Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie

Modèle cognitivocomportemental
de la schizophrénie
M. Simonet, P. Brazo
Le modèle cognitivocomportemental prend en compte le patient souffrant de schizophrénie dans la
totalité de son écologie pour lui permettre un fonctionnement adéquat dans son environnement. Il est
ancré dans le concept de vulnérabilité qui a mis en lumière le rôle des facteurs de stress et des troubles
cognitifs dans le déclenchement des symptômes, et l’importance des facteurs de protection contre les
rechutes. De nombreux travaux, depuis plus de 40 ans, ont montré que les patients sont capables
d’apprendre grâce à la thérapie comportementale des comportements sociaux utiles qui leur font défaut.
Ces modifications comportementales (entraînement des habiletés sociales) se font grâce aux techniques
du conditionnement opérant, et peuvent s’appuyer sur des modules structurés s’adressant à de petits
groupes de malades. La psychoéducation orientée vers les familles réduit les rechutes et les
réhospitalisations. Car il est nécessaire d’adapter l’environnement pour qu’il provoque moins de stress
chez le patient. Les techniques de « case management », ou « projet de soins », le mobilisent ainsi que
son entourage vers un avenir à construire, après avoir conduit une évaluation fonctionnelle précise qui
permet de s’appuyer sur ses points forts comportementaux et cognitifs. Les techniques utilisées sont
personnalisées et appliquées dans la durée. Elles sont maîtrisables par l’ensemble de l’équipe
pluridisciplinaire. Les objectifs à long terme des soins issus du modèle cognitivocomportemental se
confondent avec ceux de la réhabilitation sociale, et permettent le maintien dans la cité avec une qualité
de vie acceptable.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Schizophrénie ; Modèle cognitivocomportemental ; Modèle stress-vulnérabilité ;
Case management ; Psychoéducation ; Habiletés sociales ; Résolution de problème ; Coping
Plan
Introduction 1
Historique 2
Techniques de l’économie de jetons 2
Abord comportemental des symptômes 2
École de la réadaptation psychiatrique ou psychosociale 3
Modèles de vulnérabilité 3
Origines du concept 3
Modèles 4
Marqueurs neurocognitifs de vulnérabilité 5
Stresseurs sociaux et environnementaux 5
Facteurs de protection 6
Évaluation fonctionnelle du patient : problèmes,
besoins et compétences 6
Identifier les problèmes et les objectifs 6
Outils d’aide à l’évaluation 7
Mise en place du projet de soins 7
Entraînement aux habiletés sociales et modifications
comportementales 7
Techniques comportementales 7
Modèle conceptuel des différentes variables liées aux habiletés
et aux compétences sociales 8
Remédier aux déficits des fonctions de bases 8
Améliorer la capacité à résoudre les problèmes interpersonnels 9
Modification des stratégies d’adaptation (coping)9
Entraînements aux habiletés sociales et modifications
cognitives 10
Thérapie psychoéducative et programmes structurés
cognitivocomportementaux 10
Principes de la thérapie psychoéducative 10
Validation des résultats des thérapies psychoéducatives
individuelles et familiales 11
Modèles pour l’avenir ? 11
Conclusion 11
Introduction
En préambule, les auteurs soulignent qu’ils se sont attachés à
préciser dans cet article l’intérêt des approches comportementa-
les dans la schizophrénie au point de parler de modèle
cognitivocomportemental.
Nous n’avons donc pas volontairement développé, dans un
souci de clarté, l’aspect cognitif au sens de la psychothérapie
cognitive, même si le but ultime de chaque prise en charge reste
celui d’un accompagnement psychothérapique tant que le
patient en accepte les buts et le principe.
[1]
« L’évolution d’un schizophrène est le fait non de sa schi-
zophrénie mais de son entourage, de ses soignants et précisé-
ment de ce qui n’est pas schizophrénique chez le malade
lui-même ».
[2]
Les moyens thérapeutiques se sont améliorés, et sur le plan
pharmacologique et dans les modalités de prise en charge
psychosociale. Pourtant, la proportion des patients schizophrè-
nes souffrant d’une évolution sévère de leur maladie reste élevée
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1Psychiatrie
et plus de 20 % d’entre eux subissent une altération majeure de
leur qualité de vie. Ces mauvais résultats ont stimulé d’autres
voies de recherche pour l’élaboration de programmes thérapeu-
tiques. L’approche cognitivocomportementale en fait partie.
