Modèles murins pour l'ataxie de Friedreich, de la caractérisation aux essais thérapeutiques Introduction Le gène responsable de l'ataxie de Friedreich a été identifié en 1996. Il code pour une protéine appelée la frataxine dont la fonction n'est pas totalement élucidée à ce jour. Les efforts de recherche de l'équipe du Pr. Michel Koenig, se sont portés sur la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans la maladie en utilisant des modèles murins. En effet, 99 % des gènes de souris présentent un gène équivalent chez l'homme. La création de ces modèles a également pour but de tester des molécules thérapeutiques. Au cours des six années précédentes, plusieurs modèles murins ont été réalisés dans le laboratoire. Le premier modèle obtenu par Mireille Cossée en 2000, a été un modèle d'inactivation dit classique consistant en une inactivation totale du gène de la frataxine, conduisant à une absence de frataxine dans tous les organes de la souris. Ce modèle est létal très tôt pendant le développement embryonnaire, démontrant l'importance de la frataxine, mais n'a pas permis la réalisation d'études fonctionnelles plus approfondies ni d'essais thérapeutiques. Afin de pallier à cette létalité embryonnaire, une stratégie permettant d'inactiver un gène dans un tissu précis a été entreprise. Nous avons ainsi obtenu un modèle cardiaque par inactivation de la frataxine dans les muscles squelettiques et cardiaques et différents modèles neurologiques suite à l'inactivation de la protéine dans le système nerveux. Nous avons d'abord caractérisé ces modèles, c'est-à-dire déterminé si l'absence de frataxine dans ces tissus conduisait bien, chez la souris, au développement de symptômes semblables aux symptômes humains. Ces différents travaux ont été réalisés en étroite collaboration avec Hélène Puccio, Hervé Seznec et Laurence Reutenauer. Rappels sur la fonction de la frataxine Avant de présenter ces modèles, des petits rappels sur la fonction de la frataxine sont nécessaires. Dans la cellule, la frataxine est une protéine localisée à l'intérieur des mitochondries. Les mitochondries peuvent être présentes à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires selon les types cellulaires et sont responsables de la fabrication d'énergie à partir de l'oxygène. La fabrication d'énergie est réalisée plus précisément par des protéines constituant la chaîne respiratoire localisées dans la membrane de la mitochondrie. Pierre Rustin a montré que dans deux biopsies cardiaques de patients atteints par l'ataxie de Friedreich, l'activité de certaines protéines de la chaîne respiratoire était réduite. Or, le point commun entre ces protéines est le fait qu'elles contiennent une structure particulière indispensable à leur activité, appelée noyau fer-soufre (Fe-S), tout simplement car il contient des atomes de fer et de soufre. D'un autre côté, une accumulation de fer a été observée dans le tissu cardiaque (autopsies) de plusieurs patients et la levure dépourvue de frataxine accumule du fer dans la mitochondrie. Il est donc difficile de savoir si le rôle primaire de la frataxine est de réguler les échanges de fer ou si elle intervient lors de la fabrication des noyaux Fe-S étant donné que leur désassemblage peut conduire à la libération de fer. Il faut également savoir qu'une chaîne respiratoire déficiente, tout comme une accumulation de fer peuvent conduire à la production d'espèces toxiques pour la cellule, appelées les radicaux libres, acteurs du stress oxydant. Puis pour compliquer le tout, ce stress oxydant est aussi capable de détruire les noyaux Fe-S. On ne peut donc pas exclure un rôle de la frataxine dans la régulation du stress oxydant. La difficulté est de savoir, en absence de frataxine, quel est l'évènement primaire : l'accumulation de fer, la fabrication défectueuse des noyaux Fe-S ou la présence de stress oxydant. Le modèle cardiaque et l'idébénone Pour en revenir aux souris du modèle cardiaque, celles-ci développent, comme une grande partie des patients, une cardiomyopathie hypertrophique suivie d'une dilatation cardiaque. Cette anomalie morphologique spécifique est associée à une activité réduite des protéines à noyaux Fe-S et à une accumulation mitochondriale de fer. Des dissections de tissu cardiaque réalisées chaque semaine nous ont permis de démontrer que la première atteinte concernait l'activité des protéines à noyau Fe-S et que l'accumulation de fer ne s'observait que tardivement, de façon secondaire. Dans un