MÉCANISME DE LA CARCINOGENÈSE À LA LUMIÈRE DES DONNÉES DE LA BIOLOGIE MOLÉCULAIRE A. BIYI*, N. BENRAIS* , A. ALBOUZIDI**, S. BENOMAR** RÉSUMÉ Évoquer la pathogénie des cancers conduit actuellement à illustrer l’importance des données acquises durant les deux dernières décennies dans la compréhension des processus génétiques de la transformation néoplasique. La conve rgence de multiples et fécondes voies de recherche se basant sur l’étude, de grandes séries de malades atteints de syndromes néoplasiques héréditaires, du caryotype des cellules tumorales, et surtout des événements mutationnels cumulés par de telles cellules à l’échelle génique, a permis une modélisation de la progression tumorale basée sur la notion du déséquilibre oncogènes / anti - oncogènes induit par les différents agents mutagènes et favorisé par un état cellulaire délétère, vision unificatrice où de nombreuses facettes de l’oncogenèse trouvent leur place. grâce à l’essor considérable qu’à connu la cytogénétique. L’étude des tumeurs expérimentales (d’origine animale) puis humaines a aboutit à l’une des principales percées de la biologie et de la médecine durant ces deux dernières décennies : l’élab o ration d’un modèle unifi c ateur des mécanismes de la carcinogenèse basé sur la notion du déséquilibre oncogènes / antioncogènes causé par les différents agents carcinogènes. Ces perturbations s’opèrent parfois sur un terrain cellulaire déjà délétère du fait de l’existence de gènes de prédisposition au cancer ou d’une fragilité du matériel génétique par défaut de réparation de l’ADN. B - QUELQUES PAGES D’HISTOIRE : (1) • 1908, BOREL penché sur l’étude de tumeurs hépatiques de rats présumées en rapport avec un parasite découvre que celles-ci étaient transmissibles par injection de broyats cellulaires (provenant de tumeurs malignes). A - INTRODUCTION Malgré le nombre immense des cellules de l’organisme adulte, leur prolifération physiologique reste un processus strictement contrôlé qui permet le renouvellement ou la répartition des tissus lésés. Parmi ces milliards de cellules une seule n’obéit plus à cette organisation et prolifère sans le moindre contrôle. Quand une prolifération cellulaire mono ou oligo clonale a tendance à persister, à s’accroître, à détruire les tissus avoisinants et à diffuser sous forme de métastases, on parle de cancer. La maladie cancéreuse résulte d’une perturbation généralement acquise, et transmissible de l’ensemble des mécanismes de contrôle de la prolifération et de la position des cellules. Ces deux anomalies définissent le phénotype tumoral. Cette hérédité à l’échelle cellulaire suggère très fortement l’existence d’anomalies géniques à la base du processus néoplasique. Des anomalies chromosomiques spécifiques de tumeurs malignes ont été décrites dès l’année 1960 *Service de Médecine Nucléaire - CHU Ibn Sina- RABAT. **Service d’Anatomie Pathologie • 1911, PEYTONS ROUS voulait démontrer l’impossibilité de transmission de telles tumeurs sans cellules néoplasiques, mais réussit à son grand étonnement à obtenir d’authentiques cancers chez le poulet par la seule injection de filtrat de sarcome aviaire (donc acellulaire). Il émit alors d’emblée l’hypothèses selon laquelle un agent viral serait capable d’induire de tels cancers, hypothèse certes très provoquante mais qui allait tomber dans l’oubli pendant des années. (un prix Nobel viendra récompenser le chercheur un demi siècle plus tard). • 1936 : BITTNER met en évidence un facteur transmis par le lait et reconnaît sa re s p o n s abilité dans la genèse de tumeurs mammaires chez la souris. Cet agent sera identifié plus tard comme étant le virus MMTV (mouse mammary tumor virus). • Durant les années 1950, une vingtaine de virus capables d’induire des sarcomes, des carcinomes et des leucémies Hôpital Militaire Mohammed