STRUCTURE DE GROUPE ET FINANCEMENT DES ENTREPRISES

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UNIVERSITE PARIS XII – VAL DE MARNE
ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES (ESA)
INSTITUT DE RECHERCHE EN GESTION (IRG)
STRUCTURE DE GROUPE ET FINANCEMENT
DES ENTREPRISES
THESE
Pour l’obtention du titre de
DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION
Doctorat ès Sciences de Gestion conforme au nouveau régime défini par l’arrêté du 30 mars 1992
Présentée et soutenue publiquement par
Benoît JAMET
Thèse dirigée par le Professeur Edith GINGLINGER
Soutenue le 26 Novembre 2003
JURY :
Président du Jury : Professeur Pascal LOUVET – Université Pierre Mendès-France de
Grenoble 2 – CERAG
Directeur de recherche : Professeur Edith GINGLINGER – Université de Paris-Dauphine –
CEREG
Rapporteurs : Professeur Jacques HAMON – Université de Paris-Dauphine – CEREG
Professeur Frédéric LOBEZ – Université de Lille 2 – GERME
Suffragant : Professeur Jean-François GAJEWSKI – Université de Paris XII-Val de Marne –
IRG
UNIVERSITE PARIS XII – VAL DE MARNE
ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES (ESA)
INSTITUT DE RECHERCHE EN GESTION (IRG)
STRUCTURE DE GROUPE ET FINANCEMENT
DES ENTREPRISES
THESE
Pour l’obtention du titre de
DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION
Doctorat ès Sciences de Gestion conforme au nouveau régime défini par l’arrêté du 30 mars 1992
Présentée et soutenue publiquement par
Benoît JAMET
Thèse dirigée par le Professeur Edith GINGLINGER
Soutenue le 26 Novembre 2003
JURY :
Président du Jury : Professeur Pascal LOUVET – Université Pierre Mendès-France de
Grenoble 2 – CERAG
Directeur de recherche : Professeur Edith GINGLINGER – Université de Paris-Dauphine –
CEREG
Rapporteurs : Professeur Jacques HAMON – Université de Paris-Dauphine – CEREG
Professeur Frédéric LOBEZ – Université de Lille 2 – GERME
Suffragant : Professeur Jean-François GAJEWSKI – Université de Paris XII-Val de Marne –
IRG
C’est une tâche assez ardue de rédiger quelques mots de remerciements pour la réalisation
d’un travail de recherche qui aura duré 4 ans, ceci en raison du nombre de personnes
rencontrées, des évolutions ayant marqué ma vie professionnelle et personnelle, et de la
multiplicité des postes occupés.
Il est pourtant naturel de commencer en remerciant chaleureusement Madame le Professeur
Edith Ginglinger, qui, depuis mon année de DEA, a encadré et guidé l’avancée de mes
travaux. C’est tout autant pour la pertinence et la justesse de ses conseils scientifiques, mais
surtout pour la disponibilité et la gentillesse dont elle a fait preuve tout au long de ces années
que je souhaite lui exprimer aujourd’hui toute ma gratitude. J’espère d’ailleurs que cette
collaboration, fondée sur le respect et la confiance mutuelle, durera dans les prochaines
années.
Je remercie également MM. les Professeurs Louvet, Hamon, Lobez et Gajewski, et Mme le
Professeur Ginglinger, de m’avoir fait l’honneur de participer à ce jury.
Je souhaite également témoigner toute mon amitié aux membres de l’Institut de Recherche en
Gestion de l’Université Paris 12, qui m’ont apporté une aide précieuse et un encadrement
efficace pendant les trois premières années de ma thèse. Je citerai entre autres les professeurs
Jean-François Gajewski, Nathalie Mourgues, Pascal Grandin et Gérard Koenig, qui m’ont
accordé leur confiance et leur soutien. De plus, je voudrais souligner la disponibilité de
Gabrielle Stragand, d’Armelle Glérant-Glickson, et d’Arnaud Thauvron. Enfin, je profite de
ces quelques lignes pour remercier et exprimer toute ma sympathie à mes camarades
doctorants, et notamment, Simon Atron, Florence Amans-Labégorre, Shéhérazade Gatfaoui,
Eric Ducros, Sabri Boubaker, et tous ceux que j’oublie.
Ma volonté de quitter Paris m’a amené à exercer mes fonctions d’ATER à l’IUT de Valence,
et à rejoindre l’équipe de recherche du CERAG de l’Université Pierre Mendès-France de
Grenoble. A ce titre, j’aimerais remercier les responsables de l’IUT pour leur accueil amical
et leur compréhension, qui m’ont permis d’achever sereinement ma thèse : je pense entre
autres à Gérard Jouve, Philippe Madiès, Yves Lequin, Stéphanie Karcher, Laurence Carsanna
et Sabine Reydet, et à tous mes collègues enseignants. De plus, mon intégration au laboratoire
du CERAG a été largement facilitée par l’enthousiasme de ses membres, et notamment par la
bienveillance des professeurs Pascal Louvet et Patrice Fontaine, et de Charlotte Disle.
Mon entourage personnel a été un élément clé de ma réussite grâce à l’affection, le réconfort
et le soutien moral que ces êtres qui me sont chers m’ont naturellement apportés. Ma famille,
et particulièrement mes parents Denise et Jean-François, mon frère Matthieu et sa femme
Hélène (et Lise !), a constitué un allié de tous les instants que toute ma reconnaissance ne
pourra jamais assez remercier. Enfin, comment ne pas rendre hommage à la personne qui
partage ma vie, qui a enduré tous les moments difficiles et vécu les instants de joie, et qui m’a
fait don de son amour : Sabrina Pruvot. Ma dernière pensée ira à mes deux grand-mères,
Suzanne et Yvonne, et mon grand-père Camille, disparus durant ces années d’études, et qui,
j’espère, seraient fiers de moi.
INTRODUCTION GENERALE
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Introduction PARTIE 1
13
CHAPITRE 1 : Réaction des cours à l’annonce d’une
augmentation de capital au sein d’une structure mère/filiale
17
Section 1 : Développements théoriques, définition des hypothèses
de recherche et présentation de la méthodologie empirique générale
18
I – Hypothèses des études d’ événements
1.1 Mise sur le marché d’ une filiale et impact sur la valeur du groupe
1.2 Emission d’ actions de la filiale et expropriation de richesse des
actionnaires minoritaires
1.3 Asymétrie d’ information, émission d’ actions et hypothèse
de sélection adverse
1.4 Opportunités d’ investissement et réaction des cours à l’ annonce
19
19
II – Méthodologie générale des études d’ événements
2.1 Nature de l’ événement et date d’ annonce
2.2 Calcul des rentabilités anormales et des tests statistiques
2.3 Normes et modèles d’ estimation
27
27
28
30
Section 2 : Construction de l’échantillon et statistiques descriptives
31
I - Echantillonnage et données recueillies
32
II - Statistiques descriptives : Emissions d’ actions de filiales et de
sociétés mères sur le marché financier français entre 1986 et 2000
34
1
21
23
25
Section 3 : Etudes d’événements et résultats empiriques
I - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital
réalisée par la filiale
1.1 Réaction du cours des actions des filiales émettrices
1.2 Réaction des titres des sociétés mères correspondantes
1.3 Etude des combinaisons de signes et calcul
des performances passées
II - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation
de capital réalisée par la société mère
2.1 Réaction des actions des sociétés mères émettrices
2.2 Réaction des actions des filiales correspondantes
2.3 Analyse des combinaisons de signes et des performances
passées
III - Synthèse et interprétation des résultats
3.1 Résumé des résultats empiriques
3.2 Réaction des titres des sociétés mères non émettrices :
une autre interprétation possible
39
40
40
42
44
45
45
46
48
49
49
50
CHAPITRE 2 : Déterminants de la réaction des cours
à l’annonce et choix de l’entité émettrice
54
Section 1 : Déterminants des réactions des cours à l’annonce
55
I – Hypothèses de recherche et présentation du modèle d’ analyse :
quels facteurs influencent les effets d’ annonce ?
1.1 Nature du problème de sélection adverse
1.2 Facteurs explicatifs liés à la structure de groupe
1.3 Caractéristiques financières des firmes
1.3.1 Influence des opportunités d’ investissement
1.3.2 Influence des performances passées
1.3.3 Indicateurs d’ asymétrie d’ information
1.4 Caractéristiques de l’ opération
1.4.1 Taille de l’ offre
1.4.2 Emissions directes et émissions avec DPS
1.5 Modèle d’ analyse testé et synthèse des hypothèses de recherche
56
56
58
60
60
61
63
63
63
65
65
II – Résultats empiriques : Modèle général
2.1 Tests univariés de différences de moyennes
2.2 Tests multivariés (I)
66
66
68
III – Explication des rentabilités anormales des filiales émettrices
3.1 Présentation du modèle d’ analyse
3.2 Tests multivariés (II)
71
71
73
2
IV – Explication des rentabilités anormales des sociétés mères
non émettrices
4.1 Hypothèses de sélection adverse et de désinvestissement
4.2 Tests multivariés (III)
75
75
77
Section 2 : Choix de l’entité émettrice et probabilité d’émission
de la filiale par rapport à la mère
79
I – Théories de structure de capital et adaptation à l’ étude
des structures de groupe
1.1 Théorie du financement hiérarchique
1.2 Structure de capital optimale : théorie du compromis
et problèmes d’ agence
1.3 Hypothèse du timing
1.4 Adaptation de l’ argumentation théorique au contexte du groupe
82
86
88
II – Régression logistique et choix de l’ entité émettrice
2.1 Présentation du modèle d’ analyse
2.2 Méthode de régression logistique
2.3 Déterminants du choix de l’ entité émettrice
91
91
92
93
Conclusion Partie 1 : Synthèse des résultats empiriques,
limites de l’analyse et autres voies de recherche
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Introduction Partie 2
104
CHAPITRE 1 : Dette intragroupe, contraintes financières
et marché interne de capital : développements théoriques
et revue de la littérature empirique
107
Section 1 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières
109
I – Caractérisation des contraintes financières
1.1 Définition des contraintes financières
1.2 Origine des contraintes financières
1.3 Sélection adverse et existence de free cash-flows
109
109
110
111
II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières
2.1 Circulation des fonds au sein du groupe et
114
3
création d’ une dette intragroupe
2.2 Comparaison des attributs des dettes interne et externe
2.3 Appartenance au groupe et utilisation de dette externe
2.4 Synthèse : appartenance au groupe, utilisation de dette
intragroupe et levée des contraintes financières
114
115
117
118
III – Revue de la littérature empirique
3.1 Conclusions des tests existants : l’ hypothèse d’ asymétrie
d’ information comme origine des contraintes est privilégiée
3.2 Appartenance à un groupe et réduction des contraintes financières
3.3 Synthèse des conclusions des tests empiriques
3.4 Détails de la méthodologie empirique
3.4.1 Q de Tobin et relation avec les autres variables financières
3.4.2 Critique des méthodes de classification a priori des firmes
119
121
123
125
125
126
Section 2 : Efficience ou inefficience des marchés internes de capitaux
129
I – Fonctionnement des marchés internes de capitaux :
allocation des ressources au sein des structures conglomérales
1.1 Différences entre marchés internes et marchés externes
1.1.1 Autre configuration : un dirigeant unique gère
plusieurs divisions
1.1.2 Prise en compte de la relation d’ agence entre
le dirigeant du conglomérat et les investisseurs externes
1.2 Hypothèse d’ efficience des marchés internes :
avantages liés à l’ allocation interne des fonds
1.3 Hypothèse d’ inefficience des marchés internes :
inconvénients liés à l’ allocation interne des fonds
1.4 Synthèse des différentes avancées théoriques : dans quelles
circonstances la création d’ un marché interne est-elle efficiente ?
1.4 Typologie des modèles d’ allocation du capital en interne
1.4.1 Modèles d’ efficience
1.4.2 Modèles d’ agence
118
130
130
132
133
135
138
140
142
142
144
II – Revue de la littérature empirique
2.1 Existence d’ un marché interne de capital et
valeur des firmes diversifiées
2.1.1 Diversification et valeur de la firme
2.1.2 Problèmes d’ endogénéité et erreurs de mesure
2.2 Existence d’ un marché interne actif : rotation
des fonds entre les divisions
2.3 Mise en évidence des dysfonctionnements dans l’ allocation
interne des fonds : validation de l’ hypothèse d’ inefficience
2.4 Diversification liée et efficience des marchés internes
de capitaux : le test de Khanna et Tice (2001)
2.5 Résumé des résultats empiriques sur l’ efficience
des marchés internes au sein des conglomérats
151
III – Groupes de sociétés et création d’ un marché interne de capital
3.1 Emergence des groupes et fonction financière centralisée
157
157
4
148
148
148
149
152
154
155
3.2 Classification des groupes
3.3 Création d’ un marché interne de capital au sein des
groupes et comparaison des structures de groupe et
des structures conglomérales
3.4 Efficience des marchés internes au sein des groupes :
validations empiriques existantes
159
160
163
Section 3 : Synthèse du cadre d’analyse
166
I – Dette intragroupe, levée des contraintes financières
et recours à l’ endettement externe
1.1 Levée des contraintes financières
1.2 Dette intragroupe et dette externe : compléments ou substituts ?
167
167
168
II – Dette intragroupe et marché interne de capital
2.1 Mise en évidence du rôle actif du marché interne de capital
2.2 Efficience des marchés internes au sein des groupes
169
169
170
III – Synthèse du cadre d’ analyse : hypothèses de recherche
et traduction empirique
171
CHAPITRE 2 : Etude empirique des conséquences financières
de l’utilisation de la dette intragroupe :
le cas de filiales françaises non cotées
173
Section 1 : Méthodologie empirique et description
des échantillons d’étude
174
I – Méthode d’ échantillonnage et données collectées
1.1 Procédure de sélection des firmes
1.2 Données collectées et nombre d’ observations retenues
175
175
177
II – Statistiques descriptives : présentation et comparaison
des caractéristiques financières des deux sous-échantillons
2.1 Analyse sectorielle
2.2 Comparaison des caractéristiques financières
des deux sous-échantillons
2.2.1 Indicateurs de taille et de croissance
2.2.2 Mesures de performance
2.2.3 Ratios d’ endettement
2.2.4 Structure de l’ actif
2.2.5 Politique d’ investissement
2.2.6 Ratios d’ activité et d’ analyse financière
2.2.7 Considérations fiscales
2.3 Synthèse des résultats issus des tests univariés
180
181
182
184
186
187
188
188
189
Section 2 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières :
test empirique à partir d’un modèle d’investissement
191
5
179
179
I – Analyse des modèles d’ investissement
1.1 Structure des modèles généraux existants
1.2 Modèle d’ analyse et calcul des variables
II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières :
résultats empiriques
2.1 Sensibilité investissement/cash-flows
2.2 Influence des variables de contrôle sur
les niveaux d’ investissement
III – La relation investissement/cash-flows est-elle monotone ?
3.1 Modèle de Matsusaka et Nanda (2000) et
segmentation des échantillons d’ étude
3.2 Sensibilité investissement/cash-flows et
niveau de fonds internes disponibles
IV – Utilisation de la dette intragroupe et politique
d’ endettement externe des filiales
4.1 Spécificité de la dette intragroupe et
théories de structure de capital
4.2 Nature de l’ interaction entre l’ endettement interne
et l’ endettement externe
4.3 Mise en évidence de l’ influence de la dette intragroupe
sur l’ endettement externe des filiales
193
193
195
197
197
201
203
203
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206
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210
V – Synthèse des résultats empiriques de la section 2
213
Section 3 : Dette intragroupe et efficience des marchés internes
214
I – Segmentation des échantillons : performances, investissements
et allocation interne des fonds
1.1 Performances des filiales et répartition de la dette intragroupe
1.2 Indicateurs de performance et politique d’ investissement :
comparaison des deux sous-échantillons
215
215
217
II – Influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les
performances des firmes de l’ échantillon : tests multivariés
2.1 Présentation du modèle d’ analyse
2.2 Résultats empiriques
221
221
223
Conclusion PARTIE 2 : Discussion, interprétation des résultats
et limites de l’analyse
226
CONCLUSION GENERALE
230
BIBLIOGRAPHIE
234
6
INTRODUCTION GENERALE
Les structures de groupe sont des formes organisationnelles largement répandues dans
l’ ensemble des pays européens et notamment en France. La présence d’ un actionnaire
majoritaire est une situation assez commune sur le marché français : le contrôle est alors
assuré soit par un actionnaire individuel ou une famille, soit par une société industrielle ou
financière (holding). Contrairement au contexte américain, les grandes sociétés françaises
présentent un réseau très complexe de participations croisées, de relations commerciales et
financières, qui a pour conséquence l’ existence de structures d’ actionnariat concentrées. Aux
Etats-Unis, la stratégie d’ intégration, amont ou aval, a vu naître, des années 60 à 80, des
structures multidivisionnelles, diversifiées, où une société contrôle plusieurs divisions dans
des secteurs d’ activité très différents : ces divisions n’ ont pas d’ identité juridique
indépendante, et leur gestion dépend exclusivement des objectifs définis par les dirigeants du
conglomérat. Ces formes organisationnelles intégrées présentent, dans la plupart des cas, des
structures de propriété diffuses, où le contrôle des décisions provient d’ un arbitrage entre les
intérêts de plusieurs actionnaires non dominants. Ainsi, deux politiques d’ intégration
coexistent et donnent naissance à deux types d’ organisation aux caractéristiques bien
distinctes : les filiales de groupe sont des entités légales indépendantes ayant accès au marché
financier externe (lorsqu’ elles sont cotées), et, à l’ inverse, les divisions, ne disposant pas
d’ une identité juridique propre, ne peuvent intervenir sur les marchés externes et leurs
ressources proviennent des fonds alloués par la direction du conglomérat.
Cette recherche se concentre particulièrement sur les sociétés membres de groupe
hiérarchique (à l’ opposé des groupes de type associatif fréquents sur le marché japonais),
articulés autour d’ une société contrôlante et donnant naissance à des structures pyramidales.
L’ enchaînement en cascades de participations permet à la société tête de groupe d’ exercer un
contrôle déterminant même si elle ne détient qu’ une faible part du capital. La problématique
est axée sur l’ étude des décisions de financement des sociétés membres et leurs conséquences
sur la valeur. En effet, la méthode de collecte de fonds pour une société contrôlée est définie
par les dirigeants du groupe, qui, lorsqu’ ils agissent dans l’ intérêt des actionnaires, tendent à
maximiser la valeur du groupe dans son ensemble au lieu de privilégier les intérêts des
actionnaires minoritaires de la société contrôlée. De même, la politique d’ investissement et le
choix des projets à entreprendre sont dictés par la stratégie globale du groupe. Dans ce
contexte, un centre décisionnel unique est chargé d’ établir et d’ appliquer une politique
7
financière centralisée, alors que plusieurs classes d’ actionnaires, aux intérêts parfois
divergents, coexistent. Si l’ on s’ intéresse particulièrement aux structures filialisées, différents
niveaux hiérarchiques apparaissent : les dirigeants de la société mère et ceux de la filiale.
Ainsi, sans tenir compte du rôle des créanciers, les politiques d’ investissement et de
financement des sociétés membres de groupe sont soumises aux effets des conflits d’ intérêts
potentiels entre quatre catégories d’ acteurs, contrairement à la relation d’ agence classique
dirigeants/actionnaires.
L’ analyse du financement des sociétés affiliées à un groupe offre des spécificités tout à fait
originales. Une firme indépendante classique a recours aux trois alternatives courantes de
financement, classées par ordre d’ utilisation par Myers et Majluf (1984) : l’ autofinancement,
l’ endettement et l’ augmentation de capital. Considérons le cas d’ une structure de groupe, où
la société mère et plusieurs filiales sont cotées et, donc, ont accès au marché financier externe.
La théorie du financement hiérarchique prévoit qu’ une firme n’ aura recours à l’ émission
d’ actions nouvelles que lorsqu’ elle aura épuisé ses autres sources de financement. Ceci
s’ avère effectivement pertinent dans le cas d’ une firme indépendante ne pouvant émettre
qu’ un seul type d’ actions. Dans le cas du groupe, les dirigeants de la société mère ont
l’ opportunité de choisir l’ entité qui réalisera l’ opération. Dans quelle mesure ce choix
constitue-t-il un avantage pour les dirigeants de la société mère ? Quels sont les effets sur la
valeur des titres des sociétés affiliées ? Ces deux questions constituent la base de la
problématique abordée dans la première partie de cette recherche. Traditionnellement,
l’ annonce d’ une augmentation de capital se solde par une réaction négative des cours des
firmes émettrices : ce phénomène s’ explique en théorie par le problème de sélection adverse.
De plus, cette méthode de financement a un effet à long terme sur les performances
financières des firmes concernées, puisque celles-ci présentent des rentabilités inférieures à
d’ autres sociétés n’ ayant pas émis. Concrètement, une structure de groupe offre une flexibilité
financière supplémentaire : si l’ émission d’ actions se solde par une perte de valeur nette, les
dirigeants ont l’ opportunité de « faire » émettre une filiale cotée pour collecter des fonds
externes. Grâce à l’ existence d’ échanges financiers intragroupes, ces ressources peuvent être
ensuite réaffectées aux différentes entités au sein du groupe. De plus, les dirigeants ont
tendance à émettre des titres lorsque ceux-ci sont surévalués (en fonction de l’ information
dont ils disposent) : si les actions de la société mère sont sous-évaluées, et si le groupe a
besoin de fonds externes, l’ option d’ une émission réalisée par une des filiales est créatrice de
valeur. Ainsi, la forme organisationnelle de groupe a pour conséquence de modifier les
8
paramètres financiers à l’ origine de la décision d’ émission d’ actions ; elle permet également
de mesurer les effets d’ annonce sur les différentes entités du groupe (et non plus uniquement
sur la valeur des titres de la firme émettrice), pour vérifier si l’ opération véhicule une
information différenciée sur les actifs des diverses sociétés affiliées.
La littérature financière s’ est surtout focalisé sur l’ analyse des introductions en Bourse de
filiales (« equity carve-out »). A l’ annonce de l’ introduction, Schipper et Smith (1986) et
Allen et McConnell (1998) constatent des réactions globalement positives des actions de la
société contrôlante (+2%). Les arguments théoriques permettant de justifier ces résultats sont :
l’ atténuation du problème de sous-investissement (modèle de Nanda, 1991), l’ efficience
accrue grâce à la restructuration de la filiale ou la vente d’ actifs non liés et la réduction des
problèmes d’ agence. Si l’ on s’ intéresse spécifiquement à l’ augmentation de capital au sein des
structures filialisées, aucun modèle théorique ne prévoit les modalités d’ arbitrage qui s’ offrent
à la direction du groupe. Le test de Slovin et Sushka (1997), sur un échantillon
d’ augmentations de capital sur le marché américain, rapporte pourtant des résultats tout à fait
originaux. L’ émission d’ actions, quelle que soit l’ entité émettrice, se solde par une baisse des
cours des sociétés émettrices et une hausse des cours des sociétés liées : globalement, l’ effet
sur la valeur totale des actifs du groupe s’ avère être positif. Ceci va à l’ encontre de l’ ensemble
des résultats empiriques existants, puisque l’ annonce de toute opération qui a pour effet
d’ augmenter le nombre d’ actions disponibles entraîne normalement par une perte de valeur
nette.
La problématique liée à l’ augmentation de capital au sein des structures mère/filiales repose
sur l’ hypothèse selon laquelle les fonds collectés en externe sont mobiles au sein du groupe.
Les limites du périmètre du groupe représentent les frontières d’ un marché interne de capital,
où les ressources circulent entre les différentes entités. Les échanges financiers intragroupes
ont pour support les prêts et dettes intragroupes, mais aussi les participations croisées et le
crédit interentreprises. Par conséquent, l’ étude du financement des sociétés membres de
groupe passe par l’ analyse des causes et des effets liés à l’ utilisation de la dette intragroupe.
En plus des modalités classiques d’ endettement externe (dettes bancaire et obligataire), les
sociétés affiliées ont accès à la dette intragroupe : celle-ci provient d’ une autre firme du
groupe qui, soit redistribue des ressources excédentaires, soit collecte des fonds externes et en
fait bénéficier les autres sociétés membres. Les deux conséquences fondamentales du recours
à la dette intragroupe correspondent à une levée partielle des contraintes financières des
9
sociétés membres grâce à des fonds supplémentaires à moindre coût, et à la création d’ un
marché interne de capital. Les contraintes financières reflètent l’ existence d’ un écart de coût
important entre les modes de financement interne et externe : elles trouvent leur origine dans
les problèmes d’ information et d’ agence qui conditionnent les relations de crédit entre une
firme et un prêteur. Dans le cas d’ une dette intragroupe, le fournisseur de capital est
également propriétaire de l’ entité qui bénéficie des fonds : les actionnaires majoritaires
possèdent une part du capital des sociétés membres. Cette forme d’ emprunt n’ est donc pas
soumise aux coûts d’ information classiques, et s’ avère moins coûteuse pour les firmes
membres. D’ autre part, la dette intragroupe est un instrument à la disposition des dirigeants du
groupe pour orienter les ressources vers les projets d’ investissement à financer : cette rotation
des fonds prouve l’ existence d’ un marché interne de capital actif. Cependant, la question se
pose de déterminer si l’ allocation des ressources entre les différentes filiales est efficiente : en
d’ autres termes, la dette intragroupe est-elle accordée aux entités disposant d’ opportunités
d’ investissement rentables ? Il est donc intéressant de mesurer l’ impact de cette nouvelle
alternative de financement sur les performances financières des sociétés membres : ce point
fera l’ objet de la deuxième partie de cette recherche. En effet, l’ existence de relations
d’ agence multiples au sein du groupe peut venir perturber le fonctionnement du marché
interne. Plus généralement, l’ hypothèse d’ un marché interne efficient pourrait justifier
l’ intérêt des structures de groupe, d’ un point de vue financier et non opérationnel ou
stratégique, et leur survie sur les marchés européens aux côtés des structures conglomérales
américaines. De plus, les réflexions sur les marchés internes de capitaux permettent
d’ analyser dans quelle mesure une transaction au sein d’ une structure hiérarchique est plus
profitable qu’ une transaction réalisée sur le marché.
Les développements théoriques se sont concentrés pour l’ instant sur l’ analyse des marchés
internes de capitaux au sein des conglomérats américains : dans ce cas, la rotation des fonds
s’ effectue à partir des cash-flows générés par les divisions. Plusieurs modèles tentent de
mettre en évidence l’ efficience (Stein, 1997) ou l’ inefficience (Rajan, Servaes et Zingales,
2000 ; Scharfstein et Stein, 2000) de ces marchés. Plus particulièrement, l’ efficience provient
entre autres d’ un excès de ressources disponibles et de la sélection efficace des projets
d’ investissement réalisée par la direction du conglomérat. A l’ inverse, l’ inefficience découle
de dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds, et notamment d’ une tendance au
subventionnement des divisions les moins performantes par les divisions rentables : ce
phénomène aurait pour origine les conflits d’ intérêts entre les dirigeants du conglomérat, ceux
10
des divisions et les investisseurs externes. Les résultats des tests empiriques existants
penchent en faveur de l’ hypothèse d’ inefficience, celle-ci étant d’ ailleurs à l’ origine de la
décote observée pour les firmes diversifiées (Matsusaka et Nanda, 2000). Le fonctionnement
des marchés internes de capitaux, et ses conséquences sur la valeur et la politique
d’ investissement des firmes concernées ont également été analysés dans le cadre de groupes
de sociétés et de holdings, sur différents marchés (Shin et Park, 1999 ; Khanna et Palepu,
2000 ; Praet, 2002).
Cette recherche comporte deux parties distinctes, mais complémentaires. La première est
consacrée aux augmentations de capital au sein des structures mère/filiale. Les objectifs de
l’ analyse sont de mettre en évidence les effets d’ annonce pour les firmes émettrices et les
autres sociétés du groupe, d’ identifier les facteurs explicatifs des réactions observées, qui
dépendent de l’ estimation des investisseurs externes, et de prévoir la probabilité d’ émission de
chaque catégorie de firmes (sociétés mères ou filiales). Les arguments théoriques qui justifient
l’ existence d’ arbitrages particuliers liés à la structure de groupe sont fondés sur la création
d’ un marché interne actif au sein du groupe : les fonds collectés en externe peuvent être
réaffectés aux différentes entités. Ainsi, la deuxième partie propose une étude détaillée des
conséquences de la dette intragroupe sur l’ investissement et les performances des sociétés
membres. L’ utilisation de la dette intragroupe garantit la présence de transferts de fonds
significatifs entre les filiales ; elle permet également d’ assouplir les contraintes financières
que subissent les filiales, et de juger l’ efficience des marchés internes. Les deux parties
offrent donc un éclairage nouveau sur la politique de financement des sociétés membres de
groupe, avec une situation où l’ une des entités du groupe fait appel au financement externe
(partie 1), et une situation où l’ une des firmes se finance en interne (partie 2). Le lien
privilégié entre ces deux parties provient de la description du fonctionnement des marchés
internes de capitaux.
*****
11
12
Introduction PARTIE 1
Cette première partie se concentre sur l’ analyse d’ un mode de financement particulier :
l’ augmentation de capital par émission d’ actions nouvelles. Dans une structure de groupe,
cette opération correspond à la recherche d’ un financement externe de la part d’ une des entités
du groupe. La notion de groupe utilisée dans les développements suivants est assez restrictive,
puisqu’ elle se limite à l’ étude d’ une relation exclusive société mère/filiale. Ainsi, l’ intérêt de
cette première partie est de déterminer dans quelle mesure l’ unicité de l’ organe décisionnel
(direction de la société mère) et le fait de disposer de deux firmes cotées distinctes légalement
permettent de modifier les causes et conséquences classiques des augmentations de capital sur
la valeur du groupe. La seconde partie de cette recherche est, quant à elle, basée sur l’ analyse
des contraintes financières, et les conséquences qui découlent de l’ existence d’ une autre forme
de financement propre à l’ architecture organisationnelle spécifique du groupe : l’ endettement
intragroupe. Dans ce cas, une des entités du groupe a la possibilité d’ avoir recours à une
forme originale de financement interne, découlant de la création implicite d’ un marché interne
de capital dans les limites des frontières du groupe.
Lors d’ une augmentation de capital, une des sociétés membres collecte des fonds externes,
puis, par l’ intermédiaire des échanges financiers intragroupes, elle a la possibilité de les
redistribuer aux différentes entités. Les décisions de financement et celles qui régissent
l’ allocation interne des ressources reviennent aux dirigeants du groupe, qui élaborent une
stratégie financière globale. En présence d’ un projet d’ investissement rentable, si le groupe
est contraint d’ opter pour une émission d’ actions, les dirigeants ont l’ opportunité de choisir
l’ entité émettrice afin de maximiser la richesse des actionnaires de la société consolidée. Trois
axes de recherche interdépendants sont abordés dans cette première partie :
-
détecter la réaction des cours des sociétés mères et filiales à l’ annonce d’ une
augmentation de capital réalisée par l’ une des entités du groupe ;
-
identifier les déterminants des rentabilités anormales mesurées lors de l’ annonce de
l’ émission à travers les caractéristiques de l’ opération et la situation financière ex ante
des firmes du groupe ; cette étude tente surtout de savoir si la place (le statut) de la
firme au sein du groupe (filiale ou société mère) influence la réaction des cours à
l’ annonce ;
-
évaluer la probabilité d’ émission d’ actions de chaque type de firmes à partir de son
statut, et des données comptables et boursières avant l’ annonce.
13
Ces trois objectifs possèdent des bases théoriques distinctes et font l’ objet de méthodologies
empiriques également différentes. Pour comprendre les effets d’ annonce dans le cadre d’ une
structure mère/filiale et prévoir le contenu informatif des émissions, plusieurs explications
théoriques coexistent : certaines sont liées directement au caractère particulier des firmes de
l’ échantillon (hypothèse de séparation, Nanda, 1991 ; et hypothèse d’ expropriation de richesse
des actionnaires minoritaires), d’ autres reposent sur des champs théoriques plus classiques
(hypothèse de sélection adverse, Myers et Majluf, 1984 ; et hypothèse d’ opportunités
d’ investissement, Ambarish, John et Williams, 1987). Les premiers résultats empiriques sont
exclusivement descriptifs et découlent de quatre études d’ événements réalisées à partir d’ un
échantillon d’ augmentations de capital de filiales et de sociétés mères sur la période 19862000. L’ originalité de la problématique de groupe réside dans le fait que les calculs
permettent de distinguer l’ effet d’ annonce sur la valeur de marché des firmes émettrices, mais
également sur celle des autres firmes affiliées.
Le second point consiste à isoler les facteurs explicatifs des rentabilités anormales observées,
avec pour objectif principal de déterminer si le statut et la place occupée par la firme au sein
du groupe (filiale ou société mère) parviennent à expliquer les réactions des cours à
l’ annonce. Cependant, une littérature riche et abondante existe sur le sujet, et le modèle
empirique, pour être valide, doit nécessairement intégrer plusieurs variables de contrôle.
Aussi le modèle de régression linéaire testé comporte-t-il deux catégories de variables
explicatives supplémentaires, l’ une relatant les caractéristiques de l’ opération (taille, but de
l’ émission et existence d’ un droit préférentiel de souscription, DPS), et l’ autre prenant en
compte quelques caractéristiques intrinsèques des firmes retenues dans l’ échantillon (taille,
secteur, performances et opportunités d’ investissement). De plus, en complément d’ un modèle
général appliqué à l’ échantillon dans son ensemble, nous verrons qu’ il est essentiel de tenter
d’ expliquer plus en détail la réaction des cours des filiales émettrices, et celle des sociétés
mères non émettrices1. Notons enfin que cette étude correspond à l’ explication du contenu
informatif des émissions, du point de vue du marché et donc des investisseurs externes : en
effet, ce sont eux qui corrigent la valorisation boursière de la firme au moment de la diffusion
de nouvelles informations. Cette précision est fondamentale pour comprendre le cheminement
1
: L’ interprétation des conclusions des tests, et même la construction en amont des modèles de régression, sont
étroitement dépendantes des résultats des études d’ événements préliminaires : ceux-ci mettent en évidence, dans
le cas d’ une émission d’ actions de la part de la filiale, des réactions atypiques des cours ne correspondant pas
exactement aux prédictions des hypothèses détaillées dans le chapitre théorique.
14
du raisonnement de cette recherche, et notamment l’ articulation de cette étude avec le
troisième point concernant l’ évaluation de la probabilité d’ émission.
La dernière étude empirique de cette première partie repose sur les développements des
théories de structure de capital, axés traditionnellement sur le choix entre dettes et capitaux
propres : citons la théorie du compromis (Miller, 1977 ; DeAngelo de Masulis, 1980), qui
intègre les développements liés aux problèmes d’ agence2 (Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen,
1986 ; Stulz, 1990), la théorie du financement hiérarchique (Myers et Majluf, 1984), et
l’ hypothèse du timing (Lucas et McDonald, 1990 ; Baker et Wurgler, 2001). La décision de
financement externe et le recours au marché financier incombent à la responsabilité des
dirigeants en interne. L’ objectif est donc ici d’ identifier les variables financières conduisant
les dirigeants de la société mère à choisir telle ou telle entité pour réaliser l’ opération : ce
choix dépend notamment des performances boursières, des niveaux d’ endettement et
d’ opportunités d’ investissement de chaque catégorie de firmes. La figure 1 offre une vue
d’ ensemble du cadre d’ analyse de référence de cette première partie.
Cette première partie est composée de deux chapitres. Le chapitre 1 se concentre sur l’ analyse
des réactions des cours aux annonces d’ augmentations de capital au sein des structures
mère/filiale. Dans un premier temps, les hypothèses de recherche et la méthodologie générale
des études d’ événements sont exposées. Ensuite sont évoquées la méthode d’ échantillonnage,
la nature des données recueillies et les statistiques descriptives. Enfin, la dernière section
relate les résultats des différentes études d’ événements. En plus de l’ analyse descriptive du
premier chapitre, le chapitre 2 est entièrement consacré aux tests explicatifs, en distinguant
l’ analyse des déterminants des effets d’ annonce, et les facteurs explicatifs de la probabilité
d’ émission de chaque catégorie de firmes.
2
: Les deux courants reconnaissent l’ existence d’ une structure de capital optimale déterminée à partir des coûts
et bénéfices liés à la dette.
15
Figure 1 : Synthèse générale du cadre d’analyse (Partie I)
Impact de l’annonce
d’une émission d’actions
sur la valeur des deux
types de firmes (sociétés
mères/filiales).
Méthodologie
Hypothèses testées
Modèles empiriques
Etudes d’ événements.
Déterminants des
réactions des cours à
l’annonce : expliquer les
rentabilités anormales
pour l’échantillon global,
et deux sous-échantillons.
Modèle de régression
linéaire. Variable
dépendante : Rentabilités
anormales (RA) des titres à
l’ annonce
Réaction des cours de
Influence sur RA (signes
chaque catégorie de firmes, des relations attendues) :
prévoir une combinaison de
signes :
Place de la firme dans le
groupe (=1 si filiale, =0 si
Hypothèse de séparation ;
société mère) (-) ;
Hypothèse d’ expropriation Statut de la firme (=1 si
des actionnaires
émettrice, =0 sinon) (-) ;
minoritaires ;
% de capital du premier
Hypothèse de sélection
actionnaire (-) ;
adverse ;
Taux de désengagement de
Hypothèse d’ opportunités
la mère (-) ;
d’ investissement.
Opportunités
d’ investissement (+) ;
Performances passées des
titres (-) ;
Taille de l’ opération (-) ;
Existence de DPS (-).
2 études d’ événements
distinctes sur un échantillon
de filiales émettrices et
leurs sociétés mères, et un
échantillon de sociétés
mères émettrices et leurs
filiales ;
Calcul des rentabilités
anormales moyennes et
cumulées, à partir de trois
modèles d’ évaluation :
moyenne, indice, marché ;
Choix de l’entité
émettrice : expliquer la
probabilité d’émission de
la filiale par rapport à la
société mère à partir des
caractéristiques
financières de chacune.
Modèle de régression
logistique (Y=1, si filiale
émettrice ; Y=0, si société
mère émettrice)
RA = Cste + a.FSM +
b.ENE + c.SOC + d.EMI
Influence sur la probabilité
d’ émission de la filiale
(signe attendu de la
relation) :
Performances passées
filiales (+) ;
Performances passées
société mère SM (-) ;
Croissance passée filiale
(+) ;
Croissance passée SM ( ?) ;
Variation de l’ endettement
financier filiale (+) ;
Variation de l’ endettement
financier SM ( ?) ;
Opportunités
d’ investissement filiale (+) ;
Opportunités
d’ investissement SM ( ?).
PROBA = Cste + a.PERF +
b.END + c.CR + d.INV
Avec SOC : caractéristiques
de la firme ; et EMI :
caractéristiques de
l’ émission.
La taille et le secteur
d’ activité de chaque type de
firmes sont ajoutés comme
variables de contrôle.
La taille et le secteur
d’ activité sont ajoutés
comme variables de
contrôle.
Les résultats du modèle
donnent le pourcentage de
reclassement correct des
observations pour chaque
catégorie de firmes, mais
également la signification
des coefficients des
variables de la régression.
Le modèle est testé sur
Tests statistiques : t en série l’ échantillon global, sur
l’ échantillon de filiales
temporelle et en coupe
transversale, test des signes. émettrices et sur celui de
sociétés mères non
émettrices.
16
!"
#
Dans une forme de gouvernance société mère/filiale, lorsque les deux entités sont cotées,
les dirigeants du groupe disposent de l’ avantage tout à fait original de pouvoir choisir la
firme émettrice grâce à l’ existence d’ un contrôle exclusif de la société mère sur les
décisions de financement de la filiale. L’ objectif de ce premier chapitre consiste à
déterminer si cette forme d’ organisation entraîne une modification de la réaction classique
des marchés à l’ annonce d’ une émission d’ actions nouvelles, et d’ isoler l’ impact de cette
décision sur la valeur de marché de chaque firme du groupe. En effet, la réaction des titres
à l’ annonce d’ une augmentation de capital est traditionnellement négative : cette opération
entraîne donc une perte de valeur nette pour les actionnaires des sociétés concernées. Pour
financer un nouvel investissement, lorsque le seul moyen de financement envisageable est
l’ augmentation de capital, les dirigeants du groupe ont l’ opportunité de minimiser la perte
globale pour les actionnaires du groupe, en choisissant l’ entité émettrice. L’ opportunité
d’ investissement à financer peut concerner soit la société mère, soit la filiale ; de même,
l’ opération d’ augmentation de capital peut être réalisée par l’ une ou l’ autre entité. Les
fonds externes collectés transitent ensuite au sein du groupe : les ressources sont ainsi
réaffectées aux différents projets d’ investissement par le biais du marché interne de
capital, et notamment par l’ intermédiaire de dettes et de prêts intragroupes.
Dans le domaine du financement des firmes membres de groupe, la littérature financière
s’ est axée sur l’ étude des introductions en Bourse de filiales (« equity carve-out »), et
notamment sur la réaction des cours des sociétés mères à l’ annonce, les avantages liés à
l’ ouverture du capital de la filiale au public et les problèmes d’ agence découlant de la
création d’ une classe d’ actionnaires minoritaires (Schipper et Smith, 1986 ; Nanda, 1991 ;
Allen et McConnell, 1998). Si l’ on s’ intéresse particulièrement aux émissions d’ actions,
plusieurs questions originales émergent : l’ information, en général défavorable, véhiculée
par l’ annonce de l’ émission sur la valeur de la firme émettrice se répercute-t-elle sur les
autres sociétés du groupe ? La nature de l’ information transmise par l’ annonce est-elle
identique pour chaque catégorie de firmes (mère/filiale) ? L’ impact sur la valeur est-il
plus négatif pour les filiales que pour les sociétés mères ?
17
Les tests empiriques de notre étude reposent sur deux sous-échantillons d’ émissions
d’ actions sur le marché français entre 1986 et 2000, 43 réalisées par des filiales et 19 par
des sociétés mères. Pour chaque échantillon, nous avons calculé la réaction des cours de la
société émettrice à l’ annonce de l’ opération, mais également celle des titres des autres
sociétés du groupe (l’ échantillon total comporte 126 sociétés).
Ce chapitre 1 débute par la présentation des hypothèses de recherche, qui servira de
support théorique aux études d’ événements (section 1). La construction de l’ échantillon
d’ augmentations de capital et les statistiques descriptives des différents sous-échantillons
sont ensuite abordées (section 2). Le chapitre 1 s’ achève avec l’ analyse des résultats
empiriques issus des études d’ événements.
Section 1 : Développements théoriques, définition des hypothèses de recherche et
présentation de la méthodologie empirique générale
Si l’ on suppose l’ existence d’ asymétrie d’ information, l’ annonce d’ une émission d’ actions
nouvelles véhicule une information défavorable sur la valeur de la firme. Ce constat est
traditionnellement justifié par le problème de sélection adverse (Myers et Majluf, 1984). La
possession d’ informations privées sur les perspectives de la firme et le respect des intérêts des
actionnaires existants incitent les dirigeants à émettre des actions lorsque celles-ci sont
surévaluées. Les investisseurs externes anticipent la possibilité d’ un tel comportement et
corrigent à la baisse l’ évaluation des actions. La plupart des tests existants sur le marché
américain ont confirmé l’ hypothèse de sélection adverse. Celle-ci pourrait également
expliquer la réaction des titres de la firme émettrice dans une structure mère/filiale.
Cependant, plusieurs hypothèses concurrentes permettent de prévoir la réaction simultanée
des actions des autres firmes du groupe. Cette section détaille les arguments théoriques qui
sous-tendent ces hypothèses, puis, présente les différentes étapes méthodologiques des études
d’ événements, notamment la définition des paramètres, le calcul des rentabilités anormales et
les tests statistiques usuels.
18
I – Hypothèses des études d’ événements
Quatre hypothèses sont analysées dans ce paragraphe. Deux d’ entre elles dépendent de la
spécificité des structures de groupe : l’ hypothèse de Nanda (1991) qui suppose que l’ émission
d’ actions véhicule une information différenciée sur la valeur des firmes membres, et
l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des minoritaires qui prévoit, à l’ annonce de
l’ opération, l’ existence d’ un transfert de richesse des minoritaires vers les actionnaires du
groupe. Les deux autres hypothèses sont plus classiques et utilisées en général pour expliquer
les effets d’ annonce dans le cas de sociétés indépendantes : l’ hypothèse de sélection adverse
et celle d’ opportunités d’ investissement sont adaptées pour prévoir les réactions des titres des
deux firmes du groupe.
1.1 Mise sur le marché d’ une filiale et impact sur la valeur du groupe
Peu d’ articles parviennent à déterminer une base théorique pour expliquer le choix de
financement au sein d’ une structure mère/filiale. Le modèle d’ équilibre de Nanda (1991)
s’ intéresse particulièrement à la mise sur le marché d’ une filiale, mais peut être adapté
facilement à l’ étude des émissions d’ actions nouvelles. Ainsi, en présence d’ une
opportunité d’ investissement rentable, une société mère a la possibilité de choisir entre
trois alternatives : vente d’ actions de la filiale, émission d’ actions de la société consolidée,
ou abandon du projet. L’ asymétrie d’ information concerne non seulement la valeur des
actifs en place de la filiale mais aussi celle des actifs du reste de l’ entreprise. Le
raisonnement de Nanda (1991) a pour but d’ identifier des équilibres grâce à l’ élimination
de plusieurs scénarios à l’ aide du critère intuitif de Cho-Kreps3. Dans cette situation, les
implications du modèle montrent que certaines catégories de firmes, pour financer les
investissements de leur filiale, l’ introduisent sur le marché, tandis que d’ autres émettent
des actions de la société consolidée. Par exemple, si la société consolidée est sous-évaluée
par le marché et possède une filiale qui, elle, est surévaluée, la firme optera pour une
émission d’ actions de la filiale. Ainsi, grâce à leurs décisions de financement, les firmes
révèlent de l’ information concernant non seulement la valeur des actifs en place de la
filiale mais aussi sur les actifs du reste du groupe. Les résultats de l’ étude de Schipper et
Smith (1986) évoquent une rentabilité anormale positive de l’ ordre de 2% pour les actions
3
: Ce critère s’ appuie sur le concept d’ équilibre de Nash et s’ utilise pour décider si un équilibre potentiel est
stable par rapport aux mouvements (actions) hors-équilibre des agents.
19
de la société mère à l’ annonce de la mise sur le marché d’ une filiale. Ils constatent que ces
firmes sont en moyenne celles qui ont été sous-évaluées par le marché. Au contraire, les
firmes qui choisissent d’ émettre des actions de la société consolidée ont été en moyenne
surévaluées.
Dans le cas d’ une émission d’ actions au sein du groupe, la décision de financement par les
dirigeants de la société mère consiste à minimiser la perte de valeur liée à la sous-réaction
des cours à l’ annonce, pour l’ ensemble du groupe. L’ article de Nanda (1991) parvient à
formaliser ce choix de financement lors d’ une introduction de filiale, mais aucun article
théorique ne synthétise les mêmes éléments pour le choix de l’ entité émettrice lorsque la
filiale est déjà cotée et peut intervenir sur le marché. Slovin et Sushka (1997) corroborent
les hypothèses issues du modèle de Nanda (1991) : ils montrent que l’ augmentation de
capital au sein du groupe véhicule une information différenciée sur la valeur de chaque
entité, ceci entraînant un effet d’ annonce globalement positif pour le groupe dans son
ensemble. Ce résultat est tout à fait original si l’ on examine les conclusions des tests
existants sur les marchés des actions français et américain qui valident généralement
l’ hypothèse d’ un impact négatif sur la valeur pour les firmes annonçant une émission
d’ actions nouvelles4.
L’ introduction d’ une filiale sur le marché diffère de l’ augmentation de capital classique
sur différents points. Tout d’ abord, la mise sur le marché offre la possibilité aux
investisseurs d’ acquérir et d’ échanger des actions distinctes, reflétant spécifiquement la
valeur des actifs de la filiale. Lorsque la filiale est détachée de la structure consolidée, les
actifs et l’ équipe dirigeante sont souvent restructurés et la cotation s’ accompagne de flux
d’ informations supplémentaires sur l’ évolution des performances financières de la filiale
(information légale et volontaire). De plus, l’ existence d’ une valorisation par le marché
des actifs nets de la filiale facilite l’ évaluation de la qualité de gestion des managers,
permet de créer un système d’ intéressement indexé sur la valeur boursière de l’ entreprise,
et facilite, le cas échéant, le rachat par une autre firme. Malgré ces divergences, les deux
méthodes représentent des alternatives de financement originales pour les dirigeants de la
société mère, conduisant à atténuer le problème de sous-investissement identifié par
4
: Pour une synthèse complète de la littérature empirique, se reporter à Eckbo, Masulis (1995). Plusieurs études
importantes peuvent être citées : Masulis et Korwar (1986), Mikkelson et Partch (1986), Schipper et Smith
(1986), Hess et Bhagat (1986), Kalay et Shimrat (1987), Bayless et Chaplinsky (1996).
20
Myers et Majluf (1984). Pour une émission d’ actions de la part des filiales, les
conclusions du modèle de Nanda (1991) prévoient une réaction négative des cours de
celles-ci et un effet positif sur la valeur des titres des sociétés mères correspondantes.
Symétriquement, lorsque la société mère décide d’ émettre ses propres actions, elle devrait
subir une perte nette de valeur, tandis que les cours des filiales attachées devraient
augmenter.
La littérature empirique propose d’ autres explications de la réaction des cours des sociétés
mères lors de l’ introduction sur le marché d’ une filiale. Le gain de valeur observé à
l’ annonce peut provenir de deux autres sources : l’ efficience accrue grâce à la
restructuration de la filiale (Schipper et Smith, 1986), la vente d’ actifs non liés et les
conflits d’ agence (Allen et McConnell, 1998 ; Lang, Poulsen et Stulz, 1995).
Outre le modèle de Nanda (1991) spécifiquement élaboré pour l’ étude des comportements
de financement au sein du groupe, nous avons relevé dans la littérature théorique d’ autres
hypothèses permettant de prévoir les réactions des cours des actions des sociétés
émettrices lors de l’ annonce de l’ émission.
1.2 Emission d’ actions de la filiale et expropriation de richesse des actionnaires
minoritaires
Le régime de protection du droit des actionnaires découle, dans le cadre réglementaire
français, du droit des sociétés (Bornet, 1995). Peu à peu, les règles du droit boursier se
sont imposées en raison de l’ augmentation de l’ épargne publique et de la complexité des
instruments financiers. A la suite de la loi de juillet 1993, le Conseil des marchés
financiers autorise, à la suite d’ une offre publique d’ achat et de vente, le groupe
majoritaire à récupérer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires possédant
5% du capital ou des droits de vote d’ une société cotée. Ceci représente une obligation de
retrait imposée aux actionnaires minoritaires auxquels le droit de rester associés ou de
vendre leur participation est retiré. La vente est parfois réalisée contre leur gré,
moyennant une indemnisation (Pariente, 1999) : cette situation est un exemple
d’ expropriation de richesse des minoritaires. En France, le cadre juridique reconnaît deux
21
droits essentiels aux actionnaires minoritaires : le droit à l’ information, et le droit à la
participation. Des moyens de contestation et de contrôle5 sont accessibles à tout
actionnaire détenant plus de 5% du capital. Actuellement, les décisions de justice
concernant l’ expropriation des minoritaires concernent surtout les opérations de fusion ou
de cession de blocs de contrôle ; peu de cas d’ expropriation ont été révélés dans le cadre
d’ une augmentation de capital. Notons enfin que La Porta et al. (2000), dans une étude sur
la protection des minoritaires dans une trentaine de pays, constatent que le système
français paraît peu performant, notamment en raison de la concentration de l’ actionnariat
des sociétés cotées.
L’ hypothèse d’ expropriation découle donc du principe légal selon lequel le statut
d’ actionnaire majoritaire confère à la société mère la responsabilité de protéger les
actionnaires minoritaires des filiales. Il existe cependant un conflit d’ intérêts entre ces
deux classes d’ actionnaires, qui n’ est pas contrôlé par les forces du marché et les statuts
légaux. Dans le cas où la part de capital de la société mère n’ est pas majoritaire,
l’ exploitation des activités de la filiale peut entraîner une baisse de valeur de l’ action de la
filiale6, et ainsi rendre attractif le rachat et l’ accession au contrôle de la part d’ un
investisseur externe. Si la société mère est majoritaire, cette sanction potentielle disparaît
et aucune prise de contrôle externe ne semble possible. Les décisions au sein du groupe
(comme l’ allocation des fonds entre les projets d’ investissement de la mère et ceux de la
filiale) reflètent les orientations des managers ayant pour objectif la maximisation de la
valeur totale du groupe : la protection des actionnaires minoritaires reste limitée.
Dans le cas des introductions de filiales, Schipper et Smith (1986) constatent que les
sociétés mères conservent dans la plupart des cas une part majoritaire du capital et des
droits de vote après l’ introduction. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer
cette tendance : le contrôle exclusif facilite le maintien des synergies opérationnelles et
financières existantes ; il permet à la société mère de consolider les comptes de la filiale,
en lui laissant la possibilité de réacquérir aisément les titres de la filiale et d’ intervenir
dans toutes les décisions de restructuration (de l’ activité ou du capital). Il offre surtout
5
: On peut citer par exemple le droit de demander en justice la désignation d’ un mandataire chargé de convoquer
l’ assemblée ou d’ un expert de gestion, de poser par écrit des questions sur tout fait de nature à compromettre
l’ exploitation, ou de demander la liquidation judiciaire de la société (Godon, 2001).
22
l’ opportunité à la filiale de rechercher des financements différenciés de ceux de la mère.
Ces avantages liés à l’ existence d’ une filiale cotée sont atténués par la création d’ une
minorité d’ actionnaires induisant un conflit d’ intérêts entre minoritaires et majoritaires,
celui-ci étant générateur de coût pour le groupe dans son ensemble. En effet, chaque
anticipation de la part du marché d’ une tentative d’ expropriation de cette catégorie
d’ actionnaires sera sanctionnée par une baisse de valeur des actions de la filiale.
Selon l’ hypothèse d’ expropriation, l’ émission d’ actions de la filiale est un moyen pour la
société mère d’ accroître sa valeur aux dépens des autres actionnaires de la filiale. Ce
courant prédit donc un effet négatif sur la valeur de l’ action de la filiale et un effet positif
pour la mère qui ne peut excéder la perte subie par la filiale. Puisque les managers de la
mère contrôlent les décisions des deux unités, il est impossible pour les dirigeants de la
filiale d’ opérer un transfert de la mère vers la filiale ; cette hypothèse ne permet pas de
prévoir l’ effet d’ une émission d’ actions de la mère sur la valeur de la filiale.
1.3 Asymétrie d’ information, émission d’ actions et hypothèse de sélection adverse
Les modèles présentés dans cette section s’ appuient sur la théorie de l’ information et les
conséquences des décisions financières affectant la structure de capital sur la valeur de la
firme.
Ils
parviennent
à
expliquer
la
réaction
négative
des
cours
observée
traditionnellement lors de l’ annonce d’ une émission d’ actions. De plus, les conclusions du
modèle de sélection adverse de Myers et Majluf (1984) conduisent à des hypothèses
testables dans le cadre d’ une structure mère/filiale.
Le modèle de Leland et Pyle (1977) prévoit que les variations de la part de capital détenue
par les managers en interne ont des conséquences sur la valeur de la firme7. Les
investisseurs rationnels réalisent que les managers disposent d’ informations privées sur la
valeur des cash-flows futurs, et comprennent qu’ il leur est coûteux de conserver une
fraction significative du capital de la firme (diversification de leur portefeuille d’ actifs
6
: La société mère peut acheter des produits ou des prestations de la filiale en des termes favorables, exploiter
ses actifs et ses opportunités d’ investissement, ou même utiliser les fonds de la filiale pour financer ses propres
projets d’ investissement.
7
: Dans un autre modèle de signal, Ross (1977) suppose l’ existence de compensations pour motiver les
managers à dévoiler la véritable valeur de la firme grâce aux décisions financières affectant la structure de
capital. Le marché interprète ces modifications comme des signaux crédibles, puisque les firmes de moins bonne
23
financiers). Ainsi, les managers ne sont incités à détenir une part importante du capital
que lorsqu’ ils s’ attendent à une augmentation de la valeur de la firme. La part du capital
détenue par les dirigeants en interne constitue un signal crédible aux yeux des
investisseurs. Une émission primaire, qui entraîne une réduction de la participation au
capital des dirigeants, véhicule alors une information défavorable sur les perspectives
financières de la firme.
Dans un second modèle, Miller et Rock (1985) démontrent qu’ un recours croissant au
financement externe signale aux investisseurs une diminution des bénéfices actuels de la
firme, en supposant que les décisions d’ investissement sont en moyenne inchangées.
Ainsi, les auteurs concluent à une réaction négative des cours à l’ annonce d’ une nouvelle
émission, celle-ci étant proportionnelle au montant de l’ opération8.
Enfin, en s’ appuyant sur le phénomène de sélection adverse, les développements de Myers
et Majluf (1984) proviennent du comportement rationnel des investisseurs : ceux-ci
pensent que les managers optent pour l’ émission d’ actions lorsqu’ ils considèrent que les
actions de la firme sont surévaluées par le marché (en fonction des informations qu’ ils
détiennent en interne sur la gestion de la société). Les managers agissant dans l’ intérêt des
actionnaires existants, ces derniers subissent une perte de richesse nette si les actions
émises sont sous-évaluées, et un gain dans le cas contraire. En conséquence, les
investisseurs ajustent et corrigent à la baisse l’ évaluation des actions au moment de
l’ annonce d’ une émission.
L’ hypothèse de sélection adverse montre qu’ une émission d’ actions véhicule une
information défavorable au marché, spécifique à l’ entité émettrice. Selon cette
perspective, la réaction des actions de la filiale émettrice devrait être négative, cet effet
négatif se répercutant sur la valeur des actions de la mère proportionnellement à la part de
capital qu’ elle détient dans la filiale. De même, l’ émission d’ actions de la mère conduirait
qualité ne peuvent émettre un signal similaire qu’ en supportant des coûts de faillite supplémentaires. Il s’ ensuit
qu’ une émission d’ actions (réduction du ratio d’ endettement) transmet un signal négatif sur la valeur de la firme.
8
: Outre les modèles basés particulièrement sur l’ information transmise au marché grâce aux décisions
financières, les modèles reposant sur la théorie de l’ agence et le comportement opportuniste des dirigeants
(Jensen et Meckling, 1976) prévoient également une réaction négative des cours à l’ annonce d’ une émission.
Une participation au capital plus élevée des managers tend à réduire les conflits d’ intérêts potentiels entre ces
derniers et les investisseurs externes souhaitant maximiser la valeur des actions. Dans ce cas, toute opération
financière résultant en une augmentation du nombre d’ actions réduit la part détenue par les managers, et est
synonyme d’ impact négatif sur la valeur de la firme.
24
à une réduction de valeur, et, si le marché considère que les actions de la mère reflètent
conjointement les projets de la mère et de la filiale, l’ émission de la mère devrait diminuer
également la valeur des actions de la filiale. Cependant, ce courant ignore les arbitrages et
les conditions de choix de l’ entité émettrice (mère/filiale).
1.4 Opportunités d’ investissement et réaction des cours à l’ annonce
L’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement estime que l’ émission d’ actions de la filiale
représente un moyen d’ obtenir des fonds externes destinés au financement de ses
investissements, l’ action donnant accès exclusivement aux cash-flows de la filiale. Le
modèle du signal de Ambarish, John et Williams (1987) prévoit une réaction positive du
cours à l’ annonce pour les sociétés en forte croissance possédant peu d’ actifs tangibles, et
une réaction négative des titres des firmes matures, de grande taille et possédant peu
d’ opportunités d’ investissement. Dans leur modèle d’ équilibre, les dividendes, les
investissements et l’ émission d’ actions sont autant de signaux disponibles pour que les
dirigeants parviennent à communiquer la véritable valeur des firmes au marché. Par
hypothèse, les managers ne possèdent une information privilégiée que sur un seul attribut :
les cash-flows futurs émanant des actifs en place ou les opportunités d’ investissement. Les
propriétés du modèle de Ambarish, John et Williams (1987) conduisent aux conclusions
suivantes :
-
si l’ asymétrie d’ information concerne les actifs existants, les dirigeants rejettent de
manière optimale les projets à VAN négative ;
-
si l’ asymétrie d’ information provient des opportunités d’ investissement de la firme,
les dirigeants auront tendance à accepter des projets à VAN négative.
Puisque les ressources et les emplois de fonds doivent s’ égaliser à l’ équilibre, les projets à
VAN positive (négative) entraînent des coûts négatifs (positifs) pour les émissions
d’ actions nouvelles. Par conséquent, l’ effet d’ annonce d’ une émission d’ actions devrait
être positif dans le premier cas et négatif dans le second. En comparaison, à l’ équilibre,
les dividendes correspondent toujours à un signal coûteux ; ainsi, l’ effet d’ annonce devrait
être positif. Ces développements généralisent les conclusions de Miller et Rock (1985), et
de Myers et Majluf (1984). La théorie des free cash-flows de Jensen (1986) parvient
également à prévoir l’ influence de la rentabilité des opportunités d’ investissement sur la
réaction du marché à l’ annonce d’ une émission d’ actions. Selon cette perspective, les
25
managers ont tendance à accroître le montant des actifs sous leur contrôle, même si cette
croissance entraîne une baisse de valeur globale pour la firme et ses actionnaires. De ce
fait, la réaction du marché à l’ annonce d’ une augmentation de capital dépend de
l’ appréciation des investisseurs externes quant à l’ usage des fonds collectés, et
particulièrement la probabilité que ceux-ci servent à financer des projets à VAN positive.
Pour les firmes disposant d’ opportunités rentables, l’ effet d’ annonce attendu est donc
positif ; dans le cas contraire où la firme possède peu de perspectives de croissance, la
réaction du marché est négative. Contrairement aux deux modèles précédents, les modèles
de sélection adverse (Myers et Majluf, 1984 ; Choe, Masulis et Nanda, 1993), concluent
que les firmes dont la rentabilité des investissements futurs est particulièrement élevée
subissent quand même un effet d’ annonce négatif : la réaction du marché est atténuée
mais demeure négative.
L’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement prévoit une réaction positive du cours de la
filiale et de celui de la mère à l’ annonce d’ une émission de la filiale, si l’ on considère que
la filiale dispose d’ opportunités d’ investissement rentables. Puisque les sociétés mères
sont en majorité des firmes matures, le modèle prévoit parallèlement un effet négatif sur
les actions de la mère pour une émission de la mère, mais ne parvient pas à prévoir le sens
de la réaction des titres de la filiale. Le tableau 1 récapitule les différentes hypothèses
théoriques concurrentes sur les réactions des cours aux annonces d’ augmentations de
capital des filiales et des mères.
Tableau 1 : Synthèse des propositions théoriques pour l’étude d’événement
L’ hypothèse d’ expropriation ne parvient pas à prévoir la réaction des titres des firmes dans le cas d’ une émission
d’ actions de la mère. De même, l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement ne formule aucune prédiction sur la
réaction des cours des filiales à l’ annonce d’ une émission des mères. Le tableau 1 récapitule le signe prévu des
rentabilités anormales moyennes à l’ annonce.
Emission d’actions
de la filiale
Réaction des cours
de la filiale
Réaction des cours
de la mère
Emission d’actions
de la mère
Réaction des cours
de la mère
Réaction des cours
de la filiale
Nanda (1991)
Sélection adverse
Négative.
Expropriation de
richesse
Négative.
Négative.
Opportunités
d’investissement
Positive.
Positive.
Positive
Négative.
Positive.
Négative.
??
Négative.
Négative.
Positive.
??
Négative.
??
26
En construisant deux échantillons distincts, de filiales et de sociétés mères émettrices, il
est possible de réaliser deux études d’ événements et de tester les hypothèses précédentes
sur le marché français des actions. Cependant, il convient au préalable de présenter les
différentes étapes méthodologiques des études d’ événements.
II – Méthodologie générale des études d’ événements
2.1 Nature de l’ événement et date d’ annonce
Une étude d’ événement consiste à mesurer la réaction des cours à la date d’ annonce d’ un
événement. Celui-ci peut prendre plusieurs formes (annonce de résultats, distribution de
dividendes ou émission de titres) et correspond à un flux d’ information privée transmise au
marché et reflétant les décisions financières des dirigeants. Les conséquences sur les cours de
telles décisions permettent d’ évaluer la qualité de la gestion et les compétences des managers
(cette hypothèse suppose que le marché est efficient au sens où les cours reflètent à chaque
instant toute l’ information disponible). L’ évolution des cours à la date d’ annonce est mesurée
par une différence de rentabilité entre le titre et une norme (calcul de rentabilités anormales).
La première étape de la méthodologie consiste à identifier l’ événement, les dates d’ annonce et
les périodes d’ étude.
L’ événement est caractérisé par son impact sur la valeur de la firme : il peut être périodique
ou occasionnel (annonce de résultats/émission d’ actions), comme il peut être exogène ou
provoqué par les dirigeants de la firme. Par ailleurs, il est impératif qu’ il n’ existe aucun autre
événement simultané à l’ annonce étudiée pour pouvoir isoler l’ effet sur les cours9. La date
d’ événement est assimilée à celle de sa première annonce en provenance d’ une source
d’ information publique. En France, aucune publication n’ est systématiquement la première à
annoncer les événements financiers, ce qui nécessite la consultation de plusieurs sources. La
date de réunion du Conseil d’ Administration, la date COB, la date du BALO, ou les dates des
dépêches AFP sont autant d’ alternatives possibles. Nous retenons pour notre étude la date
d’ annonce de la COB10. Pour tenir compte de ces décalages dans l’ arrivée des flux
9
: Hachette (1994) note par exemple que l’ annonce de dividendes est souvent accompagnée de l’ annonce de
bénéfices, et que les émissions d’ obligations convertibles sont parfois annoncées en même temps que les
augmentations de capital.
10
: Dans une étude sur les modalités d’ émissions d’ actions avec ou sans DPS, Gajewski et Ginglinger (1996)
retiennent trois dates de référence pour l’ étude d’ événement : la date du CA, la date COB et la date BALO.
27
d’ information, on considère comme période d’ événement un intervalle de temps (-Ei ; +Ei)
spécifique à chaque titre i et centré sur la date Di=0, date de première annonce.
2.2 Calcul des rentabilités anormales et des tests statistiques
Après avoir identifié les paramètres précédents, la deuxième étape est consacrée au calcul des
rentabilités anormales sur la période d’ événement, celles-ci permettant de traduire l’ impact de
l’ annonce sur la valeur des titres. La rentabilité anormale (écart de rentabilité entre le titre et
une norme) se définit comme suit :
RAit = Rit – E(Rit),
où RAit est la rentabilité anormale du titre i à la date t ; Rit, la rentabilité du titre i à la date t et
E(Rit) la rentabilité attendue en l’ absence d’ événement. Les calculs reposant sur les cours
d’ ouverture des titres, la rentabilité réelle Rit est définie par :
Rit = (Pt+1 + Dt+1 – Pt) / Pt, ou en utilisant la formule logarithmique :
Rit = log (Pt+1 + Dt+1 / Pt), avec D, le montant du dividende.
Par définition, la rentabilité anormale est d’ espérance nulle en dehors de la période
d’ événement. E(Rit) n’ est pas observable et est remplacée par une norme estimée à partir d’ un
modèle de prévision des rentabilités à l’ équilibre. Les modèles utilisés dans notre étude
(modèles de la moyenne, de l’ indice et de marché) supposent la stabilité de la variance des
rentabilités entre les différentes périodes : cette hypothèse suppose que l’ événement affecte la
rentabilité moyenne du titre, mais est sans impact sur son risque (Grar, 1993).
Les rentabilités anormales de chaque titre sont regroupées en fonction du calendrier de
l’ événement et l’ on calcule la rentabilité anormale moyenne de l’ échantillon de taille N à
chaque date de la période d’ événement :
RAMt = 1/N
RAit
28
Un test statistique de moyenne nulle permet alors de tester l’ hypothèse nulle RAMt = 0. Celuici est défini par le rapport entre la rentabilité anormale moyenne et l’ écart-type calculé en
série temporelle11 :
Tp = RAMt /
où
(RAM) =
(RAM)
(1/L-1)
(RAMt – 1/L
RAMt) ²,
Le ratio Tp peut être calculé pour les rentabilités anormales moyennes cumulées. Ce test
classique de l’ hypothèse nulle repose sur plusieurs hypothèses difficiles à respecter en
pratique avec les échantillons utilisés. Tout d’ abord, les RAit, et donc les RAMt, doivent suivre
une loi normale. D’ autre part, les RAit sont indépendantes et identiquement distribuées. Si ces
conditions sont vérifiées, Tp suit une loi de Student à N-1 degrés de liberté. L’ hypothèse de
normalité étant rarement vérifiée, il convient d’ utiliser également un test non paramétrique.
