UNIVERSITE PARIS XII – VAL DE MARNE ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES (ESA) INSTITUT DE RECHERCHE EN GESTION (IRG) STRUCTURE DE GROUPE ET FINANCEMENT DES ENTREPRISES THESE Pour l’obtention du titre de DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION Doctorat ès Sciences de Gestion conforme au nouveau régime défini par l’arrêté du 30 mars 1992 Présentée et soutenue publiquement par Benoît JAMET Thèse dirigée par le Professeur Edith GINGLINGER Soutenue le 26 Novembre 2003 JURY : Président du Jury : Professeur Pascal LOUVET – Université Pierre Mendès-France de Grenoble 2 – CERAG Directeur de recherche : Professeur Edith GINGLINGER – Université de Paris-Dauphine – CEREG Rapporteurs : Professeur Jacques HAMON – Université de Paris-Dauphine – CEREG Professeur Frédéric LOBEZ – Université de Lille 2 – GERME Suffragant : Professeur Jean-François GAJEWSKI – Université de Paris XII-Val de Marne – IRG UNIVERSITE PARIS XII – VAL DE MARNE ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES (ESA) INSTITUT DE RECHERCHE EN GESTION (IRG) STRUCTURE DE GROUPE ET FINANCEMENT DES ENTREPRISES THESE Pour l’obtention du titre de DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION Doctorat ès Sciences de Gestion conforme au nouveau régime défini par l’arrêté du 30 mars 1992 Présentée et soutenue publiquement par Benoît JAMET Thèse dirigée par le Professeur Edith GINGLINGER Soutenue le 26 Novembre 2003 JURY : Président du Jury : Professeur Pascal LOUVET – Université Pierre Mendès-France de Grenoble 2 – CERAG Directeur de recherche : Professeur Edith GINGLINGER – Université de Paris-Dauphine – CEREG Rapporteurs : Professeur Jacques HAMON – Université de Paris-Dauphine – CEREG Professeur Frédéric LOBEZ – Université de Lille 2 – GERME Suffragant : Professeur Jean-François GAJEWSKI – Université de Paris XII-Val de Marne – IRG C’est une tâche assez ardue de rédiger quelques mots de remerciements pour la réalisation d’un travail de recherche qui aura duré 4 ans, ceci en raison du nombre de personnes rencontrées, des évolutions ayant marqué ma vie professionnelle et personnelle, et de la multiplicité des postes occupés. Il est pourtant naturel de commencer en remerciant chaleureusement Madame le Professeur Edith Ginglinger, qui, depuis mon année de DEA, a encadré et guidé l’avancée de mes travaux. C’est tout autant pour la pertinence et la justesse de ses conseils scientifiques, mais surtout pour la disponibilité et la gentillesse dont elle a fait preuve tout au long de ces années que je souhaite lui exprimer aujourd’hui toute ma gratitude. J’espère d’ailleurs que cette collaboration, fondée sur le respect et la confiance mutuelle, durera dans les prochaines années. Je remercie également MM. les Professeurs Louvet, Hamon, Lobez et Gajewski, et Mme le Professeur Ginglinger, de m’avoir fait l’honneur de participer à ce jury. Je souhaite également témoigner toute mon amitié aux membres de l’Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris 12, qui m’ont apporté une aide précieuse et un encadrement efficace pendant les trois premières années de ma thèse. Je citerai entre autres les professeurs Jean-François Gajewski, Nathalie Mourgues, Pascal Grandin et Gérard Koenig, qui m’ont accordé leur confiance et leur soutien. De plus, je voudrais souligner la disponibilité de Gabrielle Stragand, d’Armelle Glérant-Glickson, et d’Arnaud Thauvron. Enfin, je profite de ces quelques lignes pour remercier et exprimer toute ma sympathie à mes camarades doctorants, et notamment, Simon Atron, Florence Amans-Labégorre, Shéhérazade Gatfaoui, Eric Ducros, Sabri Boubaker, et tous ceux que j’oublie. Ma volonté de quitter Paris m’a amené à exercer mes fonctions d’ATER à l’IUT de Valence, et à rejoindre l’équipe de recherche du CERAG de l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble. A ce titre, j’aimerais remercier les responsables de l’IUT pour leur accueil amical et leur compréhension, qui m’ont permis d’achever sereinement ma thèse : je pense entre autres à Gérard Jouve, Philippe Madiès, Yves Lequin, Stéphanie Karcher, Laurence Carsanna et Sabine Reydet, et à tous mes collègues enseignants. De plus, mon intégration au laboratoire du CERAG a été largement facilitée par l’enthousiasme de ses membres, et notamment par la bienveillance des professeurs Pascal Louvet et Patrice Fontaine, et de Charlotte Disle. Mon entourage personnel a été un élément clé de ma réussite grâce à l’affection, le réconfort et le soutien moral que ces êtres qui me sont chers m’ont naturellement apportés. Ma famille, et particulièrement mes parents Denise et Jean-François, mon frère Matthieu et sa femme Hélène (et Lise !), a constitué un allié de tous les instants que toute ma reconnaissance ne pourra jamais assez remercier. Enfin, comment ne pas rendre hommage à la personne qui partage ma vie, qui a enduré tous les moments difficiles et vécu les instants de joie, et qui m’a fait don de son amour : Sabrina Pruvot. Ma dernière pensée ira à mes deux grand-mères, Suzanne et Yvonne, et mon grand-père Camille, disparus durant ces années d’études, et qui, j’espère, seraient fiers de moi. INTRODUCTION GENERALE ! !! " 7 " # $ # % % # # & Introduction PARTIE 1 13 CHAPITRE 1 : Réaction des cours à l’annonce d’une augmentation de capital au sein d’une structure mère/filiale 17 Section 1 : Développements théoriques, définition des hypothèses de recherche et présentation de la méthodologie empirique générale 18 I – Hypothèses des études d’ événements 1.1 Mise sur le marché d’ une filiale et impact sur la valeur du groupe 1.2 Emission d’ actions de la filiale et expropriation de richesse des actionnaires minoritaires 1.3 Asymétrie d’ information, émission d’ actions et hypothèse de sélection adverse 1.4 Opportunités d’ investissement et réaction des cours à l’ annonce 19 19 II – Méthodologie générale des études d’ événements 2.1 Nature de l’ événement et date d’ annonce 2.2 Calcul des rentabilités anormales et des tests statistiques 2.3 Normes et modèles d’ estimation 27 27 28 30 Section 2 : Construction de l’échantillon et statistiques descriptives 31 I - Echantillonnage et données recueillies 32 II - Statistiques descriptives : Emissions d’ actions de filiales et de sociétés mères sur le marché financier français entre 1986 et 2000 34 1 21 23 25 Section 3 : Etudes d’événements et résultats empiriques I - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la filiale 1.1 Réaction du cours des actions des filiales émettrices 1.2 Réaction des titres des sociétés mères correspondantes 1.3 Etude des combinaisons de signes et calcul des performances passées II - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la société mère 2.1 Réaction des actions des sociétés mères émettrices 2.2 Réaction des actions des filiales correspondantes 2.3 Analyse des combinaisons de signes et des performances passées III - Synthèse et interprétation des résultats 3.1 Résumé des résultats empiriques 3.2 Réaction des titres des sociétés mères non émettrices : une autre interprétation possible 39 40 40 42 44 45 45 46 48 49 49 50 CHAPITRE 2 : Déterminants de la réaction des cours à l’annonce et choix de l’entité émettrice 54 Section 1 : Déterminants des réactions des cours à l’annonce 55 I – Hypothèses de recherche et présentation du modèle d’ analyse : quels facteurs influencent les effets d’ annonce ? 1.1 Nature du problème de sélection adverse 1.2 Facteurs explicatifs liés à la structure de groupe 1.3 Caractéristiques financières des firmes 1.3.1 Influence des opportunités d’ investissement 1.3.2 Influence des performances passées 1.3.3 Indicateurs d’ asymétrie d’ information 1.4 Caractéristiques de l’ opération 1.4.1 Taille de l’ offre 1.4.2 Emissions directes et émissions avec DPS 1.5 Modèle d’ analyse testé et synthèse des hypothèses de recherche 56 56 58 60 60 61 63 63 63 65 65 II – Résultats empiriques : Modèle général 2.1 Tests univariés de différences de moyennes 2.2 Tests multivariés (I) 66 66 68 III – Explication des rentabilités anormales des filiales émettrices 3.1 Présentation du modèle d’ analyse 3.2 Tests multivariés (II) 71 71 73 2 IV – Explication des rentabilités anormales des sociétés mères non émettrices 4.1 Hypothèses de sélection adverse et de désinvestissement 4.2 Tests multivariés (III) 75 75 77 Section 2 : Choix de l’entité émettrice et probabilité d’émission de la filiale par rapport à la mère 79 I – Théories de structure de capital et adaptation à l’ étude des structures de groupe 1.1 Théorie du financement hiérarchique 1.2 Structure de capital optimale : théorie du compromis et problèmes d’ agence 1.3 Hypothèse du timing 1.4 Adaptation de l’ argumentation théorique au contexte du groupe 82 86 88 II – Régression logistique et choix de l’ entité émettrice 2.1 Présentation du modèle d’ analyse 2.2 Méthode de régression logistique 2.3 Déterminants du choix de l’ entité émettrice 91 91 92 93 Conclusion Partie 1 : Synthèse des résultats empiriques, limites de l’analyse et autres voies de recherche 98 ' !! " (# )# 79 80 ! $ Introduction Partie 2 104 CHAPITRE 1 : Dette intragroupe, contraintes financières et marché interne de capital : développements théoriques et revue de la littérature empirique 107 Section 1 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières 109 I – Caractérisation des contraintes financières 1.1 Définition des contraintes financières 1.2 Origine des contraintes financières 1.3 Sélection adverse et existence de free cash-flows 109 109 110 111 II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières 2.1 Circulation des fonds au sein du groupe et 114 3 création d’ une dette intragroupe 2.2 Comparaison des attributs des dettes interne et externe 2.3 Appartenance au groupe et utilisation de dette externe 2.4 Synthèse : appartenance au groupe, utilisation de dette intragroupe et levée des contraintes financières 114 115 117 118 III – Revue de la littérature empirique 3.1 Conclusions des tests existants : l’ hypothèse d’ asymétrie d’ information comme origine des contraintes est privilégiée 3.2 Appartenance à un groupe et réduction des contraintes financières 3.3 Synthèse des conclusions des tests empiriques 3.4 Détails de la méthodologie empirique 3.4.1 Q de Tobin et relation avec les autres variables financières 3.4.2 Critique des méthodes de classification a priori des firmes 119 121 123 125 125 126 Section 2 : Efficience ou inefficience des marchés internes de capitaux 129 I – Fonctionnement des marchés internes de capitaux : allocation des ressources au sein des structures conglomérales 1.1 Différences entre marchés internes et marchés externes 1.1.1 Autre configuration : un dirigeant unique gère plusieurs divisions 1.1.2 Prise en compte de la relation d’ agence entre le dirigeant du conglomérat et les investisseurs externes 1.2 Hypothèse d’ efficience des marchés internes : avantages liés à l’ allocation interne des fonds 1.3 Hypothèse d’ inefficience des marchés internes : inconvénients liés à l’ allocation interne des fonds 1.4 Synthèse des différentes avancées théoriques : dans quelles circonstances la création d’ un marché interne est-elle efficiente ? 1.4 Typologie des modèles d’ allocation du capital en interne 1.4.1 Modèles d’ efficience 1.4.2 Modèles d’ agence 118 130 130 132 133 135 138 140 142 142 144 II – Revue de la littérature empirique 2.1 Existence d’ un marché interne de capital et valeur des firmes diversifiées 2.1.1 Diversification et valeur de la firme 2.1.2 Problèmes d’ endogénéité et erreurs de mesure 2.2 Existence d’ un marché interne actif : rotation des fonds entre les divisions 2.3 Mise en évidence des dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds : validation de l’ hypothèse d’ inefficience 2.4 Diversification liée et efficience des marchés internes de capitaux : le test de Khanna et Tice (2001) 2.5 Résumé des résultats empiriques sur l’ efficience des marchés internes au sein des conglomérats 151 III – Groupes de sociétés et création d’ un marché interne de capital 3.1 Emergence des groupes et fonction financière centralisée 157 157 4 148 148 148 149 152 154 155 3.2 Classification des groupes 3.3 Création d’ un marché interne de capital au sein des groupes et comparaison des structures de groupe et des structures conglomérales 3.4 Efficience des marchés internes au sein des groupes : validations empiriques existantes 159 160 163 Section 3 : Synthèse du cadre d’analyse 166 I – Dette intragroupe, levée des contraintes financières et recours à l’ endettement externe 1.1 Levée des contraintes financières 1.2 Dette intragroupe et dette externe : compléments ou substituts ? 167 167 168 II – Dette intragroupe et marché interne de capital 2.1 Mise en évidence du rôle actif du marché interne de capital 2.2 Efficience des marchés internes au sein des groupes 169 169 170 III – Synthèse du cadre d’ analyse : hypothèses de recherche et traduction empirique 171 CHAPITRE 2 : Etude empirique des conséquences financières de l’utilisation de la dette intragroupe : le cas de filiales françaises non cotées 173 Section 1 : Méthodologie empirique et description des échantillons d’étude 174 I – Méthode d’ échantillonnage et données collectées 1.1 Procédure de sélection des firmes 1.2 Données collectées et nombre d’ observations retenues 175 175 177 II – Statistiques descriptives : présentation et comparaison des caractéristiques financières des deux sous-échantillons 2.1 Analyse sectorielle 2.2 Comparaison des caractéristiques financières des deux sous-échantillons 2.2.1 Indicateurs de taille et de croissance 2.2.2 Mesures de performance 2.2.3 Ratios d’ endettement 2.2.4 Structure de l’ actif 2.2.5 Politique d’ investissement 2.2.6 Ratios d’ activité et d’ analyse financière 2.2.7 Considérations fiscales 2.3 Synthèse des résultats issus des tests univariés 180 181 182 184 186 187 188 188 189 Section 2 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières : test empirique à partir d’un modèle d’investissement 191 5 179 179 I – Analyse des modèles d’ investissement 1.1 Structure des modèles généraux existants 1.2 Modèle d’ analyse et calcul des variables II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières : résultats empiriques 2.1 Sensibilité investissement/cash-flows 2.2 Influence des variables de contrôle sur les niveaux d’ investissement III – La relation investissement/cash-flows est-elle monotone ? 3.1 Modèle de Matsusaka et Nanda (2000) et segmentation des échantillons d’ étude 3.2 Sensibilité investissement/cash-flows et niveau de fonds internes disponibles IV – Utilisation de la dette intragroupe et politique d’ endettement externe des filiales 4.1 Spécificité de la dette intragroupe et théories de structure de capital 4.2 Nature de l’ interaction entre l’ endettement interne et l’ endettement externe 4.3 Mise en évidence de l’ influence de la dette intragroupe sur l’ endettement externe des filiales 193 193 195 197 197 201 203 203 204 206 206 208 210 V – Synthèse des résultats empiriques de la section 2 213 Section 3 : Dette intragroupe et efficience des marchés internes 214 I – Segmentation des échantillons : performances, investissements et allocation interne des fonds 1.1 Performances des filiales et répartition de la dette intragroupe 1.2 Indicateurs de performance et politique d’ investissement : comparaison des deux sous-échantillons 215 215 217 II – Influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon : tests multivariés 2.1 Présentation du modèle d’ analyse 2.2 Résultats empiriques 221 221 223 Conclusion PARTIE 2 : Discussion, interprétation des résultats et limites de l’analyse 226 CONCLUSION GENERALE 230 BIBLIOGRAPHIE 234 6 INTRODUCTION GENERALE Les structures de groupe sont des formes organisationnelles largement répandues dans l’ ensemble des pays européens et notamment en France. La présence d’ un actionnaire majoritaire est une situation assez commune sur le marché français : le contrôle est alors assuré soit par un actionnaire individuel ou une famille, soit par une société industrielle ou financière (holding). Contrairement au contexte américain, les grandes sociétés françaises présentent un réseau très complexe de participations croisées, de relations commerciales et financières, qui a pour conséquence l’ existence de structures d’ actionnariat concentrées. Aux Etats-Unis, la stratégie d’ intégration, amont ou aval, a vu naître, des années 60 à 80, des structures multidivisionnelles, diversifiées, où une société contrôle plusieurs divisions dans des secteurs d’ activité très différents : ces divisions n’ ont pas d’ identité juridique indépendante, et leur gestion dépend exclusivement des objectifs définis par les dirigeants du conglomérat. Ces formes organisationnelles intégrées présentent, dans la plupart des cas, des structures de propriété diffuses, où le contrôle des décisions provient d’ un arbitrage entre les intérêts de plusieurs actionnaires non dominants. Ainsi, deux politiques d’ intégration coexistent et donnent naissance à deux types d’ organisation aux caractéristiques bien distinctes : les filiales de groupe sont des entités légales indépendantes ayant accès au marché financier externe (lorsqu’ elles sont cotées), et, à l’ inverse, les divisions, ne disposant pas d’ une identité juridique propre, ne peuvent intervenir sur les marchés externes et leurs ressources proviennent des fonds alloués par la direction du conglomérat. Cette recherche se concentre particulièrement sur les sociétés membres de groupe hiérarchique (à l’ opposé des groupes de type associatif fréquents sur le marché japonais), articulés autour d’ une société contrôlante et donnant naissance à des structures pyramidales. L’ enchaînement en cascades de participations permet à la société tête de groupe d’ exercer un contrôle déterminant même si elle ne détient qu’ une faible part du capital. La problématique est axée sur l’ étude des décisions de financement des sociétés membres et leurs conséquences sur la valeur. En effet, la méthode de collecte de fonds pour une société contrôlée est définie par les dirigeants du groupe, qui, lorsqu’ ils agissent dans l’ intérêt des actionnaires, tendent à maximiser la