V. RABAT. Médecine du Maghreb 1998 n°69 A. BIYI, N. BENRAIS , A. ALBOUZIDI S. BENOMAR 14 aiguës furent isolés avec les travaux de GROSS, FRINED et MOLONEY. • 1963 : R. DULBECCO démontre qu’une infection virale transforme en cellules cancéreuses des cellules normales en cultures. Cette transformation est le fait de la seule adjonction de DNA viral (Prix Nobel 1975). A partir de ces expériences est née la notion de virus oncogène (virus capable de s’intégrer dans le génome cellulaire et de détourner ses mécanismes de synthèse pour produire des protéines responsables de l’acquisition du phénotype tumoral). Malgré ce succès un problème épineux restait toujours insoluble : comment certains rétrovirus, celui du sarcome de Roux entre autres, sont ils capables d’induire de telles tumeurs ? La compréhension des mécanismes par lesquels ces virus à RNA s’intègrent dans le génome cellulaire devra attendre la découverte de la transcriptase inverse par TEMIN et BALTIMORE en 1970 (Prix Nobel 1975). En 1975, Wang et ses collaborateurs identifièrent dans le génome du virus sarc o m at ogène de Roux, la séquence génétique lui conférant son pouvoir oncogénique et utilise pour la désigner l’ab r é v i ation v - src (v = viral, src = sarcome). • 1976 : plusieurs équipes (BISCHOP, STEHELIN) découvrent l’équivalent cellulaire de ce gène et le désignent c src (c : cellulaire). • En 1978, BISCHOP et ses collaborateurs reconnaissent cette séquence dans le génome de tous les vertébrés y compris l’homme (prix Nobel 1989). R. HUBNER introduit alors la notion d’oncogènes (non pas comme adjectif déjà utilisé pour désigner des agents cancérigènes mais pour désigner des gènes capa bles d’entraîner une transformation néoplasique). Ce fut alors le début d’une longue dynastie. C - GÈNES ET CANCERS : (2) a été démontré ex p é rimentalement qu’une ex p re s s i o n anormale puisse conduire à l’acquisition du phénotype tumoral (perte du contrôle de la multiplication et de la position des cellules au sein d’un tissu). Par référence à leur origine, on distingue les oncogènes v i raux (V. onc) de ceux cellulaires (C. onc ou pro t o oncogènes). Les événements qui conduisent les proto oncogènes dans des formes réellement transformantes sont dit événements d ’ a c t ivation. Sch é m atiquement deux hypothèses (non exclusives l’une de l’autre) actuellement largement vérifiées permettent d’expliquer comment un proto-oncogène devient transformant ; l’une qualitative, l’autre quantitative (3). Selon cette dernière, la tra n s fo rm ation néoplasique serait le résultat de l’hyper expression peut être le fait d’une infection virale, d’une amplification génique, ou d’un réarra n gement ch romosomique (tra n s l o c ation et inversion, chromosomes dicentriques). L’hypothèse qualitative attribue l’acquisition du phénotype tumoral à la production d’une protéine anormale. Celle-ci codée par un «proto-oncogène» muté devra assurer une fonction différente de celle qui lui est initialement destinée. Selon la nature et la fonction des protéines qu’ils codent, les oncogènes peuvent être classées en cinq familles différentes ( tableau n°1). Tableau n°1 : Exemple de classification fonctionnelle des oncogènes Réf.2. Les facteurs de croissance sis, int-1, int-2, hst Les kinases Thyrosines kinases : src, abl, yes, erb-B, neu, fms, ret Serine / théonine kinases : mos, raf-mil Cinq catégories de gènes peuvent être impliqués dans la genèse d’un néoplasme : les oncogènes, les anti-oncogènes, les gènes de répartition de l’ADN, les gènes du métabolisme des carcinogènes, et les gènes de prédisposition à certains cancers. Les facteurs de transcription fos, jun, myc, erb-A, rel, myb, tax 1. Les oncogènes On regroupe sous le vocable d’oncogènes des gènes dont il Non classifiés bcl-2, cycline A, tat Médecine du Maghreb 1998 n°69 