LES FONDEMENTS
COGNITIFS DE
L’INTELLIGENCE
Les travaux des psychologues factorialistes dans le domaine de l’intelligence ont
permis d’édifier des représentations fournissant une description de la structure des
aptitudes intellectuelles commune à tous les individus à partir de l’information
apportée par les tests (cf. chapitre 3). Pour autant, ces approches descriptives
n’informent que très peu sur les processus intellectuels qui sous-tendent la
performance observée aux tests. Comment alors atteindre, au-delà du constat des
différences de performance, les mécanismes ayant engendré celles-ci ?
Avec l’essor, vers la fin des années 50, de la psychologie cognitive générale et le
développement de méthodes de recherche permettant une exploration fine des
processus mentaux mis en œuvre dans le fonctionnement cognitif, les psychologues
différentialistes ont progressivement pris conscience des avantages à tirer de
l’application des outils conceptuels et méthodologiques de l’approche du traitement
de l’information à l’étude des aspects cognitifs des différences individuelles. Ainsi
est un domaine d’investigation original se proposant d’appliquer les approches
expérimentale et différentielle à l’étude de la relation entre mécanismes cognitifs et
intelligence mesurée par les tests. L’intégration de l’approche fonctionnelle de la
cognition et de l’analyse des différences individuelles offre des perspectives très
intéressantes. Elle contribue tout d’abord à l’identification des mécanismes cognitifs
qui sous-tendent les différences de performance aux tests. A ce titre, elle éclaire sous
un autre jour les théories de l’intelligence et des aptitudes humaines. Elle contribue
aussi à l’identification de variations individuelles dont le caractère systématique a
pu échapper aux théories générales de la cognition mais doit être pris en compte.
Ce chapitre illustre la diversité des points de vue et des thodes d’investigation
mises en œuvre pour réaliser ce projet. Nous verrons qu’un premier ensemble de
travaux a échoué à « localiser » les processus élémentaires responsables des
différences d’efficience intellectuelle. Une autre direction de recherche combinant
les approches expérimentale et différentielle s’est intéressée aux ressources de
traitement du système cognitif humain en tant que composante stable et générale de
la cognition. Les résultats obtenus n’éclairent cependant que très partiellement les
différences individuelles de performance aux tests d’intelligence. On peut également
douter de la valeur d’une explication générale des différences de performance aux
tests d’intelligence tant est grande la diversité inter- et intra-individuelle des
stratégies desolution mises en œuvre, tant est complexe le jeu des relations entre
processus de haut niveau (impliqués par exemple dans la planification et la sélection
des stratégies, la surveillance et le contrôle de l’activité cognitive, etc.) et
connaissances générales ou plus spécifiques.
L’examen d’ensemble des faits d’expérience dont certains sont présentés et discutés
dans ce chapitre suggère que le produit de l’activité cognitive doit être compris
comme le résultat d’une interaction entre différents niveaux d’intégration de la
connaissance, différents degrés de savoir-faire, différents types de processus
cognitifs, les processus de contrôle de l’activité cognitive s’alimentant pour leur part
à des connaissances situées à un niveau supérieur d’organisation. En conséquence,
les différences d’efficience intellectuelle mises en évidence par les tests sont à
comprendre comme des différences dans le fonctionnement d’un système d’unités
cognitives interdépendantes qu’il est souhaitable d’appréhender à des niveaux
d’organisation différents.
LECTURES CONSEILLÉES
Ouvrages généraux :
HUTEAU, M., & LAUTREY, J. (1999). Evaluer l’intelligence : psychométrie
cognitive. Paris : Presses Universitaires de France.
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La quatrième partie de l’ouvrage (« Les perspectives de renouvellement ») présente
un bilan des travaux sur les différences de traitement de l’information responsables
des différences de performance aux tests.
MACKINTOSH, N.J. (2004). QI et intelligence humaine. Bruxelles : DeBoeck
Université.
Texte très accessible qui aborde de manière critique la notion de QI sous forme de
synthèse bien documentée de l’approche cognitive expérimentale des aptitudes
intellectuelles.