valeur du groupe dans son ensemble au lieu de privilégier les intérêts des actionnaires minoritaires de la société contrôlée. De même, la politique d’ investissement et le choix des projets à entreprendre sont dictés par la stratégie globale du groupe. Dans ce contexte, un centre décisionnel unique est chargé d’ établir et d’ appliquer une politique 7 financière centralisée, alors que plusieurs classes d’ actionnaires, aux intérêts parfois divergents, coexistent. Si l’ on s’ intéresse particulièrement aux structures filialisées, différents niveaux hiérarchiques apparaissent : les dirigeants de la société mère et ceux de la filiale. Ainsi, sans tenir compte du rôle des créanciers, les politiques d’ investissement et de financement des sociétés membres de groupe sont soumises aux effets des conflits d’ intérêts potentiels entre quatre catégories d’ acteurs, contrairement à la relation d’ agence classique dirigeants/actionnaires. L’ analyse du financement des sociétés affiliées à un groupe offre des spécificités tout à fait originales. Une firme indépendante classique a recours aux trois alternatives courantes de financement, classées par ordre d’ utilisation par Myers et Majluf (1984) : l’ autofinancement, l’ endettement et l’ augmentation de capital. Considérons le cas d’ une structure de groupe, où la société mère et plusieurs filiales sont cotées et, donc, ont accès au marché financier externe. La théorie du financement hiérarchique prévoit qu’ une firme n’ aura recours à l’ émission d’ actions nouvelles que lorsqu’ elle aura épuisé ses autres sources de financement. Ceci s’ avère effectivement pertinent dans le cas d’ une firme indépendante ne pouvant émettre qu’ un seul type d’ actions. Dans le cas du groupe, les dirigeants de la société mère ont l’ opportunité de choisir l’ entité qui réalisera l’ opération. Dans quelle mesure ce choix constitue-t-il un avantage pour les dirigeants de la société mère ? Quels sont les effets sur la valeur des titres des sociétés affiliées ? Ces deux questions constituent la base de la problématique abordée dans la première partie de cette recherche. Traditionnellement, l’ annonce d’ une augmentation de capital se solde par une réaction négative des cours des firmes émettrices : ce phénomène s’ explique en théorie par le problème de sélection adverse. De plus, cette méthode de financement a un effet à long terme sur les performances financières des firmes concernées, puisque celles-ci présentent des rentabilités inférieures à d’ autres sociétés n’ ayant pas émis. Concrètement, une structure de groupe offre une flexibilité financière supplémentaire : si l’ émission d’ actions se solde par une perte de valeur nette, les dirigeants ont l’ opportunité de « faire » émettre une filiale cotée pour collecter des fonds externes. Grâce à l’ existence d’ échanges financiers intragroupes, ces ressources peuvent être ensuite réaffectées aux différentes entités au sein du groupe. De plus, les dirigeants ont tendance à émettre des titres lorsque ceux-ci sont surévalués (en fonction de l’ information dont ils disposent) : si les actions de la société mère sont sous-évaluées, et si le groupe a besoin de fonds externes, l’ option d’ une émission réalisée par une des filiales est créatrice de valeur. Ainsi, la forme organisationnelle de groupe a pour conséquence de modifier les 8 paramètres financiers à l’ origine de la décision d’ émission d’ actions ; elle permet également de mesurer les effets d’ annonce sur les différentes entités du groupe (et non plus uniquement sur la valeur des titres de la firme émettrice), pour vérifier si l’ opération véhicule une information différenciée sur les actifs des diverses sociétés affiliées. La littérature financière s’ est surtout focalisé sur l’ analyse des introductions en Bourse de filiales (« equity carve-out »). A l’ annonce de l’ introduction, Schipper et Smith (1986) et Allen et McConnell (1998) constatent des réactions globalement positives des actions de la société contrôlante (+2%). Les arguments théoriques permettant de justifier ces résultats sont : l’ atténuation du problème de sous-investissement (modèle de Nanda, 1991), l’ efficience accrue grâce à la restructuration de la filiale ou la vente d’ actifs non liés et la réduction des problèmes d’ agence. Si l’ on s’ intéresse spécifiquement à l’ augmentation de capital au sein des structures filialisées, aucun modèle théorique ne prévoit les modalités d’ arbitrage qui s’ offrent à la direction du groupe. Le test de Slovin et Sushka (1997), sur un échantillon d’ augmentations de capital sur le marché américain, rapporte pourtant des résultats tout à fait originaux. L’ émission d’ actions, quelle que soit l’ entité émettrice, se solde par une baisse des cours des sociétés émettrices et une hausse des cours des sociétés liées : globalement, l’ effet sur la valeur totale des actifs du groupe s’ avère être positif. Ceci va à l’ encontre de l’ ensemble des résultats empiriques existants, puisque l’ annonce de toute opération qui a pour effet d’ augmenter le nombre d’ actions disponibles entraîne normalement par une perte de valeur nette. La problématique liée à l’ augmentation de capital au sein des structures mère/filiales repose sur l’ hypothèse selon laquelle les fonds collectés en externe sont mobiles au sein du groupe. Les limites du périmètre du groupe représentent les frontières d’ un marché interne de capital, où les ressources circulent entre les différentes entités. Les échanges financiers intragroupes ont pour support les prêts et dettes intragroupes, mais aussi les participations croisées et le crédit interentreprises. Par conséquent, l’ étude du financement des sociétés membres de groupe passe par l’ analyse des causes et des effets liés à l’ utilisation de la dette intragroupe. En plus des modalités classiques d’ endettement externe (dettes bancaire et obligataire), les sociétés affiliées ont accès à la dette intragroupe : celle-ci provient d’ une autre firme du groupe qui, soit redistribue des ressources excédentaires, soit collecte des fonds externes et en fait bénéficier les autres sociétés membres. Les deux conséquences fondamentales du recours à la dette intragroupe correspondent à une levée partielle des contraintes financières des 9 sociétés membres grâce à des fonds supplémentaires à moindre coût, et à la création d’ un marché interne de capital. Les contraintes financières reflètent l’ existence d’ un écart de coût important entre les modes de financement interne et externe : elles trouvent leur origine dans les problèmes d’ information et d’ agence qui conditionnent les relations de crédit entre une firme et un prêteur. Dans le cas d’ une dette intragroupe, le fournisseur de capital est également propriétaire de l’ entité qui bénéficie des fonds : les actionnaires majoritaires possèdent une part du capital des sociétés membres. Cette forme d’ emprunt n’ est donc pas soumise aux coûts d’ information classiques, et s’ avère moins coûteuse pour les firmes membres. D’ autre part, la dette intragroupe est un instrument à la disposition des dirigeants du groupe pour orienter les ressources vers les projets d’ investissement à financer : cette rotation des fonds prouve l’ existence d’ un marché interne de capital actif. Cependant, la question se pose de déterminer si l’ allocation des ressources entre les différentes filiales est efficiente : en d’ autres termes, la dette intragroupe est-elle accordée aux entités disposant d’ opportunités d’ investissement rentables ? Il est donc intéressant de mesurer l’ impact de cette nouvelle alternative de financement sur les performances financières des sociétés membres : ce point fera l’ objet de la deuxième partie de cette recherche. En effet, l’ existence de relations d’ agence multiples au sein du groupe peut venir perturber le fonctionnement du marché interne. Plus généralement, l’ hypothèse d’ un marché interne efficient pourrait justifier l’ intérêt des structures de groupe, d’ un point de vue financier et non opérationnel ou stratégique, et leur survie sur les marchés européens aux côtés des structures conglomérales américaines. De plus, les réflexions sur les marchés internes de capitaux permettent d’ analyser dans quelle mesure une transaction au sein d’ une structure hiérarchique est plus profitable qu’ une transaction réalisée sur le marché. Les développements théoriques se sont concentrés pour l’ instant sur l’ analyse des marchés internes de capitaux au sein des conglomérats américains : dans ce cas, la rotation des fonds s’ effectue à partir des cash-flows générés par les divisions. Plusieurs modèles tentent de mettre en évidence l’ efficience (Stein, 1997) ou l’ inefficience (Rajan, Servaes et Zingales, 2000 ; Scharfstein et Stein, 2000) de ces marchés. Plus particulièrement, l’ efficience provient entre autres d’ un excès de ressources disponibles et de la sélection efficace des projets d’ investissement réalisée par la direction du conglomérat. A l’ inverse, l’ inefficience découle de dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds, et