Le test des signes permet de vérifier s’ il existe autant de rentabilités positives que de
négatives :
Tnp = N+ - (N+ + N- / 2) /
(N+ + N-) / 4
La validité de l’ hypothèse d’ indépendance entre les rentabilités anormales dépend de la nature
de l’ événement : la corrélation des RAit existe si les différents événements se chevauchent
dans le temps ou si un événement spécifique peut affecter plusieurs titres à la fois. Dans notre
étude, les dates d’ annonce des augmentations de capital sont différentes pour chaque titre, ce
qui assure une très faible corrélation entre les RAit, d’ autant que la période d’ étude s’ étale de
1986 à 2000 (15 ans). Un autre biais est constitué par le non respect de l’ hypothèse d’ absence
d’ autocorrélation temporelle des RAit. Ce phénomène provient de l’ asynchronisme12 dans la
fréquence des transactions : les RAit ne couvrent pas une période de temps constante. Ceci
peut s’ expliquer par les données manquantes sur les bases de données boursières. Dans notre
étude, les cours des firmes retenues doivent être disponibles pour tous les jours de la période
d’ événement. Sur la période d’ estimation, différentes méthodes de lissage des données
11
: Un second test paramétrique consiste à calculer l’ écart-type en coupe instantanée.
29
peuvent être utilisées (Hachette, 1994) : en pratique, au vu du faible nombre de données
manquantes pour les titres concernés, nous avons remplacé le cours manquant par le
précédent.
2.3 Normes et modèles d’ estimation
Pour calculer la norme E(Rit), trois modèles d’ estimation sont nécessaires pour assurer la
validité interne de l’ étude. Dans le modèle de la moyenne, la norme est indépendante du
temps, mais fonction du titre de chaque firme. E(Rit) est calculée sur la période d’ estimation
de longueur L et correspond à la moyenne de la rentabilité « normale » de chaque titre :
E(Rit) = 1/L
Rit
La période d’ estimation doit être suffisamment longue pour éviter le problème d’ instabilité de
la moyenne. La période d’ estimation est fixée dans notre test sur l’ intervalle (-150 ; -51) et
s’ étale donc sur 100 jours de cotation.
Dans le modèle de l’ indice, la norme E(Rit) ne dépend que du temps et est identique pour
chaque firme. La rentabilité anormale du titre i à la date t s’ écrit :
RAit = Rit – Rmt,
où Rmt (= E(Rit)) est la rentabilité de l’ indice de marché à la date t.
Cette méthode permet de ne pas avoir recours à des données antérieures ou postérieures à
l’ événement pour le calcul de la norme. Dans notre étude, en raison de l’ antériorité des
données et de la durée importante de la période considérée (1986-2000), l’ indice retenu pour
calculer la rentabilité normale est l’ indice CAC 40, seul indice disponible avant l’ apparition
des indices SBF.
12
: L’ asynchronisme est la conséquence des différences de liquidité entre les titres et de fréquence de cotation ;
30
Enfin, pour le modèle de marché, la norme E(Rit) est définie par :
E(Rit) =
i
+
En pratique,
i.Rmt
i
et
i
sont estimés sur la période d’ estimation par une régression des moindres
carrés ordinaires :
Rit =
i
+
i.Rmt +
it
Pour chaque date de la période d’ événement, la norme E(Rit) est calculée à partir des
paramètres estimés par :
E(Rit) = i’ + i’ .Rmt
Les deux coefficients sont calculés sur la période d’ estimation à partir des estimateurs des
moindres carrés ordinaires. Dans notre étude, les différentes étapes de cette méthodologie sont
appliquées sur un échantillon de firmes françaises cotées, filiales et sociétés mères
uniquement, ayant réalisé une augmentation de capital entre 1986 et 2000. Les trois modèles
sont testés et les rentabilités anormales moyennes simples et cumulées sont calculées à partir
des cours quotidiens d’ ouverture, pour chaque jour de la période d’ événement. La section
suivante présente la nature des données recueillies et décrit les caractéristiques des
augmentations de capital retenues, et celles des firmes de l’ échantillon.
Section 2 : Construction de l’échantillon et statistiques descriptives
Cette section détaille les étapes de la méthode d’ échantillonnage, en insistant sur
l’ identification des principaux actionnaires de chaque firme et sur la disponibilité des données
boursières pour le calcul des rentabilités anormales. Puis les statistiques descriptives sont
exposées, en ayant pour objectif d’ identifier les différences entre les caractéristiques des
ce phénomène représente l’ absence de périodicité constante dans les données.
31
émissions réalisées par les sociétés mères et celles opérées par les filiales. Outre les termes de
l’ opération (but, taille, et méthode d’ émission), les attributs financiers essentiels de chaque
firme sont analysés.
I - Echantillonnage et données recueillies
La démarche consiste tout d’ abord à identifier les émissions d’ actions à partir de 1986 sur
le marché français, puis à étudier les structures d’ actionnariat des sociétés émettrices.
Toutes celles étant contrôlées à plus de 40% par une autre firme ont été retenues13. Le
marché français est en effet caractérisé par l’ existence de structures d’ actionnariat
concentrées, et la présence d’ un actionnaire majoritaire à la tête d’ une société cotée est
relativement fréquente. Dans la plupart des cas, la règle « une action/un vote » n’ est pas
vérifiée, et, lorsque les titres sont détenus entre 2 et 4 ans, c’ est au contraire la règle « une
action/deux votes » qui prévaut (Gajewski et Ginglinger, 2002) : ainsi, en raison de droits
de vote doubles, la limite de 40% de capital devrait être synonyme de majorité.
La deuxième étape a alors permis de vérifier que les sociétés mères étaient elles-mêmes
cotées, les autres ont été éliminées. Enfin, pour être ajoutées définitivement dans
l’ échantillon, les cours des actions des firmes retenues devaient figurer sur la base
Euronext.
L’ échantillon final comporte d’ une part 43 filiales émettrices et les 43 sociétés mères
correspondantes, et d’ autre part 19 sociétés mères émettrices et 21 filiales attachées.
L’ échantillon est constitué de firmes industrielles et commerciales, mais aussi de banques
et sociétés financières, car de nombreuses sociétés mères appartiennent au secteur
financier. De plus, peu d’ indicateurs comptables de gestion et d’ exploitation sont
nécessaires aux calculs des variables explicatives des modèles, ce qui ne provoque pas de
problèmes d’ harmonisation des données entre les firmes. Les émissions primaires ont été
réalisées sur le Règlement Mensuel, le Marché Comptant et le Second Marché entre 1986
et 200014. L’ identification des pourcentages de capital détenus par les sociétés mères
proviennent de deux sources : les notes d’ émissions de la COB et les annuaires
13
: L’ analyse n’ a pas pu être réalisée en fonction des pourcentages de droits de vote détenus car cette donnée
n’ était pas disponible en début de période.
14
: Les émissions secondaires et les combinaisons primaire-secondaire sont exclues.
32
DafsaLiens. En effet, la composition du capital de la filiale précisée par la note d’ émission
ne permet pas de distinguer les sociétés mères indépendantes de celles contrôlées ellesmêmes par d’ autres firmes15.
Pour l’ étude d’ événement, les cours boursiers sont extraits de la base Euronext (19772001). Les cours quotidiens ont été recueillis sur les douze mois précédant le mois de
l’ annonce de l’ émission (date COB) et les deux mois suivants, ceci pour pouvoir calculer
la sous- ou sur-performance des titres avant l’ émission16. La densité de cotation sur la
base est très variable et les firmes dont les données boursières ne sont pas disponibles
pour chaque jour de la période d’ événement sont systématiquement éliminées17. Pour le
calcul des rentabilités anormales, il a été nécessaire de collecter les variations
quotidiennes d’ un indice de marché (disponibles également dans la base Euronext) ; dans
notre étude, la norme est déterminée par l’ indice CAC 40, qui, même s’ il peut présenter
un biais « grandes sociétés », est le seul indice boursier recensé sur l’ ensemble de la
période d’ étude (1986-2000).
Nous avons également synthétisé les principales caractéristiques des émissions à partir des
notes d’ information de la COB à travers divers indicateurs : le produit brut de l’ opération
et le nombre d’ actions émises, le but de l’ émission, l’ existence d’ un droit préférentiel de
souscription (DPS), les pourcentages de capital détenus par la société mère et le deuxième
actionnaire de la firme avant l’ annonce de l’ émission, et le taux de désengagement des
actionnaires principaux.
Pour la réalisation des tests empiriques explicatifs (explication des rentabilités anormales
et estimation de la probabilité d’ émission), il a été nécessaire de collecter des données
boursières et comptables pour chaque type de firmes. Toutes les données financières sont
collectées sur les trois années précédant l’ annonce de l’ émission, à la clôture des
15
: Par exemple, la société Axa détenait 68,4% de la firme Finaxa en 1991 et était elle-même contrôlée par la
Compagnie du Midi.
16
: La base Euronext pose un problème de disponibilité des données : sur la période 1977-1991, elle représente
90% de la capitalisation du marché français et comprend les cours d’ ouverture, de clôture, les cours ajustés et
parfois les volumes de transaction quotidiens des titres. Or, les cours d’ ouverture utilisés dans cette étude ne sont
pas forcément disponibles pour chaque titre quotidiennement. Hamon et Jacquillat (1990) évoquent plusieurs
raisons à ce problème : le cours peut être coté mais non transmis à la SBF, la cotation est suspendue par la SBF,
des événements interviennent tels que pannes, grèves ou illiquidité du titre. Pour une analyse mensuelle détaillée
sur la densité de cotation sur la base SBF-AFFI (1977-1991), se reporter à Hachette et Mai (1991).
17
: Pour les autres périodes, les cours manquants sont remplacés par les cours des jours précédents. D’ autres
méthodes sont possibles (Hachette, 1994).
33
exercices. Pour les firmes émettrices, la quasi-totalité des données requises étaient
mentionnées dans les notes d’ information de la COB. Pour les sociétés non émettrices,
l’ accès aux données a été plus complexe. Les données boursières, principalement les
capitalisations et le nombre d’ actions existantes, proviennent de l’ Année Boursière,
document édité par la COB. Les données comptables ont été plus difficiles à collecter en
raison de l’ antériorité requise dans l’ historique des données : en travaillant sur une
période de trois ans, les données s’ étendent de 1983 à 2000. Pour la période 1995-2000,
les valeurs comptables sont extraites de la base Diane. Pour quelques données récentes
manquantes, nous avons eu recours également à la base Sophie, gérée par la COB et
disponible sur Internet. Pour les sociétés non émettrices sur la période 1983-1995, les
données sont directement extraites des rapports annuels d’ activité : ces derniers sont
disponibles aux archives de la Chambre de Commerce et d’ Industrie de Paris (CCIP), et à
la bibliothèque de France (BNF). Au cours de la collecte de données, nous n’ avons retenu
que des chiffres « bruts » et non recalculés : la variété des sources d’ information nous a
conduit à effectuer distinctement le calcul des ratios financiers classiques. Pour le calcul
des variables des tests empiriques, les agrégats comptables suivants ont été collectés : le
total de l’ actif net, les capitaux propres, les dettes financières à long terme, le chiffre
d’ affaires, le résultat d’ exploitation et le résultat net. Les données comptables sont issues
des comptes consolidés de chaque type de firmes.
II - Statistiques descriptives : Emissions d’ actions de filiales et de sociétés mères sur le
marché financier français entre 1986 et 2000
L’ échantillon d’ étude est constitué de 62 émissions d’ actions nouvelles réalisées au cours
de la période 1986-2000 ; 43 proviennent de filiales et 19 de sociétés mères. La répartition
des émissions est assez homogène (entre 2 et 6 émissions par an), sauf pour les années
1986 et 1994, qui sont sur-représentées avec 10 et 9 émissions (environ 30% du total), et
pour l’ année 1995 qui n’ en comporte aucune. Le tableau 2 synthétise les caractéristiques
descriptives des émissions et des sociétés cotées.
34
Tableau 2 : Caractéristiques des augmentations de capital et des firmes de l’échantillon
Les variables liées aux caractéristiques des émissions (Emi1, Emi, Actio1, Garantie) ne concernent que
l’ échantillon de sociétés émettrices (62 entreprises, dont 43 filiales et 19 sociétés mères). Les caractéristiques
financières des firmes portent sur l’ échantillon agrégé (N=126, dont 64 filiales et 62 sociétés mères). (Emi1)
désigne le produit brut de l’ émission en K , (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises / Nombre
d’ actions existantes), (Actio1) mesure la part de capital détenue par le premier actionnaire de la firme, (Garantie)
indique le pourcentage de souscription à la nouvelle émission annoncé par les anciens actionnaires, (Logcap)
représente le logarithme de la capitalisation boursière de la firme au 31.12.t-1 (l’ année 0 étant celle de l’ annonce
de l’ émission), (End) le ratio (Dettes financières long terme t-1/Total de l’ actif t-2) et (Bm) correspond au ratio
(Total des capitaux propres comptables/Capitalisation boursière) en t-1. Le test t de comparaison des moyennes
est donné pour l’ hypothèse d’ inégalité des variances, la signification du test est entre parenthèses. ** :
significatif à 1%, * : à 5%, ° : à 10%.
Variables
Produit brut K
(Emi1)
% Dilution
(Emi)
% Premier
actionnaire
(Actio1)
% souscription
prévu (Garantie)
Taille
(Logcap)
Ratio
d’ endettement
(End)
Opportunités
d’ investissement
(Bm)
Echantillon
total
Moyenne
50 436
Médiane
29 101
Sociétés
mères
Moyenne
161 585
Filiales
21.03
14.28
10.48
59.18
56.61
37.11
76.6667
95.00
51.80
84.4375
14.9389
14.9873
15.7926
14.0852
0.1634
0.1427
0.1539
0.1686
0.5592
0.5069
0.6617
0.5018
Test statistique
Moyenne
T (signification)
15 702
2.692**
(0.009)
25.46
-2.597*
(0.013)
63.20
-5.254**
(0.000)
-2.046°
(0.064)
5.792**
(0.000)
-0.502
(0.617)
1.648
(0.106)
88,7% (55) des opérations s’ accompagnent d’ un droit préférentiel de souscription ; les
11,3% (7) restantes sont pour la plupart le fait de sociétés mères souhaitant ouvrir leur
capital à l’ étranger, qui prévoient une tranche internationale. Seules deux filiales,
récemment cotées, abandonnent le mécanisme du DPS, également pour attirer de
nouveaux investisseurs. Il est important de souligner que l’ abandon du DPS va souvent de
pair avec la non souscription des actionnaires de la société mère dans le cas des filiales
émettrices et des actionnaires anciens pour les sociétés mères. Dans le tableau 2, la
variable (Garantie) mesure le taux de souscription annoncé par les actionnaires anciens
dans la note d’ information : pour l’ échantillon global, la moyenne s’ établit à 76.66% et la
médiane à 95%. Il semble donc qu’ en règle générale les actionnaires anciens souhaitent
souscrire à l’ augmentation de capital. Cependant, on note un taux de désengagement
moyen significativement plus important pour le sous-échantillon de sociétés mères
émettrices, avec un taux de souscription prévu de 51.8%, contre 84.44% pour les filiales.
35
Nous avons recensé également les buts et motivations des émissions évoqués par les
sociétés cotées, et défini une variable de regroupement prenant les valeurs suivantes :
-
0 : l’ émission a pour but de rééquilibrer la structure financière de la firme.
-
1 : l’ émission doit financer un nouveau projet d’ investissement.
-
2 : l’ émission doit financer une nouvelle acquisition.
-
3 : l’ émission contribue à un processus de restructuration et de réorganisation du
capital.
-
4 : autres, et notamment, se conformer à des standards bancaires internationaux,
modifier la structure de propriété existante (actionnariat), projet de cotation à
l’ étranger, ou raisons mixtes ne permettant pas un classement précis dans les
catégories précédentes.
35.5% (22) des firmes émettrices veulent rééquilibrer leur bilan. Dans 41,9% (26) des cas,
les fonds levés lors de l’ émission seront affectés au financement de programmes
d’ investissement, dont 11.3% (7) pour le financement d’ acquisitions. Seules 4,8% (3) des
firmes sont concernées par des problèmes de restructuration ; la dernière catégorie
rassemble quant à elle 17,8% des sociétés émettrices.
Si l’ on considère exclusivement l’ échantillon de sociétés mères émettrices, on note dans
39% des cas une volonté de rétablir une structure financière équilibrée, pour 28% des
firmes celle de financer un investissement nouveau, et surtout aucun cas de
restructuration. Pour les filiales émettrices, 48% des émissions sont réalisées dans le but
de financer un projet d’ investissement et 34% afin de diminuer le ratio d’ endettement. Il
en résulte que les filiales semblent disposer de plus d’ opportunités d’ investissement
rentables que les sociétés mères. Cette tendance se retrouve si l’ on examine les
statistiques de la variable (Bm), mesurant les opportunités d’ investissement de chaque
type de firmes avant l’ émission. Même si la différence n’ est pas significative, la moyenne
du ratio (Total capitaux propres comptables / Capitalisation boursière en n-1) est plus
faible pour les filiales que pour les sociétés mères (0.5018 contre 0.6617). Ce constat
conforterait l’ idée que les filiales sont en moyenne des firmes jeunes en phase de
croissance, plus risquées (dans 7% des cas, l’ émission s’ inscrit dans le cadre d’ un plan de
restructuration de la firme), et que les sociétés mères sont au contraire des sociétés
matures faiblement risquées et connaissant un taux de croissance modéré (Schipper et
36
Smith, 1986). De plus, on peut supposer que dans le cadre du financement de nouveaux
investissements, ceux-ci ne concernent que l’ entité émettrice, alors que, dans la
perspective d’ un rééquilibrage du bilan, l’ opération a une incidence sur le groupe dans son
ensemble.
Dans le tableau 2, la variable (Emi1) correspond au produit brut de l’ opération. En
moyenne, les firmes collectent un montant de 50 436 K ; la valeur de la médiane (29 101
K ) indique l’ extrême hétérogénéité de l’ échantillon d’ émissions, celle-ci découlant des
différences de taille entre sociétés mères et filiales, et de la durée de la période d’ étude
(15 ans) où l’ on constate un accroissement significatif des montants collectés au cours du
temps, surtout sur les années 1995-2000. De plus, nous avons construit un indicateur de
taille relative grâce au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes) : la
variable (Emi) montre que les actions émises représentent en moyenne (médiane) 21.03%
(14.28%) du capital existant.
Si l’ on décompose maintenant ces chiffres en fonction de la nature de la firme
(filiale/société mère), des différences de moyennes significatives apparaissent entre les
deux sous-échantillons. Les sociétés mères lèvent, en moyenne, environ 10 fois plus de
fonds que les filiales (161 585 contre 15 702 K ). Ces émissions, d’ un montant imposant,
ne représentent pourtant que 10,48% du capital existant des sociétés mères (les filiales
émettent quant à elles 25,46% de leur capital).
D’ autre part, nous avons collecté, toujours dans les notes de la COB, des informations sur
la composition du capital des sociétés émettrices avant l’ opération. La variable (Actio1)
mesure le pourcentage de capital détenu par l’ actionnaire principal de la firme, celui-ci
variant entre 40 et 100% pour les filiales émettrices en raison des contraintes
d’ échantillonnage. En moyenne, le premier actionnaire détient 59.18% du capital pour
l’ échantillon total (médiane : 56.61%), ce qui confirme l’ idée que les sociétés cotées
françaises possèdent une structure d’ actionnariat concentrée, à l’ inverse des grandes
sociétés industrielles américaines. Pour l’ échantillon de filiales émettrices, la société mère
dispose d’ un contrôle majoritaire avec 63,20% du capital. De plus, pour tenter d’ identifier
l’ existence d’ un contre-pouvoir, le pourcentage de capital détenu par le second actionnaire
37
a été également collecté18 pour ce sous-échantillon : la variable (Actio2) est une variable
dichotomique prenant la valeur 1 si le deuxième actionnaire de la filiale détient plus de
15% du capital. Seules 23,5% (10) des filiales émettrices possèdent un second actionnaire
significatif, pouvant influencer les décisions de gestion et s’ opposer au pouvoir des
dirigeants de la société mère.
Notre problématique suppose un contrôle exclusif de la mère sur la filiale, et notamment
une implication déterminante dans les décisions de financement. La structure de propriété
moyenne des filiales émettrices évoquée dans les statistiques précédentes correspond à
une situation où la société mère peut, si elle le souhaite, « forcer » l’ émission d’ actions de
la filiale dans le cas où elle préfère éviter d’ émettre ses propres actions. L’ absence d’ un
contre-pouvoir significatif dans l’ échantillon offre la possibilité de tester efficacement
l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires.
Si l’ on examine les caractéristiques financières générales des firmes, on constate que les
sociétés mères possèdent une capitalisation boursière plus importante que les filiales : la
différence de moyennes est significative pour la variable (Logcap). Pour l’ échantillon
total, la capitalisation moyenne des filiales à la fin de l’ année t-1 représente environ 37%
de celle des sociétés mères. A partir du ratio d’ endettement financier à long terme (End),
on relève un taux d’ endettement moyen de 16.34% du total de l’ actif (la médiane s’ élève à
14.27%), sans noter de différence entre les deux sous-échantillons. Nous avons commencé
l’ analyse sectorielle des sociétés de l’ échantillon en distinguant les sociétés industrielles,
commerciales et de services. L’ échantillon total comporte 24.6% (31) de firmes
industrielles, 12.7% (16) d’ entreprises commerciales et 62.7% (79) de sociétés de
services19. Cependant, 49 firmes sur les 79 sociétés de services appartiennent au secteur
bancaire et financier. L’ impact de l’ appartenance au secteur financier sur la disponibilité
des ressources de financement et le degré de contraintes financières semble être un
élément essentiel de l’ analyse. En effet, les sociétés d’ intermédiation financière ont un
accès privilégié au marché obligataire (capacité d’ émettre des dettes peu risquées) et des
compétences spécifiques dans la collecte et le traitement des informations financières :
toutes ces particularités doivent influencer la réaction du marché à l’ annonce d’ une
18
: La vérification de l’ indépendance du second actionnaire par rapport à la société mère a été réalisée à partir
des annuaires DafsaLiens.
38
émission d’ actions, en réduisant l’ asymétrie d’ information potentielle au moment de
l’ opération. Nous avons donc construit une variable dichotomique (Secteur) prenant la
valeur 1 si la firme appartient au secteur financier et 0 sinon. Le sous-échantillon de
sociétés financières comporte 67.3% (33) de sociétés mères. Les filiales représentent par
contre 62.3% des autres sociétés.
La section suivante expose les résultats des tests mettant en évidence les réactions des
cours
des
firmes
émettrices
et
non
émettrices
pour
chaque
sous-échantillon
(mères/filiales). Ils permettent de conclure sur la validité des prédictions des quatre
hypothèses déjà évoquées : l’ hypothèse de séparation de Nanda (1991), l’ hypothèse
d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires, l’ hypothèse de sélection adverse
et l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement.
Section 3 : Etudes d’événements et résultats empiriques
Dans le cas d’ émissions d’ actions de sociétés indépendantes, la plupart des études empiriques
américaines rapportent des rentabilités anormales cumulées négatives de l’ ordre de –2 à –3%
sur deux jours20. Sur le marché français des actions, les conclusions des tests montrent un
impact moins important sur les cours. Hachette (1994) conclut à une rentabilité anormale
cumulée non significative (+1.18%) ; Gajewski et Ginglinger (1996) n’ évoquent qu’ une
réaction négative dans le cas des émissions directes (rentabilité anormale moyenne de –0.59%
à la date d’ annonce). Ces différents résultats offrent une base de comparaison pour les
réactions observées dans le cadre d’ une structure mère/filiale.
Les résultats issus des études d’ événements sont présentés en deux temps : tout d’ abord,
les rentabilités anormales moyennes des filiales émettrices et des sociétés mères
correspondantes, puis celles des sociétés mères émettrices et de leurs filiales. Chaque
paragraphe comporte également une analyse des combinaisons de signes observées et le
calcul des performances passées (rentabilités anormales cumulées sur les 150 jours
19
: Les sociétés mères sont sur-représentées pour cette dernière catégorie : 59.5% du total contre 40.5% pour les
filiales.
39
précédant l’ annonce). En effet, les prédictions du modèle de Nanda (1991), mais
également les développements classiques sur l’ asymétrie d’ information et le phénomène
de sélection adverse, reposent sur la possibilité pour la société mère d’ émettre la catégorie
d’ actions surévaluées, et surtout d’ éviter l’ émission de titres sous-évalués21.
I - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la filiale
1.1 Réaction du cours des actions des filiales émettrices
Le tableau 3 récapitule les rentabilités anormales moyennes simples et cumulées pour
chaque jour de la période d’ événement, calculées à partir des cours quotidiens
d’ ouverture, ajustés pour les dividendes et les modifications de capital. L’ échantillon est
constitué de 43 filiales émettrices sur la période 1986-2000. La période d’ événement est
fixée sur l’ intervalle (-10 ; +10) et la période d’ estimation sur l’ intervalle (-150 ; -51).
Trois statistiques différentes sont calculées : Tsérie, à privilégier en raison du nombre
restreint d’ observations (rapport entre la rentabilité anormale moyenne et l’ écart type
calculé en série temporelle), Tcoupe (écart type en coupe instantanée) et le test des signes.
Les résultats du tableau 3 sont issus du modèle de la moyenne ; les résultats des modèles
de marché et de l’ indice sont similaires.
Tableau 3 : Réaction des cours des filiales émettrices
La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 43 filiales cotées sur
le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt.
DATE
-10
-9
-8
-7
-6
-5
-4
-3
-2
-1
0
1
RAMt en
%
-0.23
-0.22
-0.4
-0.42
-0.14
0.24
0.20
-0.41
0.02
-1.30*
0.03
-0.61
RAMCt en %
Tsérie
-0.23
-0.45
-0.85
-1.27
-1.41
-1.17
-0.97
-1.38
-1.36
-2.66
-2.63
-3.24
20
Tcoupe
-0.29
-0.28
-0.50
-0.54
-0.17
0.30
0.26
-0.52
0.02
-1.64
0.04
-0.77
-0.36
-0.35
-0.62
-0.66
-0.21
0.37
0.31
-0.64
0.03
-2.02
0.05
-0.95
Test des signes
-1.34
-0.15
-1.04
-0.75
-0.15
1.34
0.45
-1.04
0.15
-1.23
0.15
-0.44
: Eckbo et Masulis (1995) offrent une synthèse complète de la littérature empirique sur le marché américain
des actions.
21
: L’ appréciation de la valeur de la firme est ici celle des managers disposant d’ informations privilégiées, et non
celle du marché reposant sur l’ information détenue par les investisseurs externes.
40
DATE
2
3
4
5
6
7
8
9
10
RAMt en
%
-0.45
-0.13
0.05
0.14
-0.78
-0.75
-0.3
-2.52*
0.53
RAMCt en %
Tsérie
-3.69
-3.83
-3.78
-3.64
-4.42
-5.16
-5.47
-7.99
-7.46
Tcoupe
-0.57
-0.17
0.07
0.18
-0.99
-0.94
-0.38
-3.18
0.67
Test des signes
-0.71
-0.21
0.08
0.22
-1.22
-1.16
-0.47
-3.92
0.83
-1.34
-0.45
0.15
0.44
-0.44
-2.83
0.15
-0.75
-0.44
Autour de la date d’ annonce, on constate une RAMt négative et significative au jour –1 (1.30%), proche de zéro à la date d’ annonce, et négative le jour suivant (-0.61%). Sur la
période d’ événement, 67% des RAMt sont négatives. Les rentabilités anormales cumulées
sont égales à –7.46% sur l’ intervalle (-10 ;10), significatives au seuil de 5%, et à –2,85%
sur (-3 ;3)22. Les RAMC négatives indiquent que l’ émission est un signal de surévaluation et que l’ opération véhicule une information défavorable sur les opportunités
d’ investissement à venir. En montrant l’ existence d’ une perte de valeur nette globale pour
les actionnaires de la filiale lors de la période d’ événement, ces résultats tendent à
conforter les hypothèses de Nanda (1991), d’ expropriation et de sélection adverse, mais
infirment celle des opportunités d’ investissement.
Seuls les résultats du test de Slovin et Sushka (1997), dont la problématique de recherche
concerne directement les structures mère/filiale, sont disponibles pour offrir une
comparaison pertinente avec les résultats précédents. A partir d’ un échantillon de 38
émissions d’ actions de filiales sur le marché américain sur la période 1975-1993, les
auteurs mettent en évidence une RAMC de –4.06% pour les titres des filiales émettrices
sur la fenêtre (-1 ;0). Les RAMC relevées sur les intervalles (-10 ;-2) et (1 ;10) sont égales
respectivement à 1.20% et –0.67%, sans être significatives.
Il est intéressant également de mettre en relation l’ effet d’ annonce sur les titres des filiales
et celui observé traditionnellement sur le marché français des actions. Sur un échantillon
de 238 augmentations de capital entre 1977 et 1990, Hachette (1992) détermine des
rentabilités anormales faiblement positives et non significatives au moment de l’ annonce
de l’ opération (date BALO), respectivement 0.21%, 0.14% et 0.21% pour les trois dates (1 ;0 ;1). Cependant, les tests montrent des rentabilités anormales significatives à la date de
22
: Les résultats concernant la valeur et la signification des RAMC sont récapitulés dans le tableau 7.
41
début d’ opération : 0,41 et 1,01 pour les jours –2 et –1 (seuil de 5%). Sur la fenêtre
d’ événement totale (-5 ;5), la RAMC s’ élève à +2.65%. Gajewski et Ginglinger (2002)23
concluent à des RAMt négatives et significatives à la date d’ annonce (-0.58%) pour les
émissions avec DPS, et non significatives pour les émissions directes. De plus, les
rentabilités anormales cumulées sont également significatives sur les intervalles (0 ;1) et
(0 ;5) avec des valeurs de –0.84% et –1.13%, toujours pour les émissions avec DPS.
1.2 Réaction des titres des sociétés mères correspondantes
Le tableau 4 rapporte les résultats de la deuxième étude d’ événement portant sur la
réaction des cours des 43 sociétés mères correspondantes : les chiffres sont également
issus du modèle de la moyenne. A la date d’ annonce, la rentabilité anormale moyenne est
égale à 0,27%, alors que pour les jours –1 et 1 les RAMt sont négatives (respectivement –
0,36 et –0,35%).
Tableau 4 : Réaction des cours des sociétés mères correspondantes
La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 43 sociétés mères
cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement
les RAMt.
DATE
-10
-9
-8
-7
-6
-5
-4
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
RAMt
en %
0.03
-0.02
0.03
0.31
-0.44
0.21
-0.37*
-0.19
-0.04
-0.36
0.27
-0.35
-0.10
0.06
0.34
-0.38
0.15
0.43
0.13*
0.13
0.07
RAMCt
en %
Tsérie
0.03
0.01
0.04
0.35
-0.10
0.12
-0.26
-0.45
-0.48
-0.85
-0.58
-0.93
-1.03
-0.96
-0.62
-1.00
-0.86
-0.43
-0.30
-0.16
-0.10
23
Tcoupe
0.07
-0.05
0.06
0.67
-0.96
0.46
-0.81
-0.41
-0.08
-0.78
0.57
-0.75
-0.21
0.13
0.74
-0.82
0.31
0.93
0.28
0.29
0.14
0.13
-0.09
0.11
1.19
-1.70
0.82
-1.44
-0.73
-0.14
-1.39
1.02
-1.33
-0.37
0.23
1.31
-1.45
0.56
1.65
0.50
0.51
0.25
Test des signes
-1.34
-0.75
-2.24
0.15
-1.94
-0.45
-1.94
-1.34
-1.04
-0.15
0.15
-0.45
-0.15
-0.15
1.04
-0.45
-0.75
1.34
1.94
-0.15
-0.45
: L’ échantillon est constitué de 278 émissions d’ actions de 1986 à 1996 : 214 avec DPS, et 64 émissions
directes.
42
D’ autre part, sur la période d’ événement, 57% des RAMt sont positives, alors que dans le
même temps la RAMCt sur l’ intervalle (-10 ;10) est faiblement négative et égale à –
0,10%. Il semble que les rentabilités anormales moyennes soient plutôt négatives autour
de la date d’ annonce (la RAMCt est égale à –0.71% sur l’ intervalle (-3 ;3) et à –0.44% sur
(-1 ;1)).
Dans l’ ensemble, l’ effet d’ une émission d’ actions d’ une filiale sur la valeur de la société
mère n’ est pas significatif, et semble être légèrement négatif : ce résultat ne conforte pas
l’ hypothèse d’ un accroissement de richesse des actionnaires de la mère, et va à l’ encontre
des conclusions du test de Slovin et Sushka (1997). Les auteurs rapportent en effet des
rentabilités anormales de +1,9% pour l’ échantillon de sociétés mères non émettrices.
Les résultats empiriques montrent que la réaction des cours de la mère est moins négative
que celle des titres de la filiale. Même si l’ impact global de l’ émission d’ actions d’ une
filiale sur la valeur du groupe est négatif, les conclusions des deux études d’ événements
ne sont pas en désaccord avec les hypothèses de séparation de Nanda (1991) et
d’ expropriation de richesse. En effet, la décision de forcer l’ émission d’ actions de la
filiale permet d’ éviter aux dirigeants du groupe d’ émettre des actions de la mère, et de ne
pas subir l’ effet négatif sur la valeur consécutif à l’ augmentation de capital (cet effet est
vérifié sur l’ échantillon de filiales émettrices). Les fonds levés sur le marché par
l’ émission d’ actions de la filiale sont disponibles pour le financement des investissements
(de la filiale ou de la mère), et ce à moindre coût pour les actionnaires principaux du
groupe. Ainsi, l’ absence de réaction significative des cours de la mère ne va pas à
l’ encontre des implications du modèle de Nanda (1991) sur la flexibilité financière liée à
la structure de groupe. De même, l’ absence de réaction positive sur les cours de la mère
n’ infirme pas l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires : en
effet, l’ émission d’ actions a un effet significativement négatif sur la valeur de la filiale, et
neutre sur celle de la société mère. L’ hypothèse de sélection adverse prévoit une réaction
négative des cours de la filiale, et une réaction négative des actions de la mère
proportionnelle à la part de capital qu’ elle détient. Même si l’ effet négatif d’ annonce sur
les cours de la mère n’ est pas proportionnel à la part de capital qu’ elle détient pour notre
échantillon, cette explication reste une alternative pertinente.
43
1.3 Etude des combinaisons de signes et calcul des performances passées
Les différentes hypothèses testées dans cette recherche prévoient des combinaisons de
signes spécifiques pour les réactions des cours des deux catégories de firmes. Ainsi, sur
l’ intervalle (-1 ;1), pour l’ échantillon de filiales émettrices, 62.8% des RAMC (27/43)
sont négatives. Pour celles-ci, on observe alors 66,70% (18/27) de RAMC négatives pour
l’ échantillon de sociétés mères correspondantes. Toujours au moment de l’ annonce, sur
l’ intervalle (-3 ;3), 57,80% (25/43) des RAMC des filiales sont négatives. Pour celles-ci,
69,20% (17/25) des RAMC des sociétés mères sont également négatives. Ainsi, à la date
d’ annonce, il semble que la combinaison de deux réactions négatives soit la tendance
prédominante, ce qui tendrait à conforter l’ hypothèse de sélection adverse.
Les résultats de Slovin et Sushka (1997) sont plus significatifs. Sur 38 émissions des
filiales, il existe 26 cas (68%) de combinaisons de rentabilité négative pour la filiale et
positive pour la mère. Pour le sous-échantillon de 33 émissions se soldant par une baisse
du cours de la filiale, 26 (79%) entraînent une hausse du cours de la mère. L’ hypothèse
nulle est rejetée, et les auteurs concluent qu’ il existe deux effets contraires sur la valeur
des firmes membres de groupe : ce résultat semble cohérent avec l’ hypothèse
d’ expropriation et l’ hypothèse de séparation de Nanda (1991).
Il convient également d’ étudier la question du timing de l’ émission en calculant les
performances passées des deux types de titres par rapport à celles du marché. Nous avons
calculé pour cela les rentabilités anormales cumulées pour chaque société de l’ échantillon
sur la période (-151 ;-1). A partir d’ un indice de marché (indice CAC 40), la moyenne
pour l’ échantillon de filiales s’ établit à +2,34% et celle pour l’ échantillon de sociétés
mères à –8,83%. Ainsi, l’ émission fait suite à une période où les actions de la filiale « surperforment » le marché et les actions de la mère le « sous-performent »24. La sur- ou sousévaluation des titres n’ étant pas observable pour un investisseur externe, la plupart des
tests empiriques existants l’ estime en calculant un indicateur similaire : une performance
positive n’ est en effet pas synonyme de sur-évaluation sur un marché efficient, mais bien
de rentabilité réelle et actuelle en hausse.
24
: Slovin et Sushka (1997) déterminent une performance passée de +33,62% pour les filiales et de –11,88%
pour les sociétés mères sur l’ intervalle (-250 ;-2).
44
Ces chiffres semblent conformes aux implications du modèle de Nanda (1991) et
confirment l’ hypothèse selon laquelle une structure mère/filiale offre la possibilité aux
managers de la mère d’ émettre les actions de l’ entité qu’ ils estiment surévaluée. D’ autre
part,
ces
résultats
corroborent
également
les
développements
sur
l’ asymétrie
d’ information et l’ hypothèse de sélection adverse, puisque la réaction négative à
l’ annonce représente en théorie un signal de sur-évaluation (Myers et Majluf, 1984 ;
Lucas et McDonald, 1990). La performance boursière positive des filiales dans la période
pré-émission confirme cette idée.
II - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la société
mère
2.1 Réaction des actions des sociétés mères émettrices
Le troisième sous-échantillon de cette étude comporte 19 sociétés mères émettrices. Dans
le tableau 5, on constate, à la date d’ annonce, une rentabilité anormale moyenne négative
et non significative de –0.19%. Le jour suivant est marqué par une rentabilité anormale
moyenne des titres de –1.16% (significative à 5%). Au total, sur la fenêtre d’ événement (3 ;3), seule une date comporte une RAMt faiblement positive ; sur ce même intervalle, la
RAMC est égale à –3.76% (au seuil de 5%). De plus, 71% des RAMt sont négatives sur
l’ intervalle (-10 ;10), et la rentabilité anormale moyenne cumulée sur la période
d’ événement est de –6.90% (significative à 5%).
Tableau 5 : Réaction des cours des sociétés mères émettrices
La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 19 sociétés mères
cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement
les RAMt.
DATE
-10
-9
-8
-7
-6
-5
-4
-3
-2
-1
0
RAMt
en %
-0.53
-0.14
0.06
-0.19
0.54
0.65
-0.05
-1.32*
-1.01*
-0.12
-0.19
RAMCt
en %
-0.53
-0.67
-0.61
-0.80
0.27
0.38
0.33
-0.99
-2.00
-2.12
-2.31
45
Tsérie
Tcoupe
-1.14
-0.31
0.13
-0.42
1.16
1.40
-0.11
-2.85
-2.20
-0.26
-0.40
-0.74
-0.20
0.09
-0.27
0.76
0.92
-0.07
-1.86
-1.43
-0.17
-0.26
Test des signes
-1.61
0.23
-0.69
-0.69
1.15
0.69
-1.15
-2.52
-2.06
-0.69
0.23
DATE
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
RAMt
en %
-1.16*
-0.02
0.06
0.69
0.75
-0.58
-0.35
-1.59*
-1.53*
-0.87
RAMCt
en %
-3.47
-3.49
-3.42
-2.74
-1.99
-2.57
-2.92
-4.50
-6.03
-6.90
Tsérie
Tcoupe
-2.51
-0.05
0.14
1.49
1.62
-1.25
-0.76
-3.43
-3.32
-1.87
-1.64
-0.03
0.09
0.97
1.06
-0.82
-0.49
-2.24
-2.16
-1.22
Test des signes
-1.15
-1.61
-0.69
0.23
0.69
-0.69
-0.69
-2.52
-2.98
-1.15
L’ annonce d’ une émission d’ actions d’ une société mère a donc pour conséquence une
diminution sensible de la rentabilité des titres de celle-ci, et une perte nette de richesse
pour les actionnaires majoritaires. La réaction des cours des actions des sociétés mères
émettrices est comparable à celle des titres des filiales émettrices (-6.90% contre –7.46%).
Cependant, en raison de la différence de taille (et notamment de la capitalisation
boursière) entre les filiales et les sociétés mères, la baisse de valeur agrégée pour les
actionnaires des sociétés mères paraît d’ ores et déjà plus sévère lorsque la société mère
décide d’ émettre ses propres actions plutôt que celles de la filiale. Si les dirigeants des
sociétés mères sont rationnels et agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants, ils
devraient éviter d’ émettre des actions consolidées et opter pour une émission de la filiale.
Ce scénario rejoint l’ argument de flexibilité financière attachée à la structure de groupe
pour modifier et améliorer sa politique de financement.
L’ effet négatif d’ annonce constaté sur l’ échantillon de sociétés mères émettrices est
cohérent avec les hypothèses de Nanda (1991), de sélection adverse et d’ opportunités
d’ investissement. Slovin et Sushka (1997) arrivent à une conclusion comparable sur un
échantillon de 37 sociétés mères émettrices américaines : sur l’ intervalle (-1 ;0), la
rentabilité anormale cumulée de –2.68% est significative au seuil de 1%.
2.2 Réaction des actions des filiales correspondantes
21 filiales ont été identifiées comme étant directement contrôlées par les 19 sociétés mères
précédentes. Les résultats de cette dernière étude d’ événement évoquent une réaction
globalement négative des titres des filiales (tableau 6) : 52% des RAMt sont négatives sur
l’ intervalle (-10 ;10). La date d’ annonce se solde par une RAMt négative de –0.45%, et les
deux jours encadrant cette date par deux RAMt négatives et significatives de –1% et –
46
0.77%. Si l’ on analyse les rentabilités anormales moyennes cumulées sur la période,
l’ effet d’ annonce négatif est confirmé : on relève notamment –2.22%, significatif, sur
l’ intervalle (-1 ;1), et –1.53% sur (-10 ;10).
Tableau 6 : Réaction des titres des filiales correspondantes
La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 21 filiales cotées sur
le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt.
DATE
-10
-9
-8
-7
-6
-5
-4
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
RAMt
en %
-0.79
-0.10
0.51
-0.07
0.67
-0.17
1.03*
-0.05
0.09
-1.00*
-0.45
-0.77
0.09
-0.65
0.07
-0.31
0.10
0.02
-0.99
0.57
0.67
RAMCt
en %
-0.79
-0.88
-0.37
-0.44
0.23
0.06
1.09
1.04
1.13
0.13
-0.31
-1.08
-1.00
-1.65
-1.58
-1.89
-1.79
-1.78
-2.77
-2.21
-1.53
Tsérie
Tcoupe
-1.67
-0.20
1.09
-0.15
1.43
-0.36
2.20
-0.11
0.19
-2.12
-0.95
-1.63
0.18
-1.39
0.14
-0.66
0.21
0.03
-2.11
1.20
1.43
-1.39
-0.17
0.90
-0.13
1.18
-0.30
1.82
-0.09
0.15
-1.76
-0.79
-1.36
0.15
-1.15
0.12
-0.55
0.18
0.03
-1.75
1.00
1.18
Test des signes
-1.09
-0.65
1.53
-0.65
1.09
-0.22
1.09
-0.65
0.22
-0.65
-1.09
-1.96
0.22
-1.09
-0.65
-0.65
0.22
0.22
-1.96
1.53
0.65
Ces résultats permettent de distinguer les hypothèses de séparation et de sélection adverse.
Contrairement aux résultats du test de Slovin et Sushka (1997), il semble que l’ hypothèse
de sélection adverse soit plus pertinente pour donner un éclairage théorique sur les effets
d’ annonce au sein d’ une structure mère/filiale. Sur le marché américain, les auteurs
relèvent une rentabilité anormale cumulée de 1.55% (significatif à 5%) sur l’ intervalle (1 ;0) pour les filiales non émettrices et penchent en faveur des développements théoriques
de Nanda (1991). Sur le marché français des actions, l’ annonce d’ une émission au sein
d’ un groupe est un signal négatif véhiculant une information défavorable sur la valeur de
toutes les entités du groupe.
47
2.3 Analyse des combinaisons de signes et des performances passées
A l’ occasion d’ une émission d’ actions de la part des sociétés mères de l’ échantillon, nous
pouvons distinguer la validité des prédictions des hypothèses de Nanda (1991) et celle de
sélection adverse en calculant les combinaisons de signes des réactions au cours de la
période d’ événement. Ainsi, sur l’ intervalle (-3 ;3), 68.4% (13/19) des RAMC sont
négatives pour l’ échantillon de sociétés mères émettrices25. Pour ces 13 firmes, on
constate alors 84.6% (11/13) de RAMC négatives pour les filiales correspondantes. Au
moment de l’ annonce, mais sur l’ intervalle (-1 ;1), on remarque que 63.2% (12/19) des
RAMC des sociétés mères sont négatives, et pour celles-ci, 75% (9/12) des RAMC des
filiales sont négatives. Comme dans l’ étude précédente sur un échantillon de filiales
émettrices, il semble donc que la combinaison de signes la plus fréquente soit
l’ association de deux signes négatifs au moment de l’ annonce.
A partir de leur échantillon de sociétés mères émettrices, Slovin et Sushka (1997)
constatent 57% (21/37) de cas de combinaisons d’ un signe négatif pour la société mère et
d’ un signe positif pour la filiale. Pour les 30 observations pour lesquelles les auteurs ont
relevé un signe négatif pour la mère émettrice, il existe 21 cas où la rentabilité anormale
cumulée est positive pour la filiale (70%).
Sur l’ intervalle (-151 ;-1), les sociétés mères émettrices présentent une rentabilité
anormale cumulée de +6.75%, tandis que les filiales non émettrices connaissent une baisse
sensible de leur rentabilité : -8.76%. Là encore, les dirigeants financiers ont opté pour
l’ émission des titres qui sur-performent la rentabilité du marché, ce qui est en accord avec
les développements de Nanda (1991), mais également ceux de Myers et Majluf (1984) et
Lucas et McDonald (1990). Sur l’ intervalle (-250 ;-2), Slovin et Sushka (1997) évoquent
une rentabilité anormale cumulée égale à +17.37% pour les sociétés mères émettrices (6.72% pour les filiales correspondantes).
25
: L’ analyse des combinaisons de signes porte ici sur 19 sociétés mères et 19 filiales. Les deux filiales non
considérées et appartenant à une seule société mère présentaient des rentabilités anormales de même signe, ce
qui ne fausse pas les résultats.
48
III - Synthèse et interprétation des résultats
3.1 Résumé des résultats empiriques
Les différentes conclusions tirées des résultats des quatre études d’ événements peuvent
être récapitulées en quelques points essentiels (le tableau 7 reprend les principaux
résultats chiffrés) :
-
Globalement, et quelle que soit l’ entité émettrice, l’ opération d’ augmentation de
capital au sein du groupe est une opération coûteuse et synonyme de perte de
richesse nette pour toutes les catégories d’ actionnaires (actionnaires de la société
mère et actionnaires minoritaires de la filiale). Cette conclusion diffère des effets
d’ annonce peu représentatifs habituellement observés sur le marché français des
actions, et surtout va à l’ encontre des résultats du test de Slovin et Sushka (1997)
qui concluent à un gain net de valeur pour les actionnaires de la société mère, en
agrégeant les réactions des titres des deux firmes.
-
Les combinaisons de signes observées permettent de rejeter l’ hypothèse
d’ opportunités d’ investissement.
-
Le rejet de l’ hypothèse d’ expropriation et de celle de Nanda (1991) est plus
indécis : même si l’ on ne constate pas de réaction positive des titres des sociétés
non émettrices, il semble que les dirigeants de la société mère peuvent réaliser des
arbitrages. En effet, l’ émission d’ actions consolidées a un effet plus négatif sur
leur richesse qu’ une émission d’ actions des filiales, celle-ci ayant quasiment un
effet neutre sur la valeur des titres consolidés. Ainsi, l’ opportunité d’ émettre des
titres de la filiale leur offre non seulement une nouvelle alternative de financement,
mais leur permet également d’ éviter la perte de valeur en cas d’ émission de la
mère. D’ autre part, l’ intuition de Nanda (1991), selon laquelle l’ émission d’ actions
au sein du groupe transmet une information différente sur les perspectives de la
mère et celles de la filiale, est rejetée dans le cas des émissions des sociétés mères.
Cependant, elle semble pertinente lorsque la filiale émet : en effet, l’ émission
véhicule une information défavorable pour cette dernière et constitue un signal
neutre sur la valeur des actifs de la mère.
49
-
Les firmes de l’ échantillon ne procèdent à une émission d’ actions nouvelles que
lorsque les performances boursières des titres sont en hausse. Les dirigeants évitent
de ce fait d’ émettre des actions sous-évaluées par le marché. Ce résultat d’ ordre
général est cohérent avec les implications des modèles d’ asymétrie d’ information,
et notamment celui de Nanda (1991).
Tableau 7 : Synthèse des résultats des études d’événements
L’ échantillon est constitué de 43 filiales émettrices, 43 sociétés mères non émettrices, de 19 sociétés mères
émettrices et 21 filiales non émettrices. La valeur du test de Student calculé sur les rentabilités anormales
cumulées figure entre parenthèses. T = RAMC / Racine du nbre de jours * écart type RAM en coupe. Le
pourcentage de RAMt négatives est donné pour l’ intervalle (-10 ;10). * : significatif au seuil de 5%.
RAMC (-10 ;10)
Filiales
émettrices
Sociétés mères
non émettrices
Sociétés mères
émettrices
Filiales non
émettrices
-7.46%*
(-2.05)
-0.10%
(-0.05)
-6.90%*
(-2.12)
-1.53%
(-0.59)
RAMC (-3 ;3)
-2.85%
(-1.36)
-0.71%
(-0.58)
-3.76%*
(-2.00)
-2.74%
(-1.83)
RAMC (-1 ;1)
-1.88%
(-1.37)
-0.44%
(-0.55)
-1.47%
(-1.20)
-2.22%*
(-2.26)
% de RAMt RAMC (-151; -1)
négatives
67%
+ 2.34%
(0.24)
43%
-8.83%
(-1.56)
71%
+6.75%
(0.78)
52%
-8.76%
(-1.28)
Ainsi, le phénomène de sélection adverse parvient à expliquer les réactions des cours des
sociétés émettrices (filiale ou société mère), mais n’ offre pas un éclairage théorique sur la
réaction des titres des sociétés liées au sein du groupe. Dans le cas d’ une émission de la
part de la filiale, l’ effet neutre sur les titres de la société mère peut être expliqué par les
développements de Allen et McConnell (1998), consacrés au départ aux introductions de
filiales sur le marché.
3.2 Réaction des titres des sociétés mères non émettrices : une autre interprétation
possible
L’ introduction d’ une filiale correspond soit à une vente d’ actifs, soit à une émission
d’ actions nouvelles. Schipper et Smith (1986) se concentrent sur le second aspect. Allen et
McConnell (1998) considèrent quant à eux que la vente d’ actifs représente un moyen de
financer d’ autres activités de la mère ou de la filiale. Cette hypothèse de financement est
empruntée à la littérature sur le désinvestissement (Lang, Poulsen et Stulz, 1995), et
diffère largement de celle de Nanda (1991) : ce dernier considère en effet que les
50
managers agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants, en ignorant l’ existence de
comportements opportunistes.
Plusieurs caractéristiques permettent de distinguer la vente d’ un actif et la mise sur le
marché d’ une filiale. La vente d’ actions lors de l’ introduction d’ une filiale s’ adresse à des
investisseurs publics, et non à un acheteur unique, et se présente explicitement comme un
moyen de financement externe. De plus, la société mère conserve généralement une part
significative du capital de la filiale après l’ offre, ceci étant le cas pour l’ émission
d’ actions nouvelles dans l’ étude de Slovin et Sushka (1997). Cependant, dans les deux
cas, les fonds collectés sont soit redistribués aux créanciers ou aux actionnaires, soit
utilisés par les managers pour des investissements discrétionnaires. L’ utilisation des fonds
est un point crucial de l’ analyse de Allen et McConnell (1998). Deux hypothèses
fondamentales sous-tendent leur raisonnement. Premièrement, pour certaines firmes, dans
des conditions particulières, ils supposent que l’ introduction d’ une filiale est créateur de
valeur26. De plus, la rémunération et les compensations tangibles ou intangibles des
managers sont corrélées à la taille de la firme et à la valeur des actifs sous leur contrôle
(Jensen, 1986), donc, s’ ils en ont le choix, ceux-ci préfèrent ne pas réaliser l’ introduction.
Cette méthode de financement n’ est réalisée que lorsqu’ ils souhaitent financer des
activités plus lucratives à leurs yeux et que la firme est contrainte financièrement (aucune
alternative de financement moins coûteuse n’ est disponible).
Plusieurs implications empiriques découlent de ces développements. Tout d’ abord, les
firmes introduisant une filiale sur le marché devraient être sur-endettées et/ou avoir connu
des performances financières médiocres, ceci diminuant leur capacité d’ émettre
directement des obligations ou des actions à moindre coût. D’ autre part, la réaction
positive du marché dépend de l’ affectation des fonds collectés. En particulier, en raison
des coûts d’ agence provenant du contrôle exercé par les managers sur le capital
discrétionnaire, le marché devrait réagir moins favorablement aux introductions
annoncées dans le but de financer des investissements (les fonds sont conservés en interne
et non redistribués aux créanciers et actionnaires).
26
: Plusieurs tests rapportent une réaction positive des titres de la société consolidée à l’ annonce de
l’ introduction d’ une filiale : Schipper et Smith (1986), Klein, Rosenfeld et Beranek (1991), Allen et McConnell
(1998).
51
Ces hypothèses sont confirmées par les résultats du test de Allen et McConnell (1998) sur
un échantillon de 188 introductions de filiales entre 1978 et 1993. La rentabilité anormale
des titres consolidés observée pour l’ échantillon global s’ élève à 2.12% sur l’ intervalle (1 ;1). Si l’ introduction est réalisée pour rembourser des dettes ou verser des dividendes,
l’ effet d’ annonce est plus fortement positif (6.63%) ; il est égal à –0.01% si les fonds sont
affectés au financement d’ investissements discrétionnaires (la différence est significative
à 1%).
Ce raisonnement permet d’ expliquer en partie les différences entre les rentabilités
anormales des sociétés mères non émettrices dans notre étude et celles relevées par Slovin
et Sushka (1997). Lors d’ une émission d’ actions de la filiale, la société mère peut
désinvestir en optant pour une émission secondaire, ou se désengager et ne pas souscrire
dans le cas d’ une émission primaire. L’ échantillon d’ émissions d’ actions de filiales de
Slovin et Sushka (1997) est constitué pour 26% d’ émissions secondaires où la mère tend à
revendre une partie de sa participation dans la filiale. Notre échantillon ne comporte quant
à lui que des émissions primaires, mais, dans certains cas, la société mère annonce
explicitement la volonté de se désengager. Dans le test de Slovin et Sushka (1997), la
réaction positive sur les cours des sociétés mères peut être influencée par les gains
inhérents au désinvestissement réalisé par un sous-échantillon de sociétés mères, ce gain
étant d’ autant plus significatif que la filiale appartient à un secteur d’ activité différent de
celui de la mère27 : il semble que cela soit le cas pour leur échantillon d’ étude où seules
18% des filiales partagent le même code d’ activité SIC avec leur société mère. De plus,
pour 45% des émissions, la raison évoquée par les filiales émettrices américaines est le
remboursement de dette, alors que, pour notre échantillon, la raison la plus fréquente
(48% des cas) est le financement de projet d’ investissement. Ainsi, il est possible que la
réaction des cours des sociétés mères non émettrices soit influencée par un sous-groupe de
sociétés souhaitant désinvestir pour rembourser les dettes du groupe dans l’ échantillon de
Slovin et Sushka (1997), et par une minorité de sociétés mères qui utilisent l’ émission
d’ actions des filiales comme un moyen pour financer des investissements discrétionnaires
dans notre échantillon. En s’ appuyant sur la littérature consacrée au désinvestissement,
27
: Une littérature théorique et empirique abondante existe sur les effets des désinvestissements et du recentrage
d’ activité sur la valeur de la firme : les conclusions, certes contrastées, montrent que d’ une part les firmes
diversifiées ont des valeurs de marché inférieures à celles des sociétés spécialisées (Berger et Ofek, 1995 ; 1996),
et que l’ annonce de la revente d’ une unité non liée a un impact positif sur la valeur de la firme (Comment et
52
l’ hypothèse de financement de Allen et McConnell (1998) détaillée précédemment prévoit
une réaction fortement positive des titres consolidés pour le premier échantillon, et plus
proche de zéro pour le second : les résultats de notre étude et de celle de Slovin et Sushka
(1997) semblent correspondre à cette tendance.
Les résultats des études d’ événements offrent des conclusions originales, mais restent
cependant descriptifs. Le chapitre 2 tente dans un premier temps d’ expliquer les effets
d’ annonce observés au travers d’ un modèle de régression linéaire : les rentabilités anormales
sont confrontées aux caractéristiques des augmentations de capital, et à celles de chaque
catégorie de firmes. L’ élément central pour cette recherche est de parvenir à démontrer que la
place de la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) influence les réactions des cours,
et finalement la valeur de marché du groupe dans son ensemble. Toujours dans le second
chapitre, une autre structure de modèle a pour but de déterminer les facteurs financiers qui
viennent peser sur le choix de l’ entité émettrice. En effet, dans le processus de prise de
décision, les dirigeants du groupe doivent s’ appuyer sur certaines variables financières : les
performances boursières passées, la rentabilité des opportunités d’ investissement et le niveau
d’ endettement.
Jarrell, 1995 ; John et Ofek, 1995). Ces développements sont abordés plus en détail dans la deuxième partie
consacrée aux marchés internes de capitaux.
53
!"
$
%
#
&
Une augmentation de capital réalisée au sein d’ une structure mère/filiale semble avoir des
effets différents sur la valeur des deux entités. La firme émettrice connaît une perte de valeur
nette, mais, dans le même temps, la réaction des cours des sociétés affiliées n’ est pas
identique par rapport à la place qu’ occupent celles-ci au sein du groupe. En particulier,
lorsqu’ une société mère émet des actions nouvelles, la filiale correspondante subit une baisse
de valeur significative à l’ annonce, alors que si une filiale réalise l’ opération, l’ effet sur les
cours de la mère correspondante reste neutre.
Le chapitre 2 tente de déterminer les facteurs explicatifs des rentabilités anormales observées.
Tout d’ abord, grâce à un modèle général appliqué à l’ ensemble de l’ échantillon, les tests
empiriques ont pour objectif de montrer que la place de la firme au sein du groupe possède un
impact significatif sur les effets d’ annonce. Cependant, afin de raisonner toutes choses égales
par ailleurs, le modèle intègre également des paramètres identifiés par la littérature théorique
et empirique comme étant des facteurs explicatifs déterminants des réactions des cours : les
performances passées et les opportunités d’ investissement des firmes, la taille, le but et la
méthode d’ émission. Pour compléter l’ analyse, deux autres modèles appliqués, l’ un aux
réactions des filiales émettrices, l’ autre à celles des mères non émettrices, testent directement
la validité des hypothèses d’ expropriation, de sélection adverse et de désinvestissement. La
première section de ce chapitre 2 expose les modèles d’ analyse testés et les résultats
empiriques sur l’ explication des rentabilités anormales à l’ annonce, pour conclure sur la
nature des caractéristiques qui conduisent les investisseurs externes à une ré-estimation des
cours à l’ annonce.
La seconde section se concentre sur l’ identification des paramètres financiers influençant la
probabilité d’ émission de chaque catégorie de firmes. La méthodologie empirique repose ici
sur un modèle de régression logistique, et confronte les situations financières des sociétés
mères et des filiales avant l’ émission d’ actions. L’ objectif est de comprendre quels sont les
indicateurs financiers qui orientent le choix des dirigeants du groupe pour sélectionner l’ entité
émettrice. Ces derniers ont l’ opportunité de choisir l’ option la moins discriminante pour la
54
valeur du groupe dans son ensemble, peut-être au détriment de la richesse des actionnaires
minoritaires de la filiale. L’ opération peut donc être réalisée par l’ une ou l’ autre firme, et les
fonds collectés sont alors réaffectés au sein du groupe vers les différents projets
d’ investissement disponibles, grâce notamment à l’ endettement intragroupe : cette allocation
interne des ressources est analysée en détail dans la deuxième partie de cette recherche. Les
bases théoriques sont, dans cette deuxième section, constituées des implications des modèles
de structure de capital, adaptées au contexte du groupe.
Section 1 : Déterminants des réactions des cours à l’annonce
Les nombreux tests empiriques existants, qui analysent les conséquences d’ une émission
d’ actions nouvelles, s’ articulent autour d’ une étude d’ événement pour constater la réaction
des cours, et d’ un modèle explicatif qui tente d’ isoler les paramètres financiers à l’ origine des
effets d’ annonce calculés. Dans l’ étude des structures mère/filiale, une question originale
émerge des résultats du chapitre 1 : les filiales connaissent-elles systématiquement des
réactions plus négatives à l’ annonce que les sociétés mères ?
La section 1 débute par la justification théorique, grâce à la description du problème de
sélection adverse, de l’ existence de paramètres financiers essentiels pour l’ explication des
rentabilités anormales à l’ annonce : le modèle de Myers et Majluf (1984) montre en effet que
les effets d’ annonce sont largement influencés par les caractéristiques financières de la firme,
le niveau d’ asymétrie d’ information et les termes de l’ opération. Après la définition des
hypothèses de recherche, les premiers résultats empiriques issus d’ un modèle général, ayant
comme variable centrale la place de la firme au sein du groupe, sont exposés. Le troisième et
le quatrième paragraphes sont consacrés à l’ explication des rentabilités anormales des filiales
émettrices et des sociétés mères non émettrices. En effet, nous avons vu dans le chapitre 1
que, dans le cas d’ une émission d’ actions de la mère, les réactions des titres des deux
catégories de firmes semblent correspondre aux implications du modèle de sélection adverse.
Cependant, dans le cas d’ une émission de la part de la filiale, les réactions observées ne
coïncident pas directement avec les différentes hypothèses théoriques : ainsi les deux modèles
spécifiques testés tentent de valider dans ce cas les hypothèses d’ expropriation, de sélection
adverse et de financement (désinvestissement de la mère).
55
I – Hypothèses de recherche et présentation du modèle d’ analyse : quels facteurs influencent
les effets d’ annonce ?
1.1 Nature du problème de sélection adverse
L’ analyse du modèle classique de Myers et Majluf (1984) permet de déterminer les
principaux facteurs explicatifs des réactions des cours à l’ annonce d’ une émission d’ actions.
Les développements suivants offrent donc une base théorique solide pour démontrer
notamment que les caractéristiques financières de la firme émettrice et les termes de
l’ opération influencent significativement les effets d’ annonce observés.
Les modèles d’ asymétrie d’ information supposent que l’ information privée détenue par les
managers leur permet d’ évaluer plus précisément la valeur réelle des actions de la firme. Cet
avantage informationnel vis-à-vis des investisseurs externes crée un problème de sélection
adverse, car les firmes ont alors la possibilité d’ exploiter les erreurs d’ évaluation des
investisseurs. Par conséquent, ces derniers interprètent l’ annonce d’ une émission d’ actions
nouvelles comme une opération diffusant des informations défavorables sur la valeur de la
firme. Cette réaction semble rationnelle, mais contribue à accroître le coût des émissions
d’ actions pour les firmes dont les titres ne sont pas surévalués.
Si les managers détiennent des informations privées sur les opportunités d’ investissement de
leur firme, les investisseurs ajustent leurs estimations pour tenir compte de la valeur de cette
information privée. Ainsi, la valeur de marché observée d’ une firme, Vo, est égale à la somme
de :
-
la valeur de la firme calculée à partir de l’ information publique, Vc ;
-
et la valeur attendue de l’ information privée détenue par les managers, E(Vp) :
Vo = Vc + E(Vp)
La valeur intrinsèque, ou réelle, de la firme, Vi, est égale à la somme de la valeur estimée à
partir de l’ information publique, et de la valeur réelle de l’ information privée, V’ p :
Vi = Vc + V’ p
56
Une firme est surévaluée (sous-évaluée) lorsque E(Vp) est supérieure (inférieure) à V’ p.
Dans les modèles d’ asymétrie d’ information, les investisseurs révisent à la baisse leur
estimation de E(Vp) lorsque la firme annonce une nouvelle émission (Myers et Majluf, 1984 ;
Miller et Rock, 1985). De ce fait, E(Vp) est une fonction des décisions prises par la firme, d :
E(Vp) = Vp(d). L’ estimation corrigée des investisseurs de la valeur de l’ information privée
lors de l’ annonce d’ une émission d’ actions peut s’ exprimer ainsi :
Var E(Vp) = E(Vp – sans émission) – E(Vp – émission) > 0
Les coûts de sélection adverse apparaissent lorsque l’ estimation corrigée de l’ information
privée est inférieure à la valeur intrinsèque28. Dans ce cas, si l’ on suppose que les firmes
émettent des actions à E(Vp
égale à V’ p – E(Vp
– émission),
– émission).
la décision d’ émission entraîne une perte de valeur
Les firmes peuvent réduire, et même éviter cette perte en
finançant leurs projets d’ investissement grâce à des fonds internes ou par endettement, ou en
réalisant l’ émission dans une période où le problème d’ asymétrie d’ information est moins
significatif.
Myers et Majluf (1984) proposent deux méthodes afin de réduire les coûts de sélection
adverse. Tout d’ abord, il faudrait que les investisseurs interprètent favorablement l’ opération.
Myers et Majluf (1984) soulignent que les caractéristiques spécifiques d’ une firme et les
conditions de marché ont un impact significatif sur l’ interprétation des investisseurs quant à la
raison de l’ émission. Par exemple, les firmes qui semblent posséder un projet
d’ investissement attractif en raison de fortes dépenses en capital connaissent des effets
d’ annonce moins négatifs (Cooney et Kalay, 1993). Par ailleurs, Myers et Majluf (1984)
constatent que les coûts de sélection adverse sont variables lorsque la différence
informationnelle entre managers et investisseurs varie au cours du temps. Considérons le cas
où les deux parties détiennent les mêmes informations : dans ce contexte de symétrie
d’ information, E(Vp) = V’ p et la variation de E(Vp) résultant de l’ annonce de l’ émission est
28
: Si l’ estimation corrigée n’ est pas inférieure à la valeur intrinsèque, les coûts de sélection adverse
disparaissent, car les informations défavorables qui conduisent les investisseurs à une révision à la baisse de la
valeur seraient devenues publiques (Korajczyk, Lucas et McDonald, 1990).
57
nulle. Dans ce cas, l’ émission n’ a plus de contenu informatif, et l’ estimation de la valeur de la
firme est identique pour les investisseurs et les managers29.
Les hypothèses de Myers et Majluf (1984) montrent que la variation de E(Vp) observée à
l’ annonce d’ une émission d’ actions dépend des caractéristiques de la firme émettrice, F, des
conditions de marché M, des termes de l’ opération, O, et du niveau d’ asymétrie d’ information
au moment (t) de l’ émission, AIt :
Var E(Vp) = E(Vp – sans émission) – E(Vp – émission) = f (F ; M ; O ; AIt)
La réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital dépend donc, entre autres,
des caractéristiques financières des firmes et des termes de l’ opération. Dans notre étude des
émissions d’ actions au sein des structures mère/filiale, les principales variables explicatives
correspondent d’ une part à la place de la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) et à
son statut (émetteur et non émetteur). Les autres paramètres sont inclus dans l’ analyse comme
variables de contrôle.
1.2 Facteurs explicatifs liés à la structure de groupe
Cette recherche est axée principalement sur l’ influence de la place de la firme au sein du
groupe sur la valeur des rentabilités anormales calculées dans le chapitre 1. Si l’ on considère
tout d’ abord le cas d’ un modèle général, tentant d’ expliquer les réactions des cours des titres
des sociétés émettrices et non émettrices, les résultats du chapitre 1 ont montré que les filiales
subissaient une perte de valeur significativement plus importante que celle des sociétés
mères : ce résultat global est valide quelle que soit l’ entité émettrice. Il est alors possible de
prévoir que le statut de filiale influence négativement la valeur des rentabilités anormales
observées pour l’ échantillon d’ étude. Le modèle d’ analyse intègre une variable dichotomique
(Fsm), prenant la valeur 1, si la firme est une filiale, et 0, si c’ est une société mère.
Cependant, si l’ on ne prend en compte dans l’ analyse que les sociétés émettrices, les deux
types de firmes connaissent une baisse significative des cours à l’ annonce : ainsi, aucune
hypothèse ne peut être formulée quant au signe de la variable (Fsm) dans ce cas.
29
: Une réaction négative des cours à l’ annonce est encore possible dans cette situation, si les investisseurs
n’ approuvent pas la décision d’ émission.