Pour aller plus loin :
LAUTREY, J. (Ed.) (1995). Universel et différentiel en psychologie. Paris : P.U.F.
Pour avoir un aperçu général de la psychologie différentielle. Certains textes de cet
ouvrage collectif complètent plusieurs des thèmes abordés dans ce chapitre.
LAUTREY, J., & RICHARD, J.-F. (Eds.) (2005). L’intelligence. Paris : Lavoisier.
La diversité des approches qui caractérise cet ouvrage témoigne de la multitude des
points de vue qui ont été adoptés pour étudier l’intelligence. La première partie
L’intelligence vue comme compétence individuelle ») est en lien avec certains des
points abordés dans ce chapitre.
REUCHLIN, M. (1999). Evolution de la psychologie différentielle. Paris : PUF.
Cet ouvrage regroupe un ensemble d’articles théoriques portant par exemple sur les
relations entre psychologie générale et psychologie différentielle, la différenciation
interindividuelle, les différences individuelles dans le fonctionnement cognitif, etc.
WILHELM, O., & ENGLE, R.W. (Eds.) (2005). Handbook of understanding and
measuring intelligence. London: Sage Publications.
Le lecteur trouvera dans cet ouvrage récent des revues de question consacrées à des
points traités dans ce chapitre : le rôle de la mémoire de travail dans la cognition
(chapitres 5, 6, 22 et 23), les liens entre connaissance et intelligence (chapitres 7, 8
et 20).
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A
L’INFLUENCE DE LA
PSYCHOLOGIE COGNITIVE
La psychologie cognitive dont le développement a révolution les conceptions
classiques de l’intelligence humaine, s’est progressivement dessinée en psychologie
expérimentale à partir des années 60. Elle peut être présentée aujourd’hui comme
l’étude des processus mentaux mis en jeu dans l’attention, la perception, la
mémoire, le langage, le raisonnement, etc., ainsi que celle de la connaissance, de son
organisation, de son utilisation et des mécanismes par lesquels elle s’acquiert (cf.
Grand Amphi, Psychologie Cognitive). S’il existe une grande variété de modèles du
fonctionnement cognitif, les psychologues qui étudient la cognition humaine ont
tous en commun de définir un niveau de description fondamental qui est celui du
traitement de l’information et d’explorer les processus mentaux au moyen de
paradigmes permettant de tester des hypothèses sur le fonctionnement du système
cognitif humain.
La démarche qu’adopte la psychologie cognitive est la même que celle des autres
disciplines scientifiques. Elle consiste d’abord à élaborer une théorie, un ensemble
de principes explicatifs qui visent à rendre compte d’une catégorie donnée de
phénomènes cognitifs. Des prédictions vérifiables (ou hypothèses) déduites de cette
théorie sont ensuite soumises à l’épreuve des faits. Pour cela, on imagine des
situations contrôlées visant à provoquer des conduites. Ces situations
expérimentales permettent de recueillir aussi rigoureusement que possible des
données d’observation, grâce auxquelles le caractère de vraisemblance des
hypothèses peut être empiriquement testé et évalué statistiquement. La réplication
des résultats obtenus permettra d’étayer la formulation de nouvelles hypothèses
susceptibles d’enrichir la théorie.
1. Un schéma minimal d’architecture cognitive
Pour des raisons qui tiennent à la démarche adoptée, les modèles de la psychologie
cognitive évoluent et l’interprétation d’un phénomène cognitif donné peut être
rapidement remise en question par de nouvelles données empiriques non
compatibles avec les prédictions du modèle. On peut néanmoins tenter de dégager
quelques propositions fonctionnelles minimales susceptibles d’être appliquées à une
large variété de phénomènes cognitifs.
Le schéma d‘architecture cognitive présenté ci-après met l’accent sur plusieurs
catégories de processus en relation avec différentes étapes du traitement de
l’information. L’information sensorielle doit d’abord être transformée en une
information de nature symbolique (par exemple, la perception d’un stimulus visuel
donnera lieu à la construction d’une image mentale). Des processus cognitifs
opèrent alors pour sélectionner l’information pertinente (fonctions attentionnelles),
organiser, interpréter et maintenir active cette information en mémoire temporaire
(fonction mémoire de travail). L’action de ces processus, y compris les plus
précoces, est guidée par les connaissances stockées en mémoire à long terme
(arrière-plan de connaissances).