notamment d’ une tendance au subventionnement des divisions les moins performantes par les divisions rentables : ce phénomène aurait pour origine les conflits d’ intérêts entre les dirigeants du conglomérat, ceux 10 des divisions et les investisseurs externes. Les résultats des tests empiriques existants penchent en faveur de l’ hypothèse d’ inefficience, celle-ci étant d’ ailleurs à l’ origine de la décote observée pour les firmes diversifiées (Matsusaka et Nanda, 2000). Le fonctionnement des marchés internes de capitaux, et ses conséquences sur la valeur et la politique d’ investissement des firmes concernées ont également été analysés dans le cadre de groupes de sociétés et de holdings, sur différents marchés (Shin et Park, 1999 ; Khanna et Palepu, 2000 ; Praet, 2002). Cette recherche comporte deux parties distinctes, mais complémentaires. La première est consacrée aux augmentations de capital au sein des structures mère/filiale. Les objectifs de l’ analyse sont de mettre en évidence les effets d’ annonce pour les firmes émettrices et les autres sociétés du groupe, d’ identifier les facteurs explicatifs des réactions observées, qui dépendent de l’ estimation des investisseurs externes, et de prévoir la probabilité d’ émission de chaque catégorie de firmes (sociétés mères ou filiales). Les arguments théoriques qui justifient l’ existence d’ arbitrages particuliers liés à la structure de groupe sont fondés sur la création d’ un marché interne actif au sein du groupe : les fonds collectés en externe peuvent être réaffectés aux différentes entités. Ainsi, la deuxième partie propose une étude détaillée des conséquences de la dette intragroupe sur l’ investissement et les performances des sociétés membres. L’ utilisation de la dette intragroupe garantit la présence de transferts de fonds significatifs entre les filiales ; elle permet également d’ assouplir les contraintes financières que subissent les filiales, et de juger l’ efficience des marchés internes. Les deux parties offrent donc un éclairage nouveau sur la politique de financement des sociétés membres de groupe, avec une situation où l’ une des entités du groupe fait appel au financement externe (partie 1), et une situation où l’ une des firmes se finance en interne (partie 2). Le lien privilégié entre ces deux parties provient de la description du fonctionnement des marchés internes de capitaux. ***** 11 12 Introduction PARTIE 1 Cette première partie se concentre sur l’ analyse d’ un mode de financement particulier : l’ augmentation de capital par émission d’ actions nouvelles. Dans une structure de groupe, cette opération correspond à la recherche d’ un financement externe de la part d’ une des entités du groupe. La notion de groupe utilisée dans les développements suivants est assez restrictive, puisqu’ elle se limite à l’ étude d’ une relation exclusive société mère/filiale. Ainsi, l’ intérêt de cette première partie est de déterminer dans quelle mesure l’ unicité de l’ organe décisionnel (direction de la société mère) et le fait de disposer de deux firmes cotées distinctes légalement permettent de modifier les causes et conséquences classiques des augmentations de capital sur la valeur du groupe. La seconde partie de cette recherche est, quant à elle, basée sur l’ analyse des contraintes financières, et les conséquences qui découlent de l’ existence d’ une autre forme de financement propre à l’ architecture organisationnelle spécifique du groupe : l’ endettement intragroupe. Dans ce cas, une des entités du groupe a la possibilité d’ avoir recours à une forme originale de financement interne, découlant de la création implicite d’ un marché interne de capital dans les limites des frontières du groupe. Lors d’ une augmentation de capital, une des sociétés membres collecte des fonds externes, puis, par l’ intermédiaire des échanges financiers intragroupes, elle a la possibilité de les redistribuer aux différentes entités. Les décisions de financement et celles qui régissent l’ allocation interne des ressources reviennent aux dirigeants du groupe, qui élaborent une stratégie financière globale. En présence d’ un projet d’ investissement rentable, si le groupe est contraint d’ opter pour une émission d’ actions, les dirigeants ont l’ opportunité de choisir l’ entité émettrice afin de maximiser la richesse des actionnaires de la société consolidée. Trois axes de recherche interdépendants sont abordés dans cette première partie : - détecter la réaction des cours des sociétés mères et filiales à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par l’ une des entités du groupe ; - identifier les déterminants des rentabilités anormales mesurées lors de l’ annonce de l’ émission à travers les caractéristiques de l’ opération et la situation financière ex ante des firmes du groupe ; cette étude tente surtout de savoir si la place (le statut) de la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) influence la réaction des cours à l’ annonce ; - évaluer la probabilité d’ émission d’ actions de chaque type de firmes à partir de son statut, et des données comptables et boursières avant l’ annonce. 13 Ces trois objectifs possèdent des bases théoriques distinctes et font l’ objet de méthodologies empiriques également différentes. Pour comprendre les effets d’ annonce dans le cadre d’ une structure mère/filiale et prévoir le contenu informatif des émissions, plusieurs explications théoriques coexistent : certaines sont liées directement au caractère particulier des firmes de l’ échantillon (hypothèse de séparation, Nanda, 1991 ; et hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires), d’ autres reposent sur des champs théoriques plus classiques (hypothèse de sélection adverse, Myers et Majluf, 1984 ; et hypothèse d’ opportunités d’ investissement, Ambarish, John et Williams, 1987). Les premiers résultats empiriques sont exclusivement descriptifs et découlent de quatre études d’ événements réalisées à partir d’ un échantillon d’ augmentations de capital de filiales et de sociétés mères sur la période 19862000. L’ originalité de la problématique de groupe réside dans le fait que les calculs permettent de distinguer l’ effet d’ annonce sur la valeur de marché des firmes émettrices, mais également sur celle des autres firmes affiliées. Le second point consiste à isoler les facteurs explicatifs des rentabilités anormales observées, avec pour objectif principal de déterminer si le statut et la place occupée par la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) parviennent à expliquer les réactions des cours à l’ annonce. Cependant, une littérature riche et abondante existe sur le sujet, et le modèle empirique, pour être valide, doit nécessairement intégrer plusieurs variables de contrôle. Aussi le modèle de régression linéaire testé comporte-t-il deux catégories de variables explicatives supplémentaires, l’ une relatant les caractéristiques de l’ opération (taille, but de l’ émission et existence d’ un droit préférentiel de souscription, DPS), et l’ autre prenant en compte quelques caractéristiques intrinsèques des firmes retenues dans l’ échantillon (taille, secteur, performances et opportunités d’ investissement). De plus, en complément d’ un modèle général appliqué à l’ échantillon dans son ensemble, nous verrons qu’ il est essentiel de tenter d’ expliquer plus en détail la réaction des cours des filiales émettrices, et celle des sociétés mères non émettrices1. Notons enfin que cette étude correspond à l’ explication du contenu informatif des émissions, du point de vue du marché et donc des investisseurs externes : en effet, ce sont eux qui corrigent la valorisation boursière de la firme au moment de la diffusion de nouvelles informations. Cette précision est fondamentale pour comprendre le cheminement 1 : L’ interprétation des conclusions des tests, et même la construction en amont des modèles de régression, sont étroitement dépendantes des résultats des études d’ événements préliminaires : ceux-ci mettent en évidence, dans le cas d’ une émission d’ actions de la part de la filiale, des réactions atypiques des cours ne correspondant pas exactement aux prédictions des hypothèses détaillées dans le chapitre théorique. 