Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 171
Dossier thématique
Prise en charge
du transplanté hépatique en 2010
Vie quotidienne
du transplanté hépatique
Daily life of liver transplant recipient
Amélie Cannesson*, Emmanuel Boleslawski**, Nicole Declerck**, François-René Pruvot**, Sébastien Dharancy*
* Maladies de l’appareil
digestif et de la nutrition,
pôle de médecine Huriez,
hôpital Huriez, CHRU
de Lille.
** Service de chirurgie
adulte et de transplan-
tation d’organes, hôpital
Huriez, CHRU de Lille.
L
a première greffe de foie a été réalisée en 1963
par T.E. Starzl, à Denver (1). Depuis, les indications
de la transplantation hépatique nont cessé de
s’élargir, et le nombre de malades transplantés aug-
mente régulièrement. En décembre 2008, plus de
80 000 transplantations hépatiques avaient été réa-
lisées en Europe. Il s’agit de la plus fréquente des
greffes, après la transplantation rénale (environ 1 050
greffes hépatiques par an en France). Les principales
indications de transplantation sont le carcinome hépa-
tocellulaire et la maladie alcoolique du foie au stade
de cirrhose décompensée. Les nombreux progrès
dans la prise en charge chirurgicale et les traitements
immunosuppresseurs ont permis une diminution
régulière de la morbidité et de la mortalité à court et
à moyen terme. Dans la plupart des cas, la qualité de
vie des patients s’améliore après la greffe. À distance
de la greffe, l’observance thérapeutique, la prévention
des maladies cardio-vasculaires et le dépistage des
cancers constituent des enjeux majeurs. Actuellement,
les cliniciens doivent également prendre en compte les
différentes composantes de la vie quotidienne du sujet
transplanté afin de personnaliser sa prise en charge et
sa surveillance.
Résumé
Summary
»
Il est admis que le nouvel enjeu dans la prise en charge des
patients transplantés hépatiques repose sur la prévention des
complications à moyen et à long terme. Les cliniciens doivent
prendre en compte les différentes composantes de la vie
quotidienne du sujet transplanté afin d’optimiser et de personnaliser
la prise en charge et la surveillance. Une alimentation équilibrée et
diversifiée, associée à la pratique d’une activité physique régulière,
est nécessaire afin de prévenir, limiter ou retarder le développement
de complications cardio-vasculaires qui conditionnent le pronostic
vital à long terme. Le dépistage et le traitement de celles-ci
doivent systématiquement être évoqués lors de la consultation
en postgreffe. Lincidence globale des cancers, en particulier des
cancers de la peau et des lymphomes, est plus élevée chez les
transplantés que dans la population générale. Une réintégration
socio-professionnelle est possible après transplantation hépatique :
60 à 70 % des patients seraient en mesure de reprendre leur activité
6 mois après la greffe. La perception globale de la qualité de vie
augmente après transplantation hépatique ; cependant, elle reste
inférieure à celle des sujets sains.
Mots-clés : Transplantation hépatique – Qualité de vie – Médecine
personnalisée – Médecine préventive.
It is now accepted that the new challenge in the management
of liver transplanted patients is to avoid medium and long
term complications. Clinicians need to consider all the
different components of the transplanted subject’s daily
life in order to optimize and individualize the management
and surveillance. A balanced and varied diet associated
with the practice of regular physical activity is necessary to
prevent, limit or delay the development of cardiovascular
complications that affect the long-term prognosis. Their
screening and treatment must constitute a systematic part
of the post-transplant visits. Overall incidence of cancer is
higher than in the general population, in particular skin
cancer and lymphoma, warranting a clinical specific and
regular screening. Professional reintegration is possible after
liver transplantation: 60-70% of patients are able to return to
work six months after transplantation. Overall perception of
quality of life after liver transplantation increases, however
it remains lower than that of healthy subjects.
Keywords: Liver transplantation – Quality of life –
Individualized medecine – Predictive medecine.