58
De plus, les sociétés émettrices subissent globalement des effets d’ annonce plus négatifs que
les autres sociétés du groupe : le statut de la firme est représenté par une variable
dichotomique (Ene) prenant la valeur 1, si la firme émet, et 0 sinon. Au vu des résultats des
études d’ événements, cette variable devrait présenter un coefficient négatif et significatif.
D’ autre part, on inclut dans le modèle une variable reflétant le pourcentage de capital
détenu par l’ actionnaire principal de la firme (Actio1) : en effet, plus la participation de la
mère au capital de la filiale est élevée avant l’ annonce, plus la probabilité d’ expropriation
de richesse des minoritaires est importante. Si le marché tend à sanctionner de telles
pratiques, la relation entre la rentabilité anormale à l’ annonce et (Actio1) devrait être
négative.
Toujours dans le cadre particulier des structures mère/filiale, nous intégrons une variable
supplémentaire mesurant le pourcentage de souscription prévu par les actionnaires
anciens, cette garantie figurant dans le prospectus de l’ opération. Dans le cas où une
filiale émet, cet indicateur indique le taux de désengagement de la société mère. En règle
générale, plus ce taux est élevé, plus l’ information véhiculée par l’ annonce est
défavorable. Dans le cadre du groupe, ceci a pour conséquence un effet négatif sur la
valeur de marché de la filiale émettrice et, pour la société mère non émettrice, la réaction
des cours dépend de l’ utilisation des fonds collectés ; l’ effet sera positif si la vente
d’ actions de la filiale sert à rembourser les dettes du groupe ou permet à la société mère de
désinvestir et se défaire d’ actifs non liés. La réaction du marché sera non significative si
les fonds sont utilisés par les dirigeants de la société mère pour financer des activités
discrétionnaires (hypothèse de financement de Allen et McConnell, 1998). Deux variables
dichotomiques sont donc introduites dans le modèle testé : (Garantie) prend la valeur 1 si
le taux de désengagement est positif (les actionnaires anciens ne souhaitent pas souscrire à
hauteur de leurs droits), et 0 si le taux est nul, et, (But) la valeur 1 si l’ émission est
réalisée pour financer un projet d’ investissement ou d’ acquisition, et 0 sinon. La première
devrait présenter un coefficient négatif, la seconde un coefficient positif.
59
1.3 Caractéristiques financières des firmes
1.3.1 Influence des opportunités d’ investissement
Plusieurs courants théoriques soulignent le rôle du niveau des opportunités d’ investissement
de la firme dans l’ explication des réactions des cours à l’ annonce d’ une émission d’ actions.
Tout d’ abord, le modèle de Ambarish, John et Williams (1987) prévoit une relation entre les
deux variables dans un contexte d’ asymétrie d’ information. Les termes du modèle supposent
que les dividendes et les investissements nets peuvent être utilisés pour signaler la valeur de la
firme. A l’ équilibre, les effets d’ annonce dépendent de l’ origine de l’ asymétrie
d’ information :
-
si celle-ci découle des actifs existants, la réaction des cours sera négative ;
-
si celle-ci provient de la valeur des opportunités d’ investissement, la réaction sera
positive30.
Par ailleurs, dans les développements de la théorie des free cash-flows de Jensen (1986), les
managers ont tendance à accroître les actifs sous leur contrôle au détriment de la valeur
globale de la firme. La réaction du marché à l’ annonce d’ une émission d’ actions dépend alors
de l’ estimation des investisseurs quant à la probabilité que les fonds soient affectés au
financement de projets d’ investissement rentables. Pour les firmes disposant d’ opportunités
rentables, la réaction des cours sera positive, et pour celles qui ne possèdent pas de projets
rentables, elle sera négative.
Enfin, dans le modèle de Myers et Majluf (1984), une augmentation de la VAN des
opportunités d’ investissement réduit le problème de sélection adverse, et donc la réaction
négative des cours. Dans le cas extrême où les opportunités sont suffisamment rentables, le
problème de sélection adverse disparaît et la réaction des cours est nulle. Choe, Masulis et
Nanda (1993) généralisent le modèle de Myers et Majluf (1984) pour tenir compte des
variations de la valeur des opportunités d’ investissement au cours du temps, et prévoient que
30
: Cooney et Kalay (1993) arrivent à une conclusion similaire. Ils modifient les hypothèses du modèle de Myers
et Majluf (1984), en autorisant les managers à accepter des projets à VAN négative. Dans cette situation, l’ effet
d’ annonce peut être positif, si l’ incertitude sur la valeur des opportunités d’ investissement est élevée par rapport
à celle concernant la valeur des actifs en place.
60
les émissions d’ actions seront concentrées dans des périodes où les opportunités
d’ investissement sont particulièrement rentables31.
Les courants théoriques précédents permettent de dégager des hypothèses testables sur le sens
de la relation entre la valeur des opportunités d’ investissement et la réaction des cours à
l’ annonce : ils prévoient notamment une relation linéaire positive entre les deux variables.
Une alternative possible aux hypothèses du signal et de free cash-flows serait que les
opportunités d’ investissement soient totalement anticipées avant l’ annonce de l’ émission :
dans ce cas, la valeur des opportunités d’ investissement n’ aurait aucun effet sur la réaction
des cours32.
Les tentatives de validation empirique de ces hypothèses mènent à des résultats mitigés.
Barclay et Lintzenberger (1988) constatent une relation positive, mais non significative, entre
la valeur du Q de Tobin et la réaction du marché à l’ annonce de l’ émission. Denis (1994)
conclut à l’ existence d’ une relation non monotone et peu significative. Les conclusions des
tests de Dierkens (1991) et Pilotte (1992) montrent que l’ augmentation de la rentabilité des
investissements à venir est un déterminant significatif de la baisse des cours à l’ annonce.
Enfin, dans l’ étude de Jung, Kim et Stulz (1996), la valeur du Q de Tobin a un effet positif sur
la réaction du marché.
Dans notre étude, les opportunités d’ investissement sont mesurées, pour chaque firme, par le
ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière) de l’ exercice t-1 : un
coefficient négatif et significatif est attendu pour cette variable (Bm).
1.3.2 Influence des performances passées
Les hypothèses des théories d’ information supposent que les managers, détenant des
informations privées et agissant dans l’ intérêt des actionnaires existants, sont enclins à vendre
de nouvelles actions lorsque celles-ci sont surévaluées. Ces théories justifient l’ influence des
31
: Bayless et Chaplinsky (1996) confortent cette hypothèse empiriquement sur le marché américain des actions.
: Selon l’ hypothèse de sélection adverse, la corrélation positive entre les opportunités d’ investissement et les
effets d’ annonce existerait encore, même si les opportunités étaient totalement anticipées.
32
61
performances passées des firmes sur la probabilité d’ émission33, et non sur la valeur de la
réaction des cours à l’ annonce. Cependant, de nombreux tests empiriques intègrent cette
variable dans les modèles d’ analyse.
Asquith et Mullins (1986) analysent le lien entre l’ accroissement du cours avant l’ émission et
la rentabilité anormale négative à l’ annonce, et démontrent l’ existence d’ une corrélation
positive entre les deux phénomènes. Les auteurs supposent qu’ il existe une relation positive
entre l’ augmentation du cours ex ante et la réduction de l’ asymétrie d’ information : dans ce
cas, une firme dont la rentabilité anormale avant l’ annonce est plus fortement positive devrait
connaître une baisse moins sensible du cours au moment de l’ annonce. Pourtant, d’ autres tests
empiriques sur le marché américain évoquent une relation inverse, et notamment celui de
Masulis et Korwar (1986). Cette divergence s’ explique par la période de référence retenue
pour le calcul des rentabilités anormales avant l’ annonce. Les calculs de Asquith et Mullins
(1986) sont réalisés sur une période de onze mois, et ceux de Masulis et Korwar (1986) sur
une durée plus courte de trois mois. Les résultats du test de Korajczyk, Lucas et McDonald
(1990) réconcilient les conclusions des deux articles, et soulignent l’ existence d’ une relation
non linéaire entre les deux variables. Ils mettent en évidence :
-
une relation négative significative (à 5%) entre la rentabilité anormale à l’ annonce et
la rentabilité anormale passée calculée sur l’ intervalle (-100j ; -2j) ;
-
l’ absence de relation significative entre les deux variables sur l’ intervalle (-250j ; 101j) ;
-
une relation positive significative lorsque la rentabilité anormale passée est calculée
sur l’ intervalle (-500j ; -251j).
Pour un échantillon de 214 émissions d’ actions avec DPS sur le marché français (1986-1996),
Gajewski et Ginglinger (2002) constatent une corrélation négative et significative entre la
rentabilité anormale passée (sur l’ intervalle –200j ; -1j) et celle au moment de l’ annonce. Ce
résultat montre que les effets de sélection adverse sont plus prononcés lorsque la performance
antérieure du titre est élevée.
33
: L’ étude théorique de l’ influence des performances passées sur la probabilité d’ émission est détaillée dans la
section 2.
62
L’ indicateur de mesure des performances passées pour notre test correspond à la rentabilité
anormale cumulée du titre sur la période (-151j ; -1j). Au vu des résultats des études
existantes, le signe de cette variable (Perf) devrait être positif.
1.3.3 Indicateurs d’ asymétrie d’ information
La réaction des titres à l’ annonce est d’ autant plus négative que l’ asymétrie d’ information
entre les managers et les investisseurs externes est élevée. Le modèle d’ analyse testé dans le
point suivant intègre deux indicateurs de mesure de l’ asymétrie d’ information. Ceux-ci
représentent des variables de contrôle classiques : la taille de la firme et l’ appartenance
sectorielle. Les firmes de plus grande taille sont moins soumises aux effets négatifs de
l’ asymétrie d’ information. D’ autre part, l’ échantillon d’ étude comporte une proportion
importante de sociétés financières, notamment dans le sous-échantillon de sociétés mères.
Or, une société d’ intermédiation financière n’ est pas soumise au même degré de
contraintes financières qu’ une firme industrielle ou commerciale. Si l’ on suppose que ces
firmes disposent d’ un avantage significatif dans la collecte et la diffusion des informations
financières, le contenu informatif négatif de l’ émission est atténué. Deux autres
indicateurs sont donc ajoutés au modèle, l’ appartenance au secteur financier, variable
dichotomique (Secteur) égale à 1 si c’ est une société financière et 0 sinon, et la taille de la
firme, mesurée par le logarithme de la capitalisation boursière de la firme (Logcap). Ces
deux variables devraient avoir une influence positive sur la réaction des cours à l’ annonce.
1.4 Caractéristiques de l’ opération
1.4.1 Taille de l’ offre
Plusieurs courants théoriques prévoient une relation négative entre le montant de
l’ augmentation de capital et la réaction du marché à l’ annonce. Les théories d’ asymétrie
d’ information, celles de structure de capital, l’ hypothèse de pression des prix et celle de
redistribution de richesses démontrent toutes qu’ une augmentation du montant des fonds
collectés tend à accentuer la réaction négative des cours à l’ annonce. Dans le cadre des
théories de l’ information, le montant de l’ opération peut représenter un indicateur de
mesure de la « quantité d’ information défavorable » véhiculée par l’ annonce ou de la
variation dans la valeur du ratio d’ endettement (Kalay et Shimrat, 1987).
63
L’ existence d’ une structure de capital optimale est due au fait que la valeur d’ une firme
endettée est supérieure à celle d’ une firme comparable non endettée, en raison de la
déductibilité des charges d’ intérêts (Modigliani et Miller, 1958 ; DeAngelo et Masulis,
1980). Puisqu’ une émission d’ actions nouvelles tend à diminuer la valeur du ratio
d’ endettement, elle contribue également à la réduction des possibilités de déductions
fiscales : ainsi, la réaction des cours à l’ annonce sera d’ autant plus négative que les
montants collectés sont élevés. D’ autre part, Jensen et Meckling (1976) soulignent que les
managers augmentent leurs rentes privées et entreprennent des projets d’ investissement
non rentables, lorsque leur part de capital dans la firme diminue ; or, ceci est généralement
le cas lors d’ une augmentation de capital (à moins qu’ ils n’ y souscrivent). Ainsi, plus la
taille de l’ opération est importante, plus la part de capital du manager diminue et plus la
valeur de marché de la firme est affectée.
L’ hypothèse de pression des prix suppose que la courbe de demande d’ actions de la part des
investisseurs est décroissante. L’ annonce d’ une émission d’ actions, qui entraîne une
augmentation du nombre de titres disponibles, conduit à une baisse mécanique du cours des
titres concernés.
Enfin, l’ hypothèse de redistribution34 de richesses indique qu’ une baisse de la valeur de
marché des actions entraîne une hausse équivalente de la valeur de marché des
obligations. Une émission d’ actions nouvelles diminue la valeur du ratio d’ endettement de
la firme, et rend la dette moins risquée. Par conséquent, la valeur de marché de la dette
augmente ; l’ augmentation de richesse des obligataires se fait au détriment de celle des
actionnaires. Plus l’ offre est conséquente, plus le transfert de richesse est important.
Les résultats des tests empiriques existants sont pourtant partagés. Asquith et Mullins
(1986), Gajewski et Ginglinger (2002) et Slovin, Sushka et Hudson (1990) trouvent une
relation négative et significative, alors que Masulis et Korwar (1986), Hess et Bhagat
(1986), Muhtaseb et Philippatos (1991) et Dierkens (1991) ne relèvent aucun coefficient
significatif. Dans notre étude, (Emi1) mesure le montant brut de l’ opération en K , et
34
: Pour une revue de la littérature sur ces champs théoriques, se reporter à Smith (1986), ou Eckbo et Masulis
(1995).
64
(Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes),
indicateur de dilution. Au vu des développements théoriques, une relation négative et
significative est attendue pour ces variables.
1.4.2 Emissions directes et émissions avec DPS
L’ existence d’ un droit préférentiel de souscription lors de l’ augmentation de capital a
également une influence significative sur la réaction des cours à l’ annonce. La littérature
théorique s’ est intéressée au départ à un paradoxe marquant dans le choix des méthodes
d’ émission d’ actions de la part des sociétés cotées américaines : malgré des coûts de
transaction directs moins élevés, moins de 10% des firmes émettrices utilisaient le
mécanisme du droit de souscription (Kothare, 1997). Ainsi, des hypothèses théoriques
concernant l’ existence de coûts cachés liés à cette méthode d’ émission ont émergé : on
peut citer entre autres le modèle de sélection adverse de Eckbo et Masulis (1992) et l’ effet
négatif sur la liquidité du titre (Kothare, 1997). Dans notre échantillon, les émissions sont
réalisées en grande majorité avec DPS ; sur le marché français, Gajewski et Ginglinger
(2002) constatent des rentabilités anormales négatives à l’ annonce d’ émissions avec DPS,
et ne relèvent aucune réaction significative pour les émissions directes. Pour isoler
l’ influence de la méthode d’ émission, une variable dichotomique (Dps) est introduite dans
le modèle, celle-ci prend la valeur 1 si l’ émission est réalisée avec DPS, et 0 sinon.
1.5 Modèle d’ analyse testé et synthèse des hypothèses de recherche
Le premier modèle d’ analyse testé repose sur l’ équation (1). Celle-ci est appliquée d’ une part
à l’ échantillon dans son ensemble (dans ce cas, les termes de l’ opération ne sont pas pris en
compte), et d’ autre part sur l’ échantillon de firmes émettrices :
(RA)it = Cste + a.(Fsm) + b.(Ene) + c.(Soc)i + d.(Emi) + εit (1) ;
Avec :
(RA)it la rentabilité anormale à l’ annonce des titres de la firme (i) ;
(Fsm) la place de la firme au sein du groupe ;
(Ene) le statut de la firme ;
65
(Soc)i un vecteur de variables reflétant les caractéristiques financières de la firme (i) avant
l’ émission ;
(Emi) un vecteur de variables représentant les termes de l’ opération.
De plus, le tableau 8 offre un récapitulatif des relations attendues entre les rentabilités
anormales à l’ annonce et les différentes variables explicatives.
Tableau 8 : Résumé des hypothèses de recherche : influence des variables explicatives
sur les rentabilités anormales à l’annonce
Nature de la variable
Structure de groupe
Place de la firme au sein du groupe (Fsm)
Statut de la firme (Ene)
% de capital détenu par le premier
actionnaire (Actio1)
Taux de désengagement de l’ actionnaire
principal (Garantie)
But de l’ émission (But)
Caractéristiques financières des
firmes avant l’émission
Opportunités d’ investissement (Bm)
Performances passées (Perf)
Secteur d’ activité (Secteur)
Taille de la firme (Logcap)
Termes de l’opération
Taille de l’ opération (Emi1) et (Emi)
Méthode d’ émission (Dps)
Méthode de calcul
Signe attendu
Variable dichotomique : =1 si filiale ; =0 si
société mère.
Variable dichotomique : =1 si émettrice ;
=0 sinon.
% de capital détenu par le premier
actionnaire.
Variable dichotomique : =1 si le taux est
positif ; =0 sinon.
Variable dichotomique : =1 si financement
d’ un investissement ou d’ une acquisition,
=0 sinon.
(-)
(-)
(-)
(-)
(+)
Ratio (Valeur comptable des capitaux
propres/Capitalisation boursière).
Rentabilités anormales cumulées des titres
sur l’ intervalle (-151j ; -1j).
Variable dichotomique : =1 si secteur
financier, =0 sinon.
Logarithme du total de l’ actif net.
(+)
Montant brut de l’ émission ; Ratio (Nbre
d’ actions émises/Nbre d’ actions
anciennes).
Variable dichotomique : =1 si existence
d’ un DPS ; =0 sinon.
(-)
(-)
(+)
(+)
(-)
II – Résultats empiriques : Modèle général
2.1 Tests univariés de différences de moyennes
Tout d’ abord, nous présentons dans le tableau 9 les résultats de tests de comparaisons de
moyennes sur les mesures de rentabilités anormales en fonction des différentes variables
66
explicatives du modèle. L’ analyse est réalisée à partir de la variable (Car1), calculée sur
l’ intervalle (-10 ;10).
Tableau 9 : Comparaison des CARs en fonction des variables explicatives
Test t de comparaison de moyennes entre deux échantillons indépendants pour l’ hypothèse de variances inégales.
(Car1) mesure la rentabilité anormale cumulée, calculée par le modèle de la moyenne sur l’ intervalle (-10 ;10).
(Fsm) prend la valeur 1 si la firme est une filiale et 0 si c’ est une société mère, (Ene) prend la valeur 1 si la firme
émet, et 0 sinon, (Garantie) prend la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul, et (Secteur)
prend la valeur 1 si la firme est une société financière et 0 sinon. Pour les deux premières variables et la variable
(Secteur), le test est réalisé sur l’ échantillon global, et pour la variable (Garantie) l’ analyse ne porte que sur les
firmes émettrices. ** : significatif à 1% ; * : à 5% ; ° : à 10%.
Variables
FSM
ENE
GARANTIE
SECTEUR
Filiales Sociétés Emetteurs
Non
Désengagement Désengagement Sociétés
Autres
mères
émetteurs
positif
nul
financières sociétés
Car1
-5.97% -1.90%
-7.78%
-2.18%
-11.91%
-4.89%
-1.33% -5.48%
Test t
1.696°
3.213**
2.046*
-1.818°
(signification) (0.093)
(0.002)
(0.047)
(0.072)
On constate que sur cet intervalle la moyenne des rentabilités anormales cumulées est
significativement plus faible pour les filiales que pour les sociétés mères (variable Fsm) :
sur l’ échantillon global, la réaction négative s’ élève à –1.90% pour les sociétés mères et –
5.97% pour les filiales. Cette réaction plus fortement négative des titres des filiales de
l’ échantillon indique que l’ opération d’ augmentation de capital, quel que soit l’ émetteur,
est plus coûteuse pour les actionnaires minoritaires que pour les majoritaires. Ces derniers
contrôlant la décision d’ émettre, ce résultat appuie la thèse de l’ existence d’ une forme
d’ expropriation de richesse des minoritaires. La réaction des firmes émettrices est plus
fortement négative que celle des firmes non émettrices (la différence est significative au
seuil de 1%) : la moyenne des CARs est égale à –7.78% pour les émetteurs, et –2.18%
pour les non émetteurs. Ce résultat va dans le sens de la majorité des modèles théoriques
existants.
Si l’ on s’ intéresse au sous-échantillon de firmes émettrices, il semble que les émissions
accompagnées d’ une garantie complète de souscription de la part des actionnaires
existants conduisent à des rentabilités anormales moins négatives à l’ annonce : celles-ci
s’ élèvent en moyenne à –4.89%, contre –11.91% lorsque le taux de désengagement est
positif. D’ autre part, les sociétés appartenant au secteur financier subissent une perte de
valeur moindre que les autres firmes de l’ échantillon, avec une moyenne de –1.33%,
contre –5.48% pour les autres. Usant d’ une variété de sources de financement et grâce à
des compétences spécifiques dans le traitement et la diffusion de l’ information, les
67
sociétés financières parviennent à réduire l’ asymétrie d’ information avec les investisseurs
externes : l’ émission d’ actions ne véhicule alors que peu d’ informations nouvelles au
marché, et n’ affecte pas la valeur de la firme. Enfin, on ne note aucune différence
significative pour les variables (Dps), (But) et (Bm).
2.2 Tests multivariés (I)
Les résultats des statistiques explicatives sont récapitulés dans le tableau 10. La variable
(Car1) est la variable dépendante dans tous les modèles. Les équations (1), (2) et (3)
concernent l’ échantillon total , et les équations (4) et (5) seulement l’ échantillon de firmes
émettrices.
Tableau 10 : Résultats issus du modèle de régression
Dans les cinq équations, la variable (Car1) est la variable dépendante (rentabilité anormale cumulée sur
l’ intervalle –10 ;10). Les coefficients standardisés sont reportés ainsi que la signification du test t entre
parenthèses. (Fsm) prend la valeur 1 si la firme est une filiale et 0 si c’ est une société mère, (Ene) prend la valeur
1 si la société émet, et 0 sinon, (Secteur) prend la valeur 1, si l’ entreprise est une société financière et 0 sinon,
(Logcap) mesure le logarithme de la capitalisation boursière au 31.12.t-1, (Perf) représente la rentabilité
anormale cumulée sur l’ intervalle (-151 ;-1), (Emi) le ratio Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions
existantes, (Garantie) prend la valeur 1 si le taux de désengagement annoncé est positif, et 0 s’ il est nul, et
(Actio1) mesure la part de capital détenue par le premier actionnaire de la firme. Les valeurs du test F de Fischer,
et du R² ajusté sont données dans les deux dernières lignes du tableau. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%,
° : significatif à 10%.
Equation 2
-0.039*
(0.064)
-0.110
(0.231)
-
Logcap
Equation 1
-0.012
(0.591)
-0.033
(0.732)
-0.254**
(0.007)
0.105
(0.245)
-
Perf
-
Emi
-
-0.158°
(0.075)
-
Garantie
-
-
-
Actio1
-
-
-
-0.482
(0.000)**
-0.393
(0.011)*
-
F
R² ajusté
4.092**
0.069
2.587°
0.037
4.474**
0.082
9.776**
0.248
Constante
Fsm
Ene
Secteur
0.118
(0.200)
-
Equation 3
-0.887
(0.432)
-0.257**
(0.008)
0.103
(0.254)
0.070
(0.465)
-
68
Equation 4
0.021
(0.660)
-0.138
(0.346)
-
Equation 5
0.254
(0.148)
-
0.170
(0.276)
-
-
-
-
0.202
(0.183)
-0.188
(0.175)
-0.317
(0.042)*
2.715°
0.092
Dans un premier temps, l’ analyse des corrélations révèle des relations significatives entre
la variable (Ene) et toutes celles correspondant aux caractéristiques de l’ offre. De plus, les
variables de taille (Logcap) et d’ actionnariat (Actio1) sont corrélées significativement
avec (Fsm) : toutes ces variables ne peuvent donc être introduites simultanément dans les
modèles testés. Les deux variables (But) et (Bm) n’ apparaissent pas dans le tableau 10 en
raison de leur très faible contribution à l’ explication de la variance des rentabilités
anormales à l’ annonce : pour notre échantillon, le but de l’ émission35 et le montant des
opportunités d’ investissement avant l’ émission ne semblent pas être des facteurs
déterminants de la réaction des cours, ce qui conduit à infirmer l’ hypothèse d’ opportunités
d’ investissement, et notamment les conclusions du modèle de Ambarish, John et Williams
(1987). Cependant, cette absence de signification peut être révélatrice du caractère
spécifique des firmes de l’ échantillon et de leur appartenance au groupe. Le coefficient de
la variable (Fsm) est négatif sans être significatif dans les équations (1), (2) et (4). La
place de la société dans le groupe (contrôlée ou contrôlante) n’ influence pas l’ effet
d’ annonce observé : ce résultat concerne non seulement l’ échantillon dans sa totalité, mais
également le sous-échantillon de firmes émettrices. Par contre, la variable (Ene) présente
un coefficient négatif et significatif dans les équations (1) et (3). Ce résultat confirme la
validité des résultats de l’ étude d’ événement, où, quel que soit l’ échantillon considéré, les
firmes émettrices subissent une perte de valeur significativement plus élevée que les non
émettrices. Ici, le statut émetteur ou non émetteur de la firme contribue à expliquer les
variations en coupe transversale des rentabilités anormales cumulées.
Tous les coefficients de la variable (Secteur) sont positifs indiquant que l’ appartenance au
secteur financier permet de réduire la perte de valeur à l’ annonce ; cependant, aucun
d’ entre eux n’ est significatif. De même, dans les équations (3) et (5), la variable taille
(Logcap) est non significative. Ces deux indicateurs classiques d’ asymétrie d’ information
n’ ont pas d’ impact sur la réaction des cours à l’ annonce.
Les performances boursières passées des titres ont une influence négative sur l’ effet
d’ annonce : plus la société « sur-performe » le marché dans la période pré-émission, plus
la réaction à l’ annonce est négative (le coefficient n’ est significatif qu’ au seuil de 10%
35
: Cette conclusion va à l’ encontre des résultas de Mikkelson et Partch (1986) sur le marché américain, qui
trouvent une réaction plus négative des cours à l’ annonce d’ une émission destinée à rééquilibrer le bilan de la
firme.
69
dans l’ équation 2). Les résultats pour la variable (Perf) sont en accord avec les
conclusions de nombreux autres tests empiriques : Gajewski et Ginglinger (2002),
Korajczyk, Lucas et McDonald (1990), Muhtaseb et Philippatos (1991).
A propos des caractéristiques de l’ offre, on constate dans l’ équation (4) un coefficient
négatif et significatif pour la variable (Emi), mesurant la taille relative de l’ opération par
rapport au capital existant. Ainsi, plus l’ offre représente une part importante du capital
existant, plus la réaction des cours à l’ annonce est négative36. Les deux conclusions sur le
pouvoir explicatif des performances passées et de la taille de l’ émission tendent à
conforter l’ hypothèse de sélection adverse.
La variable (Garantie) influence négativement les CARs à l’ annonce, le coefficient étant
significatif dans l’ équation (4). La souscription des actionnaires principaux à la nouvelle
émission constitue un signal favorable pour les investisseurs externes et atténue donc
l’ effet de sélection adverse (réduction de l’ asymétrie d’ information). A l’ inverse, un
désengagement, même partiel, des actionnaires anciens accentue l’ effet négatif d’ annonce.
L’ analyse des CARs n’ étant pas réalisée sur le sous-échantillon de filiales émettrices, ce
résultat ne permet pas de mettre en évidence l’ effet potentiellement positif d’ un
désengagement de la mère sur la valeur des actions consolidées (désinvestissement et
recentrage d’ activités).
D’ autre part, le coefficient de la variable (Actio1) est négatif et significatif dans l’ équation
(5), ceci signifiant que plus la structure de capital de la firme émettrice est concentrée,
plus la réaction des cours est négative. Puisque les filiales de l’ échantillon possèdent des
structures de propriété plus concentrées que les sociétés mères, ce résultat montre encore
indirectement que les actionnaires des filiales subissent une perte de richesse supérieure à
celle des actionnaires du groupe. En outre, plus la part de capital de la société mère est
élevée, plus la baisse de valeur pour les minoritaires est sévère, ceci confortant la thèse de
l’ expropriation.
36
: Ce résultat concorde, entre autres, avec les conclusions des tests de Masulis et Korwar (1986) et de Bayless et
Chaplisky (1996). De plus, la variable (Emi1), qui mesure le produit brut de l’ opération, n’ est pas mentionnée
ici, mais elle conduit à un résultat similaire.
70
Le paragraphe suivant se concentre particulièrement sur l’ explication des réactions des cours
des filiales émettrices pour déterminer la validité des hypothèses de sélection de adverse et
d’ expropriation.
III – Explication des rentabilités anormales des filiales émettrices
3.1 Présentation du modèle d’ analyse
La décision d’ augmentation de capital de la filiale dépend des choix de gestion réalisés par les
dirigeants du groupe ; de ce fait, les dirigeants et les actionnaires minoritaires de la filiale
subissent les effets d’ une décision contre laquelle ils ne peuvent s’ opposer. Ce paragraphe a
pour objectif d’ identifier plus précisément les paramètres financiers qui conduisent à une réestimation de la valeur des titres des filiales émettrices de la part des investisseurs externes.
Outre les caractéristiques financières des filiales avant l’ émission, il est intéressant de
déterminer si les investisseurs prennent en considération la situation financière des sociétés
mères correspondantes et les termes de l’ opération fixés dans la note d’ émission.
L’ hypothèse de sélection adverse permet de justifier, en théorie, la baisse des cours observée à
l’ annonce. Plus généralement, les modèles d’ asymétrie d’ information supposent que les
performances boursières passées, la rentabilité des opportunités d’ investissement et la taille de
l’ offre sont des variables explicatives pertinentes. Ainsi, si l’ hypothèse de sélection adverse
est valide, des variations positives des performances boursières passées et de la taille de
l’ offre devraient avoir un impact négatif sur la réaction des titres à l’ annonce. De plus, une
hausse de la rentabilité des opportunités d’ investissement devrait avoir une influence positive.
Le modèle d’ analyse testé dans ce paragraphe intègre donc les variables (PerfF), (Emi) et
(BmF), dont les méthodes de calcul sont identiques à celles présentées dans le point II37. Par
ailleurs, le niveau d’ asymétrie d’ information de la firme émettrice est un paramètre essentiel
de l’ évaluation des investisseurs : le modèle comprend donc une variable dichotomique
prenant la valeur 1 si la filiale appartient au secteur financier (SecteurF), et 0 sinon, et un
indicateur de taille qui correspond au logarithme du total de l’ actif net (LogactF). Des
coefficients positifs sont attendus pour ces deux variables : en effet, les organismes de crédit
37
: Pour mesurer l’ impact de la situation financière des sociétés mères correspondantes avant l’ annonce sur
l’ évaluation réalisée par les investisseurs externes, nous avons également calculé les variables (PerfSM) et
(BmSM) : les résultats ne sont pas reportés dans l’ étude empirique, car aucune d’ entre elles n’ est significative.
71
et les sociétés financières sont soumises à un plus faible degré d’ asymétrie d’ information. Ce
dernier décroît également avec la taille de la firme38.
La réaction négative des actions des filiales émettrices constatée dans le chapitre 1 peut aussi
provenir d’ une tentative d’ expropriation de richesse de la part des actionnaires de la société
mère, par l’ intermédiaire des dirigeants du groupe. Plusieurs motivations distinctes peuvent
inciter la direction du groupe à collecter des fonds sur le marché par l’ intermédiaire de la
filiale. Tout d’ abord, il est possible que les dirigeants souhaitent éviter de faire subir aux
actionnaires du groupe une perte de valeur à l’ annonce, si l’ émission concerne les titres
consolidés. Par ailleurs, si les actions du groupe sont sous-évaluées et les actions de la filiale
surévaluées, les dirigeants, agissant dans l’ intérêt des actionnaires majoritaires, opteront pour
une émission de la part de la filiale. Il est important de noter que les fonds levés sur le marché
des actions sont ensuite « mobiles » au sein du groupe par l’ intermédiaire de dettes et prêts
intragroupes39 : dans le cas où le groupe souhaite investir dans un projet particulier, et que les
actions consolidées sont sous-évaluées, la direction peut prendre la décision de « faire
émettre » la filiale. Si les investisseurs externes sont rationnels et anticipent ce type de
comportement, ils doivent sanctionner plus sévèrement les filiales pour lesquelles le problème
d’ expropriation est significatif. Ainsi, le modèle d’ analyse comporte une variable mesurant le
pourcentage de capital détenu par la société mère avant l’ annonce (Kalmere) : plus ce
pourcentage est élevé, plus la probabilité d’ expropriation l’ est aussi, et plus la réaction des
titres des filiales à l’ annonce devrait être négative.
Enfin, la participation à l’ opération des actionnaires existants est un signal fort pour les
investisseurs externes. En l’ occurrence, la question est de savoir si la société mère souscrit à
hauteur de ses droits à la nouvelle émission, ou si elle décide de vendre une partie de sa
participation. L’ intention des actionnaires existants est fournie dans les notes d’ information de
la COB. D’ une part, un taux de désengagement positif pourrait constituer un signal
défavorable sur les perspectives financières des filiales concernées. D’ autre part, un
désinvestissement partiel où la société mère conserve le contrôle exclusif de la filiale pourrait
Les investisseurs semblent donc effectuer une estimation de valeur sur la base des perspectives de la filiale
émettrice et non en fonction des perspectives de la société mère.
38
: Là encore, nous avons essayé de déterminer si la taille de la société mère (LogactSM) et son secteur d’ activité
(SecteurSM) avaient une influence positive sur la réaction des titres des filiales émettrices : ces variables ne
possèdent malheureusement aucun pouvoir explicatif.
39
: La partie 2 de cette recherche décrit les caractéristiques du fonctionnement des marchés internes de capitaux
au sein des groupes.
72
aussi avoir un impact positif sur la valeur des titres à l’ annonce : dans ce cas, l’ opération
conduit à une structure de propriété moins concentrée, qui s’ accompagne d’ une plus grande
diffusion et d’ une disponibilité accrue de l’ information financière40. Deux variables reflétant
le taux de souscription des actionnaires principaux sont intégrées au modèle d’ analyse :
(Souscription) correspond au taux de souscription annoncé dans la note d’ information, et
(Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement
est positif et 0 sinon.
3.2 Tests multivariés (II)
Les résultats issus du modèle de régression figurent dans le tableau 11. Dans les quatre
équations présentées, la variable dépendante mesure la rentabilité anormale cumulée du titre
de la filiale émettrice sur l’ intervalle (-1j ; 1j), (Car1F).
Si l’ on s’ intéresse aux variables permettant de vérifier la validité de l’ hypothèse de sélection
adverse, on constate que toutes présentent le signe attendu. Le coefficient de la variable
(PerfF) est négatif dans l’ équation (2), celui de la variable (BmF) est négatif dans les
équations (1), (2) et (4). Le signe des deux indicateurs d’ asymétrie d’ information est
également conforme aux prédictions : les coefficients de (SecteurF) et (LogactF) sont positifs,
respectivement dans les équations (1) et (4), et, (2) et (3). Cependant, tous ces coefficients
s’ avèrent être non significatifs et n’ influencent donc que marginalement la réaction des cours
des filiales émettrices. Seule la variable (Emi) a un impact négatif et significatif sur les
rentabilités anormales cumulées à l’ annonce dans l’ équation (1). Au vu de ces résultats, il
semble que l’ hypothèse de sélection adverse ne permette de justifier qu’ une infime partie des
effets d’ annonce observés pour le sous-échantillon de filiales émettrices.
40
: La concentration des structures de propriété réduit la capacité de contrôle du marché financier externe, et
diminue également les flux d’ information disponibles sur la firme. Gajewski et Ginglinger (2002) montrent que
l’ annonce d’ une émission directe a un effet moins négatif sur la valeur que l’ annonce d’ une émission avec DPS.
L’ interprétation de leurs résultats repose sur le fait que les émissions avec DPS tendent à augmenter la
concentration de l’ actionnariat, alors que les émissions directes contribuent à la diminuer. L’ annonce d’ une
émission directe constitue donc un signal moins défavorable, surtout sur un marché financier où les structures de
propriété sont traditionnellement très concentrées.
73
Tableau 11 : Explication de la réaction des cours des filiales émettrices
Modèle de régression linéaire : dans les 4 équations, (Car1f) est la variable dépendante et mesure la rentabilité
anormale cumulée sur l’ intervalle (-1 ;1). La variable (Souscription) représente le pourcentage de souscription à
l’ émission annoncé par les anciens actionnaires de la firme, (Désengage) est une variable dichotomique prenant
la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul. (PerfF) mesure la rentabilité anormale
cumulée des titres sur l’ intervalle (-151 ;-1), (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre
d’ actions anciennes) et mesure la taille relative de l’ émission, (Kalmere) indique le pourcentage de capital
détenu par la société mère avant l’ annonce, (BmF) correspond au ratio (Valeur comptable des capitaux
propres/Capitalisation boursière en t-1), et mesure les opportunités d’ investissement avant l’ annonce, (SecteurF)
est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la filiale appartient au secteur financier et 0 sinon, (LogactF)
mesure la taille des filiales émettrices par le logarithme du total de l’ actif net en t-1. Les coefficients standardisés
sont reportés ainsi que la signification du test t entre parenthèses. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° :
significatif à 10% (N=43).
Constante
Souscription
Désengage
PerfF
Emi
Kalmere
BmF
Equation 1
-0.339
(0.571)
-0.362
(0.021)*
-0.524
(0.000)**
-
LogactF
-0.068
(0.613)
0.138
(0.345)
-
F
R² ajusté
9.900**
0.387
SecteurF
Equation 2
-4.495
(0.017)
0.371
(0.016)*
-0.193
(0.332)
-0.120
(0.547)
0.260
(0.125)
2.369°
0.146
Equation 3
-2.160
(0.240)
-0.415
(0.015)*
-
Equation 4
-0.336
(0.828)
0.351
(0.037)*
-
-
-
-0.294
(0.086)°
-
-0.413
(0.011)*
-0.088
(0.578)
0.258
(0.109)
-
0.262
(0.117)
3.864*
0.217
4.462**
0.309
Les variables mesurant le taux de participation de la société mère à l’ opération présentent des
coefficients significatifs. La variable (Souscription) a une influence positive et significative (à
5%) dans les équations (2) et (4) : plus le taux de souscription annoncé est élevé, plus la
réaction des titres est positive. De même, les coefficients de la variable dichotomique
(Désengage) sont négatifs et significatifs (à 5%) dans les équations (1) et (3). Ces résultats
prouvent que les investisseurs externes valorisent l’ intention de l’ actionnaire principal quant
au suivi de l’ opération. Un désengagement de la part de la société mère constitue un signal
très défavorable sur les perspectives financières de la filiale. Même si le désinvestissement
entraîne une réduction de la concentration de la structure de propriété, la décision des
actionnaires du groupe de ne pas participer à l’ opération à hauteur de leurs droits a des
répercussions très négatives sur la valeur des titres de la filiale.
74
D’ autre part, les coefficients de la variable (Kalmere) sont négatifs et significatifs dans les
équations (3) et (4), aux seuils de 5 et 10%. Ainsi, plus la part de capital détenue par la mère
avant l’ opération est importante, plus la perte de valeur à l’ annonce est sévère pour les titres
de la filiale. Si les investisseurs interprètent le niveau de participation et de contrôle de la
mère comme un indicateur potentiel de la probabilité d’ expropriation, alors plus cette
probabilité est élevée, plus l’ effet d’ annonce est négatif. D’ autre part, la plupart des émissions
de l’ échantillon sont réalisées avec DPS ; or, cette méthode d’ émission entraîne une
augmentation de la concentration de la structure de propriété. Les investisseurs externes
peuvent également sanctionner ce phénomène.
Globalement, il semble que le niveau de participation de la société mère à l’ opération et la
probabilité d’ expropriation de richesse représentent des facteurs explicatifs pertinents de la
réaction des cours des filiales émettrices. Au contraire, l’ hypothèse de sélection adverse ne
parvient pas à justifier les effets d’ annonce observés.
Le paragraphe suivant est consacré à l’ étude des réactions des titres des sociétés mères
correspondantes (non émettrices).
IV – Explication des rentabilités anormales des sociétés mères non émettrices
En complément de l’ analyse précédente, il est pertinent de déterminer la nature des facteurs
explicatifs des réactions observées pour les sociétés mères non émettrices. Deux variables
semblent dans ce cas pouvoir influencer l’ effet d’ annonce : l’ intensité de la perte de valeur
subie par les filiales émettrices (et sa répercussion sur les cours de la mère), et la politique de
désengagement de la société contrôlante.
4.1 Hypothèses de sélection adverse et de désinvestissement
A l’ annonce d’ une émission des filiales, les cours des titres des sociétés mères
correspondantes ne réagissent que très faiblement (réaction négative et non significative). Ce
résultat s’ oppose aux implications des hypothèses de Nanda (1991), d’ expropriation de
richesse et d’ opportunités d’ investissement : en effet, celles-ci prévoient une réaction positive
des cours des sociétés mères.
75
L’ hypothèse de sélection adverse souligne que l’ effet négatif de l’ annonce sur la valeur des
filiales doit se répercuter sur les cours de la mère, en fonction de la part de capital que celle-ci
détient dans l’ entité contrôlée. Un nouveau modèle de régression, appliqué à l’ échantillon de
sociétés mères non émettrices, a été construit pour évaluer la validité de cet argument. Pour
cela, une variable explicative supplémentaire est calculée ; elle mesure l’ impact de la réaction
des titres de la filiale sur ceux de la mère, par la formule :
Variable (Croisée) = (CARf * % de capital détenu par la mère) * (Capitalisation de la
filiale/Capitalisation de la société mère) ;
(CARf) représente la rentabilité anormale cumulée des titres de la filiale à l’ annonce de
l’ émission. La seconde partie de la formule permet de prendre en compte le différentiel de
taille entre les deux entités. Si l’ hypothèse de sélection adverse est correcte, cette variable
devrait présenter un coefficient positif et significatif. Deux variables croisées sont donc
calculées : (Croisée05) sur l’ intervalle (0 ; 5j), et (Croisée55) sur l’ intervalle (-5j ; 5j).
Une autre interprétation possible met en avant la volonté de la société contrôlante de
désinvestir, en vendant une partie de sa participation au capital de la filiale. Le
désengagement de la société mère lui procure des ressources supplémentaires, pouvant servir
soit à rembourser des dettes, soit à financer des investissements. L’ affectation des fonds est un
facteur explicatif essentiel de la réaction des cours : si les fonds sont redistribués aux
créanciers, l’ effet d’ annonce devrait être positif, si les fonds sont conservés en interne, la
réaction attendue est neutre ou négative (Allen et McConnell, 1998). D’ autre part, les groupes
de sociétés sont en général des structures diversifiées. Or, une littérature financière abondante
conclut à l’ inefficience des politiques de diversification, et reconnaît notamment l’ existence
d’ une décote des grandes firmes diversifiées américaines par rapport à un portefeuille de
firmes spécialisées comparables (Berger et Ofek, 1996 et 1999 ; Comment et Jarrell, 1995).
Ainsi, la tendance au recentrage d’ activité observée dans les années 90 serait une stratégie
créatrice de valeur (Kaplan et Weisbach, 1992 ; John et Ofek, 1995 ; Lang, Poulsen et Stulz,
1995) : l’ annonce d’ un désinvestissement a un effet d’ autant plus positif que la firme se
dessaisit d’ une entité opérant dans un secteur d’ activité non lié. Pour mettre en évidence les
conséquences d’ une politique de désinvestissement partiel, deux variables sont intégrées au
modèle d’ analyse : (Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux
de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul. (Dés*secteur) est une variable croisée prenant
76
la valeur 1 si la société mère se désengage et si la mère et la filiale n’ appartiennent pas au
même secteur d’ activité, et 0 dans le cas contraire.
4.2 Tests multivariés (III)
Le tableau 12 contient les résultats issus du modèle de régression. Dans les 4 équations
proposées, la variable dépendante mesure la rentabilité anormale cumulée de la société mère
sur l’ intervalle (0 ; 5j). Les tests ont également été menés à partir de la rentabilité anormale
cumulée sur l’ intervalle (-5j ; 5j) : les résultats sont similaires et ne sont pas reportés ici.
Tableau 12 : Explication de la réaction des cours des sociétés mères non émettrices
Modèle de régression linéaire : dans les 4 équations, (Car1sm) est la variable dépendante (rentabilité anormale
cumulée sur l’ intervalle (0 ;5)). La variable (Croisée05) mesure l’ impact de la réaction des cours des filiales sur
ceux des mères à partir du ratio : (Carf * % de capital détenu par la mère) * (Capitalisation filiale/Capitalisation
mère), sur l’ intervalle (0 ;5). (BmF), le ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière en
t-1), mesure les opportunités d’ investissement des filiales avant l’ annonce, (Emi) correspond au ratio (Nombre
d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes) et mesure la taille relative de l’ émission, (SecteurSM) est une
variable dichotomique prenant la valeur 1 si la société mère appartient au secteur financier et 0 sinon,
(Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il
est nul. (Dés*secteur) est une variable croisée prenant la valeur 1 si la société mère se désengage et si la mère et
la filiale n’ appartiennent pas au même secteur d’ activité. Les coefficients standardisés sont reportés ainsi que la
signification du test t entre parenthèses. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° : significatif à 10% (N=43).
Constante
Croisée05
BmF
Emi
Equation 1
2.423
(0.072)°
0.341
(0.062)°
-
Equation 2
0.713
(0.672)
0.335
(0.064)°
0.371
(0.052)°
-0.489
(0.013)*
-
Equation 3
0.821
(0.656)
-
Equation 4
-0.656
(0.775)
-
0.334
(0.095)°
-0.452
(0.029)*
-
0.420
(0.065)°
-0.458*
(0.042)*
-
-
0.125
(0.501)
2.512°
0.136
0.122
(0.549)
-
Désengage
-0.388
(0.035)*
0.228
(0.202)
-
Dés*Secteur
-
-
F
R² ajusté
2.727°
0.152
3.553*
0.221
SecteurSM
2.440°
0.129
La variable (Croisée05) présente des coefficients négatifs et significatifs à 10% dans les
équations (1) et (2)41. Ces résultats corroborent l’ hypothèse de sélection adverse et indiquent
que la réaction des titres des sociétés mère non émettrices est proportionnelle à l’ effet
41
: La variable (Croisée55) a également été testée et possède un impact significativement positif sur la réaction
des cours des sociétés mères non émettrices.
77
d’ annonce sur la valeur des actions des filiales émettrices. De plus, la variable de contrôle
(Emi), mesurant la taille de l’ émission, possède des coefficients négatifs et significatifs dans
les 4 équations, au seuil de 5%. Ce résultat est également en accord avec les implications de
l’ hypothèse de sélection adverse : plus la taille relative de l’ émission est élevée, plus la
réaction des cours de la filiale est négative (paragraphe III), et, par conséquent, plus l’ effet
négatif d’ annonce se répercute sur les titres de la société mère.
Par contre, les coefficients des variables mesurant le taux de désengagement de la société
mère lors de l’ émission de la filiale s’ avèrent positifs mais non significatifs (dans les
équations (3) et (4)), ceci ne permettant pas de valider l’ hypothèse de Allen et McConnell
(1998). Par ailleurs, la variable (BmF), mesurant les opportunités d’ investissement des filiales
émettrices, possède des coefficients positifs et significatifs dans les équations (2), (3) et (4) :
ainsi, une baisse du niveau d’ opportunités d’ investissement des filiales semble avoir un effet
positif sur la réaction des cours des sociétés mères42. L’ absence de projets d’ investissement
rentables à la disposition de la filiale conduit à une évaluation moins négative de la valeur de
la mère. Les investisseurs estiment que les fonds collectés seront redistribués aux créanciers
ou aux actionnaires. Ce résultat corrobore partiellement le raisonnement de Allen et
McConnell (1998). De plus, une baisse de la rentabilité des opportunités d’ investissement de
la filiale, accompagnée d’ un désengagement de la société mère, devrait véhiculer un signal
favorable sur la valeur de la société mère : en l’ occurrence, celle-ci revend les titres d’ une
filiale non rentable.
Enfin, la nature du secteur d’ appartenance de la société mère n’ a pas d’ impact significatif sur
la réaction des cours à l’ annonce : (SecteurSM) possède un coefficient positif mais non
significatif dans l’ équation (1).
Cette section s’ est concentrée spécifiquement sur l’ explication des réactions des cours des
deux entités à l’ annonce de l’ opération : elle a permis de mettre en évidence les
caractéristiques financières sur lesquelles repose l’ évaluation des investisseurs externes au
moment de l’ annonce. La section suivante tente d’ estimer la probabilité d’ émission de chaque
type de firmes en fonction de leur situation financière avant l’ émission : l’ objectif consiste
alors à identifier les modalités du choix des dirigeants du groupe, en interne.
42
: La variable (BmSM), non reportée ici, ne possède aucun pouvoir explicatif.
78
Section 2 : Choix de l’entité émettrice et probabilité d’émission de la filiale
par rapport à la mère
Les motivations conduisant les firmes à avoir recours à l’ émission d’ actions pour financer de
nouveaux projets d’ investissement sont définies par les modèles de structure de capital. La
plupart des problématiques existantes tendent à considérer les conditions du choix entre dettes
et capitaux propres. Ainsi, trois courants théoriques essentiels adressent la question du choix
du mode de financement à long terme : la théorie du financement hiérarchique (« Pecking
Order Theory »), la théorie du compromis, qui intègre les développements sur les problèmes
d’ agence (« Static Tradeoff theory »), et l’ hypothèse du timing.
Les développements théoriques présentés au début de cette section essaient de déterminer
dans quelles conditions les firmes optent pour une augmentation de capital. Pour chaque
courant théorique, l’ analyse sera axée particulièrement sur l’ influence de trois variables
financières fondamentales : les variations de l’ endettement financier, les performances
passées et le niveau d’ opportunités d’ investissement. Ces paramètres sont à l’ origine de la
décision d’ émission dans le cas général d’ une société indépendante. Transposé à l’ étude du
choix de l’ entité émettrice au sein d’ une structure mère/filiale, le raisonnement nous amène à
penser que les dirigeants du groupe sont obligés d’ analyser les trois paramètres précédents,
pour chaque catégorie de firmes. Le second paragraphe de la section définit le modèle
d’ analyse et rapporte les différents résultats empiriques issus du modèle de régression
logistique qui tente de comparer la probabilité d’ émission de la filiale par rapport à celle de la
société mère.
I – Théories de structure de capital et adaptation à l’ étude des structures de groupe
Les hypothèses de base des différents modèles sont exposées brièvement. Par ailleurs,
l’ objectif n’ est pas ici d’ évaluer la probabilité d’ émission d’ actions par rapport à celle d’ une
émission de dettes, mais bien d’ identifier les circonstances dans lesquelles les firmes décident
d’ augmenter leur capital. Le niveau d’ endettement financier reste bien entendu, quel que soit
le courant théorique considéré, une variable explicative déterminante.
79
1.1 Théorie du financement hiérarchique
Les deux articles fondamentaux qui servent de référence à ce courant de pensée sont ceux de
Myers, associé pour le second à Majluf (Myers, 1977 ; Myers et Majluf, 1984). Le premier
article montre que, dans une situation où personne ne détient d’ information privilégiée,
l’ existence d’ une dette risquée (dont la probabilité de ne pas être remboursée dans son
intégralité n’ est pas nulle) peut empêcher une émission d’ actions destinée à financer un
investissement rentable : c’ est le « debt overhang effect ». Ainsi, lorsque l’ information est
symétrique, la structure de financement optimale est constituée des seuls capitaux propres.
Le deuxième article souligne que, dans une situation où les dirigeants savent que la véritable
valeur de l’ entreprise est supérieure à celle reflétée par le cours boursier, le fait qu’ ils servent
les intérêts des actionnaires peut les amener à renoncer à une émission d’ actions pour financer
un investissement rentable (lorsque le cours est surévalué, la firme procède au contraire à
l’ émission). Si l’ investissement peut être financé par endettement, celui-ci sera préféré par les
« bonnes » comme par les « mauvaises » firmes. Ainsi, lorsque l’ information est asymétrique,
la structure de financement optimale n’ est composée que de dettes.
Le niveau d’ asymétrie d’ information varie au cours du temps en fonction des révélations et de
la diffusion publique d’ informations sur les résultats et les perspectives des firmes. Ce
concept a donné naissance à la théorie du financement hiérarchique : l’ asymétrie
d’ information provoque une hausse du coût global de l’ augmentation de capital par rapport à
celui de la dette, ceci conduisant à une forme de hiérarchie entre ces deux modes de
financement43. Ce courant théorique ne reconnaît pas l’ existence d’ une structure de capital
optimale. Plus précisément, s’ il existe un ratio optimal d’ endettement, le coût de déviation par
rapport à celui-ci n’ est pas significatif économiquement, en comparaison du coût lié au
financement externe. Les diverses conclusions du modèle de Myers et Majluf (1984) peuvent
être synthétisées :
-
en présence d’ un nouveau projet d’ investissement, le financement interne est
systématiquement préféré au financement externe ;
-
l’ autofinancement ne pouvant suffire à la croissance de la firme, celle-ci aura donc
recours à l’ emprunt. Dans ce cas, elle choisira la forme d’ endettement la plus sûre
43
: L’ asymétrie d’ information entre managers et investisseurs externes n’ implique pas nécessairement une
hiérarchie de financement, comme le prouvent les modèles de Brennan et Kraus (1987) et de Noe (1988).
80
pour deux raisons : les coûts de faillite et la volonté de conserver une capacité ou
réserve d’ emprunt ;
-
dans le choix du mode de financement externe, la dette est préférée aux capitaux
propres. Les firmes ont de bonnes raisons d’ éviter l’ émission d’ actions, notamment à
cause du dilemme entre laisser passer un projet à VAN positive ou émettre des actions
sous-évaluées : les deux solutions se soldent par une perte de valeur nette.
Ces développements démontrent que l’ émission d’ actions n’ est utilisée qu’ en dernier recours,
et lorsque la firme ne dispose pas d’ autres alternatives de financement. Ainsi, une
augmentation du ratio d’ endettement financier, qui tend à saturer la capacité d’ emprunt de la
firme, aura une influence positive sur la probabilité d’ émission.
La relation entre les performances boursières passées et la probabilité d’ émission pose un
problème d’ interprétation dans le cadre de la théorie du financement hiérarchique (la
corrélation entre les deux phénomènes est expliquée de manière plus pertinente par
l’ hypothèse du timing). En effet, il n’ existe pas de raisons solides de croire que l’ information
détenue en interne par les managers est systématiquement plus favorable lorsque les cours
sont élevés. Pourtant, dans le raisonnement de Myers et Majluf (1984), les managers évitent
d’ émettre des actions lorsque celles-ci sont sous-évaluées. De plus, l’ émission transmet une
information défavorable sur la firme au marché : les managers sont donc réticents et préfèrent
accumuler des fonds en interne pour financer les projets d’ investissement. L’ asymétrie
d’ information peut être également un déterminant important de la hausse du cours qui précède
l’ émission si les firmes sont capables de manipuler l’ information, et notamment l’ information
comptable. Teoh, Welch et Wong (1995) constatent que les firmes manipulent effectivement
les résultats et les données comptables avant l’ annonce d’ une émission d’ actions, et montrent
que ces modifications affectent significativement le cours des actions.
Le modèle de Myers et Majluf (1984) repose sur l’ hypothèse que les managers agissent dans
l’ intérêt des actionnaires existants : l’ absence de conflits d’ agence à ce niveau suppose que les
managers n’ entreprennent pas de projets d’ investissement non rentables. Si elles ne disposent
pas de projets rentables, les firmes conservent les bénéfices dégagés et tendent à accroître
81
leurs réserves financières (« financial slack »44). L’ apparition de nouvelles opportunités
d’ investissement rentables avant l’ annonce de l’ émission contribue à accroître l’ asymétrie
d’ information entre les managers et les investisseurs, si les managers ne parviennent pas à
signaler la véritable valeur des projets. D’ un autre côté, l’ existence d’ opportunités rentables
tend à épuiser les ressources internes de financement et à saturer la capacité d’ endettement.
De plus, la raison fréquemment évoquée pour justifier l’ opération d’ augmentation de capital
est le financement de projets émergents. Une version dynamique de la théorie du financement
hiérarchique prévoit que les firmes disposant d’ opportunités d’ investissement futures
rentables auront tendance à diminuer leur ratio d’ endettement, pour ne pas avoir recours à
l’ augmentation de capital dans un avenir proche45. A partir de tous ces arguments, il est alors
possible de prévoir une relation positive entre le niveau d’ opportunités d’ investissement et la
probabilité d’ émission d’ actions46.
La théorie du financement hiérarchique parvient à émettre des hypothèses valides sur le sens
des relations qui lient le niveau d’ endettement financier, les performances boursières passées
et la rentabilité des opportunités d’ investissements, à la probabilité d’ émission. Le point
suivant analyse les fondements théoriques de l’ hypothèse du compromis, qui intègre
également les développements sur les problèmes d’ agence.
1.2 Structure de capital optimale : théorie du compromis et problèmes d’ agence
La théorie du compromis suppose l’ existence d’ un ratio d’ endettement cible Dettes/Capitaux
propres. Si l’ on admet la présence d’ imperfections, les décisions de financement affectent la
valeur de la firme, et la structure de capital doit évoluer en se déplaçant graduellement vers le
ratio optimal. La valeur de ce ratio est déterminée par l’ arbitrage entre les coûts et les
bénéfices liés à l’ endettement, en supposant que les actifs de la firme et ses opportunités
44
: Le « financial slack » caractérise tout montant facilement disponible pour l’ entreprise, qu’ il s’ agisse d’ actifs
facilement cessibles, de disponibilités financières ou encore de dettes sans risque que la firme peut contracter.
L’ avantage d’ une forte liquidité est de pouvoir faire face à une exigibilité imprévue.
45
: La version standard de la théorie implique que les périodes d’ investissement conduisent à des valeurs élevées
du ratio d’ endettement, au-delà de la capacité d’ endettement de la firme.
46
: Les opportunités d’ investissement et la rentabilité sont instables, et leurs fluctuations souvent imprévisibles.
Le déséquilibre entre le montant des cash-flows internes et les dépenses d’ investissement détermine les besoins
en fonds externes de la firme. Celle-ci ne peut réaliser un ajustement optimal et une augmentation des
opportunités d’ investissement entraîne une hausse de l’ endettement. Si le déséquilibre est trop important et que
la firme ne peut émettre des dettes sans risque (saturation de la capacité d’ endettement), elle optera alors pour les
obligations convertibles ou les actions. Ainsi, les opportunités d’ investissement influencent positivement la
probabilité d’ émission.
82
d’ investissement sont maintenus constants. Plus spécifiquement, le ratio cible dépend des
économies fiscales liées à la dette (Modigliani et Miller, 1963)47, des coûts de faillite, des
possibilités de déductions fiscales hors dettes (DeAngelo et Masulis, 1980), de la rentabilité
passée et de la structure de l’ actif (Harris et Raviv, 1991), et des coûts d’ agence de la dette. Le
choix de financement n’ est pas orienté par un ordre hiérarchique entre les différentes sources
de fonds, mais par la volonté de la firme de se rapprocher d’ une structure d’ endettement
optimale. Même si elle admet l’ existence de multiples imperfections, dont les problèmes
d’ agence, la théorie du compromis respecte les hypothèses d’ efficience et d’ information
symétrique.
La théorie du compromis indique que la firme aura recours à l’ augmentation de capital
lorsque la valeur réelle de son ratio d’ endettement dépasse celle du ratio cible. Par
conséquent, on peut prévoir qu’ une augmentation significative de l’ endettement financier
provoque une hausse de la probabilité d’ émission d’ actions.
En ce qui concerne la relation entre la performance boursière passée et la probabilité
d’ émission, l’ existence d’ une corrélation positive est difficilement justifiable dans le cadre de
la théorie du compromis. En effet, si la valeur de la firme augmente (rentabilités anormales
positives avant l’ émission), le ratio Dettes/Capitaux propres diminue, et la firme est alors
censée s’ endetter, et non émettre des actions pour équilibrer sa structure de capital. Une
explication possible du timing de l’ émission d’ actions en accord avec la théorie du compromis
repose sur le fait que la structure de capital évolue car les coûts et bénéfices de la dette varient
au cours du temps. Par exemple, de nombreux articles montrent que les firmes avec de
meilleures opportunités de croissance essaient de modérer l’ endettement. Ainsi, si l’ on admet
que les firmes rentables ont de meilleures perspectives de croissance et que le cours de
l’ action augmente pour cette raison, le phénomène est tout de même cohérent avec les
implications de la théorie.
De même, il apparaît difficile de prévoir une relation stable entre le niveau d’ opportunités
d’ investissement et la probabilité d’ émission. Une version complète de la théorie du
compromis se doit d’ intégrer au raisonnement les conflits d’ agence entre managers,
actionnaires et créanciers. Les coûts d’ agence liés à la dette, qui résultent des divergences
47
: Op. cité Myers (1984), p.579.
83
d’ intérêts entre ces trois catégories d’ acteurs, interviennent dans l’ estimation du ratio optimal
d’ endettement.
Le modèle d’ agence résulte de l’ argument selon lequel les managers poursuivent parfois leurs
propres objectifs (comme par exemple la croissance de la firme) au détriment de l’ intérêt et de
la richesse des actionnaires existants. La théorie de l’ agence adaptée à l’ analyse des structures
de capital reconnaît l’ existence d’ un ratio optimal Dettes/Capitaux propres qui minimise les
coûts d’ agence : la structure de capital doit être un moyen d’ atténuer les conflits d’ intérêts
entre les agents ayant un droit de regard sur les ressources de la firme (dirigeants, actionnaires
créanciers). L’ endettement contribue notamment à atténuer les conséquences des conflits
entre dirigeants et actionnaires48, mais provoque également l’ émergence de conflits entre
créanciers et actionnaires49.
La théorie de l’ agence ne dégage aucune implication quant à la relation entre la variation de
l’ endettement financier et la probabilité d’ émission. Par contre, le lien entre l’ augmentation de
la rentabilité boursière et la décision d’ émission peut s’ expliquer à partir des conséquences de
la relation d’ agence entre managers et actionnaires (Zwiebel, 1996). Selon cet argument, les
managers tentent de limiter l’ endettement, puisque ce mode de financement peut ralentir la
croissance et provoque une augmentation de la probabilité de défaut, ceci mettant en danger
leur situation au sein de la firme. Cependant, la possibilité pour les managers de conserver un
endettement modéré dépend du contrôle exercé par le marché externe. La pression du contrôle
externe est d’ autant plus sévère que les performances financières de la firme se dégradent
(probabilité d’ éviction des dirigeants). Par conséquent, les managers sont totalement libres
d’ émettre de nouvelles actions en phase d’ expansion et de profit, mais, lorsque les bénéfices
48
: Les comportements opportunistes et les prélèvements des dirigeants diminuent lorsque ceux-ci détiennent
une part plus importante du capital. En admettant que le niveau d’ investissement personnel du dirigeant est
constant, augmenter la fraction de l’ activité de la firme financée par dette permet d’ accroître la part relative du
dirigeant et de réduire les pertes occasionnées par les conflits d’ agence. Par ailleurs, la dette oblige la firme à
débourser régulièrement des liquidités pour assurer les remboursements et le paiement des intérêts : ceci tend à
diminuer le montant des free cash-flows à la disposition des dirigeants.
49
: Ces conflits peuvent engendrer une politique d’ investissement sous-optimale, contraire à la maximisation de
la valeur. Les propriétaires-dirigeants ont intérêt à choisir les projets d’ investissement risqués. Une première
argumentation repose sur la théorie des options. Si la faillite survient, l’ entreprise est laissée aux créanciers et la
perte des propriétaires est limitée au montant des fonds propres détenus. Si le projet est mené à bien, les
propriétaires remboursent la dette et captent l’ ensemble des bénéfices. La transposition de ce modèle en tenant
compte des imperfections de marché a été réalisée par Jensen et Meckling (1976) : entre deux investissements,
l’ entrepreneur aura intérêt à choisir le plus risqué puisqu’ il accroîtra la valeur de ses fonds propres au détriment
de la valeur économique de la dette. Myers (1977), en prenant en compte les actifs existants et les
investissements futurs, arrive aux mêmes conclusions. Le risque de transfert de richesse et l’ effet de substitution
d’ actifs génèrent des coûts d’ agence significatifs.
84
dégagés sont en baisse et les performances boursières médiocres, ils auront tendance à
s’ endetter (une augmentation de capital pourrait conduire dans ce cas à leur remplacement).
Le raisonnement lié à la théorie de l’ agence suppose que les performances boursières passées
représentent un indicateur pertinent de la probabilité d’ émission pour les firmes soumises à
des problèmes d’ agence significatifs.
La théorie de l’ agence indique que l’ augmentation des cours doit avoir lieu sur une période de
temps relativement longue avant l’ annonce de l’ émission, ce qui contraste avec les
implications des modèles d’ asymétrie d’ information qui évoquent un lapse de temps plus
court : toute mauvaise évaluation due à l’ asymétrie d’ information devrait être corrigée lors de
la diffusion régulière des résultats intermédiaires de la firme.
La problématique de l’ agence permet également de prévoir une relation positive entre la
rentabilité de opportunités d’ investissement futures et la probabilité d’ émission. En présence
de coûts d’ agence et d’ une information symétrique, considérons le cas d’ une firme totalement
financée par capitaux propres et ne disposant pas, à priori, d’ opportunités d’ investissement
rentables. Si les managers maximisent la richesse des actionnaires existants, une nouvelle
émission réalisée dans le but de financer un projet constitue une information et un signal
favorables pour les investisseurs : cela signifie en effet que la firme a obtenu de manière
inattendue un projet à VAN positive. En revanche, en présence de coûts d’ agence liés au
comportement opportuniste des managers, une nouvelle émission n’ est pas forcément
synonyme de nouvelle favorable. Pour le financement d’ un projet à VAN négative, les
dirigeants optent en général pour l’ augmentation de capital : l’ endettement conduit dans cette
situation à une diminution des ressources sous leur contrôle, puisque la valeur actuelle des
annuités de la dette excède celle des rentes dégagées par l’ investissement. Une augmentation
des opportunités d’ investissement a pour conséquence une diminution des coûts d’ agence liés
à l’ opportunisme des dirigeants, car leurs objectifs et ceux des actionnaires s’ accordent
lorsque la rentabilité des investissements s’ améliore. Ainsi, une variation positive des
opportunités d’ investissement contribue à augmenter la probabilité d’ émission d’ actions.
Un troisième courant théorique offre une argumentation nouvelle sur les choix et les décisions
de financement qui influencent la structure de capital des firmes : l’ hypothèse du timing.
85
1.3 Hypothèse du timing
Sur un marché efficient et intégré, les coûts des différentes formes de financement ne varient
pas indépendamment les uns des autres, ce qui élimine toute possibilité de gains opportunistes
provenant d’ une substitution des deux alternatives principales, le dette et les capitaux propres
(Modigliani et Miller, 1958). En présence d’ imperfections, les managers ont l’ opportunité de
prévoir les émissions d’ actions et d’ obligations, pour faire bénéficier les actionnaires existants
de conditions financières favorables (ceci au détriment des nouveaux entrants).
Plusieurs aspects de la politique financière des firmes tendent à prouver que le timing est un
déterminant important des décisions de financement. Tout d’ abord, plusieurs études montrent
que les firmes choisissent d’ émettre des actions, plutôt que des obligations, lorsque la valeur
de marché de la firme est élevée, par rapport à la valeur comptable et aux valeurs de marché
passées (Marsh, 1982 ; Asquith et Mullins, 1986 ; Korajczyk, Lucas et McDonald, 1991) ; de
même, les firmes ont tendance à racheter des actions lorsque la valeur de marché est plus
faible. De plus, l’ analyse des rentabilités à long terme consécutives aux décisions de
financement prouvent que le timing est en moyenne efficace : les firmes émettent des actions
lorsque le coût est relativement faible, et en rachètent lorsque le coût est plus élevé (Loughran
et Ritter, 1995). Enfin, les managers sur le terrain reconnaissent cette pratique. Dans l’ article
de Graham et Harvey (2001), deux tiers des directeurs financiers interrogés indiquent que le
montant de la sous- ou sur-évaluation des titres est un paramètre essentiel de la décision
d’ émission ; autant soulignent que, si le cours a récemment augmenté, le prix auquel les
actions peuvent être vendues est « élevé ».
Le timing semble avoir des effets à long terme sur la structure de capital des firmes (Baker et
Wurgler, 2001). Le cadre théorique du timing suppose que la structure de capital résulte des
différentes tentatives passées de faire coïncider les décisions de financement avec l’ évolution
du marché des actions. Il est important de souligner que la décision du timing repose sur
l’ estimation de la valeur des actions réalisée en interne par les managers, en fonction de
l’ information privée dont ils disposent. La justification d’ un tel phénomène réside dans une
version dynamique du raisonnement de Myers et Majluf (1984), en prenant en compte des
managers et des investisseurs rationnels, et des coûts de sélection adverse qui varient dans le
temps et selon les firmes. Lucas et McDonald (1990) et Korajczyk, Lucas et McDonald
(1991) considèrent que l’ intensité de la sélection adverse est différente pour chaque firme.