[3]
Ancré dans le concept de vulnérabilité, ce modèle prend en
compte le patient dans la totalité de son écologie pour lui
permettre un fonctionnement adéquat dans son environne-
ment. Son élaboration a intégré les concepts suivants :
l’économie de jetons expérimentée dans les services de long
séjour ;
le concept d’ « habileté sociale » ainsi que les techniques
inspirées des théories de l’apprentissage et de résolution de
problèmes, permettant de développer les capacités à vivre
dans la cité ;
la psychothérapie cognitive des symptômes psychotiques ;
l’aide aux familles grâce à l’approche systémique, à la
thérapie familiale comportementale ou à des groupes d’infor-
mation destinés aux familles (Profamille), développée à partir
de la notion d’émotion exprimée et de ses conséquences en
termes de risque de rechutes.
Les outils fournis par ce modèle facilitent l’évaluation
objective et rationnelle du fonctionnement du patient. La prise
en charge s’adapte à ses troubles cognitifs et vise à compenser
ses handicaps les plus sévères. Les techniques du renforcement
ou de l’apprentissage peuvent être utilisées sans craindre un
accroissement de ses symptômes (psychotiques ou dépressifs). La
mise en place de soins planifiés avec sa collaboration potentia-
lise son retour à une vie sociale satisfaisante. Au-delà de la prise
en charge comportementale, l’apprentissage de la résolution des
problèmes interpersonnels et de l’affirmation de soi facilite la
progression vers une démarche psychothérapeutique. Grâce à
l’IPT (Integrated Psychological Therapy),
[4]
la reconnaissance et
l’adaptation aux émotions peuvent être améliorées. La recons-
truction d’un « moi » du patient s’appuie sur la psychothérapie
cognitive.
Rien de ce qui peut aider le malade (apprentissages, compen-
sation) et renforcer la protection contre les rechutes (aides aux
familles) ne doit être négligé.
Historique
Techniques de l’économie de jetons
En 1968, l’ouvrage de Ayllon et Azrin
[5]
a fait connaître
l’économie de jetons. Ces techniques sont désormais désuètes,
car les malades et l’environnement institutionnel ont changé.
Mais cette expérience reste très instructive. Les auteurs, à partir
de la théorie du renforcement, ont imaginé un environnement
qu’ils ont tout entier impliqué dans la prise en charge du
malade, et ont ciblé les comportements utiles à développer (et
non les symptômes à réduire). Les procédures de recueil des
données comportementales étaient précises. L’évaluation
continue prenait en compte la quantité de comportements
utiles et l’engagement du malade dans ces comportements.
Aucune action punitive ou dégradante ne devait être envisagée
même dans un but d’amélioration. Pour Ayllon et Azrin, une
vision coercitive des modifications comportementales était
toujours une mise en échec. « La philosophie générale qui se
dégage de nos tentatives met l’accent sur les aspects positifs
dans le comportement du malade. Tous les efforts tendirent à
structurer chez le malade des comportements constructifs et
fonctionnels. Si les comportements complexes avaient du mal à
s’établir, on consacrait tous ses efforts à en établir de plus
simples pour servir de marchepied (…) Le problème des symp-
tômes fut remis à une date ultérieure (…) À notre surprise, nous
vîmes que, dès que les procédures furent efficaces pour établir
des comportements fonctionnels, nombre de comportements
symptomatiques avaient disparu et ne pouvaient plus être
étudiés (…) Il semble que les comportements symptomatiques,
de par leur nature destructive, furent réduits par cela même
qu’ils ne pouvaient exister à côté de comportements fonction-
nels ». Le personnel était volontaire mais interchangeable
defaçon à respecter un renouvellement naturel des équipes. Il
était formé à appliquer les règles simples de cet « environne-
ment motivant » dans un « langage clair et usuel ». Le recueil
biographique de chaque patiente était réalisé. « La sélection des
malades s’est faite en acceptant les malades les plus réticentes
aux soins traditionnels, chaque pavillon proposant ses propres
cas, hospitalisées en moyenne depuis plus de 16 ans, 50 % ne
prenaient aucun traitement tranquillisant, et étaient sociale-
ment isolées ».
