La médecine est sous la menace d`un danger d

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La médecine est sous la menace d’un danger d’euthanasie
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La médecine est sous la menace
d’un danger d’euthanasie
LE MONDE | 09.03.2015 à 13h47 • Mis à jour le 09.03.2015 à 14h34
La décision d’une sédation, qu’elle soit ou non en phase terminale, doit avoir pour seule
intention de soulager le patient, et obéir à des critères médicaux et éthiques sensibles
qui relèvent de la compétence des médecins, à l’issue d’un dialogue avec le patient et
ses proches. ALPHA DU CENTAURE / FLICKR
En tant que professeurs de médecine, nous suivons le débat sur la fin de vie
qui arrive à nouveau à l’Assemblée nationale. Sensibles aux interrogations
des patients, de leurs proches et des soignants sur la fin de vie, nous
partageons, comme tout citoyen, les difficultés exprimées autour des choix
et décisions dans ces moments ultimes. Nous souhaitons que notre société
progresse pour apporter des orientations qui bénéficient à tous.
Nous avons soutenu et soutenons encore la loi fin de vie votée en 2005 à
l’unanimité : elle permet de répondre à la très grande majorité des
problématiques, car tout y est. Reste à l’enseigner, à la diffuser et à la
mettre en œuvre plus largement. Mais modifier aujourd’hui le fragile
équilibre de la loi fin de vie mettrait en danger notre système de santé.
Nous ne pouvons l’accepter, surtout si le mobile inavoué d’un tel
basculement est politique, plutôt que médical.
Que reprochons-nous au nouveau texte ? Les deux évolutions majeures
envisagées – c’est pourquoi « directives anticipées contraignantes » et
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« droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès » – peuvent
paraître anodines à certains parce qu’elles ne contiennent pas « les mots
qui fâchent ». Mais ces deux expressions menacent la relation de confiance
entre soignants et soignés.
La possibilité de rédiger des directives anticipées révisables et de désigner
une personne de confiance existe déjà. Même si la rédaction de telles
directives est difficile quand on est en bonne santé. Ecouter les désirs des
patients est essentiel. Mais rendre leurs directives anticipées
contraignantes – pouvant s’imposer au médecin – est absurde : l’exercice
de la médecine doit sans cesse s’adapter à des situations toujours uniques.
Seul le dialogue renouvelé avec le patient et ses proches peut expliquer
l’enjeu des traitements envisagés.
Peut-on faire croire aux Français qu’ils devraient soudain être en mesure
d’exiger par avance ce qui relève de décisions médicales, individuelles ou
collégiales, souvent complexes ? Pense-t-on vraiment faire des médecins les
exécuteurs des prescriptions de leurs patients ? Et si un médecin estime
que ces directives sont « manifestement inappropriées » sera-t-il traduit en
justice ?
Notre mission de médecins est de prendre soin, le mieux possible, de la
santé de ceux que nous soignons, en utilisant le meilleur de la technique,
sans obstination déraisonnable, ni abandon. Faire porter sur nos patients la
responsabilité de nous contraindre a priori, c’est la plus sûre façon
d’insécuriser les uns et les autres, de déresponsabiliser chacun, et
d’instaurer entre soignants et soignés un régime de défiance nuisible à tous.
Sortie du chapeau comme solution miracle à toutes les situations, l’idée
d’un « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès » est aussi à
haut risque. S’inscrivant dans cette même logique de protocoliser des
relations soignants-soignés, elle entretient le flou sur une pratique très
codifiée. N’est-ce pas paradoxal pour une loi qui prétend clarifier les
choses ? De quoi s’agit-il en effet ?
Pour les uns, c’est une nouvelle façon de présenter une pratique éthique
connue, cette sédation que personne ne conteste, mais qui est toujours
exceptionnelle. Il s’agit de supprimer la lucidité d’un patient souffrant pour
lequel tout le reste a été essayé. La dose injectée est réévaluée. Le risque de
décès pour cause respiratoire, infectieuse ou cardiaque est majoré par la
sédation, mais elle ne vise pas à provoquer la mort, même si elle assume ce
risque.
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La décision d’une sédation, qu’elle soit ou non en phase terminale, doit
avoir pour seule intention de soulager le patient, et obéir à des critères
médicaux et éthiques sensibles qui relèvent de la compétence des médecins,
à l’issue d’un dialogue avec le patient et ses proches. La sédation ne doit pas
devenir la solution de facilité, car elle annihile toute relation et toute
liberté. La présenter comme un nouveau droit est un artifice.
Mais, ne soyons pas naïfs. Pour d’autres, ce nouveau « droit à la sédation »
est une façon de promouvoir l’administration de la mort sous anesthésie
générale. Il suffira pour une personne qu’on dira condamnée à court terme
(comment le vérifier ?), ou dont les traitements la maintiennent
« artificiellement en vie » (qui en décidera ?), de réaliser une sédation
terminale, assortie d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation, avec
l’intention délibérée de provoquer le décès.
On parle d’un « droit » du patient, mais comment éviter qu’un tel droit ne
se transforme pour lui en devoir, voire en peine ? Sous la pression
économique ou sociale, l’étiquetage « fin de vie » pourrait encourager des
protocoles de sédation visant le décès.
Si le texte de loi ne précise pas qu’il faut écarter toute intention de
provoquer la mort, il servira aussi de prétexte à des revendications
euthanasiques. Dans tous les cas, ni le mot euthanasie ni celui de suicide
assisté ne seront cependant prononcés, et les médecins seront donc privés
de tout droit à l’objection de conscience. Nous serions contraints de
pratiquer un geste que nous réprouvons.
Faut-il rappeler que le serment d’Hippocrate est né d’une réflexion de bon
sens, dont les personnes en bonne santé ne mesurent peut-être plus toute la
portée ? Le plus faible (la personne malade) a toujours besoin d’être
protégé par le plus fort. D’où l’encadrement de la relation entre un soignant
et un soigné par un principe intangible : « Je ne donnerai à personne du
poison même si on m’en fait la demande et ne prendrai l’initiative d’une
pareille suggestion. »
Quels que soient les mots utilisés (euthanasie, suicide assisté, sédation
terminale), l’interdit de tuer pose une limite fondamentale – vitale ! – pour
toute pratique médicale. Sans ce principe, notre système de santé est
menacé. Parce que, sans lui, toute personne malade, âgée, dépendante,
peut soudain douter de ceux qui la soignent et se sentir à la merci d’une
tentation de toute-puissance, dont nous devons tous être gardés. C’est
pourquoi nous demandons au législateur de protéger les Français du
basculement vers ce danger d’« euthanasie » masquée.
Olivier Claris (Professeur de néonatologie et réanimation
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néonatale), Arnaud Scherpereel (Professeur d’oncologiepneumologie psychiatrie), Robert Moulias (Professeur de
gériatrie)
Autres signataires : Jean-Etienne Bazin, Joël Belmin, Thierry
Constans, Loïc de Parscau, Marlène Filbet, Alain Franco, Régis
Gonthier, Luc-Marie Joly, Olivier Jonquet, Christian Rose, Damien
Salanville, Emmanuel Sapin, Jean-Louis Terra, Bruno Vergès,
professeurs de médecine.
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