Les protéines G ras, bcr MECANISME DE LA CARCINOGENESE… Ces oncogènes, très conservés dans un large spectre d’espèces, sont impliqués outre la carc i n ogenèse dans le contrôle de nombreuses fonctions clefs de la vie cellulaire : synthèse de facteurs de croissance, transduction des messages extra-cellulaires (4), régulation positive du cy cl e cellulaire grâce aux cyclines et aux cyclines-kinases (5), déroulement de certaines phases de l’embryogenèse (6,7). Paradoxalement, l’expression de certains oncogènes peut déclencher le processus de mort cellulaire programmée ou apoptose (8). 2. Les anti-oncogènes Dans le paragraphe précédent, nous avons insisté sur le fait que la genèse d’un cancer peut être la conséquence d’un événement mutationnel modifiant soit quantitativement soit qualitativement l’expression d’un oncogène. Or, un certain nombre de néoplasmes, dont ceux héréditaires, et plus particulièrement les cancers embryonnaires semblent échapper à cette règle : on y retrouve des délétions de gènes plutôt que des activations. Ces régions délétées portent des séquences génétiques différentes des oncogènes, et dont la fonction serait d’assurer le contrôle négatif de la pro l i f é ration cellulaire, d’où le nom pro p o s é d ’ a n t i - o n c ogènes. Selon le modèle de KNUDSON, la transformation par modification d’anti-oncogènes s’effectue en deux étapes successives : un premier événement altère un locus sur un chromosome (mutation sub-microscopique ou délétion cytogénétiquement visible) et inactive un anti-oncogène. Cette lésion demeure latente et ne se démasque que si un second événement fait passer la cellule à l’état homozygote (perte de l’hétérozygotie). Si le premier événement s’est produit dans l’ADN germinal, il est générateur d’une prédisposition dans la descendance (cancers familiaux). S’il s’est produit dans une cellule somatique, il donne lieu à une forme sporadique de cancer à condition que le deuxième événement survienne dans le même clone cellulaire (2). Les anti-oncogènes sont à leurs tour impliqués dans de n o m b reux processus phy s i o l ogiques et pat h o l ogi q u e s . L’anti-oncogène p 53, fréquemment muté dans un grand nombre de cancers, se comporte comme un des «gardiens du génomes» contre l’accumulation d’anomalies : il bloque la réplication jusqu’à ce que les enzymes dites de «vigilance» les cyclines et les cyclines dépendent kinases s’assurent de l’intégrité du matériel génétique. Si ce système 15 s’avère défaillant ou dépassé, p 53 induit une mort cellulaire par apoptose (1), participant ainsi à l’élimination des mutations. Les inhibiteurs des métaloprotéinases protègent le cartilage contre la dégradation. La perte de leur fonction précipiterait ainsi l’installation de lésions arthrosiques. Classification des anti-oncogènes Kinases NM 23 Protéines GAP NF 1 Molécules d’adhésion DCC Facteurs de transcription RB 1 ; P 53 ; WR 1 Anti-enzy lytiques TIMP ; inhibiteurs du plasminogène Non classifiés APC, ETS, MTS - 1 3. Les gènes de répartition de l’ADN Les cellules des organismes supérieurs (et même de certaines bactéries) sont dotées de systèmes capables de réparer les lésions de l’ADN induites par les différent agents mutagènes. Quelques maladies rares sont dues à une fragilité extrême du mat é riel génétique. Les sujets qui en sont atteints accumulent dans leurs cellules des mutations pouvant toucher notamment des oncogènes et des anti-oncogènes et transmettent ce défaut de répartition à leur descendance sur le mode autosomique récessif. Entrent dans cette catégorie, le xeroderma pigmentosum dû à une carence en ADN hélicase (9,10) (fréquence accrue de cancers cutanés) et les syndromes d’instabilité chromosomiques (11) qui regroupent l’anémie de Fanconi, l’ataxie télangiéctasie, et, le syndrome de Bloom (qui eux favorisent le développement d’hémopathies malignes). 