Les auteurs ont donc mis en lumière que les programmes de
soins comportementaux doivent être personnalisés et appliqués
sans interruption. Ils espéraient pouvoir diminuer progressive-
ment la valeur en jetons des comportements fonctionnels
adaptés, ou transformer les gratifications en possibilité de sortir
de l’hôpital. Mais cette étape fut rarement possible. Ils reconnu-
rent donc et soulignèrent les limites de leur méthode. La
généralisation des acquis comportementaux et cognitifs est un
problème qui perdure. C’est pourquoi il est nécessaire de les
relancer dans des programmes de révision. Puisque les déficits
cognitifs liés à la schizophrénie persistent toute la vie du
patient, il faut prendre conscience de cette dimension continue
dans tout programme de soins.
Abord comportemental des symptômes
Agathon, en 1981, rappelait que la psychiatrie pensait la
schizophrénie comme une entité englobant la structure de la
personne, et imputait l’essentiel des troubles à un noyau
psychotique sur lequel peu de psychothérapies pouvaient être
efficaces.
[6, 7]
Or, la thérapie comportementale est utile si on approche la
maladie sous l’angle symptomatique (au sens du DSM). Le
thérapeute construit un programme de modification du com-
portement qui est appliqué par l’équipe soignante, si possible en
extrahospitalier. En fait, le terme de modification du comporte-
ment est plus adéquat que celui de thérapie comportementale,
car excluant une dimension psychothérapique à laquelle le
patient ne pourrait pas toujours formuler son consentement.
Boisvert et Trudel
[8]
se sont intéressés aux modifications des
comportements psychotiques obtenues en changeant le
contexte, en utilisant le milieu de vie comme facteur de
renforcement. Ces programmes s’appuient sur l’analyse des
besoins comportementaux de chaque sujet (comportements
ciblés : apathie, travail, interactions sociales, soins personnels) et
sur la diversité des moyens mobilisables. L’accroissement des
comportements verbaux adaptés avec diminution des expres-
sions délirantes est corrélé aux renforçateurs sociaux (sourire,
expression du visage, encouragement) émis par le thérapeute.
Ullmann et Krasner
[9]
évoquent la nécessaire installation d’un
climat de confiance entre le thérapeute et le client. Liberman et
al.
[10]
ont exposé un plan de traitement comportemental en
réponse aux questions incessantes d’un malade présentant une
psychose infantile vieillie. La stratégie mise en place associait un
entraînement par façonnement à la conversation avec renforce-
ment par des jetons et une technique de coût de la réponse si
le patient avait des verbalisations incessantes. Les auteurs
insistent sur la généralisation rapide des progrès à d’autres
domaines dès qu’il fut admis en foyer et centre de jour.
La conviction délirante, la fréquence et l’intensité des
hallucinations auditives sont diminuées grâce à la restructura-
tion cognitive, à l’affirmation de soi et à l’autocontrôle des
symptômes. A contrario, Agathon
[6]
rappelle l’inefficacité de
l’autoapplication volontaire de légers chocs électriques (grâce à
un petit appareil) dès que le patient « entend des voix ».
L’entraînement aux habiletés sociales, lors des premières études,
est jugé d’efficacité réduite quand les patients sont trop
déficitaires ou sans espoir de sortie de leur institution. Dans ce
37-290-A-10
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
2Psychiatrie
cas, l’économie de jetons au long cours et la mise en place de
techniques du coût de la réponse inadéquate sont indispensa-
bles pour maintenir les modifications obtenues. Mais, malgré
ces indéniables succès, les thérapies comportementales ont buté
sur les difficultés cognitives des patients (concentration,
autocontrôle, auto-instructions pour se guider dans une tâche).
Ces difficultés, mal comprises à l’époque, ont limité leur impact.
École de la réadaptation psychiatrique
ou psychosociale
Dans les années 1980 s’est organisée une réflexion cohérente
basée sur le concept de réadaptation psychiatrique. L’approche
de la schizophrénie doit être pluridisciplinaire et non stigmati-
sée, la plus proche possible du monde normal, mais elle ne doit
en aucun cas être démédicalisée. Elle doit assurer une meilleure
évaluation initiale et continue du patient, le repérage précis et
objectif des problèmes d’adaptation à la vie quotidienne.
L’expérience des premiers programmes de réadaptation profes-
sionnelle a montré leur impact positif sur la santé des patients.
