Interview sur les centres de référence

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24/07/08
Neurotransmission
Des centres de référence pour enfants dyslexiques
Créées par arrêté ministériel en 1999 dans les années 2000, les centres de
référence sur les troubles du langage de l’enfant comme l’Unité de
rééducation neuropsychologique de Bicêtre sont désormais bien organisés et
connus des enseignants et des soignants. À l’hôpital de Bicêtre (Val-deMarne), l’unité de rééducation neuropsychologique pluridisciplinaire a été
confiée, dès sa création, au Dr Catherine Billard. Elle a fait de cette unité
une véritable école spécialisée dont l’objectif est que tous les enfants
dyslexiques acquièrent la lecture, afin de réintégrer une scolarité classique.
Entretien.
Neurotransmission.
Qu’est-ce
qu’une
unité
de
rééducation
neuropsychologique ? Quelles sont ses activités et pour quel profil d’enfants
ont-elles été créées ?
Catherine Billard. Il s’agit de centres de référence créés dans des structures
hospitalo-universitaires pluridisciplinaires. Elles ont été mises en place à la suite
du plan d’action ministériel en faveur des enfants atteints d’un trouble du
langage, plan d’action signé conjointement par le ministère de la Santé, par le
ministère de l’Éducation Nationale, par le secrétariat d’État aux Personnes
handicapées et par le ministère de la Recherche, à la suite de deux rapports qui
soulignaient l’insuffisance, en France, de la qualité de prise en charge des
enfants porteurs d’un trouble du langage.
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Dans un premier temps, à la suite de cette décision, des centres de référence
hospitalo-universitaires ont été désignés au niveau régional sur la base des
compétences requises.
Ces centres devaient avoir comme vocation première de proposer des aides au
diagnostic et de contribuer aux projets thérapeutiques des enfants porteurs de
troubles du langage.
D’une façon plus globale, cette aide ne se limite pas aux troubles du langage,
mais est destinée aux enfants porteurs de troubles des apprentissages. La raison
est que, dans le processus de développement de l’enfant, il existe certes le
développement du langage, mais également le développement du graphisme, des
compétences visuo-spatiales et d’autres compétences qui, jusqu’à la création de
ces unités, n’étaient pas stricto sensu comprises dans le plan d’action d’aide aux
enfants dyslexiques. Or, dans la mesure où ces troubles des apprentissages
existent, il devenait nécessaire de les prendre en considération dans leur
globalité.
Comment votre centre fonctionne-t-il et quel est son originalité ?
Actuellement, il existe un centre référentiel par région en France et plusieurs en
Île-de-France. L’originalité de notre centre, à l’hôpital de Bicêtre, comme celui
de Garches, réside dans le fait que, à part la vocation classique d’accueil pour
l’évaluation médicale et pluridisciplinaire des enfants atteints de différents
troubles des apprentissages visant l’aide au diagnostic et aux projets
thérapeutiques qui constituent la vocation de tous les centres français, nous
accueillons également des enfants inclus dans un programme intensif de
rééducation sur une année scolaire. Pendant une année, ces enfants bénéficient
d’un programme d’éducation privilégié, le transport aller et retour quotidien en
taxi étant assuré dans le cadre de ce programme. Actuellement, 36 enfants de
notre bassin de population suivent cette formation éducation et rééducation
spécialisées. Il s’agit d’enfants porteurs d’un trouble spécifique des
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apprentissages dont la sévérité est telle qu’ils sont en situation de rupture
scolaire. Notre centre accueille des enfants en âge primaire, de 6 à 13 ans
maximum. Ce sont essentiellement des enfants âgés de plus de 6 ou 7 ans
présentant des troubles sévères du langage oral ou du langage écrit, mais qui ont
des capacités intellectuelles, relationnelles, et de communication préservées.
Nombre de nos enfants présentent une dysphasie du développement, c’est-à-dire
un trouble important du langage oral. Ces enfants sont dans l’impossibilité
d’apprendre à lire dans un milieu scolaire classique. Certains ont fait 2, 3, voire
5 années d’école primaire et ne sont toujours pas lecteurs.