4. Les gènes impliqués dans le métabolisme des carcinogènes La plupart des carcinogènes chimiques sont en fait des pro carcinogènes, qui pour devenir actifs, doivent subir dans l’organisme un certain nombre de transformations métaboliques sous la dépendance de systèmes génétiquement contrôlés. Ces transformations se résument généralement en deux étapes : la première dite phase d’activation et réalisée par les cytochromes P450. La secondes (permettent son élimination) est une étape de conjugaison qui peut se faire avec un sulfate, un glucuro-nate, ou un gluthation (impli- Médecine du Maghreb 1998 n°69 A. BIYI, N. BENRAIS , A. ALBOUZIDI S. BENOMAR 16 quant respectivement des sul-fotransférases, des glucuronyltransférases, et des glutathion -s- tranférases). Il existe chez l’homme de fortes variations d’expression des gènes codant pour ces enzymes de détoxification. Ce polymorphisme détermine l’existence de variations dans la susceptibilité individuelle aux carcinogènes. Il faut noter que des mutations des gènes des glutathion-s- tranférases sont également impliquées dans le phénomène de résistance aux antinéoplasiques. 5. Les gènes de prédisposition au cancer Il existe une cinquième catégorie de gènes que l’on n’arrive pas encore à classer dans l’une des catégories précédemment citées. Les mutations de tels gènes déterminant une prédisposition à certains cancers et peuvent être transmissibles. Les mieux caractérisés sont les gènes cancers mammaires et ovariens (12), et BRCA - 2 localisé en 13 p dont les mutations prédisposent au cancer du sein (et ne semblent pas être impliqués dans le cancer de l’ovaire). D’autres gènes candidats sont en cours d’étude, en particulier les gènes RAR α (récepteur de l’acide rétinoïque α) et le gène EDH - 17b qui code pour 17 Bêta Estradiol Déshydrogénase catalysant la convertion de l’estrone en 17 b estradiol. D - MÉCANISME DE LA CARCINOGENÈSE Juste après la fécondation, l’œuf (monocellulaire) disposant d’une capacité proliférative très importante, ne tardera pas à donner deux blastomères tout à fait identiques. Cette division comme tout autre mitose met en jeu de nombreuses protéines codées par des proto-oncogènes et des anti-oncogènes entre autres. A l’état normal ces deux catégories de gènes se trouvent en parfait équilibre : un signal mitotique met à profit les proto-oncogènes, alors que le ralentissement ou l’arrêt des divisions suscite l’entrée en action des anti-oncogènes (4). Cet équilibre repose en principe sur un terrain cellulaire solide déterminé par l’intégrité des systèmes de réparation de l’ADN et des systèmes de détoxification et par l’absence de mutations héritées responsables quand elles existent d’une prédisposition aux cancers. Au stade huit blastomères commence la première différenciation : quatre macromères dont sont issues les structures fœtales et quatre micromères à l’origine du futur placenta. Cette première différenciation fait perdre aux cellules une Médecine du Maghreb 1998 n°69 partie de leurs capacités prolifératives par répression de c e rtaines portions du génome. Tout au long des tro i s premiers mois de la gestation apparaissent les tissus qui vont constituer les différents organes fonctionnels du futur nouveau-né, toute division aboutissant à des cellules fille plus différentiées et moins prolifératives que les cellules mères. Déjà à ce début, l’instabilité chromosomique des premières mitoses blastomériques peut aboutir à des mutations constitutionnelles prédisposant au cancer. Au fur et à mesure que ces cellules se divisent elle deviennent sénescentes (sénescence à l’échelle cellulaire, même s’il s’agit de l’organisme d’un enfant). La sénescence entraîne une perte progressive des télomères ( re s p o n s able d’une incidence élevée de ch ro m o s o m e