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Dossier thématique
Prise en charge
du transplanté hépatique en 2010
Règles hygiéno-diététiques et prévention
des facteurs de risque cardio-vasculaire
Sur le plan nutritionnel, les apports énergétiques
doivent être adaptés aux besoins individuels du trans-
planté ; la ration journalière doit être répartie sur 3 repas
principaux à horaires fixes (plus éventuellement 1 à
2 collations). L’alimentation doit être diversifiée, et une
bonne hydratation doit être assurée. Sans être restric-
tifs, les apports alimentaires doivent éviter les excès
de sucres, de graisses et de sel. Une perte minérale
osseuse est très souvent constatée avant et après greffe
hépatique. Un apport quotidien en calcium doit donc
être assuré, et une supplémentation vitaminique est
recommandée. La consommation de boissons alcooli-
sées doit être évitée ; elle est même proscrite si la greffe
a pour cause une maladie alcoolique du foie.
La plupart des transplantés améliorent leurs capacités
physiques après la greffe ; ils peuvent donc reprendre
leurs activités sportives. Cependant, quelques règles
sont à respecter : être à distance de la greffe, pratiquer
un échauffement avec étirements musculaires, s’hy-
drater suffisamment avant, pendant et après le sport,
éviter la pratique sportive en solitaire, arrêter les acti-
vités en cas de rejet ou d’infection, pratiquer plutôt
un sport dendurance tels la course à pied, le cyclisme
ou la natation.
Le patient transplanté hépatique est exposé à un haut
risque cardio-vasculaire du fait de ses antécédents per-
sonnels et familiaux mais aussi de par son traitement
immunosuppresseur au long cours.
L’hypertension artérielle de novo est une complication
très fréquente qui concerne 45 % à 75 % des patients
transplantés hépatiques (2). Le contrôle tensionnel,
parfois difficile à obtenir, peut nécessiter rapidement
une bithérapie antihypertensive, voire une trithérapie.
Sur le plan médicamenteux, les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion sont utiles pour lutter contre l’hyperfil-
tration glomérulaire mais imposent une surveillance
rigoureuse de la fonction rénale.
Le tabagisme actif est fréquent chez les candidats à la
transplantation. Plus de 50 % des patients transplantés
ont fumé au cours de leur vie, dont 27 % dans les 2 ans
avant la transplantation (3, 4). Après la greffe, il existe
un bénéfice évident à accompagner le transplanté vers
l’arrêt du tabac, facteur de risque cardio-vasculaire et
carcinologique majeur.
Après la transplantation hépatique, une prise de poids
est constatée. En moyenne de 5 kg à 1 an et de 9 kg à
3 ans, elle est responsable d’un taux d’obésité (indice
de masse corporelle [IMC] > 30 kg/m
2
) de 24 % et de
31 % à 1 et 3 ans, respectivement, après greffe (5). Il est
donc important de surveiller la cinétique de la courbe
de poids des patients afin de tenter de stabiliser celui-ci
précocement et d’éviter une évolution vers une obésité
associée à une morbidité, notamment cardio-vasculaire,
à long terme. La chirurgie bariatrique après transplan-
tation hépatique est envisageable, mais l’expérience
reste limitée à quelques patients (6).
Chez la plupart des patients, l’intolérance au glucose
disparaît après l’arrêt des corticostéroïdes. En revanche,
chez 20 à 30 % d’entre eux, les effets diabétogènes des
immunosuppresseurs peuvent nécessiter un traitement
spécifique (2). Le traitement du diabète après trans-
plantation ne diffère pas de celui des autres patients.
Linsuline, souvent nécessaire pendant les premiers
mois, nest maintenue que chez une minime proportion
de patients. En effet, avec la diminution des doses d’im-
munosuppresseurs, les antidiabétiques oraux permet-
tent souvent un contrôle des glycémies. Des contrôles
réguliers des complications à long terme (rétinopathie,
néphropathie, neuropathie) sont nécessaires.