Tous ces enfants reçoivent une rééducation quotidienne et suivent une scolarité à
petit effectif spécialisé. L’objectif est de les prendre en charge pendant une ou
deux années scolaires et qu’ils puissent être réintégrés par la suite dans de
bonnes conditions en milieu scolaire classique même s’ils gardent des séquelles
de leur trouble.
Quand ce programme a-t-il été mis en route ?
Ce programme a été approuvé en 1999, année de mon arrivée à l’hôpital de
Bicêtre. Avant cette date, notre unité était une unité qui prenait en charge des
enfants infirmes moteurs cérébraux (IMC). Nous avons travaillé deux années
pour adapter et mettre en place le nouveau projet du service. Ce dernier se
justifiait par la nécessité de proposer une prise en charge aux enfants
dyslexiques en milieu spécialisé, cadre inexistant jusqu’alors. Je tiens à signaler
que des structures de prise en charge des enfants IMC s’étaient développées
dans le monde médico-social. Il n’y avait donc plus besoin d’une structure
hospitalière pour les enfants IMC, mais elles faisaient défaut pour les enfants
porteurs de troubles des apprentissages. C’est alors que, grâce au plan d’action
ministériel, nous avons reçu les moyens nécessaires pour nous permettre de
mettre sur pied ce projet. Nos activités ont commencé formellement il y a cinq
ou six ans.
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Avez-vous fait un premier bilan de la prise en charge des enfants qui sont
passés par le centre et, si oui, quels en sont les résultats ?
À leur admission, tous les enfants font l’objet d’une évaluation pluridisciplinaire
stricte et étalonnée, qualitative et quantitative. À la fin de l’année, une nouvelle
évaluation pluridisciplinaire est effectuée. Afin de juger objectivement les
progrès de l’enfant et d’éviter les biais, cette dernière n’est pas réalisée par le
rééducateur de l’enfant, mais par un autre rééducateur ainsi que par un médecin
de l’unité. Nos évaluations ont été publiées dans une revue avec comité de
lecture. À ce jour, nous pouvons dire que si les progrès sont variables d’un
enfant à l’autre, tous les enfants acquièrent la lecture, ce qui est notre objectif
premier.
Les résultats varient en fonction de l’âge auquel l’enfant nous a été adressé et
des troubles associés, entre autres facteurs. À ce propos, nous restons très
vigilants sur les difficultés d’ordre psychologique. Nous avons deux
psychologues qui ont un regard psychanalytique et qui accompagnent les
familles et les enfants vers des prises en charge psychothérapeutiques que nous
n’assurons pas dans notre unité dans la mesure où nos projets sont des projets de
courte durée, alors que les projets psychothérapeutiques s’inscrivent, eux, dans
le long terme. Le traitement psychothérapeutique est suivi dans des centres
médico-psychologique correspondant au lieu d’habitation de l’enfant.
En somme, nous pouvons dire qu’en fonction de tous ces éléments, de la
sévérité du trouble, des troubles associés, des capacités intellectuelles de
l’enfant, de l’âge où les troubles sont pris en charge et, bien entendu, de leur
milieu, les progrès sont variables.
L’enseignement essentiel est qu’aujourd’hui nous pouvons affirmer que tout
enfant dyslexique peut et doit acquérir la lecture, même s’il reste dyslexique,
même s’il n’arrive pas à acquérir une lecture rapide ou une orthographe
normale.
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Quelle est la proportion d’enfants qui réintègre une scolarité classique ?
Elle est autour de 90 %, c’est-à-dire qu’une très grande majorité d’enfants
récupèrent un circuit scolaire normal. Mais, pour certains enfants, la
réintégration dans une école classique sera difficile, en particulier pour ceux qui
présentent au départ des troubles du langage très marqués. Pour aider cette
population par la suite, il est primordial de travailler avec les classes spécialisées
dans les troubles du langage qui existent en Île-de-France.