86
Choe, Masulis et Nanda (1993) prennent en compte des fluctuations au cours du temps. Les
résultats de Korajzcyk, Lucas et McDonald (1991) et de Bayless et Chaplinsky (1996)
corroborent cette première hypothèse du timing. Les premiers prouvent que les firmes tendent
à annoncer une émission d’ actions nouvelles après la diffusion et la révélation d’ informations
au marché, ceci dans le but de réduire l’ asymétrie d’ information. Les seconds trouvent que les
émissions sont concentrées sur certaines périodes pour lesquelles la rentabilité des
investissements est particulièrement élevée.
Le raisonnement classique de Myers et Majluf (1984) a été adapté par Lucas et McDonald
(1990) pour expliquer simultanément la hausse des cours pendant la période précédant
l’ émission, la baisse à l’ annonce et la concentration du nombre des émissions lors de périodes
d’ expansion. Leur modèle repose sur trois hypothèses fondamentales : (i) l’ existence d’ une
asymétrie d’ information entre managers et investisseurs, (ii) retarder une émission d’ actions
est une démarche coûteuse pour la firme car la VAN du projet diminue au cours du temps,
(iii) pour certaines firmes, l’ évaluation par le marché peut être temporairement éloignée de la
véritable valeur. Lorsque le marché reçoit de nouvelles informations, l’ évaluation est corrigée
progressivement : l’ estimation de la valeur des firmes sous-évaluées (surévaluées) augmente
(diminue).
Selon ces hypothèses, on peut considérer deux firmes souhaitant émettre des actions pour
financer un nouveau projet d’ investissement. Leurs caractéristiques financières sont
identiques excepté le fait que l’ une est sous-évaluée et l’ autre surévaluée. La firme sousévaluée attend que le marché révise à la hausse son estimation et tend à retarder l’ émission :
elle supporte alors le coût de ce délai. La firme surévaluée attend que le marché apprenne sa
véritable valeur et émet dès l’ apparition de l’ opportunité d’ investissement. Ces deux stratégies
impliquent l’ existence d’ une rentabilité anormale en moyenne positive au cours des mois qui
précèdent l’ annonce de l’ émission. Les firmes sous-évaluées attendent que leurs cours
remontent avant d’ émettre et les firmes surévaluées émettent immédiatement. Par conséquent,
une hausse des rentabilités anormales des titres avant l’ annonce entraîne une augmentation de
la probabilité d’ émission.
L’ hypothèse du timing prévoit également une relation directe entre les variations des
opportunités d’ investissement et la probabilité d’ émission. En effet, le ratio « Market/Book »,
traditionnellement utilisé pour mesurer les opportunités d’ investissement, représente ici une
87
évaluation de la valeur de marché de la firme : lorsque sa valeur est élevée (faible), la
probabilité d’ émission d’ actions augmente (diminue). Cependant, la probabilité d’ émission
n’ étant liée qu’ à l’ estimation de la valeur de la firme de la part des managers, celle-ci ne
semble pas être affectée directement par les variations du ratio d’ endettement financier.
Le tableau 13 récapitule le sens des relations entre les variations d’ endettement financier, les
performances passées, le niveau d’ opportunités d’ investissement, et la probabilité d’ émission,
en fonction des différents courants théoriques :
Tableau 13 : Hypothèses des modèles de structure de capital sur les facteurs financiers
influençant la probabilité d’émission d’actions
Le signe mentionné entre parenthèses correspond à la relation attendue entre la variable évoquée et la probabilité
d’ émission d’ actions.
Variations de
l’ endettement financier
Théorie du financement
hiérarchique
(+)
Performances boursières
passées
(+)
Rentabilité des
opportunités
d’ investissement
(+)
Théorie du compromis et
problèmes d’agence
Hypothèse du timing
(+) : compromis
(??) : agence
(+) : compromis
(+) : agence
(??) : compromis
(+) : agence
(??)
(+)
(+)
Le paragraphe suivant aborde la question de l’ adaptation de ces conclusions théoriques
générales au contexte du groupe.
1.4 Adaptation de l’ argumentation théorique au contexte du groupe
A la lumière des développements théoriques précédents, il est nécessaire d’ isoler les
spécificités des sociétés membres de groupe quant à l’ intensité de l’ asymétrie d’ information et
des problèmes d’ agence. Tout d’ abord, les structures de groupe sont souvent issues de la
création d’ un réseau de participations croisées entre le différentes sociétés membres. La
complexité des relations et des liens entre les entités du même groupe rend difficile
l’ appréciation de la situation financière globale du groupe. De même, la stratégie diversifiée
de la plupart des grands groupes français contribue à compliquer l’ analyse de leurs
performances financières. Ainsi, le niveau d’ asymétrie d’ information entre les dirigeants du
groupe et les investisseurs externes semble plus élevé que dans le cas d’ une société
indépendante classique.
88
D’ autre part, les conflits d’ intérêts et les luttes de pouvoir au sein même du groupe sont plus
discriminants en raison de niveaux hiérarchiques plus nombreux. En effet, une relation
d’ agence supplémentaire s’ établit entre les dirigeants de la société contrôlante et ceux de la
société contrôlée. De plus, on distingue deux classes d’ actionnaires : les majoritaires qui
détiennent le capital de la société mère et contrôlent les sociétés affiliées, et les minoritaires
qui ne possèdent qu’ une faible part du capital des sociétés contrôlées. Une structure de groupe
est donc plus soumise aux effets négatifs découlant des conflits d’ agence qu’ une firme
intégrée indépendante.
Si l’ on reprend maintenant les caractéristiques financières évoquées dans le paragraphe
précédent, il convient d’ étudier le cas où les dirigeants du groupe souhaitent réaliser une
augmentation de capital. Dans cette situation, ils ont l’ opportunité de contrôler deux entités
distinctes ayant accès au marché financier, et l’ avantage de pouvoir choisir la firme qui
entreprend l’ opération à moindre coût. Il faut noter que, quel que soit le but de l’ émission
(investissement ou rééquilibrage de la structure financière), les fonds sont mobiles au sein du
groupe grâce aux échanges financiers intragroupes, qui ont pour support les prêts et dettes
intragroupes, les participations croisées et le crédit interentreprises50.
Les théories de structure de capital démontrent qu’ une augmentation des performances
boursières passées tend à accroître la probabilité d’ émission. Ainsi, lorsque les titres de la
filiale connaissent une forte hausse dans la période pré-émission, il est probable que les
dirigeants du groupe préfèrent émettre cette catégorie de titres. De même, une augmentation
de la rentabilité des actions de la société mère avant l’ émission devrait inciter les dirigeants du
groupe à choisir l’ augmentation de capital de la part de la société consolidée. Notons que ces
hypothèses correspondent aux régularités observées dans les études d’ événements du chapitre
1. Sur l’ intervalle (-151j ; -1j), les cours des filiales émettrices présentent des rentabilités
anormales cumulées de 2.34% ; le même indicateur de performance pour les titres des sociétés
mères émettrices s’ élève à 6.75%. Ces arguments supposent également que les dirigeants de la
société mère agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants (en émettant les titres qui leur
50
: La deuxième partie de cette recherche est consacrée spécifiquement à l’ allocation interne des fonds entre les
différentes filiales et les conséquences sur la valeur des firmes membres de l’ utilisation de la dette intragroupe.
89
paraissent surévalués), sans se soucier des effets d’ annonce négatifs prévisibles pour les
sociétés qui réalisent l’ opération51.
La politique d’ endettement de chaque type de firmes (filiales et sociétés mères) doit
également avoir une influence significative sur la probabilité d’ émission. Si l’ on respecte les
implications classiques des théories de structure de capital, une variation positive de
l’ endettement financier de la filiale (société mère) a pour conséquence une hausse de la
probabilité d’ actions de la filiale (société mère). L’ opération serait réalisée soit dans le but de
se rapprocher d’ une structure financière optimale (théorie du compromis), soit en raison de
l’ absence d’ autres solutions alternatives de financement et d’ un épuisement de la capacité
d’ emprunt (théorie du financement hiérarchique). Cependant, dans l’ optique de rééquilibrer la
structure financière du groupe dans son ensemble, la société mère peut choisir d’ émettre les
titres de la filiale, lorsque les titres de la société consolidée sont sous-évalués : l’ apport de
fonds provenant de l’ augmentation de capital serait alors redistribué au sein du groupe. Une
variation positive du niveau d’ endettement financier de la filiale devrait entraîner une plus
forte probabilité d’ émission de titres de la filiale. L’ influence d’ une hausse du ratio
d’ endettement de la société consolidée sur la probabilité d’ émission de la filiale est moins
claire : elle peut tout aussi bien motiver une émission de titres consolidées, ou inciter les
dirigeants du groupe à faire émettre la filiale.
Enfin, l’ émergence de nouvelles opportunités d’ investissement pour l’ une ou l’ autre des
sociétés du groupe tend à accroître la probabilité d’ émission. En raison de l’ existence d’ un
marché interne qui permet une répartition des ressources entre les entités du groupe, il
apparaît complexe d’ émettre des hypothèses stables sur l’ influence de l’ augmentation du
niveau d’ opportunités d’ investissement de la mère ou de la filiale, sur la probabilité
d’ émission de titres de la filiale. Pourtant, il semble que les dirigeants de la société mère
privilégient l’ alternative d’ une émission de la part de la filiale, pour ne pas faire subir une
perte de valeur importante aux actionnaires du groupe : si cet argument est valide, quelle que
soit l’ entité qui dispose d’ un projet rentable, une augmentation de la rentabilité des
investissements devrait avoir un impact positif sur la probabilité d’ émission de la filiale.
51
: En effet, plus les performances boursières pré-émission sont élevées, plus la perte de valeur à l’ annonce est
conséquente.
90
II – Régression logistique et choix de l’ entité émettrice
2.1 Présentation du modèle d’ analyse
Le modèle d’ analyse testé dans cette section 2 s’ appuie sur un modèle de régression
logistique. La variable dépendante est une variable dichotomique et mesure la probabilité
d’ émission de la filiale par rapport à celle de la mère : la variable (Proba) prend la valeur 1 si
la filiale émet et 0 si la société mère émet. Le modèle n’ est appliqué que sur l’ échantillon de
firmes émettrices (N=62). Le vecteur de variables explicatives comporte une mesure des
performances boursières passées de chaque type de firmes : une mesure des rentabilités
anormales cumulées sur l’ intervalle (-151j ; -1j) est intégrée pour les filiales (PerfF) et les
sociétés mères (PerfSM). De plus, deux ratios de rentabilité économique comptable, (RecoF)
et (RecoSM), sont calculés pour l’ année t-1 précédant l’ annonce de l’ émission, et inclus dans
le modèle comme variables de contrôle.
Par ailleurs, les variables (EndF) et (EndSM) correspondent aux variations du ratio
d’ endettement financier entre t-3 et t-1 : (Ratio t-1)–(Ratio t-3) / (Ratio t-3)52. Enfin, la
rentabilité des opportunités d’ investissement est mesurée par le ratio (Valeur comptable des
capitaux propres/Capitalisation boursière) : variables (BmF) et (BmSM). Deux indicateurs de
croissance passée de chaque type de firmes, reflétant la variation du total de l’ actif net entre t2 et t-1, sont également définis comme variables de contrôle : une croissance passée soutenue
engendre un besoin supplémentaire de fonds externes.
Le modèle de régression logistique testé et le signe des relations attendues sont présentés dans
l’ équation (2) :
(Proba) = a + b.(PerfF) – c.(PerfSM) + d.(EndF) +/- e.(EndSM) +f.(BmF) + g.(BmSM)+
ε
(2)
Le paragraphe suivant souligne les particularités des modèles de régression logistique, par
rapport aux modèles linéaires classiques, en précisant la méthode d’ interprétation des tests
statistiques.
52
: L’ endettement financier est mesuré par le ratio : Dette de caractère financier LT / Actif net.
91
2.2 Méthode de régression logistique
La spécificité des modèles de régression logistique réside dans la nature de la variable
dépendante Y. Celle-ci peut être de deux types, dichotomique (0 ;1) ou polytomique (0 ;1 ;2).
Dans les deux cas, la variable à expliquer est qualitative et représente un choix entre plusieurs
alternatives : d’ ailleurs, ce modèle statistique est fréquemment utilisé en finance d’ entreprise
pour isoler les déterminants d’ un choix de financement (dettes versus capitaux propres ;
introduction ou non introduction en Bourse…). Cependant, cette variable de comportement
pose un problème par rapport aux hypothèses fondamentales classiques de la technique de
régression linéaire. En effet, la normalité des résidus n’ est plus respectée (ei = ^Y - ^Xbéta). On
distingue les techniques Logit, à résidus logistiques, et Probit, à résidus normaux. La première
étape du modèle consiste donc à transformer la variable Y en variable latente pour tenter de la
rendre continue53. Dans notre étude, la variable Y prend la valeur 1 si la filiale émet des
actions nouvelles et 0 si la société mère réalise l’ opération.
Pour chaque observation (firme i), on collecte des valeurs de Xi et on peut définir l’ intensité
de la volonté d’ émettre (inobservable), et le niveau d’ utilité de l’ émission pour la firme i (en
fonction de l’ objectif de maximisation de la valeur) : U(1 ;Xi) ; U(0 ;Xi). Si U(1 ;Xi) >
U(0 ;Xi), alors la firme décide d’ émettre (Y=1). De ceci découle :
Y=1
Et Y=0
U(1 ;Xi) – U(0 ;Xi) > 0
U(1;Xi) – U(0;Xi) < 0.
La variable dichotomique d’ origine Y est alors transformée en variable continue Zi = U(1;Xi)
– U(0;Xi), variable latente sous-jacente au phénomène. Les modèles théoriques servant de
base aux fonctions de répartition établissent une relation du type : Zi = Xbéta + u. L’ objectif
est d’ estimer la probabilité que Y=1 :
P(Y=1)
P(Zi>0)
P(Xibéta + u>0)
P(-u<Xibéta)
F(Xibéta), fonction de répartition.
Il existe deux fonctions de répartition : celle de la loi normale et celle de la loi logistique.
53
: Les variables explicatives X peuvent être de toute nature : continues, discrétisées ou dichotomiques.
92
D’ autre part, pour déterminer les coefficients bétas attachés aux variables explicatives, il faut
utiliser la méthode du maximum de vraisemblance. La vraisemblance de l’ échantillon est
égale au produit des n vraisemblances attachées à chacune des observations. Il faut alors
maximiser la fonction log-vraisemblance (dériver dLogL/dbéta = 0).
Enfin, les tests statistiques sur la nullité d’ un coefficient et la validité générale du modèle
diffèrent de ceux utilisés pour les régressions linéaires (test t de Student, et test F de Fischer).
Pour tester l’ hypothèse (H0 : bétai = 0), on dispose de la statistique de Wald (carré de celle de
Student). Pour apprécier la validité générale du modèle et son pouvoir explicatif, il faut dans
un premier temps examiner la valeur du R² de Cox et Snell54 ou celle du Chi-deux résiduel,
puis commenter les pourcentages de reclassement correct obtenus (pour Y=1 et Y=0) à partir
des coefficients et des variables de la régression testée55.
2.3 Déterminants du choix de l’ entité émettrice
Les résultats issus du modèle (2) sont récapitulés dans le tableau 14. La variable dépendante
(Proba) prend la valeur 1 si la filiale émet, et 0 si la société mère procède à l’ émission.
Les performances passées de chaque catégorie de firmes ont un impact significatif sur la
probabilité d’ émission des filiales. La variable (PerfF) possède des coefficients positifs et
significatifs dans les équations (1), (2), (3) et (5) aux seuils de 5 et 10% : des rentabilités
anormales élevées des actions des filiales dans la période pré-émission augmentent la
probabilité d’ émission de celles-ci. (PerfSM) présente des coefficients négatifs et significatifs,
également aux seuils de 5 et 10%, dans les équations (2), (3), (4) et (5) : des performances
boursières passées élevées des titres consolidés tendent à diminuer la probabilité d’ émission
des filiales (ou augmenter la probabilité d’ émission de la société mère).
54
: Ce coefficient représente le coefficient généralisé de détermination, utilisé pour estimer la proportion de
variance dans la variable dépendante expliquée par les variables Xi. Cette mesure est basée sur une comparaison
de la log-vraisemblance du modèle testé à celle du modèle de la fonction de base.
93
Tableau 14 : Choix de l’entité émettrice au sein du groupe : résultats issus du modèle 2
L’ échantillon comporte 62 sociétés émettrices, 43 filiales et 19 sociétés mères. La variable dépendante (Proba)
dans toutes les équations prend la valeur 1 si la filiale émet, et 0 si c’ est la société mère : un coefficient positif
indique donc qu’ une variation positive augmente la probabilité d’ émission de la filiale. (PerfF) et (PerfSM)
mesurent respectivement les rentabilités anormales cumulées sur l’ intervalle (-151 ;-1) des filiales et des sociétés
mères. (RecoF) et (RecoSM) indiquent les taux de rentabilité économique en t-1 pour les filiales et les sociétés
mères (ratio de rentabilité comptable : Résultat d’ exploitation/Actif net). (CroiF) et (CroiSM) correspondent aux
variations du total de l’ actif entre t-2 et t-1 pour chaque type de firmes (indicateurs de croissance passée). (EndF)
et (EndSM) désignent les variations du ratio d’ endettement financier LT entre t-3 et t-1 pour chaque firme.
(BmF) et (BmSM) mesurent les opportunités d’ investissement des filiales et des sociétés mère en t-1 : Valeur
comptable des capitaux propres/capitalisation boursière . ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° :
significatif à 10%.
Variables
Explicatives
Constante
Equation 1
Equation 2
Equation 3
Equation 4
Equation 5
RecoF
-
1.970**
(0.008)
7.679°
(0.052)
-7.716*
(0.046)
-
-0.489
(0.589)
11.252*
(0.031)
-13.433°
(0.054)
-
0.219
(0.749)
-
PerfSM
-0.416
(0.624)
9.447*
(0.027)
-
RecoSM
0.171
(0.876)
-
-
-
-8.869*
(0.038)
0.541
(0.551)
-
-1.047
(0.376)
16.338*
(0.029)
-19.012*
(0.040)
-
-
-
-
-
-
EndF
-8.999
(0.130)
-
-
EndSM
-
-10.762°
(0.057)
-
-11.573*
(0.036)
-
25.439°
(0.081)
-8.419
(0.396)
-
-
-
BmF
-
8.942°
(0.096)
-
-
-
BmSM
-1.756
(0.134)
-0.148
(0.851)
-
-
PerfF
CroiF
CroiSM
Tests
Khi-deux
-2 Logvraisemblance
R² de Cox et
Snell
% Reclassement
correct : Y = 1
% Reclassement
correct : Y = 0
% Reclassement
correct global
-0.200
(0.395)
-
-
17.401**
(0.002)
22.490
19.605**
(0.001)
27.559
20.646**
(0.000)
15.938
12.310**
(0.006)
25.082
25.305**
(0.000)
12.088
0.451
0.360
0.548
0.366
0.568
76.9%
94.1%
84.6%
78.6%
85.7%
87.5%
60%
84.6%
76.9%
84.6%
82.8%
86.4%
84.6%
77.8%
85.2%
Ces résultats montrent que les dirigeants du groupe choisissent d’ émettre les titres qui leur
paraissent surévalués (en fonction de l’ information qu’ ils détiennent), et agissent dans
l’ intérêt des actionnaires existants. De plus, cette conclusion prouve qu’ ils ont l’ opportunité
de choisir l’ entité émettrice, dans le cas où une des sociétés est surévaluée et l’ autre sousévaluée : ce phénomène provient de la spécificité des structures de groupe et de l’ existence de
55
: L’ ouvrage de Aldrich et Nelson (1984) reprend en détail la méthodologie des modèles Logit et Probit.
94
transferts de fonds entre les sociétés membres. Ce résultat corrobore également l’ hypothèse du
timing (Lucas et McDonald, 1990), qui prévoit que la décision d’ émission dépend étroitement
des performances boursières de la firme. Le timing repose sur l’ idée que les managers ont un
comportement opportuniste, qui les pousse à émettre lorsque le cours est haut : en
l’ occurrence, dans le cas des structures de groupe, ce sont les dirigeants des sociétés mères
qui, agissant dans l’ intérêt des actionnaires majoritaires, décident d’ émettre les titres qui
semblent surévalués. Ce comportement opportuniste a des répercussions plutôt positives sur la
valeur du groupe, mais entraîne dans certaines circonstances une perte de valeur nette pour les
actionnaires minoritaires, ces derniers n’ ayant aucun recours pour s’ opposer à la décision.
D’ autres tests empiriques font appel aux performances boursières passées pour expliquer la
probabilité d’ émission d’ actions. C’ est le cas notamment du test de Jung, Kim et Stulz
(1996) : en incluant une variable mesurant la rentabilité anormale cumulée du titre sur les 11
mois précédant l’ émission, les résultats évoquent des coefficients positifs et significatifs.
Opler et Titman (1996) relèvent des résultats similaires en mesurant la rentabilité passée du
titre sur une période de deux ans. Ces conclusions correspondent à celles de notre étude et
tendent à corroborer l’ hypothèse du timing.
Les coefficients des variables d’ endettement offrent des signes inattendus : une variation
positive de l’ endettement financier des filiales favorise la probabilité d’ émission de la société
mère. De même, une variation positive de l’ endettement financier des sociétés mères tend à
augmenter la probabilité d’ émission des filiales (les coefficients sont significatifs à 10%). Ces
résultats peuvent provenir du fait que les dirigeants se soucient davantage de la sur- ou sousévaluation des titres que de la valeur des ratios d’ endettement dans le choix de l’ entité
émettrice : ceci conforterait l’ hypothèse du timing. Ces chiffres infirment également les
implications des théories classiques de structure de capital (financement hiérarchique et
théorie du compromis).
La probabilité d’ émission de la filiale diminue donc avec son propre endettement et augmente
avec celui de la société mère. Il est probable que, dans certains cas, le financement soit assuré
par la filiale. Lorsque le groupe dans son ensemble est endetté, la filiale porte une part des
95
dettes du groupe56 ou émet des actions, sans tenter de s’ aligner sur une valeur optimale du
ratio d’ endettement. L’ émission par la filiale est alors l’ expression d’ un besoin en fonds
propres du groupe, indépendante de sa propre structure financière. Là encore, la structure de
groupe offre une flexibilité financière accrue aux dirigeants de la société consolidée : le
rééquilibrage de la structure financière de l’ ensemble s’ opère par l’ intermédiaire d’ une
augmentation de capital de l’ une ou l’ autre entité. Les dirigeants du groupe, seuls décideurs,
peuvent servir les intérêts des actionnaires majoritaires, encore une fois, au détriment de la
richesse des minoritaires : l’ équilibre financier du groupe prime sur celui des comptes de la
filiale.
A partir de données de panel, Jung, Kim et Stulz (1996), sur un échantillon de 192 émissions
d’ actions sur la période 1977-1984, constatent un coefficient positif, mais non significatif,
pour la variable mesurant le niveau d’ endettement financier à long terme : ils concluent que le
niveau d’ endettement ne parvient pas à expliquer la probabilité d’ émission d’ actions.
La variable (CroiF) présente un coefficient positif et significatif à 10% dans l’ équation (5), ce
qui indique qu’ un taux de croissance élevé des filiales dans les années qui précèdent
l’ annonce augmente la probabilité d’ émission des filiales. (CroiSM) offre un résultat
symétrique avec un coefficient négatif et significatif dans l’ équation (4), au seuil de 5%.
Le niveau des opportunités d’ investissement de chaque catégorie de firmes ne semble pas
influencer la probabilité d’ émission : les variables (BmF) et (BmSM) possèdent des
coefficients négatifs mais non significatifs. Enfin, les variables de rentabilité économique
(variables de contrôle) ne possèdent également aucun pouvoir explicatif.
Le fait que la probabilité d’ émission dépende du niveau de croissance passée et non de la
rentabilité des opportunités d’ investissements à venir semble indiquer que l’ opération est
réalisée dans le but de rééquilibrer la structure financière de l’ une ou l’ autre firme après une
période de croissance soutenue, plutôt que de financer des projets futurs. Cet argument
correspondrait également au phénomène observé sur l’ impact du niveau d’ endettement
financier : la société mère peut choisir de « faire émettre » la filiale, en raison d’ une
56
: Nous verrons dans la partie 2 que les filiales de l’ échantillon d’ étude sont significativement plus endettées
que des firmes non contrôlées comparables : ce résultat tendrait à prouver que les filiales supportent une part
significative des dettes du groupe.
96
augmentation significative du niveau d’ endettement global du groupe, provenant du
financement de la croissance passée. Dans ce cas, la société mère évite d’ émettre les actions
consolidées si celles-ci sont sous-évaluées.
La représentativité des modèles est satisfaisante avec des valeurs de R² de Cox et Snell
compris entre 0.360 et 0.568 selon les équations considérées. De même, les pourcentages de
reclassement sont corrects : le modèle prévoit entre 76.9% et 94.1% des émissions de filiales,
et, entre 60% et 87.5% des émissions de sociétés mères. Les pourcentages globaux sont
compris entre 77.8% et 86.4%.
97
Conclusion Partie 1 : Synthèse des résultats empiriques, limites de l’analyse et autres
voies de recherche
L’ augmentation de capital est une alternative de financement assez rarement utilisée par les
firmes cotées. Dans le cas général des sociétés non contrôlées, l’ émission d’ actions est
réalisée après une hausse significative des cours ; l’ annonce de l’ opération entraîne
généralement une baisse de la valeur des titres, et, les sociétés qui émettent connaissent, dans
la période qui suit l’ opération, des performances comptables et boursières plus faibles que des
sociétés comparables ne faisant pas appel à cette méthode de financement.
Dans le cadre d’ une structure organisationnelle mère/filiale, l’ existence d’ un centre
décisionnel unique disposant de deux entités cotées capables de lever des fonds sur le marché
externe tend à modifier les effets de l’ augmentation de capital sur la valeur. Tout d’ abord,
l’ annonce de l’ émission a un impact significatif sur la valeur de la firme émettrice, mais
également sur celle de l’ autre société appartenant au périmètre du groupe : l’ opération
véhicule une information différenciée sur les perspectives des deux entités du groupe. D’ autre
part, la politique de financement des deux firmes (société mère et filiale) est dictée par la
stratégie globale du groupe et obéit aux objectifs d’ investissement définis par les actionnaires
majoritaires et entrepris par la direction du groupe. La collecte de fonds externes peut être
assurée par l’ une ou l’ autre entité, et, les ressources disponibles sont alors réaffectées et
orientées vers les projets d’ investissement à financer : la répartition interne des fonds entre les
filiales repose sur l’ utilisation de dettes intragroupes, étudiée dans la seconde partie.
Les résultats empiriques du chapitre 1 mettent en évidence les effets d’ annonce pour les deux
types de firmes, tentent de déterminer les facteurs explicatifs des réactions observées, sur
lesquels s’ appuient les investisseurs pour « corriger » la valeur des titres à l’ annonce en
fonction de l’ information dont ils disposent, et d’ identifier les paramètres financiers qui
orientent le choix de l’ entité émettrice, réalisé par la direction du groupe en interne.
L’ impact sur la valeur totale du groupe de l’ annonce d’ une augmentation de capital est
globalement négatif, quelle que soit l’ entité émettrice. Ce résultat diffère de celui rapporté par
Slovin et Sushka (1997) pour le marché américain des actions. Les sociétés qui réalisent
l’ opération connaissent une perte de valeur supérieure à celles qui n’ émettent pas. D’ autre
part, lorsque la société mère émet, la baisse des cours observée se répercute sur les titres de la
98
filiale correspondante, ceci confortant l’ hypothèse de sélection adverse. Par contre, si la filiale
émet, la réaction des titres de la société mère n’ est que très légèrement négative, voire nulle.
Dans ce cas, l’ émission véhicule une information différenciée sur les valeurs des deux types
de firmes. Les firmes de l’ échantillon émettent après une période de hausse des cours, ce
constat correspondant aux implications de l’ hypothèse du timing (Lucas et McDonald, 1990).
De plus, l’ impact sur la valeur est globalement plus négatif pour les filiales que pour les
sociétés mères : ainsi, la richesse des actionnaires minoritaires est plus affectée que celle des
actionnaires majoritaires.
Si l’ on examine les facteurs explicatifs de la réaction des cours, on constate que la place de la
société au sein du groupe (filiale ou société mère) n’ a pas une influence significative sur les
rentabilités anormales à l’ annonce ; le statut d’ émetteur ou non émetteur constitue à l’ inverse
un paramètre important. A partir des résultats issus du modèle testé sur l’ échantillon global, il
est possible de conclure que l’ estimation de la valeur réalisée par les investisseurs externes
dépend surtout de la concentration de la structure de propriété, du taux de souscription des
principaux actionnaires et de la taille de l’ opération57. De ce fait, plusieurs variables
explicatives identifiées par la littérature empirique n’ ont pas de pouvoir explicatif dans le
cadre des structures mère/filiale : les opportunités d’ investissement, le but de l’ opération, la
méthode d’ émission, la taille ou le secteur d’ activité de la firme, et les performances passées.
D’ autre part, la réaction des titres des filiales émettrices dépend étroitement de la part de
capital de la société mère avant l’ annonce, du taux de souscription de celle-ci et de la taille
relative de l’ opération. Ainsi, plus le contrôle de la société mère est significatif, plus la
réaction des titres de la filiale est négative : ce constat appuie l’ hypothèse selon laquelle les
investisseurs supposent que la probabilité d’ expropriation de richesse augmente avec le
niveau de contrôle de la mère. De plus, le taux de désengagement de la société mère constitue
un signal défavorable pour les investisseurs, qui tendent à sanctionner le fait que l’ actionnaire
principal ne souscrive pas à l’ opération à hauteur de ses droits : le désengagement est alors
synonyme de perspectives financières médiocres pour la filiale émettrice.
La réaction des titres des sociétés mères correspondantes est déterminée par l’ effet d’ annonce
des filiales : la baisse de cours subie par la filiale se répercute sur les titres de la mère
57
: Cette variable est d’ ailleurs significative dans les trois tests réalisés : sur l’ échantillon global, sur celui de
filiales émettrices et celui de sociétés mères non émettrices.
99
proportionnellement à la part de capital qu’ elle détient, en prenant en compte le différentiel de
taille. Contrairement à l’ effet observé sur les titres des filiales émettrices, le taux de
désengagement n’ a pas une influence significative sur les cours des sociétés mères.
L’ hypothèse d’ un désinvestissement bénéfique pour la mère n’ est pas vérifiée : les
investisseurs ne valorisent pas non plus le fait que la mère réduise sa participation dans des
filiales appartenant à des secteurs non liés. L’ effet d’ annonce sur les actions des sociétés
mères correspondantes dépend également du niveau d’ opportunités d’ investissement des
filiales et de la taille de l’ opération. En conclusion, lorsque la filiale réalise l’ opération, les
investisseurs semblent tenir compte surtout de l’ intention de la société mère de participer ou
non à l’ opération. Plus le taux de souscription est élevé, moins la réaction des titres des
filiales est négative. L’ effet d’ annonce sur la valeur des actions consolidées dépend alors de
l’ intensité de la perte de valeur subie par la filiale. Enfin, les filiales émettrices connaissent
une baisse de cours proportionnelle à la part de capital que la société mère détient : le marché
sanctionne l’ existence de structures de propriété très concentrées, en raison notamment de
l’ opacité de telles structures et de la faible disponibilité d’ information, mais aussi de la
probabilité accrue d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires.
Les déterminants de la probabilité d’ émission permettent de comprendre les fondements de la
décision de financement prise en interne par la direction du groupe. Les résultats montrent que
la probabilité d’ émission de la filiale est positivement corrélée aux performances boursières
passées de celle-ci, et négativement aux performances de la société mère correspondante. Les
dirigeants du groupe choisissent donc d’ émettre les titres qui leur paraissent surévalués en
fonction de l’ information privée qu’ ils détiennent. Ce résultat corrobore l’ hypothèse du
timing. De plus, il met en évidence la flexibilité financière qu’ offrent les structures de groupe
composées de plusieurs entités cotées : lorsque les titres de la société consolidée sont sousévalués, la direction a l’ opportunité de réaliser l’ augmentation de capital par l’ intermédiaire
de la filiale si ses titres sont surévalués. Cette option est créatrice de valeur pour les
actionnaires du groupe, mais elle met en évidence également le comportement opportuniste de
la direction. D’ autre part, l’ annonce de l’ opération fait suite à une période de croissance
soutenue de la part d’ une des firmes du groupe, alors que la probabilité d’ émission ne dépend
pas de l’ existence d’ opportunités d’ investissement rentables. Ce résultat indique que
l’ opération a pour but de rééquilibrer la structure financière de la société consolidée ou de la
filiale, plutôt que de financer des projets à venir. De plus, puisque les fonds collectés peuvent
être réaffectés au sein du groupe par l’ intermédiaire d’ un marché interne, la direction peut
100
décider de faire émettre la filiale pour rééquilibrer sa propre structure financière : cette
hypothèse est confirmée par le fait que la probabilité d’ émission de la filiale augmente avec le
niveau d’ endettement de la société mère.
Les tests détaillés dans cette première partie présentent toutefois quelques limites. Tout
d’ abord, les équations tentant d’ expliquer les réactions des titres à l’ annonce n’ intègrent pas
d’ indicateurs de mesure des performances globales des marchés, ceci ne permettant pas de
prendre en compte l’ existence de fenêtres d’ opportunités (Bayless et Chaplinsky, 1996). De
plus, les tests ne mettent en évidence que les effets d’ annonce, sans analyser les performances
à long terme des sociétés qui émettent. En effet, la décision d’ émission a un impact à long
terme négatif sur les performances comptables et boursières des firmes (Loughran et Ritter,
1995) : ce phénomène est d’ autant plus sensible que, dans une structure mère/filiale, la
direction du groupe peut « forcer » la filiale à réaliser l’ opération, et que le choix de l’ entité
émettrice semble reposer sur le comportement opportuniste des dirigeants qui prévoient le
timing de l’ émission. Les tests présentés se limitent également à l’ étude d’ une structure
simplifiée mère/filiale, et pourraient être généralisés à l’ échelle d’ un groupe dans sa totalité.
De plus, pour mettre en relief le caractère particulier de ce type de structure, il aurait été utile
de constituer un échantillon de contrôle, composé de sociétés indépendantes, pour comparer
les rentabilités anormales à l’ annonce et déterminer si les filiales subissent une perte de valeur
significativement plus élevée qu’ une société indépendante comparable (hypothèse
d’ expropriation de richesse).
Tout au long de cette première partie, l’ analyse s’ est concentrée sur une situation particulière
où l’ une des sociétés du groupe recherche un financement externe. Or, les ressources
collectées peuvent être redistribuées aux différentes entités par l’ intermédiaire d’ un marché
interne. En amont de la problématique sur le financement des sociétés membres de groupe, il
est essentiel de reconnaître l’ existence d’ une ré-allocation active des fonds au sein du groupe.
Par exemple, les fonds collectés par la société mère lors d’ une augmentation de capital
peuvent être transférés à une filiale disposant d’ une opportunité d’ investissement rentable,
grâce à l’ endettement intragroupe. De même, la société mère peut se servir de la filiale pour
lever les capitaux, puis les utiliser pour rembourser les dettes du groupe. Dans les limites du
périmètre du groupe, le fonctionnement des marchés internes se caractérise par des échanges
financiers intragroupes qui ont pour support des participations croisées, des prêts et dettes
intragroupes et des crédits interentreprises. La flexibilité financière qu’ offre la structure
101
mère/filiale n’ a de sens que si le marché interne est actif, et si les dirigeants du groupe
définissent une politique financière globale et opèrent une rotation active des fonds entre les
différentes filiales. Ainsi, la deuxième partie de cette recherche, consacrée à l’ analyse de la
dette intragroupe, est totalement dans la continuité de l’ étude réalisée sur les augmentations
de capital. La dette intragroupe est également une autre forme de financement spécifique aux
sociétés membres de groupe, et vient compléter le financement par capitaux propres internes
et externes.
La partie 2 détaille l’ impact de l’ utilisation de la dette intragroupe sur la valeur des filiales, au
travers de ses conséquences sur le degré de contraintes financières et sur la politique
d’ investissement. La dette intragroupe représente non seulement un instrument de
financement supplémentaire pour les filiales, mais également un support des transactions
financières intragroupes. Même si les échantillons d’ étude considérés dans les deux parties
diffèrent, la dette intragroupe, au même titre que le choix de l’ entité émettrice lors d’ une
augmentation de capital, représente une alternative de financement propre aux sociétés
membres. Les dirigeants du groupe disposent non seulement des trois sources de financement
classiques (fonds internes, endettement externe et augmentation de capital), mais aussi, pour
assurer la mise en œuvre d’ une stratégie financière globale, de l’ endettement interne et de
différentes catégories d’ actions.
*****
102
103
Introduction Partie 2
Après avoir relaté les conséquences de la décision d’ augmentation de capital au sein d’ une
structure mère/filiale, la deuxième partie de cette recherche est consacrée à l’ étude de la dette
intragroupe. Ce contrat de dette contracté entre deux sociétés membres d’ un même groupe
représente un mode de financement interne tout à fait original. En effet, il vient compléter les
alternatives classiques de financement que sont l’ autofinancement, l’ endettement externe et
l’ augmentation de capital. Les caractéristiques de cette forme d’ endettement interne sont
définies par la littérature théorique par rapport à celles des contrats de dette externe ; plus
généralement, la littérature financière tend à comparer les règles de fonctionnement des
marchés financiers interne et externe.
La dette intragroupe se caractérise en premier lieu par l’ assouplissement des coûts liés à
l’ asymétrie d’ information. En effet, contrairement à une forme d’ endettement bancaire
classique, le fournisseur de capital est également propriétaire de l’ entité à laquelle il prête des
fonds. Cette notion de propriété garantit un contrôle plus efficace de l’ utilisation des
ressources : le rôle accru de cette fonction de contrôle crée les conditions d’ une meilleure
circulation de l’ information entre le prêteur et l’ emprunteur sur les performances et les
perspectives financières de la firme bénéficiaire. Par rapport à une société indépendante, une
société membre de groupe, ayant accès à la dette intragroupe, profite d’ une source de
financement supplémentaire, à moindre coût, lui permettant de financer des projets
d’ investissement qu’ elle n’ aurait pu entreprendre si elle n’ appartenait pas au périmètre du
groupe. Cette conclusion représente la première conséquence fondamentale de l’ utilisation de
la dette intragroupe, à savoir la levée des contraintes financières.
Les contraintes financières sont issues de l’ écart de coût existant entre les modes de
financement interne et externe : l’ autofinancement n’ est en effet pas soumis aux problèmes
d’ agence et d’ asymétrie d’ information, qui viennent alourdir les coûts de transaction des
instruments de financement externe. Ces contraintes financières se traduisent sur le plan
empirique par une relation positive entre le niveau des cash-flows générés par la firme et son
niveau d’ investissement : plus le degré de contraintes financières est important, plus la
sensibilité investissement/cash-flows est élevée. Le premier test empirique de cette seconde
partie tente de modéliser cette relation et d’ en mesurer l’ intensité en distinguant un
104
échantillon de sociétés membres de groupe utilisant la dette intragroupe, et un échantillon de
sociétés indépendantes n’ ayant accès qu’ à l’ endettement externe.
La dette intragroupe est également un instrument pour transférer des fonds entre les
différentes sociétés du groupe. Si l’ on considère une structure de groupe composée de sociétés
industrielles contrôlées à plus de 50%, chaque firme représente une entité légale distincte : la
direction du groupe, qui définit une politique financière globale, a l’ opportunité de répartir les
ressources entre les firmes membres par l’ intermédiaire des prêts et dettes intragroupes, mais
également grâce au crédit interentreprises et aux participations croisées (immobilisations
financières). La forme organisationnelle de groupe donne naissance à un marché interne de
capital dont les règles sont dictées par les dirigeants et les actionnaires de la société
contrôlante.
La littérature financière s’ est intéressé depuis quelques années au fonctionnement des marchés
internes et ceci dans le cadre de l’ étude des comportements financiers des conglomérats
américains. Ces conglomérats sont des firmes généralement diversifiées, composées de
plusieurs divisions contrôlées à 100%, sans statut juridique indépendant. Dans ce contexte, la
direction du conglomérat a la possibilité de transférer les cash-flows d’ une division à l’ autre,
en fonction des opportunités d’ investissement qui émergent dans les différents secteurs
d’ activité. Cette réaffectation des fonds en interne devrait en théorie constituer un avantage de
flexibilité financière, avec des répercussions positives sur la valeur de la firme dans son
ensemble. Cependant, le débat théorique autour de l’ efficience ou l’ inefficience des marchés
internes de capitaux reste actif.
Les implications empiriques issues des modèles sur le fonctionnement des marchés internes
peuvent être testées dans le cadre d’ une structure de groupe de sociétés non financières. La
dette intragroupe tend à augmenter le montant des fonds disponibles pour le financement des
investissements des sociétés membres. Pourtant, en raison de niveaux hiérarchiques
intermédiaires plus nombreux et de problèmes d’ agence plus sévères dans ce type de
structure, la politique d’ investissement des sociétés membres peut se traduire par une
tendance au sur-investissement, contraire à l’ objectif de maximisation de la valeur. Même si
elle permet la levée de contraintes financières significatives, l’ utilisation de dette intragroupe
ne garantit pas des performances financières plus élevées.
105
Les tests empiriques sur les conséquences financières de l’ utilisation de la dette intragroupe
sont réalisés à partir de données de panel : deux échantillons indépendants de 170 sociétés
industrielles, commerciales et de service, non cotées, sont constitués en fonction de
l’ appartenance à un groupe et de l’ utilisation de dette intragroupe. Les variables financières
sont calculées grâce aux données comptables issues des comptes sociaux, ceci sur 5 ans (entre
1997 et 2001). La première série de tests consiste à comparer les caractéristiques financières
moyennes des deux sous-échantillons, en se concentrant particulièrement sur les indicateurs
de performance et d’ investissement. Ensuite, un modèle de régression permet de statuer sur le
degré de contraintes financières que subit chaque type de firme, en étudiant l’ intensité de la
relation investissement/cash-flows. Enfin, la dernière série de tests tente de mettre en
évidence l’ efficience de la politique d’ investissement de chaque catégorie de firmes.
La partie 2 est composée de deux chapitres : le premier détaille l’ ensemble des
développements théoriques, et recense les principaux résultats empiriques existants,
concernant la levée des contraintes financières et le fonctionnement des marchés internes de
capitaux. Les études empiriques réalisées sont présentées dans le second chapitre : après un
bref exposé de la méthodologie, les tests abordent les conséquences financières de l’ utilisation
de la dette intragroupe sur un échantillon de filiales françaises non cotées.
106
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Le chapitre 1 est consacré à l’ analyse théorique des notions de contraintes financières et de
dette intragroupe (section 1), et au fonctionnement des marchés internes de capitaux (section
2). L’ étude de la littérature théorique est complétée par une revue de littérature empirique
détaillant la méthodologie et les résultats des tests existants.
La première section se concentre sur la définition et les instruments de mesure des contraintes
financières. Celles-ci ont un impact sur la politique d’ investissement des firmes. En l’ absence
d’ imperfections sur le marché financier externe, le niveau d’ investissement n’ est fonction que
de la rentabilité des opportunités d’ investissement disponibles : pour se conformer à l’ objectif
de maximisation de la valeur, les firmes ne retiennent et ne financent que les projets à VAN
positive. Cependant, l’ existence de coûts de transaction significatifs, de problèmes d’ agence
(Jensen et Meckling, 1976) et d’ asymétrie d’ information (Myers et Majluf, 1984) conduit à
surenchérir l’ accès aux modes de financement externe (dettes et capitaux propres). Ainsi, il
existe bel et bien un écart de coût important entre l’ autofinancement et toutes les alternatives
de financement externe : cet écart représente le degré de contraintes financières auquel est
soumise une firme. Plusieurs caractéristiques financières intrinsèques permettent de classer les
firmes selon le degré de contraintes financières auquel elles sont soumises : le versement de
dividendes (Fazzari, Hubbard et Petersen, 1988), la valeur du ratio d’ endettement (Whited,
1992), le niveau du BFR (Fazzari et Petersen, 1993), la disponibilité en fonds internes
(Kashyap, Lamont et Stein, 1994), l’ âge de la firme (Schaller, 1993), la structure
d’ actionnariat (Oliner et Rudebusch, 1992) ou la taille de la firme (Vogt, 1994). Toutes ces
variables sont liées aux deux principales sources de contraintes financières que sont les
problèmes d’ agence et l’ existence d’ une asymétrie d’ information.
D’ autres tests s’ inscrivent directement dans la lignée de cette recherche et retiennent comme
critère de classification l’ appartenance à un groupe (Deloof, 1998 ; Hoshi, Kashyap et
Scharfstein, 1991 ; Schaller, 1993), en considérant que les sociétés membres sont soumises à
107
des contraintes financières plus faibles. Ce dernier point fera l’ objet d’ une attention toute
particulière et sera complété par une comparaison des caractéristiques de la dette intragroupe
et de la dette externe. Cette section consacrée aux contraintes financières s’ achève par une
étude détaillée et critique de la méthodologie empirique standard et des modèles
d’ investissement testés.
La seconde section tente d’ analyser les bases de fonctionnement des marchés internes de
capitaux. Après une étude comparative des marchés interne et externe, la revue de littérature
se focalise sur l’ allocation des fonds en interne. Ainsi, certains modèles mettent en évidence
l’ efficience des transferts de fonds effectués au sein des conglomérats (Gertner, Scharfstein et
Stein, 1994 ; Stein, 1997), alors que d’ autres justifient l’ hypothèse d’ inefficience (Rajan,
Servaes et Zingales, 2000 ; Scharfstein et Stein, 2000). L’ efficience concerne l’ affectation des
ressources aux projets d’ investissement rentables et influence les performances et la valeur
des firmes considérées. Tous ces modèles prennent comme référence la structure
organisationnelle des conglomérats américains.
Les modèles d’ efficience identifient deux avantages fondamentaux liés à la répartition des
fonds entre les différentes divisions : les conglomérats ont la possibilité de collecter plus de
fonds externes en valeur absolue, et, par ailleurs, ils réalisent une allocation plus efficiente
d’ un montant donné de ressources, car les dirigeants disposent d’ informations plus précises
sur les perspectives financières des divisions et procèdent à une sélection plus efficace des
projets d’ investissement. A l’ inverse, l’ hypothèse d’ inefficience reconnaît une tendance au
sur-investissement et relève des dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds, ceuxci provenant pour la plupart des problèmes d’ agence entre, d’ une part, les managers de
divisions et la direction du conglomérat (activités d’ influence des managers), et d’ autre part,
entre la direction et les investisseurs externes. Après une synthèse des résultats empiriques
existants, nous évoquerons les différences entre les structures organisationnelles donnant
naissance à des marchés internes de capitaux : conglomérats, holdings et groupes de sociétés.
Le chapitre 1 s’ achève avec une synthèse du cadre d’ analyse et des hypothèses (section 3) qui
seront testées lors de l’ étude empirique du chapitre 2.
108
Section 1 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières
Afin d’ avoir une idée précise des notions abordées lors des développements théoriques, une
définition du concept de contraintes financières est proposée au début de cette section : en
effet, un débat théorique oppose les partisans d’ une vision dynamique (Fazzari, Hubbard et
Petersen, 1988 ; 1996), et les auteurs préférant une interprétation statique (Kaplan et Zingales,
1997 ; 2000). Quelle que soit la définition retenue, les contraintes financières proviennent des
problèmes d’ agence et d’ asymétrie d’ information, qui accentuent le coût des modes de
financement externe, particulièrement l’ endettement.
Ensuite, le deuxième paragraphe détaille les mécanismes permettant l’ existence d’ une dette
intragroupe, et analyse ses caractéristiques en les comparant à celles des contrats
d’ endettement externe classiques. L’ originalité de cette forme de financement interne semble
offrir aux sociétés membres de groupe l’ opportunité d’ assouplir le degré de contraintes
financières qu’ elles subissent.
Le troisième paragraphe est consacré exclusivement à une revue de littérature empirique, en
distinguant les tests mesurant le degré de contraintes financières sur des données de panel, et
les tests étudiant spécifiquement l’ influence de l’ appartenance à un groupe sur ce même
paramètre. Enfin, une critique des méthodologies est proposée à la fin de ce paragraphe.
I – Caractérisation des contraintes financières
1.1 Définition des contraintes financières
La définition classique des contraintes financières repose sur l’ existence d’ un écart de coût
entre le financement interne et les sources de fonds externes. Cette notion conduit à classer
toutes les firmes dans cette catégorie : même un coût de transaction faible sur l’ acquisition de
fonds externes suffirait à créer ces contraintes. Cette définition permet pourtant de développer
un cadre d’ analyse pour différencier les firmes en fonction du niveau de contraintes
109
financières auquel elles sont soumises. La traduction empirique de ce concept consiste à
mesurer la sensibilité des investissements aux cash-flows58.
La notion de contraintes financières doit être considérée dans une optique dynamique et à
long terme : par exemple, le fait qu’ une firme dispose de fonds internes en excès et garde une
réserve d’ emprunt n’ est pas synonyme d’ absence de contraintes financières. En effet,
l’ ajustement des dépenses d’ investissement par rapport aux fluctuations des fonds internes est
coûteux pour la firme. Même si ces firmes peuvent investir plus à l’ équilibre, elles
connaissent des contraintes financières : le concept de contraintes n’ est pas statique ou
« actuel ».
En pratique, une firme connaît des contraintes financières lorsqu’ elle ne peut financer tous les
projets rentables disponibles. Cette situation apparaît en raison de contraintes de crédit, de
l’ incapacité d’ emprunter ou d’ émettre des actions à un coût raisonnable, d’ une dépendance
vis-à-vis du système bancaire, d’ une illiquidité des actifs de la firme ou d’ autres phénomènes
similaires. Plusieurs hypothèses théoriques sont avancées quant à la justification et à
l’ existence de telles contraintes. Elles appartiennent pour la plupart aux modèles
d’ imperfections de marché.
1.2 Origine des contraintes financières
Les contraintes financières s’ appréhendent grâce à l’ étude de la relation investissement/cashflows. De nombreuses études empiriques relatent le fort pouvoir explicatif des cash-flows sur
les variations des dépenses d’ investissement des firmes industrielles. Cette relation
investissement/cash-flows (en prenant en compte le coût du capital) s’ oppose aux implications
du théorème de neutralité de Modigliani et Miller (1958) et à celles des théories d’ arbitrage ou
de compromis (« Static trade-off theories ») du comportement financier.
Selon le paradigme de Modigliani et Miller (1958), la décision d’ investir devrait dépendre
exclusivement de la rentabilité de l’ investissement concerné, mesurée par la valeur du Q de
Tobin. Aucun autre facteur ne devrait influencer la politique d’ investissement, y compris la
58
: La nature de la relation entre la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes financières
n’ est pas clairement déterminée : Kaplan et Zingales (1997) remettent en cause l’ existence d’ une relation
monotone entre les deux phénomènes.
110
répartition dettes/capitaux propres, le niveau de fonds internes disponibles ou les conditions
sur le marché financier. Une des avancées essentielles de ces quinze dernières années sur les
recherches portant sur l’ investissement est l’ infirmation de cette proposition théorique
pionnière. Concrètement, en neutralisant le niveau des opportunités d’ investissement, les
firmes dégageant des cash-flows élevés, et celles conservant une charge d’ endettement
modérée, investissent plus à l’ équilibre. La littérature à l’ origine de ces résultats empiriques
est désormais abondante, les contributions importantes incluant les articles de Fazzari,
Hubbard et Petersen (1988), Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991), Whited (1992), Schaller
(1993), Calomiris et Hubbard (1995), Chirinko (1995), Gilchrist et Himmelberg (1995) et
Lang, Ofek et Stulz (1996). Hubbard (1998) a réalisé une revue de littérature complète sur ce
sujet.
Deux remarques sont cependant fondamentales. Il faut noter que les validations empiriques
concernant l’ effet de la disponibilité en fonds internes distinguent plusieurs types
d’ investissements : dépenses en capital, immobilisations corporelles et dépenses en recherche
et développement. Par ailleurs, le fondement même de la littérature théorique est confronté à
un problème d’ endogénéité, à savoir que le montant des cash-flows et le ratio d’ endettement
de la firme peuvent contenir des informations sur ses opportunités d’ investissement. Par
exemple, les firmes auront tendance à accumuler des réserves financières lorsque la rentabilité
des investissements est anormalement élevée, ceci pouvant indiquer une valeur élevée du Q
marginal (celui-ci étant difficilement mesurable précisément).
1.3 Sélection adverse et existence de free cash-flows
Deux explications plus récentes coexistent pour décrire la relation investissement/cash-flows,
toutes deux fondées sur les imperfections informationnelles. La première, issue des
développements de Myers et Majluf (1984), repose sur le problème de sélection adverse : une
firme peut choisir de ne pas entreprendre un projet d’ investissement rentable (VAN > 0) en
raison du coût excessif des financements externes. Lorsque la firme doit recourir à des fonds
externes, les managers ne peuvent communiquer de manière crédible au marché la qualité des
actifs existants et des opportunités d’ investissement disponibles. A l’ équilibre, les firmes
sous-évaluées décident de renoncer à des projets à VAN positive pour ne pas transférer la
richesse des actionnaires existants aux nouveaux investisseurs. Le coût d’ information identifié
par Myers et Majluf (1984) est constitué de la rentabilité de l’ investissement non entrepris.
111
Cette hypothèse a été testée par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) pour les investissements
en actifs corporels (usines et équipements) et par Himmelberg et Petersen (1994) pour les
dépenses de recherche et développement. Ces tests évoquent le fait que le coût prohibitif des
ressources externes conduit certaines firmes à des difficultés de liquidité, ceci entraînant la
forte dépendance entre les investissements et le niveau des cash-flows.
Le second courant théorique découle de l’ hypothèse de free cash-flows (FCF) de Jensen
(1986). En raison de conflits d’ intérêts, les managers tendent à augmenter leur richesse
personnelle au détriment des intérêts des actionnaires, en investissant les fonds internes en
excès dans des projets non rentables, au lieu de reverser les surplus sous forme de dividendes.
Jensen (1986) définit les free cash-flows comme étant « les cash-flows en excès par rapport
aux fonds nécessaires pour financer tous les projets à VAN positive en prenant en compte le
coût du capital » (p. 323). Les problèmes d’ agence naissent alors de l’ existence des free cashflows et du contrôle incomplet exercé par les actionnaires sur les managers. Ces derniers ont
tendance à sur-investir pour bénéficier des rentes financières et non financières liées à
l’ accroissement de la taille de la firme (Jensen et Meckling, 1976).
Devereux et Schiantarelli (1990), Oliner et Rudebusch (1992) et Strong et Meyer (1990) ont
testé empiriquement le rôle des problèmes d’ agence dans l’ intensité de la relation
investissement/cash-flows, mais leurs conclusions semblent contradictoires.
Le rôle des cash-flows dans la décision d’ investissement est donc dû soit à un gaspillage des
ressources internes, soit à un coût élevé des fonds externes découlant de l’ asymétrie
d’ information. Pour tester empiriquement ces propositions, la littérature existante s’ appuie sur
des modèles Q d’ investissement et modélise la relation investissement/cash-flows pour le
niveau d’ équilibre du Q de Tobin. A partir de cette traduction empirique, il est possible
d’ émettre des hypothèses testables. Si la théorie des free cash-flows est valide, les firmes
présentant de faibles Q devraient compter particulièrement sur les fonds internes pour le
financement de leurs investissements. Parallèlement, si la POT est correcte, les firmes ayant
des valeurs élevées de Q devraient dépendre plus que les autres des disponibilités internes.
Nous verrons que les méthodes empiriques utilisées sont parfois fort contestées, et notamment
en ce qui concerne la validité du facteur Q.
112
A partir des deux hypothèses d’ asymétrie d’ information et d’ agence, il est possible de prévoir
le degré de contraintes financières d’ un échantillon de firmes à partir de ses caractéristiques.
Pour les firmes disposant d’ un large éventail d’ opportunités d’ investissement rentables
(asymétrie d’ information élevée), les investissements doivent être plus sensibles aux
variations des cash-flows : ces firmes tentent de conserver les cash-flows existants en versant
peu ou pas de dividendes. Les modèles d’ asymétrie d’ information prévoient que les entités
pour lesquelles la relation investissement/cash-flows est fortement significative devraient
présenter en moyenne des valeurs de Q élevées. Des modèles d’ agence, on peut déduire que,
lorsque le coût du contrôle est significatif et que les managers ont la possibilité d’ investir dans
des projets à VAN négative, les cash-flows jouent un rôle déterminant dans le montant des
investissements. De plus, les investissements des firmes ne distribuant pas de dividendes sont
plus influencés par le niveau des cash-flows que les investissements des autres firmes. Les
premières devraient appartenir également à la catégorie des plus faibles valeurs de Q.
En résumé, les deux courants théoriques prévoient une relation significativement positive
entre cash-flows et investissement, qui doit être plus prononcée pour les firmes ne distribuant
pas de dividendes. La distinction majeure entre les deux théories réside dans l’ interaction
entre le Q de Tobin et l’ intensité de la relation investissement/cash-flows. Empiriquement,
l’ effet taille offre également une distinction entre les deux hypothèses : les firmes de plus
grande taille avec un actionnariat dispersé devraient être soumises à des coûts d’ agence
significatifs, alors que les firmes de petite taille sont elles plus sensibles aux asymétries
informationnelles. La figure 2 résume les étapes du raisonnement offrant une explication
pertinente à l’ existence de contraintes financières.
Le degré de contraintes financières est lié essentiellement à l’ existence d’ une asymétrie
d’ information entre les agents internes et les investisseurs externes, lorsque la firme a recours
au financement externe. Nous allons examiner maintenant les caractéristiques de la dette
intragroupe et montrer comment ce mode de financement particulier permet d’ éliminer en
partie le problème d’ asymétrie d’ information, et donc de lever les contraintes financières pour
les firmes membres de groupe.
113
Figure 2 : Conditions d’existence des contraintes financières
Nouveau projet d’ investissement : recherche d’ un financement externe
Comportement opportuniste des dirigeants
Asymétrie d’ information
Et existence de free cash-flows
Sélection adverse
Augmentation du coût du financement externe :
Coûts d’ agence et coûts d’ asymétrie d’ information
Existence de contraintes financières significatives
Relation positive et significative investissement/cash-flows
II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières
2.1 Circulation des fonds au sein du groupe et création d’ une dette intragroupe
La dette intragroupe qui n’ est pas accordée par une institution financière provient de deux
sources possibles : soit la société tête de groupe (ou un membre) fait jouer sa réputation sur le
marché financier externe pour collecter des fonds et les redistribuer aux autres entités du
groupe59, soit les surplus de fonds internes sont alloués aux différents membres sous forme de
prêts. Dans les deux cas, un marché interne de capital est créé au sein du groupe et la dette
intragroupe apparaît alors comme un substitut, ou plutôt une alternative à la dette externe
classique (Deloof (1996)60 relève une forte corrélation négative entre le niveau de dette
bancaire et celui de dette intragroupe dans le total des dettes à long terme).
L’ intuition d’ une meilleure flexibilité financière des firmes appartenant à un groupe provient
de cette opportunité de pouvoir « emprunter en interne ». Cependant, ceci ne permet pas de
conclure sur l’ efficacité de créer un marché interne de capital, pour trouver un financement
59
: C’ est le cas notamment lorsque l’ une des sociétés du groupe réalise une augmentation de capital (Partie 1).
114
alternatif au financement externe classique. Il faut pouvoir comparer les attributs respectifs
d’ une relation d’ emprunt sur un marché interne et sur un marché externe. Le modèle de
Gertner, Scharfstein et Stein (1994) est fondé sur l’ idée qu’ un marché interne de capital
procure aux fournisseurs de fonds les droits de contrôle sur la firme (contrôle sur l’ utilisation
des actifs). Cette particularité a pour conséquence majeure d’ accroître le contrôle exercé par
les fournisseurs du capital (direction du groupe). La notion de propriété dans un marché
interne de capital implique que les dirigeants-actionnaires perçoivent plus que les gains
résultant du contrôle exercé. Cet argument reprend les fondements théoriques d’ Alchian
(1969)61 sur l’ avantage comparatif des marchés internes de capitaux en matière de flux
d’ information entre les utilisateurs et les fournisseurs du capital. Une société membre de
groupe serait alors moins soumise aux effets négatifs de l’ asymétrie d’ information
traditionnellement observés dans une relation de crédit.
2.2 Comparaison des attributs des dettes interne et externe
Supposons l’ existence d’ une filiale particulière, notée F1, qui détient non seulement des actifs
en place mais aussi des opportunités d’ investissement futures. F1 est dirigée par un manager
M1, qui, selon les avancées théoriques sur la fonction d’ utilité des dirigeants, présente une
tendance naturelle à rechercher la croissance de la firme (création d’ un empire : « empirebuilding tendencies ») pour retirer un maximum de bénéfices personnels, et qui détient des
informations privées sur la valeur des actifs existants et celle des projets d’ investissement à
venir. F1 peut être financée soit comme une entité indépendante (en ayant recours aux sources
de financement externe, bancaires ou liées au marché financier), soit comme une entité
dépendante d’ un marché interne. Dans ce dernier cas, M1 a l’ obligation de négocier avec les
dirigeants de la société contrôlante pour trouver un financement adéquat.
Pour simplifier l’ analyse, on considère le cas simplifié où le dirigeant de la société mère agit
dans l’ intérêt de ses actionnaires directs (le seul conflit d’ agence envisagé ici est celui
opposant M1 et le dirigeant du groupe), et où celui-ci ne gère qu’ une seule filiale F1. Dans
quelle mesure les attributs d’ un financement interne et d’ un financement externe diffèrentils ? La première remarque réside dans le fait que lors des négociations entre M1 et le
dirigeant, le manager fait face à un unique interlocuteur, fournisseur du capital, en opposition
60
61
: Op. cité Deloof (1998), p. 947.
: Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212.
115
à une multitude d’ investisseurs présents sur le marché externe. Un argument quasi-immédiat
suggère que le dirigeant accordera plus de temps et d’ efforts aux fonctions de contrôle, pour
collecter des informations fiables sur les performances actuelles et futures de la filiale : ceci
représenterait un des bénéfices découlant de l’ allocation interne du capital.
Même si la question de la centralisation du financement apparaît comme une caractéristique
essentielle, elle ne représente qu’ une partie du raisonnement. Si l’ on se concentre uniquement
sur le degré de centralisation, il n’ existe pas de différences significatives entre la relation
M1/dirigeant, et, par exemple, la relation M1/prêteur bancaire. A partir de cette observation,
Gertner, Scharfstein et Stein (1994) montrent que ce qui distingue le dirigeant des autres
fournisseurs uniques de capital est que le premier possède des droits de contrôle
inconditionnels et totaux, au sens des travaux de Grossman et Hart (1986), et Hart et Moore
(1990). Le dirigeant a le pouvoir de décider unilatéralement de l’ utilisation des actifs
corporels de la firme, ce qui n’ est pas possible pour un banquier lorsque la firme n’ éprouve
aucune difficulté financière. Le droit résiduel sur les cash-flows dégagés n’ est pas synonyme
de propriété, car la personne disposant des cash-flows ne décide pas nécessairement de
l’ utilisation des actifs. Gertner, Scharfstein et Stein (1994) reprennent la définition de la
propriété de Grossman et Hart (1986) : « droits résiduels du contrôle des actifs, contrôle de
tous les aspects des actifs existants qui n’ ont pas été explicitement définis par contrat »
(p.695). Ainsi, la notion de propriété prend tout son sens lorsqu’ il existe des actions qui ne
peuvent être déterminées ex ante : le propriétaire est la personne qui décide d’ entreprendre ou
non les actions non contractuelles.
Le contrôle sur l’ utilisation des actifs et la fonction de contrôle des décisions des managers
sont complémentaires. Le dirigeant a la possibilité de s’ assurer que toutes ses idées
personnelles émergentes, conformes à l’ objectif de maximisation de la valeur, seront
entendues et appliquées : un investisseur externe ne détenant pas le droit de contrôle ultime
sur les actifs de la firme est incapable de s’ impliquer aussi fortement dans la gestion de
l’ entité. Par exemple, dans le cadre d’ une restructuration des actifs de F1, le dirigeant peut
entreprendre et appliquer directement les décisions pertinentes. Comparativement, une banque
ne peut que suggérer le redéploiement d’ actifs au manager de la filiale, celui-ci étant libre de
prendre en compte ou d’ ignorer ces suggestions. Par conséquent, la banque investira moins de
temps et de fonds dans la collecte d’ information sur l’ activité et la gestion de la firme. Cet
116
argumentation formalise l’ idée de Alchian (1969)62 et de Williamson (1975) selon laquelle un
marché interne de capital dégage des flux d’ information de plus grande qualité (ceci se
répercutant directement sur la prise de décision) qu’ un marché externe.
La description du fonctionnement des marchés internes est abordée plus particulièrement dans
la section 2. Le paragraphe suivant s’ intéresse à l’ influence de l’ appartenance à un groupe sur
la politique d’ endettement globale des sociétés affiliées.
2.3 Appartenance au groupe et utilisation de dette externe
L’ appartenance à un groupe modifie les conditions de financement des entreprises
concernées. Celle-ci va affecter les conditions d’ accès au marché financier, la surface
financière du groupe étant plus facilement identifiable. Les taux d’ intérêt des emprunts euxmêmes sont moins élevés pour ce type de sociétés. Leur dépendance vis-à-vis du système
bancaire paraît également moins nette, la société tête de groupe ayant la possibilité de
répercuter sur certaines unités des emprunts négociés à des conditions favorables. Tous ces
facteurs sont en relation avec le degré de contraintes financières pesant sur la politique
financière de la firme.
La possibilité d’ obtenir une dette intragroupe modifie l’ endettement total des sociétés
membres. Celles-ci pourraient opérer avec un ratio d’ endettement plus élevé si la dette
intragroupe est associée à des coûts d’ information faibles. De plus, l’ existence de dette
intragroupe influence le recours à la dette externe : le financement interne conduit à diminuer
les besoins en fonds externes, ou la dette intragroupe engendre une détérioration des relations
de la firme avec les créanciers externes (en affaiblissant leur pouvoir de négociation et en
augmentant la probabilité de non-remboursement). Cependant, l’ appartenance au groupe offre
également aux créanciers externes les supports de garantie représentés par les actifs des autres
sociétés membres de l’ ensemble (la garantie offerte par les actifs tangibles de la firme
constitue la mesure classique des coûts de faillite attendus). L’ étude de Deloof et Verschueren
(1999) confirme empiriquement que les sociétés membres de groupe présentent des niveaux
d’ endettement plus élevés que des entreprises indépendantes comparables, et que la présence
de dette intragroupe modifie l’ usage de la dette externe.
62
: Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212.
117
2.4 Synthèse : appartenance au groupe, utilisation de dette intragroupe et levée des
contraintes financières
Les contraintes financières ont pour conséquence directe l’ impossibilité pour une firme de
financer tous les projets d’ investissement à VAN positive. Ce rationnement du crédit dû au
coût élevé des modes de financement externe peut être évité lorsque qu’ une firme non
seulement appartient à un groupe, mais également bénéficie de dettes intragroupes.
En effet, l’ appartenance au groupe offre aux sociétés membres un surplus de fonds qui peut
être affecté au financement des investissements productifs, ceci grâce à :
-
l’ accès à une forme d’ endettement originale : la dette intragroupe ;
-
un accès privilégié à l’ endettement externe : la garantie représentée par les actifs tangibles
des autres sociétés du groupe permet de réduire les coûts de faillite liés à la relation
d’ endettement classique ; les sociétés affiliées au groupe ont l’ opportunité de s’ endetter
proportionnellement plus que les sociétés indépendantes.
D’ autre part, en plus de ces sources de financement quantitativement plus importantes, la
dette intragroupe présente des avantages particuliers qui rendent son utilisation moins
onéreuse que la dette externe classique :
-
coûts de transaction moins élevés ;
-
diminution des coûts d’ asymétrie d’ information : droits de contrôle exclusifs pour les
dirigeants du groupe, accroissement de la fonction de contrôle, et des flux d’ information
qualitativement plus importants.
Le point suivant s’ attache à analyser les résultats des tests empiriques existants.
III – Revue de la littérature empirique
La littérature empirique sur l’ existence de contraintes financières, et surtout sur les indicateurs
financiers pouvant en indiquer la présence, est très abondante. Le premier paragraphe est
consacré aux tentatives de validation des hypothèses d’ asymétrie d’ information et de free
cash-flows dans un cas général. Le second paragraphe expose plus spécifiquement les
résultats des tests concernant l’ appartenance à un groupe et la levée des contraintes
118
financières. Enfin, le dernier paragraphe propose une analyse critique de la méthodologie
empirique utilisée et quelques remarques sur les erreurs de mesure potentielles.