14 du raisonnement de cette recherche, et notamment l’ articulation de cette étude avec le troisième point concernant l’ évaluation de la probabilité d’ émission. La dernière étude empirique de cette première partie repose sur les développements des théories de structure de capital, axés traditionnellement sur le choix entre dettes et capitaux propres : citons la théorie du compromis (Miller, 1977 ; DeAngelo de Masulis, 1980), qui intègre les développements liés aux problèmes d’ agence2 (Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen, 1986 ; Stulz, 1990), la théorie du financement hiérarchique (Myers et Majluf, 1984), et l’ hypothèse du timing (Lucas et McDonald, 1990 ; Baker et Wurgler, 2001). La décision de financement externe et le recours au marché financier incombent à la responsabilité des dirigeants en interne. L’ objectif est donc ici d’ identifier les variables financières conduisant les dirigeants de la société mère à choisir telle ou telle entité pour réaliser l’ opération : ce choix dépend notamment des performances boursières, des niveaux d’ endettement et d’ opportunités d’ investissement de chaque catégorie de firmes. La figure 1 offre une vue d’ ensemble du cadre d’ analyse de référence de cette première partie. Cette première partie est composée de deux chapitres. Le chapitre 1 se concentre sur l’ analyse des réactions des cours aux annonces d’ augmentations de capital au sein des structures mère/filiale. Dans un premier temps, les hypothèses de recherche et la méthodologie générale des études d’ événements sont exposées. Ensuite sont évoquées la méthode d’ échantillonnage, la nature des données recueillies et les statistiques descriptives. Enfin, la dernière section relate les résultats des différentes études d’ événements. En plus de l’ analyse descriptive du premier chapitre, le chapitre 2 est entièrement consacré aux tests explicatifs, en distinguant l’ analyse des déterminants des effets d’ annonce, et les facteurs explicatifs de la probabilité d’ émission de chaque catégorie de firmes. 2 : Les deux courants reconnaissent l’ existence d’ une structure de capital optimale déterminée à partir des coûts et bénéfices liés à la dette. 15 Figure 1 : Synthèse générale du cadre d’analyse (Partie I) Impact de l’annonce d’une émission d’actions sur la valeur des deux types de firmes (sociétés mères/filiales). Méthodologie Hypothèses testées Modèles empiriques Etudes d’ événements. Déterminants des réactions des cours à l’annonce : expliquer les rentabilités anormales pour l’échantillon global, et deux sous-échantillons. Modèle de régression linéaire. Variable dépendante : Rentabilités anormales (RA) des titres à l’ annonce Réaction des cours de Influence sur RA (signes chaque catégorie de firmes, des relations attendues) : prévoir une combinaison de signes : Place de la firme dans le groupe (=1 si filiale, =0 si Hypothèse de séparation ; société mère) (-) ; Hypothèse d’ expropriation Statut de la firme (=1 si des actionnaires émettrice, =0 sinon) (-) ; minoritaires ; % de capital du premier Hypothèse de sélection actionnaire (-) ; adverse ; Taux de désengagement de Hypothèse d’ opportunités la mère (-) ; d’ investissement. Opportunités d’ investissement (+) ; Performances passées des titres (-) ; Taille de l’ opération (-) ; Existence de DPS (-). 2 études d’ événements distinctes sur un échantillon de filiales émettrices et leurs sociétés mères, et un échantillon de sociétés mères émettrices et leurs filiales ; Calcul des rentabilités anormales moyennes et cumulées, à partir de trois modèles d’ évaluation : moyenne, indice, marché ; Choix de l’entité émettrice : expliquer la probabilité d’émission de la filiale par rapport à la société mère à partir des caractéristiques financières de chacune. Modèle de régression logistique (Y=1, si filiale émettrice ; Y=0, si société mère émettrice) RA = Cste + a.FSM + b.ENE + c.SOC + d.EMI Influence sur la probabilité d’ émission de la filiale (signe attendu de la relation) : Performances passées filiales (+) ; Performances passées société mère SM (-) ; Croissance passée filiale (+) ; Croissance passée SM ( ?) ; Variation de l’ endettement financier filiale (+) ; Variation de l’ endettement financier SM ( ?) ; Opportunités d’ investissement filiale (+) ; Opportunités d’ investissement SM ( ?). PROBA = Cste + a.PERF + b.END + c.CR + d.INV Avec SOC : caractéristiques de la firme ; et EMI : caractéristiques de l’ émission. La taille et le secteur d’ activité de chaque type de firmes sont ajoutés comme variables de contrôle. La taille et le secteur d’ activité sont ajoutés comme variables de contrôle. Les résultats du modèle donnent le pourcentage de reclassement correct des observations pour chaque catégorie de firmes, mais également la signification des coefficients des variables de la régression. Le modèle est testé sur Tests statistiques : t en série l’ échantillon global, sur l’ échantillon de filiales temporelle et en coupe transversale, test des signes. émettrices et sur celui de sociétés mères non émettrices. 16 !" # Dans une forme de gouvernance société mère/filiale, lorsque les deux entités sont cotées, les dirigeants du groupe disposent de l’ avantage tout à fait original de pouvoir choisir la firme émettrice grâce à l’ existence d’ un contrôle exclusif de la société mère sur les décisions de financement de la filiale. L’ objectif de ce premier chapitre consiste à déterminer si cette forme d’ organisation entraîne une modification de la réaction classique des marchés à l’ annonce d’ une émission d’ actions nouvelles, et d’ isoler l’ impact de cette décision sur la valeur de marché de chaque firme du groupe. En effet, la réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital est traditionnellement négative : cette opération entraîne donc une perte de valeur nette pour les actionnaires des sociétés concernées. Pour financer un nouvel investissement, lorsque le seul moyen de financement envisageable est l’ augmentation de capital, les dirigeants du groupe ont l’ opportunité de minimiser la perte globale pour les actionnaires du groupe, en choisissant l’ entité émettrice. L’ opportunité d’ investissement à financer peut concerner soit la société mère, soit la filiale ; de même, l’ opération d’ augmentation de capital peut être réalisée par l’ une ou l’ autre entité. Les fonds externes collectés transitent ensuite au sein du groupe : les ressources sont ainsi réaffectées aux différents projets d’ investissement par le biais du marché interne de capital, et notamment par l’ intermédiaire de dettes et de prêts intragroupes. Dans le domaine du financement des firmes membres de groupe, la littérature financière s’ est axée sur l’ étude des introductions en Bourse de filiales (« equity carve-out »), et notamment sur la réaction des cours des sociétés mères à l’ annonce, les avantages liés à l’ ouverture du capital de la filiale au public et les problèmes d’ agence découlant de la création d’ une classe d’ actionnaires minoritaires (Schipper et Smith, 1986 ; Nanda, 1991 ; Allen et McConnell, 1998). Si l’ on s’ intéresse particulièrement aux émissions d’ actions, plusieurs questions originales émergent : l’ information, en général défavorable, véhiculée par l’ annonce de l’ émission sur la valeur de la firme émettrice se répercute-t-elle sur les autres sociétés du groupe ? La nature de l’ information transmise par l’ annonce est-elle identique pour chaque catégorie de firmes (mère/filiale) ? L’ impact sur la valeur est-il plus négatif pour les filiales que pour les sociétés mères ? 17 Les tests empiriques de notre étude reposent sur deux sous-échantillons d’ émissions d’ actions sur le marché français entre 1986 et 2000, 43 réalisées par des filiales et 19 par des sociétés mères. Pour chaque échantillon, nous avons calculé la réaction des cours de la société émettrice à l’ annonce de l’ opération, mais également celle des titres des autres sociétés du groupe (l’ échantillon total comporte 126 sociétés). Ce chapitre 1 débute par la présentation des hypothèses de recherche, qui servira de support théorique aux études d’ événements (section 1). La construction de l’ échantillon d’ augmentations de capital et les statistiques descriptives des différents sous-échantillons sont ensuite abordées (section 2). Le chapitre 1 s’ achève avec l’ analyse des résultats empiriques issus des études d’ événements. Section 1 : Développements théoriques, définition des hypothèses de recherche et présentation de la méthodologie empirique générale Si l’ on suppose l’ existence d’ asymétrie d’ information, l’ annonce d’ une émission d’ actions nouvelles véhicule une information défavorable sur la valeur de la firme. Ce constat est traditionnellement justifié par le problème de sélection adverse (Myers et Majluf, 1984). La possession d’ informations privées sur les perspectives de la firme et le respect des intérêts des actionnaires existants incitent les dirigeants à émettre des actions lorsque celles-ci sont surévaluées. Les investisseurs externes anticipent la possibilité d’ un tel comportement et corrigent à la baisse l’ évaluation des actions. La plupart des tests existants sur le marché américain ont confirmé l’ hypothèse de sélection adverse. Celle-ci pourrait également expliquer la réaction des titres de la firme émettrice dans une structure mère/filiale. Cependant, plusieurs hypothèses concurrentes permettent de prévoir la réaction simultanée des actions des autres firmes du groupe. Cette section détaille les arguments théoriques qui sous-tendent ces hypothèses, puis, présente les différentes étapes méthodologiques des études d’ événements, notamment la définition des paramètres, le calcul des rentabilités anormales et les tests statistiques usuels. 