Impact médecin -n°485 24 mars 2000
> 1 500 à 2 000 personnes sont touchées par l'ataxie de Friedreich. >Identifié en 1996, le gène responsable
est à l'origine de la production de frataxine. > Cette protéine paraît contrôler les mouvements du fer, elle
exercerait un effet antioxydant et participerait à la synthèse des protéines fer-souffre. > Un essai
thérapeutique est en cours.
Ataxie de Friedreich
Premier pas vers une thérapie
P, RUSTIN, Dr J.-C. VON KLEIST- RETZOW, K. CHANTREL- GROUSSARD, Pr Ag. D. SIDI, Pr Ag A.
MUNNICH, A Rotig
Unité de recherches sur les handicaps génétiques de J'enfant, INSERM U393. hôpital des Enfants-Malades,
L'ATAXIE de Friedreich représente la plus fréquente des ataxies héréditaires humaines. C'est une maladie
neurodégénérative autosomique récessive touchant environ 1 personne sur 50 000, soit 1 500 à 2000
personnes en France. L'atteinte neurologique s'accompagne dans la majorité des cas d'une atteinte
cardiaque qui peut se révéler fatale. Le gêne responsable de l'ataxie de Friedreich a été identifié en 1996 par
les équipes française et canadienne de Michel Koenig et Massimo Pandolfo. Ces équipes ont montré pour la
première fois dans une maladie génétique autosomique récessive la responsabilité d'une expansion de
triplets dans un gène, celui de la frataxine. L'expansion entraine une diminution quantitative du messager de
la frataxine résultant en une perte de fonction de la protéine.
En 1997, plusieurs équipes travaillant sur la levure Saccharomyces cerevisiae concluaient à la localisation
mitochondriàle de la frataxine, montrant en outre que la perte de fonction de la protéine entraînait une
accumulation anormale de fer dans la matrice mi- tochondriale. A là même époque, nous montrions
l'existence d'un déficit généralisé des protéines fer-soufre mitochondriales dans des biopsies
endomyocardiaques de jeunes patients. Par contre, ni les lymphocytes, ni les fibroblastes, ni mê
me le muscle
squelettique des patients ne présentaient d'atteintes biochimiques, ceci expliquant que l'origine
mitochondriale de l'ataxie de Friedreich était restée si longtemps méconnue.
» La frataxine
La fonction de la frataxine reste encore à déterminer de façon précise. Dans un premier temps du fait de
l'accumulation du fer observée dans la mitochondrie, il semblait raisonnable de suggérer que la frataxine
puisse jouer un rôle dans le contrôle du transport du fer dans les mitochondries. Les mécanismes d'import
et/ou d'export du fer à travers les membranes mitochondriales sont encore à décrire et aucun partenaire inter-
agissant avec la frataxine n'a été identifié à ce jour. L'accumulàtion anormale de fer intra- mitochondrial
conduisant à une production de, superoxydes pouvait expliquer une destruction secondaire des protéines fer-
soufre connues pour être très sensibles aux anions superoxydes. D'autres hypothèses peuvent être
envisagées. Ainsi, la frataxine pourrait agir directement ou indirectement sur le contrôle des radicaux libres
dans les mitochondries, perturbant ainsi de façon secondaire l'homéostasie intramitochondriale du fer et
entrdinant la destruction des protéines fer-soufre. La frataxine jouerait alors un rôle proche de la ferritine
présente dans le cytosol permettant un stockage du fer, sa détoxification et son utilisation contrôlée. En
rapport avec cette hypothèse, de récents travaux ont rapporté la faculté de la frataxine de former des
agrégats en présence de fer.