Concernant la dyslipidémie, les statines constituent
la classe de médicaments de premier recours : la pra-
vastatine devrait être préférée aux autres statines
en raison de son risque faible d’interaction avec la
ciclosporine et le tacrolimus. Comme la ciclosporine
peut augmenter le taux de cholestérol par inhibition
de la synthèse d’acides biliaires, une conversion de la
ciclosporine au tacrolimus, en association avec l’arrêt
ou la diminution des corticostéroïdes, peut avoir des
effets bénéfiques.
Médecine préventive et cancer
Lincidence globale des cancers chez le patient trans-
planté est augmentée d’un facteur 2,5 par rapport à la
population générale, justifiant une surveillance clinique
et paraclinique spécifique et régulière (7, 8). Les cancers
de la peau et les lymphomes malins, hodgkiniens et non
hodgkiniens, sont les tumeurs les plus fréquentes. Les
patients transplantés pour maladie alcoolique du foie
avec consommation tabagique sont particulièrement
exposés, après la greffe, au risque carcinologique des
voies aéro-digestives supérieures (VADS). Lincidence
des principaux cancers responsables d’une mortalité
importante dans la population générale, qu’il s’agisse
des cancers du poumon, du côlon-rectum, des VADS,
du rein, du pancréas ou de l’estomac, est significative-
ment augmentée. Le cancer le plus souvent rencontré
après greffe est le cancer cutané. Sa prévention passe
par la limitation de l’exposition solaire, le traitement
des kératoses préépithéliomateuses et par un suivi
Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 173
Vie quotidienne du transplanté hépatique
dermatologique, une fois par an, dans un centre de
transplantation.
La prise en charge thérapeutique du cancer de novo,
outre le traitement spécifique de la tumeur, peut justifier
des modifications dans le schéma immunosuppresseur,
comme son arrêt et/ou l’introduction de nouvelles
molécules possédant des propriétés antiprolifératives
(inhibiteur du signal de prolifération). Des consulta-
tions d’onco-transplantation sont proposées dans
certains centres afin de coordonner les traitements
immunosuppresseurs et anticancéreux et de surveiller
la tolérance.
Prise en charge socioprofessionnelle
La greffe hépatique est reconnue comme affection de
longue durée (ALD) ; après accord avec la caisse d’as-
surance maladie, le malade n’a donc pas à avancer les
frais. En cas d’hospitalisation, seul le forfait hospita-
lier reste à sa charge. Toutefois, certaines mutuelles le
prennent en charge.
Larrêt de travail et son indemnisation
Si le malade est salarié, des indemnités journalières
lui seront versées dès le troisième jour à partir de la
date d’arrêt. Le montant des indemnités journalières
est calculé en fonction du salaire antérieur à l’arrêt de
travail effectif. La durée maximale d’indemnisation est
de trois ans à compter du premier arrêt dû à l’affection
en cause. Si le malade est fonctionnaire, il bénéficie
d’un congé longue maladie. S’il exerce une profession
libérale, aucune indemnité journalière ne lui sera versée
en cas d’ALD avant 90 jours d’arrêt maladie. Le montant
de l’indemnité sera calculé d’après les déclarations de
chiffre d’affaires des trois dernières années.
Un des objectifs important de la transplantation est la
réintégration sociale et professionnelle, qui contribue
à protéger tant l’identité du patient que sa qualité de
vie. La fréquence du retour au travail après greffe, très
variable dans les études et selon les pays, va de 20 % à
80 %. À ce sujet, parmi toutes les transplantations d’or-
gane, la transplantation hépatique semble être celle qui
donne les meilleurs résultats : 75 % des patients n’ont
plus d’activité professionnelle avant greffe du fait de
l’évolution terminale de leur maladie, mais 60 à 70 %
des patients sont en mesure de reprendre leur activité
6 mois après la greffe (9). Les facteurs prédictifs d’une
réinsertion professionnelle après greffe sont : l’existence
d’un emploi avant la greffe, un niveau d’éducation élevé,
un travail peu physique. Les complications postopéra-
toires n’influencent pas ce taux, non plus que l’étiologie
de l’hépatopathie : que la transplantation ait eu pour
cause une maladie alcoolique du foie ou non, le taux
de réinsertion sociale des transplantés est le même.