second temps, nous avons constaté une absence d'augmentation mesurable de stress oxydant attribuant définitivement la conséquence primaire du déficit en frataxine à une activité réduite des protéines à noyau Fe-S. Enfin, des essais thérapeutiques ont été entrepris avec l'idébénone (Mnesis) qui fait partie de la famille des anti-oxydants. Nous avons démontré un effet cardioprotecteur de l'idébénone dans ce modèle cardiaque, avec un prolongement de 10 % de la survie des souris. Par contre, l'idébénone ne restaure pas l'activité des protéines à noyau Fe-S. Par ailleurs, nous avons également testé une autre molécule anti-oxydante sans déceler d'effet positif sur la fonction cardiaque, démontrant un mode d'action très particulier de l'idébénone. Les différents modèles neurologiques Le premier modèle neurologique obtenu reproduit une partie des symptômes de l'ataxie de Friedreich, avec une perte de proprioception et une perte de l'onde réflexe (évaluée par des mesures électromyographiques (EMG)) indiquant une atteinte des gros neurones sensitifs se trouvant dans les ganglions rachidiens, caractéristique pathologique essentielle de l'ataxie de Friedreich. Malheureusement ces souris présentaient une atteinte très sévère avec des lésions non spécifiques de l'ataxie de Friedreich, présentes déjà à la naissance et entraînant une très courte espérance de vie des souris (25 jours). Ce premier modèle ne nous a donc pas permis d'étudier la progression de la neurodégénérescence, ni d'entreprendre d'essais thérapeutiques. Afin d'obtenir un nouveau modèle neurologique plus spécifique et plus progressif, nous avons réalisé une inactivation de la frataxine restreinte de façon plus stricte au système nerveux et induite après la naissance des souris, soit une fois le système nerveux développé (au contraire des modèles précédents pour lesquels l'inactivation se produisait pendant le développement embryonnaire). Nous avons ainsi obtenu deux nouveaux modèles neurologiques. Par des tests comportementaux évaluant les capacités locomotrices, nous avons démontré que ces deux nouveaux modèles développaient une maladie neurodégénérative progressive, avec une atteinte progressive de la coordination, de l'équilibre et de la démarche ainsi que, par EMG, une perte progressive de l'onde réflexe. En accord avec ces observations cliniques, des études anatomopathologiques sur les tissus montrent des lésions dans les ganglions rachidiens et la moelle épinière, et une atteinte du cervelet pour un des deux modèles. Nous avons étudié précisément les mécanismes de mort neuronale impliqués. Enfin, tout comme dans le cœur des souris du modèle cardiaque, aucun stress oxydant n'a été détecté. Un premier essai thérapeutique en double-aveugle a été réalisé avec l'idébénone. En effet, même si l'idébénone n'a pas d'effet spectaculaire au niveau neurologique chez les patients, il est en réalité difficile d'apprécier son efficacité considérant la grande variabilité clinique. Un modèle murin est donc essentiel puisqu'il permet de disposer de groupes de souris homogènes. Les résultats préliminaires de ce premier essai sont encourageants, cependant, considérant le nombre trop restreint d'animaux, les conclusions sont délicates et un nouvel essai est actuellement en cours. En conclusion Ce travail a permis de générer et de caractériser des modèles murins, à ce jour les seuls reproduisant la pathophysiologie de l'ataxie de Friedreich. Ils ne sont pas parfaits car au contraire des patients présentant un taux résiduel de frataxine dans chaque cellule, ces souris démontrent une absence de protéine dans certains tissus, conduisant à une sévérité plus importante. Cependant, l'analyse détaillée de ces différents modèles a permis d'apporter de nouvelles informations importantes pour la compréhension des mécanismes physiopathologiques impliqués dans l'ataxie de Friedreich. Ces modèles sont également adaptés pour la réalisation d'essais thérapeutiques dont les premiers résultats sont très encourageants. Nous espérons pouvoir maintenant tester rapidement de nouvelles molécules thérapeutiques qui proviendront très certainement de cribles à grande échelle réalisés sur des modèles cellulaires dérivant des souris. En effet, plusieurs milliers de molécules seront ainsi testées et les plus intéressantes ensuite administrées aux différents modèles murins. Delphine Simon Jury de thèse : Michel Koenig, Hélène Puccio, Pierre Rustin, Alexis Brice, Jean-Philippe Loeffler, Emmanuel Lesuisse