Il est intéressant de noter que le déficit héréditaire en alpha-tocophérol entraîne une maladie non distincte de
l'ataxie de Friedreich sur le plan clinique. Selon une dernière hypothè
se, la frataxine pourrait intervenir plus ou
mains directement dans là synthèse des protéines fer-soufre. Cette fois, le fer ne pouvant s'intégrer dans ces
protéines, du fait de la perte de fonction de la frataxine, s'accumulerait anormalement dans la matrice
mitochondriale. Ce mécanisme expliquerait parfaitement le déficit très spécifique des protéines fer-soufre,
alors que le reste des composants de la mitochondrie ne semble pas être significativement dégradé, au
moins dans les étapes initiales de la maladie chez l'homme. En accord avec cette dernière hypothèse, des
travaux récents montrent que des levures délétées pour Yfh1, l'homologue de la frataxine, cultivées dans un
milieu dont le contenu en fer est contrôlé, présentent toujours un déficit en protéines fer-souffre sans que l'on
observe d'accumulation excessive de fer dans les mitochondries.
»
Des agents prometteurs
Nous avons recherché des substances susceptibles d'interrompre un tel cycle, quel qu'en soit le mécanisme
primaire à l'origine. Pour ce faire, nous avons utilisé un système in vitro (un homogénat de coeur humain)
dans lequel la manipulation des quantités de fer nous permettait d'induire une de struction des protéines fer-
soüfre identique à celle observée in vivo. De cette étude, il est ressorti que ceux des agents antioxydants qui,
telle la vitamine C, pouvaient réduire le fer, en augmentaient encore la toxicité. Si les agents chélateurs
hydrosolubles du fer (EDTA, Des- féral*) protégeaient bien les composés membranaires, en déplaçant le fer
des membranes vers la phase aqueuse, ils entraînaient une destruction massive des protéines fer-soufre
solubles, et à ce titre, ne constituaient pas des agents très prometteurs.
Dès lors, nous nous sommes attachés à identifier des agents antioxydants susceptibles d'être fournis oxydé
s,
donc de ne pas réduire le fer, et d'être ultérieurement réduits in situ pour avoir une action antioxydante
effective vis-à-vis des superoxydes. Cela nous a conduits à tester différents analogues de l'ubiquinone.
Certains de ces analogues étant disponibles à l'étranger sous forme médicamenteuse, nous avons traité
quelques patients avec un de ces composé, l'idébénone, un analogue à chaîne courte de 1'ubiquinone. Le
traitement, (3 cp/j [5 mg/kg/jj), s'est révélé avoir Un effet très spectaculaire sur l'hypertrophie cardiaque chez
les 3 patients, puisque après seulement 4 à 9 mois de traitement, une réduction de 30 à 40 % de l'épaisseur
des parois initialement hypertrophiées a pu être observée. I:amélioration de l'état général des patients ainsi
que du contrôle des mouvements fins laisse aussi espérer une action plus large, en particulier au plan
neurologique, avec un temps de traitement plus long.
> Un essai thérapeutique
A la suite de cet essai préliminaire, un essai thérapeutique ouvert incluant plus de 50 en- fants et adultes, a
débuté en avril 1999 pour une période de 2 ans et de nombreux patients ont bénéficié d'une ATU. Les
résultats des études cardiaques réalisées sur plus de 50 enfants et adultes montrent pour 40 d'entre eux une
diminution très conséquente de l'hypertrophie de la paroi du ventricule gauche, associée pour 37 à une
amélioration de la fonction cardiaque, confirmant ainsi les espoirs donnés par l'essai pré
liminaire. Pourtant 10
patients ne répondent pas au traitement, sans que nous en sachions la cause.
Ces premiers succès ont conduit les laboratoires Takeda à s'engager à fournir le marché européen et à
reprendre la production de l'idébénone lorsque nécessaire, 5 tonnes étant disponibles actuellement au Japon.
Par ailleurs nos travaux se dirigent désormais vers l'identification d'autres molécules susceptibles soit de se
substituer à l'idébénone pour les patients ne répondant pas à cette dernière substance (autres analogues de
1'ubiquinone), soit à en renforcer l'action.
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