Dans le cadre des mesures nationales destinées à faci-
liter la vie quotidienne des malades, la convention
AERAS (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de
santé), qui a succédé à la convention Belorgey, réalise
des avancées importantes afin d’améliorer l’accès à
l’assurance et au crédit. C’est une obligation pour les
établissements de crédit d’accepter des garanties alter-
natives et des assurances autres que celles de l’établis-
sement lui-même et d’assurer la couverture invalidité.
En cas de refus, celui-ci doit être précisément motivé.
Qualité de vie et sexualité
après transplantation hépatique
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la qualité
de vie est une évaluation subjective de la satisfaction
de vie dans ses composantes physique, mentale et
sociale. Les critères les plus fréquemment analysés sont
le bien-être physique, la réintégration sociale, fami-
liale et professionnelle, la santé mentale, l’adaptation
à l’invalidité et aux problèmes financiers. D’une façon
générale, la vie d’un transplanté hépatique peut être
résumée ainsi (10) :
la qualité de vie avant la greffe dépend de l’étiologie
de la cirrhose (les étiologies cholestatiques et le carci-
nome hépatocellulaire ont des scores de qualité de vie
supérieurs à ceux des étiologies virales ou alcooliques) ;
après transplantation hépatique, l’étiologie de la
maladie du foie influence certaines composantes de la
qualité de vie. Les patients greffés pour une hépatite
virale C sont plus anxieux et ont un score de qualité de
vie inférieur à celui des greffés pour maladie alcoolique
du foie, en particulier en cas de récidive virale ;
pendant les 6 premiers mois suivant la transplanta-
tion hépatique, la majorité des composantes physiques
et mentales de la qualité de vie s’améliorent, mais res-
tent moins bonnes que celles d’une population contrôle
non transplantée ;
les femmes ont en moyenne une qualité de vie
inférieure à celle des hommes, mais cette différence
se retrouve surtout chez les patients ayant un niveau
d’éducation élevé.
La transplantation a globalement un effet positif sur
la vie sexuelle, puisque 70 % des greffés se déclarent
satisfaits de leur vie intime. Cependant, l’impuissance,
une diminution de la libido et l’évitement des rela-
tions sexuelles sont fréquemment décrits après greffe
hépatique. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ces
Le Courrier de la Transplantation - Vol. X - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010
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Dossier thématique
Prise en charge
du transplanté hépatique en 2010
troubles : les effets indésirables des traitements, les
modifications corporelles, le questionnement sur le
sexe du donneur, les modifications des relations au
sein de la famille. Ces troubles sont plus fréquemment
réversibles chez l’homme que chez la femme (32 % des
patients décrivent des troubles sexuels de novo après
la greffe et 24 % des troubles préexistants, dont seuls
50 % s’améliorent après celle-ci) [11]. Il y a un intérêt
à orienter les transplantés vers des consultations spé-
cialisées.
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Tichansky DS, Madan AK. Laparoscopic Roux-en-Y gastric
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Risk of malignant neoplasms after liver transplantation: a
population-based study. Liver Transpl 2008;14(10):1428-36.
9. Parolin MB, Coelho JC, Costa PB, Pimentel SK, dos Santos-
Neto LE, Vayego SA. [Return to work of adults after liver trans-
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10. Bownik H, Saab S. Health-related quality of life after
liver transplantation for adult recipients. Liver Transpl
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11.
Ho JK, Ko HH, Schaeffer DF et al. Sexual health after ortho-
topic liver transplantation. Liver Transpl 2006;12(10):1478-84.
Références bibliographiques
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