Legeron,
[11]
se référant aux travaux de Liberman, intitule ses
propos « le développement de la compétence sociale chez les
schizophrènes », et rappelle que les neuroleptiques, quoique
indispensables, ne sont pas un traitement satisfaisant car ils ne
modifient pas pleinement la vie sociale et professionnelle des
patients. Il faut leur adjoindre des actions psychosociales ou
psychothérapeutiques pour atteindre le but de la réinsertion. Il
précise que le « handicap majeur que sont les importants
déficits du fonctionnement social du patient schizophrène a
longtemps été considéré comme la conséquence de la maladie
et négligé comme cible d’interventions thérapeutiques spécifi-
ques par des thérapeutes trop préoccupés d’agir sur un hypo-
thétique noyau ou trouble fondamental de la schizophrénie, et
ce, sans grand résultat d’ailleurs ». Or, la désinstitutionnalisation
brutale a montré les incapacités des patients à vivre dans le
monde réel, incapacités que les praticiens ont dû évaluer pour
déterminer les priorités de la réadaptation sociale, par exemple
grâce à l’échelle Independant Living Skills Survey [ILSS] de
Wallace.
[12]
Glynn
[13]
a analysé 20 ans d’études contrôlées concernant -
ce qu’il est convenu d’appeler - la réadaptation psychiatrique
qui englobe les interventions psychosociales, l’aide aux familles,
la conception d’environnements protégés et adaptés, etc… Sans
entrer dans de longues discussions sémantiques sur les mots
utilisés, disons que la prise en charge des patients s’appuie
d’abord sur la « pierre d’angle » du traitement pharmacologique
et psychiatrique, et ensuite sur un ensemble de mesures qui les
aident à récupérer un bon niveau de fonctionnement social et
la meilleure qualité de vie subjective possible. Car, au-delà des
contraintes économiques défavorables et de la stigmatisation de
la maladie, les altérations cognitives conduisent à diminuer les
comportements orientés vers un but et la participation à des
activités planifiées et organisées. Les patients préfèrent souvent
s’isoler pour diminuer leur niveau de stimulation.
Il ressort aussi de son analyse que les stratégies efficaces pour
réduire les rechutes et atténuer les symptômes sont les inter-
ventions orientées vers les familles et la psychothérapie cogni-
tive. L’aide aux familles, surtout si elle s’étend sur plus de 2 ans,
réduit leur souffrance et leur épuisement et diminue notable-
ment le taux de réhospitalisation des patients. La thérapie
cognitive des symptômes persistants les rend supportables dans
la vie quotidienne mais n’améliore ni le taux de réhospitalisa-
tion ni le niveau des compétences sociales. Pour les améliorer,
sont nécessaires des programmes de relance des cognitions de
base (attention, mémoire) et d’apprentissage de savoir-faire dans
un environnement aussi réaliste que possible. Le point difficile
reste la généralisation des acquis au-delà des structures théra-
peutiques, bien que le retour au travail ou aux études reste un
but important pour les patients. Le respect de cet objectif est
pourtant nécessaire au maintien d’une bonne estime de soi.
La coordination de tous ces processus qui évoluent de façon
synergique nécessite de s’appuyer sur la « boîte à outils » de la
réadaptation psychiatrique. Anthony,
[14]
porte-parole de
« l’école de Boston », insiste sur l’utilité de la technique du
«case management ». Cette technique ne réduit pas le « case
manager » à la gestion de « cas ». Nous préférons donc parler de
« plan de soin », de « réunion de projet de soin », et de per-
sonne référente coordonnatrice, avec la personne soignée, de la
mise en œuvre des soins décidés. Anthony évoque la résistance
du corps psychiatrique américain à l’utilisation de cette
méthode pourtant validée. Pour tenter encore une fois de
convaincre son public, il rappelle qu’il n’y a pas de relation
forte entre l’intensité des symptômes et les pertes fonctionnelles
du patient. En revanche, il y a une relation significative entre
la qualité des compétences, du soutien environnemental et le
devenir de la réadaptation. Les évaluations initiales du patient
sont donc fondamentales et doivent être faites avec les proches
dans l’environnement réel, non hospitalier. Enfin, le fort désir
des patients impliqués dans la réussite de leur réadaptation est
un moteur important. Cette technique permet de réunir le
patient, ses proches, les professionnels, dans un même moment
autour d’un même projet.
Dix années plus tard, la revue de Mueser et al.
[15]
a montré
l’expansion de cette méthode et confirmé son caractère central
dans la prise en charge du patient schizophrène.