18 I – Hypothèses des études d’ événements Quatre hypothèses sont analysées dans ce paragraphe. Deux d’ entre elles dépendent de la spécificité des structures de groupe : l’ hypothèse de Nanda (1991) qui suppose que l’ émission d’ actions véhicule une information différenciée sur la valeur des firmes membres, et l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des minoritaires qui prévoit, à l’ annonce de l’ opération, l’ existence d’ un transfert de richesse des minoritaires vers les actionnaires du groupe. Les deux autres hypothèses sont plus classiques et utilisées en général pour expliquer les effets d’ annonce dans le cas de sociétés indépendantes : l’ hypothèse de sélection adverse et celle d’ opportunités d’ investissement sont adaptées pour prévoir les réactions des titres des deux firmes du groupe. 1.1 Mise sur le marché d’ une filiale et impact sur la valeur du groupe Peu d’ articles parviennent à déterminer une base théorique pour expliquer le choix de financement au sein d’ une structure mère/filiale. Le modèle d’ équilibre de Nanda (1991) s’ intéresse particulièrement à la mise sur le marché d’ une filiale, mais peut être adapté facilement à l’ étude des émissions d’ actions nouvelles. Ainsi, en présence d’ une opportunité d’ investissement rentable, une société mère a la possibilité de choisir entre trois alternatives : vente d’ actions de la filiale, émission d’ actions de la société consolidée, ou abandon du projet. L’ asymétrie d’ information concerne non seulement la valeur des actifs en place de la filiale mais aussi celle des actifs du reste de l’ entreprise. Le raisonnement de Nanda (1991) a pour but d’ identifier des équilibres grâce à l’ élimination de plusieurs scénarios à l’ aide du critère intuitif de Cho-Kreps3. Dans cette situation, les implications du modèle montrent que certaines catégories de firmes, pour financer les investissements de leur filiale, l’ introduisent sur le marché, tandis que d’ autres émettent des actions de la société consolidée. Par exemple, si la société consolidée est sous-évaluée par le marché et possède une filiale qui, elle, est surévaluée, la firme optera pour une émission d’ actions de la filiale. Ainsi, grâce à leurs décisions de financement, les firmes révèlent de l’ information concernant non seulement la valeur des actifs en place de la filiale mais aussi sur les actifs du reste du groupe. Les résultats de l’ étude de Schipper et Smith (1986) évoquent une rentabilité anormale positive de l’ ordre de 2% pour les actions 3 : Ce critère s’ appuie sur le concept d’ équilibre de Nash et s’ utilise pour décider si un équilibre potentiel est stable par rapport aux mouvements (actions) hors-équilibre des agents. 19 de la société mère à l’ annonce de la mise sur le marché d’ une filiale. Ils constatent que ces firmes sont en moyenne celles qui ont été sous-évaluées par le marché. Au contraire, les firmes qui choisissent d’ émettre des actions de la société consolidée ont été en moyenne surévaluées. Dans le cas d’ une émission d’ actions au sein du groupe, la décision de financement par les dirigeants de la société mère consiste à minimiser la perte de valeur liée à la sous-réaction des cours à l’ annonce, pour l’ ensemble du groupe. L’ article de Nanda (1991) parvient à formaliser ce choix de financement lors d’ une introduction de filiale, mais aucun article théorique ne synthétise les mêmes éléments pour le choix de l’ entité émettrice lorsque la filiale est déjà cotée et peut intervenir sur le marché. Slovin et Sushka (1997) corroborent les hypothèses issues du modèle de Nanda (1991) : ils montrent que l’ augmentation de capital au sein du groupe véhicule une information différenciée sur la valeur de chaque entité, ceci entraînant un effet d’ annonce globalement positif pour le groupe dans son ensemble. Ce résultat est tout à fait original si l’ on examine les conclusions des tests existants sur les marchés des actions français et américain qui valident généralement l’ hypothèse d’ un impact négatif sur la valeur pour les firmes annonçant une émission d’ actions nouvelles4. L’ introduction d’ une filiale sur le marché diffère de l’ augmentation de capital classique sur différents points. Tout d’ abord, la mise sur le marché offre la possibilité aux investisseurs d’ acquérir et d’ échanger des actions distinctes, reflétant spécifiquement la valeur des actifs de la filiale. Lorsque la filiale est détachée de la structure consolidée, les actifs et l’ équipe dirigeante sont souvent restructurés et la cotation s’ accompagne de flux d’ informations supplémentaires sur l’ évolution des performances financières de la filiale (information légale et volontaire). De plus, l’ existence d’ une valorisation par le marché des actifs nets de la filiale facilite l’ évaluation de la qualité de gestion des managers, permet de créer un système d’ intéressement indexé sur la valeur boursière de l’ entreprise, et facilite, le cas échéant, le rachat par une autre firme. Malgré ces divergences, les deux méthodes représentent des alternatives de financement originales pour les dirigeants de la société mère, conduisant à atténuer le problème de sous-investissement identifié par 4 : Pour une synthèse complète de la littérature empirique, se reporter à Eckbo, Masulis (1995). Plusieurs études importantes peuvent être citées : Masulis et Korwar (1986), Mikkelson et Partch (1986), Schipper et Smith (1986), Hess et Bhagat (1986), Kalay et Shimrat (1987), Bayless et Chaplinsky (1996). 20 Myers et Majluf (1984). Pour une émission d’ actions de la part des filiales, les conclusions du modèle de Nanda (1991) prévoient une réaction négative des cours de celles-ci et un effet positif sur la valeur des titres des sociétés mères correspondantes. Symétriquement, lorsque la société mère décide d’ émettre ses propres actions, elle devrait subir une perte nette de valeur, tandis que les cours des filiales attachées devraient augmenter. La littérature empirique propose d’ autres explications de la réaction des cours des sociétés mères lors de l’ introduction sur le marché d’ une filiale. Le gain de valeur observé à l’ annonce peut provenir de deux autres sources : l’ efficience accrue grâce à la restructuration de la filiale (Schipper et Smith, 1986), la vente d’ actifs non liés et les conflits d’ agence (Allen et McConnell, 1998 ; Lang, Poulsen et Stulz, 1995). Outre le modèle de Nanda (1991) spécifiquement élaboré pour l’ étude des comportements de financement au sein du groupe, nous avons relevé dans la littérature théorique d’ autres hypothèses permettant de prévoir les réactions des cours des actions des sociétés émettrices lors de l’ annonce de l’ émission. 1.2 Emission d’ actions de la filiale et expropriation de richesse des actionnaires minoritaires Le régime de protection du droit des actionnaires découle, dans le cadre réglementaire français, du droit des sociétés (Bornet, 1995). Peu à peu, les règles du droit boursier se sont imposées en raison de l’ augmentation de l’ épargne publique et de la complexité des instruments financiers. A la suite de la loi de juillet 1993, le Conseil des marchés financiers autorise, à la suite d’ une offre publique d’ achat et de vente, le groupe majoritaire à récupérer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires possédant 5% du capital ou des droits de vote d’ une société cotée. Ceci représente une obligation de retrait imposée aux actionnaires minoritaires auxquels le droit de rester associés ou de vendre leur participation est retiré. La vente est parfois réalisée contre leur gré, moyennant une indemnisation (Pariente, 1999) : cette situation est un exemple d’ expropriation de richesse des minoritaires. En France, le cadre juridique reconnaît deux 21 droits essentiels aux actionnaires minoritaires : le droit à l’ information, et le droit à la participation. Des moyens de contestation et de contrôle5 sont accessibles à tout actionnaire détenant plus de 5% du capital. Actuellement, les décisions de justice concernant l’ expropriation des minoritaires concernent surtout les opérations de fusion ou de cession de blocs de contrôle ; peu de cas d’ expropriation ont été révélés dans le cadre d’ une augmentation de capital. Notons enfin que La Porta et al. (2000), dans une étude sur la protection des minoritaires dans une trentaine de pays, constatent que le système français paraît peu performant, notamment en raison de la concentration de l’ actionnariat des sociétés cotées. L’ hypothèse d’ expropriation découle donc du principe légal selon lequel le statut d’ actionnaire majoritaire confère à la société mère la responsabilité de protéger les actionnaires minoritaires des filiales. Il existe cependant un conflit d’ intérêts entre ces deux classes d’ actionnaires, qui n’ est pas contrôlé par les forces du marché et les statuts légaux. Dans le cas où la part de capital de la société mère n’ est pas majoritaire, l’ exploitation des activités de la filiale peut entraîner une baisse de valeur de l’ action de la filiale6, et ainsi rendre attractif le rachat et l’ accession au contrôle de la part d’ un investisseur externe. Si la société mère est majoritaire, cette sanction potentielle disparaît et aucune prise de contrôle externe ne semble possible. Les décisions au sein du groupe (comme l’ allocation des fonds entre les projets d’ investissement de la mère et ceux de la filiale) reflètent les orientations des managers ayant pour objectif la maximisation de la valeur totale du groupe : la protection des actionnaires minoritaires reste limitée. Dans le cas des introductions de filiales, Schipper et Smith (1986) constatent que les sociétés mères conservent dans la plupart des cas une part majoritaire du capital et des droits de vote après l’ introduction. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette tendance : le contrôle exclusif facilite le maintien des synergies opérationnelles et financières existantes ; il permet à la société mère de consolider les comptes de la filiale, en lui laissant la possibilité de réacquérir aisément les titres de la filiale et d’ intervenir dans toutes les décisions de restructuration (de l’ activité ou du capital). Il offre surtout 5 : On peut citer par exemple le droit de demander en justice la désignation d’ un mandataire chargé de convoquer l’ assemblée ou d’ un expert de gestion, de poser par écrit des questions sur tout fait de nature à compromettre l’ exploitation, ou de demander la liquidation judiciaire de la société (Godon, 2001). 22 l’ opportunité à la filiale de rechercher des financements différenciés de ceux de la mère. Ces avantages liés à l’ existence d’ une filiale cotée sont atténués par la création d’ une minorité d’ actionnaires induisant un conflit d’ intérêts entre minoritaires et majoritaires, celui-ci étant générateur de coût pour le groupe dans son ensemble. En effet, chaque anticipation de la part du marché d’ une tentative d’ expropriation de cette catégorie d’ actionnaires sera sanctionnée par une baisse de valeur des actions de la filiale. Selon l’ hypothèse d’ expropriation, l’ émission d’ actions de la filiale est un moyen pour la société mère d’ accroître sa valeur aux dépens des autres actionnaires de la filiale. Ce courant prédit donc un effet négatif sur la valeur de l’ action de la filiale et un effet positif pour la mère qui ne peut excéder la perte subie par la filiale. Puisque les managers de la mère contrôlent les décisions des deux unités, il est impossible pour les dirigeants de la filiale d’ opérer un transfert de la mère vers la filiale ; cette hypothèse ne permet pas de prévoir l’ effet d’ une émission d’ actions de la mère sur la valeur de la filiale. 1.3 Asymétrie d’ information, émission d’ actions et hypothèse de sélection adverse Les modèles présentés dans cette section s’ appuient sur la théorie de l’ information et les conséquences des décisions financières affectant la structure de capital sur la valeur de la firme. Ils parviennent à expliquer la réaction négative des cours observée traditionnellement lors de l’ annonce d’ une émission d’ actions. De plus, les conclusions du modèle de sélection adverse de Myers et Majluf (1984) conduisent à des hypothèses testables dans le cadre d’ une structure mère/filiale. Le modèle de Leland et Pyle (1977) prévoit que les variations de la part de capital détenue par les managers en interne ont des conséquences sur la valeur de la firme7. Les investisseurs rationnels réalisent que les managers disposent d’ informations privées sur la valeur des cash-flows futurs, et comprennent qu’ il leur est coûteux de conserver une fraction significative du capital de la firme (diversification de leur portefeuille d’ actifs 6 : La société mère peut acheter des produits ou des prestations de la filiale en des termes favorables, exploiter ses actifs et ses opportunités d’ investissement, ou même utiliser les fonds de la filiale pour financer ses propres projets d’ investissement. 7 : Dans un autre modèle de signal, Ross (1977) suppose l’ existence de compensations pour motiver les managers à dévoiler la véritable valeur de la firme grâce aux décisions financières affectant la structure de capital. Le marché interprète ces modifications comme des signaux crédibles, puisque les firmes de moins bonne 23 financiers). Ainsi, les managers ne sont incités à détenir une part importante du capital que lorsqu’ ils s’ attendent à une augmentation de la valeur de la firme. La part du capital détenue par les dirigeants en interne constitue un signal crédible aux yeux des investisseurs. Une émission primaire, qui entraîne une réduction de la participation au capital des dirigeants, véhicule alors une information défavorable sur les perspectives financières de la firme. Dans un second modèle, Miller et Rock (1985) démontrent qu’ un recours croissant au financement externe signale aux investisseurs une diminution des bénéfices actuels de la firme, en supposant que les décisions d’ investissement sont en moyenne inchangées. Ainsi, les auteurs concluent à une réaction négative des cours à l’ annonce d’ une nouvelle émission, celle-ci étant proportionnelle au montant de l’ opération8. Enfin, en s’ appuyant sur le phénomène de sélection adverse, les développements de Myers et Majluf (1984) proviennent du comportement rationnel des investisseurs : ceux-ci pensent que les managers optent pour l’ émission d’ actions lorsqu’ ils considèrent que les actions de la firme sont surévaluées par le marché (en fonction des informations qu’ ils détiennent en interne sur la gestion de la société). Les managers agissant dans l’ intérêt des actionnaires existants, ces derniers subissent une perte de richesse nette si les actions émises sont sous-évaluées, et un gain dans le cas contraire. En conséquence, les investisseurs ajustent et corrigent à la baisse l’ évaluation des actions au moment de l’ annonce d’ une émission. L’ hypothèse de sélection adverse montre qu’ une émission d’ actions véhicule une information défavorable au marché, spécifique à l’ entité émettrice. Selon cette perspective, la réaction des actions de la filiale émettrice devrait être négative, cet effet négatif se répercutant sur la valeur des actions de la mère proportionnellement à la part de capital qu’ elle détient dans la filiale. De même, l’ émission d’ actions de la mère conduirait qualité ne peuvent émettre un signal similaire qu’ en supportant des coûts de faillite supplémentaires. Il s’ ensuit qu’ une émission d’ actions (réduction du ratio d’ endettement) transmet un signal négatif sur la valeur de la firme. 8 : Outre les modèles basés particulièrement sur l’ information transmise au marché grâce aux décisions financières, les modèles reposant sur la théorie de l’ agence et le comportement opportuniste des dirigeants (Jensen et Meckling, 1976) prévoient également une réaction négative des cours à l’ annonce d’ une émission. Une participation au capital plus élevée des managers tend à réduire les conflits d’ intérêts potentiels entre ces derniers et les investisseurs externes souhaitant maximiser la valeur des actions. Dans ce cas, toute opération financière résultant en une augmentation du nombre d’ actions réduit la part détenue par les managers, et est synonyme d’ impact négatif sur la valeur de la firme. 24 à une réduction de valeur, et, si le marché considère que les actions de la mère reflètent conjointement les projets de la mère et de la filiale, l’ émission de la mère devrait diminuer également la valeur des actions de la filiale. Cependant, ce courant ignore les arbitrages et les conditions de choix de l’ entité émettrice (mère/filiale). 1.4 Opportunités d’ investissement et réaction des cours à l’ annonce L’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement estime que l’ émission d’ actions de la filiale représente un moyen d’ obtenir des fonds externes destinés au financement de ses investissements, l’ action donnant accès exclusivement aux cash-flows de la filiale. Le modèle du signal de Ambarish, John et Williams (1987) prévoit une réaction positive du cours à l’ annonce pour les sociétés en forte croissance possédant peu d’ actifs tangibles, et une réaction négative des titres des firmes matures, de grande taille et possédant peu d’ opportunités d’ investissement. Dans leur modèle d’ équilibre, les dividendes, les investissements et l’ émission d’ actions sont autant de signaux disponibles pour que les dirigeants parviennent à communiquer la véritable valeur des firmes au marché. Par hypothèse, les managers ne possèdent une information privilégiée que sur un seul attribut : les cash-flows futurs émanant des actifs en place ou les opportunités d’ investissement. Les propriétés du modèle de Ambarish, John et Williams (1987) conduisent aux conclusions suivantes : - si l’ asymétrie d’ information concerne les actifs existants, les dirigeants rejettent de manière optimale les projets à VAN négative ; - si l’ asymétrie d’ information provient des opportunités d’ investissement de la firme, les dirigeants auront tendance à accepter des projets à VAN négative. Puisque les ressources et les emplois de fonds doivent s’ égaliser à l’ équilibre, les projets à VAN positive (négative) entraînent des coûts négatifs (positifs) pour les émissions d’ actions nouvelles. Par