3.1 Conclusions des tests existants : l’ hypothèse d’ asymétrie d’ information comme
origine des contraintes est privilégiée
A partir de modèles d’ investissement reposant sur le facteur Q, Fazzari, Hubbard et Petersen
(1988) relatent le pouvoir explicatif des cash-flows sur les investissements pour les firmes
distribuant peu de dividendes. Ils interprètent ces résultats comme conformes aux implications
de la POT : ces firmes connaissent des contraintes financières associées aux coûts d’ asymétrie
d’ information liés au financement externe. Vogt63 (1994) confirme le pouvoir explicatif de la
variable « dividendes » dans la distinction entre firmes contraintes et non contraintes. Plus
récemment, Fazzari et Petersen (1993) montrent que cet échantillon de firmes tente d’ atténuer
les fluctuations du niveau de fonds disponibles en interne grâce au besoin en fonds de
roulement pour maintenir les investissements prévus. Ce résultat correspond aux implications
de Myers et Majluf (1984) montrant que les actifs financiers liquides (« financial slack »)
peuvent atténuer le phénomène de sous-investissement.
Le test de Whited (1992) apporte une extension aux résultats de Fazzari, Hubbard et Petersen
(1988) grâce à l’ étude du comportement financier de firmes ayant saturé leur capacité
d’ endettement. La relation investissement/cash-flows semble plus prononcée pour les firmes
avec des ratios d’ endettement et de couverture supérieurs à la moyenne64. Enfin, les cashflows influencent significativement les dépenses de recherche et développement dans la
politique d’ investissement des firmes de petite taille (Himmelberg et Petersen, 1994).
63
: Les tests empiriques portent sur un échantillon de 359 sociétés industrielles américaines, sur la période 19731990. Vogt (1994) prend également en compte l’ effet taille pour distinguer les implications des hypothèses de la
POT et des free cash-flows : les grandes firmes ayant une structure de propriété diffuse sont plus soumises aux
problèmes d’ agence. La relation investissement/cash-flows devrait être plus significative pour ce type de firmes
n’ ayant pas d’ opportunités rentables. De plus, les contraintes de liquidité inhérentes à l’ asymétrie d’ information
devraient être plus sévères pour les firmes de petite taille. Ainsi, la relation investissement/cash-flows doit être
significative pour ce type de firmes avec des valeurs élevées de Q. Les résultats des modèles statistiques testés
semblent corroborer l’ hypothèse de free cash flows dans le cas des dépenses en capital, même si l’ hypothèse de
la POT semble décrire efficacement le comportement financier des firmes de petite taille versant peu de
dividendes. Pour les dépenses en recherche et développement, les conclusions des tests confortent la thèse de la
POT. Les effets des investissements financés par des fonds internes sur la valeur de la firme dépendent
étroitement de la valeur des actifs, de la politique de dividendes et de la nature des investissements.
64
: Il utilise le ratio charges d’ intérêts/cash-flows, et le rating de la firme en début de période.
119
La plupart des tests s’ intéressent exclusivement aux investissements productifs et corporels.
Or, les dépenses de recherche et développement présentent d’ un point de vue théorique deux
caractéristiques intéressantes. Tout d’ abord, la nature intangible et risquée de ce type de
dépenses entraîne une plus grande sensibilité à l’ asymétrie d’ information que les
investissements en actifs corporels. De même, le coût du contrôle pour les externes et les
opportunités de sur-investissement pour les managers semblent accrus pour cette catégorie
d’ investissement. De plus, l’ impact de la recherche et développement sur la taille des actifs et
les cash-flows futurs est extrêmement incertain et non réalisable dans un avenir proche, or, de
ces facteurs dépend la motivation des managers et la valeur des free cash-flows disponibles.
Les investissements en actifs corporels génèrent des flux de fonds immédiatement (ne seraitce que par l’ effet des amortissements) et tendent à accroître la taille de la firme. Ainsi, les
problèmes liés à l’ existence de free cash-flows devraient affecter dans une moindre mesure les
investissements en actifs intangibles.
Schaller (1993) suggère plusieurs caractéristiques exogènes des firmes liées aux problèmes
d’ asymétrie d’ information et pouvant influencer le degré de contraintes financières : firmes
jeunes/matures
(différences
dans
le
coût
du
financement
externe),
actionnariat
concentré/dispersé (conflits d’ agence potentiels), appartenance à un groupe industriel
(existence d’ un marché interne). Sur des données de panel de firmes canadiennes, l’ auteur
montre que l’ effet des cash-flows sur les investissements est plus prononcé pour les firmes
jeunes, à actionnariat dispersé et n’ appartenant pas à un groupe, confirmant ainsi les
implications des modèles informationnels.
D’ autres essais de validations empiriques se sont intéressés plus spécifiquement à l’ hypothèse
de free cash-flows. Pour évaluer l’ importance des problèmes d’ agence, Oliner et Rudebusch
(1992) analysent l’ effet de différentes caractéristiques intrinsèques des firmes sur la relation
investissement/cash-flows. Les variables mesurant la structure de propriété et le degré
d’ actionnariat interne restent marginales pour expliquer le phénomène ; la cotation et l’ âge de
la firme détiennent un pouvoir explicatif plus élevé. Ces résultats ne corroborent pas
l’ hypothèse de Jensen (1986). Strong et Meyer (1990)65 distinguent deux catégories
d’ investissements et de cash-flows : les investissements productifs et discrétionnaires, et les
cash-flows totaux et résiduels (après le service de la dette, les taxes et le versement de
65
: Ce test se concentre spécifiquement sur l’ industrie du papier : 34 firmes sont étudiées entre 1971 et 1986.
120
dividendes). Deux relations intéressantes et significatives se dégagent de leurs résultats. Les
cash-flows résiduels et les investissements discrétionnaires sont corrélés positivement, alors
que dans le même temps les investissements discrétionnaires et les performances boursières
sont négativement liés. Ceci suggère que les cash-flows discrétionnaires sont affectés à des
investissements non rentables et appuie la thèse des free cash-flows. Par ailleurs, en assimilant
le facteur taille à un indicateur de mesure des problèmes d’ agence (actionnariat diffus),
Devereux et Schiantarelli (1990)66 évoquent une relation investissement/cash-flows plus forte
pour les firmes de plus grande taille. Il existe également toute une série de tests qui se sont
focalisés spécifiquement sur les conséquences financières de l’ appartenance à un groupe : ils
font l’ objet du point suivant.
3.2 Appartenance à un groupe et réduction des contraintes financières
La sensibilité investissement/cash-flows a été étudiée dans différentes structures
organisationnelles : les « Keiretsus » japonais (Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991), les
groupes industriels coréens (Cho, 1995 ; Shin et Park, 1999), les sociétés holdings (Praet,
2002) et les groupes industriels belges (Deloof, 1998). Tous ces tests procèdent de la même
manière. Les auteurs isolent un échantillon de firmes appartenant à un groupe (conglomérat
ou holding), puis réalisent un pairage de ces sociétés en fonction de leur taille et de leur
secteur d’ activité : un échantillon de firmes comparables, mais indépendantes, est ainsi
constitué. Ensuite, ils comparent la signification et la valeur du coefficient de la variable
« cash-flows » dans l’ équation d’ investissement.
En utilisant un échantillon de groupes industriels japonais (« Keiretsus »), Hoshi, Kashyap et
Scharfstein (1991) testent la relation investissement/cash-flows. Les firmes appartenant aux
groupes japonais sont supposées être moins soumises aux effets de l’ asymétrie d’ information
et des problèmes d’ agence que les firmes indépendantes car elles sont contrôlées et détenues
en partie par la banque commune du groupe. Celle-ci est au centre des relations entre les
firmes membres et fournit les fonds pour financer l’ ensemble des projets d’ investissement
disponibles67. A l’ inverse, les firmes indépendantes n’ entretiennent pas forcément des
rapports privilégiés avec les banques et devraient ainsi être plus affectées par une baisse de
66
67
: L’ échantillon est composé de 720 firmes anglaises, sur la période 1969-1986.
: Pour une analyse détaillée de la structure des Keiretsus, se reporter à Berglof et Perotti (1994).
121
l’ autofinancement. Il s’ avère que les cash-flows déterminent le niveau d’ investissement des
firmes indépendantes, ce qui n’ est pas le cas pour les firmes appartenant aux « Keiretsus ».
Sur des données coréennes, Cho (1995) mesure la variation du total des actifs tangibles sur la
période 1982-1991 pour examiner le lien entre les dépenses d’ investissement et les
disponibilités internes. L’ argument qui sous-tend son raisonnement repose sur le fait que les
firmes appartenant aux « chaebols » (forme de conglomérat coréen) ont été aidées par le
gouvernement lors de la phase d’ expansion économique des années 70, cet avantage se
matérialisant par un accès privilégié aux capitaux externes et se retrouvant lors des années 80.
Cependant, la comparaison des résultats de Cho (1995) et des conclusions des études
américaines est problématique : le montant de la variation des actifs tangibles diffère des
dépenses d’ investissement totales (par exemple, le cas où la firme cède un actif tangible et
réinvestit les fonds dans des dépenses de R&D).
Le test de Shin et Park (1999) repose sur l’ étude de données coréennes. L’ échantillon est
constitué de « chaebols » coréens, dont les caractéristiques semblent comparables à celles des
conglomérats, utilisés dans les tests américains : le fonctionnement du marché interne relève
de la même logique. L’ actionnaire principal des « chaebols » est soit une firme, soit une
famille : celui-ci contrôle les décisions d’ investissement et de financement de chaque firme du
groupe, en fonction de leurs besoins respectifs et des objectifs stratégiques du groupe dans son
ensemble. En plus du test classique de la relation investissement/cash-flows, Shin et Park
(1999) contrôlent la qualité des résultats, en réalisant des tests complémentaires en fonction
de la taille et de l’ endettement des firmes de l’ échantillon. Enfin, pour vérifier si les résultats
ne sont pas guidés par un biais dans la mesure des opportunités d’ investissement, ils réalisent
également les tests en fonction du taux de croissance des ventes des firmes de l’ échantillon68.
A partir d’ un échantillon de 52 firmes belges sur la période 1989-1996, Praet (2002) étudie
l’ impact global des sociétés holding sur les sociétés qu’ elles contrôlent. Pour cela, ils
comparent les données financières d’ un échantillon de firmes industrielles contrôlées par des
holdings avec celles de sociétés dominées par des actionnaires familiaux. Ces holdings sont
définies par Daems (1978) comme des « institutions financières qui gèrent un portefeuille
d’ actions dans le but de contrôler les sociétés dans lesquelles elles possèdent des parts de
68
: Ce problème de mesure est réellement significatif lorsque la firme connaît un taux de croissance
anormalement élevé (Kaplan et Zingales, 1997).
122
capital »69. Pour atteindre cet objectif, elles émettent des actions nouvelles et utilisent les
fonds collectés pour investir dans d’ autres sociétés. Ceci donne lieu à une substitution de titres
puisque l’ investisseur qui souscrit aux augmentations de capital de la holding investit
indirectement dans plusieurs sociétés cotées ou non. Par conséquent, les holdings belges ont
un impact significatif sur le plan économique, qui, contrairement à la situation sur le marché
américain, donne naissance à des structures de propriété concentrées. Praet (2002) régresse les
investissements par rapport au montant des cash-flows et met en évidence un coefficient
significatif pour les deux sous-échantillons, mais plus faible pour les filiales de holdings : ce
résultat prouve l’ existence de contraintes financières pour les deux types de firmes.
Le test de Deloof (1998) est fondé sur la distinction entre les firmes utilisant la dette
intragroupe et celles qui n’ ont pas recours à ce type de financement interne. A partir d’ un
échantillon de firmes belges non financières cotées (entre 1981 et 1991), l’ auteur teste le
pouvoir explicatif des cash-flows sur le niveau d’ investissement70. L’ investissement des
firmes ne disposant pas de dette intragroupe est déterminé par le niveau de fonds internes
disponibles, ce qui n’ est pas le cas pour les autres firmes de l’ échantillon. D’ autre part,
l’ auteur conclut que la relation investissement/cash-flows est guidée par un phénomène de
sur-investissement et non par l’ existence de contraintes financières.
Enfin, Khanna et Palepu (2000) transposent la même étude sur un échantillon de firmes
affiliées à des groupes industriels indiens71. Cependant, leurs résultats montrent la même
intensité dans la relation investissement/cash-flows pour les deux sous-échantillons.
3.3 Synthèse des conclusions des tests empiriques
Le tableau 15 tente de récapituler les principales caractéristiques des firmes soumises à des
contraintes financières sévères. Sans être exhaustives, les données du tableau 15 permettent de
saisir
la
complexité
d’ isoler
les
nombreux
déterminants
de
la
relation
cash-
flows/investissement et de neutraliser les biais induits par d’ autres variables intervenant dans
l’ explication de la politique d’ investissement.
69
: Op. cité Praet (2002) p. 3.
: Deloof (1998) distingue l’ investissement total, l’ investissement en actifs tangibles et l’ investissement en
actifs financiers. Les résultats montrent que les cash-flows ne possèdent pas de pouvoir explicatif sur la politique
d’ investissement en actifs financiers.
71
: Les données concernent l’ année 1993, et l’ échantillon comporte 655 firmes affiliées et 654 firmes non
affiliées.
70
123
Tableau 15 : Synthèse des validations empiriques sur la relation investissement/cashflows
Tests empiriques
Fazzari, Hubbard,
Petersen (1988) ; Vogt
(1994) ; Gilchrist et
Himmelberg (1995)
Whited (1992)
Fazzari, Petersen (1993)
Kashyap, Lamont, Stein
(1994)
Schaller (1993) ; Oliner,
Rudebusch (1992)
Schaller (1993) ; Oliner,
Rudebusch (1992)
Corrélation avec le degré de
contraintes financières
(intensité de la relation
investissement/cash-flows)
Versement de dividendes Asymétrie
Les firmes versant peu de
d’ information et dividendes sont soumises à
POT.
des contraintes financières
significatives.
Ratio d’ endettement
Asymétrie
Les firmes ayant saturé leur
d’ information et capacité d’ endettement sont
POT.
soumises à des contraintes
significatives.
Besoin en Fonds de
Asymétrie
Les firmes conservant un
Roulement
d’ information et BFR faible sont soumises à
POT.
des contraintes financières
significatives.
Disponibilité en fonds
Asymétrie
Les firmes disposant de
internes
d’ information et faibles ressources internes
POT.
sont soumises à des
contraintes significatives.
Age de la firme
Asymétrie
Les firmes jeunes sont
d’ information et soumises à des contraintes
POT et hypothèse significatives.
de Free CashFlows.
Structure d’ actionnariat
Hypothèse de
Les firmes à actionnariat
Free Cash-Flows. dispersé sont soumises à des
contraintes significatives.
Appartenance à un groupe Asymétrie
Les firmes appartenant à un
ou à une holding
d’ information et groupe sont moins soumises
POT.
aux contraintes financières.
Caractéristiques de la
firme : critère de
classification a priori
Deloof (1998) ; Hoshi,
Kashyap et Scharfstein
(1991) ; Schaller (1993)
; Praet (2002) ; Cho
(1995) ; Shin et Park
(1999) ; Khanna et
Palepu (2000).
Devereux, Schiantarelli Taille de la firme
(1990) ;
Vogt (1994) ; Gilchrist
et Himmelberg (1995)
Hypothèses
théoriques testées
Asymétrie
d’ information et
POT et hypothèse
de Free CashFlows.
124
Les deux hypothèses
établissent des prédictions
opposées. La taille de la
firme est synonyme de
moindre asymétrie
d’ information (-) mais aussi
de coûts d’ agence plus
élevés (+).
3.4 Détails de la méthodologie empirique
Les tests empiriques sur la sensibilité investissement/cash-flows sont confrontés à deux
difficultés essentielles : l’ interaction entre le Q de Tobin et les autres variables financières, et
la méthode de classification a priori des firmes. L’ enjeu est alors de déterminer si l’ intensité
de la relation investissement/cash-flows est proportionnelle au degré de contraintes
financières, hypothèse implicitement acceptée dans les tests existants.
3.4.1 Q de Tobin et relation avec les autres variables financières
Le scepticisme des chercheurs sur la question de la sensibilité investissement/cash-flows
provient de l’ utilisation abusive du facteur Q de Tobin, comme instrument de mesure fiable
des opportunités d’ investissement. Dans la littérature, ce facteur ne détient qu’ un faible
pouvoir explicatif et présente des coefficients extrêmement et étonnamment élevés dans
l’ estimation des paramètres du coût d’ ajustement. Les opportunités d’ investissement sont
généralement mesurées par le Q de Tobin. Le Q marginal est défini par le ratio entre la
productivité marginale d’ une unité d’ investissement et le coût de remplacement du capital.
Ainsi, un Q supérieur (inférieur) à 1 signifie que le retour d’ une unité de capital
supplémentaire est positif (négatif). En présence de marchés parfaits et d’ une courbe de coûts
d’ ajustement convexe, le Q marginal devrait être la seule variable pertinente pour rendre
compte du niveau d’ investissement. Comme le Q marginal n’ est pas observable, les études
empiriques utilisent le Q moyen, caractérisé par le ratio entre la valeur de marché des capitaux
propres de la firme et le coût actuel de remplacement de ses actifs. Malheureusement, le Q
marginal et le Q moyen ne sont pas liés par une relation quelconque, ceci remettant en doute
la pertinence d’ une telle mesure. En fait, les deux valeurs ne coïncident que lorsque les deux
coefficients sont égaux à 1, et les coûts d’ ajustement linéaires.
Les articles étudiant la sensibilité investissement/cash-flows contournent ce problème en
classant un échantillon de firmes en fonction de critères à priori censés représenter le degré de
contraintes financières : la taille, la politique de dividendes, la structure de capital (ratio
125
d’ endettement). Cependant, il est probable que l’ ensemble de ces caractéristiques financières
de la firme ait un rapport direct avec les variables intervenant dans le calcul du Q du Tobin72.
Plusieurs raisons existent pour lesquelles les variations d’ intensité dans la relation
investissement/cash-flows ne proviennent pas des imperfections de marché et des coûts
d’ accès au capital. Tout d’ abord, les firmes subissant à priori des contraintes financières
sévères sont typiquement des firmes de petite taille, jeunes avec un taux de croissance plus
important que les autres firmes : le marché boursier n’ a dans ce cas pas accumulé le stock
d’ information qui se dégage d’ une évaluation et d’ un contrôle précis des activités de ces
firmes au cours du temps. Ainsi, le Q de Tobin devrait contenir moins d’ informations sur les
opportunités d’ investissement de ces firmes « jeunes » que pour les autres firmes identifiées
comme « non contraintes ». Le pouvoir explicatif du Q de Tobin diminue alors au profit de
celui des cash-flows, ceci conduisant à classer des firmes dans la catégorie « contraintes »
alors qu’ elles ne le sont pas en réalité. De plus, les firmes récentes réagissent plus rapidement
à l’ émergence d’ opportunités d’ investissement, parce qu’ elles détiennent des technologies et
des systèmes productifs différents, et qu’ elles sont moins soumises aux inconvénients d’ une
structure organisationnelle avec plusieurs niveaux hiérarchiques et une délégation importante
(structures conglomérales et relations d’ agence entre la direction et les managers de
divisions). Si le Q de Tobin est un « proxy » satisfaisant de l’ investissement, une plus grande
vitesse d’ ajustement devrait se solder par des valeurs élevées de Q. Si ce n’ est pas le cas, et si
les cash-flows sont une variable fondamentale, les firmes réagissant rapidement devraient
avoir des coefficients de cash-flows plus significatifs, ceci expliquant les variations observées
en coupe transversale.
3.4.2 Critique des méthodes de classification a priori des firmes
Plus généralement, c’ est de la méthode de classification a priori des firmes que dépend la
validité des résultats. La stratégie idéale serait de construire une mesure directe des
contraintes, ce qui semble quasiment impossible. La plupart des études évaluent les
conséquences attendues des contraintes financières pour réaliser leur classification. Par
exemple, si une firme est contrainte, elle ne versera pas ou peu de dividendes. Cependant,
72
: Une des solutions au problème de mesure des opportunités d’ investissement est d’ avoir recours à l’ équation
d’ Euler. Pour une analyse détaillée, se référer à Whited (1992), Hubbard, Kashyap et Whited (1995) et Hubbard
(1998).
126
cette méthode engendre de multiples interprétations : le critère employé peut provenir des
contraintes financières comme il peut découler d’ autres facteurs. Dans ce cas, une firme peut
conserver de faibles dividendes à cause d’ un effet de clientèle (actionnaires fortement
imposés) ou pour éviter les effets indésirables de signalisation liés à des variations dans la
politique de dividendes.
Pour contourner le problème, il convient d’ inverser la causalité. Lhabitant et Tinguely (1999),
sur un échantillon de firmes suisses, utilisent des indicateurs de mesures d’ asymétrie
d’ information liés à la structure particulière du marché financier local : structures de propriété
concentrées et rôle actif des banques en tant qu’ actionnaires des sociétés industrielles cotées.
Ainsi, les auteurs classent les firmes en fonction des problèmes informationnels auxquels elles
sont soumises, puis étudient l’ intensité de la relation investissement/cash-flows : la relation
entre les problèmes informationnels et les contraintes financières étant monotone croissante,
cette méthode permet de résoudre le problème de causalité.
Kaplan et Zingales (1997) reprennent l’ échantillon constitué par Fazzari, Hubbard et Petersen
(1988) et tentent de déterminer la disponibilité et la demande de fonds en fonction de données
qualitatives (observation directe : interviews des managers sur la liquidité des actifs,
information publique) : là encore, l’ objectif est d’ obtenir une mesure directe des contraintes
financières, sans recourir aux variables financières classiques. En étudiant le sous-échantillon
de firmes considérées comme « contraintes » par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), les
auteurs montrent que ce type de firmes auraient pu à un moment donné augmenter leurs
dépenses d’ investissement et concluent à l’ absence de contraintes financières. Les résultats
évoquent une relation entre la sensibilité investissement/cash-flows qui ne serait pas
monotone croissante, ceci remettant en cause les apports et les conclusions de l’ ensemble des
tests précédents. La réponse de Fazzari, Hubbard et Petersen (1996) critique vivement le test
précédent : les auteurs reprochent notamment à Kaplan et Zingales (1997) leur vision
« statique » des contraintes financières73 et la confusion entre contraintes et détresse
73
: Kaplan et Zingales (1997) retiennent une définition opérationnelle originale des contraintes financières.
L’ existence de contraintes financières repose sur la possibilité pour la firme d’ investir plus de fonds à la
demande des managers à un moment donné. Pour indiquer que le manque de financement ne pose pas une
barrière à un investissement supplémentaire, ils utilisent comme indicateur de mesure la présence de
disponibilités en interne et de lignes de crédit inutilisées. Cette définition suppose une politique financière à
court terme de la part des firmes étudiées. En supposant que les firmes doivent payer une prime importante en
cas de financement externe, il leur est coûteux d’ ajuster les dépenses d’ investissement par rapport aux variations
du montant des fonds internes disponibles, qui suivent les cycles économiques. Un comportement rationnel pour
des firmes évoluant sur des marchés imparfaits serait de conserver un stock de liquidités et une marge de sécurité
127
financières, le manque d’ hétérogénéité de l’ échantillon étudié et la fiabilité des commentaires
des managers financiers recueillis.
D’ autre part, Matsusaka et Nanda (2000), à partir d’ un modèle sur l’ allocation du capital au
sein d’ un marché interne, démontrent que la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas
monotone en fonction du niveau de fonds internes disponibles. Si les ressources sont rares, la
firme fait appel au marché financier externe, et le niveau d’ investissement ne dépend pas de
celui des cash-flows. Lorsque les ressources augmentent, le montant des cash-flows détermine
le niveau d’ investissement et la sensibilité entre les deux variables augmente. Si les ressources
sont assez élevées pour financer tous les projets d’ investissement rentables, la sensibilité
diminue jusqu’ à s’ annuler. Ainsi, le modèle confirme les conclusions de Kaplan et Zingales
(1997), qui soulignent que la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas un bon indicateur
du niveau de contraintes financières qui pèsent sur la firme.
Au vu de ces développements, il apparaît fondamental de définir un critère de classification
des firmes ayant un lien direct et monotone avec l’ asymétrie d’ information. Dans le cadre de
notre recherche, il semble que l’ appartenance à un groupe et l’ utilisation de la dette
intragroupe soient des caractéristiques pertinentes reposant sur une base théorique solide
(Gertner, Scharfstein et Stein, 1994). Le recours à la dette intragroupe tend à réduire
l’ asymétrie d’ information liée à une relation de crédit classique, et augmente les fonds
disponibles pour la société affiliée : ces deux hypothèses garantissent une levée partielle des
contraintes financières. De plus, les problèmes de mesure liés au facteur Q ne peuvent
concerner l’ échantillon d’ étude de cette recherche, puisque celui-ci est constitué de sociétés
non cotées : dans ce cas, les opportunités d’ investissement sont calculées à partir de ratios
comptables passés, et notamment l’ équivalent du « ROA ». Enfin, il convient d’ étudier la
sensibilité investissement/cash-flows en fonction de différents niveaux de disponibilité en
fonds internes, pour vérifier le caractère linéaire de la relation74.
La levée des contraintes financières n’ est qu’ une des conséquences probables de l’ utilisation
de la dette intragroupe. Celle-ci représente aussi un instrument, à la disposition de la direction
pour leur capacité d’ endettement. De telles firmes seraient alors capables d’ investir plus à l’ équilibre, à un
moment donné, mais ceci ne prouverait pas l’ absence de contraintes financières.
74
: Très peu de sociétés de l’ échantillon d’ étude versent des dividendes ; il n’ est donc pas nécessaire de prendre
en compte cette variable pour juger du degré de contraintes financières. De même, le pairage s’ opère en fonction
128
du groupe, pour transférer les ressources entre les différentes filiales. Ces échanges financiers
intragoupes conduisent à identifier les limites d’ un marché interne de capital. Le
fonctionnement de ce type de structure est détaillé dans la section 2.
Section 2 : Efficience ou inefficience des marchés internes de capitaux
La plupart des développements théoriques de cette section ont été réalisés dans le but
d’ expliquer le fonctionnement des marchés internes de capitaux pour l’ étude de l’ efficience
des conglomérats américains, et ceci à partir des caractéristiques des marchés financiers
externes classiques. Cependant, il est possible d’ étendre les implications des modèles
théoriques à l’ analyse des sociétés holdings ou des groupes de sociétés, formes
organisationnelles plus courantes en Europe occidentale. De plus, ce courant théorique a été
élaboré à l’ origine pour justifier l’ existence de structures diversifiées (vague de diversification
dans les années 60 aux Etats-Unis), puis pour démontrer les causes liées à la sous-évaluation
de ce type de firmes (Berger et Ofek, 1995 ; Comment et Jarrell, 1995). L’ explication la plus
répandue pour expliquer la décote que subissent les firmes diversifiées correspond à une
mauvaise allocation des fonds internes entre les différentes entités (divisions) des
conglomérats.
La dette intragroupe est un moyen pour transférer les fonds entre les filiales d’ un même
groupe industriel : le périmètre du groupe représente alors les frontières d’ un marché interne
de capital. L’ étude du fonctionnement de l’ allocation interne des fonds au sein des
conglomérats constitue une base théorique indispensable pour l’ analyse des conséquences de
l’ utilisation de la dette intragroupe sur la valeur des sociétés affiliées au groupe.
Tous les développements théoriques analysés dans cette deuxième section s’ attachent à
démontrer l’ efficience ou l’ inefficience de l’ allocation des ressources en interne (rotation des
fonds entre les différentes divisions). L’ efficience est ici caractérisée par l’ affectation des
ressources aux entités disposant d’ opportunités d’ investissement rentables, et, in fine, par
de la taille et du secteur d’ activité de chaque firme : ces deux facteurs ne peuvent pas engendrer de différences
dans l’ intensité des contraintes financières entre les deux sous-échantillons.
129
l’ accroissement des performances financières des divisions concernées (des filiales de groupe)
avec un impact globalement positif sur la valeur des conglomérats (groupes).
Le premier point est consacré à l’ étude du fonctionnement des marchés internes de capitaux
au sein des conglomérats américains. Le second retrace les résultats des études empiriques
réalisées sur le sujet. Enfin, le troisième point considère explicitement le cas des groupes de
sociétés.
I – Fonctionnement des marchés internes de capitaux : allocation des ressources au sein des
structures conglomérales
1.1 Différences entre marchés internes et marchés externes
Une des questions fondamentales posées par Coase (1937)75 sur les développements de la
théorie de la firme est de comprendre comment les règles de prise de décision au sein d’ une
structure hiérarchique diffèrent de celles existantes dans une structure de marché. Coase
(1937)76 supposait que les décisions au sein d’ une hiérarchie déterminée était dominée par des
luttes de pouvoir alors que le fonctionnement des marchés reposait sur la valeur des prix.
Cependant, plus de 60 ans après, les conditions dans lesquelles la hiérarchie domine le marché
ne sont pas encore clairement définies. Un des obstacles majeurs à la progression de l’ avancée
théorique dans ce courant de recherche a été le manque de données : en effet, les critères sur
lesquels repose la prise de décision en interne sont généralement confidentiels. Même lorsque
ces données étaient disponibles pour les chercheurs, il était difficile de trouver un ensemble de
décisions financières comparables prises sur le marché. Cependant, depuis 1978 aux EtatsUnis, les firmes diversifiées cotées ont l’ obligation de publier les informations sur les ventes,
la profitabilité et la politique d’ investissement des principales divisions qui les composent77,78.
75
: Op. cité Rajan, Servaes et Zingales (2000), p. 35.
: Op. cité Rajan, Servaes et Zingales (2000), p. 35.
77
: L’ objet de publications sectorielles serait de permettre une meilleure appréciation du risque et du potentiel de
croissance des groupes pour les investisseurs. Les obligations françaises sont en la matière minimalistes au
regard de leurs équivalents anglo-saxons. Seuls les chiffres d’ affaires par secteur géographique et par secteur
d’ activité sont nécessaires dans les annexes des comptes consolidés. Le rapport de gestion est supposé contenir
aussi une information sur l’ activité et les résultats des filiales par branche d’ activité. De plus, les publications
trimestrielles au BALO pour les sociétés cotées doivent contenir une ventilation du chiffre d’ affaires par activité.
L’ information désagrégée disponible en France semble somme toute sommaire. La norme IAS est de loin plus
contraignante puisqu’ elle comporte entre autres des obligations concernant le résultat d’ exploitation (ou un
indicateur de résultat économique), le montant des actifs et la valeur des flux intersectoriels.
76
130
Les études empiriques ont eu alors l’ opportunité d’ analyser l’ une des décisions financières les
plus importantes, au sein d’ une hiérarchie et d’ une structure de marché : la décision
d’ investissement.
Considérons le cas simplifié d’ une structure ne possédant qu’ une seule division D1, dirigée
par un manager M1. D1 peut être financée soit comme une entité indépendante, soit comme
une entité dépendante d’ un marché interne. Dans ce dernier cas, M1 a l’ obligation de négocier
avec les dirigeants de la société contrôlante pour trouver un financement adéquat. De plus, on
suppose que le dirigeant de la société contrôlante agit dans l’ intérêt de ses actionnaires
directs : le seul conflit d’ agence oppose alors M1 et le dirigeant du conglomérat.
Dans cette situation, nous avons évoqué dans la section 179 une des caractéristiques
essentielles d’ un financement interne (dette interne versus dette externe) : le dirigeant du
conglomérat possède un droit de contrôle inconditionnel et total sur l’ utilisation des actifs
corporels de la division, ce qui n’ est pas le cas d’ un banquier lorsque la firme n’ éprouve
aucune difficulté financière (Grossman et Hart, 1986 ; Hart et Moore, 1990).
Par ailleurs, une seconde application directe de la logique de Gertner, Scharfstein et Stein
(1994) postule que l’ existence des droits de contrôle exclusifs du dirigeant réduit la
motivation de M1 quant à une gestion efficace de la division, et le décourage d’ entreprendre
des actions coûteuses et non contractuelles pouvant augmenter la valeur globale de la firme.
Aghion et Tirole (1997) développent ce raisonnement et démontrent pourquoi un manager est
plus démotivé lorsqu’ il dépend d’ un dirigeant que lorsqu’ il est soumis au contrôle
d’ investisseurs externes. Même si des actionnaires dispersés détiennent également des droits
de contrôle complets au sens formel (légal), le contrôle exercé est plus diffus puisqu’ ils ne
disposent pas d’ informations internes.
78
: Pourtier (1996) analyse les flux d’ information sectorielle pour 80 grands groupes industriels français. Sans
étudier les motifs poussant certains groupes à ne divulguer aucune information sur leurs filiales et d’ autres à
publier des informations complémentaires au minimum légal, il est intéressant de relater les résultats descriptifs
de cet article. Pour les annexes des comptes consolidés, environ 14% des groupes observés ne publient aucune
information dans les annexes et environ 39% ne respectent pas tout ou partie de leurs obligations en la matière.
Le contenu du rapport de gestion est également peu informatif : 43% des groupes n’ y publient que des
informations incomplètes. Seuls 34% des groupes étudiés font un effort de publication supérieur à la norme
requise, en divulguant une ou plusieurs des informations suivantes : résultats net et d’ exploitation, total des
actifs, autofinancement ou investissement.
79
: Implications du modèle de Gertner, Scharfstein et Stein (1994).
131
Le fait que le dirigeant, qui, au sein d’ un marché interne est également le pourvoyeur de
fonds, détienne des droits de contrôle exclusifs sur l’ utilisation des actifs d’ une division
engendre donc deux conséquences fondamentales sur la politique d’ investissement des
divisions :
-
conséquence positive : une fonction de contrôle accrue80 et des flux d’ information de
meilleure qualité garantissant la mise en œuvre d’ une politique d’ investissement
efficiente.
-
conséquence négative : une baisse de motivation du manager de division et une hausse de
la probabilité de comportements opportunistes contraires à l’ objectif de maximisation de
la valeur de l’ ensemble.
1.1.1 Autre configuration : un dirigeant unique gère plusieurs divisions
La seconde étape de l’ analyse consiste à envisager le cas où un dirigeant unique doit gérer
plusieurs divisions, chacune contrôlée par un manager81. Dans cette situation, le modèle de
Stein (1997) prouve que le dirigeant dispose d’ une plus grande latitude pour redistribuer les
ressources entre les différentes divisions sous son contrôle (par rapport à un banquier).
Concrètement, supposons l’ existence de deux divisions distinctes D1 et D2, chacune ayant la
capacité de collecter une unité de financement (actifs servant de garantie et résultats financiers
corrects). Un dirigeant a alors l’ opportunité de lever deux unités de financement, en
s’ appuyant sur la valeur de garantie des actifs des deux divisions, et d’ affecter ces fonds
uniquement à la division D1. En d’ autres termes, le dirigeant s’ engage dans une sélection
efficace des projets d’ investissement à financer en priorité (« winner-picking »). Si les deux
divisions fonctionnent comme des entités indépendantes empruntant les fonds auprès d’ une
banque, il ne pourrait imposer une telle restructuration : s’ il décide de ne pas accorder de
80
: La fonction de contrôle peut avoir pour conséquence un remplacement plus fréquent et plus efficient des
managers de divisions. McNeil, Niehaus et Powers (2002) développent un modèle issu de la littérature
économique sur le marché du travail. Le fil conducteur du raisonnement est le suivant : lorsque le manager
(agent) est congédié, l’ agent et le principal ne connaissent pas les capacités du manager avec certitude. Le
principal utilise les performances ex post comme base de décision : celles-ci dépendent de la qualité du manager
mais également de facteurs aléatoires. Si l’ on suppose que les dirigeants de conglomérats sont plus compétents
et/ou motivés pour identifier correctement les capacités du manager par rapport aux facteurs aléatoires que les
conseils d’ administration, ces dirigeants s’ appuieront plus largement sur le niveau de performance ex post. Par
conséquent, le turnover des managers de filiales sera plus sensible aux performances que celui des managers de
firmes indépendantes. Les résultats empiriques de McNeil, Niehaus et Powers (2002) valident cette dernière
hypothèse : la sensibilité turnover/performance est trois fois supérieure pour les divisions que pour les firmes
indépendantes (ceci en incluant dans l’ analyse diverses variables de contrôle : l’ âge du manager, la structure de
propriété et les performances boursières).
81
: Cette seconde étape ne tient compte que du conflit d’ agence entre les managers de divisions et le dirigeant du
conglomérat.
132
fonds à la division D2, M2 pourra se tourner vers d’ autres organismes de crédit proposant une
offre de financement adaptée. Les droits de contrôle du dirigeant lui permettent d’ empêcher
M2 de rechercher d’ autres sources de financement. Les actifs de D2 appartiennent au
dirigeant, et celui-ci peut interdire à M2 d’ utiliser ces actifs comme garantie d’ une transaction
à laquelle il s’ oppose. Ces développements rejoignent l’ idée de Hart et Moore (1990), qui
notent que « le seul droit conféré au détenteur d’ un actif réside dans sa capacité d’ exclure tout
autre agent de son utilisation. » (p.1121).
Une question émerge alors sur l’ usage à des fins créatrices de valeur de cette autorité de la
part du dirigeant. De plus, cette structure de pouvoir provoque des conséquences directes
(positives et négatives) sur l’ efficience ex post de la politique d’ investissement. D’ un côté,
Milgrom et Roberts (1988) et Meyer, Milgrom et Roberts (1992) pensent que les managers de
divisions s’ attachent à poursuivre des activités d’ influence non rentables pour convaincre le
dirigeant de leur accorder une plus grande part relative du budget total. Alternativement,
Brusco et Panunzi (2000) et Inderst et Laux (2000) démontrent que la menace d’ un
redéploiement d’ actifs contribue à diminuer la motivation du manager de division. Puisqu’ il
n’ est pas certain en effet de pouvoir réinvestir les bénéfices dégagés par sa division, il
consacrera proportionnellement moins d’ efforts à la recherche du profit maximal. Cependant,
l’ analyse de Stein (2001) souligne que l’ autorité inhérente au statut de dirigeant du
conglomérat peut également avoir des effets positifs ex ante. Dans la mesure où la volonté de
convaincre le dirigeant conduit les managers à une gestion efficace, en dévoilant des
informations supplémentaires sur les perspectives financières de la division, l’ efficience totale
peut être améliorée dans certaines circonstances.
1.1.2 Prise en compte de la relation d’ agence entre le dirigeant du conglomérat
et les investisseurs externes
Une autre ligne de raisonnement consiste à considérer le dirigeant du conglomérat comme
l’ agent des actionnaires externes : cette nouvelle relation d’ agence lève l’ hypothèse d’ un
dirigeant agissant automatiquement en fonction des intérêts des actionnaires du conglomérat.
Ainsi, un modèle généralisé du processus d’ allocation interne du capital doit intégrer deux
types de relations d’ agence : celle entre le dirigeant et ses actionnaires, et celle entre les
managers de divisions et le dirigeant. Cette relation d’ agence à deux vitesses a déjà été
envisagée dans d’ autres modèles ne traitant pas de l’ allocation interne du capital. Par
exemple, l’ article de Diamond (1984) sur l’ intermédiation reconnaît explicitement
133
l’ importance des relations d’ agence entre la banque et les investisseurs. Cependant, il faut
comprendre que l’ effet de la relation d’ agence entre le principal (l’ actionnaire final) et les
agents (dirigeant ou banque) dépend étroitement de la structure des droits de contrôle
régissant la relation d’ agence au niveau inférieur de l’ organisation (dans notre exemple, celle
entre le dirigeant et les managers de divisions). Dans le modèle de Diamond (1984), où la
banque n’ a pas l’ autorité suffisante pour transférer la totalité des fonds d’ une catégorie de
clients vers une autre, la diversification dans de multiples projets s’ avère être un instrument
utile pour atténuer le problème d’ agence en haut de la hiérarchie (entre dirigeants et
actionnaires principaux de la banque). En comparaison, sur un marché interne de capital, où le
dirigeant dispose de l’ autorité nécessaire, la diversification peut dans certains cas aggraver les
effets liés à ce même niveau de relation. Cette hypothèse est à la base des règles d’ allocation
interne du capital dans le modèle de Scharfstein et Stein (2000).
Ce modèle met en évidence un phénomène de « socialisme » dans les structures
conglomérales, où un transfert de richesse s’ opère entre les divisions rentables et non
rentables : une organisation conglomérale ne parvient pas à maîtriser les dépenses en capital
des divisions les moins performantes. En s’ appuyant sur les implications de la théorie de
l’ agence, Scharfstein et Stein (2000) examinent les rapports d’ intérêts entre trois catégories
d’ agent : l’ investisseur externe, la direction du conglomérat et les managers de divisions. La
direction du groupe est obligée de verser une compensation supplémentaire au manager de
division pour le dissuader d’ investir et de consacrer du temps à des activités non rentables :
cette rémunération supplémentaire s’ avère, dans certaines situations, plus importante pour les
managers des divisions les plus faibles. En effet, le coût d’ opportunité pour ces managers
d’ agir contre les intérêts de la firme est plus faible, ainsi la menace d’ un comportement
opportuniste est-elle crédible. Cependant, cette recherche de rentes privées ne génère pas
directement des dysfonctionnements dans l’ allocation des ressources au sein du conglomérat :
la direction pourrait par exemple rémunérer les managers grâce aux liquidités internes, cette
compensation n’ influencerait pas la politique d’ allocation du capital. Si l’ on introduit dans le
raisonnement les problèmes d’ agence entre la direction du groupe et les investisseurs
externes, il est alors possible de mettre en évidence la cause de l’ inefficience des marchés
internes. Les investisseurs externes préféreraient que les fonds versés aux managers
proviennent des cash-flows internes, mais ils ne peuvent pas l’ imposer. Cette tâche est
déléguée naturellement à la direction du groupe. Le modèle montre, qu’ en tant qu’ agent, la
direction considère qu’ il est moins coûteux pour elle de modifier la politique d’ investissement
134
en faveur des divisions non rentables que de respecter les attentes des investisseurs externes82.
Les deux formes de relation d’ agence permettent donc d’ expliquer comment certains
managers de division bénéficient de budgets supplémentaires.
1.2 Hypothèse d’ efficience des marchés internes : avantages liés à l’ allocation interne
des fonds
De nombreux articles (Lamont, 1997, et Shin et Stulz, 1998, entre autres) soulignent que
l’ allocation des ressources au sein des firmes diversifiées diffère de celle des firmes
indépendantes et spécialisées : l’ allocation interne entre les divisions semble ignorer les
indicateurs de marché classiques mesurant la rentabilité des investissements, comme le Q de
Tobin.
La littérature théorique identifie plusieurs mécanismes grâce auxquels l’ allocation du capital
sur un marché interne conduit à une augmentation ou une réduction de l’ efficience, par
rapport à une référence constituée par le fonctionnement d’ un marché externe. Si l’ on suppose
l’ absence de synergies opérationnelles, il existe deux moyens liés à la politique financière
pour créer de la valeur en regroupant différents métiers sous une seule et même firme (centre
décisionnel unique).
Dans un premier temps, cette forme d’ intégration permet de collecter proportionnellement
plus de fonds externes que si les unités fonctionnaient comme des entités indépendantes : cet
effet est bénéfique s’ il existe en moyenne un problème de sous-investissement. Lewellen
(1971) suggère que la co-garantie représentée par les actifs des divisions (non corrélés entre
eux) tend à augmenter la capacité d’ endettement des firmes intégrées. Inderst et Muller (2003)
apportent un éclairage récent et nouveau sur cette question, en montrant comment l’ existence
d’ un marché interne façonne la nature du contrat financier optimal liant la firme et ses
investisseurs externes. Cependant, Berger et Ofek (1995) et Comment et Jarrell (1995)
remettent en question la pertinence de cette hypothèse en prouvant empiriquement que les
firmes intégrées n’ empruntent que marginalement plus que des firmes indépendantes
comparables (secteur et taille). D’ autre part, Hadlock, Ryngaert et Thomas (1998) ont
construit un modèle dans lequel la diversification parvient à atténuer le problème de sousinvestissement de Myers et Majluf (1984), en agrégeant le risque de chaque entité et en
82
: Ce résultat dépend de la nature du contrat financier optimal qui lie la direction du groupe et les investisseurs.
135
réduisant la variance de l’ information privée détenue par les managers en interne83. En accord
avec cette hypothèse, les auteurs trouvent que les émissions d’ actions de la part de firmes
diversifiées engendrent des effets d’ annonce moins négatifs que celles réalisées par des firmes
indépendantes comparables.
Dans un second temps, à capacité de financement égale, un marché interne offre l’ opportunité
d’ allouer de manière plus efficiente un montant donné de ressources entre différents projets
d’ investissement. Cette hypothèse a été évoquée entre autres par Alchian (1969)84,
Williamson (1975) et Donaldson (1984)85 et repose sur deux arguments essentiels :
-
le dirigeant régissant le marché interne de capital a accès à une partie de l’ information
privée sur les perspectives financières des divisions appartenant au groupe ;
-
ce dernier utilise cet avantage informationnel pour entreprendre une réallocation active
des fonds entre les différentes divisions (« winner-picking »).
Plusieurs articles théoriques86 relient explicitement la performance de l’ une ou des deux
fonctions (contrôle et sélection efficiente) aux droits de contrôle particuliers détenus par le
dirigeant sur un marché interne de capital.
Stein (1997) met en évidence que la sélection efficiente réalisée par le dirigeant est plus
abordable lorsque les divisions d’ une même firme opèrent dans des activités liées. La logique
du raisonnement repose sur l’ idée d’ une évaluation relative des projets d’ investissement :
dans l’ objectif de distribuer de manière plus efficiente un montant fixe de ressources, la
valeur absolue des projets (VAN) n’ a que peu d’ importance par rapport à la valeur relative de
chaque projet par rapport aux autres. Comparer la performance relative de chaque projet est
plus aisé lorsque ceux-ci concernent des activités liées. Cet avantage dû au fonctionnement
des marchés internes de capitaux émerge naturellement lorsque l’ on considère que le dirigeant
agit dans l’ intérêt des investisseurs externes. Mais, il peut également exister le même
phénomène si l’ on suppose que le dirigeant possède des objectifs personnels distincts (conflit
d’ agence). Ce point est développé par Stein (1997). La recherche de bénéfices privés et la
83
: Afin de modérer cet argument, les professionnels supposent fréquemment que les firmes diversifiées
éprouvent des difficultés à recourir au financement externe, car la complexité de leur structure rend plus délicate
l’ évaluation de la valeur de l’ ensemble par les investisseurs externes (Nanda et Narayanan, 1999).
84
: Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212.
85
: Op. cité Stein (1997), p.112.
136
tendance à vouloir constituer des « empires » peuvent amener le dirigeant à classer les
différents projets disponibles selon un ordre conforme aux intérêts des actionnaires, et même
s’ ils sur-investissent (du point de vue des actionnaires), leur politique d’ investissement n’ est
pas nécessairement contraire à l’ objectif de maximisation. Même s’ il existe certainement des
contre-exemples (des dirigeants souhaitant investir uniquement dans des domaines d’ activité
où ils détiennent des compétences spécifiques, Shleifer et Vishny, 1989), l’ existence d’ un
comportement opportuniste, seule, n’ est pas antithétique avec l’ efficience de l’ allocation
interne du capital.
Au vu de ces développements, il est nécessaire d’ isoler les caractéristiques d’ un marché
interne efficient. Lorsqu’ une firme ne possède que des fonds limités pour investir, un marché
interne efficient devrait orienter les fonds vers les opportunités les plus rentables. De ce
constat, on peut déduire les conditions d’ un fonctionnement efficient :
(1) Dans l’ allocation des ressources en interne, la priorité doit être accordée aux divisions
disposant des opportunités investissement les plus rentables.
(2) Les investissements d’ une division doivent être moins sensibles au niveau de ses
propres cash-flows qu’ à celui des autres divisions.
(3) Les fonds alloués à une division diminuent lorsque les autres divisions disposent de
projets plus rentables.
Si les objectifs des managers de divisions sont favorables à une croissance rentable de la
firme, et si leurs intérêts s’ alignent avec ceux des dirigeants du groupe (absence de conflits
d’ intérêts), ces derniers favorisent alors les divisions rentables et se défont des non
performantes. Dans une situation où le coût des ressources externes est élevé, où la firme est
fortement endettée et ne détient pas d’ investissements profitables, les cash-flows seront un
moyen de financement essentiel des investissements. Les autres divisions bénéficieront alors
du mécanisme d’ allocation des ressources si la division la plus importante possède des
ressources en excès et peu d’ options d’ investissement. Le transfert des fonds internes s’ opère
en faveur des plus petites divisions appartenant à des industries à fort taux de croissance.
86
: Voir notamment Gertner, Scharfstein et Stein (1994), Stein (1997) et Matsusaka et Nanda (2000).
137
1.2 Hypothèse d’ inefficience des marchés internes : inconvénients liés à l’ allocation
interne des fonds
Parallèlement aux développements précédents, la littérature théorique identifie deux
caractéristiques du fonctionnement des marchés internes entraînant une perte de valeur. Tout
d’ abord, si l’ on suppose une tendance générale au sur-investissement, la possibilité de
collecter proportionnellement plus de fonds (budget plus important pour une division
appartenant à un groupe que pour une firme indépendante) devient un élément problématique.
De plus, si le niveau d’ investissement global est maintenu constant, plusieurs arguments
théoriques évoquent l’ existence de dysfonctionnements dans l’ allocation du capital en interne.
Les recherches récentes se sont surtout intéressées au deuxième point : ces travaux incluent
les articles de Rajan, Servaes et Zingales (2000), de Scharfstein et Stein (2000) et de Wulf
(1999), et se concentrent sur les divergences d’ intérêts entre les managers de divisions et le
dirigeant du conglomérat. A la suite des articles sur les activités d’ influence (Milgrom et
Roberts, 1988, et Meyer, Milgrom et Roberts, 1992), les managers de divisions sont décrits
comme des agents opportunistes tentant activement de détourner auprès du dirigeant des
compensations, du pouvoir et des ressources supplémentaires87. Introduire dans le
raisonnement la relation d’ agence entre les managers de divisions et le dirigeant est une étape
nécessaire, mais non suffisante, à la fondation d’ un modèle général sur l’ inefficience des
marchés internes. Par exemple, dans le modèle de Meyer, Milgrom et Roberts (1992), les
managers essaient d’ influencer le dirigeant pour obtenir une part significative du budget en
surestimant volontairement leurs perspectives de croissance, mais ce dernier réagit
rationnellement en reconnaissant ce type de comportement. La seule inefficience ici est
représentée par le temps et les efforts gaspillés par les managers pour exercer cette pression
inutile.
D’ autres modèles soulignent les efforts des managers pour améliorer leur pouvoir de
négociation vis-à-vis du dirigeant, en se créant des options externes et en rendant leur
remplacement problématique (Shleifer et Vishny, 1989, Edlin et Stiglitz, 1995). Ces modèles
mettent en lumière les méthodes utilisées par les managers pour obtenir des compensations
supplémentaires auprès du dirigeant, mais ne parviennent pas à expliquer pourquoi ces fonds
87
: Bagwell et Zechner (1993) offrent une illustration convaincante du concept de coûts d’ influence.
138
sont distribués sous forme de ressources budgétées en excès plutôt que de rétributions
financières directes.
Le modèle de Rajan, Servaes et Zingales (2000) aborde cette question en considérant que le
dirigeant agit dans l’ intérêt des actionnaires existants (le seul conflit d’ agence envisagé est
celui entre les managers de divisions et le dirigeant). Lorsque les opportunités
d’ investissement diffèrent entre les divisions, l’ allocation du capital réalisée par le dirigeant
s’ éloigne du point d’ efficience pour prendre la forme d’ une allocation « socialiste » des fonds,
où les divisions les moins profitables reçoivent proportionnellement plus de fonds. Ce
phénomène intervient dans leur modèle en raison de la nature de la technologie : un budget en
capital équitable tend à améliorer la motivation des managers pour s’ engager en coopération
dans des activités créatrices de valeur, à l’ opposé des comportements opportunistes. En
résumé, Rajan, Servaes et Zingales (2000) supposent que le budget d’ investissement est un
instrument pour le dirigeant, le principal, pour contenir les activités de recherche de rentes
privées de la part des managers. Selon un autre fonctionnement, le modèle de Wulf (1999)
considère également que les règles d’ allocation du capital en interne constituent un
mécanisme de contrôle des comportements opportunistes des dirigeants.
En comparaison, l’ hypothèse fondamentale du modèle de Scharfstein et Stein (2000) repose
sur l’ existence de deux types de relation d’ agence, avec un dirigeant agissant selon ses
propres intérêts (non conformes à ceux des actionnaires). Dans leur raisonnement, les
managers des divisions les moins rentables sont aussi les plus enclins à avoir un
comportement opportuniste, ceci obligeant le dirigeant à leur accorder des compensations plus
importantes. Si le dirigeant était le principal, la compensation se ferait grâce à un transfert de
« cash », et le processus d’ allocation du capital serait efficient. Mais s’ il est lui-même agent
des investisseurs externes, cette option lui paraît plus coûteuse que celle consistant à
déséquilibrer le budget d’ investissement en faveur des divisions les moins rentables : le
dirigeant conserve alors les cash-flows pour d’ autres usages plus privés. Ce modèle partage
avec celui de Rajan, Servaes et Zingales (2000) la conclusion générale sur une forme de
« socialisme » dans l’ allocation du capital. De plus, les deux modèles s’ accordent sur le fait
que le problème sera d’ autant plus sévère que les opportunités d’ investissement des divisions
diffèrent (mesurée par le Q de Tobin au niveau de l’ industrie). La seule différence notable
entre les deux articles réside dans le fait que Scharfstein et Stein (2000) montrent que les
139
effets négatifs liés au phénomène de « socialisme » sont proportionnels à l’ intensité du conflit
d’ intérêts qui oppose le dirigeant et les investisseurs externes.
Le tableau 16 résume l’ ensemble des arguments qui permettent d’ identifier les spécificités du
fonctionnement d’ un marché interne, en les regroupant selon les hypothèses d’ efficience et
d’ inefficience.
Tableau 16 : Synthèse des apports théoriques
Hypothèse d’efficience
Hypothèse d’inefficience
- Collecte d’un montant plus élevé de fonds - Tendance générale au sur-investissement
accrue en raison de la disponibilité d’ un montant plus
en valeur absolue :
Co-garantie représentée par les actifs des autres important de ressources.
- Dysfonctionnements
divisions du conglomérat.
- Allocation plus efficiente d’un montant
donné de ressources :
des fonds en interne :
Sélection efficace des projets d’ investissement à
entreprendre et rotation des fonds entre divisions
(transfert de ressources des divisions non rentables vers
les divisions rentables).
dans la répartition
1/ Relations d’ agence multiples : managers de divisions
/ dirigeant du conglomérat, et dirigeant du conglomérat
/ investisseurs externes : Phénomène de socialisme et
subventionnement des divisions non rentables par les
divisions rentables.
2/ Activités d’ influence des managers de divisions visà-vis du dirigeant du conglomérat : les ressources ne
sont pas forcément affectées aux divisions rentables.
1.3 Synthèse des différentes avancées théoriques : dans quelles circonstances la
création d’ un marché interne est-elle efficiente ?
Plutôt que d’ envisager séparément les avantages et les inconvénients des marchés internes de
capitaux, il semble plus pertinent de synthétiser les différents apports et de dégager des
prédictions sur les relations en coupe transversale.
Tout d’ abord, un marché interne de capital est une alternative profitable pour les firmes
membres de groupe lorsque le marché financier externe local est sous-développé ou en voie
de développement, en raison par exemple de faiblesses au niveau de l’ environnement légal et
contractuel, du système comptable ou des mécanismes de protection des actionnaires. Dans le
cas extrême où le manque fondamental de mécanismes de protection des investisseurs
décourage ces derniers de fournir du capital, les firmes ne comptent que sur les bénéfices
dégagés pour investir : un marché interne représente alors l’ unique moyen de transférer des
ressources d’ une entité à l’ autre. Hubbard et Palia (1999) utilisent cet argument pour montrer
140
que la vague de création de conglomérats dans les années 60 et 70 aux Etats-Unis était a
posteriori profitable pour les firmes ayant choisi cette forme d’ organisation.
De plus, plusieurs tests empiriques tentent de vérifier les avantages en termes
d’ investissement et de performance de l’ appartenance à un groupe de sociétés ou à une société
holding, dans des pays où les marchés financiers sont moins développés qu’ aux Etats-Unis :
Khanna et Palepu (2000) en Inde, Shin et Park (1999) en Corée et Praet (2002) en Belgique.
Les modèles théoriques relatant les inconvénients des marchés internes s’ accordent pour
conclure que le fonctionnement d’ un marché interne devient problématique lorsque l’ écarttype des rentabilités des opportunités d’ investissement au niveau des divisions est important
(Rajan, Servaes et Zingales, 2000).
Troisièmement, les problèmes d’ allocation interne du capital semblent être plus sévères
lorsque : (i) les managers de divisions ont pour objectif de maximiser le montant des
ressources allouées à leur propre division plutôt que de maximiser les bénéfices de l’ ensemble
du conglomérat, (ii) les managers de divisions détiennent un pouvoir de négociation
significatif vis-à-vis du dirigeant (capital humain spécifique), et peuvent exercer une pression
sur ce dernier pour déséquilibrer en leur faveur le processus d’ allocation du capital.
Pour illustrer ces idées, considérons le cas de General Electric (GE) qui a longtemps été
considérée comme l’ exemple du conglomérat diversifié américain rentable : GE a adopté une
politique consistant à opérer une rotation régulière des managers de divisions dans les
différentes activités du groupe. Selon la logique précédente, cette politique comporte deux
avantages particuliers. Les managers ne tenteront plus de réclamer des fonds supplémentaires
pour la croissance d’ une division qu’ ils risquent de quitter rapidement. De plus, cette rotation
des équipes dirigeantes empêche les managers d’ acquérir des compétences spécifiques et
limite ainsi leur pouvoir de négociation vis-à-vis du dirigeant.
141
1.4 Typologie des modèles d’ allocation du capital en interne
1.4.1 Modèles d’ efficience
Outre les développements de Williamson (1975) et Donaldson (1984)88, les principaux
modèles d’ efficience sont ceux de Stein (1997), de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) et de
Matsusaka et Nanda (2000) 89.
Les deux hypothèses qui sous-tendent le modèle de Stein (1997) correspondent à l’ existence
de contraintes de crédit significatives, non seulement lorsqu’ un projet d’ investissement unique
est financé sur le marché externe, mais également lorsque la direction tente de lever des fonds
pour financer plusieurs projets90, et à la détention de la part de la direction des droits de
contrôle garantissant un contrôle accru des activités des managers, mais aussi une sélection
efficace des projets d’ investissement. Cette autorité leur permet notamment de transférer les
fonds d’ une division à l’ autre. La principale implication du modèle postule que la sélection
des projets d’ investissement semble plus efficace au sein d’ un marché interne, même si la
direction ne parvient pas à lever la totalité des contraintes de crédit.
Le modèle de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) repose en grande partie sur l’ argument
qu’ un marché interne offre à la direction de la firme les droits de contrôle résiduels sur
l’ utilisation des actifs. Ainsi, ces droits de contrôle reviennent aux fournisseurs de capital,
alors que dans une relation de crédit classique, ces droits sont détenus par le manager. De
cette hypothèse découle trois implications essentielles : une fonction de contrôle accrue (flux
d’ information de meilleure qualité entre le fournisseur et l’ utilisateur des fonds), une baisse de
motivation des managers (ces derniers sont plus vulnérables face à d’ éventuels
comportements opportunistes de la part de la direction), et un redéploiement efficient des
actifs non performants (ces actifs peuvent être associés directement à d’ autres actifs de la
firme).
88
: Op. cité Stein (1997), p. 112.
: Il a été souvent évoqué que la réallocation des ressources est l’ une des missions les plus importantes
attachées au statut de direction : « Sur de nombreux points, l’ affectation des cash-flows à des fins rentables est
l’ un des attributs fondamentaux des firmes M » (Williamson, 1975, p. 147).
90
: Les contraintes de crédit sont modélisées en supposant que les managers et la direction détournent des
bénéfices privés qui augmentent en fonction du montant des ressources sous leur contrôle.
89
142
Matsusaka et Nanda (2000)91 développent une théorie d’ organisation centrée sur les coûts et
bénéfices liés à l’ existence des marchés internes de capitaux. L’ hypothèse qui sous-tend le
raisonnement souligne que le coût de transaction des fonds externes est supérieur à celui des
fonds internes. L’ avantage d’ un redéploiement de ressources au sein d’ un marché interne est
l’ option qui permet d’ éviter d’ avoir recours au marché externe : ceci distingue les firmes
membres de groupe des firmes indépendantes. L’ inconvénient principal d’ un marché interne
est au contraire l’ exacerbation du problème de sur-investissement, due aux conflits d’ agence.
L’ étendue optimale du groupe (spécialisation versus diversification) est déterminée par
l’ arbitrage réalisé entre la valeur de l’ option du financement interne et le coût du surinvestissement. Dans le modèle, l’ efficience d’ une intégration ou d’ une séparation des firmes
dépend principalement de la correspondance entre le droit aux cash-flows et le droit de vote.
L’ analyse théorique offre notamment des hypothèses testables sur le niveau d’ investissement
et la sensibilité investissement/cash-flows des divisions, et sur la décote liée à la
diversification.
Le modèle dégage quelques hypothèses testables empiriquement, certaines d’ entre elles allant
à l’ encontre des intuitions identifiées dans d’ autres articles. Par exemple, l’ existence d’ un
marché interne efficient n’ implique pas nécessairement que :
-
la firme
multidivisionnelle
fasse
appel
moins
souvent au marché financier
externe (Comment et Jarrell, 1995) ;
-
l’ investissement des entités les plus productives soit moins sensible aux variations des
cash-flows que celui des entités les moins productives (Shin et Stulz, 1998) ;
-
les firmes diversifiées investissent moins (ou autant) que des firmes comparables dans les
secteurs les moins productifs (Rajan, Servaes et Zingales, 2000).
Le modèle de Matsusaka et Nanda (2000) prouve que les relations identifiées par les articles
précédents peuvent avoir des signes différents en fonction des variations des paramètres
financiers.
De plus, le modèle génère d’ autres implications totalement nouvelles sur la relation entre la
décote liée à la diversification et l’ existence d’ un marché interne de capital :
-
la valeur d’ un marché interne dépend de façon non monotone du volume des ressources
internes. En effet, il serait probable que l’ intégration soit d’ autant plus profitable que les
91
: Ce modèle peut également être classé avec les modèle d’ agence à une relation.
143
flux de fonds internes sont abondants. Cependant, ce raisonnement n’ est correct que dans
certaines conditions. L’ opportunité de répartir les fonds entre les divisions représente
surtout une option pour éviter les coûts liés au financement externe. Lorsque le groupe
dans son ensemble dispose de ressources internes suffisantes pour financer tous les projets
d’ investissement rentables, l’ option n’ a plus de valeur et les coûts d’ agence du surinvestissement dominent.
-
La valeur d’ un marché interne augmente lorsque la variabilité des opportunités
d’ investissement s’ accroît. Cette variabilité contribue en effet à augmenter la valeur de
l’ option réelle.
-
Une baisse d’ opportunités d’ investissement dans le secteur principal d’ une firme
diversifiée rend la diversification moins attractive lorsque les ressources sont abondantes,
et plus attractive lorsque les ressources sont rares. Si le secteur principal stagne ou
décline, les cash-flows pour investir dans d’ autres secteurs plus risqués sont gelés. Si les
cash-flows sont faibles, cette situation augmente la valeur de l’ option réelle. Si les cashflows sont élevés, le problème du sur-investissement est aggravé.
1.4.2 Modèles d’ agence
On distingue au sein de cette catégorie les développements reposant sur l’ existence de
relations d’ agence à un niveau, les modèles de coûts d’ influence et les modèles d’ agence à
deux niveaux.
Les trois modèles de Gautier et Heider (2001), de Inderst et Laux (2000) et de Rajan, Servaes
et Zingales (2000) reposent sur l’ existence d’ un conflit d’ intérêts entre les managers de
divisions et la direction du conglomérat (une seule relation d’ agence). Ils supposent que
l’ autorité et le pouvoir que détient la direction sur l’ allocation des ressources entraînent une
baisse de motivation des managers. Le problème principal réside dans l’ aptitude de la
direction à inciter les managers à entreprendre des projets d’ investissement rentables pour la
firme.
Gautier et Heider (2001) considèrent qu’ une division performante sur une période n’ est pas
forcément rentable sur les périodes qui suivent, et envisagent donc l’ allocation du capital dans
un modèle dynamique : le marché interne a alors pour fonction de répartir les fonds, non
144
seulement entre les divisions, mais aussi d’ une période à l’ autre, en prévoyant l’ évolution des
performances des différentes divisions au cours du temps.
Une seconde tâche importante est dévolue à la direction du conglomérat lors de la
redistribution des fonds. En effet, les dirigeants n’ ont pas les compétences nécessaires pour
gérer la variété d’ actifs productifs sous leur contrôle et font donc appel au savoir-faire de
managers. La deuxième fonction essentielle des dirigeants est alors de déterminer une forme
de contrat incitatif vis-à-vis des managers, ayant pour but de favoriser l’ efficience de chaque
division.
La principale implication du modèle détermine l’ émergence de coûts de gestion et de contrôle
pour assurer le fonctionnement d’ un marché interne, ces coûts ne résultant pas des transferts
de fonds entre divisions rentables et non rentables. L’ hypothèse qui justifie ce raisonnement
suppose que la direction peut rédiger un contrat incitatif complet de manière bilatérale avec
chaque manager, sans parvenir à une forme multilatérale de contrat permettant de fixer les
règles de répartition des ressources entre divisions. Cette incapacité d’ identifier ex ante (avant
que les managers décident ou non de consacrer des efforts productifs et du temps à la gestion
de leur division) quelle division recevra des fonds supplémentaires et quelle division verra sa
part de budget d’ investissement diminuée est à l’ origine de la décote de valeur observée pour
les firmes diversifiées.
Le point de départ du raisonnement de Inderst et Laux (2000) est l’ existence d’ un problème
de motivation et d’ une tendance des managers à accroître le montant des ressources qui sont
affectées à leur division : il existe donc une compétition entre les managers au sein des
conglomérats. Les dirigeants du conglomérat disposent de deux moyens substituables pour
inciter les managers à réaliser des efforts productifs, notamment dans la collecte
d’ informations privées : l’ allocation des fonds et un système de compensations financières
directes. Une des implications principales du modèle (qui rejoint les conclusions du modèle
de Rajan, Servaes et Zingales, 2000) réside dans le fait que la motivation des managers et la
valeur de la firme diminuent proportionnellement à la diversité des opportunités
d’ investissement.
Rajan, Servaes et Zingales (2000) modélisent les dysfonctionnements dans l’ allocation interne
des fonds que peuvent engendrer les luttes de pouvoir au sein des marchés internes. Les
145
auteurs supposent que les managers de divisions ont le choix entre deux projets
d’ investissement : l’ un efficient et l’ autre défensif. Même si le premier type d’ investissement
contribue à maximiser la valeur de la firme, les managers préfèrent l’ investissement défensif
(les retombées leur seront directement attribuées), surtout lorsque le montant des ressources et
la rentabilité des investissements sont plus élevés que ceux des autres divisions. En effet, si
les managers entreprennent l’ investissement efficient, ils devront partager le surplus de valeur
avec les autres divisions. Ces dysfonctionnements proviennent de l’ incapacité des dirigeants
à préciser les règles de partage des surplus dégagés : pourtant ces derniers doivent transférer
les fonds ex ante. Certains transferts seront réalisés car des divisions possèdent des
opportunités rentables, mais d’ autres auront pour but d’ inciter les autres divisions à
entreprendre le projet efficient. Dans ce cas, ces transferts contribueront à diminuer la
diversité des opportunités et des ressources entre les divisions et consisteront à subventionner
les divisions peu rentables au détriment des divisions rentables. L’ allocation inefficiente
résulte de la volonté de diminuer la diversité des caractéristiques des investissements entre les
divisions.
Les coûts d’ influence proviennent de deux sources. Tout d’ abord, le temps « gaspillé » par les
managers pour influencer les dirigeants sur la procédure d’ allocation interne des fonds n’ est
pas consacré à des activités productives, créatrices de valeur (Meyer, Milgrom et Roberts,
1992). De plus, les activités d’ influence tendent à « brouiller » l’ information reçue par les
autres acteurs (notamment les dirigeants) et conduisent à des décisions de gestion non
optimales (Wulf, 2000).