Modèles de vulnérabilité
Origines du concept
Le terme est actuellement employé comme synonyme de
susceptibilité, de prédisposition ou de fragilité. Il est fréquem-
ment question de facteurs de vulnérabilité, au sens de facteurs
de risque pour l’apparition de la maladie ou d’une incapacité à
résister aux contraintes de l’environnement. Le concept postule
l’existence d’un risque variable à manifester un épisode schi-
zophrénique. La vulnérabilité apparaît donc comme une
dimension. Elle repose sur le principe d’une continuité du
normal au pathologique et serait présente chez tous, certains
sujets étant très vulnérables, d’autres faiblement, voire invulné-
rables à la schizophrénie. Dans les modèles de vulnérabilité,
seule la décompensation épisodique est conceptualisée, et non
la maladie au sens classique du terme. Ce n’est pas la schizo-
phrénie qui serait un trouble chronique, mais la vulnérabilité à
produire des épisodes psychotiques.
Les modèles ont pour intérêt d’intégrer les déterminismes
génétiques et biologiques des troubles et les influences environ-
nementales identifiées dans leur évolution. Ils reposent sur
l’hypothèse que la survenue du trouble serait déterminée par
des interactions complexes entre plusieurs facteurs. Ils sont
donc multifactoriels et en rupture avec la conception tradition-
nelle de la maladie comme pathologie chronique d’origine
monofactorielle. Leur élaboration a tiré argument de l’hétérogé-
néité de la maladie mise en évidence par les études longitudi-
nales et génétiques.
D’une part, les états terminaux sont polymorphes et non pas
sévèrement chroniques de façon inéluctable. Plusieurs enquêtes
catamnestiques ont montré que l’évolution est favorable dans
plus de la moitié des cas et qu’elle associe épisodes et périodes
de rémission dans environ 50 à 70 % des cas.
[16-19]
Or, la
majorité des patients inclus étaient hospitalisés avant l’ère des
neuroleptiques. Les rémissions et guérisons observées étaient
donc indépendantes des médicaments. Un récent travail a repris
les résultats de l’étude de Bleuler à la lumière des systèmes
actuels de classification diagnostique.
[20]
Après exclusion des
patients dont le diagnostic de schizophrénie ne fut pas confirmé
(30 %), la distribution des modes d’évolution au long terme n’a
pas changé de façon significative et est restée marquée par
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
37-290-A-10
3Psychiatrie
l’hétérogénéité. Parmi les patients ayant une schizophrénie
strictement définie, la moitié d’entre eux avait une évolution de
la maladie oscillante avec des rémissions et 12 à 15 % étaient
considérés comme rétablis.
Les études ont aussi étayé le caractère artefactuel de la
chronicité. Un changement de milieu ou l’introduction d’une
stimulation sociale adéquate, le rôle thérapeutique joué par les
attentes positives du patient ou de son entourage à l’égard de
la maladie et du traitement peuvent faire évoluer des situations
apparemment déficitaires et enkystées.
D’autre part, les données génétiques de la schizophrénie sont
contradictoires. Le risque morbide chez les collatéraux (parents,
enfants ainsi que fratrie) est supérieur à l’incidence de la
schizophrénie dans la population générale. Les enfants adoptés
avant l’âge de 1 an dont un des parents biologiques est schizo-
phrène ont une fréquence de l’affection de3à10fois plus
élevée que les enfants de parents biologiques sains. Mais les
études gémellaires mettent en évidence que les taux de concor-
dance chez les jumeaux monozygotes varient entre 40 et 60 %
et n’excèdent pas 20 % chez les dizygotes.
Modèles
Zubin et Spring
[21]
furent les premiers à proposer que la
maladie puisse résulter de l’interaction entre une vulnérabilité
permanente et des évènements « provocateurs ».
La vulnérabilité est présente à des degrés variables, détermi-
nant un seuil de tolérance individuel qui définit le niveau
maximal de contraintes auquel un sujet peut résister en sollici-
tant ses compétences adaptatives. Elle est multifactorielle, soit
innée, soit acquise.
La vulnérabilité innée est génétique, conditionnant le
« terrain » organique.
La vulnérabilité acquise est d’origine environnementale.
L’environnement est ici conçu de manière élargie et recouvre à
la fois la notion de milieu interne et la notion de contexte
externe, familial ou social. Elle résulte de complications
obstétricales et périnatales, de certaines affections, de traumatis-
mes comme les déracinements et défaut d’acculturation, des
expériences développementales comme la complexification des
interactions à l’adolescence.
Les évènements « provocateurs » sont de même multifactoriels,
soit endogènes, soit exogènes. Ils perturbent l’homéostasie de
l’individu, l’obligeant à mettre en œuvre des réponses
adaptatives.
