre fortuite, une intuition soudaine ou tout simplement une émotion peut faire basculer le cours d’une vie. Trois hommes aux destinées hors du commun, que tout sépare, vont une fois de plus nous renvoyer à cette insolente évidence : rien n’est tout à fait dû au hasard dans le scénario de nos vies. Comme en ce soir de février 1944... Que le film commence ! Patrick Errard a passé une partie de son enfance dans le Loir-et-Cher, à Vendôme. 72 HGE 2(XI) MARS AVRIL 2008.indd 72 À l’issue de ses études, il exerce pendant plusieurs années, en qualité de gastro-entérologue, dans un hôpital de la région parisienne, avant de diversifier son activité et de diriger la filiale française d’un groupe pharmaceutique japonais. Peintre et amateur de musique, il publie aujourd’hui aux éditions Séguier Les enfants de la Tuilerie, premier roman imprégné de sa passion pour la médecine. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. XI - n° 2 - mars-avril 2008 14/04/08 16:04:22