dicentriques reflet de fusion chromosomiques des cellules transformées) et constitue également au terrain favorisant l’éclosion du cancer. Une fois venu au monde (et par fois même in utero), cet être se trouve exposé à différents agents susceptibles d’entraîner des lésions au niveau du génome : rayonnements ionisants, produits chimiques, virus … etc. Lésions ayant entre autres conséquences, une éventuelle rupture de l’équilibre oncogène - anti-oncogènes (schéma n°1). Une approche in vitro a été réalisée dans ce sens dans le but d’établir une relation entre l’action des cancérogènes et l’induction des mutations ponctuelles : des mutations ont été ainsi localisées au niveau des codons 12 et 61 du gène ras dans l’ADN de cellules exposée au benzo -a- pyrène (13). Il faut en plus noter quelques exemples d’activation de ce gène dans des tumeurs bénignes comme les ke rat o acanthomes, les adénomes coliques ou thy roï-diens et même dans les nœvi plaçant ainsi la mutation de ce gène très tôt dans la succession des événements géniques générateurs de tumeurs malignes (14). Les tumeurs «avancée», les plus agressives, sont celles qui généralement ont c u mulées un grand nombre de mu t ations. Ces cancers apparaîtraient et s’aggraveraient par le mécanisme de l’évolution clonale (15) : d’abord une cellule subirait une mutation génétique qui va lui conférer un potentiel prolifératif supplémentaire par rapport à ses congénères. La cellule va pouvoir ainsi se diviser dans des conditions où les cellules normales cessent de proliférer. Les cellules filles ayant le même ADN contiendraient les mêmes mutations et se multiplieraient également de façon incontrôlée. Puis une des cellules issues de la première subiraient une nouvelle mutation qui la déréglerait d’ava n t age, l’accélération de la cadence mitotique serait responsable encore de nouvelle MECANISME DE LA CARCINOGENESE… 17 délétion ou mutation acquise au niveau des cellules en réplication active touchant de nouveaux oncogènes et antioncogène. La répétition de ces événements entraînerait une accumulation de mutations dont la succession s’appelle progression tumorale. L’acquisition de capacités prolifératives importantes s’accompagne dans certains cas de dédifférenciation des cellules malignes par rapport à celles normales : le rajeunissement des cellules néoplasiques est l’un des éléments du diagnostic de celles)ci les blastes en hématologie à titre d’exemple (chemin inverse du développement embryonnaire ?). Cette progression a été très clairement décrites dans le cas du cancer colorectal par FEARON et ses collaborateurs (16). Une première mutation ou délétion en 5 q (locus du gène APC) survenant dans une cellule normale aboutit à une hy p e rplasie épithéliale. Sur cet épithélium déjà hyperplasique peut survenir une mutation activatrice de k ras aboutissant à un adénome colique. Les cellules adénomateuses vont perdre l’anti-oncogène p 53 par mutation on délétion en 17 p responsable de la genèse d’un carcinome in situ. La perte du gène DCC (situé en 18 q) confère aux cellules coliques tra n s fo rmées des capacités inva s ive s (localement) et métastatiques (schéma n°2). Dans le cas de la leucémie myéloïde chronique, à côté de la translocation aboutissant à la fo rm ation du gène hybride BCR - ABL, l’apparition de nouvelles mutations intéressant les gènes c - myc RB et p 53 précède la transformation blastique. La succession de ses événements n’est encore pas établie (17). Les agents cancérigènes exercent leur action mutagène de façon d’autant plus aisée que le sujet a hérité, une mutation d’un oncogène ou un anti-oncogène (gène RB et rétinoblastome, APC et adénomatose colique familiales, oncogène RET et néoplasies endocriniennes multiples), un gène de prédisposition au cancer, ou une maladie de réparation de l’ADN (terrain