Dans le modèle de Wulf (2000), ces activités d’ influence ont pour conséquences directes une
allocation inefficiente des fonds entre les divisions et des politiques d’ investissement non
conformes à l’ objectif de maximisation de la valeur. Pour réaliser une sélection des projets
d’ investissement à entreprendre, les dirigeants s’ appuient sur des flux d’ information privés
(qui peuvent être manipulés) et des flux d’ information publique (non manipulables). En raison
de l’ existence de comportements opportunistes, Wulf (2000) démontre que les managers des
divisions de grande taille peuvent perturber la transmission des informations privées
concernant les perspectives financières des projets d’ investissement des petites divisions,
opérant dans des secteurs où l’ information publique n’ est pas disponible.
146
Laux (2002) propose un modèle original, dans lequel les activités d’ influence engendrent des
coûts significatifs pour les managers de divisions et non pour la direction des conglomérats.
Une procédure d’ allocation des fonds, où les dirigeants incitent les managers à entreprendre
des activités d’ influence, peut avoir des conséquences positives sur la motivation de ces
derniers. Cette procédure particulière permet, d’ une part, de contrôler la tendance qu’ ont les
managers à surestimer les perspectives financières des projets d’ investissement disponibles,
et, d’ autre part, d’ inciter ces derniers à collecter des informations coûteuses sur les
caractéristiques de ces projets. Ainsi, le contrôle de l’ allocation des fonds exercé par les
dirigeants ne les rend pas vulnérables aux activités d’ influence des managers, mais au
contraire, il leur procure le pouvoir d’ imposer ces activités d’ influence.
Enfin, Scharfstein et Stein (2000) ont développé un modèle d’ agence à deux niveaux ; celui-ci
ayant été détaillé précédemment (paragraphe 1.2), il n’ est pas exposé ici.
Le tableau 17 regroupe la quasi-totalité des modèles théoriques concernant l’ allocation des
fonds au sein des marchés internes.
Tableau 17 : Typologie des modèles de marché interne de capital
Modèles d’efficience
Modèles d’agence à un niveau
Modèles d’agence et coûts d’influence
Modèles d’agence à deux niveaux
Williamson (1975) ; Donaldson (1984)92 ;
Stein (1997) ; Matsusaka et Nanda (2000) ;
Gertner, Scharfstein et Stein (1994).
Rajan, Servaes et Zingales (2000) ; Gautier et
Heider (2001) ; Inderst et Laux (2000).
Wulf (1999 ; 2000) ; Laux (2002) ; Meyer,
Milgrom et Roberts (1992).
Scharfstein et Stein (2000).
La littérature théorique récente a produit une multitude d’ implications testables. La grande
majorité des tests se sont concentrés sur l’ analyse des conglomérats américains. Cependant,
quelques articles ont tenté la transposition des conclusions théoriques au contexte des
groupes. Le paragraphe suivant dissèque les résultats des tests des hypothèses d’ efficience et
d’ inefficience.
92
: Op. cité Stein (1997), p. 112.
147
II – Revue de la littérature empirique
Les tests empiriques se sont tout d’ abord attachés à prouver le lien entre le montant de la
décote de diversification et l’ inefficience des marchés internes. Puis, des articles plus récents
ont tenté d’ analyser en détail les mécanismes de rotation des fonds entre les divisions.
2.1 Existence d’ un marché interne de capital et valeur des firmes diversifiées
2.1.1 Diversification et la valeur de la firme
Même si la littérature sur la diversification ne traite pas exclusivement de l’ efficience des
marchés internes de capitaux, l’ étude de l’ impact de cette stratégie sur la richesse des
actionnaires offre un premier éclairage empirique. En effet, une structure diversifiée offre les
conditions d’ existence d’ un marché interne et la possibilité pour la direction de transférer les
fonds internes d’ une entité à l’ autre. Dans l’ ensemble, sur les données postérieures à 1980, les
articles empiriques s’ accordent sur l’ impact défavorable d’ une telle stratégie sur la valeur de
la firme. Par exemple, le marché des actions semble encourager et valoriser positivement les
transactions entraînant un recentrage d’ activités, et pénaliser les actions des sociétés
annonçant une diversification de leur portefeuille d’ activités, par le biais d’ un rachat93.
Cependant, il faut noter qu’ environ un tiers des firmes diversifiées étudiées (selon les tests
considérés) possèdent une valeur supérieure à celle de firmes indépendantes comparables.
Rajan, Servaes et Zingales (2000) montrent que 39.3% des firmes de leur échantillon (en
1990) présentent un excès positif de valeur. Les mêmes proportions peuvent être déduites des
chiffres rapportés par Lang et Stulz (1994), Berger et Ofek (1995) et Servaes (1996), entre
autres. Si l’ on considère spécifiquement les études d’ événements, les mêmes conclusions se
retrouvent : Schipper et Thompson (1983), Matsusaka (1993), Hubbard et Palia (1999)
concluent à l’ existence d’ une réaction positive des cours pour les firmes annonçant des
opérations de diversification dans le milieu des années 1970. Pour les années 1980, Morck,
Shleifer et Vishny (1990) rapportent des réactions négatives ; les résultats de Kaplan et
Weisbach (1992) sont mitigés et Hyland (1999) trouve des rentabilités positives à l’ annonce.
93
: Se reporter par exemple à Kaplan et Weisbach (1992), John et Ofek (1995), Comment et Jarrell (1995),
Berger et Ofek (1996, 1999), Denis, Denis et Sarin (1997). Contrairement aux travaux précédents, Matsusaka
148
Une mesure de la valeur de l’ effet de la diversification ayant reçu récemment une attention
particulière est constituée par la décote liée à la diversification (« diversification discount »).
Développée par Lang et Stulz (1994) et Berger et Ofek (1995), la décote compare le prix des
actions d’ une firme diversifiée à la valeur intrinsèque de ses différentes divisions, celle-ci
étant basée sur une approximation à partir des caractéristiques de firmes de mêmes taille et
industrie. A partir de données américaines, les auteurs montrent l’ existence d’ une décote
moyenne de l’ ordre de 15%, et interprètent ce résultat comme l’ évidence de la destruction de
valeur causée par la diversification. Ces travaux ont été étendus à d’ autres périodes d’ étude et
d’ autres pays par Servaes (1996), et Lins et Servaes (1999) entre autres, et les résultats
confirment le statut stable du phénomène de décote. D’ autres articles ont tenté de tester
l’ hypothèse selon laquelle un marché interne est d’ autant plus profitable que les marchés
financiers locaux sont sous-développés, en régressant la valeur de la décote par rapport à
diverses variables reflétant le niveau de développement financier national : les résultats de ces
premières recherches ne sont que peu concluants.
2.1.2 Problèmes d’ endogénéité et erreurs de mesure
De nombreuses recherches sur le thème de la diversification et ses conséquences sur la valeur
soulignent l’ existence d’ un biais d’ endogénéité, en raison du fait que seules les firmes non
rentables entreprennent à l’ origine une politique de diversification. Fluck et Lynch (1999)
apportent une explication théorique de ce phénomène : pourquoi les firmes peu performantes
ont-elles intérêt à fusionner ? Lamont et Polk (2001) montrent par ailleurs que la mesure de
décote est en partie constituée d’ erreur d’ évaluation, à savoir que les actions des firmes
diversifiées possèdent une meilleure rentabilité attendue que celles de firmes comparables.
Ces développements suggèrent que, si l’ on prend en compte l’ endogénéité et les problèmes de
mesure, la valeur réelle de la décote (associée au lien de causalité entre la diversification et la
destruction de valeur), sans disparaître, est largement diminuée. Le scepticisme est également
renforcé par les résultats de l’ étude de Chevalier (2000) qui démontrent que, même si les
actions des firmes acquéreuses tendent à diminuer lors d’ opérations visant à diversifier les
activités, l’ effet combiné sur les valeurs de l’ acquéreur et de la cible est soit proche de zéro,
soit faiblement positif.
(1993) détermine des rentabilités anormales positives pour les actions des firmes annonçant des opérations de
diversification dans les années 60.
149
Même si le débat méthodologique autour de la valeur de la décote est intéressant, il faut noter
que, dans le but de tester les implications théoriques sur le fonctionnement des marchés
internes de capitaux, la valeur moyenne de cette décote n’ est pas forcément l’ élément central
ou la variable la plus pertinente. Globalement, les avancées théoriques ne permettent pas de
réaliser des prédictions précises sur l’ effet positif ou négatif lié à la diversification et la
création d’ un marché interne de capital : les prédictions théoriques mettent plutôt en évidence
les circonstances dans lesquelles un marché interne tend à détruire la valeur (tests en coupe
transversale). Il serait ainsi plus constructif de considérer les variations dans la valeur de
décote et non sa valeur moyenne. Pour illustrer ce propos, il convient d’ évoquer les articles de
Rajan, Servaes et Zingales (2000), et de Lamont et Polk (2002) qui indiquent que la décote
augmente
proportionnellement
avec
les
mesures
de
diversité
des
opportunités
d’ investissement existantes. Ces résultats offrent une validation empirique indirecte d’ une
implication des théories sur les inconvénients des marchés internes, à savoir qu’ une plus
grande différence entre les caractéristiques des opportunités d’ investissements entraîne une
allocation moins efficiente du capital en interne.
Le test de Billet et Mauer (2001) tente d’ établir un lien direct entre la valeur de la décote et la
valeur du marché interne créé. L’ idée originale consiste à mesurer la valeur d’ un marché
interne en fonction du montant des transferts de fonds entre les divisions, de la valeur relative
des différentes opportunités d’ investissement disponibles au sein de la firme diversifiée et de
la probabilité pour que la division soit soumise à des contraintes financières significatives si
elle fonctionnait comme une entité indépendante. Les résultats empiriques94 montrent que
certaines caractéristiques spécifiques du marché interne représentent des déterminants
importants de la décote liée à la diversification. Plus précisément, il semble que les transferts
opérés en faveur des petites divisions, soumises à des contraintes financières et disposant
d’ opportunités d’ investissement rentables, tendent à augmenter la valeur de la firme
diversifiée dans son ensemble. A l’ inverse, une diminution des fonds affectés aux divisions
présentant des opportunités rentables conduit à une baisse de valeur de la firme diversifiée.
L’ agrégation de l’ ensemble des résultats de l’ étude semble indiquer que le degré de
contraintes financières est un déterminant fondamental de la relation entre la valeur du marché
interne et la valeur de la firme diversifiée.
94
: L’ échantillon est composé de 3 734 observations, relatives à 844 divisions sur la période 1990-1998.
150
2.2 Existence d’ un marché interne actif : rotation des fonds entre les divisions
Existe-t-il en réalité une réallocation active des fonds entre les différentes divisions d’ un
groupe ? Concrètement, cette question peut être reformulée de la manière suivante : si l’ on
considère que les perspectives d’ investissement et les cash-flows de D1 sont constants, les
investissements de D1 sont-ils influencés par les cash-flows de D2 ?
Le premier article à apporter une réponse à cette question est celui de Lamont (1997) : ce
dernier souligne que lors de la crise sur le marché pétrolier dans les années 1970, les firmes
intégrées ont décidé de diminuer leurs investissements sur l’ ensemble des secteurs sur
lesquels elles étaient présentes. Les divisions incluent non seulement des entités évoluant dans
des secteurs totalement non liés à la branche pétrolière, mais aussi des divisions
pétrochimiques. Le fait particulièrement intéressant concerne justement l’ industrie
pétrochimique : la baisse des cours du pétrole aurait théoriquement dû favoriser les divisions
pétrochimiques, pour lesquelles le pétrole constitue la matière première principale. Les cashflows des divisions non liées aux activités pétrolières ont en majorité augmenté lors de la
crise : le fait que leurs investissements aient chuté dans le même temps représente une preuve
évidente d’ un marché interne actif, où le montant des cash-flows d’ une division affecte
l’ investissement d’ une autre.
Shin et Stulz (1998) apportent également une preuve de l’ activité des marchés internes de
capitaux, même si l’ intensité des transferts de fonds entre divisions n’ apparaît pas comme un
facteur déterminant de la politique d’ investissement. Les résultats statistiques montrent que le
niveau d’ investissement d’ une division appartenant à une firme diversifiée dépend plus des
variations de ses propres cash-flows que de celles des cash-flows des autres entités de la
firme. De plus, pour les firmes les plus diversifiées95, l’ investissement des divisions n’ est que
faiblement lié à la variation des cash-flows, cette relation étant plus prononcée pour un
échantillon de firmes indépendantes comparables.
95
: L’ indicateur de diversification est ici le nombre de secteurs sur lesquels la firme est présente.
151
2.3 Mise en évidence des dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds :
validation de l’ hypothèse d’ inefficience
Rajan, Servaes et Zingales (2000) testent les implications de leur modèle à partir d’ un
échantillon de 13 647 observations (divisions*années), sur la période 1980-1993. Tout
d’ abord, grâce à une analyse univariée de différence de moyennes, ils constatent que les
firmes diversifiées transfèrent plus de fonds vers les divisions disposant de peu d’ opportunités
d’ investissement rentables96 : ce résultat corrobore l’ hypothèse d’ inefficience. De plus, les
tests explicatifs prouvent qu’ une augmentation de la diversité des opportunités
d’ investissement au sein du conglomérat entraîne un accroissement des transferts de fonds des
divisions ayant des projets rentables vers les autres divisions moins rentables97. Enfin, une
autre série de tests montre qu’ une hausse de la diversité a un impact direct négatif sur la
valeur des firmes diversifiées. Ces conclusions soulignent donc que la dispersion des valeurs
du Q de Tobin entre les divisions est une variable explicative essentielle de la politique
d’ investissement et des performances financières des divisions appartenant aux firmes
diversifiées.
Scharfstein (1998) teste les implications du modèle de Scharfstein et Stein (2000) sur
l’ allocation « socialiste » des fonds au sein des conglomérats98. A partir d’ un modèle de
régression, les conclusions des tests indiquent que les dépenses d’ investissement des sociétés
indépendantes (et spécialisées) dépendent de la valeur du Q de Tobin, ce qui ne semble pas
être le cas des divisions affiliées à un conglomérat. Ainsi, les divisions disposant
d’ opportunités d’ investissement rentables tendent à investir moins que des sociétés
indépendantes comparables. Le phénomène est plus prononcé pour les divisions de petite
taille99, et pour celles appartenant à un conglomérat où le dirigeant ne possède qu’ une faible
part du capital100. Palia (1999) arrive à une conclusion similaire en ajoutant que l’ intensité du
96
: Ils scindent l’ échantillon d’ étude en comparant le Q de la division et le Q à l’ échelle du secteur.
: Pour appuyer la validité de ce résultat, les auteurs prennent en compte l’ évolution de la taille du segment, et
le degré de diversification (ou de spécialisation) du conglomérat grâce au calcul de l’ indice Herfindahl.
98
: L’ échantillon comporte 165 conglomérats, qui opèrent au moins dans deux secteurs non liés : les données
sont collectées pour l’ année 1979.
99
: La politique d’ investissement des divisions de grande taille est quasiment identique à celle de sociétés
indépendantes comparables.
100
: Il est également intéressant de noter que, jusqu’ en 1994, seuls 32% des conglomérats continuent leur activité
avec cette forme organisationnelle. 33% ont choisi de se recentrer et de vendre des divisions opérant dans des
secteurs non liés : dans ce cas, ces firmes se sont séparées des divisions les plus petites. A la suite de cette
opération, leur politique d’ investissement possédait les mêmes caractéristiques que celle des sociétés
indépendantes. Les 35% restants ont été soit rachetées, soit liquidées.
97
152
« socialisme » est également corrélée positivement à la taille du conseil d’ administration :
l’ auteur suppose que plus le nombre d’ administrateurs est élevé, moins les décisions de
gestion s’ avèrent efficientes. Ces résultats sur les caractéristiques des mécanismes de
gouvernance d’ entreprise corroborent les hypothèses issues du modèle d’ agence à deux
niveaux de Scharfstein et Stein (2000), mais infirment les modèles à un niveau de Rajan,
Servaes et Zingales (2000) et de Wulf (1999) : dans ces deux derniers modèles, le dirigeant
est considéré comme le principal dans sa relation avec les managers de divisions, sans être
simultanément l’ agent des actionnaires externes.
Palia (1999) montre également que l’ allocation « socialiste » des fonds est plus prononcée
lorsque les rémunérations et les compensations accordées aux managers de divisions sont
moins corrélées aux performances globales de la firme (participation directe au capital ou
stock options). Dans la mesure où l’ on considère que la rémunération des managers est une
caractéristique exogène, ce résultat semble en accord avec la plupart des modèles relatant les
inconvénients des marchés internes et reposant sur les problèmes d’ agence au niveau des
divisions.
Shin et Stulz (1998) étudient exclusivement la politique d’ investissement des divisions de
petite et de grande taille sur des données concernant la période 1980-1992101. Les résultats des
tests soulignent que la sensibilité des investissements d’ une division au montant des cashflows des autres divisions de la firme ne dépend pas de l’ existence d’ opportunités
d’ investissement rentables. D’ autre part, le niveau d’ investissement d’ une division augmente
avec la valeur du Q de Tobin de cette division, mais ne dépend pas des variations de la valeur
de ce même indicateur mesuré pour les autres divisions. Ces conclusions impliquent donc que
les transferts de fonds opérés au sein du conglomérat ne sont pas dictés par la volonté
d’ orienter les ressources vers les divisions les plus rentables : le test de Shin et Stulz (1998)
conforte l’ hypothèse d’ inefficience.
101
: L’ échantillon d’ étude comporte 49 851 observations correspondant à 3 265 firmes différentes. D’ autre part,
la segmentation de l’ échantillon selon la taille de la division est réalisée à partir du total des ventes.
153
2.4 Diversification liée et efficience des marchés internes de capitaux : le test de
Khanna et Tice (2001)
Contrairement aux avancées théoriques récentes qui se sont focalisées sur la diversification
non liée (structures conglomérales) et qui concluent à une forme d’ inefficience des marchés
internes de capitaux, Khanna et Tice (2001) examinent la politique d’ investissement des
firmes possédant plusieurs divisions dans le même secteur d’ activité (diversification liée),
particulièrement le commerce de détail aux Etats-Unis (par exemple, la firme Dayton
Hudson). Les auteurs montrent que les divisions concernées réagissent de manière efficiente à
un choc exogène affectant les volumes d’ activité ; dans leur article, ce choc est constitué par
l’ entrée d’ un nouveau concurrent, Wal-Mart.
Les résultats de l’ étude empirique peuvent être synthétisés comme suit :
-
avant l’ arrivée du nouveau concurrent, les divisions des firmes diversifiées et les
firmes spécialisées possèdent des caractéristiques de taille, d’ endettement et de
localisation géographique des points de vente similaires : seul le critère de productivité
semble distinguer les deux types de firmes, avec un avantage pour les divisions ;
-
à l’ arrivée du nouveau concurrent, il semble que les firmes diversifiées soient plus
réactives et plus promptes à prendre une décision urgente, soit de quitter le secteur,
soit de « rester et se battre ». Lorsqu’ elles décident de se maintenir dans le secteur, les
firmes diversifiées investissent proportionnellement plus, et ces investissements sont
plus sensibles à la productivité de chaque division que les investissements entrepris
par les firmes spécialisées pour contrer l’ entrée du nouveau concurrent ;
-
les marchés internes de capitaux tendent donc à exercer un transfert de fonds entre les
divisions ; cependant, ces mouvements de fonds sont réalisés en faveur des divisions
les plus productives et ne correspondent pas au phénomène de « socialisme » identifié
dans d’ autres articles.
Ces résultats corroborent les avantages reconnus de la diversification liée : ils sont également
à l’ opposé des conclusions de Shin et Stulz (1998) et de Scharfstein (1998) sur les
conséquences d’ une diversification non liée. Si l’ on agrège les différents résultats, la
diversification conduit à des coûts (coûts d’ influence et luttes de pouvoir liés à la complexité
de la structure organisationnelle) et des bénéfices potentiels (sélection efficiente des projets
154
d’ investissement). Dans le cas d’ une diversification liée, il semble que l’ avantage d’ une
sélection efficiente des projets domine les coûts inhérents aux structures diversifiées, ce qui
rend cette forme organisationnelle attractive.
Comme le test de Lamont (1997), celui de Khanna et Tice (2001) se concentre sur l’ étude
d’ un choc exogène affectant la politique d’ investissement des divisions de firmes diversifiées.
Cependant, dans le second article, le choc a une dimension permanente et les auteurs étudient
la réaction des divisions touchées directement par l’ événement, tandis que, dans le premier, la
crise pétrolière n’ affecte que temporairement le comportement des firmes du secteur et les
auteurs s’ attachent à examiner les conséquences sur les divisions n’ appartenant pas au secteur
pétrolier. De même, l’ article de Khanna et Tice (2001) s’ inscrit dans la continuité des études
de Shin et Stulz (1998) et de Scharfstein (1998), car il tente d’ évaluer si l’ existence d’ un
marché interne affecte la sensibilité des dépenses d’ investissement aux perspectives de la
firme. Cependant, plutôt que de faire appel à une mesure du ratio Q au niveau de l’ industrie,
Khanna et Tice (2001) utilisent une mesure relative de productivité spécifique à chaque firme
du secteur : chaque firme peut ainsi disposer de perspectives différentes.
2.5 Résumé des résultats empiriques sur l’ efficience des marchés internes au sein des
conglomérats
Les travaux empiriques sur l’ investissement au sein des conglomérats sont tout à fait récents,
et la plupart des questionnements intéressants restent largement sans réponses. Cependant,
plusieurs conclusions récurrentes peuvent être exploitées de manière quasi-certaine :
-
un marché interne peut générer des réallocations de ressources entre les différentes
divisions, celles-ci ayant des conséquences économiques significatives : les choix
d’ investissement des divisions d’ une firme diversifiée possèdent des caractéristiques
différentes de ceux des firmes indépendantes comparables ;
-
dans les situations où l’ intégration est associée à de fortes pertes de valeur, il est
possible d’ affirmer que ces pertes sont dues en partie aux inefficiences dans le
processus d’ allocation interne du capital ;
-
si ces inefficiences existent bel et bien, elles semblent « socialistes » de nature, c’ està-dire que les divisions les moins rentables reçoivent trop de fonds, et les divisions les
plus rentables pas assez (il n’ existe pas à l’ heure actuelle d’ évidence concernant une
155
forme d’ inefficience inverse, une sorte de « darwinisme excessif » où les divisions les
plus rentables recevraient trop de fonds et les plus faibles pas assez) ;
-
le phénomène de « socialisme » est plus prononcé lorsque les divisions opèrent dans
des secteurs d’ activité non liés, et lorsque les opportunités d’ investissement qui
s’ offrent à elles présentent des VANs différentes.
Les voies de recherche futures les plus prometteuses sont celles qui s’ intéressent non plus à
l’ allocation des fonds au niveau des divisions, mais à la répartition des ressources au niveau
inférieur, celui des sites industriels (usines). Deux articles récents de Maksimovic et Phillips
(2002)102 et de Schoar (2002) abordent cette question. Existe-t-il des cas où l’ allocation des
fonds est inefficiente entre les divisions, mais efficiente au sein d’ une division ? Dans ce cas,
quelles sont les aspects de la structure organisationnelle permettant d’ expliquer ce
phénomène ? Par exemple, d’ un point de vue heuristique et dans l’ optique des modèles sur les
inconvénients des marchés internes, il est possible de supposer que les situations précédentes
émergent lorsque les managers de divisions ont un pouvoir de négociation significatif dans le
processus d’ allocation du capital, alors que les responsables des usines ne possèdent qu’ une
influence limitée.
Dans le cadre des groupes de sociétés, il faut envisager le fonctionnement et l’ efficience de la
rotation des fonds entre les filiales. Toutes les hypothèses théoriques concernant les marchés
internes peuvent être transposées à l’ étude des groupes. Ceux-ci confrontent également trois
classes d’ agents : les dirigeants des filiales, ceux de la société mère et les investisseurs
externes. Pourtant, contrairement aux divisions, les filiales ont un accès libre au marché
financier externe (lorsqu’ elles sont cotées), et disposent d’ une variété d’ alternatives de
financement : une des sociétés membres peut par exemple réaliser une augmentation de
capital, et redistribuer les fonds collectés aux autres entités (Partie 1). Les particularités des
structures de groupe sont abordées dans le paragraphe suivant.
102
: Maksimovic et Phillips (2002) offrent une vision plus positive des marchés internes, en utilisant des données
relatives aux différentes usines d’ une société industrielle : lorsqu’ une usine dégageant un fort niveau de
productivité par rapport à son secteur d’ appartenance connaît une augmentation soudaine de la demande, la
croissance des autres usines de la firme s’ en trouve réduite. Ainsi, le marché interne semble ici réagir
efficacement à un choc affectant l’ activité, et favoriser les usines les plus productives au détriment des autres.
156
III – Groupes de sociétés et création d’ un marché interne de capital
Le contexte économique et l’ environnement financier dans les pays d’ Europe ne sont pas
caractérisés par la présence prédominante de structures conglomérales. L’ analyse théorique et
empirique sur le comportement financier des grandes firmes diversifiées américaines offre un
cadre d’ analyse pour l’ étude des décisions financières des sociétés affiliées à des groupes.
La structure industrielle du Japon et de nombreux pays européens (Allemagne, France, Italie
et Belgique entre autres) est dominée par un réseau de participations croisées entre les firmes.
Cette particularité est encore représentative malgré le processus d’ intégration des différents
marchés financiers européens.
Notre recherche se concentre sur les conséquences de l’ appartenance à un groupe et surtout
sur l’ utilisation de la dette intragroupe et les décisions de financement et d’ investissement.
Avant de synthétiser les hypothèses de recherche (section 3) qui seront testées dans le chapitre
2, il est nécessaire de définir les causes financières de l’ émergence des groupes, la fonction
financière assurée par cette structure centralisée, de déterminer les différentes catégories de
groupes et enfin d’ identifier les différences entre les marchés internes de capitaux existants au
sein des conglomérats et au niveau des groupes.
3.1 Emergence des groupes et fonction financière centralisée
La structure de groupe est une forme intermédiaire entre l’ indépendance et l’ intégration. Elle
permet de réduire les coûts de transaction (accès au marché des capitaux, prestations interfirmes, partage de frais fixes, synergies), tout en maîtrisant les coûts d’ organisation.
La théorie des coûts de transaction analyse la structure de groupe comme étant celle qui
minimise les coûts de recours au marché, ainsi que les coûts d’ intégration dans l’ organisation.
De son point de vue, la firme peut économiser en formant ou en rejoignant un groupe, sur les
coûts de transaction qu’ elle aurait supportés si la transaction avait été faite sur le marché, et,
en même temps, elle peut éviter les « déséconomies » d’ échelle ou la perte de contrôle
qu’ aurait entraînées la croissance interne et l’ intégration. Si le bénéfice net retiré de la
formation ou de l’ intégration à un groupe excède celui de la réalisation des transactions dans
la firme ou sur le marché, la firme est incitée à former ou à rejoindre un groupe. Les groupes
157
sont essentiellement des coalitions de firmes poursuivant leurs intérêts communs à travers un
système qui coordonne les décisions prises par les firmes membres.
La fonction financière des groupes s’ entend en deux sens. Elle désigne le rôle de la structure
de groupe dans la mobilisation des ressources financières, et l’ attention a été souvent attirée
sur des montages financiers jouant de l’ effet multiplicateur de la structure de groupe103. Mais
la fonction financière est aussi, dans un sens classique, celle remplie par un service spécialisé
attenant aux filiales opérationnelles, et assurant la collecte des moyens de financement, la
circulation des ressources vers les filiales prioritaires, et l’ optimisation du rendement de la
trésorerie de l’ ensemble. L’ organisation en groupe est de plus en plus associée au
renforcement de cette fonction financière d’ entreprise au sens traditionnel. La structure de
groupe ne sert pas seulement à mobiliser des actifs sans commune mesure avec les capitaux
avancés, mais aussi à remplir une fonction financière rendue complexe par l’ évolution des
marchés financiers.
La grande dimension n’ attribue pas seulement une position meilleure de négociation du crédit
bancaire, elle permet éventuellement de contourner le système bancaire et de recourir
directement aux marchés financiers. On peut donc formuler l’ hypothèse que l’ évolution des
marchés financiers est un des facteurs d’ incitation au regroupement des petites firmes et à la
constitution des groupes. Dans ce cas, la concentration ne serait pas un produit direct de la
sélection d’ un marché, mais un moyen de préserver la capacité concurrentielle de chaque
entité, en lui permettant un accès plus facile et moins coûteux aux capitaux extérieurs. A
l’ intérieur du groupe, la redistribution s’ opère par la modulation du crédit interentreprises,
ainsi que par le volume et le coût des dettes et prêts intragroupes.
103
: La structure de groupe est un moyen de démultiplier le rapport Actif/Capital. L’ enchaînement des
participations permet à la tête de groupe de contrôler un ensemble de firmes sans en posséder l’ intégralité du
capital. Soit l’ exemple d’ une holding H au capital de 100 qui consacre la totalité de son capital à contrôler 50%
de la première filiale F1. Le capital de F1 est donc de 200. On suppose aussi que chaque filiale (F1, F2, F3…)
consacre un quart de son capital à prendre une participation de 50% dans le capital de la suivante. La filiale F1
consacre donc un montant de 50 à contrôler 50% du capital de F2 (soit 100). La filiale F2 à son tour agit comme
la précédente : elle investit 25 dans le contrôle d’ une filiale F3 de capital égal à 50…
Dans cet exemple, où chaque filiale consacre un quart de son capital à acquérir la moitié du capital d’ une autre,
le montant des capitaux contrôlés s’ approche rapidement de 400 (en plus du capital de la holding). La
« cascade » de participations aboutit à conférer le contrôle d’ un capital de près de 400 à la holding dont le capital
est de 100 (le coefficient multiplicateur tend vers 4).
158
3.2 Classification des groupes
Les participations croisées entre firmes sont élaborées pour créer des groupes industriels,
définis comme un ensemble d’ entités juridiquement indépendantes liées par des intérêts
communs : ces participations assurent une unité de contrôle ou favorisent simplement une
certaine coordination entre les firmes sur l’ ensemble des décisions de gestion. Il est possible
de distinguer deux catégories de groupes : les groupes associatifs et les groupes hiérarchiques.
Les premiers, particulièrement nombreux au Japon, sont caractérisés par l’ absence de sociétés
holding et constituent des confédérations de firmes reliées par des prises de participation
mutuelles et non majoritaires. La coordination des activités du groupe est assurée par
l’ existence d’ intérêts communs, par des échanges d’ informations et des règles tacites de
gestion.
Les groupes hiérarchiques, dont l’ impact économique est surtout significatif en Europe
continentale, sont définis par un ensemble de firmes contrôlées (et en général pas à 100%) par
un actionnaire majoritaire (une personne, une famille, une coalition d’ actionnaires ou l’ Etat).
Ces groupes hiérarchiques sont organisés selon un système pyramidal et contrôlés par
l’ intermédiaire d’ une société holding. Il est important de noter que la séparation du contrôle et
de la propriété caractérisant les structures pyramidales permet à l’ actionnaire majoritaire
d’ exercer un contrôle exclusif en ne détenant qu’ une part limitée du capital.
Les holdings sont définies comme des institutions financières qui gèrent un portefeuille
d’ actions dans le but de contrôler les sociétés dans lesquelles elles possèdent des parts de
capital. Le concept de contrôle consiste ici en une représentation au conseil d’ administration
ou la détention d’ une part importante du capital pour juger de la performance des dirigeants
d’ une firme. En tant qu’ investisseurs majoritaires, les holdings ont la possibilité d’ influencer
les décisions de gestion, mais ceci grâce à l’ apport de fonds des petits actionnaires.
Plusieurs arguments en faveur du contrôle exercé par une holding ont été avancés par la
littérature financière. Tout d’ abord, les holdings offrent la possibilité aux petits porteurs
d’ investir dans des sociétés non cotées et de disposer d’ un portefeuille diversifié, cette
hypothèse n’ étant viable que dans des marchés imparfaits. Le contrôle peut également
accroître les performances financières. De plus, l’ ensemble des caractéristiques positives
attribuées aux sociétés diversifiées peuvent s’ appliquer aux sociétés holdings. On peut citer
159
entre autres les avantages fiscaux104, la création d’ un marché interne et l’ allocation efficiente
des fonds, et l’ accroissement du niveau optimal d’ endettement en raison de la garantie
représentée par les actifs de l’ ensemble de la holding.
D’ un autre côté, la décote de valeur des sociétés holding est souvent interprétée comme un
signe d’ inefficience et d’ expropriation des actionnaires. Même si les firmes américaines
présentent typiquement des structures d’ actionnariat diffus, les firmes de nombreux pays hors
Etats-Unis sont caractérisées par des structures plus concentrées (Shleifer et Vishny, 1997, La
Porta et al., 1999). Ceci a pour conséquence l’ émergence d’ un conflit d’ intérêts entre
l’ actionnaire principal et les actionnaires minoritaires. Fan et Wong (2000) suggèrent que ce
conflit est d’ autant plus sérieux qu’ il existe une différence entre les droits de vote et les droits
aux cash-flows. Lorsque l’ actionnaire dominant possède la majorité des droits de vote avec
une part plus faible des cash-flows, il a l’ autorité suffisante pour imposer des décisions sans
en subir les conséquences financières. Cette divergence est bien présente dans les structures
holdings, et le problème de l’ expropriation des minoritaires est bien significatif. De même, sur
le marché financier français, la règle « d’ une action/deux voix » semble être assez courante
(Gajewski et Ginglinger, 2002). Une autre cause possible de la décote réside dans la politique
d’ investissement des différentes filiales, et notamment le sur-investissement exercé par les
filiales ne disposant pas d’ opportunités rentables ou le subventionnement des filiales non
performantes par les entités performantes.
3.3 Création d’ un marché interne de capital au sein des groupes et comparaison des
structures de groupe et des structures conglomérales
Les conclusions sur l’ existence des marchés internes de capitaux peuvent paraître triviales
dans le sens où les divisions des firmes diversifiées n’ ont pas accès aux marchés financiers
externes. Lorsqu’ une division souhaite investir, la direction de la firme fait en sorte de lever
les fonds nécessaires, si les cash-flows dégagés par la division ne suffisent pas pour couvrir
l’ investissement. Parfois, certaines divisions ne génèrent aucune ressource mais investissent
quand même grâce aux fonds dégagés par les autres divisions de la firme. Dans tous les cas,
les programmes d’ investissement des divisions dépendent du marché interne au sein de la
firme diversifiée. Un problème théorique important émerge donc puisque l’ ensemble des
104
: Banerjee, Leleux et Vermaelen (1997) démontrent que la question fiscale n’ apparaît pas essentielle pour un
échantillon de holdings françaises.
160
modèles étudiés précédemment, décrivant les caractéristiques des marchés internes, prennent
comme référence les règles de fonctionnement des marchés financiers externes, alors que les
divisions n’ y ont pas accès.
Il semble que la comparaison des comportements financiers des sociétés affiliées à un groupe
avec ceux de sociétés indépendantes comparables soit plus pertinente pour tester les
hypothèses d’ efficience ou d’ inefficience des marchés internes. Ainsi, les firmes membres de
groupe ont l’ opportunité d’ avoir recours aux différentes sources de financement externe
classiques (bancaires mais également issues des marchés financiers par l’ intermédiaire
d’ autres sociétés du groupe) ; elles peuvent disposer par ailleurs du soutien financier des
autres firmes du groupe. Cette concurrence entre financements interne et externe est
nécessaire pour identifier les véritables conséquences de l’ existence d’ un marché interne sur
la valeur et les performances financières des firmes concernées.
La structure de groupe est une forme d’ organisation permettant l’ émergence d’ un marché
interne de capital, dans la mesure où le processus d’ acquisition des fonds sur le marché
externe et au sein du groupe est indépendant du processus d’ allocation de ces ressources entre
les différentes filiales. En d’ autres termes, une firme peut tenir le rôle d’ intermédiaire
financier du groupe, en collectant les fonds et en les redistribuant entre les firmes105. Ainsi,
comparées aux structures conglomérales où les transferts de fonds s’ opèrent par une simple
réallocation des cash-flows entre les divisions, les structures de groupe utilisent les prêts et
dettes intragroupes, le crédit interentreprises et les participations croisées entre firmes
membres.
Enfin, une autre différence fondamentale permet de distinguer les conglomérats américains
des groupes européens : les filiales des groupes ne sont pas forcément détenues à 100% par la
société contrôlante. Même si cette dernière exerce tout de même un contrôle exclusif sur les
décisions de gestion et notamment sur la politique d’ investissement des filiales, cette
particularité provoque l’ émergence d’ une autre catégorie d’ actionnaires : les actionnaires
minoritaires des filiales. Les conséquences, positives ou négatives, des décisions financières
centralisées ont un effet non seulement sur la richesse des actionnaires du groupe mais
105
: L’ augmentation de capital étudiée dans la partie 1 est un moyen de collecter des fonds externes. Même si les
échantillons utilisés dans les tests des parties 1 et 2 diffèrent, les alternatives de financement sont elles
161
également sur celle des actionnaires minoritaires des filiales. Le pouvoir exercé par la
direction du groupe peut donc entraîner une forme d’ expropriation de richesse des
minoritaires si l’ allocation des fonds et la politique d’ investissement des filiales sont
inefficientes. Le tableau 18 regroupe, en les confrontant, les principales caractéristiques des
conglomérats et des groupes.
Tableau 18 : Conglomérats versus groupes de sociétés
% de capital détenu
dans les entités sous
contrôle
Conglomérats
Les divisions des firmes
conglomérales sont toutes détenues à
100%.
Accès aux différentes Les divisions n’ ont accès qu’ aux
modes de financement interne : cashsources de
flows propres dégagés, et cash-flows
financement
des autres divisions. Le niveau de
ressources disponibles est déterminé
par la direction. Financement
exclusivement interne.
Modes de transfert
de fonds
Rotation des cash-flows d’ une
division à l’ autre.
Groupes de sociétés
Les filiales des groupes sont détenues
à plus de 50%. Ce pourcentage varie
en fonction des entités considérées :
création d’ une nouvelle classe
d’ actionnaires.
Les filiales, en tant qu’ entités
juridiques distinctes de la société
mère, ont accès aux modes de
financement externe classiques, mais
également à la dette intragroupe et
l’ autofinancement. Choix entre
financement interne et financement
externe.
Dette et prêt intragroupes, crédit
interentreprises et prises de
participation.
Si l’ on s’ intéresse spécifiquement aux relations d’ agence et aux conflits d’ intérêts existants
entre les parties prenantes, il est important de noter les différences entre une société
indépendante, une structure conglomérale et une structure de groupe. Dans le cas d’ une
société industrielle non contrôlée, une seule relation d’ agence existe ; elle oppose les intérêts
des dirigeants à ceux des actionnaires. Au sein d’ un conglomérat, trois classes distinctes
d’ acteurs interviennent dans la prise de décision et les luttes de pouvoir, ce qui conduit à
distinguer deux relations d’ agence : les dirigeants du conglomérat, les actionnaires et les
managers de divisions. Enfin, une structure de groupe simplifiée avec une société mère
contrôlant à plus de 50% une filiale implique la présence de quatre catégories d’ acteurs : les
dirigeants de la société mère, les actionnaires majoritaires, les dirigeants de la filiale et les
actionnaires minoritaires. Ainsi, les effets négatifs découlant des conflits d’ intérêts entre
actionnaires et dirigeants ont un impact différent sur la valeur de ces trois formes
organisationnelles : plus le nombre d’ acteurs est important, plus la probabilité de
complémentaires : l’ augmentation de capital alimente le marché interne en ressources, et la dette intragroupe sert
162
comportements opportunistes aux différents niveaux de l’ organisation est élevée. La structure
de groupe est dans ce cas celle qui subit les problèmes d’ agence les plus significatifs, avec un
effet globalement négatif sur la valeur des sociétés membres et celle du groupe dans son
ensemble. La figure 3 illustre ce propos en mettant en évidence les relations d’ agence au sein
des trois structures organisationnelles.
Figure 3 : Relations d’agence, niveaux hiérarchiques et formes organisationnelles
Les schémas ne prennent pas en compte le rôle des créanciers, qui, en théorie, participent au partage des gains
réalisés par la firme.
Société industrielle non intégrée
Dirigeants
Structure conglomérale
Actionnaires Dirigeants du conglomérat
Actionnaires
Managers de divisions
Structure de groupe
Dirigeants de la société mère
Actionnaires majoritaires
Dirigeants de la filiale
Actionnaires minoritaires
3.4 Efficience des marchés internes au sein des groupes : validations empiriques
existantes
Le test de Shin et Park (1999) est réalisé sur le marché coréen et consiste à identifier deux
sous-échantillons de firmes, l’ un composé de 123 firmes appartenant à un « chaebol », l’ autre
comprenant 194 firmes non affiliées. Les « chaebols » représentent des groupes de sociétés
gravitant autour d’ une société mère. Cette dernière est généralement contrôlée par des
actionnaires familiaux et possède une part significative du capital dans chacune des sociétés
membres. Ces groupes sont diversifiés et intégrés verticalement : par exemple, Samsung
de support aux transferts de fonds.
163
possède des firmes dans des secteurs aussi variés que l’ électricité, les machines et
équipements industriels, l’ industrie chimique et les activités financières. Les firmes membres
réalisent la grande majorité de leurs opérations de prêts et d’ emprunts au sein du groupe. La
co-garantie leur permet également de collecter des fonds externes (dettes bancaires et
obligations). Les « chaebols » sont par ailleurs plus concentrés que les Keiretsus japonais
puisqu’ ils fonctionnent grâce à un centre décisionnel unique : la stratégie générale et la
politique financière sont définies à l’ échelle du groupe, au sein d’ un pôle de contrôle
centralisé.
Les résultats de l’ étude empirique montrent que le niveau d’ investissement d’ une firme
affiliée dépend du montant des cash-flows des autres firmes membres, ce qui met en évidence
l’ existence d’ un marché interne actif. En prenant en compte les opportunités d’ investissement
des autres firmes du groupe et celles du secteur, les tests indiquent que :
-
l’ investissement d’ une firme affiliée est moins sensible aux cash-flows des autres
firmes lorsque celles-ci disposent d’ opportunités d’ investissement rentables ;
-
cependant, l’ intensité de la relation entre le niveau d’ investissement d’ une firme (i) et
les cash-flows des autres firmes n’ est pas affectée par les opportunités
d’ investissement de la firme (i) par rapport à celles du secteur.
Ces deux résultats n’ apportent qu’ une validation partielle de l’ hypothèse d’ efficience du
marché interne au sein des groupes coréens. Enfin, les auteurs indiquent que les firmes
membres investissent proportionnellement plus que des firmes indépendantes comparables,
alors qu’ elles disposent d’ opportunités d’ investissement moins rentables : ce résultat confirme
l’ hypothèse de sur-investissement et d’ inefficience de la politique d’ allocation interne des
fonds.
A partir de trois sous-échantillons de sociétés belges sur une période d’ étude s’ étalant de 1989
à 1996, Praet (2002) analyse les différences en termes de performances financières, de
politiques d’ endettement et d’ investissement, entre des échantillons de filiales de holdings et
de sociétés indépendantes d’ une part, et, entre un échantillon de filiales de holding et un
échantillon de filiales de groupes industriels d’ autre part.
Les résultats empiriques ne corroborent pas l’ hypothèse de l’ efficience liée à la substitution de
titres effectuée par les holdings. Par rapport aux sociétés à actionnariat familial, les filiales de
164
holdings
présentent
des
performances
significativement
plus
faibles.
Le
niveau
d’ investissement en actifs fixes ne diffère pas d’ un échantillon à l’ autre, même si, pour
l’ échantillon de filiales de holdings, l’ investissement dépend moins du niveau des cash-flows
générés en interne. L’ appartenance à une holding n’ entraîne pas un taux d’ endettement plus
élevé (par rapport au total de l’ actif). Les sociétés membres d’ une holding possèdent des
performances financières significativement plus faibles que les filiales de groupes industriels.
Ces dernières présentent des caractéristiques d’ investissement et d’ endettement identiques
aux firmes « holding », même si elles font plus appel à la dette intragroupe, et entretiennent
des relations commerciales plus fréquentes au sein du groupe. Praet (2002) prouve également
que les différences de performances observées sont dues à la diversification : les filiales de
groupes industriels spécialisés sont plus performantes que les autres firmes de l’ échantillon.
En conclusion, il semble que les groupes industriels spécialisés représentent une forme
organisationnelle plus efficiente que les holdings diversifiées.
Khanna et Palepu (2000) étudient les conséquences de l’ appartenance à un groupe sur les
performances des firmes membres : la problématique centrale de leur test consiste à mettre en
relation le niveau de diversification du groupe et les performances financières. En utilisant le
Q de Tobin comme indicateur de performance, les analyses univariées montrent que les
firmes affiliées aux groupes les plus diversifiés possèdent des performances supérieures à
celles de firmes indépendantes comparables. En effet, les modèles de régression indiquent
qu’ une augmentation de la diversification du groupe entraîne une baisse de performance des
sociétés affiliées, ceci jusqu’ à ce que le groupe atteigne un certain degré de diversification :
au-delà de ce « palier », une hausse de l’ indicateur de diversification conduit à une
amélioration des performances106. Cependant, grâce à une série de tests complémentaires, les
auteurs soulignent que cette différence au niveau des performances entre firmes membres et
firmes indépendantes est due à un accès privilégié aux marchés financiers internationaux, et
non au rôle actif d’ un marché interne de capital.
En résumé, les résultats des études empiriques existantes concernant le rôle des marchés
internes au sein des groupes de sociétés penchent, pour la plupart, en faveur de l’ hypothèse
d’ inefficience, même si le nombre de tests est assez restreint et les conclusions ne reposent
106
: En plus du Q de Tobin, les auteurs mesurent la performance à partir de la rentabilité nette des actifs (ROA).
165
pas sur des résultats assurément significatifs. D’ autre part, l’ hypothèse d’ efficience n’ est
testée que sur des marchés émergents, où les marchés financiers sont peu développés.
A partir de l’ ensemble des développements théoriques proposés dans les sections 1 et 2, il est
possible de définir le cadre d’ analyse général de cette recherche, et de poser des hypothèses
testables. En ce qui concerne les conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe, deux
axes de recherche sont définis : la levée des contraintes financières et l’ efficience des marchés
internes de capitaux.
Section 3 : Synthèse du cadre d’analyse
Nous avons identifié les deux conséquences principales de l’ utilisation de la dette
intragroupe pour les sociétés affiliées : la levée partielle des contraintes financières grâce à
une source de financement supplémentaire à moindre coût, et la création d’ un marché interne
de capital, la dette intragroupe étant un moyen de transférer les ressources d’ une entité à
l’ autre. Pour tester ces deux hypothèses sur le plan empirique, il est nécessaire d’ isoler un
échantillon de sociétés françaises, affiliées à un groupe et bénéficiant de dette intragroupe107.
De même, pour mettre en évidence les spécificités financières de cette catégorie de firmes, il
faut définir un échantillon de référence composé de sociétés non affiliées, aux caractéristiques
identiques. La méthode d’ échantillonnage est présentée au début du chapitre 2, mais, pour
détailler les hypothèses de recherche, il est nécessaire de décrire succinctement les
échantillons d’ étude.
Les tests empiriques portent sur deux échantillons indépendants de 170 sociétés françaises
non cotées, hors sociétés publiques et financières. Les données sont collectées sur cinq ans :
pour la grande majorité des firmes, sur la période 1997-2001. Les filiales du premier
échantillon sont contrôlées à plus de 50% et possèdent un montant significatif de dette
intragroupe pour chacun des cinq exercices comptables considérés. L’ échantillon de référence
107
: L’ appartenance au groupe n’ est pas un critère suffisant pour garantir l’ existence d’ un marché interne : il
convient de s’ assurer qu’ il existe des transferts de fonds entre les sociétés membres, ceci grâce à l’ utilisation de
dette intragroupe.
166
est composé de sociétés indépendantes (aucun actionnaire ne possède plus de 50% du capital),
de même taille (montant du chiffre d’ affaires) et de même secteur (code NAF à deux chiffres).
I – Dette intragroupe, levée des contraintes financières et recours à l’ endettement externe
1.1 Levée des contraintes financières
Comparée à une société indépendante, une société membre de groupe a l’ opportunité de
bénéficier d’ une source de financement originale, par l’ intermédiaire d’ une forme
d’ endettement interne. Dans une situation de rationnement du crédit, ces fonds en excès
peuvent permettre aux sociétés affiliées d’ entreprendre certains projets d’ investissement,
qu’ elles n’ auraient pu financer si elles fonctionnaient comme des entités indépendantes.
Grâce à une analyse statistique univariée et un test de différence de moyennes, il est possible
de tester la première hypothèse de recherche :
H1 : Les sociétés affiliées bénéficiant de dette intragroupe investissent plus que des
sociétés indépendantes comparables.
Cette
hypothèse
concerne
non
seulement
l’ investissement
total
(acquisition
d’ immobilisations), mais également l’ investissement en actifs productifs (acquisition
d’ immobilisations corporelles).
La principale source de financement à long terne des sociétés françaises est
l’ autofinancement. Cependant, celui-ci ne semble pas suffisant pour financer l’ ensemble des
opportunités d’ investissement disponibles. Dans ce cas, une société est contrainte de se
tourner vers différents types de financement externe : en premier lieu l’ endettement
(exclusivement bancaire pour les sociétés non cotées), puis l’ augmentation de capital (sur le
marché financier pour les sociétés cotées, ou par l’ intermédiaire de sociétés de capital risque
pour les autres). Plus le coût du financement externe est élevé, plus le risque de ne pouvoir
entreprendre certains projets rentables est significatif. Une hausse du coût du financement
externe entraîne donc une augmentation du degré de contraintes financières. Ce dernier est
mesuré par la relation investissement/cash-flows au travers d’ un modèle de régression. Si l’ on
suppose que le coût de la dette intragroupe est moins élevé que celui de la dette bancaire en
167
raison de l’ absence de coûts d’ asymétrie d’ information, et que la dette intragroupe représente
une option réelle d’ éviter la dette externe, alors les sociétés affiliées sont soumises à de plus
faibles contraintes financières. Ce raisonnement permet de formuler les deux hypothèses
suivantes :
H2 :
Pour
les
sociétés
affiliées
utilisant
la
dette
intragroupe,
la
relation
investissement/cash-flows est positive et non significative (absence de contraintes
financières).
H3 : Pour les sociétés non contrôlées, la relation investissement/cash-flows est positive et
significative (existence de contraintes financières).
Ces hypothèses sont testées grâce à un modèle de régression. La variable dépendante est le
niveau d’ investissement de la firme (investissement total et investissement en actifs
tangibles). La variable explicative principale est le montant des cash-flows générés par la
firme : celle-ci est accompagnée de variables de contrôle, et, en particulier, de deux
indicateurs de mesure de la croissance passée (chiffre d’ affaires) et une variable mesurant le
niveau d’ opportunités d’ investissement (rentabilité de l’ actif net : ROA).
1.2 Dette intragroupe et dette externe : compléments ou substituts ?
Comment le montant de la dette intragroupe influence-t-il la politique d’ endettement globale
des sociétés membres ? L’ appartenance au groupe peut modifier les relations d’ une société
membre avec ses banques partenaires. Tout d’ abord, le fait de disposer de fonds internes
supplémentaires assouplit la dépendance des filiales vis-à-vis du système bancaire.
Cependant, si l’ endettement externe s’ avère nécessaire au financement d’ investissements
particuliers, une filiale peut bénéficier de la garantie représentée par les actifs tangibles des
autres sociétés du groupe pour collecter un montant supérieur de ressources externes. Ainsi,
l’ appartenance au groupe permettrait d’ augmenter la valeur du ratio d’ endettement optimal
des sociétés membres ; dans le même temps, la dette intragroupe diminue le recours à
l’ endettement externe. En considérant les différents niveaux d’ endettement financier externe
(total, long terme et court terme), il est possible de tester les hypothèses suivantes :
H4 : Les sociétés affiliées aux groupes présentent des ratios d’endettement totaux plus
élevés que ceux de sociétés indépendantes comparables.
168
H5 : Le montant de la dette intragroupe influence négativement le niveau d’endettement
externe des sociétés affiliées.
La première hypothèse peut être testée grâce à un test de différence de moyennes entre les
deux sous-échantillons d’ étude. La seconde est testée au travers d’ un modèle de structure de
capital expliquant les variations du ratio d’ endettement. Dans le modèle de régression
considéré, différentes variables dépendantes sont calculées : les ratios d’ endettement financier
externe total, à long terme et à court terme. La principale variable explicative est le montant
de la dette intragroupe. La structure du modèle est complétée par une série de variables de
contrôle, classiques dans la littérature empirique sur l’ explication des structures de capital :
performances financières, taille et secteur d’ activité. Ce test ne concerne que l’ échantillon de
filiales.
II – Dette intragroupe et marché interne de capital
2.1 Mise en évidence du rôle actif du marché interne de capital
La dette intragroupe est un instrument à la disposition de la direction du groupe pour répartir
les ressources entre les différentes filiales. Si l’ on suppose l’ existence d’ une politique
financière centralisée au sein du groupe, les transferts de fonds entre les entités du groupe
donnent naissance à un marché interne de capital. L’ activité de ce marché interne peut être
mesurée par l’ intensité des échanges financiers intragroupes. Il existe deux autres moyens
pour affecter les ressources aux différentes filiales en fonction des besoins de financement de
chacune : les participations croisées qui ont pour support les investissements en
immobilisations financières et le crédit interentreprises par l’ intermédiaire des crédits clients
et fournisseurs. Des tests univariés de différence de moyennes permettent de tester les deux
hypothèses suivantes :
H6 : Le pourcentage d’immobilisations financières dans le total de l’actif est plus élevé
pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées.
H7 : Les crédits clients et fournisseurs sont plus importants pour les filiales que pour les
sociétés non contrôlées.
169
2.2 Efficience des marchés internes au sein des groupes
L’ efficience d’ un marché interne de capital consiste en une affectation interne des ressources
à des fins rentables. In fine, il est possible d’ apprécier l’ efficience d’ un marché interne grâce à
des indicateurs classiques de performance. Les tests empiriques du chapitre 2 reposent sur des
mesures comptables de performance : rentabilité économique (à partir de l’ EBE et du résultat
d’ exploitation), rentabilité financière (à partir du RCAI, du résultat net et de la CAF), et
indicateurs de marge (en fonction du chiffre d’ affaires).
Si la direction du groupe a un rôle actif pour sélectionner les projets d’ investissement et
transférer les ressources d’ une entité à l’ autre, les filiales doivent présenter des indicateurs de
rentabilité supérieurs à ceux des sociétés non contrôlées. L’ efficience peut donc dans un
premier temps être évaluée au niveau des performances de chaque sous-échantillon :
H8 : Les performances financières des filiales utilisant la dette intragroupe sont
supérieures à celles des sociétés non contrôlées.
Dans un second temps, il est nécessaire d’ étudier plus particulièrement l’ allocation interne des
fonds au sein du groupe. Un marché interne efficient doit orienter les ressources internes vers
les entités les plus rentables, et surtout ne pas accorder des fonds excédentaires aux divisions
les moins rentables. Ainsi, si le marché interne créé au sein du groupe est efficient, les filiales
les plus rentables doivent investir plus que les autres filiales, toutes choses égales par ailleurs
(investissement total et investissement en actifs tangibles). De plus, les filiales les plus
rentables doivent bénéficier d’ un montant plus élevé de dette intragroupe. En segmentant
l’ échantillon de filiales en fonction de la valeur des ratios de rentabilité comptables, il est
possible de tester les hypothèses suivantes :
H9 : Si le fonctionnement du marché interne au sein du groupe est efficient, les filiales
les plus rentables doivent investir plus que les autres filiales de l’échantillon.
H10 : Si le fonctionnement du marché interne au sein du groupe est efficient, les filiales
les plus rentables doivent disposer d’un montant plus élevé de dette intragroupe.
Enfin, grâce à un modèle de régression, il est possible de mesurer l’ influence directe de
l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon. En
170
appliquant le test à l’ ensemble de l’ échantillon, les variables mesurant les rentabilités
économique et financière constituent les variables dépendantes testées. La principale variable
explicative est le statut de la firme (variable dichotomique, = 0 si la firme n’ a pas accès à la
dette intragroupe, = 1 si la firme utilise la dette intragroupe). Si le marché interne existant
dans les limites du périmètre du groupe est efficient, cette variable doit présenter un
coefficient positif et significatif. Le modèle est complété par une série de variables de
contrôle : taille, secteur et croissance de la firme.
H11 : Si le marché interne créé au sein du groupe est efficient, le recours à la dette
intragroupe a un impact positif et significatif sur les performances des firmes de
l’échantillon.
Le paragraphe 3 reprend la déclinaison des hypothèses de recherche et la méthodologie
empirique des tests.
III – Synthèse du cadre d’ analyse : hypothèses de recherche et traduction empirique
Le tableau 19 résume les différentes hypothèses testées dans le chapitre 2, en évoquant les
arguments théoriques sous-jacents et la méthodologie empirique utilisée.
Tableau 19 : Cadre d’analyse de la Partie 2
Développements théoriques
Hypothèses de recherche
Dans une situation de rationnement
du crédit, l’ usage de la dette
intragroupe procure aux sociétés
membres des fonds supplémentaires
pour le financement des
investissements.
Par rapport à une dette externe
classique, la dette intragroupe
n’ entraîne pas de coûts d’ asymétrie
d’ information. Cette source de
financement à moindre coût permet
une levée partielle des contraintes
financières.
H1 : Les sociétés affiliées
bénéficiant de dette intragroupe
investissent plus que des sociétés
indépendantes comparables.
L’ appartenance au groupe permet
aux filiales d’ opérer avec un ratio
d’ endettement total supérieur à celui
de firmes non contrôlées, en raison
de la co-garantie représentée par les
actifs tangibles des autres entités.
H4 : Les sociétés affiliées aux
groupes présentent des ratios
d’ endettement totaux plus élevés
que ceux de sociétés indépendantes
comparables.
H2 : Pour les sociétés affiliées
utilisant la dette intragroupe, la
relation investissement/cash-flows
est positive et non significative.
H3 : Pour les sociétés non
contrôlées, la relation
investissement/cash-flows est
positive et significative.
171
Tests empiriques
Test de différence de moyennes
entre un échantillon de firmes
utilisant la dette intragroupe, et un
échantillon de firmes non contrôlées
n’ ayant pas recours à la dette
intragroupe.
Modèle (3) de régression linéaire :
(Iit / Ait-1) = ait + b.(CFit / Ait-1) +
c.(CAit / Ait-1) + d.(CAit-1 / Ait-2)
+ e.(ROAit) + f.(ROAit-1) +
g.(IMOit / Ait-1) ; avec (Iit / Ait-1),
variable mesurant le niveau
d’ investissement, et (CFit / Ait-1),
variable mesurant le montant des
cash-flows disponibles.
Test de différence de moyennes
entre un échantillon de firmes
utilisant la dette intragroupe, et un
échantillon de firmes non contrôlées
n’ ayant pas recours à la dette
intragroupe.
Développements théoriques
Le recours à la dette intragroupe
diminue le besoin en fonds externes,
et notamment l’ utilisation de dette
externe.
Hypothèses de recherche
H5 : Le montant de la dette
intragroupe influence négativement
le niveau d’ endettement externe des
sociétés affiliées.
Tests empiriques
Modèle (4) de régression linéaire :
modèle de structure de capital :
(DetfiEX)it = ait + b.(Intra) +
c.(ROA)it + d.(Taille)it +
e.(VarCA)it ; avec (DetfiEX)it
mesurant l’ endettement financier
externe (Total, LT et CT), et (Intra)
représentant la part de dette
intragroupe dans le total du bilan.
Les transferts de fonds au sein du
H6 : Le pourcentage
Test de différence de moyennes
marché interne s’ opèrent non
d’ immobilisations financières dans entre un échantillon de firmes
seulement par l’ intermédiaire de
le total de l’ actif est plus élevé pour utilisant la dette intragroupe, et un
dettes et prêts intragroupes, mais
les filiales que pour les sociétés non échantillon de firmes non contrôlées
également grâce aux participations contrôlées.
n’ ayant pas recours à la dette
croisées et au crédit interentreprises. H7 : Les crédits clients et
intragroupe.
Mise en évidence du rôle actif du
fournisseurs sont plus importants
marché interne.
pour les filiales que pour les
sociétés non contrôlées.
L’ hypothèse d’ efficience des
H8 : Les performances financières
Pour H8 : Test de différence de
marchés internes de capitaux
des filiales utilisant la dette
moyennes entre un échantillon de
suppose que l’ allocation interne des intragroupe sont supérieures à celles firmes utilisant la dette intragroupe,
fonds est réalisée pour favoriser les des sociétés non contrôlées.
et un échantillon de firmes non
filiales les plus rentables.
H9 : Si le fonctionnement du
contrôlées n’ ayant pas recours à la
L’ affectation des ressources aux
marché interne au sein du groupe
dette intragroupe.
projets d’ investissement rentables
est efficient, les filiales les plus
doit garantir des performances
rentables doivent investir plus que
Pour H9 et H10 : Segmentation de
financières supérieures pour les
les autres filiales de l’ échantillon.
l’ échantillon de filiales en fonction
firmes ayant accès au marché
H10 : Si le fonctionnement du
des valeurs médianes des ratios de
interne.
marché interne au sein du groupe
performance, puis tests de
est efficient, les filiales les plus
différences de moyennes entre un
rentables doivent disposer d’ un
échantillon de filiales rentables et
montant plus élevé de dette
un échantillon de filiales non
intragroupe.
rentables.
Si l’ hypothèse d’ efficience est
H11 : Si le marché interne créé au
Modèle (5) de régression linéaire :
sein du groupe est efficient, le
(ROA)it = ait + b.(INTRA) +
correcte, l’ utilisation de la dette
c.(TAILLE)it + d.(SECTEUR) +
intragroupe doit être un déterminant recours à la dette intragroupe a un
essentiel du niveau de performance. impact positif et significatif sur les e.(CROISSANCE)it ; avec (ROA)it
mesure de rentabilité financière, et
En effet, une politique
performances des firmes de
(INTRA), variable dichotomique
d’ investissement efficiente garantit l’ échantillon.
des ratios de rentabilité élevés.
prenant la valeur 1, si la firme a
recours à la dette intragroupe et 0
sinon.
172
!
#
$
$
%
#
&
Les développements théoriques du chapitre 1 impliquent que le recours à la dette intragroupe
présente des avantages significatifs pour les sociétés concernées : levée des contraintes
financières, performances financières supérieures, répartition efficiente des fonds entre les
filiales rentables et non rentables, politique d’ investissement orientée vers les opportunités les
plus rentables. Les tests empiriques de ce deuxième chapitre tentent de valider ces hypothèses
dans le cas de sociétés françaises non cotées. Ces tests sont regroupés en trois sections
distinctes.
La section 1 présente tout d’ abord la méthode d’ échantillonnage qui permet d’ identifier deux
groupes de 170 firmes industrielles, commerciales et de services, toutes non cotées : le
premier est composé de filiales détenues à plus de 50% et utilisant la dette intragroupe, le
second est constitué de sociétés non contrôlées de même secteur et de taille équivalente. Cette
section est également consacrée à la description et surtout à la comparaison (avec une
première série de tests univariés de différences de moyennes) des caractéristiques financières
des deux sous-échantillons.
L’ hypothèse de levée des contraintes financières est testée dans la section 2, à partir d’ un
modèle de régression linéaire confrontant le niveau d’ investissement et le montant des cashflows. Le modèle (3) est testé séparément sur les deux sous-échantillons pour déterminer les
différences de sensibilité investissement/cash-flows ; un test complémentaire est réalisé dans
le but de vérifier si l’ intensité de la relation investissement/cash-flows dépend du niveau de
fonds internes disponibles. D’ autre part, l’ interaction entre les formes d’ endettement interne et
externe est abordée au travers d’ un modèle de structure de capital (modèle 4) mettant en
relation les variations du ratio d’ endettement externe (variable dépendante) et celles du ratio
d’ endettement intragroupe. Des variables de contrôle classiques sont intégrées au modèle
d’ analyse : taille, secteur, rentabilité et croissance passée.
173
Le fonctionnement des marchés internes est détaillé dans la section 3. La répartition de la
dette intragroupe entre les filiales et leur politique d’ investissement sont étudiées en
distinguant les filiales rentables des non rentables, grâce à des tests de différences de
moyennes. En effet, l’ hypothèse d’ efficience suppose que les ressources sont allouées en
priorité aux filiales rentables, et que celles-ci doivent proportionnellement présenter des
niveaux d’ investissement plus élevés que les filiales non rentables. Cette troisième section est
complétée par un modèle de régression appliqué à l’ échantillon global (modèle 5), qui tente
d’ analyser le lien direct entre les performances financières et l’ utilisation de la dette
intragroupe.
Section 1 : Méthodologie empirique et description des échantillons d’étude
Toutes les données collectées sont des données de panel issues de la base Diane (version
2003). La totalité des sociétés retenues sont non cotées ; en effet, les grandes sociétés cotées
n’ utilisent que marginalement la dette intragroupe, et sont surtout très difficiles à pairer. Une
grande variété de secteurs d’ activité est représentée. Ceux-ci sont regroupés en trois
catégories principales : industrie, commerce et services. Les filiales et les sociétés
indépendantes sont comparées en fonction de leurs caractéristiques financières. On isole
plusieurs axes d’ analyse : les performances opérationnelles et financières, l’ endettement, la
croissance, la structure de l’ actif, la politique d’ investissement, les ratios d’ activité et les
ratios financiers, et la taille.
Cette première section a pour objet de présenter la méthode de collecte de données, la nature
des données comptables recueillies pour le calcul des différentes variables et les principales
caractéristiques des firmes retenues. Cette section s’ achève par les résultats des tests univariés
de différences de moyennes entre les échantillons de filiales et de sociétés indépendantes.
174
I – Méthode d’ échantillonnage et données collectées
1.1 Procédure de sélection des firmes
Pour tester les hypothèses concernant les conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe,
il faut tout d’ abord avoir accès à des données comptables suffisamment détaillées, et
notamment pouvoir consulter l’ annexe « Etat des créances et des dettes » de la liasse fiscale.
En effet, celle-ci contient les items « Dettes envers le groupe et les associés » et « Dettes
auprès des associés personnes physiques » : la différence entre ces deux postes donne un
montant précis de la dette intragroupe brute.
Toutes les données comptables brutes sont extraites de la base Diane, actualisée en Mai 2003.
Elle regroupe les comptes de 158 017 entreprises françaises, d’ au moins trois personnes. Elle
est gérée par le bureau Van Dijk et la COFACE. Les informations contenues dans la base de
données proviennent de l’ administration fiscale et comprennent les bilans, comptes de
résultats, annexes108, et des données d’ analyse financière pour les cinq derniers exercices clos.
Il est en outre possible d’ extraire les comptes sociaux et les comptes consolidés.
Pour identifier les sociétés membres de groupe industriel bénéficiant de dette intragroupe, il a
fallu procéder à plusieurs étapes de tri. Dans un premier temps, toutes les sociétés, dont la
situation juridique et financière était « précaire », ont été écartées, en particulier celles faisant
l’ objet d’ une obligation de dépôt, de plan de continuation ou de cessation de paiement : le
nombre d’ entreprises restantes s’ élève alors à 145 929. Ensuite, on a isolé l’ ensemble des
sociétés qui possèdent un actionnaire majoritaire connu, détenant plus de 50% du capital de
l’ entreprise : ce second tri porte le nombre de sociétés sélectionnées à 75 519. Enfin, nous
avons introduit un critère de taille, en ne retenant que les sociétés dont le chiffre d’ affaires
était supérieur à 15 000 k en 2000 : un premier ensemble de 12 154 entreprises est donc
constitué.
La seconde étape d’ échantillonnage consiste alors à isoler les sociétés utilisant la dette
intragroupe, tous les ans sur les cinq exercices disponibles, et ceci pour un montant
108
: La base est assez complète puisqu’ elle regroupe les annexes : « immobilisations », « amortissements »,
« état des créances et des dettes », « affectation du résultat », « provisions ». D’ autre part, les agrégats classiques
et de nombreux ratios d’ analyse financière (fonction Score) sont déjà calculés. Enfin, Diane offre des
informations sur l’ identité des dirigeants et des actionnaires, et, pour les sociétés cotées, les principales données
boursières.
175
significatif minimum de 50 k
109
. De plus, toutes les sociétés financières, d’ assurance et
immobilières, ainsi que les sociétés publiques, sont exclues de l’ échantillon. Cette étape
permet de réduire le total des sociétés retenues à 927. A partir des coordonnées des entreprises
fournies par la base de données, la troisième étape a pour but d’ identifier le statut et l’ identité
de l’ actionnaire majoritaire, ceci afin d’ éliminer de l’ échantillon toutes les sociétés familiales
et de ne conserver que celles qui sont contrôlées par une autre société industrielle. Cette
recherche a été effectuée sur Internet : ceci a contribué à éliminer de nombreuses entreprises
moyennes ne disposant pas de sites d’ information publique. En effet, les sociétés évoluant
exclusivement sur des marchés locaux n’ offrent pas une information financière suffisante
pour connaître la composition de l’ actionnariat. L’ échantillon issu de cette sélection comporte
210 sociétés de services, commerciales ou industrielles.