Les évènements endogènes concernent le fonctionnement de
l’organisme et sont en lien par exemple avec l’adolescence, la
prise de toxiques. Ils fragilisent le sujet et diminuent sa
tolérance au stress.
Les évènements exogènes se réfèrent aux évènements de vie
sources de stress, qui est lié à une discordance entre la sollici-
tation de l’organisme et la perception que celui-ci a des
réponses possibles. Comme ils sont plus faciles à identifier que
les évènements endogènes, le modèle a fini par se résumer à
celui d’une vulnérabilité au stress. Cela revient à affirmer
qu’évaluer le rôle du stress et des stresseurs dans la schizophré-
nie, c’est indirectement mesurer la vulnérabilité des patients.
Plus que d’un modèle de vulnérabilité, il s’agit donc d’un
modèle stress-vulnérabilité.
Tant que le stress créé par l’évènement demeure inférieur à
son seuil de tolérance, l’individu peut répondre grâce à ses
compétences à s’adapter, à faire face (capacités de « coping »), et
il se maintient dans les limites de la normalité. Quand il excède
le seuil, les stratégies de coping deviennent insuffisantes. Il
génère alors un état de crise repérable à l’existence d’une
tension ou d’une détresse subjective, d’un retrait, d’un compor-
tement inapproprié ou inefficient, de modifications des réac-
tions émotionnelles et d’une perturbation des interactions
affectives et cognitives avec l’environnement. C’est une période
à risque qui passe sans conséquence si la vulnérabilité est faible.
Si elle est élevée, l’évolution vers un épisode psychotique est
possible.
Un patient peut développer un épisode en réaction à des
évènements mineurs, et même s’il n’est pas exposé à un niveau
élevé de stress psychosocial. Car le stress produit chez lui des
effets plus marqués en raison de la limitation de ses capacités
biologiques, psychologiques et sociales d’adaptation.
À l’opposé, un individu peu vulnérable ne déclenche un
épisode (souvent bref) que lors de certaines situations. Chacun
d’entre nous, du fait de circonstances spéciales (biologiques :
LSD ; infectieuses ou sociales : guerre) peut présenter des
symptômes psychotiques plus ou moins persistants en fonction
de la sévérité du stress qui vient déborder nos capacités de
coping.
Quand le stress diminue en dessous du seuil, par exemple
grâce à l’intervention thérapeutique, l’épisode cesse et le sujet
peut retourner à un niveau antérieur d’adaptation. Zubin
propose donc un modèle seuil-dépendant où la durée des
épisodes psychotiques est limitée dans le temps.
Zubin et al.
[22]
ont établi une liste a priori des marqueurs
potentiels, susceptibles d’orienter la recherche. La vulnérabilité
étant la probabilité empirique pour un individu de vivre un
épisode pathologique, elle est permanente. Un marqueur de
vulnérabilité (marqueur de trait) est donc stable : il est présent
avant, pendant, et après l’épisode. Il peut être d’origine envi-
ronnementale, il est génétique le plus souvent (dit endophéno-
typique). Dans ce cas, il est aussi présent chez les apparentés du
1
er
degré apparemment sains. Le marqueur d’épisode (marqueur
d’état) est présent durant l’épisode, seulement chez le patient et
non chez les apparentés sains du 1
er
degré.
Les modèles ultérieurs ont gardé le même esprit, décrivant des
marqueurs de vulnérabilité et d’épisodes. Leurs hypothèses sous-
jacentes et les méthodes de validation les différencient. Ainsi,
on distingue des modèles :
[23]
basés sur la réflexion clinique ;
[23-26]
axés sur la recherche de marqueurs spécifiques de vulnérabi-
lité ;
[27, 28]
proposant l’approche bio-psycho-sociale comme méthode
thérapeutique.
[29, 30]
Pour Ciompi,
[24]
la vulnérabilité est liée au traitement altéré
des situations cognitives et affectives complexes lié au trouble
des « systèmes référentiels cognitivoaffectifs » qui le sous-
tendent. Il distingue trois phases.
[31]
La première est prémorbide, de la conception au premier
épisode. C’est le temps d’élaboration du terrain vulnérable sous
l’influence interactive et prolongée de facteurs biologiques et
psychosociaux qui fragilisent certains systèmes référentiels dans
leur constitution, compromettant leur activation ultérieure dans
le contexte approprié.
