La transmission culturelle et la plasticité cérébrale

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Le 23 janvier 2014
La transmission culturelle et la plasticité cérébrale
Marc CROMMELINCK
Professeur émérite de la Faculté de Médecine de l’UCL,
psychologue, spécialiste des neurosciences
1. Introduction
Les neurosciences font partie de la physiologie du système nerveux central (parole,
émotions, perception, conscience). Elles se situent à l’interface entre les sciences naturelles
et les sciences humaines.
La pensée occidentale a été profondément influencée par la pensée grecque et la pensée
judéo-chrétienne : l’esprit est une substance d’un ordre distinct de celle du corps. Il s’agit
d’une conception dualiste (Descartes). La transmission de la culture et de toutes ses formes
symboliques produites par l’esprit - c.à.d. les compétences de base (langage, écriture,
lecture), les sciences, les arts et les systèmes d’idées - ont dès lors été comme des
« exceptions » par rapport à la transmission naturelle.
Toutefois, actuellement, plusieurs approches - parmi lesquelles les neurosciences -
remettent ce dualisme en question.
2. La plasticité cérébrale
Le scientifique n’a pas besoin d’un concept de l’esprit pour faire des sciences.
Tout élément de culture est inscrit dans la matière. L’homme extériorise son esprit et toute
recherche de sens laisse des traces.
La plasticité :
En physique, c’est une déformation qui se maintient.
En neurosciences, c’est la « modifiabilité » relative à court et à long terme des
réseaux nerveux sous l’action de facteurs ’environnementaux (physiques, sociaux,
symboliques, historiques).
La cellule nerveuse (ou neurone) est composée d’un corps cellulaire et de prolongements.
Les contacts entre les neurones ont lieu au niveau des synapses. L’encéphale adulte compte
100 milliards de neurones; chaque neurone établit 10.000 connexions synaptiques.
Un neurone peut avoir plusieurs fonctions; une assemblée de neurones est responsable
d’une fonction, comme par exemple la mémoire du visage de quelqu’un.
On perd des neurones dès l’âge de 25 ans, mais grâce aux assemblées de neurones la
trace d’éléments de l’environnement peut être conservée.
Ces traces durables spécifient :
La singularité de chaque individu au sein de l’espèce humaine (mémoire
autobiographique)
L’universali, c.à.d. la transmission du patrimoine culturel, du monde commun à une
collectivité.
Le cortex cérébral humain comprend des aires différentes : langage articulé, audition, vision,
fonction motrice…. Une carte est une représentation de l’espace sur un support. Chaque
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point du cortex correspond à une stimulation d’une partie spécifique du corps. L’organisation
des cartes corticales est semblable chez tous les individus d’une espèce donnée. Elle est
surtout déterminée par des facteurs génétiques.
Afin de déterminer si un apprentissage peut modifier ces cartes corticales, des travaux ont
été réalisés sur des musiciens. Plusieurs études ont montré l’existence d’une réorganisation
corticale chez les musiciens ayant bénéficié d’un apprentissage musical intensif et de longue
durée. Ces études ont eu recours à la magnétoencéphalographie (= analyse des courants
magnétiques produits par le cortex). L’âge du début de l’apprentissage influence la plasticité
chez le musicien : plus l’apprentissage est précoce, plus le cerveau est plastique.
A la base, notre cerveau n’est pas équipé pour l’apprentissage de la lecture (pas de
prédisposition génétique) ; en outre, la pression sélective sur la lecture a longtemps été très
faible ; c’est pourquoi le cerveau ne s’est pas adapté (cf. Stanislas Dehaen : « Les neurones
de la lecture »). Une fois 4-5 ans, le cerveau gauche de l’enfant est prêt pour l’apprentissage
de la lecture : la petite aire qui traitait les visages jusqu’à 4-5 ans va devenir plastique pour
prendre en charge l’écriture et la lecture. A ce stade, quelques mois suffisent à
l’apprentissage. Par contre, apprendre à lire à des analphabètes est un processus très long,
car leur cerveau manque de spasticité puisqu’on a dépassé la fenêtre de plasticité.
Les neurophysiologistes ont une responsabilité éthique. Il est par exemple important que
ceux qui mettent des structures d’aide en place connaissent l’existence de ces fenêtres.
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Questions – Réponses
1. Pour améliorer la plasticité cérébrale d’une personne âgée, il faut entrainer le cerveau.
La motivation, le désir d’interaction et de stimulation sont des remèdes. Il faut entretenir
la réserve cognitive. L’important, c’est le nombre de cellules, pas les connexions.
2. En cas de nouvel apprentissage, une réorganisation des cellules a lieu. Au début de la
lecture, on a parfois des pseudo-dyslexies. En effet, le principe de codage de la vision
est la symétrie. Or, pour apprendre à lire, il faut abandonner la symétrie pour adopter la
dissymétrie (cf. « Les neurosciences cognitives à l’école » S. Dehaene). Une lecture
purement globale semble beaucoup moins efficace que la lecture analytique.
3. Certaines personnes ne sont pas physionomistes. Une adulte peut garder en mémoire 5
à 10 000 visages. Mais il existe de grandes différences individuelles, sans que ce soit lié
à des syndromes spécifiques.
4. Le bilinguisme précoce est très efficace ; cependant, à partir de 3 langues on constate
une confusion. Plus tard, un accent persistera.
5. Un AVC entraine plus ou moins de handicap en fonction de la localisation et de la
profondeur de la lésion, et de la récupération. Si l’adulte récupère, cela signifie que l’AVC
n’a pas détruit tout l’hémisphère. Il n’y a pas de cicatrisation, ni de nouvelles cellules. Il y
a eu des tentatives d’injections de cellules souches, mais la prolifération cellulaire est
difficile à contrôler ; or elle peut favoriser le développement de tumeurs.
6. Avec les jeunes enfants, il est essentiel de jouer avec les images, de leur apprendre à
coder des différences au niveau graphique et auditif, de mobiliser leur motricité, de
chanter avec eux.
7. Dans le ventre de sa mère, le système auditif est vite mature. L’enfant entend surtout la
prosodie de la voix de sa mère. Il est possible que le fait d’entendre de la musique soit
décodé par l’embryon.
8. La fenêtre de plasticité de l’attachement mère-enfant est très précoce.
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