Afin de déterminer les particularités financières des sociétés ayant recours à la dette
intragroupe, il est nécessaire de constituer également un échantillon de référence,
d’ entreprises « jumelles », n’ étant pas contrôlées à plus de 50% et n’ utilisant pas de dette
intragroupe110. La méthode de pairage repose sur 5 critères de sélection :
-
comptes sociaux disponibles sur cinq ans ;
-
absence de dette intragroupe pour les cinq exercices consécutifs ;
-
sociétés sans actionnaire majoritaire détenant plus de 50% du capital ;
-
même code sectoriel NAF à deux chiffres ;
-
même chiffre d’ affaires HT en 2000, avec un intervalle de plus ou moins 20%.
A partir de ces caractéristiques, il a été possible de pairer 170 sociétés. Pour le reste de
l’ analyse, le premier échantillon est appelé « filiales », le second « jumelles ». Toutes les
sociétés sont non cotées111 et l’ ensemble des données comptables sont issues de comptes
sociaux112. Certaines entreprises sont des filiales de groupes français ou étrangers cotés, ceuxci ayant accès aux financements disponibles sur les marchés financiers. Le tableau 20 résume
les différentes étapes de sélection des firmes :
109
: Toutes les sociétés ne disposant pas de comptes sociaux sur 5 ans sont également éliminées à ce stade de la
sélection.
110
: L’ absence d’ actionnaire majoritaire ne garantit ni la non appartenance à un groupe, ni la non utilisation de
dette intragroupe.
111
: Aucune donnée en valeur de marché ne peut donc être calculée.
112
: En effet, les comptes consolidés ne permettent pas d’ analyser les échanges financiers entre sociétés d’ un
même groupe.
176
Tableau 20 : Etapes de l’échantillonnage
Etapes de l’échantillonnage
Base de données Diane.
Hors sociétés faisant l’ objet d’ obligation de dépôt, de
plan de continuation ou de cessation de paiement.
Sociétés possédant un actionnaire majoritaire connu
(> 50%).
Sociétés avec un chiffre d’ affaires supérieur à
15 millions d’ euros en 2000.
Montant de dette intragroupe supérieur à 50 000 euros ;
Hors sociétés financières, d’ assurance, immobilières et
publiques. Comptes sociaux disponibles sur 5 ans.
Sociétés contrôlées par une autre société industrielle.
Pairage par taille et secteur d’ activité.
Nombre de sociétés retenues
158 017
145 929
75 519
12 154
927
210
170
1.2 Données collectées et nombre d’ observations retenues
Toutes les données sont extraites des comptes sociaux. La grande majorité des variables sont
calculées à partir de données du bilan et du compte de résultat. Cependant, les annexes « Etat
des créances et des dettes » et « Immobilisations » sont nécessaires pour calculer :
-
le montant de la dette intragroupe ;
-
le montant des dettes à court terme et long terme ;
-
le montant des acquisitions d’ immobilisations (totales, corporelles, incorporelles et
financières).
De plus, quelques données d’ analyse financière sont nécessaires ; la base Diane contient
notamment les agrégats du bilan fonctionnel (FRNG ; BFR ; Trésorerie nette), le montant de
la CAF avant répartition (pour le calcul des cash-flows), et des ratios de structure financière
(autonomie et indépendance financières, équilibre financier) et d’ activité (crédits clients et
fournisseurs).
Les sociétés présentant des indicateurs de résultat négatifs (EBE, résultat d’ exploitation,
RCAI ou résultat net) sont intégrées aux échantillons, puisque l’ étude empirique se concentre
notamment sur la comparaison des performances des deux sous-échantillons : à partir de
caractéristiques comparables (taille et secteur), une société peut dégager des résultats positifs
et une autre des résultats négatifs. Sont exclues de l’ analyse les sociétés à chiffre d’ affaires
nul et à capitaux propres négatifs.
177
L’ analyse empirique de la section 2 fait appel à deux types de variables différentes : les
variables statiques calculées sur 1 an, et celles qui nécessitent des données sur deux années
consécutives (taux de variation, variables dont le dénominateur est le total de l’ actif de
l’ année précédente). La quasi-totalité des statistiques descriptives nécessitent le calcul de
ratios statiques (sauf pour les indicateurs de croissance). Ainsi, le nombre d’ observations
prises en compte dans l’ analyse devrait être de 850 par échantillon (170 firmes * 5 ans).
Cependant, certaines sociétés ont modifié au cours des cinq années la date de clôture de leurs
exercices et quelques données comptables spécifiques sont manquantes. Finalement, le
nombre d’ observations pour le calcul des variables statiques s’ élève à 837 pour les sociétés
indépendantes et 813 pour les filiales.
Pour le calcul des variables « dynamiques », les données de la première année sont
systématiquement éliminées puisqu’ elles ne permettent pas de calculer de taux de variation
(l’ année précédente n’ existe pas dans la base). Par conséquent, le nombre d’ observations pour
ces variables devrait être de 680 (170 firmes * 4 ans). Cependant, la méthode de pairage exige
que les deux périodes d’ étude soient exactement identiques. Or, encore une fois à cause de
données manquantes et de changements de dates de clôture d’ exercice, le nombre
d’ observations valides est plus faible. De plus, certaines « paires » de sociétés disposent de
cinq années de données, mais sur des périodes différentes : par exemple, 1997-2001 et 19982002. Dans ce cas, seules les années communes sont retenues. Ainsi, le nombre
d’ observations pour les tests de statistiques explicatives s’ élève à 554 par échantillon. Le
paragraphe suivant décrit les caractéristiques de chaque catégorie de firmes : filiales et
jumelles.
178
II – Statistiques descriptives : présentation et comparaison des caractéristiques financières
des deux sous-échantillons
2.1 Analyse sectorielle
Le tableau 21 décrit la répartition sectorielle des firmes de l’ échantillon : cette classification
n’ est effectuée que sur 170 sociétés, les deux sous-échantillons étant strictement identiques
selon les codes sectoriels NAF à deux chiffres.
Tableau 21 : Analyse sectorielle des échantillons
Codes
NAF
15
17
18
20
21
22
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
36
40
45
50
51
52
60
63
71
72
73
74
90
92
TOTAL
Intitulés
Industries alimentaires
Industrie textile
Industrie de l’ habillement
Travail du bois et fabrication
Industrie du papier et du carton
Edition, imprimerie, reproduction
Industrie chimique
Industrie du caoutchouc et des plastiques
Fabrication d’ autres produits minéraux non métalliques
Métallurgie
Travail des métaux
Fabrication de machines et d’ équipements
Fabrication de machines de bureau et de matériel
Fabrication de machines et appareils électriques
Fabrication d’ équipements de radio, télévision et communication
Fabrication d’ équipements médicaux, de précision, d’ optique
Industrie automobile
Fabrication de meubles, industries diverses
Production et distribution d’ électricité, de gaz et de chaleur
Construction
Commerce et réparation automobile
Commerce de gros et intermédiaires de commerce
Commerce de détail et réparation d’ articles domestiques
Transports terrestres
Services auxiliaires de transport
Location sans opérateur
Activités informatiques
Recherche et développement
Services fournis aux entreprises
Assainissement, voirie et gestion des déchets
Activités récréatives, culturelles et sportives
Nombre de
sociétés
6
4
4
1
1
2
10
6
9
2
7
9
1
1
2
2
2
1
1
11
3
48
3
5
6
2
7
1
10
2
1
170
Pourcentages
3.5
2.4
2.4
0.6
0.6
1.2
5.9
3.5
5.2
1.2
4
5.3
0.6
0.6
1.2
1.2
1.2
0.6
0.6
6.5
1.8
28.2
1.8
2.9
3.5
1.2
4
0.6
5.9
1.2
0.6
100
On dénombre 33 secteurs d’ activité différents. Le secteur le plus représenté est celui du
commerce de gros et des intermédiaires de commerce avec 48 sociétés (28.2% du total).
179
Quatre autres secteurs comptent un effectif significatif : la construction avec 11 firmes
(6.5%), l’ industrie chimique avec 10 firmes (5.9%), les services fournis aux entreprises avec
également 10 sociétés (5.9%) et la fabrication de machines et équipements avec 9 sociétés
(5.2%). Ces quatre secteurs comptent au total 88 firmes et représentent à eux seuls 51.7% de
l’ effectif total. Par ailleurs, 15 secteurs d’ activité ne comportent qu’ une à deux sociétés.
En complément de l’ analyse sectorielle détaillée, il est possible de déterminer deux catégories
globales de secteurs. Ce regroupement sectoriel consiste à classer les firmes selon leur
appartenance à :
-
l’ industrie manufacturière : codes sectoriels de 15 à 45 : 82 sociétés au total, soit 48.2% de
l’ échantillon ;
-
le commerce, la réparation, la location et les services aux entreprises et aux particuliers :
codes sectoriels 50 à 92 : 88 sociétés, soit 51.8% de l’ échantillon.
L’ échantillon total est donc relativement bien équilibré entre les sociétés industrielles
(48.2%), et les sociétés de services, au sens large (51.8%).
2.2 Comparaison des caractéristiques financières des deux sous-échantillons
Le tableau 22 met en évidence les principales caractéristiques des firmes de l’ échantillon. Les
statistiques sont données pour l’ échantillon de filiales, puis pour l’ échantillon de sociétés
indépendantes (« jumelles »). Le test t de différence de moyennes permet de rejeter ou
d’ accepter l’ hypothèse nulle d’ égalité des moyennes entre deux échantillons indépendants.
Tableau 22 : Test t de différence de moyennes
La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses) sont donnés dans l’ hypothèse de variances
égales entre les deux sous-échantillons113. L’ échantillon de filiales comporte 813 observations ; l’ échantillon de
jumelles compte 837 observations, ceci pour toutes les variables, sauf pour celles qui mesurent un taux de
variation (variables de croissance) : les deux sous-échantillons comportent alors chacun 554 observations. Les
cash-flows sont calculés par la formule suivante : CAF – Variation BFR – dividendes. La capacité de
remboursement est mesurée par le ratio (Dette de caractère financier/CAF avant répartition). Pour les variables
de structure d’ actif, les % d’ immobilisations considérés correspondent aux montants bruts des immobilisations
par rapport au total de l’ actif brut. Les crédits clients et fournisseurs sont donnés en nombre de jours et calculés
comme suit : (Clients+EENE/CA TTC)*360 ; (Fournisseurs/Achats TTC)*360. L’ indépendance et l’ autonomie
financières sont données en % et mesurées respectivement par les ratios : (Fonds propres/Ressources
durables)*100 ; (Fonds propres/Total bilan)*100. Enfin, les indicateurs de liquidité générale et réduite sont
113
: Les résultats sont inchangés si l’ on considère l’ hypothèse de variances inégales.
180
calculés par les ratios : (Actif circulant net – Stocks nets)/Dettes CT ; Actif circulant net / Dettes CT. ° :
significatif au seuil de 10% ; * : significatif au seuil de 5% ; ** : significatif au seuil de 1%
Variables
Performance
VA / actif net (Reco)
EBE / CA (Marge1)
Résultat d’ exploitation / CA (Marge2)
RCAI / actif net (Rfi1)
Résultat net / actif net (ROA)
Cash-flows / actif brut (Rfi2)
Endettement
Dette intragroupe / actif net (Dintra1)
Dette intragroupe / dette totale (Dintra2)
Dette financière LT / actif net (Dfi)
Dette totale / actif net (Dto1)
Dette totale CT / actif net (Dto2)
CBC / actif net (Cbc)
Intérêts et charges ass. / dette financière (Int)
Capacité de remboursement (Remb)
Croissance
Variation CA en % (VarCA)
Variation VA en % (VarVA)
Variation Total actif brut en % (VarACT)
Structure de l’actif
% d’ immobilisations totales (ImoT)
% d’ immobilisations corporelles (ImoC)
% d’ immobilisations financières (ImoF)
Degré d’ amortissement des immobilisations (DegA)
Politique d’investissement
Acquisition d’ immobilisations / Actif brut (Acq1)
Acquisition d’ immos corporelles / Actif brut (Acq2)
Ratios d’activité
Crédit clients, en jours (Client)
Crédit fournisseurs, en jours (Fourni)
Créances clients / Actif net (Créance)
Ratios financiers
Indépendance financière, en % (Indéfi)
Autonomie financière, en % (Autofi)
Liquidité réduite (LiquiR)
Liquidité générale (LiquiG)
Taille
Chiffre d’ affaires net, en k (CA)
Total actif brut, en k (ACT)
Considérations fiscales
Total dotation / immobilisations brutes (Dot)
Charges exceptionnelles / actif net (Chexc)
Montant total des impôts et taxes, en k (Imp)
Filiales
Moyenne
Médiane
Jumelles
Moyenne
Médiane
Test t (signification)
0.567
0.064
0.036
0.049
0.025
0.032
0.423
0.052
0.031
0.046
0.026
0.039
0.475
0.080
0.057
0.087
0.049
0.052
0.413
0.056
0.037
0.065
0.037
0.053
1.571 (0.116)
-2.336 (0.020)*
-3.570 (0.000)**
-4.403 (0.000)**
-2.690 (0.007)**
-1.698 (0.09)°
0.191
0.221
0.278
0.831
0.769
0.036
0.966
2.4230
0.104
0.160
0.105
0.741
0.673
0.039
0.076
0.768
0.114
0.480
0.431
0.027
1.868
0.971
0.063
0.567
0.499
0.009
0.084
0.609
1.674 (0.094)°
2.427 (0.015)*
2.350 (0.019)*
2.117 (0.034)*
-1.755 (0.079)°
1.082 (0.279)
11.44
9.20
14.31
6.44
5.85
7.09
11.41
9.29
13.72
6.40
5.69
6.59
0.014 (0.988)
0.248 (0.843)
0.243 (0.808)
43.98
29.93
5.15
62.48
38.07
20.11
0.86
64.19
40.54
29.77
6.76
60.09
40.08
27.01
1.03
62.59
1.163 (0.245)
0.069 (0.945)
-2.094 (0.036)*
2.838 (0.005)**
0.061
0.038
0.031
0.017
0.038
0.025
0.010
0.006
5.020 (0.000)**
4.389 (0.000)**
83.21
84.92
0.536
80.41
73.72
0.413
67.11
72.08
0.373
63.81
66.64
0.364
7.674 (0.000)**
1.994 (0.046)*
1.596 (0.111)
29.94
22.93
1.24
1.61
35.59
22.42
1.13
1.36
48.81
33.17
1.33
1.71
45.88
31.77
1.17
1.47
-5.882 (0.000)**
-9.434 (0.000)**
-2.353 (0.019)*
-2.095 (0.036)*
32 277
31 088
25 799
19 560
33 739
36 133
26 096
17 429
-0.744 (0.457)
-1.615 (0.107)
0.087
0.041
1 120
0.073
0.013
734
0.065
0.024
1 117
0.053
0.009
743
6.443 (0.000)**
3.276 (0.001)**
0.035 (0.972)
2.2.1 Indicateurs de taille et de croissance
Deux variables permettent de mesurer la taille des firmes de l’ échantillon : le total du chiffre
d’ affaires net (CA), et le total de l’ actif brut (ACT). Aucune différence significative ne
distingue les filiales des sociétés indépendantes. Pour l’ échantillon de filiales, la moyenne du
181
chiffre d’ affaires s’ établit à 32 277 k (la médiane est égale à 25 799 k ). Pour l’ échantillon
de sociétés indépendantes, cette même moyenne s’ élève à 33 739 (26 096) k
114
.
Pour le total de l’ actif brut, les moyennes respectives des deux sous-échantillons sont égales à
31 088 k (19 560) pour les filiales et 36 133 k (17 429) pour les sociétés non contrôlées115.
Les coefficients du test t ne sont pas significatifs.
Les moyennes des ratios de croissance sont également très proches d’ un échantillon à l’ autre :
aucune différence significative n’ est à noter à partir des trois variables (VarCA), (VarVA) et
(VarACT). Les filiales et les jumelles de l’ échantillon connaissent des taux de croissance
identiques : +11% par an environ pour le chiffre d’ affaires, +9% de croissance pour la valeur
ajoutée et +14% pour le total de l’ actif brut.
2.2.2 Mesures de performance
Tous les indicateurs de performance sont des ratios comptables. Si l’ on s’ intéresse aux ratios
de marge et de rentabilité d’ exploitation, deux ratios sur trois soulignent des performances
économiques supérieures pour l’ échantillon de sociétés indépendantes. Tout d’ abord, la
moyenne du ratio (Marge1) s’ élève à 6.4% (5.2%) pour les filiales, et 8% (5.6%) pour les
sociétés indépendantes : la différence est significative au seuil de 5%. De plus, le ratio
(Marge2) est également plus élevé pour les jumelles que pour les filiales : 5.7% (3.7%) contre
3.6% (3.1%) en moyenne, la différence étant significative au seuil de 1%. Les valeurs
médianes sont pourtant sensiblement identiques entre les deux sous-échantillons. Seules les
valeurs du ratio (Reco) s’ avèrent supérieures pour les filiales (56.7% contre 47.5%), mais la
différence n’ est pas significative.
Si l’ on considère les indicateurs de rentabilité financière, la différence de performance est
encore plus nette. Le ratio (Rfi1) est égal à 4.9% (4.6%) pour les filiales et 8.7% (6.5%) pour
les jumelles. Les moyennes du ratio (ROA) s’ élèvent successivement à 2.5% (2.6%) pour les
filiales et 4.9% (3.7%) pour les jumelles. Pour ces deux ratios, le coefficient du test t est
significatif à 1%.
114
: Pour le reste de l’ analyse, les chiffres donnés entre parenthèses correspondent aux valeurs médianes.
: Les chiffres, non reportés, sont sensiblement identiques si l’ on considère le total de l’ actif net : 24 557 k en
moyenne pour les filiales et 26 607 k pour les « jumelles ».
115
182
Par ailleurs, il est possible de calculer la valeur des cash-flows dégagés par chaque firme à
partir de la CAF avant répartition, en prenant en compte le montant des dividendes versés et la
variation du BFR entre t-1 et t. La moyenne du ratio (Rfi2) s’ établit à 3.2% (3.9%) pour les
filiales et 5.2% (5.3%) pour les jumelles : ce résultat n’ est significatif qu’ au seuil de 10%.
Pour ces trois indicateurs de rentabilité financière, les valeurs médianes sont également plus
faibles pour l’ échantillon de filiales.
En conclusion, il semble que les filiales présentent des indicateurs de performances
économiques et financières statistiquement plus faibles que des sociétés indépendantes
comparables. Ce résultat va à l’ encontre de l’ hypothèse 8 sur l’ efficience des marchés
internes : si les ressources internes étaient affectées au financement de projets
d’ investissement rentables, les performances générales des filiales devraient être sensiblement
supérieures à celles des autres firmes. Il infirme également l’ hypothèse d’ une fonction de
contrôle plus efficace de la part des dirigeants du groupe sur la gestion des filiales bénéficiant
de dette intragroupe.
Dans leur étude sur les conséquences de l’ appartenance à un groupe sur le marché indien,
Khanna et Palepu (2000) ne relèvent aucune différence significative de performance entre les
sociétés affiliées et les sociétés indépendantes. En utilisant la rentabilité nette de l’ actif, les
auteurs rapportent des moyennes (médianes) de 8.68% (9.05%) pour les sociétés membres, et
8.38% (8.90%) pour les sociétés indépendantes. Les valeurs du Q de Tobin offrent des
résultats similaires : 1.40 (1.14) pour les filiales et 1.38 (1.07) pour les sociétés indépendantes.
Shin et Park (1999) comparent également la valeur du Q de Tobin entre un échantillon de
filiales de groupes coréens et un échantillon de firmes indépendantes : les filiales présentent
des valeurs de Q significativement plus faibles que celles des firmes non contrôlées (en
moyenne, 1.06 contre 1.16 pour 1994, et 1.11 contre 1.33 en 1995). Il faut souligner
cependant que les test de Khanna et Palepu (2000) et de Shin et Park (1999) ne prennent pas
en compte l’ utilisation de dette intragroupe.
Les résultats du test de Deloof (1998) étudiant l’ influence de la dette intragroupe sur les
contraintes financières sont plus comparables à ceux de notre recherche. En distinguant les
caractéristiques financières d’ un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe et celles
d’ un échantillon de firmes ne bénéficiant que de dettes bancaires, les auteurs soulignent que :
183
-
la valeur du ratio (Résultat net/actif net) est significativement supérieure pour les firmes
« groupe » ;
-
le montant des cash-flows générés est en revanche plus élevé pour les firmes « banque ».
Enfin, Praet (2002) compare les performances d’ un échantillon de filiales de holding et celles
d’ un échantillon de firmes familiales116. Les résultats des tests univariés montrent que les
filiales de holding possèdent des performances significativement plus faibles que les sociétés
familiales : les indicateurs utilisés sont la valeur ajoutée (22.96% du total de l’ actif net en
moyenne contre 43.87%), la rentabilité d’ exploitation (-4.44% contre 3.56%), et la rentabilité
financière (-0.05% contre 7.78% pour le ratio Cash-flows/actif net, et –4.68% contre 1.85%
pour le ratio Résultat net/actif net).
2.2.3 Ratios d’ endettement
Pour l’ échantillon de filiales, la dette intragroupe représente en moyenne 19.1% (10.4%) du
total de l’ actif net (Dintra1), et 22.1% (16%) de l’ endettement total des sociétés (Dintra2).
Ces montants significatifs empruntés en interne garantissent l’ existence d’ échanges financiers
intenses entre les différentes filiales, et mettent ainsi en évidence le rôle actif des marchés
internes créés.
Deux ratios mesurent l’ endettement financier externe, l’ un à long terme (Dfi), l’ autre à court
terme (Cbc). En moyenne, les filiales sont plus endettées à long terme que les sociétés
indépendantes : le premier ratio s’ élève à 27.8% (10.5%) pour les filiales, et 11.4% (6.3%)
pour les jumelles. La différence n’ est significative qu’ au seuil de 10%. De même, les filiales
semblent plus endettées à court terme que les sociétés indépendantes : la moyenne du second
ratio est égale à 3.6% (3.9%) pour les filiales et à 2.7% (0.9%) pour les jumelles. Ce résultat
est significatif au seuil de 5%.
Ainsi, l’ utilisation de la dette intragroupe ne semble pas intervenir comme un substitut de la
dette externe à long ou à court terme. Au contraire, il semble que les filiales ont la possibilité
de contracter proportionnellement plus de dettes financières externes que des sociétés
116
: La comparaison des résultats du test de Praet (2002) avec ceux de notre étude doit être analysée avec
précaution. Tout d’ abord, il étudie particulièrement les filiales de holdings. De plus, les deux types de firmes
(familiales et filiales) sont contrôlées à plus de 50%.
184
indépendantes comparables. L’ appartenance au groupe constitue un avantage particulièrement
intéressant pour les sociétés membres, en vue de l’ obtention de crédits bancaires à court
terme. Cette conclusion découle certainement de l’ existence d’ une garantie supplémentaire
représentée par les autres actifs du groupe117.
De plus, deux autres ratios permettent d’ évaluer l’ endettement total des firmes de chaque
sous-échantillon : l’ endettement total comprend les dettes financières internes et externes et
les dettes d’ exploitation. La moyenne du ratio (Dto1) s’ élève à 83.1% (74.1%) pour les
filiales, contre 48% (56.7%) pour les sociétés indépendantes. Ce résultat est également valide
si l’ on ne considère que le total des dettes à moins d’ un an (Dto2) : 76.9% (67.3%) pour les
filiales et 43.1% (49.9%) pour les jumelles. Les coefficients du test t sont significatifs au seuil
de 5% pour les deux ratios. Ces résultats corroborent l’ hypothèse 4 sur la possibilité pour les
firmes membres de groupe d’ évoluer en conservant un ratio optimal d’ endettement supérieur
à celui des firmes indépendantes.
Il est également intéressant de mesurer le coût de la dette financière externe à partir du ratio
(Int). Les filiales semblent payer moins d’ intérêts financiers que les sociétés indépendantes,
même si la différence de moyennes n’ est significative qu’ au seuil de 10%. Enfin, la capacité
de remboursement (Remb) des filiales (mesurée par le ratio Dettes financières/CAF avant
répartition) est plus faible que celle des sociétés indépendantes, ceci en raison d’ une CAF
moins importante et d’ un endettement global largement plus élevé (le test t n’ est pas
significatif).
Le test de Deloof et Verschueren (1999) analyse les politiques d’ endettement d’ un échantillon
de firmes utilisant la dette intragroupe (firmes « groupe ») et un échantillon de firmes n’ ayant
recours qu’ à la dette bancaire (firmes « banque »). A partir d’ un échantillon total de 873
firmes belges non cotées, les résultats des tests univariés montrent que les firmes bénéficiant
de dette intragroupe présentent un ratio d’ endettement à long terme significativement plus
élevé que celui des firmes « banque » (en moyenne 20% contre 10% du total de l’ actif).
Cependant, les firmes « groupe » empruntent moins en externe que les firmes « banque » (5%
contre 10%). Ce résultat va à l’ encontre des conclusions concernant l’ endettement externe des
filiales de notre échantillon. Shin et Park (1999) révèlent que les sociétés coréennes membres
117
: En effet, les filiales et les sociétés indépendantes de l’ échantillon sont sensiblement identiques si l’ on
considère le pourcentage des immobilisations corporelles dans le total de l’ actif net (voir paragraphe suivant).
185
de groupe sont globalement plus endettées à long terme que des sociétés indépendantes
comparables. Les auteurs expliquent ce résultat par l’ avantage d’ une co-garantie des emprunts
au sein du groupe et de l’ existence de cash-flows non corrélés, générés par divers secteurs
d’ activité : ces deux phénomènes tendent à augmenter la capacité d’ endettement des firmes
membres.
Praet (2002) tente également de comparer l’ endettement total de filiales de holding et de
filiales de groupes industriels. Les statistiques descriptives indiquent que les filiales de
groupes industriels sont significativement moins endettées que les filiales de holding. De plus,
les ratios d’ endettement à long terme et de dette bancaire sont sensiblement égaux d’ un
échantillon à l’ autre. En revanche, les filiales de groupes s’ appuient plus largement sur la
dette intragroupe : en moyenne, celle-ci représente 32.16% de la dette totale pour les filiales
de groupes contre seulement 16.96% pour les filiales de holdings.
2.2.4 Structure de l’ actif
L’ analyse de la structure de l’ actif consiste à mesurer le pourcentage des différentes
catégories d’ immobilisations brutes dans le total de l’ actif brut. Si l’ on considère les
pourcentages d’ immobilisations totales et corporelles, (ImoT) et (ImoC), aucune différence
significative ne permet de distinguer les deux sous-échantillons. Les immobilisations totales
représentent 43.98% (38.07%) du total de l’ actif brut pour les filiales, et 40.54% (40.08%)
pour les sociétés indépendantes. Par ailleurs, 29.93% (20.11%) du total de l’ actif brut est
composé d’ immobilisations corporelles pour l’ échantillon de filiales : cette proportion est
égale à 29.77% (27.01%) pour l’ échantillon de jumelles. La part des immobilisations
corporelles dans le total de l’ actif est souvent considérée comme un indicateur de garantie par
les organismes de crédit : les sociétés indépendantes possèdent autant d’ immobilisations
corporelles que les filiales, pourtant ces dernières sont largement plus endettées. Ceci tend à
prouver que les filiales font appel aux autres sociétés du groupe pour garantir leurs emprunts
bancaires.
L’ investissement en immobilisations financières est un moyen pour les dirigeants de groupes
de transférer les ressources entre les différentes filiales. Cette hypothèse implique donc que le
pourcentage d’ immobilisations financières dans le total du bilan est supérieur pour
l’ échantillon de filiales que pour celui des sociétés indépendantes. Les statistiques du tableau
186
22 montrent pourtant que les sociétés indépendantes possèdent une part plus importante
d’ immobilisations financières que les filiales, (ImoF) : en moyenne, 6.76% (1.03%) contre
5.15% (0.86%), ce résultat étant significatif au seuil de 5%. Ce résultat infirme l’ hypothèse 6,
même s’ il ne prouve pas l’ absence de participations croisées entre les filiales d’ un même
groupe.
Enfin, le degré d’ amortissement des immobilisations (DegA) des filiales est plus élevé que
celui des jumelles : 62.48% (64.19%) contre 60.09% (62.59%), significatif au seuil de 1%. La
vétusté des immobilisations des filiales implique que celles-ci doivent investir
proportionnellement plus que les jumelles, notamment pour remplacer des équipements
obsolètes.
2.2.5 Politique d’ investissement
La dette intragroupe représente un apport de capitaux supplémentaires pour le financement
des investissements des filiales. Outre la disponibilité de fonds en excès, cette source de
financement offre des conditions de crédit avantageuses : modulation de remboursement, taux
d’ intérêts plus faibles. La moyenne du ratio (Acq1) est significativement plus élevée pour les
filiales que pour les sociétés indépendantes, au seuil de 1% : 6.1% (3.1%) contre 3.8% (1%).
De même, l’ investissement en actifs tangibles, (Acq2), est plus élevé pour les filiales que pour
les jumelles : la moyenne du ratio (Acquisitions d’ immobilisations corporelles/actif brut) est
égale à 3.8% (1.7%) pour les premières, et à 2.5% (0.6%) pour les secondes, la différence
étant significative à 1%. Ces résultats corroborent l’ hypothèse 1 de cette recherche.
En mesurant les dépenses en capital totales, Shin et Park (1999) arrivent à une conclusion
similaire : les filiales des groupes coréens investissent proportionnellement plus que les
sociétés indépendantes. Les résultats montrent que le montant des dépenses en capital
représente en moyenne 8.95% en 1994, et 9.89% du total de l’ actif en 1995 pour l’ échantillon
de filiales ; ces chiffres s’ élèvent respectivement à 6.69% et 7.43% pour les sociétés non
affiliées.
De même, Deloof (1998) montre que l’ investissement total des firmes « groupe » est
significativement plus important que celui des firmes « banque » : 36% du total de l’ actif
immobilisé pour les firmes « groupe », contre 27.7% pour les firmes « banque ». Cette
187
différence significative se retrouve au niveau des investissements en immobilisations
financières (0.6% de l’ actif immobilisé pour les firmes « groupe », et seulement 0.2% pour les
firmes « banque »). En revanche, la politique d’ investissement en immobilisations corporelles
(actifs tangibles) des deux types de firmes est identique.
2.2.6 Ratios d’ activité et d’ analyse financière
Le crédit interentreprises est, au même titre que les participations croisées, un moyen de
transférer des fonds d’ une entité à l’ autre du groupe. Les filiales devraient donc présenter des
valeurs de crédits clients et fournisseurs supérieures à celles des jumelles. L’ hypothèse 7 est
confirmée par les résultats du tableau 22. Le crédit clients118, (Client), s’ élève en moyenne à
83.21 (80.41) jours pour les filiales, et à 67.11 (63.81) jours pour les sociétés non affiliées : le
test de différence de moyennes est significatif au seuil de 1%. De même, le crédit
fournisseurs, (Fourni), correspond à 84.92 (73.72) jours pour les filiales, et à 72.08 (66.64)
jours pour les autres firmes : ce résultat est également significatif à 1%. Même si la différence
n’ est pas significative, il faut noter que la valeur du ratio (Créance) est supérieure pour
l’ échantillon de filiales.
Les ratios d’ indépendance et d’ autonomie financières mesurent la proportion des fonds
propres, par rapport, respectivement, au total des ressources durables et au total du bilan. Ces
deux ratios, (Indéfi) et (Autofi), sont significativement plus faibles (à 1%) pour les filiales que
pour les sociétés indépendantes. De plus, les indicateurs de liquidité119 sont plus élevés pour
les sociétés indépendantes que pour les filiales. En moyenne, la liquidité réduite (LiquiR)
s’ établit à 1.24 (1.13) pour les filiales et à 1.33 (1.17) pour les jumelles ; de même, la liquidité
générale (LiquiG) est égale à 1.61 (1.36) pour les filiales, et à 1.71 (1.47) pour les autres
firmes. Ces deux résultats sont significatifs à 5%.
2.2.7 Considérations fiscales
La direction d’ un groupe peut réaliser une gestion active des résultats de ses filiales pour
minimiser la charge d’ imposition de chacune. Cet avantage est lié notamment à la possibilité
118
: Les crédits clients et fournisseurs sont calculés comme suit : (Clients+EENE / CA TTC)*360 ; (Fournisseurs
/ Achats TTC)*360.
188
de transférer les fonds d’ une entité à l’ autre. Outre le crédit interentreprises et les
participations croisées, des prix de cession interne avantageux et une centralisation efficace
des achats et des ventes au sein de la structure de groupe peuvent représenter des moyens
pertinents pour tenter de minimiser les résultats comptables et diminuer les charges
d’ imposition. Dans le même temps, ce phénomène est potentiellement un instrument
d’ expropriation de richesse des minoritaires à la disposition de la direction du groupe.
Pour juger de l’ importance de ces considérations fiscales, nous avons vérifié si les filiales
payaient proportionnellement moins d’ impôts et taxes, en valeur absolue, que les sociétés
indépendantes. La moyenne du montant total d’ impôts et taxes, (Imp), s’ avère être quasiment
identique pour les deux sous-échantillons. Cependant, si l’ on examine certains postes
comptables souvent laissés à la discrétion des dirigeants et pouvant influencer le montant du
résultat net, des différences significatives apparaissent entre les deux sous-échantillons. C’ est
le cas notamment pour le total des dotations aux amortissements rapporté au total de l’ actif
immobilisé, (Dot) : la moyenne de ce ratio s’ élève à 8.7% (7.3%) pour les filiales et seulement
6.5% (5.3%) pour les jumelles (différence significative à 1%). De plus, la moyenne du ratio
(Chexc) est significativement plus élevée (à 1%) pour l’ échantillon de filiales que pour celui
de sociétés indépendantes : 4.1% (1.3%) contre 2.4% (0.9%). En conclusion, même si elles ne
parviennent pas à diminuer la charge totale d’ impôts, les filiales semblent gérer activement
leurs résultats comptables.
2.3 Synthèse des résultats issus des tests univariés
Cette analyse détaillée des données comptables de chaque sous-échantillon permet de dégager
des conclusions stables sur les différences de comportement financier entre les filiales et les
sociétés non contrôlées. Ainsi, par rapport à des sociétés indépendantes comparables, les
filiales de l’ échantillon :
-
possèdent des performances significativement moins élevées ; ce résultat concerne non
seulement les indicateurs marge mais également ceux mesurant la rentabilité financière ;
-
présentent des ratios d’ endettement financier, externe et total, significativement plus
élevés ; ce résultat est valable pour les dettes à long terme et à court terme ;
119
: Les indicateurs de liquidité générale et réduite sont calculés par les ratios : (Actif circulant net – Stocks
nets)/Dettes CT ; Actif circulant net/Dettes CT.
189
-
possèdent significativement moins d’ immobilisations financières dans le total de l’ actif
immobilisé ;
-
investissent significativement plus ; ce résultat concerne l’ investissement total, et
l’ investissement en actifs tangibles ;
-
utilisent significativement plus les crédits clients et fournisseurs (crédit interentreprises) ;
-
présentent des ratios d’ autonomie et d’ indépendance financières, et des indicateurs de
liquidité significativement plus faibles ;
-
opèrent une gestion active des résultats comptables sans parvenir à minimiser la charge
totale d’ impôts.
Ainsi, sans être définitives, plusieurs conclusions émergent de ces statistiques descriptives :
-
le degré de contraintes financières semble être plus faible pour les filiales que pour les
sociétés indépendantes ;
-
la structure de groupe permet la création d’ un marché interne actif, où les échanges
financiers entre filiales s’ opèrent surtout par l’ intermédiaire de la dette intragroupe et du
crédit interentreprises ;
-
l’ hypothèse d’ efficience des marchés internes pourrait être rejetée sur cet échantillon de
filiales : en effet, celles-ci investissent proportionnellement plus, pour des performances
financières significativement plus faibles120.
Les conclusions issues des tests univariés ont une portée limitée, puisqu’ elles ne
correspondent qu’ à des constats descriptifs. Aucun lien de causalité entre l’ existence de la
dette intragroupe et les particularités de la situation financière des filiales n’ est établi à ce
stade de l’ analyse121. Pourtant, il est nécessaire de déterminer si ces résultats correspondent
aux relations attendues par les hypothèses évoquées dans la section 3 du chapitre 1. Le tableau
23 résume les validations et les infirmations des hypothèses à partir des résultats des tests
univariés précédents :
120
: Cette conclusion est semblable à celle de Shin et Park (1999) sur les caractéristiques financières d’ un
échantillon de filiales coréennes : par rapport à des firmes non affiliées, ces dernières possèdent des opportunités
d’ investissement plus faibles, des ratios d’ endettement plus élevés et pourtant, elles investissent
proportionnellement plus.
121
: Le relation entre l’ utilisation de la dette intragroupe et les performances financières est analysée dans la
section 3 de ce chapitre. Il faut donc rester prudent quant à l’ interprétation de la validation empirique du
phénomène d’ inefficience.
190
Tableau 23 : Synthèse des validations empiriques à partir des tests univariés
Hypothèses de recherche
Validation empirique
H1 : Les sociétés bénéficiant de dette intragroupe
investissent plus que des sociétés indépendantes
comparables.
Hypothèse validée pour les investissements totaux et
les investissements en actifs tangibles.
H4 : Les sociétés affiliées aux groupes présentent des
ratios d’ endettement totaux plus élevés que ceux de
sociétés indépendantes comparables.
Hypothèse validée pour les dettes à long terme et à
court terme.
H6 : Le pourcentage d’ immobilisations financières
dans le total de l’ actif est plus élevé pour les filiales
que pour les sociétés non contrôlées.
Hypothèse rejetée.
H7 : Les crédits clients et fournisseurs sont plus
importants pour les filiales que pour les sociétés non
contrôlées.
Hypothèse validée.
H8 : Les performances financières des filiales sont
supérieures à celles des sociétés non contrôlées.
Hypothèse rejetée pour les indicateurs de rentabilité
économique, de rentabilité financière et de marge.
La section 2 est consacrée à l’ analyse des degrés de contraintes financières que subissent les
firmes des deux sous-échantillons. A partir d’ un modèle d’ investissement, les tests présentés
tentent de valider l’ hypothèse d’ une levée des contraintes financières grâce à l’ utilisation de la
dette intragroupe.
Section 2 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières : test empirique à
partir d’un modèle d’investissement
La section 2 se concentre sur l’ étude de l’ influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur
le degré de contraintes financières des filiales. Les contraintes financières proviennent d’ une
différence de coûts significative entre les ressources internes et les fonds externes destinés au
financement des investissements. L’ existence de contraintes financières crée un problème de
sous-investissement : lorsque le degré de contraintes financières est élevé, une firme ne peut
financer l’ ensemble des projets d’ investissement à VAN positive dont elle dispose.
Depuis l’ article de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), le degré de contraintes financières est
mesuré par l’ intensité de la relation investissement/cash-flows, à partir de modèles
d’ investissement. Cette méthodologie empirique suppose une relation monotone croissante
191
entre le niveau de contraintes financières et la relation investissement/cash-flows. Cependant,
plusieurs auteurs remettent en cause ce résultat empirique et démontrent l’ existence d’ une
relation non linéaire entre les deux phénomènes (Kaplan et Zingales, 1997, Matsusaka et
Nanda, 2000) : plus spécifiquement, l’ intensité des contraintes financières et la relation
investissement/cash-flows varieraient en fonction du montant des fonds internes disponibles.
L’ objectif des tests présentés dans cette section est de prouver que l’ utilisation de dette
intragroupe de la part des filiales permet une levée partielle des contraintes financières. Ainsi,
la relation entre le niveau d’ investissement et le montant des cash-flows devrait être
significativement positive pour l’ échantillon de sociétés indépendantes, et non significative
pour l’ échantillon de filiales. De plus, pour vérifier l’ hypothèse sur le caractère non monotone
de la relation, les tests sont répétés en segmentant les deux sous-échantillons en fonction du
montant des cash-flows disponibles.
Il est également intéressant de confronter les niveaux d’ endettement interne et externe des
filiales de l’ échantillon. En effet, le recours à la dette intragroupe offre d’ une part la
possibilité à la firme bénéficiaire de modérer son endettement financier externe (baisse du
besoin en fonds externes), et d’ autre part, grâce à la garantie que représentent les actifs
tangibles des autres sociétés du groupe, il permet à la firme affiliée de collecter
proportionnellement plus de fonds externes. Un modèle de structure de capital, tentant
d’ expliquer le niveau d’ endettement financier externe, est donc construit pour tester le
caractère substituable ou complémentaire des deux formes d’ endettement.
Cette section débute par la présentation des modèles d’ investissement classiques. La structure
du modèle de régression testé dans cette recherche est ensuite détaillée. Les premiers résultats
empiriques sont analysés dans le paragraphe suivant ; ceux-ci sont complétés par une analyse
plus détaillée à partir d’ une segmentation des échantillons en fonction du montant des fonds
internes disponibles. Enfin, les résultats sur la relation liant les niveaux d’ endettement interne
et externe sont exposés.
192
I – Analyse des modèles d’ investissement
1.1 Structure des modèles généraux existants
La littérature empirique distingue quatre catégories de modèles d’ investissement : le modèle
néo-classique, le modèle « d’ accélérateur », le modèle Q de Tobin et l’ équation d’ Euler122. La
méthode de construction des équations d’ Euler n’ est pas analysée dans ce paragraphe ;
plusieurs articles offrent une présentation détaillée de ces modèles (Whited, 1992 ; Gilchrist et
Himmelberg, 1995 ; Hubbard, Kashyap et Whited, 1995). Tous les modèles présentés dans
cette section intègrent une variable de cash-flows même s’ ils n’ en comportaient pas dans leur
version originale.
Dans le modèle néo-classique, le coût du capital de la firme est le principal déterminant du
niveau d’ investissement :
(I/K)it = ai + b.(C/K)it + c.(C/K)it-1 + d.(CF/K)it + εit
Avec :
Iit : le niveau d’ investissement de la firme i à l’ instant t ;
K : le capital total ;
C : le coût du capital ;
CF : montant des cash-flows.
Bien que les investissements actuels génèrent des fonds futurs, ce modèle n’ inclut pas de
variables calculées ex post.
De même, le modèle « d’ accélérateur »123 ne comprend pas de mesures du potentiel de
croissance de la firme et suppose que l’ investissement croît avec le total des ventes :
122
: Pour une revue de littérature complète sur les modèles d’ investissement, se reporter à Chirinko (1993).
: La notion d’ accélérateur financier provient de travaux récents en macroéconomie, cherchant des pistes pour
expliquer les fluctuations des cycles économiques sans mettre en cause exclusivement les chocs liés à la
production comme seul facteur explicatif. Le mécanisme d’ accélérateur repose sur la notion que les
imperfections liées au fonctionnement du marché financier amplifient et propagent les chocs économiques. En
présence d’ un tel phénomène, toute récession conduit à détériorer la rentabilité des entreprises, diminuant ainsi
les fonds générés par l’ activité et le montant des actifs : ceci entraîne une détérioration des termes de crédit car
les firmes emprunteuses éprouvent des difficultés à signaler la vraie valeur de leurs opportunités
123
193
(I/K)it = ai + b.(S/K)it + c.(S/K)it-1 + d.(CF/K)it + εit
Avec :
S : le total des ventes.
Une des critiques fondamentales de ces deux modèles réside dans le fait qu’ une relation
positive et significative entre investissement et cash-flows n’ est pas forcément synonyme de
contraintes de liquidité. Elle peut représenter la relation existant entre les investissements
présents et la rentabilité attendue des opportunités à venir. Le montant des investissements
actuels dépend en effet des cash-flows présents et futurs. C’ est pourquoi, les auteurs étudiant
la pertinence du concept de contraintes financières ont inclus dans les modèles d’ analyse un
indicateur de mesure des opportunités d’ investissement, le facteur Q de Tobin.
La structure générale des modèles Q d’ investissement se présente comme suit :
(I/K)it = ait + b.Qit + c.(CF/K)it + εit
124
Avec :
Q : Valeur de marché des actifs / Coût de remplacement des actifs.
Un coefficient c positif et significatif indique l’ existence de contraintes financières. Au
contraire, si ce coefficient est non significatif, la firme a la possibilité de collecter des fonds
externes suffisants, et ceci à un coût raisonnable : si la variable « cash-flows » ne possède pas
un pouvoir explicatif déterminant sur le niveau d’ investissement de la firme, celle-ci ne subit
pas de contraintes financières significatives.
Cette équation du modèle Q est la plus fréquemment utilisée dans la littérature empirique
(Devereux et Schiantarelli, 1989 ; Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991 ; Oliner et Rudebusch,
1992 ; Schaller, 1993 ; Himmelberg et Petersen, 1994 ; Vogt, 1994).
d’ investissement. De plus, si les conditions de crédit se font de moins en moins favorables pour les entreprises,
celles-ci contractent leurs dépenses d’ investissement, et le mouvement récessif se prolonge dans le temps.
124
: Cette équation est celle testée par Fazzari, Hubbard et Petersen (1998) sur un échantillon de 421 firmes
industrielles américaines entre 1970 et 1984.
194
D’ autre part, Fazzari et Petersen (1993) et Lhabitant et Tinguely (1999) intègrent dans le
modèle de référence une mesure de la variation du BFR de la firme. Modifier son niveau
d’ investissement est une décision coûteuse pour une firme. Si une firme subit des contraintes
financières externes, une baisse des cash-flows implique soit un coût de financement
supplémentaire, soit une réduction de ses investissements productifs. Pourtant, une alternative
moins pénalisante serait de diminuer son niveau d’ investissement en limitant la valeur de ses
actifs à court terme, et, par conséquent, le montant du BFR. Ainsi, le signe attendu du terme
mesurant la variation de BFR est négatif : une baisse du BFR augmente la disponibilité en
fonds internes.
1.2 Modèle d’ analyse et calcul des variables
Le modèle de régression (3) utilisé dans cette section repose sur l’ équation suivante :
(Iit / Ait-1) = ait + b.(CFit / Ait-1) + c.(CAit / Ait-1) + d.(CAit-1 / Ait-2) + e.(ROAit) + f.(ROAit-1) +
g.(IMOit / Ait-1) + εit (3)
La variable dépendante (Iit / Ait-1) représente le niveau d’ investissement de la firme i pour
l’ exercice t. Le dénominateur est égal à la valeur du total de l’ actif brut de la firme i pour
l’ exercice t-1. Deux variables dépendantes distinctes sont construites : la première (VARic)
mesure le taux de variation du total des immobilisations corporelles entre t-1 et t
(investissement en actifs tangibles), la seconde (VARib) représente le taux de variation du
total des immobilisations brutes entre t-1 et t125 (investissement total).
La variable (CFit / Ait-1) mesure le montant des cash-flows disponibles pour l’ exercice t. Les
cash-flows sont obtenus à partir de la formule : CAF avant répartition – versement de
dividendes – variation du BFR. Les souscriptions et les remboursements d’ emprunts externes
de l’ exercice, à long terme et court terme, ne sont pas pris en compte. De même, le calcul
exclut la valeur des cessions et des acquisitions d’ actifs de la période (Deloof, 1998)126.
125
: D’ autres tests à partir du taux de variation du total des immobilisations financières (VARif) ont été réalisés :
le coefficient de la variable « cash-flows » étant très faible et non significatif, quel que soit l’ échantillon
considéré, les résultats ne sont pas reportés.
126
: Les études empiriques existantes utilisent différentes formules pour mesurer le montant des cash-flows. On
peut citer par exemple : Résultat d’ exploitation + amortissement (Shin et Park, 1999) ; Résultat net +
amortissement – dividendes (Praet, 2002) ; RCAI + amortissement (Vogt, 1994).
195
Les deux variables (CAit / Ait-1) et (CAit-1 / Ait-2) mesurent le niveau du chiffre d’ affaires pour
les exercices t et t-1, et sont intégrées au modèle de régression pour prendre en compte un
éventuel effet d’ accélérateur. Ce dernier relie la demande en capital et les variations de la
production et des ventes de la firme. Le principe d’ accélérateur repose sur des hypothèses
théoriques très simples, mais les modèles d’ investissement intégrant ces variables sont
souvent plus performants sur le plan empirique que des modèles beaucoup plus sophistiqués.
Une variable mesurant la variation du chiffre d’ affaires (VarCA) est également ajoutée au
modèle : cet indicateur permet de vérifier si l’ investissement des deux populations de firmes
réagit de la même manière aux variations du taux de croissance de l’ activité.
D’ autre part, le modèle comporte deux indicateurs de mesure des opportunités
d’ investissement. Traditionnellement, le calcul du Q de Tobin permet d’ obtenir une
approximation de la valeur des opportunités d’ investissement ; cependant, les sociétés de
l’ échantillon d’ étude n’ étant pas cotées, il est impossible de calculer ce ratio. Pour contourner
ce problème, nous suivons la méthodologie de Strong et Meyer (1990) et Deloof (1998) qui
utilisent le « ROA » pour les exercices t et t-1, comme variables d’ opportunités
d’ investissement. Le « ROA » est mesuré par le ratio (Résultat net/ actif net). La valeur de ce
ratio pour l’ année t-1 reflète l’ information passée dont dispose le manager sur les
performances récentes de la firme ; ce même ratio calculé pour l’ année en cours correspond à
une approximation de la rentabilité attendue des investissements à venir.
Enfin, une autre variable de contrôle est incluse dans le modèle, (IMOit / Ait-1). Cette variable
générale est déclinée en deux variables explicatives, mesurant respectivement le total des
immobilisations brutes de l’ exercice t (IMOb), et les immobilisations financières (IMOf)127,
dans le total de l’ actif brut. La première variable est un indicateur de taille : les firmes de
petite taille connaissent des taux de croissance supérieurs à ceux des grandes firmes. De plus,
la productivité marginale et l’ investissement devraient diminuer au fur et à mesure de
l’ accumulation du capital.
Le pourcentage d’ immobilisations financières (IMOf) est introduit dans le modèle, car une
variation de la proportion d’ immobilisations financières peut entraîner une relation positive
127
: Ces deux variables ne sont pas introduites simultanément dans les modèles car elles sont fortement corrélées
entre elles.
196
entre l’ investissement et les cash-flows qui ne provienne pas de l’ existence de contraintes
financières. En effet, le montant des cash-flows et le niveau d’ investissement sont tous les
deux corrélés négativement à la proportion d’ immobilisations financières (Deloof, 1998). Si
l’ on considère la relation entre les immobilisations financières et le niveau d’ investissement, il
faut souligner que les actifs financiers ne se déprécient pas : les firmes ayant une part élevée
d’ actifs financiers présentent un ratio (Investissement de remplacement/total de l’ actif) plus
faible, toutes choses égales par ailleurs. De même, si l’ on s’ intéresse à la relation entre les
immobilisations financières et les cash-flows, on peut remarquer que les actifs financiers sont
utilisés pour financer des activités à l’ extérieur de la firme. La firme reçoit alors le revenu net
de ces activités sous forme de dividendes et d’ intérêts. En comparaison, les actifs tangibles
génèrent non seulement des revenus nets, mais aussi des fonds qui pourront être réinvestis
pour remplacer les immobilisations obsolètes. Ainsi, les firmes possédant une proportion
significative d’ immobilisations financières génèrent moins de cash-flows, encore une fois
toutes choses égales par ailleurs.
Toutes les variables du modèle (3) sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf celle
mesurant le chiffre d’ affaires t-1 (divisée par le total de l’ actif brut en t-2), et celles mesurant
les opportunités d’ investissement (divisées respectivement par le total de l’ actif net en t et t1).
II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières : résultats empiriques
Le modèle d’ investissement est appliqué aux deux sous-échantillons, afin de comparer le
degré de contraintes financières des filiales et des jumelles.
2.1 Sensibilité investissement/cash-flows
Les résultats concernant l’ intensité de la relation investissement/cash-flows sont reportés dans
les tableaux 24 et 25. L’ utilisation de la dette intragroupe constitue le critère de classification
des firmes et une mesure à priori du niveau de contraintes financières.
197
Tableau 24 : Contraintes financières et sensibilité investissement/cash-flows (I)
La variable dépendante des trois modèles est (VARic), elle représente le taux de variation du total des
immobilisations corporelles entre t-1 et t. Pour chaque sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La
variable cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF – Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1)
représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net en t et t-1. (VarCA) est la variation du chiffre
d’ affaires entre t-1 et t. Les variables (IMOb) et (IMOf) correspondent respectivement aux montants bruts du
total des immobilisations et des immobilisations financières. Toutes ces variables sont divisées par le total de
l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut t-2. La valeur de la statistique
t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%.
Variables
Constante
CF
CAt
CAt-1
Filiales
(1)
0.006
(0.138)
0.008
(0.192)
0.200
(3.747)**
-0.142
(-3.033)**
VarCA
(2)
0.002
(0.332)
0.009
(0.778)
-
IMOf
0.201
(4.257)**
-
0.212
(5.263)**
0.251
(6.158)**
-
R² ajusté128
F de Fischer129
Durbin - Watson130
0.098
16.047**
1.824
0.118
25.696**
1.860
IMOb
(3)
0.007
(0.318)
0.006
(0.146)
0.341
(6.981)**
-0.174
(-3.713)**
-0.098
(-2.227)*
0.077
12.488**
1.804
128
Jumelles
(1)
-0.047
(-5.522)**
0.067
(1.724)°
0.200
(3.212)**
-0.036
(-0.571)
(2)
-0.033
(-5.119)**
0.084
(1.987)*
-
0.422
(10.09)**
-
0.183
(4.712)**
0.387
(9.907)**
-
0.167
28.726**
1.711
0.175
39.973**
1.741
(3)
0.028
(4.930)**
0.108
(2.567)*
0.132
(1.968)*
-0.139
(-2.07)*
-0.075
(-1.771)°
0.025
4.564**
1.813
: Le R² ajusté tient compte du nombre d’ observations et du nombre de variables explicatives : il permet ainsi
la comparaison du pouvoir explicatif de plusieurs modèles de régression.
129
: Le test F constitue un autre moyen pour apprécier la validité et la pertinence de l’ ensemble des variables
indépendantes. Le calcul de F est fondé sur l’ observation de la part de la variance de Y expliquée par la
régression, relativement à la variance non expliquée (F = Variance factorielle / Variance résiduelle). Le t de
Student est calculé pour chaque variable, alors que F est calculé sur l’ ensemble du modèle.
130
: Le test de Durbin – Watson permet d’ évaluer l’ autocorrélation des résidus. L’ une des hypothèses de
l’ analyse de régression est qu’ il n’ y a pas de corrélation entre les statistiques consécutives. La valeur théorique
de la statistique de Durbin – Watson est de 2.
198
Tableau 25 : Contraintes financières et sensibilité investissement/cash-flows (II)
La variable dépendante des trois modèles est (VARib), elle représente le taux de variation du total des
immobilisations brutes entre t-1 et t. Pour chaque sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La variable
cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF – Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1)
représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net en t et t-1. (VarCA) est la variation du chiffre
d’ affaires entre t-1 et t. Les variables (IMOb) et (IMOf) correspondent respectivement aux montants bruts du
total des immobilisations et des immobilisations financières. Toutes ces variables sont divisées par le total de
l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut t-2. La valeur de la statistique
t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%.
Variables
Constante
CF
CAt
CAt-1
Filiales
(4)
-0.006
(-0.107)
0.056
(1.328)
0.185
(3.350)**
-0.030
(-0.613)
VarCA
(5)
0.093
(2.499)*
0.041
(0.890)
-
IMOf
0.054
(1.105)
-
0.165
(3.922)**
0.118
(2.774)**
-
R² ajusté
F de Fischer
Durbin - Watson
0.036
6.198**
2.064
0.043
9.198**
2.075
IMOb
(6)
-0.0005
(-0.010)
0.028
(0.650)
0.189
(3.790)**
-0.034
(-0.718)
0.084
(1.872)°
0.040
6.793**
2.085
Jumelles
(4)
-0.490
(-2.236)*
0.074
(1.768)°
0.156
(2.328)*
-0.076
(-1.124)
(5)
-0.368
(-2.203)*
0.079
(1.889)°
-
0.165
(3.662)**
-
0.128
(3.050)**
0.153
(3.628)**
-
0.032
5.521**
1.854
0.039
8.398**
1.861
(6)
0.286
(1.773)°
0.090
(2.121)*
0.141
(1.983)*
-0.115
(-1.704)°
-0.011
(-0.247)
0.021
4.132*
1.894
Dans les équations (1), (2) et (3), la variable dépendante représente le taux de variation des
immobilisations corporelles (VARic), et mesure le niveau d’ investissement en actifs tangibles
des deux catégories de firmes. Pour l’ échantillon de firmes ayant recours à la dette
intragroupe (filiales), le coefficient de la variable cash-flows (CF) est positif et non
significatif dans les trois équations. A l’ inverse, pour l’ échantillon de firmes non contrôlées,
ne bénéficiant pas de dette intragroupe, cette même variable présente un coefficient positif et
significatif au seuil de 5% dans les équations (2) et (3), et faiblement significatif (à 10%) dans
la première équation.
La variable (VARib) correspond au taux de variation de l’ actif immobilisé brut : elle mesure le
taux d’ investissement total des sociétés de l’ échantillon et constitue la variable dépendante
des équations (4), (5) et (6). On retrouve la tendance observée dans les trois premières
équations : la variable (CF) a une influence positive et non significative pour l’ échantillon de
firmes bénéficiant de dette intragroupe, alors que les coefficients de cette variable sont
positifs et significatifs pour les autres firmes non contrôlées (à 10% dans les équations (4) et
(5), et à 5% dans l’ équation (6)). Une autre série de tests a été réalisée en calculant le taux de
199
variation des immobilisations financières (investissement en actifs financiers) : les résultats ne
sont pas rapportés car aucune régression n’ indique un coefficient significatif pour la variable
(CF). Ainsi, la disponibilité en fonds internes ne représente pas un déterminant important du
niveau d’ investissement en actifs financiers, pour les deux catégories de firmes.
L’ intensité de la relation investissement/cash-flows n’ est pas identique entre les deux souséchantillons. Les résultats mettent en évidence une dépendance moins importante du niveau
d’ investissement total et productif vis-à-vis des fonds internes générés pour l’ échantillon de
filiales. Ainsi, le recours à la dette intragroupe constitue une source de financement
supplémentaire à moindre coût permettant d’ assouplir le degré de contraintes financières des
firmes contrôlées. A l’ inverse, les firmes n’ ayant pas accès aux ressources du marché interne
subissent des contraintes financières significatives. Ces conclusions corroborent les
hypothèses 2 et 3 de cette recherche. Pour tester la validité de ces résultats, une variable
mesurant le niveau des cash-flows pour l’ année précédente (CFt-1) a également été testée : les
résultats, non rapportés, sont similaires à ceux évoqués précédemment.
Ces résultats concordent avec les conclusions de plusieurs tests empiriques, prenant comme
instrument de mesure à priori du niveau de contraintes financières l’ appartenance à un groupe.
C’ est le cas notamment des articles de Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991) pour le marché
japonais et l’ appartenance à un Keiretsu, de Cho (1995) et Shin et Park (1999) sur le marché
coréen, et de Khanna et Palepu (2000) sur le marché indien. A l’ exception de Khanna et
Palepu (2000), tous les autres tests évoquent une relation investissement/cash-flows positive
et non significative pour les firmes membres de groupe, et une relation positive et
significative pour les autres firmes des échantillons d’ étude. Si la sensibilité
investissement/cash-flows est une mesure pertinente du degré de contraintes financières, il
semble que l’ appartenance à un groupe réduise le degré de contraintes financières.
Seul le test de Deloof (1998) compare un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe,
et un échantillon de firmes se finançant exclusivement en externe. Les résultats sont
semblables aux nôtres : la relation investissement/cash-flows est non significative pour les
firmes disposant de dette intragroupe, ceci pour le taux d’ investissement total, et le taux
d’ investissement productif. De même, le taux d’ investissement en actifs financiers n’ est pas
influencé par le niveau des cash-flows, quel que soit l’ échantillon considéré.
200
2.2 Influence des variables de contrôle sur les niveaux d’ investissement
Si l’ on s’ intéresse aux coefficients des variables de contrôle, il faut noter que la variable (CAt)
présente des coefficients positifs et significatifs aux seuils de 5% et 1% dans les équations (1),
(3), (4) et (6), pour les deux sous-échantillons. Ainsi, une augmentation de la croissance des
ventes de l’ année en cours entraîne une augmentation des différents niveaux d’ investissement.
A l’ inverse, la coefficient de la variable (CAt-1) est significativement négatif pour l’ échantillon
de filiales dans les équations (1) et (3) dans l’ explication des variations du niveau
d’ investissement en actifs tangibles (à 1%), et pour l’ échantillon de jumelles dans les
équations (3) et (6). Dans les autres équations, le signe est également négatif sans être
significatif. Une hausse des ventes au cours de l’ exercice t-1 influence négativement les
niveaux d’ investissement de l’ exercice t.
Le taux de croissance de l’ activité a une influence positive et significative sur les différents
niveaux d’ investissement : les coefficients de la variable (VarCA) sont positifs et significatifs
dans les équations (2) et (5), au seuil de 1%. Cependant, l’ intensité de la relation ne permet
pas de distinguer les deux sous-échantillons, et notamment, il ne semble pas que
l’ investissement soit plus réactif à la croissance pour l’ échantillon de jumelles.
Deloof (1998) relève des coefficients positifs et significatifs concernant les deux variables
mesurant le niveau des ventes pour les exercices t et t-1, pour les deux sous-échantillons
d’ étude. Shin et Park (1999) rapportent quant à eux des coefficients négatifs et non
significatifs pour le ratio mesurant la variation des ventes entre t-1 et t. Les autres études
empiriques mesurant la sensibilité investissement/cash-flows, et reposant sur d’ autres
méthodes de classification à priori des firmes, évoquent également des résultats contrastés.
Les résultats du test de Vogt (1994) indiquent un coefficient positif et significatif pour le
niveau des ventes de l’ exercice en cours. Les équations du modèle utilisé par Praet (2002)
révèlent des coefficients instables et peu significatifs. Les résultats concernant l’ influence du
niveau d’ activité sur l’ investissement sont donc contradictoires.
D’ autre part, dans les équations (1) et (4) sur les données des deux sous-échantillons, la
variable (IMOb) a une influence positive et significative (au seuil de 1%) sur les différents
niveaux d’ investissement (à l’ exception de l’ équation (4) pour l’ échantillon de filiales).
201
L’ hypothèse selon laquelle plus le capital accumulé est important, moins la firme tend à
investir n’ est pas vérifiée pour notre échantillon131. Ce résultat s’ oppose aux conclusions de
Deloof (1998). Si l’ on compare la nature des firmes de l’ échantillon de Deloof (1998) et celle
des firmes étudiées dans ce test, peu de différences significatives apparaissent. Seules les
périodes d’ étude sont très éloignées : 1989-1991 pour le test de Deloof (1998) et 1997-2001
pour ce test132.
Enfin, la part d’ immobilisations financières dans le total de l’ actif (IMOf) a une influence
significativement négative sur les niveaux d’ investissement (sauf dans l’ équation (6) pour
l’ échantillon de jumelles). Les résultats concernant les variables (ROAt) et (ROAt-1), mesurant
la valeur des opportunités d’ investissement, ne sont pas rapportés car l’ intégration de ces
variables dans le modèle d’ analyse entraîne une instabilité des coefficients des autres
variables explicatives (changements de signes et de significations), ceci en raison de
corrélations significatives entre ces variables et les autres variables explicatives du modèle (et
notamment la variable (CF)). Il semble que ces ratios de rentabilité ne soient pas des
indicateurs de mesure satisfaisants des opportunités d’ investissement à venir. En effet, elles
ne sont que marginalement significatives, et présentent des signes négatifs contraires aux
prédictions : une hausse des opportunités d’ investissement doit entraîner une augmentation du
niveau d’ investissement de la firme.
Globalement, les sociétés affiliées sont soumises à un degré moindre de contraintes
financières, ce qui se traduit par une faible sensibilité investissement/cash-flows. Cependant,
ces tests reposent sur une hypothèse sous-jacente contestée par plusieurs auteurs (Kaplan et
Zingales, 1997 ; Matsusaka et Nanda, 2000), qui suppose que la relation investissement/cashflows et le degré de contraintes financières évoluent de façon monotone. Le paragraphe
suivant tente, par l’ intermédiaire d’ une segmentation des deux sous-échantillons, de mettre en
évidence le caractère non monotone de la relation.
131
: L’ échantillon total est constitué de grandes sociétés, connaissant des taux de croissance élevés (+11.44% par
an en moyenne pour les filiales et +11.41% pour les jumelles) : ces firmes ne semblent pas avoir atteint une taille
« critique » à partir de laquelle l’ accumulation du capital tend à freiner l’ investissement (le total de l’ actif brut
pour les filiales s’ établit en moyenne à 31 088 k et 36 133 k pour les jumelles).
202
III – La relation investissement/cash-flows est-elle monotone ?
3.1 Modèle de Matsusaka et Nanda (2000) et segmentation des échantillons d’ étude
Les différentes études empiriques classent un échantillon de firmes à partir d’ un paramètre
financier (dividendes, ratio d’ endettement, taille…), censé représenter à priori le degré de
contraintes financières. Ensuite, les tests empiriques mettant en évidence des différences
d’ intensité dans la relation investissement/cash-flows sont interprétés comme la preuve de
l’ existence de degrés de contraintes financières variables. Kaplan et Zingales (1997) adressent
une critique sévère à la méthodologie classique, en soulignant qu’ aucun des tests existants n’ a
tenté de valider l’ hypothèse fondamentale, sans fondement théorique solide, qui suppose une
relation monotone entre la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes
financières. A partir de données qualitatives et quantitatives133, les auteurs reclassent les
firmes de l’ échantillon de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) en fonction du degré réel de
contraintes financières. Leurs résultats sont éloquents puisque les firmes classées comme étant
« non contraintes » possèdent en fait la plus grande sensibilité investissement/cash-flows.
Outre la question de savoir si la sensibilité investissement/cash-flows constitue un instrument
de mesure efficace des contraintes financières, la classification réalisée dans cette recherche
en fonction de l’ utilisation de la dette intragroupe semble pertinente, puisqu’ elle repose sur
des fondements théoriques valides (modèle de Gertner, Scharfstein et Stein, 1994).
Cependant, il est également possible que la sensibilité investissement/cash-flows dépende du
niveau des fonds internes disponibles : c’ est une des implications du modèle Matsusaka et
Nanda (2000). Plus précisément, les auteurs supposent que, lorsque les ressources internes
sont rares, la firme fait appel au marché externe, et, par conséquent, la relation
investissement/cash-flows n’ est pas significative. Au fur et à mesure que les fonds internes
disponibles augmentent, l’ intensité de la relation s’ accroît. Puis, lorsque les ressources sont
suffisamment élevées pour financer l’ ensemble des investissements disponibles, l’ intensité de
la relation redevient très faible. Les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000)
sont testées en scindant les deux sous-échantillons en quatre catégories de firmes, en fonction
du niveau de fonds internes disponibles. La premier quartile correspond aux firmes ayant les
132
: Les proportions d’ actif immobilisé et d’ immobilisations corporelles dans le total du bilan sont comparables
entre les deux études, et n’ apportent pas d’ éclairage sur les différences de résultats observées.
133
: Les données qualitatives incluent notamment les rapports des managers sur la liquidité actuelle et future des
firmes concernées. Les données quantitatives sont essentiellement : les ratios d’ endettement, les ratios de
203
cash-flows les plus faibles ; le quatrième correspond au contraire aux firmes disposant de
ressources internes très élevées. L’ équation testée reprend la structure du modèle (3). Seule
une variable dépendante est prise en compte, la variable (VARic). Les variables de contrôle
sont également identiques, mais une seule variable de structure de l’ actif est conservée,
(IMOb).
3.2 Sensibilité investissement/cash-flows et niveau de fonds internes disponibles
Le tableau 26 rapporte les résultats des différentes régressions ; les firmes sont réparties en
quatre quartiles, en fonction du niveau des cash-flows disponibles.
Tableau 26: Sensibilité investissement/cash-flows, en fonction du montant de fonds
internes disponibles
Les deux sous-échantillons sont segmentés en fonction de la valeur de la variable (CF) : le quartile 1 (4) est
composé des firmes disposant du plus faible (fort) montant de cash-flows. La variable dépendante est la variable
(VARic) qui représente le taux de variation du total des immobilisations corporelles entre t-1 et t. Pour chaque
sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La variable cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF
– Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1) représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net
en t et t-1. La variable (IMOb) correspond au montant brut du total des immobilisations. Toutes ces variables
sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut en
t-2. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** :
significatif à 1%.