En effet, à chaque stade du développement infantile, des
affects et des émotions se sont liés à des possibilités opératoires
pour réaliser des systèmes référentiels cognitivoaffectifs,
véritables « programmes » de pensées, de sentiments et de
comportements qui se sont stabilisés sous l’effet de la répétition
et des interactions avec l’environnement. Ils constituent un
réseau hiérarchique complexe, permettant au sujet de forger son
sens de la réalité, de construire son identité par la différencia-
tion progressive des réalités intérieure et extérieure, et d’élaborer
une représentation d’objet. La neuroplasticité (facilitation et
fixation de la transmission neuronale par le biais de stimula-
tions répétées) serait le phénomène cellulaire clé dans la
constitution et l’activation de ces programmes. Par ce méca-
nisme de mémorisation et « d’inscription » neurobiologique des
effets de l’environnement, la répétition de l’exposition aux
stresseurs psychosociaux faciliterait l’utilisation de voies
neuronales privilégiées impliquées dans les symptômes psycho-
tiques.
[32]
Le support des systèmes référentiels serait le système
limbique en raison de son implication dans les phénomènes de
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Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
4Psychiatrie
mémoire et d’apprentissage, et du rôle qu’y jouent les affects.
Cette hypothèse est étayée par la richesse de ce système en
neuromédiateurs, en particulier dopaminergique, et l’abondance
de ses projections, notamment vers le cortex préfrontal. Le rôle
des projections dopaminergiques préfrontales (mésocorticales)
serait d’augmenter l’activité métabolique dans le cortex pré-
frontal et de lui fournir des informations sur le niveau d’activité
des neurones mésolimbiques que ce cortex modulerait. Dans la
schizophrénie, une désafférentation du cortex préfrontal avec
une inversion de la balance cortico/sous-corticale aboutirait à
une hypoactivité mésocorticale et à une hyperactivité
mésolimbique.
Les facteurs de fragilisation d’origine biologique peuvent être
génétiques, périnataux, ou survenir à une phase ultérieure du
développement. Parmi les facteurs psychosociaux, le rôle des
séparations précoces et prolongées, de certains traumatismes
infantiles et des perturbations du milieu familial est souligné.
La seconde phase survient quand ce terrain vulnérable décom-
pense sous l’influence de facteurs de stress additionnels alors
que les capacités de coping sont réduites. Ceux-ci peuvent être
liés aux étapes du développement (départ de la maison, entrée
dans la vie professionnelle, choix d’un partenaire, grossesse,
naissance d’un enfant), à des modifications hormonales ou à
l’usage de drogues. Le système bascule d’un état fonctionnel à
un régime psychotique aigu.
La troisième phase concerne l’évolution. Elle va de la rémission
complète et durable à la chronicité en passant par la survenue
de multiples exacerbations, conduisant à divers degrés d’états
résiduels. Ces types évolutifs variés correspondent à des moda-
lités d’auto-organisation distinctes, propres à la dynamique des
systèmes complexes dont Ciompi s’inspire par ailleurs pour son
modèle.
Dans leur modèle, Nuechterlein et Dawson
[27, 28]
intègrent
quatre composantes : les caractéristiques durables de vulnérabi-
lité, aussi appelées marqueurs ; l’effet stressant des stimulations
environnementales ; l’existence d’états intermédiaires transitoi-
res précédant l’épisode psychotique et les comportements
résultants (les symptômes schizophréniques).
Ils distinguent trois marqueurs de trait.
Le déficit des ressources attentionnelles et des capacités de
traitement de l’information conditionne le premier marqueur,
qui est donc de nature cognitive. Le filtrage défectueux de
l’information lié au défaut d’attention sélective exposerait le
patient à un excès de stimulations extérieures.
Ce trouble s’associe au deuxième marqueur qui est l’hyper-
réactivité du système nerveux autonome aux stimuli aversifs
(identifiée par l’étude des réponses électrodermales) responsable
d’une hypersensibilité aux situations déstabilisantes, anxiogènes.
Un répertoire comportemental social réduit avec mauvais
contrôle émotionnel et des capacités déficitaires à s’ajuster
socialement de façon efficace (coping) entraîneraient des
perturbations des relations interpersonnelles. Ces perturbations
des interactions sociales constituent le troisième marqueur et ne
sont donc pas que la conséquence des symptômes schizo-
phréniques.
Les évènements stressants qui interagissent avec les facteurs de
vulnérabilité sont de nature sociale (évènements de vie) et
familiale (mauvais étayage familial incapable de jouer un rôle de
tampon).