Schéma d’architecture cognitive
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processus attentionnels
sélection
encodage
mémoire sensorielle
Mémoire de travail
Mémoire à long terme
arrière-plan de connaissances structurées par domaines
récupération, intégration,
organisation
activation, coordination
Evénements
externes
Réponse
Le psychologue qui étudie les différences individuelles dans le fonctionnement
intellectuel peut s’appuyer sur ce cadre théorique très général pour chercher à
identifier les mécanismes cognitifs susceptibles d’expliquer les différences de
performance aux tests d’aptitudes et d’intelligence.
2. L’interprétation cognitive des différences de performance aux tests
L’approche différentielle du fonctionnement intellectuel, prédominante en
psychologie de l’intelligence jusqu’à la fin des années 50, a progressivement suscité
des critiques de plus en plus vigoureuses. Les critiques d’ordre théorique remettaient
en question la conception, à la fois dispositionnelle et statique, que certains
différentialistes de l’époque avaient largement contribué à valider et diffuser. On
reprochait aussi à ces derniers d’utiliser une méthode essentiellement descriptive ne
permettant pas la confrontation d’explications psychologiques rivales des
différences de performance aux tests d’aptitudes (cf. chapitre 2, l’analyse factorielle
confirmatoire). Pour beaucoup de psychologues différentialistes pourtant, les
résultats des analyses factorielles pouvaient être interprétés en termes de processus
psychologiques sous-jacents. Ceux-ci ont donc été de plus en plus nombreux à
réaliser les possibilités offertes par les concepts de la psychologie cognitive pour
décrire et expliquer les différences individuelles dans le fonctionnement intellectuel.
Au milieu des années 70, Carroll, un psychologue spécialiste de l’analyse
factorielle, suggère de faire appel aux concepts de la psychologie cognitive pour
« interpréter » les sources de variation de la performance aux tests. Pour mener à
bien cette première spécification, Carroll s’appuie sur un modèle de fonctionnement
cognitif très influent à l’époque, le modèle en systèmes de production de Newell et
Simon (1972) pour préciser comment et dans quelle mesure les différences liées aux
structures, aux processus et à leur organisation pourraient contribuer aux différences
révélées par l’analyse factorielle.
Note marginale *******************************************************
Le modèle en systèmes de production est défini comme un ensemble ordonné de
séquences de production (condition-action : si...alors) impliquées dans la sélection
de l’information, le traitement et le stockage de l’information en mémoire à court
terme, le stockage et la récupération en mémoire à long terme, etc.
************************************************ fin de la note marginale
Prenons pour exemple le facteur primaire de vitesse perceptive dont un des
meilleurs indicateurs est le test des Figures Identiques. L’analyse cognitive qu’en
propose Carroll fait référence à la nature des stimuli, aux contenus mentaux
correspondants, aux opérations sur ces contenus et aux produits qui en résultent.
Elle se traduit par les hypothèses suivantes: 1) les processus sous-jacents sont des
processus de recherche visuelle ; 2) les différences individuelles sont principalement
associées à des paramètres temporels (vitesse d’encodage, vitesse de comparaison);
3) la structure impliquée est la mémoire à court terme (stockage temporaire d’une
information visuo-spatiale).
Encadré*************************************************************
Test des Figures Identiques : test papier-crayon de la batterie des Aptitudes
Mentales Primaires de Thurstone. Pour chaque item, le sujet a pour consigne de
retrouver dans une série de formes simples celles qui sont identiques à une figure de
référence (les bonnes réponses sont en noir dans l’exemple ci-dessous). Le score au
test est le nombre d’items auxquels le sujet a répondu correctement en un temps
donné (2 planches d’items à résoudre en 3 mn).