FILIALES
Constante
CF
CAt
CAt-1
IMOb
R² ajusté
(F ; Durbin-Watson)
JUMELLES
Constante
CF
CAt
CAt-1
IMOb
R² ajusté
(F ; Durbin-Watson)
Quartile 1
0.006
(0.302)
0.093
(1.023)
0.146
(1.384)
-0.168
(-1.091)°
0.018
(0.175)
0.072
(3.679**; 1.986)
Quartile 1
-0.024
(-2.393)*
0.139
(1.733)°
0.290
(2.588)*
-0.045
(-0.393)
0.352
(4.167)**
0.134
(6.448**; 1.812)
Quartile 2
-0.187
(-6.682)**
0.072
(0.961)
0.453
(3.933)**
-0.013
(-0.112)
0.561
(7.627)**
0.372
(20.683**; 1.789)
Quartile 2
-0.012
(-1.018)
0.015
(0.181)
0.266
(1.199)
-0.099
(-0.450)
0.338
(3.773)**
0.080
(3.798**; 1.898)
Quartile 3
-0.121
(-4.049)**
0.019
(0.252)
0.361
(3.875)**
-0.024
(-0.258)
0.562
(6.857)**
0.264
(13.471**; 2.130)
Quartile 3
-0.012
(-0.864)
0.024
(0.294)
0.021
(0.153)
0.094
(0.685)
0.369
(4.175)**
0.090
(4.429**; 1.979)
Quartile 4
-0.015
(0.968)
0.213
(1.668)°
0.075
(0.564)
-0.241
(-2.744)**
0.258
(1.910)°
0.212
(10.441**; 1.848)
Quartile 4
-0.168
(-5.787)**
0.238
(3.445)**
0.050
(0.508)
0.054
(0.560)
0.622
(8.976)**
0.406
(25.067**; 2.051)
couverture, la présence de restrictions sur les dividendes et les réserves financières (cash-flows et lignes de crédit
204
Pour l’ échantillon de filiales, on constate que les coefficients de la variable (CF) sont positifs
et non significatifs pour les trois premiers quartiles. Si la sensibilité investissement/cash-flows
représente un instrument de mesure valide des contraintes financières, il semble que ce type
de firmes ne soit pas soumis à un degré de contraintes pouvant engendrer un phénomène de
sous-investissement. Seules les filiales disposant des fonds internes les plus élevés (quartile 4)
présentent une sensibilité faiblement significative (à 10%).
Si les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000) sont pertinentes, le coefficient de
la variable (CF) devrait être significatif pour les jumelles appartenant aux quartiles 2 et 3, et,
au contraire, non significatif pour les quartiles 1 et 4. Or, les résultats issus du tableau 26
montrent exactement l’ inverse. La variable (CF) est faiblement significative (à 10%) pour les
jumelles du premier quartile. Le pouvoir explicatif de la variable (CF) semble largement plus
important pour les jumelles du quatrième quartile, avec un coefficient positif et significatif à
1%. D’ ailleurs, la représentativité du modèle est beaucoup plus élevée pour le quartile 4 (R²
égal à 0.406), par rapport aux quartiles 2 et 3 (0.080 et 0.090) ; de même, le pouvoir explicatif
pour le premier quartile est proportionnellement plus fort (R² égal à 0.134). La relation
investissement/cash-flows n’ est pas significative pour les jumelles appartenant aux quartiles 2
et 3, ces firmes possédant des niveaux moyens de fonds internes disponibles. Ces résultats
tendent à prouver que la sensibilité investissement/cash-flows dépend étroitement du montant
des cash-flows dégagés par la firme, et surtout, que cette relation n’ est pas monotone. Même
si les résultats semblent infirmer les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000),
ils appuient tout de même leur conclusion générale, selon laquelle les tests empiriques doivent
prendre en compte le caractère non monotone de la relation, et, de ce fait, considérer la
variabilité des paramètres financiers134. Ceci est valable pour les cash-flows, mais également
pour le niveau d’ endettement (Whited, 1992) et la taille de la firme (Vogt, 1994). D’ autre
part, les résultats précédents peuvent provenir de niveaux d’ investissement différents entre les
jumelles de l’ échantillon : plus spécifiquement, celles appartenant au quartile 4 pourraient
également être celles qui investissent le plus, ceci pouvant expliquer la forte corrélation entre
le niveau d’ investissement et les cash-flows. Le test de Kashyap, Lamont et Stein (1994)
repose sur une classification à priori d’ un échantillon de firmes américaines en fonction du
niveau de fonds internes disponibles : leurs résultats indiquent que les firmes disposant des
inutilisées).
134
: Cette conclusion s’ applique également aux tests empiriques traitant de l’ allocation interne des fonds au sein
des structures conglomérales.
205
plus faibles montants de cash-flows sont aussi celles qui sont soumises à un degré de
contraintes financières significatif. Cette conclusion s’ oppose à celle de notre étude.
Si l’ on s’ intéresse aux variables de contrôle, les résultats issus du tableau 26 correspondent à
ceux évoqués dans le paragraphe précédent. La valeur du chiffre d’ affaires de l’ année en
cours a une influence positive sur les niveaux d’ investissement des deux types de firmes : le
coefficient de la variable (CAt) est significatif pour les quartiles 2 et 3 de l’ échantillon de
filiales, et pour le quartile 1 de l’ échantillon de jumelles. Le montant du chiffre d’ affaires de
l’ année précédente (CAt-1) présente des coefficients négatifs et non significatifs. Enfin, la
proportion d’ immobilisations dans le total du bilan (IMOb) a un impact positif et fortement
significatif sur les niveaux d’ investissement des deux catégories de firmes : l’ accumulation
progressive du capital ne constitue pas un frein à l’ investissement.
En résumé, la segmentation en fonction du niveau de fonds internes disponibles corrobore
également l’ hypothèse de levée partielle des contraintes financières pour les firmes utilisant la
dette intragroupe. En effet, la relation investissement/cash-flows est plus significative pour les
jumelles que pour les filiales. Cependant, ces tests plus détaillés montrent que :
-
la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas monotone, et dépend de nombreux
paramètres financiers ;
-
les contraintes financières touchent plus particulièrement les jumelles possédant des
niveaux de fonds internes anormalement faibles ou élevés (quartiles 1 et 4).
Le paragraphe suivant se concentre sur l’ interaction entre les modes d’ endettement interne et
externe. L’ objectif est de déterminer si l’ utilisation de la dette intragroupe de la part des
filiales modifie leur politique d’ endettement externe : il s’ agit de vérifier si la dette
intragroupe est un substitut ou, au contraire, un complément à la dette financière externe
classique.
IV – Utilisation de la dette intragroupe et politique d’ endettement externe des filiales
4.1 Spécificité de la dette intragroupe et théories de structure de capital
La dette intragroupe représente une alternative de financement supplémentaire pour les
sociétés membres. Le cadre théorique de référence pour l’ analyse du financement à long
206
terme provient des théories de structure de capital, déjà évoquées dans la partie 1. Il apparaît
alors naturel de s’ interroger sur l’ interaction entre la spécificité de la dette intragroupe et les
prédictions des théories du compromis et de financement hiérarchique.
La valeur du ratio optimal d’ endettement est-elle affectée par le recours à l’ endettement
interne ? En théorie, le ratio cible dépend des coûts et bénéfices qui découlent de la dette
externe. La dette intragroupe a pour caractéristique principale le fait que le prêteur (la
direction du groupe) soit également propriétaire d’ une part majoritaire de l’ entité bénéficiaire
des fonds. Dans ce cas, les coûts de faillite liés à ce type d’ endettement sont minimisés, au
même titre que la probabilité de défaillance ; dans le même temps, l’ emprunt « en interne »
donne lieu au paiement de charges d’ intérêts, qui réduisent l’ impôt total. Ces deux arguments
tendent à prouver que les bénéfices attachés à la dette interne sont identiques à ceux de
l’ endettement externe, alors que les coûts liés à cette forme originale d’ endettement sont
quant à eux moins importants. La dette intragroupe a donc pour conséquence une hausse de la
valeur du ratio optimal d’ endettement total. Cette idée est confirmée si l’ on prend en compte
les coûts d’ agence liés à la dette. L’ endettement intragroupe minimise dans ce cas les conflits
d’ intérêts traditionnels entre créanciers et actionnaires, et, comme la dette externe classique,
atténue les conflits entre dirigeants et actionnaires : ainsi, les coûts d’ agence totaux sont
diminués.
La dette intragroupe représente avant tout une source de financement interne, qui vient
compléter l’ autofinancement dégagé par la firme. Ce constat permet de comprendre comment
cette alternative de financement s’ insère dans la hiérarchie définie par Myers et Majluf
(1984). Cette forme d’ endettement devrait être utilisée par les firmes membres, lorsqu’ elles
ont épuisé leurs ressources internes, mais avant d’ avoir recours au financement externe (dettes
puis capitaux propres). En effet, la dette intragroupe est moins soumise aux effets d’ asymétrie
d’ information que la dette externe.
Les deux courants théoriques principaux prévoient donc des relations différentes entre le
montant de la dette intragroupe, et celui de l’ endettement total de la firme. La théorie du
compromis suppose que l’ utilisation de la dette intragroupe permet d’ augmenter la valeur du
ratio cible, et offre l’ opportunité aux sociétés membres de s’ endetter proportionnellement
plus. A l’ inverse, la théorie du financement hiérarchique souligne que la dette intragroupe
207
permet d’ éviter le recours à l’ endettement externe, en augmentant le montant des fonds
disponibles en interne.
4.2 Nature de l’ interaction entre l’ endettement interne et l’ endettement externe
Le recours à le dette intragroupe modifie non seulement le besoin en fonds externes des
sociétés membres de groupe, mais aussi, la perception des organismes de crédit de la situation
financière et de la solvabilité de ce type de firmes. Tout d’ abord, pour un niveau
d’ investissement donné, l’ utilisation de la dette intragroupe permet aux sociétés affiliées de
limiter l’ usage de la dette financière externe : le financement des investissements est alors
assuré exclusivement par les fonds dégagés par la firme et les ressources prêtées par les autres
sociétés membres. Dans cette situation, la corrélation entre l’ endettement intragroupe et
l’ endettement externe devrait être négative (hypothèse H5).
L’ impact de la dette intragroupe sur les problèmes d’ agence entre prêteurs et emprunteurs est
différent de celui d’ une forme d’ endettement bancaire ou publique. Les firmes ayant accès au
marché interne pourraient opter pour un niveau d’ endettement global différent. En effet, les
sociétés membres auraient la possibilité d’ évoluer avec un ratio d’ endettement plus élevé, si la
dette intragroupe était associée à des coûts d’ asymétrie d’ information plus faibles, et si
l’ asymétrie d’ information obligeait les firmes n’ ayant pas accès au marché interne à s’ endetter
proportionnellement moins. De plus, l’ existence de dette intragroupe peut avoir un effet
négatif sur les relations entre une firme membre et ses créanciers, en affaiblissant le pouvoir
de négociation de ces derniers, ou en augmentant la probabilité de non remboursement. A
l’ inverse, les firmes bénéficiant de dette intragroupe peuvent également profiter de la garantie
représentée par les actifs tangibles des autres sociétés du groupe pour contracter des emprunts
bancaires supplémentaires.
A partir d’ un échantillon de 1083 firmes belges sur la période 1992-1994, Deloof et
Verschueren (1999) montrent que l’ utilisation de la dette intragroupe : (i) est associée à des
ratios d’ endettement totaux supérieurs, (ii) réduit le besoin en fonds externes, puisque les
firmes ayant accès au marché interne possèdent des ratios d’ endettement externe
proportionnellement plus faibles. Nous avons vu précédemment que les filiales de
l’ échantillon sont globalement plus endettées que des sociétés non contrôlées aux
caractéristiques comparables. Cependant, l’ influence de la dette intragroupe sur la politique
208
d’ endettement externe des firmes membres n’ a pas été explorée. Ce paragraphe tente
d’ identifier la nature de l’ interaction entre les deux formes d’ endettement au travers d’ un
modèle de structure de capital. Plusieurs variables dépendantes sont testées : la dette
financière externe totale (DetfiTO), la dette financière externe à long terme (DetfiLT) et la
dette financière externe à court terme (DetfiCT).
La principale variable explicative du modèle (4) est la proportion de la dette intragroupe dans
le total de l’ actif net (Intra). Si la dette intragroupe constitue un substitut valable de la dette
externe, le coefficient de la variable (Intra) devrait être négatif (baisse du besoin en fonds
externes). Si, au contraire, la dette intragroupe s’ avère être un complément de la dette
financière externe, le coefficient de la variable (Intra) devrait être positif.
Les différentes théories de structure de capital ont identifié plusieurs paramètres financiers
pouvant influencer le niveau d’ endettement externe de la firme. Ainsi, trois variables de
contrôle sont intégrées au modèle (4). Tout d’ abord, une mesure de la rentabilité passée
(ROA), calculée à partir du ratio (Résultat net/Actif net) pour l’ année t-1, vient compléter la
structure du modèle. En effet, la théorie du compromis suppose que le ratio d’ endettement est
corrélé positivement à la rentabilité passée. Ceci découle du fait qu’ une firme plus rentable
dégagera un résultat supérieur sur lequel les déductions fiscales peuvent s’ opérer. Par ailleurs,
la rentabilité garantit un niveau de risque de faillite inférieur et offre à la société la possibilité
de s’ endetter : vis-à-vis des créanciers, une firme plus rentable que la moyenne du secteur sera
plus à même d’ assurer le service de la dette.
La théorie du financement hiérarchique prévoit au contraire un coefficient négatif pour la
variable (ROA). Les développements de Myers et Majluf (1984) supposent que le financement
interne sera systématiquement préféré au financement externe : plus la rentabilité passée est
élevée, plus les fonds internes disponibles sont importants, ce qui diminue mécaniquement le
besoin en fonds externes135.
135
: Cette hypothèse est validée, entre autres, par Baskin (1989), Rajan et Zingales (1995), Titman et Wessels
(1988) et Biais, Hillion et Malécot (1994).
209
Un indicateur de mesure de la taille de la firme est ajouté au modèle (4) : il correspond au
logarithme du total de l’ actif net de l’ année t (Taille). Les différents développements
théoriques s’ accordent pour prévoir une influence positive de la taille de la firme sur le ratio
d’ endettement financier136. En effet, plus la taille est importante, moins la firme est risquée du
point de vue des investisseurs en raison d’ une diversification accrue des activités. De plus, la
taille peut représenter un seuil à partir duquel la firme a accès plus facilement à d’ autres
sources de financement137. Enfin, la taille est un indicateur de moindre asymétrie
d’ information.
Le modèle (4) comporte également une mesure de la croissance passée, avec le taux de
variation du chiffre d’ affaires entre l’ année t-1 et t (VarCA). Un taux de croissance passée
élevé tend à accroître le besoin en fonds externes de la firme, car les ressources internes sont
consommées plus rapidement. Les résultats des tests de Titman et Wessels (1988) et de
Baskin (1989) confirment cette tendance.
La structure générale du modèle (4) est la suivante138 :
(DfiEX) = Cste + a.(Intra) + b.(ROA) + c.(Taille) + d.(VarCA) + ε (4)
4.3 Mise en évidence de l’ influence de la dette intragroupe sur l’ endettement externe
des filiales
Les résultats empiriques issus du modèle (4) sont présentés dans le tableau 27. Le test ne
concerne que l’ échantillon de filiales, et le nombre d’ observations valides est de 554.
136
: L’ influence positive de la taille sur les variations du ratio d’ endettement financier est confirmée entre autres
par les résultats des tests de Marsh (1982) et Smith et Watts (1992).
137
: Cette hypothèse est testée avec succès par Biais, Hillion et Malécot (1994).
138
: L’ influence de l’ appartenance sectorielle sur le niveau d’ endettement externe a été également testée. Les
résultats ne sont pas présentés car les variables dichotomiques sectorielles ne possèdent aucun pouvoir explicatif.
210
Tableau 27 : Influence de la dette intragroupe sur le niveau d’endettement financier
externe
Ce test ne concerne que l’ échantillon de filiales (N=554). Dans l’ équation 1, la variable dépendante est
(DetfiLT), qui mesure le ratio d’ endettement financier externe à long terme : (Dette financière – CBC)/Actif net.
La variable expliquée (DetfiCT) dans l’ équation 2 correspond au ratio d’ endettement financier externe à court
terme : (CBC/Actif net). Enfin, dans l’ équation 3, (DetfiTO) est la variable dépendante et représente le ratio
d’ endettement financier externe total : (Dette financière / Actif net). (Intra) est la principale variable explicative
du modèle, et mesure l’ endettement intragroupe par le ratio : (Dette intragroupe/Actif net). (ROA) est un ratio de
rentabilité financière : (Résultat net/Actif net), pour l’ année t-1. La variable (Taille) correspond au logarithme du
total de l’ actif net. (VarCA) mesure le taux de variation du chiffre d’ affaires entre t-1 et t. La valeur de la
statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%.
Variables
Constante
Intra
ROA
Taille
VarCA
R² ajusté
F
Durbin-Watson
Equation 1
-0.128
(-0.956)
0.510
(14.273)**
0.236
(6.314)**
0.029
(0.857)
0.211
(5.637)**
0.383
86.762**
1.686
Equation 2
0.017
(0.261)
-0.095
(-2.134)*
-0.199
(-4.269)**
0.023
(0.533)
-0.016
(-0.341)
0.040
6.759**
1.313
Equation 3
-0.112
(-0.928)
0.526
(14.792)**
0.179
(4.786)**
0.042
(1.238)
0.228
(6.108)**
0.388
88.599**
1.692
Dans l’ équation (1), la variable dépendante (DetfiLT) mesure l’ endettement financier externe
à long terme. Le ratio d’ endettement intragroupe (Intra) a une influence positive et
significative (à 1%) sur le niveau d’ endettement externe à long terme ; ce résultat semble donc
infirmer l’ hypothèse H5. La dette intragroupe représente un complément de la dette externe
classique. L’ utilisation de ce type d’ endettement prouve l’ appartenance à un groupe, et offre
aux créanciers externes la garantie procurée par les autres actifs du groupe. Les prêteurs
externes tendent à valoriser l’ affiliation au groupe, synonyme d’ une solvabilité plus
importante pour les sociétés membres. Ce résultat est également en accord avec le fait que les
sociétés affiliées subissent des contraintes financières moins importantes en ayant la
possibilité de collecter plus de fonds externes qu’ une société indépendante139. Cette
conclusion est également valable si l’ on examine le coefficient de la variable (Intra) dans
l’ équation (3) : la proportion de dette intragroupe influence positivement le niveau global
d’ endettement financier externe (à 1%). Ces deux résultats infirment l’ hypothèse selon
laquelle l’ utilisation de la dette intragroupe détériore les relations entre les sociétés membres
139
: Le test a été également conduit sur l’ ensemble de l’ échantillon (jumelles et filiales), en considérant comme
variable explicative, une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la firme a accès à la dette intragroupe et 0
sinon. Les trois variables dépendantes ont été testées et les résultats sont similaires : la variable dichotomique a
une influence positive et significative sur le niveau d’ endettement financier externe total et à long terme.
211
et les organismes de crédit, en affaiblissant leur pouvoir de négociation. Ils penchent
également en faveur des prédictions de la théorie du compromis, et réfutent dans le même
temps les implications de la théorie du financement hiérarchique. De plus, le signe des
coefficients de la variable (Intra) ne correspond pas à celui déterminé par Deloof et
Verschueren (1999). En effet, ces derniers constatent une corrélation négative entre la part de
dette intragroupe et le ratio d’ endettement externe (total et à long terme) : ils concluent alors
que la dette intragroupe constitue un substitut efficace de la dette externe classique.
A l’ inverse, si l’ on s’ intéresse à l’ influence de la dette intragroupe sur l’ endettement financier
à court terme (équation 2), le signe de la variable (Intra) est significativement négatif (à 5%).
L’ utilisation de la dette intragroupe tend ainsi à diminuer le recours aux crédits bancaires à
court terme. Ce résultat est à mettre en relation avec le constat selon lequel les firmes affiliées
s’ appuient plus largement sur le crédit interentreprises : ainsi, les ressources à court terme
sont fournies d’ une part par les dettes fournisseurs, et, d’ autre part, par les dettes financières
intragroupe, l’ ensemble de ces fonds provenant d’ autres sociétés membres. L’ utilisation de la
dette intragroupe constitue donc un avantage précieux dans le sens où les dettes financières
court terme génèrent des charges financières importantes. De plus, le poids des dettes
financières court terme pèse également sur le montant de la trésorerie nette de l’ entreprise.
Le niveau de rentabilité passée a une influence positive et significative sur l’ endettement
financier externe total et à long terme : les coefficients de la variable (ROA) sont significatifs
au seuils de 1% dans les équations (1) et (3). Ceci tend à confirmer les implications de la
théorie du compromis, qui supposent qu’ une hausse de la rentabilité passée diminue le risque
de faillite de la firme tout en augmentant les possibilités de déductions fiscales. Dans le même
temps, ce résultat infirme l’ hypothèse de financement hiérarchique, selon laquelle des fonds
internes plus importants diminuent le recours au financement externe, et, en premier lieu, à
l’ endettement externe. Le coefficient de la variable (ROA) présente un signe négatif et
significatif dans l’ équation (2) : plus la rentabilité passée est élevée, moins la firme a recours
aux crédits bancaires à court terme. De plus, l’ indicateur de taille ne possède qu’ un très faible
pouvoir explicatif dans les trois équations. Enfin, la variable (VarCA) possède des coefficients
positifs et significatifs (à 1%) dans les équations (1) et (3), mais n’ a aucune influence sur le
niveau d’ endettement financier externe à court terme. Ainsi, un taux de croissance passée
élevé augmente mécaniquement le besoin en fonds externes, même si les filiales ont accès à la
dette intragroupe.
212
V – Synthèse des résultats empiriques de la section 2
La dette intragroupe représente globalement un avantage conséquent pour les firmes affiliées
en termes de financement. Grâce à un apport de fonds supplémentaires provenant d’ autres
sociétés appartenant au périmètre du groupe, elle conduit à une levée partielle des contraintes
financières. En effet, la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas significative pour
l’ échantillon de filiales, alors que la relation s’ avère déterminante dans le cas des jumelles.
Pour ces dernières, l’ intensité de la relation provient surtout d’ un sous-échantillon de firmes
disposant de ressources internes importantes, et, dans une moindre mesure, de sociétés
possédant des cash-flows très faibles. La segmentation opérée en fonction de la disponibilité
en fonds internes montre que l’ intensité de la relation investissement/cash-flows n’ est pas
linéaire : ce résultat met en évidence la nécessité de faire varier différents paramètres
financiers pouvant être corrélés avec le degré de contraintes financières, pour étudier la
dépendance de la politique d’ investissement vis-à-vis du montant des ressources internes.
En complément de l’ apport de fonds qu’ elle représente, la dette intragroupe modifie la
politique d’ endettement externe des sociétés affiliées. En effet, les variations du ratio de dette
intragroupe sont corrélées positivement aux variations de la dette financière externe, ce
résultat ne concernant que la dette financière totale et à long terme. Ainsi, plus la société a
recours à l’ endettement interne, plus elle a la possibilité de s’ endetter en externe : dans ce cas,
la levée des contraintes financières résulte non seulement de l’ utilisation de la dette
intragroupe, mais aussi de l’ accroissement de la capacité d’ emprunt (en externe) qu’ elle
procure à la firme. Cependant, en raison du fonctionnement des marchés internes et de la
rotation des fonds entre les filiales, les ressources externes collectées peuvent être affectées à
d’ autres entités du groupe : la filiale qui contracte la dette n’ est pas forcément celle qui
bénéficie des fonds. Malgré cela, pour financer un nouveau projet d’ investissement, une
société ayant accès au marché interne dispose de fonds internes et externes en excès, par
rapport à une société indépendante. Bien entendu, ces ressources excédentaires ne sont pas
forcément synonymes de création de richesse. Le risque le plus probable est tout d’ abord celui
d’ une tendance au sur-investissement pour les sociétés affiliées, se traduisant par l’ acceptation
de projets à VAN négative et un certain gaspillage des fonds collectés. Par ailleurs, une
hausse de l’ endettement entraîne l’ émergence de charges financières pénalisantes pour la
filiale qui contracte l’ emprunt, mais également, lorsque le service de la dette dépasse la
capacité de remboursement de la société, une augmentation de la probabilité de défaillance :
213
malgré la garantie représentée par les actifs des autres sociétés du groupe, le risque de faillite
existe bel et bien si les dirigeants du groupe décident de ne plus prendre en charge le
remboursement de la dette.
La levée des contraintes financières constitue un avantage précieux pour les firmes ayant
recours à la dette intragroupe. Cependant, l’ analyse de la relation investissement/cash-flows
ne permet pas de juger les conséquences de la dette intragroupe sur les performances et la
valeur des firmes contrôlées. La section 3 tente de répondre à la question : l’ utilisation de la
dette intragroupe est-elle accompagnée d’ une politique d’ investissement efficiente de la part
des sociétés bénéficiaires, et de conséquences positives sur les performances de ces firmes ?
Section 3 : Dette intragroupe et efficience des marchés internes
Cette section 3 a pour but de juger l’ efficience des marchés internes créés au sein des groupes
industriels français. Les filiales disposant de dette intragroupe bénéficient des facilités de
financement offertes par le fonctionnement des marchés internes. Les résultats exposés dans
les sections précédentes montrent que ce recours au marché interne : (i) permet aux filiales
considérées d’ investir proportionnellement plus que des sociétés non contrôlées comparables,
et (ii) diminue la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes financières.
Malgré ces deux avantages, il s’ avère que les filiales présentent des ratios de rentabilité
significativement plus faibles que ceux des autres sociétés de l’ échantillon. Il convient alors
d’ analyser en détail la politique d’ investissement de chaque catégorie de firmes. Un marché
interne efficient doit orienter les fonds vers les entités les plus rentables du groupe : autrement
dit, les filiales les plus rentables de l’ échantillon doivent recevoir proportionnellement plus de
dette intragroupe que les filiales moins rentables. Les premières devraient également investir
plus, toutes choses égales par ailleurs. Si le fonctionnement des marchés internes est plus
efficient que celui des marchés externes, les sociétés non contrôlées (jumelles) les moins
rentables devraient investir autant (ou plus) que les autres jumelles plus rentables. Si ces
hypothèses sont vérifiées, il est possible de conclure que les marchés internes procèdent à une
allocation plus efficiente des fonds entre les firmes rentables et non rentables : ce dernier
point offrirait une explication valide pour justifier d’ un point de vue financier l’ existence des
structures de groupe.
214
D’ autre part, il est possible de vérifier l’ influence directe de l’ utilisation de la dette
intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon, grâce à un modèle de régression.
La structure du modèle confronte en variables dépendantes les différents indicateurs de
performance, et, en variables explicatives, le statut de la firme (recours ou non à la dette
intragroupe) et des variables contrôlant les différences de taille, de secteur d’ activité et de
croissance entre les firmes de l’ échantillon.
Cette section débute par l’ examen des résultats de tests univariés sur les politiques
d’ investissement des firmes, en segmentant chaque sous-échantillon en fonction des
indicateurs de performance. Le second paragraphe est consacré aux résultats des statistiques
explicatives.
I – Segmentation des échantillons : performances, investissements et allocation interne des
fonds
1.1 Performances des filiales et répartition de la dette intragroupe
La dette intragroupe est un des principaux moyens pour transférer les ressources entre les
entités du groupe, avec le crédit interentreprises. L’ hypothèse d’ efficience des marchés
internes suppose que les ressources sont attribuées en priorité aux firmes disposant
d’ opportunités d’ investissement rentables. Cependant, le caractère non coté des firmes de
l’ échantillon ne nous permet pas de calculer une approximation valide de la rentabilité des
investissements à venir. Pour analyser l’ allocation de la dette intragroupe entre les filiales,
nous avons donc segmenté l’ échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe en fonction de
la valeur médiane des ratios de rentabilité passée pour isoler une catégorie de filiales
« rentables » et une catégorie de filiales « non rentables ». Le tableau 28 résume les résultats
issus des tests de différences de moyennes.
215
Tableau 28 : Indicateurs de rentabilité des filiales et utilisation de la dette intragroupe :
Tests de différences de moyennes
Les moyennes des ratios (Dette intragroupe brute/Actif brut) et (Dette intragroupe brute/Total endettement brut)
sont données en distinguant un échantillon de filiales rentables et un échantillon de filiales non rentables : la
segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios : (Résultat d’ exploitation/CA) ;
(RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses)
sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est effectué
exclusivement sur l’ échantillon de filiales ; le nombre d’ observations valides est de 813.** ; * ; ° : significatifs
aux seuils de 1%, 5% et 10%.
Ratios d’endettement
Intragroupe
Moyenne pour Filiales
ayant un ratio
(RE/CA) > Médiane
Moyenne pour Filiales
ayant un ratio
(RE/CA) < Médiane
Dette intragroupe brute/
Total endettement brut
20.14%
23.95%
Ratios d’endettement
Intragroupe
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) > Médiane
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) < Médiane
Dette intragroupe brute/
Total endettement brut
19.53%
24.60%
Ratios d’endettement
Intragroupe
Moyenne pour filiales
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) > Médiane
Moyenne pour filiales
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) < Médiane
20.01%
24.18%
Dette intragroupe brute/
Actif brut
Dette intragroupe brute/
Actif brut
Dette intragroupe brute/
Actif brut
Dette intragroupe brute/
Total endettement brut
17.06%
21.04%
16.61%
16.98%
21.53%
21.21%
Test t
(signification)
-1.063
(0.288)
-2.774**
(0.006)
-1.315
(0.189)
-3.697**
(0.000)
-1.131
(0.259)
-3.036**
(0.002)
Si l’ on s’ intéresse aux statistiques du premier ratio (Dette intragroupe/Actif brut), il semble
que les filiales les moins rentables disposent d’ un montant de dette interne plus important que
les autres filiales plus rentables : cependant, quel que soit le ratio de performance considéré, la
différence entre les deux sous-échantillons n’ est pas significative.
A l’ inverse, les résultats reposant sur la valeur du ratio (Dette intragroupe/Endettement total)
révèlent des différences significatives entre les deux sous-échantillons de filiales. A partir de
la segmentation en fonction de la valeur médiane du ratio (Résultat d’ exploitation/CA), on
peut constater que les filiales non performantes présentent un ratio d’ endettement interne
moyen de 23.95%, contre seulement 20.14% pour les filiales plus performantes. De même, la
segmentation en fonction du ratio (RCAI/Actif net) engendre une différence d’ endettement
interne significative : les filiales les moins rentables présentent un ratio moyen de 24.60%,
contre 19.53% pour les autres filiales plus rentables. Des résultats similaires sont déterminés à
216
partir du ratio (Résultat net/Actif net) : les ratios moyens d’ endettement interne s’ élèvent
respectivement à 24.18% pour les filiales les moins rentables, et 20.01% pour les filiales
rentables. Les différences observées sont dues exclusivement aux montants de dette
intragroupe accordés. D’ autres tests de différences ont en effet été menés sur les souséchantillons issus des segmentations : les résultats précédents ne proviennent pas de
différences de taille (Total de l’ actif et CA) ou de secteur d’ activité (industrie, commerce et
service). Par ailleurs, il convient d’ être prudent quant à l’ interprétation des résultats issus de la
segmentation réalisée à partir du ratio de marge (Résultat d’ exploitation/CA) : une marge
élevée n’ implique pas forcément l’ existence de résultats financiers positifs. Ainsi, les filiales
présentant des taux de marge supérieurs à la médiane de l’ échantillon ne sont pas forcément
celles qui sont les plus rentables (et inversement), car elles peuvent supporter des charges
spécifiques plus conséquentes, comme par exemple la rémunération de prestations réalisées
au sein du groupe à des prix supérieurs à ceux du marché.
Ces conclusions montrent que les filiales les moins rentables reçoivent proportionnellement
plus de dette intragroupe que les filiales ayant des indicateurs de performance plus élevés. Ce
phénomène infirme l’ hypothèse d’ allocation efficiente des fonds au sein du groupe, et, dans le
même temps, concorde avec les résultats des tests sur la répartition « socialiste » des
ressources au sein des structures conglomérales (Scharfstein, 1998 ; Rajan, Servaes et
Zingales, 2000). L’ hypothèse 10 de cette recherche est donc rejetée.
L’ étude de la répartition de la dette intragroupe en fonction des performances des filiales doit
être complétée par une analyse des politiques d’ investissement de chaque sous-échantillon. En
effet, même si les filiales les moins rentables bénéficient de ressources supplémentaires, il
n’ est pas certain que les politiques d’ investissement des filiales et des sociétés non contrôlées
diffèrent.
1.2 Indicateurs de performance et politique d’ investissement : comparaison des deux
sous-échantillons
La comparaison des niveaux d’ investissement en fonction de la performance relative des
firmes permet d’ isoler les différences entre le fonctionnement d’ un marché interne et celui
d’ un marché externe. Si les marchés internes (externes) sont efficients, les filiales (sociétés
non contrôlées) les plus rentables doivent investir plus que les filiales (sociétés non
217
contrôlées) moins performantes. En effet, le niveau d’ investissement dépend directement du
montant des ressources dont disposent les deux types de firmes : les filiales utilisent
principalement l’ endettement interne, alors que les sociétés non contrôlées collectent des
fonds externes, principalement grâce aux emprunts bancaires. Or, ces ressources sont issues
d’ une part du marché interne, d’ autre part du marché externe. Ces marchés parviennent-ils à
orienter les fonds vers les entités les plus rentables ? Le tableau 29 met en évidence les
résultats des tests de différences de moyennes pour l’ échantillon de filiales. Trois
segmentations sont réalisées à partir des ratios : (EBE/CA), (RCAI/Actif net) et (Résultat
net/Actif net). Si l’ on examine le premier ratio d’ investissement qui mesure le taux
d’ investissement total en fonction de l’ actif brut, on s’ aperçoit que les filiales les moins
rentables investissent plus que les autres filiales de l’ échantillon, même si aucun coefficient
n’ est significatif.
Tableau 29 : Investissement et indicateurs de rentabilité des FILIALES : Tests de
différences de moyennes
Les moyennes des ratios (Acquisitions d’ immobilisations totales/Actif brut) et (Acquisitions d’ immobilisations
corporelles/Actif brut) sont données en distinguant un échantillon de filiales rentables et un échantillon de filiales
non rentables : la segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios : (EBE/CA) ;
(RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses)
sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est effectué
exclusivement sur l’ échantillon de filiales ; le nombre d’ observations valides est de 813.** ; * ; ° : significatifs
aux seuils de 1%, 5% et 10%.
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Moyenne pour Filiales
ayant un ratio
(EBE/CA) > Médiane
Moyenne pour Filiales
ayant un ratio
(EBE/CA) < Médiane
Test t
(signification)
6.20%
-0.428
(0.669)
3.12%
4.49%
-2.861**
(0.004)
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) > Médiane
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) < Médiane
6.55%
-1.459
(0.145)
3.11%
4.51%
-2.890**
(0.004)
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) > Médiane
Moyenne pour Filiales
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) < Médiane
3.25%
4.38%
5.91%
5.56%
5.83%
218
6.28%
-0.649
(0.517)
-2.364*
(0.018)
Les résultats obtenus sur les moyennes du ratio d’ investissement en actifs tangibles
(acquisitions d’ immobilisations corporelles) sont plus déterminants. Les différences sont
significatives aux seuils de 1% et 5%. Selon les segmentations effectuées, les filiales les
moins performantes présentent des taux d’ investissement compris entre 4.38% et 4.51% du
total de l’ actif brut. La fourchette est comprise entre 3.11% et 3.25% pour les filiales les plus
performantes140.
En résumé, les filiales les moins rentables sont celles qui (i) disposent de plus de dette
intragroupe, et (ii) investissent plus en actifs tangibles. L’ allocation et l’ utilisation des
ressources internes observées sur l’ échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe
correspondent aux implications de l’ hypothèse d’ inefficience des marchés internes. Les
transferts de fonds s’ opèrent en faveur des filiales les moins rentables. Ces résultats infirment
l’ hypothèse 9 de cette recherche.
Le tableau 30 présente les résultats des mêmes tests reproduits sur l’ échantillon de jumelles.
Les segmentations sont réalisées selon les mêmes ratios de rentabilité et de marge, et les ratios
d’ investissement sont identiques. La première segmentation en fonction de la médiane du
ratio (EBE/CA) offre des différences significatives entre les jumelles performantes et non
performantes. Les premières présentent des ratios d’ investissement moyens supérieurs (les
différences sont significatives aux seuils de 5% et 1%) : 4.45% contre 3.19% pour le taux
d’ investissement total, et 2.95% contre 1.96% pour le taux d’ investissement en actif tangibles.
140
: Là encore, il est important de souligner que le ratio (EBE/CA) est un indicateur de marge et non de
rentabilité.
219
Tableau 30 : Investissement et indicateurs de rentabilité des JUMELLES : Tests de
différences de moyennes
Les moyennes des ratios (Acquisitions d’ immobilisations totales/Actif brut) et (Acquisitions d’ immobilisations
corporelles/Actif brut) sont données en distinguant un échantillon de jumelles rentables et un échantillon de
jumelles non rentables : la segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios :
(EBE/CA) ; (RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre
parenthèses) sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est
effectué exclusivement sur l’ échantillon de jumelles ; le nombre d’ observations valides est de 837.** ; * ; ° :
significatifs aux seuils de 1%, 5% et 10%.
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Ratios
d’investissement
Acquisitions
d’ immobilisations
totales / Actif brut
Acquisitions
d’ immobilisations
corporelles / Actif brut
Moyenne pour Jumelles
ayant un ratio
(EBE/CA) > Médiane
Moyenne pour Jumelles
ayant un ratio
(EBE/CA) < Médiane
2.95%
1.96%
Moyenne pour Jumelles
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) > Médiane
Moyenne pour Jumelles
Ayant un ratio
(RCAI/Actif net) < Médiane
2.57%
2.36%
Moyenne pour Jumelles
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) > Médiane
Moyenne pour Jumelles
Ayant un ratio
(Résultat net/Actif net) < Médiane
2.45%
2.44%
4.45%
3.19%
4.14%
4.11%
3.52%
3.53%
Test t
(signification)
2.227*
(0.026)
2.620**
(0.009)
1.093
(0.275)
0.560
(0.575)
1.020
(0.308)
0.145
(0.885)
Les deux autres segmentations montrent également l’ existence de taux d’ investissement
supérieurs pour les jumelles rentables, mais les coefficients des tests ne sont pas significatifs.
Ainsi, même si l’ on ne peut pas conclure sur l’ efficience des marchés externes, il est
important de souligner les différences entre les politiques d’ investissement des filiales et des
jumelles. D’ un côté, les filiales rentables investissent moins en actifs tangibles que les filiales
non rentables (quel que soit l’ indicateur de rentabilité considéré) ; de l’ autre, en fonction d’ un
indicateur de marge, les jumelles performantes investissent plus que les jumelles non
performantes. Ces résultats mettent en évidence l’ inefficience des marchés internes au sein
des groupes pour la répartition des ressources et la politique d’ investissement.
Ces conclusions sont en accord avec les résultats des tests empiriques validant l’ hypothèse
d’ inefficience au sein des structures conglomérales, et notamment ceux de Rajan, Servaes et
220
Zingales (2000), Palia (1999), Scharfstein (1998) et Shin et Stulz (1998). Ces études montrent
que les divisions appartenant à des secteurs d’ activité possédant des perspectives
d’ investissement rentables (valeur de Q supérieure à la médiane du secteur) investissent
proportionnellement moins que les divisions évoluant dans des secteurs non rentables.
Shin et Park (1999) scindent leurs deux sous-échantillons (firmes appartenant à un groupe et
autres firmes) en fonction de la valeur médiane du Q de Tobin des firmes (et non du secteur).
Leurs résultats indiquent que les dépenses en capital pour les firmes « groupe » ne sont pas
différentes entre les deux sous-catégories de firmes : valeurs de Q supérieures ou inférieures à
la médiane. Au contraire, pour les firmes n’ appartenant pas à un groupe, les dépenses en
capital sont significativement plus élevées pour la sous-catégorie de firmes ayant des valeurs
de Q supérieures à la médiane. L’ interprétation de ces résultats confirme également
l’ hypothèse d’ inefficience de la politique d’ investissement des filiales de groupes.
Cette série de tests descriptifs est complétée par un modèle de régression confrontant
directement la performance financière des firmes de l’ échantillon et l’ utilisation de la dette
intragroupe. La construction du modèle et les résultats obtenus sont exposés dans le
paragraphe suivant.
II – Influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de
l’ échantillon : tests multivariés
2.1 Présentation du modèle d’ analyse
Au vu des résultats précédents, il semble que l’ allocation des ressources au sein du groupe par
le biais du montant de dette intragroupe favorise les filiales les moins rentables. Cependant,
aucun lien de causalité directe n’ a encore été établi entre le recours à la dette intragroupe et
les performances des firmes concernées. L’ utilisation de la dette intragroupe permet-elle
d’ expliquer les variations des performances des firmes de l’ échantillon ?
Le modèle de régression testé dans ce paragraphe repose sur l’ équation suivante :
(ROA)it = ait + b.(INTRA) + c.(TAILLE)it + d.(SECTEUR) + e.(CROISSANCE)it + εit (5)
221
Cette équation est appliquée à l’ échantillon total (filiales et jumelles). La variable dépendante
(ROA)it correspond à la valeur du ratio (Résultat net/Actif net) de la firme i pour l’ exercice t.
La principale variable explicative du modèle est une variable dichotomique (INTRA), prenant
la valeur 1 si la firme bénéficie de dette intragroupe, et 0 sinon. Un coefficient négatif pour
cette variable validerait l’ hypothèse d’ inefficience des marchés internes : l’ utilisation de dette
intragroupe tendrait à diminuer la performance financière des firmes concernées. Les autres
variables explicatives sont des variables de contrôle. (TAILLE)it correspond au logarithme du
total de l’ actif net et mesure l’ influence de la taille de la firme sur le niveau de performance.
L’ appartenance sectorielle (SECTEUR) se décline en trois variables dichotomiques :
-
(SECTEURi) : = 1, si la firme est une société industrielle, = 0 sinon ;
-
(SECTEURc) : = 1, si la firme est une société commerciale, = 0 sinon ;
-
(SECTEURs) : = 1, si la firme est une société de services, = 0 sinon.
Enfin, l’ indicateur de croissance passée (CROISSANCE) est mesuré par deux variables
distinctes, testées séparément : (VarCA) représente la variation du chiffre d’ affaires entre t-1
et t, et (VarACT) correspond à la variation du total de l’ actif brut entre t-1 et t. Ces deux
variables devraient présenter des coefficients positifs : une croissance passée soutenue tend à
augmenter le niveau de performance financière de l’ exercice en cours. En ce qui concerne
l’ échantillon de filiales, il est possible que le pourcentage de contrôle de la société mère soit
un déterminant significatif des variations des performances financières. Le degré de contrôle
de la société mère permet d’ identifier la part de capital détenue par les actionnaires
minoritaires. En l’ occurrence, le phénomène d’ inefficience devrait être relié directement à la
présence de cette classe d’ actionnaires : plus la participation des actionnaires minoritaires est
élevée, plus les conflits d’ intérêts ont des répercussions négatives sur la politique
d’ investissement, et donc, sur la performance de la firme. Cette variable n’ est pourtant pas
intégrée dans le modèle (5), en raison du manque de données précises sur la composition des
structures de propriété141.
Il faut noter que Khanna et Palepu (2000) testent l’ influence de l’ appartenance à un groupe
sur les performances d’ un échantillon de firmes indiennes, à partir d’ un modèle de régression
assez semblable. Les auteurs utilisent comme variables dépendantes le Q de Tobin, et le
141
: Les sites d’ information des filiales de l’ échantillon ne donnent pas systématiquement le pourcentage de
capital détenu par la société contrôlante, et se contentent de mentionner que la firme est détenue majoritairement
par une autre société.
222
« ROA » ; ils intègrent également une variable explicative dichotomique qui reflète
l’ appartenance au groupe. D’ autres variables sont incluses dans leur modèle pour mesurer
notamment le degré de diversification et la taille des groupes auxquels appartiennent les
firmes membres. Le degré de diversification est mesuré par le nombre de secteurs d’ activité
différents sur lesquels le groupe est présent. Leur échantillon d’ étude est composé de 655
firmes affiliées à des groupes diversifiés et 654 firmes spécialisées indépendantes ; les
données portent sur l’ année 1993.
2.2 Résultats empiriques
Le modèle (5) est testé sur l’ ensemble de l’ échantillon ; le nombre total d’ observations s’ élève
à 1 108. La tableau 31 synthétise les résultats empiriques.
Tableau 31 : Influence de la dette intragroupe sur les performances financières
Nombre d’ observations valides : 1 108. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. Le ratio
(Résultat net/Actif net) de l’ exercice t est la variable dépendante dans les 4 équations. (INTRA) est une variable
dichotomique prenant la valeur 1 si la firme a recours à la dette intragroupe et 0 sinon. La variable (TAILLE)
correspond au logarithme du total de l’ actif net de l’ année t. Les variables (VarCA) et (VarACT) sont des
indicateurs de croissance, et mesurent respectivement la variation du chiffre d’ affaires net entre t-1 et t, et la
variation du total de l’ actif brut entre t-1 et t. Les trois variables sectorielles sont dichotomiques : (SECTEURi)
prend la valeur 1 si la firme est une société industrielle et 0 sinon ; (SECTEURc) prend la valeur 1 si la firme est
une société commerciale et 0 sinon ; (SECTEURs) prend la valeur 1 si la firme est une société de services et 0
sinon. ° : significatif au seuil de 10% ; * : significatif au seuil de 5% ; ** : significatif au seuil de 1%.
Variables
Constante
INTRA
TAILLE
VarCA
VarACT
SECTEURi
SECTEURc
SECTEURs
R² ajusté
F
Durbin-Watson
(1)
0.156
(3.480)**
-0.155
(-5.409)**
-0.059
(-1.875)°
0.265
(9.216)**
-
(2)
0.155
(3.725)**
-0.155
(-5.421)**
-0.058
(-1.850)°
0.265
(9.206)**
-
0.010
(0.259)
0.002
(0.060)
-
0.007
(0.188)
-
0.101
25.988**
1.185
-0.002
(-0.066)
0.101
25.965**
1.185
223
(3)
0.199
(4.348)**
-0.163
(-5.550)**
-0.087
(-2.718)**
-
(4)
0.199
(4.337)**
-0.164
(-5.563)**
-0.086
(-2.690)**
-
0.128
(4.371)**
0.005
(0.122)
0.008
(0.191)
-
0.128
(4.360)**
-
0.046
12.322**
1.206
0.004
(0.119)
-0.003
(-0.108)
0.049
12.316**
1.206
La variable (INTRA) présente des coefficients négatifs et significatifs au seuil de 1% dans les
4 équations. La valeur du coefficient est plus élevée dans les équations (3) et (4), qui incluent
comme variable de croissance (VarACT). Cependant, le pouvoir explicatif de ces deux
équations est largement inférieur à celui des deux premières : le R² ajusté passe de 0.101 à
0.046 et 0.049. Ces résultats démontrent que l’ utilisation de la dette intragroupe influence
négativement le niveau de rentabilité financière, et conduisent à réfuter l’ hypothèse 11 sur
l’ efficience des marchés internes. Les résultats du test de Khanna et Palepu (2000) révèlent
également un coefficient négatif et significatif pour la variable dichotomique reflétant
l’ appartenance à un groupe : cette conclusion concorde avec les statistiques précédentes.
L’ analyse a été répétée en prenant en compte d’ autres variables de performance, et
notamment les ratios de rentabilité suivants : (EBE/Actif net), (Résultat d’ exploitation/Actif
net) et (RCAI/Actif net). Dans chacune des équations, le coefficient de la variable (INTRA)
s’ avère négatif et significatif. Ainsi, l’ impact de la dette intragroupe sur la rentabilité des
firmes membres est stable, quel que soit le niveau de rentabilité considéré. Cependant, les
conclusions sont différentes si l’ on s’ appuie sur des ratios de marge, comme les ratios
(EBE/CA) ou (Résultat d’ exploitation/CA) : dans ce cas, la variable (INTRA) a une influence
négative, mais non significative. Ce constat implique qu’ une marge importante n’ est pas
forcément synonyme de résultat élevé : pour une marge donnée, les filiales peuvent
éventuellement supporter des charges plus importantes (notamment les charges financières
liées à un endettement externe plus élevé). Le groupe peut faire supporter à une filiale, dans
certains cas, une partie de l’ endettement global : dans cette situation, le montant des charges
financières vient mécaniquement diminuer le taux de rentabilité de la firme. De plus, les
prestations croisées entre les différentes entités du groupe peuvent s’ opérer à des prix de
cession interne différents de ceux du marché.
La taille de la firme influence également négativement le niveau de performance : les
coefficients de la variable (TAILLE) sont significatifs au seuil de 10% dans les deux premières
équations, et significatifs au seuil de 1% dans les équations (3) et (4). D’ autre part, les
variables de croissance possèdent des coefficients très élevés et significatifs, qui expliquent
une large part de la variance des performances. Ces coefficients sont positifs pour les deux
variables (VarCA) et (VarACT), ce qui indique qu’ une croissance passée soutenue entraîne
une augmentation des performances actuelles.
224
Enfin, les variables reflétant l’ appartenance sectorielle des firmes de l’ échantillon n’ ont aucun
pouvoir explicatif, quel que soit le regroupement sectoriel considéré : la valeur des
coefficients est très faible et non significative dans les 4 équations.
L’ ensemble des tests empiriques analysés dans la section 3 permettent d’ identifier des
régularités dans les différences de comportement financier entre les firmes utilisant la dette
intragroupe et celles qui n’ y ont pas accès.
225
Conclusion PARTIE 2 : Discussion, interprétation des résultats et limites de l’analyse
Dans le cas des groupes hiérarchiques, la structure de groupe est gérée par une société mère
(ou une holding), qui coordonne les échanges financiers intragroupes. Ceux-ci doivent
répondre aux objectifs définis par la stratégie globale du groupe dictée par les dirigeants de la
société contrôlante. Cependant, les résultats issus des tests détaillés dans cette section
montrent que les flux de fonds intragroupes tendent à favoriser les filiales les moins rentables.
En effet, en classifiant les filiales en fonction d’ indicateurs de rentabilité économique et
financière, il s’ avère que les entités les moins rentables de l’ échantillon :
-
reçoivent des ressources excédentaires par rapport aux autres filiales plus rentables ;
-
investissent plus que les autres filiales plus rentables.
L’ ensemble des résultats empiriques de la section 3 conduisent à infirmer les hypothèse 9, 10
et 11, concernant l’ efficience des marchés internes.
Si l’ on suppose l’ existence d’ une politique financière centralisée au sein du groupe, ce
phénomène semble tout à fait original, d’ autant que ce comportement ne semble concerner
que les filiales bénéficiant de dette intragroupe, et non les sociétés non contrôlées, aux
caractéristiques comparables, qui dépendent exclusivement des sources de financement
externe. La même segmentation effectuée sur cette catégorie de firmes engendre des résultats
opposés : les jumelles plus performantes investissent proportionnellement plus, ou autant, que
celles qui présentent des indicateurs de rentabilité plus faibles.
Ces conclusions penchent en faveur de l’ hypothèse d’ une allocation inefficiente des fonds
entre les différentes entités du groupe. Il est alors intéressant de se demander quelle est la
cause principale de ces dysfonctionnements dans la politique de répartition des ressources au
sein du groupe. La tendance générale au sur-investissement des filiales non performantes nous
amène à penser que les luttes de pouvoir et les conflits d’ intérêts sont à l’ origine des
problèmes d’ allocation évoqués. En effet, une structure de groupe simplifiée, avec une société
mère et une filiale, engendre non seulement des conflits d’ influence entre les dirigeants de la
société mère et ceux de la filiale, tous deux enclins à des comportements opportunistes, mais
aussi des conflits d’ intérêts entre deux classes d’ actionnaires : les majoritaires de la société
mère et les minoritaires de la filiale.
226
Nous avons évoqué les conséquences de l’ existence d’ un marché interne sur la motivation des
managers de divisions, dans le cas des conglomérats américains. Malgré les différences
existantes entre la structure conglomérale et la structure de groupe, il est probable que le
problème de motivation touche également les dirigeants des filiales. La baisse de motivation
liée au fonctionnement des marchés internes est plus sévère pour les dirigeants des filiales les
moins rentables. Des flux financiers supplémentaires, transitant grâce à l’ endettement interne,
permettraient de résoudre partiellement le problème de motivation et de diminuer la
probabilité de comportements opportunistes de la part des dirigeants des filiales. De plus,
comme dans le modèle de Scharfstein et Stein (2000), la relation d’ agence qui lie les
dirigeants du groupe (agents) et les actionnaires majoritaires ne fait qu’ aggraver les
distorsions dans la politique d’ allocation des fonds entre les filiales. Cette politique est en
définitive un moyen pour les deux niveaux hiérarchiques existants (dirigeants de la société
mère et de la filiale) d’ accroître leurs bénéfices privés, et d’ augmenter la taille des actifs sous
leur contrôle en entreprenant des projets d’ investissement plus risqués et pas forcément
rentables. Ce phénomène rejoint les conclusions évoquées dans la partie 1 : les dirigeants des
sociétés mères ont un comportement opportuniste en choisissant d’ émettre des actions
surévaluées. La structure de groupe augmente la probabilité d’ opportunisme lorsque deux
entités du groupe sont cotées.
Cependant, il faut également s’ interroger sur les conséquences de ces dysfonctionnements sur
la richesse des deux classes d’ actionnaires. La politique d’ investissement observée pour les
filiales les moins performantes, contraire à l’ objectif de maximisation de la valeur, a surtout
un impact négatif sur la richesse des actionnaires minoritaires des filiales, qui ne peuvent
influencer significativement les décisions de gestion. Les structures pyramidales tendent à
réduire les coûts de faillite liés à la dette externe : en effet, aucune obligation n’ est imposée à
une société contrôlante en cas de défaillance d’ une des filiales. Ainsi, les sociétés mères ne
sont que partiellement responsables des conséquences des décisions de financement et
d’ investissement à l’ échelle des filiales. La dette intragroupe peut provenir d’ un emprunt
externe, qui est redistribué entre les filiales. Si la filiale bénéficiaire des fonds entreprend un
projet d’ investissement risqué, qui s’ avère non rentable, les actionnaires de la société mère ne
subissent que partiellement les effets négatifs. De plus, si la filiale qui a contracté l’ emprunt
connaît des difficultés financières, la possibilité d’ une liquidation partielle de celle-ci, en cas
de pertes importantes mettant en péril la solvabilité du groupe dans son ensemble, représente
une option rentable pour les actionnaires majoritaires qui peuvent continuer l’ exploitation et
227
l’ activité d’ autres filiales opérationnelles plus rentables (Bianco et Nicodano, 2002). Ce
raisonnement conduit à identifier une autre source probable d’ expropriation de richesse des
actionnaires minoritaires des filiales, de la part des actionnaires majoritaires du groupe. Ainsi,
la dette intragroupe, après l’ augmentation de capital analysée dans la partie, représente
également un moyen pour exproprier la richesse des minoritaires à travers la politique de
financement intragroupe, dictée par les actionnaires et les dirigeants de la société contrôlante.
En conclusion, les dysfonctionnements dans la politique d’ allocation interne des fonds au sein
des groupes proviennent de deux sources distinctes :
-
l’ existence de deux niveaux hiérarchiques entraînant la multiplication des problèmes
d’ agence et une probabilité plus élevée de comportements opportunistes de la part des
dirigeants des sociétés mères (ou holdings), et de ceux des filiales ;
-
la possibilité d’ expropriation de richesse des minoritaires de la part des actionnaires de la
société ayant le contrôle du groupe.
Ces problèmes, et leurs répercussions sur la valeur des filiales, sont d’ autant plus sévères que
la structure de groupe offre un accès privilégié à des ressources excédentaires (internes et
externes), et que les sociétés membres ne subissent qu’ un faible degré de contraintes
financières. De plus, le pouvoir conféré aux dirigeants du groupe sur le devenir des filiales
sous leur contrôle n’ est pas entravé par des règles de protection des minoritaires trop
contraignantes dans le droit boursier français. En effet, la règle « une action/un vote » n’ est
pas une réalité sur le marché français, où l’ existence fréquente de droits de vote double
contribue à accentuer la concentration de l’ actionnariat : ce phénomène est d’ ailleurs un des
freins au développement de mécanismes pertinents de protection des actionnaires
minoritaires.
L’ hypothèse d’ efficience des marchés internes a été pour l’ instant testée sur des populations
de firmes très différentes : les conglomérats américains (Shin et Stulz, 1998 ; Scharfstein,
1998), les holdings (en Belgique par Praet, 2002) et les structures de groupe (en Inde par
Khanna et Palepu, 2000 ; en Corée par Shin et Park, 1999). Cependant, l’ originalité du test
proposé tient au fait que l’ allocation interne des fonds au sein de groupes industriels n’ avait
été l’ objet d’ aucune étude empirique dans le contexte français, voire européen. Ainsi, les
résultats ouvrent une nouvelle voie de recherche pour tenter d’ analyser plus précisément les
causes des dysfonctionnements observés. En effet, les conclusions exposées dans cette
228
deuxième partie ne prennent pas en compte le degré de diversification des groupes étudiés et,
plus généralement, les données financières agrégées à l’ échelle du groupe. Dans ce cas, la
question se pose de savoir si l’ allocation inefficiente des fonds au sein du groupe provient des
problèmes d’ agence inhérents à la structure organisationnelle, ou à la stratégie de
diversification suivie par les dirigeants du groupe, les deux phénomènes pouvant interagir. Le
test précédent pourrait être complété par une étude de cas détaillant, au sein d’ un groupe
particulier, les modalités de répartition des ressources internes. Une étude sur plusieurs années
pourrait mettre en évidence la corrélation entre l’ intensité des problèmes d’ allocation des
ressources et les variations du degré de diversification du groupe.
L’ analyse empirique du chapitre 2 ne comporte pas de variables mesurant les pourcentages de
capital détenus par les sociétés mères et les actionnaires minoritaires. Or, cette donnée
pourrait s’ avérer pertinente, car elle permet d’ obtenir une approximation de l’ intensité des
luttes de pouvoir entre les classes d’ actionnaires. Ainsi, ce paramètre pourrait augmenter le
pouvoir explicatif du modèle (5), mais également affiner l’ analyse issue des tests univariés en
mesurant son impact sur la répartition de la dette intragroupe, les niveaux d’ investissement et,
in fine, les performances financières des filiales. Si l’ on s’ intéresse plus particulièrement à la
situation des filiales, il faudrait également réussir à prouver que ce type de firmes tend à surinvestir par rapport à une moyenne sectorielle, la difficulté résidant dans la disponibilité de
données précises sur l’ investissement global des différents secteurs d’ activité. Enfin, il serait
pertinent de parvenir à prouver que les filiales connaissent des taux de faillite ou de rachat
plus importants que des sociétés indépendantes comparables, et de démontrer que ce
phénomène résulte d’ une politique d’ investissement non optimale : les mécanismes de
contrôle externe doivent à terme sanctionner ce genre de pratiques.
*****
229
CONCLUSION GENERALE
Cette recherche a permis de mettre en évidence les conséquences de la politique de
financement des filiales sur les décisions d’ investissement et leurs performances financières.
Le raisonnement global repose sur l’ existence d’ un centre décisionnel unique au sein du
groupe (équipe dirigeante de la société mère) qui régit les décisions de financement et
d’ investissement des sociétés membres. Ainsi, la direction du groupe définit les orientations
de la stratégie financière en fonction des intérêts des actionnaires majoritaires ; or, les
objectifs de ces derniers ne coïncident pas forcément avec ceux des actionnaires minoritaires
des filiales opérationnelles.
Les résultats issus des tests empiriques concernent exclusivement deux modes de financement
particuliers : l’ augmentation de capital et la dette intragroupe. Dans un premier temps,
l’ émission d’ actions a un effet globalement négatif sur la valeur des firmes émettrices, mais
également sur la valeur des autres sociétés affiliées. Pourtant, il est important de noter que la
perte de richesse des actionnaires minoritaires est systématiquement plus importante que celle
des actionnaires majoritaires. De plus, la répercussion de la réaction des cours de la société
émettrice sur la valeur des titres des autres sociétés membres s’ explique grâce au phénomène
de sélection adverse. Les dirigeants du groupe choisissent l’ entité émettrice en fonction de la
surévaluation des actions avant l’ annonce de l’ opération (hypothèse du timing), et des besoins
en fonds externes du groupe dans son ensemble. La structure de groupe rend l’ augmentation
de capital plus attractive en raison des arbitrages que peuvent réaliser les dirigeants et de
l’ existence de transferts de fonds au sein du groupe, qui permettent de réaffecter les
ressources externes collectées entre les différentes sociétés.
La rotation interne des fonds entre les filiales et l’ établissement d’ une politique financière
centralisée représentent les conditions nécessaires à la création d’ un marché interne de capital.
Le fonctionnement des marchés internes a été abordé dans cette recherche à partir de l’ analyse
des conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe. D’ autres supports pour les échanges
financiers intragroupes existent pourtant : les participations croisées et le crédit
interentreprises. Les filiales de l’ échantillon utilisant la dette intragroupe disposent de fonds
supplémentaires pour le financement des investissements : ce phénomène provient du fait que
les sommes investies ne dépendent pas du montant des cash-flows générés en interne (levée
des contraintes financières), et que les filiales ont l’ opportunité de contracter
230
proportionnellement plus d’ emprunts externes grâce à la garantie représentée par les autres
actifs tangibles du groupe. Cependant, la disponibilité de ressources en excès n’ est pas
synonyme d’ amélioration des performances financières. Plus généralement, il semble que le
fonctionnement des marchés internes au sein des groupes résulte en une politique
d’ investissement non optimale. L’ inefficience de l’ allocation interne des fonds entre les
différentes filiales est soulignée par les constats suivants : (i) les filiales les moins rentables de
l’ échantillon semblent disposer d’ une part d’ endettement interne plus importante ; (ii) ces
mêmes firmes sont celles qui investissent le plus. Ainsi, la direction du groupe favorise les
filiales les moins rentables, au détriment des entités plus performantes, ce qui contribue à
déséquilibrer la politique d’ investissement globale. Les résultats montrent également que la
tendance au sur-investissement des filiales les moins rentables ne se retrouve pas lorsque l’ on
analyse l’ investissement de sociétés non contrôlées aux caractéristiques comparables : ceci
tend à prouver que les marchés financiers externes sont plus efficients que les marchés
internes.
Les conclusions générales peuvent être synthétisées en distinguant l’ impact des décisions de
financement sur la richesse des deux classes d’ actionnaires (majoritaires et minoritaires) et sur
les objectifs des dirigeants. Si l’ on s’ intéresse tout d’ abord à la société mère, il semble que la
structure de groupe permette de collecter proportionnellement plus de fonds externes :
l’ augmentation de capital peut être réalisée plus fréquemment en fonction de la valeur des
titres des différentes entités, et les filiales ont l’ opportunité d’ opérer avec des ratios
d’ endettement externes supérieurs. Cet excès de fonds constitue un avantage pour les
dirigeants du groupe, puisque les bénéfices privés qu’ ils peuvent retirer sont proportionnels à
la valeur des actifs sous leur contrôle : des ressources supplémentaires leur offrent la
possibilité d’ investir plus. De plus, la décision d’ émission d’ actions est prise au regard des
intérêts des actionnaires du groupe : les dirigeants ont en effet tendance à émettre les titres
surévalués.
Si l’ on analyse les conséquences des décisions de financement au niveau des filiales, les effets
ne sont pas identiques. L’ allocation inefficiente des fonds au sein du groupe a pour effet de
diminuer la motivation des dirigeants des filiales : les ressources étant accordées
prioritairement aux filiales les moins rentables, les dirigeants des autres filiales sont pénalisés.
231
Les rentes privées des dirigeants des filiales non performantes augmentent, et celles des
dirigeants des filiales performantes diminuent. Par ailleurs, quelle que soit la rentabilité de
l’ entité considérée, les dirigeants des filiales doivent appliquer les consignes émanant de la
direction du groupe. De plus, les actionnaires minoritaires subissent systématiquement des
pertes de richesse. Une augmentation de capital au sein du groupe se solde par un effet
d’ annonce négatif, et le recours à la dette intragroupe résulte en une politique
d’ investissement non optimale. En résumé, les marchés internes créés au sein des groupes ont
pour conséquence l’ existence d’ une nouvelle forme d’ expropriation de richesse des
actionnaires minoritaires des filiales.
L’ originalité des réflexions proposées réside dans le fait de transposer l’ étude du
fonctionnement des marchés internes au contexte de groupe, et surtout de mettre en évidence
les conséquences financières des échanges intragroupes. Cette adaptation des champs
théoriques développés à l’ origine pour comprendre l’ intérêt financier des structures
conglomérales s’ avère d’ autant plus pertinente que les filiales d’ un groupe ont accès aux
modes de financement externe : la comparaison de l’ efficience des marchés interne et externe
est alors plus représentative. Les quelques articles existants sur l’ analyse des marchés internes
au sein des groupes ont été réalisés dans des contextes particuliers où les marchés financiers
externes étaient peu développés (Khanna et Palepu, 2000 ; Praet, 2002) : le contexte français
offre une validation de l’ hypothèse d’ inefficience dans une situation où le développement du
marché financier externe est avancé. Enfin, la prise en compte de l’ appartenance à un groupe,
sur un marché où les structures de propriété sont traditionnellement concentrées, est une étape
nécessaire à toute étude empirique tentant d’ expliquer les décisions financières des firmes.
Cet exposé permet également d’ entrevoir d’ autres pistes de recherche possibles. En premier
lieu, l’ adaptation des théories classiques de structure de capital devrait intégrer dans les
critères de choix de financement l’ alternative de l’ endettement intragroupe. Celle-ci modifie
non seulement la hiérarchie de financement, mais aussi la valeur du ratio optimal
d’ endettement.
L’ hypothèse d’ expropriation de richesse des minoritaires pourrait être également validée en
étudiant les prestations croisées entre les firmes d’ un même groupe : l’ objectif serait alors de
montrer que les prix de cession internes favorisent les entités contrôlantes. D’ une manière
générale, les développements proposés soulignent la nécessité de renforcer les mécanismes de
232
protection des actionnaires minoritaires, et notamment de favoriser leur droit de regard sur les
décisions d’ investissement et de financement. Enfin, il serait intéressant de relier, sur le plan
empirique, l’ intensité des dysfonctionnements dans l’ allocation du capital au sein du groupe
avec, d’ une part, le pourcentage de capital que la société mère détient dans les filiales, et,
d’ autre part, le nombre d’ échelons hiérarchiques existants (intensité des problèmes d’ agence
potentiels). En effet, il semble que la cause principale de l’ inefficience des marchés internes
au sein des groupes provienne de la multiplication des conflits d’ intérêts due à l’ existence de
plusieurs niveaux hiérarchiques.
*****
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RESUME
L’ analyse de la politique de financement au sein des structures de groupe est abordée à travers
l’ étude des augmentations de capital et de l’ endettement intragroupe. Un centre décisionnel
unique définit une stratégie financière globale, qui oriente les choix de financement et
d’ investissement des sociétés membres. Lors d’ une émission d’ actions, lorsque deux entités
sont cotées, le choix de la firme émettrice offre aux dirigeants du groupe des possibilités
d’ arbitrage dans le timing de l’ opération. Les échanges financiers intragroupes, et l’ allocation
des fonds entre les filiales conditionnent l’ émergence d’ un marché interne de capital.
L’ utilisation de la dette intragroupe diminue le degré de contraintes financières et accroît la
capacité d’ endettement externe des filiales. Cependant, les transferts de fonds favorisent les
filiales les moins rentables, qui reçoivent plus de ressources et investissent plus que les entités
performantes. L’ inefficience des marchés internes de capitaux résulte de l’ existence de
plusieurs niveaux hiérarchiques (filiales et société mère), et de deux classes d’ actionnaires
(majoritaires et minoritaires).
ABSTRACT
Corporate group financing policy is analyzed through the consequences of seasoned equity
offerings and intragroup debt. Group headquarters define a financial strategy for the group as
a whole, that affects financing and investment decisions of member firms. When two entities
are listed and headquarters decide to issue new equity, the choice of the issuing firm
represents a real option to issue the overvalued equity. Moreover, intragroup financial
transactions and internal allocation of funds lead to the creation of an internal capital market.
The use of intragroup debt tends to smooth financing constraints, and improves debt capacity
of subsidiaries. However, transfers of funds give an advantage to less performing
subsidiaries : they receive proportionately more resources and invest more than profitable
entities. The inefficiency of internal capital markets comes from the existence of a hierarchy
between managers (parent firm and subsidiaries), and the emergence of two classes of
shareholders (group and minority shareholders).
Mots clés : Structure de groupe ; augmentation de capital ; dette intragroupe ; marché interne
de capital ; financement des filiales ; expropriation de richesse ; actionnaires minoritaires.
Key words : Corporate group ; seasoned equity offering ; intragroup debt ; internal capital
market ; subsidiaries financing ; wealth expropriation ; minority shareholders.
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