cellulaire déjà altéré). L’élément crucial de la progression tumoral est généralement représenté par la mutation initiatrice. Quand un sujet a hérité une telle mutation, celle-ci se trouve dans toutes les cellules de son organisme, expliquant la survenu de seconds cancers chez les patients souffrant de néoplasies héréditaires (ostéosarcome primitif chez les sujets atteints de rétinoblastome) (18). La progression tumorale peut être avortée avant «terme» par deux mécanismes essentiels : le premier consiste en la mise en oeuvre des différents gènes de réparation de l’ADN quand ils ne sont pas déficients. Schéma n°1 : Déséquilibre Oncogènes / Anti-oncogènes Oncogènes Anti-oncogènes Etat normal Gènes de réparation de l’ADN fonctionnels Gènes de métabolisme des carcinogènes fonctionnels Gènes de prédisposition au cancer absents Agents carcinogènes Déséquilibre oncogènes/ anti-oncogènes Anti-oncogènes Oncogènes Gènes de réparation de l’ADN déficient Gènes du métabolisme des carcinogènes déficients Etat sénéscent, gènes de prédisposition au cancer présents Médecine du Maghreb 1998 n°69 A. BIYI, N. BENRAIS , A. ALBOUZIDI S. BENOMAR 18 Schéma n°2 : Progression tumorale du cancer colorectal (16) Epithelium normal Hyperplasie épithéliale Mutation du gène APC Carcinome in situ Adénome colique Mutation du gène K-RAS Mutation du gène P53 Carcinome in situ Mutation du gène DCC Certaines protéines de virus oncogènes pourraient cependant diminuer les capacités de réparation de l’ADN des cellules hôtes. La protéine Tax du virus HTLV - 1 associé au lymphome de Burkitt exerce cette action en réprimant le gène de la bêta polymérase, enzymes impliquée dans la cascade des événements réparateurs de l’ADN. Le second mécanisme, pas de dernier recours heureusement est représenté par l’apoptose. Devant l’accumulation croissante des dommages de l’ADN se déclenche de façon irréversible le processus de mort cellulaire programmée. croissance des cellules comme c’est la cas pour d’autres oncogènes, modifie les fonctions mitochondriales et interfère avec les processus de limitation de croissance en inhibant ceux de la mort cellulaire programmée (19). Par ailleurs de nombreux arguments semblent indiquer que cer-tains oncogènes viraux et cellulaires peuvent modifier l’expression des molécules de classe I du complexe majeur d’histocompatibilité contribuant ainsi à l’échappement des cellules néoplasiques à la vigilance du système immunitaire (20). Tout comme l’esprit, qui grâce à l’amnésie élimine les souvenirs affreux pour échapper à la folie, ces cellules «dévouées» meurent pour ne pas causer la mort de leur hôte par un cancer !. La pertinence du modèle de carcinogenèse par déséquilibre oncogènes - anti-oncogènes n’est plus à contester. L’étude de grandes séries de tumeurs devrait permettre de tracer une progression tumorale pour chaque néoplasme, la recherche de la mutation initiatrice étant le garant futur d’un dépistage moléculaire précoce. Les recherches actuelles et avenirs sont très prometteuses de nouvelles approches thérapeutiques fondées sur le blocage des gènes nocifs. D’ici là, nous continuons de découvrir les premières pages de la grande encyclopédie de la génétique des cancers. Karkinos n’a cependant pas épuisé toutes ses ruses : dans c e rtains lymphomes fo l l i c u l a i res, on assiste à une hy p e r expression du gène BCL 2 dont le produit est une protéine à localisation mitochondriale et dont l’action est de bloquer l’apoptose. Cette hyper expression au lieu de stimuler la CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 1 - KAPLAN, M. DELPECHE. Biologie moléculaire et médecine. (2 ème édition), 1993, pp. : 443 - 499. 2 - H. SOBOL. Hérédité et cancer. Revue du praticien, 93, 43, 4 pp. : 480 - 486. 3 - PH. LEBOUCH. 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