les progénitrices, se différencient en majorité en neurones et
migrent dans la couche cellulaire du gyrus denté. Là, ils matu-
rent progressivement, envoient des axones vers les neurones
pyramidaux du champ CA3 de l’hippocampe et font pousser des
dendrites et des épines qui reçoivent des projections des neuro-
nes afférents du cortex entorhinal, devenant ainsi fonctionnel-
lement intégrés aux réseaux de neurones existants (Kemper-
mann et al., 2004a ; Song et al., 2005). Quel pourrait être le rôle
fonctionnel de ce nouveau type de plasticité ? S’agit-il d’un
mécanisme de remplacement compensant partiellement les
pertes neuronales ou a-t-il un rôle spécifique dans certaines
fonctions cognitives ? On est encore loin de connaître les ré-
ponses à ces questions, mais plusieurs données récentes mon-
trent que l’expérience comportementale peut moduler cette
neurogenèse chez l’adulte. Par exemple, lorsque des animaux
sont placés quelques heures par jour pendant deux semaines
dans des environnements enrichis en stimulations sensorielles
et sociales (Kempermann et al., 1997 ; Bruel-Jungerman et al.,
2005) ou lorsqu’ils sont soumis à un exercice physique intense
(Van Praag et al., 1999), deux situations qui améliorent les
capacités d’apprentissage et de mémoire, mais aussi certains
apprentissages (Gould et al., 1999a ; Shors et al., 2001 ; Kemper-
mann et al., 2004b), et peuvent augmenter considérablement la
production de nouveaux neurones dans le gyrus denté de l’hip-
pocampe. Le blocage expérimental de cette neurogenèse s’ac-
compagne de déficits dans certains apprentissages et d’une
suppression des effets promnésiques de l’enrichissement com-
portemental. Peut-on en conclure qu’apprendre, c’est aussi for-
mer de nouveaux neurones ? Ces nouveaux neurones sont-ils
impliqués dans le codage de l’information en cours d’apprentis-
sage ou au contraire permettent-ils simplement d’augmenter la
capacité de traitement et de stockage du système pour des
apprentissages ultérieurs ? Peut-on imaginer faciliter ces méca-
nismes de neurogenèse pour tenter de compenser les déficits
mnésiques associés à certaines atteintes pathologiques ou mala-
dies neurodégénératives ? Il est encore beaucoup trop tôt pour
le dire.
La persistance des souvenirs
Pendant longtemps, on a cru que les souvenirs, une fois
consolidés et stockés, restaient inchangés, prêts à être rappelés à
la demande. Pourtant, cela ne semble pas être toujours le cas.
Des recherches montrent que le fait de rappeler certains souve-
nirs peut les effacer ou les rendre indisponibles. Il semble que les
traces mnésiques de ces souvenirs doivent, juste après leur
rappel, être une nouvelle fois consolidées pour être de nouveau
disponibles pour un rappel ultérieur. Ce phénomène est appelé
la reconsolidation mnésique (Nader, 2003 ; Alberini, 2005). Plus
surprenant encore, il semble bien qu’une grande partie des
mécanismes moléculaires nécessaires à la consolidation initiale
des souvenirs – activation de récepteurs synaptiques, de kinases,
régulation de gènes et synthèses de protéines – soit de nouveau
remise en action après le rappel pour reconsolider ces souvenirs.
Si ces mécanismes cellulaires ne sont pas réactivés, un souvenir
pourtant bien consolidé pourrait être oublié. Par exemple, plu-
sieurs études montrent que le blocage de la synthèse protéique
pendant le rappel d’une information mémorisée ne perturbe
pas un second rappel demandé peu de temps après, mais en-
traîne un déficit important si ce second rappel est différé, par
exemple 24 heures plus tard (Nader et al., 2000 ; Milekic et
Alberini, 2002). Au laboratoire, nous avons également montré
que l’activation des MAPK et du gène zif268 est aussi nécessaire
à la reconsolidation d’une mémoire de reconnaissance d’objets
après rappel, qu’elle l’est lors de la consolidation initiale des
souvenirs (Kelly et al., 2003 ; Bozon et al., 2003). Pourtant, ces
études sont encore à leur début et certaines données tendent à
montrer qu’il pourrait y avoir des spécificités dans les mécanis-
mes moléculaires de la consolidation et de la reconsolidation
(Alberini, 2005). Beaucoup d’autres questions sur ce phéno-
mène de reconsolidation post-rappel restent ouvertes. S’il sem-
ble correspondre à une reconstruction du souvenir, il est possi-
ble qu’il serve à incorporer de nouvelles informations à nos
souvenirs pour les réactualiser, ou encore à mettre en mémoire
de nouveaux souvenirs liés au précédent, créant plusieurs copies
de souvenirs proches ou reliés. Doit-on pour autant reconsoli-
der tous nos souvenirs à chaque rappel, jusqu’à notre adresse,
des lieux familiers ou encore la signification des mots du voca-
bulaire ? Cela paraît improbable. Actuellement, on ne sait pas si
ce phénomène de reconsolidation après rappel se produit pour
tous les types de souvenirs, qu’ils soient récents, anciens ou
souvent rappelés, ou qu’ils concernent des mémoires épisodi-
ques, sémantiques ou procédurales. Toutefois, cette notion de
vulnérabilité récurrente des souvenirs montre que nous ne
devons plus penser à notre mémoire comme quelque chose de
fixe que l’on pourrait “sortir” et “remetttre en place” sous la
même forme après chaque usage, mais comme quelque chose de
dynamique qui change continuellement. La question devient
alors : comment peut-on être sûr de notre sens du passé ? La
mémoire n’est peut-être pas aussi fidèle qu’on le pensait.
M
Références
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Les mécanismes de la mémoire
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