Un nombre important d’enfants arrive au collège. De ce fait, nous travaillons
avec les collèges qui ont mis en place des structures spécifiques pour les
dyslexiques, mais il convient de reconnaître qu’ils ne sont pas nombreux dans
notre région.
En structure publique, il existe 3 collèges à Paris intra-muros ayant mis en place
une UPI (Unité pédagogique intégrée) pour enfants dyslexiques. Un collège
dans le Val-de-Marne qui n’a pas une UPI propose une classe en 6e pour enfants
dyslexiques, et 2 collèges existent dans l’Essonne. À ma connaissance, il n’y a
pas de collège dans les Hauts-de-Seine, mais une structure privée a vu le jour.
D’ailleurs, on trouve d’autres structures privées en région parisienne.
Vous avez publié toutes ces données dans une revue à comité de lecture,
laquelle ?
L’évaluation a été publiée dans La Revue Neurologique par un de nos médecins,
le Dr Delphine Coste-Zeïtoun (1). Actuellement, nous travaillons sur les
résultats d’une évaluation à plus long terme, sur 5 ans.
Quelles autres activités ou services propose votre structure ?
À ce propos, je souhaite souligner trois points. Le premier est que, en dehors de
l’unité de Bicêtre, les professionnels de notre centre de référence ont
énormément travaillé pour sensibiliser tous les professionnels de la santé et de
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l’éducation. Ils ont également formé de nombreux professionnels, en particulier
des médecins scolaires, des psychologues scolaires, des pédiatres, des
orthophonistes et autres rééducateurs. Ce fait est très important car les actions et
les programmes ne sont pas conçus à Bicêtre exclusivement. En effet, nous
avons créé par exemple une association qui assure des formations intensives.
Dans le cadre de ce projet de formation, nous avons produit un C.D.ROM de
sensibilisation multidisciplinaire. Cet outil contient de nombreuses vidéos qui
illustrent, à travers l’histoire de treize enfants dysphasiques, dyslexiques,
dyspraxiques… la démarche du médecin, de l’orthophoniste, des enseignants, du
psychologue, etc., face à un trouble des apprentissages. Subventionné par la
Caisse nationale de l’assurance maladie, ce C.D.ROM de sensibilisation est
gratuit et s’adresse, au-delà des acteurs de santé et de l’éducation, aux parents,
afin qu’ils puissent mieux comprendre les difficultés de leur enfant. Cet outil
sert ainsi de relais entre les intervenants de l’école et les parents en particulier.
Par ailleurs, nous avons édité un ouvrage collectif francophone très important,
de 1 000 pages, sur les troubles des apprentissages. Ainsi, les centres de
référence s’occupent des enfants, mais stimulent et sensibilisent également
l’environnement.
Le deuxième point que je souhaite évoquer est que les professionnels libéraux se
sont organisés en un réseau orienté vers notre centre de référence ainsi que vers
les autres centres de référence d’Ile de France. Ces réseaux contribuent à
l’optimisation de la prise en charge ambulatoire des enfants atteints de troubles
dyslexiques.
Enfin, le troisième point est que nous travaillons en lien avec les chercheurs
fondamentaux afin de participer à l’amélioration du niveau des connaissances et
à l’optimisation des programmes.
Pouvez-vous nous citer une innovation dans la recherche fondamentale au
cours de cette dernière année ?
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L’innovation la plus importante a été la création de logiciels de recherche qui
peuvent contribuer à améliorer les compétences des enfants. Ces logiciels sont
en cours d’évaluation en vue de validation et il ne faut pas les confondre avec
les logiciels disponibles dans le commerce qui, eux, n’ont pas été évalués ni
validés. Une expérience d’évaluation de ces logiciels est prévue prochainement
à Paris pour les enfants mauvais lecteurs de 7 ans et demi, dans leur école.
Propos recueillis par le Dr Catherine Faber
Référence
Coste-Zeïtoun D, Pinton F, Barondiot C, Ducot B, Billard C et al. – Specific
remedial therapy in a specialist unit : evaluation of 31 children with severe,
specific language or reading disorders over one academic year. Rev Neurol
(Paris) 2005 ; 161 : 299-310.
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