Les états intermédiaires transitoires se produisent sous l’effet de
cette interaction. Ils précèdent la décompensation. Ils se
manifestent par une surcharge des processus de traitement des
informations, l’augmentation de l’activité du système nerveux
autonome et le traitement non pertinent des stimuli sociaux.
Par un effet de feed-back, ces troubles accroissent l’effet délétère
des stresseurs environnementaux qui, à leur tour, surchargent la
capacité de traitement, aggravent l’hyperéveil et augmentent le
déficit de traitement des stimuli sociaux.
Ces états se manifestent cliniquement par des signes prodro-
miques tels que tension, irritabilité et difficultés de concentra-
tion. Leur devenir dépend des ultimes stratégies d’adaptation
déployées par le patient. Il peut tenter de se protéger des
stimulations par un comportement de retrait, parfois noté dans
les états prodromiques. Il peut aussi affronter ces situations
stressantes, ce qui a pour conséquence d’alimenter le cercle
vicieux. La déficience du traitement provoquerait alors une
désorganisation cognitive responsable d’une fragmentation de la
pensée et de la perception qui contribuerait à briser les liens
entre l’individu et son entourage. Le délire, les hallucinations et
les troubles formels de la pensée se manifestent lorsque le
déficit cognitif serait tel qu’il serait à l’origine d’une altération
du sens de la réalité. Ce niveau correspond aux épisodes
schizophréniques.
Dans leur modèle, Nuechterlein et Dawson évoquent l’exis-
tence de marqueurs intermédiaires appelés facteurs médiateurs
de la vulnérabilité. Présents durant et en dehors de l’épisode
psychotique, ils se distinguent des marqueurs d’épisode et de
vulnérabilité. Leurs variations joueraient un rôle dans l’appari-
tion des états intermédiaires. Parmi les marqueurs de vulnéra-
bilité, les marqueurs neurocognitifs font l’objet d’un grand
intérêt.
Marqueurs neurocognitifs de vulnérabilité
Les études familiales comparant les performances cognitives
des patients, celles de leurs apparentés et celles de sujets sains
appariés constituent la méthodologie la plus intéressante.
L’attention soutenue et les fonctions exécutives ont particuliè-
rement été étudiées.
Les compétences attentionnelles (attention soutenue, empan
attentionnel) des patients et de leurs proches indemnes de la
maladie sont altérées en comparaison de celles des sujets
contrôles.
[33, 34]
Goldberg et al.
[35, 36]
ont étudié des groupes de
jumeaux monozygotes. Cela leur a permis de contrôler la
variabilité génétique et l’influence des facteurs environnemen-
taux, et donc de comparer des patients à un groupe témoin
strictement apparié. Ils ont montré que les patients sont altérés
en comparaison de leur jumeau sain, même lorsque leurs
résultats aux tests évaluant l’attention soutenue, la formation de
concept et la mémoire auraient pu être considérés comme étant
dans les limites normales.
[35]
De plus, la comparaison des sujets
sains issus des couples gémellaires dont l’un des membres est
schizophrène aux couples de jumeaux tous les deux sains a
montré qu’ils sont caractérisés par de subtils déficits cognitifs
concernant les fonctions exécutives (résolution de problème et
rapidité de traitement de l’information) et la mémoire.
[36]
Dollfus et al.
[37]
avaient pour but de déterminer si les
performances exécutives et attentionnelles peuvent être consi-
dérées comme des marqueurs de vulnérabilité. Le test de Stroop
ainsi que les fluences catégorielle et formelle étaient significati-
vement altérés chez les patients et leurs parents en comparaison
de sujets contrôles appariés selon l’âge et le sexe, alors que les
performances au Modified card sorting test (MCST) et au Trail
making test (TMT) ne différaient pas. Ils ont conclu que les
altérations cognitives mises en évidence par les tests de Stroop
et de fluence pourraient être considérées comme des marqueurs
endophénotypiques.
Stresseurs sociaux et environnementaux
Ces évènements transitoires ou ambiants nécessitent une
adaptation que l’individu ne peut plus fournir, dépassant ses
capacités à faire face.
[38]
Parmi les stresseurs déjà cités, certains
méritent une attention particulière.
L’arrêt du traitement antipsychotique est le premier stress. En
supprimant la protection médicamenteuse, il abaisse le seuil de
déclenchement des symptômes.
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
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Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie

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