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Les tests de ce type saturent le facteur de vitesse perceptive décrit comme la rapidité
avec laquelle un individu peut comparer des figures et les retrouver au sein d’un
ensemble d’autres figures (cf. chapitre 3).
******************************************************Fin de l’encadré
Mais cette description a posteriori des variables latentes dont l’analyse factorielle
révèle l’existence n’est que peu satisfaisante si les conclusions tirées ne sont pas
ultérieurement mises à l’épreuve. Cette prise de conscience va conduire au
développement d’une approche dans laquelle les différences individuelles dans le
fonctionnement cognitif sont étudiées à partir de données d’observation recueillies
dans des situations expérimentales.
3. L’étude expérimentale des bases cognitives de l’intelligence
Les premiers travaux réalisés dans ce domaine reposent sur l’hypothèse qu’un
nombre réduit de mécanismes cognitifs généraux joue un rôle fondamental dans la
performance aux tests. Certains chercheurs ont ainsi étudié les corrélations entre la
vitesse d'exécution et/ou l'efficacité de processus élémentaires mesurés dans un
cadre expérimental spécifié et la performance aux tests d’intelligence ou d’aptitudes.
D’autres ont proposé de décomposer l'activité mentale mise en jeu lors de la
résolution d’items de tests d’intelligence en modélisant les étapes du traitement de
l’information. Quelle que soit l’approche privilégiée, on admet que les valeurs des
paramètres de traitement de l’information ainsi mesurés sont fonction de l’efficacité
de processus cognitifs de base qu’il s’agit d’identifier (section B). L’interprétation
de ces paramètres est souvent réductionniste.
Note marginale*******************************************************
Réductionnisme : réduction systématique d’un niveau de description et
d’explication à un autre niveau de description et d’explication ; réduire par exemple
le psychologique au biologique (les différences d’intelligence sont principalement
dues à des différences dans la vitesse de transmission de l’influx nerveux), le
psychologique au social (les différences dans le développement cognitif sont
essentiellement dues à des facteurs sociaux).
************************************************Fin de la note marginale
Un autre courant de recherches, plus soucieux que les précédents de références
théoriques explicites et validées par la psychologie cognitive, s’est ensuite tourné
vers les notions d’allocation des ressources attentionnelles et de capacité de la
mémoire de travail pour expliquer les différences de performance aux tests
d’intelligence. L’objectif des travaux effectués dans cette perspective est d’élucider
le rôle des ressources de traitement de l’information dans la performance aux tests
tout en considérant que les processus sous-jacents opèrent de manière relativement
indépendante des contenus symboliques (section C).
Les postulats qui fondent ces approches générales se sont cependant révélés parfois
peu compatibles avec les faits. L’approche élémentariste de l'activité mentale s’est
par exemple heurtée à la diversité des procédures mises en jeu pour résoudre une
tâche donnée. L’approche des ressources de traitement n’apporte de son côté qu’un
éclairage limité au rôle des connaissances dans la perception et la compréhension de
l’information à traiter. Si l’individu face aux demandes de la tâche peut en effet ne
pas allouer les ressources de traitement suffisantes pour mettre en œuvre une
stratégie de résolution adaptée, il peut aussi ne pas disposer des connaissances
nécessaires lui permettant la sélection de la stratégie la plus adaptée. On conçoit
donc, sur les bases de ce qui précède, l’intérêt à adopter un point de vue qui tienne à
la fois compte des contraintes imposées par la tâche et des connaissances et
ressources de l’individu. Plusieurs voies de recherche ont été empruntées.
L’une d’entre-elles a consisté à décrire les stratégies individuelles utilisées lors de la
résolution d’items de tests d’intelligence et à étudier l’évolution des choix
stratégiques avec l’apprentissage. Quantitative jusqu’alors, l’approche des bases
cognitives de l’intelligence s’est intéressée à des aspects plus qualitatifs du
traitement de l’information en tentant de mieux comprendre le rôle des choix
stratégiques et celui de la flexibilité de ces choix dans les différences de
performance aux tests (section D).
L’idée que les différences de performance aux tests d’intelligence renvoient, au
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