conséquent, l’ effet d’ annonce d’ une émission d’ actions devrait être positif dans le premier cas et négatif dans le second. En comparaison, à l’ équilibre, les dividendes correspondent toujours à un signal coûteux ; ainsi, l’ effet d’ annonce devrait être positif. Ces développements généralisent les conclusions de Miller et Rock (1985), et de Myers et Majluf (1984). La théorie des free cash-flows de Jensen (1986) parvient également à prévoir l’ influence de la rentabilité des opportunités d’ investissement sur la réaction du marché à l’ annonce d’ une émission d’ actions. Selon cette perspective, les 25 managers ont tendance à accroître le montant des actifs sous leur contrôle, même si cette croissance entraîne une baisse de valeur globale pour la firme et ses actionnaires. De ce fait, la réaction du marché à l’ annonce d’ une augmentation de capital dépend de l’ appréciation des investisseurs externes quant à l’ usage des fonds collectés, et particulièrement la probabilité que ceux-ci servent à financer des projets à VAN positive. Pour les firmes disposant d’ opportunités rentables, l’ effet d’ annonce attendu est donc positif ; dans le cas contraire où la firme possède peu de perspectives de croissance, la réaction du marché est négative. Contrairement aux deux modèles précédents, les modèles de sélection adverse (Myers et Majluf, 1984 ; Choe, Masulis et Nanda, 1993), concluent que les firmes dont la rentabilité des investissements futurs est particulièrement élevée subissent quand même un effet d’ annonce négatif : la réaction du marché est atténuée mais demeure négative. L’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement prévoit une réaction positive du cours de la filiale et de celui de la mère à l’ annonce d’ une émission de la filiale, si l’ on considère que la filiale dispose d’ opportunités d’ investissement rentables. Puisque les sociétés mères sont en majorité des firmes matures, le modèle prévoit parallèlement un effet négatif sur les actions de la mère pour une émission de la mère, mais ne parvient pas à prévoir le sens de la réaction des titres de la filiale. Le tableau 1 récapitule les différentes hypothèses théoriques concurrentes sur les réactions des cours aux annonces d’ augmentations de capital des filiales et des mères. Tableau 1 : Synthèse des propositions théoriques pour l’étude d’événement L’ hypothèse d’ expropriation ne parvient pas à prévoir la réaction des titres des firmes dans le cas d’ une émission d’ actions de la mère. De même, l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement ne formule aucune prédiction sur la réaction des cours des filiales à l’ annonce d’ une émission des mères. Le tableau 1 récapitule le signe prévu des rentabilités anormales moyennes à l’ annonce. Emission d’actions de la filiale Réaction des cours de la filiale Réaction des cours de la mère Emission d’actions de la mère Réaction des cours de la mère Réaction des cours de la filiale Nanda (1991) Sélection adverse Négative. Expropriation de richesse Négative. Négative. Opportunités d’investissement Positive. Positive. Positive Négative. Positive. Négative. ?? Négative. Négative. Positive. ?? Négative. ?? 26 En construisant deux échantillons distincts, de filiales et de sociétés mères émettrices, il est possible de réaliser deux études d’ événements et de tester les hypothèses précédentes sur le marché français des actions. Cependant, il convient au préalable de présenter les différentes étapes méthodologiques des études d’ événements. II – Méthodologie générale des études d’ événements 2.1 Nature de l’ événement et date d’ annonce Une étude d’ événement consiste à mesurer la réaction des cours à la date d’ annonce d’ un événement. Celui-ci peut prendre plusieurs formes (annonce de résultats, distribution de dividendes ou émission de titres) et correspond à un flux d’ information privée transmise au marché et reflétant les décisions financières des dirigeants. Les conséquences sur les cours de telles décisions permettent d’ évaluer la qualité de la gestion et les compétences des managers (cette hypothèse suppose que le marché est efficient au sens où les cours reflètent à chaque instant toute l’ information disponible). L’ évolution des cours à la date d’ annonce est mesurée par une différence de rentabilité entre le titre et une norme (calcul de rentabilités anormales). La première étape de la méthodologie consiste à identifier l’ événement, les dates d’ annonce et les périodes d’ étude. L’ événement est caractérisé par son impact sur la valeur de la firme : il peut être périodique ou occasionnel (annonce de résultats/émission d’ actions), comme il peut être exogène ou provoqué par les dirigeants de la firme. Par ailleurs, il est impératif qu’ il n’ existe aucun autre événement simultané à l’ annonce étudiée pour pouvoir isoler l’ effet sur les cours9. La date d’ événement est assimilée à celle de sa première annonce en provenance d’ une source d’ information publique. En France, aucune publication n’ est systématiquement la première à annoncer les événements financiers, ce qui nécessite la consultation de plusieurs sources. La date de réunion du Conseil d’ Administration, la date COB, la date du BALO, ou les dates des dépêches AFP sont autant d’ alternatives possibles. Nous retenons pour notre étude la date d’ annonce de la COB10. Pour tenir compte de ces décalages dans l’ arrivée des flux 9 : Hachette (1994) note par exemple que l’ annonce de dividendes est souvent accompagnée de l’ annonce de bénéfices, et que les émissions d’ obligations convertibles sont parfois annoncées en même temps que les augmentations de capital. 10 : Dans une étude sur les modalités d’ émissions d’ actions avec ou sans DPS, Gajewski et Ginglinger (1996) retiennent trois dates de référence pour l’ étude d’ événement : la date du CA, la date COB et la date BALO. 27 d’ information, on considère comme période d’ événement un intervalle de temps (-Ei ; +Ei) spécifique à chaque titre i et centré sur la date Di=0, date de première annonce. 2.2 Calcul des rentabilités anormales et des tests statistiques Après avoir identifié les paramètres précédents, la deuxième étape est consacrée au calcul des rentabilités anormales sur la période d’ événement, celles-ci permettant de traduire l’ impact de l’ annonce sur la valeur des titres. La rentabilité anormale (écart de rentabilité entre le titre et une norme) se définit comme suit : RAit = Rit – E(Rit), où RAit est la rentabilité anormale du titre i à la date t ; Rit, la rentabilité du titre i à la date t et E(Rit) la rentabilité attendue en l’ absence d’ événement. Les calculs reposant sur les cours d’ ouverture des titres, la rentabilité réelle Rit est définie par : Rit = (Pt+1 + Dt+1 – Pt) / Pt, ou en utilisant la formule logarithmique : Rit = log (Pt+1 + Dt+1 / Pt), avec D, le montant du dividende. Par définition, la rentabilité anormale est d’ espérance nulle en dehors de la période d’ événement. E(Rit) n’ est pas observable et est remplacée par une norme estimée à partir d’ un modèle de prévision des rentabilités à l’ équilibre. Les modèles utilisés dans notre étude (modèles de la moyenne, de l’ indice et de marché) supposent la stabilité de la variance des rentabilités entre les différentes périodes : cette hypothèse suppose que l’ événement affecte la rentabilité moyenne du titre, mais est sans impact sur son risque (Grar, 1993). Les rentabilités anormales de chaque titre sont regroupées en fonction du calendrier de l’ événement et l’ on calcule la rentabilité anormale moyenne de l’ échantillon de taille N à chaque date de la période d’ événement : RAMt = 1/N RAit 28 Un test statistique de moyenne nulle permet alors de tester l’ hypothèse nulle RAMt = 0. Celuici est défini par le rapport entre la rentabilité anormale moyenne et l’ écart-type calculé en série temporelle11 : Tp = RAMt / où (RAM) = (RAM) (1/L-1) (RAMt – 1/L RAMt) ², Le ratio Tp peut être calculé pour les rentabilités anormales moyennes cumulées. Ce test classique de l’ hypothèse nulle repose sur plusieurs hypothèses difficiles à respecter en pratique avec les échantillons utilisés. Tout d’ abord, les RAit, et donc les RAMt, doivent suivre une loi normale. D’ autre part, les RAit sont indépendantes et identiquement distribuées. Si ces conditions sont vérifiées, Tp suit une loi de Student à N-1 degrés de liberté. L’ hypothèse de normalité étant rarement vérifiée, il convient d’ utiliser également un test non paramétrique. Le test des signes permet de vérifier s’ il existe autant de rentabilités positives que de négatives : Tnp = N+ - (N+ + N- / 2) / (N+ + N-) / 4 La validité de l’ hypothèse d’ indépendance entre les rentabilités anormales dépend de la nature de l’ événement : la corrélation des RAit existe si les différents événements se chevauchent dans le temps ou si un événement spécifique peut affecter plusieurs titres à la fois. Dans notre étude, les dates d’ annonce des augmentations de capital sont différentes pour chaque titre, ce qui assure une très faible corrélation entre les RAit, d’ autant que la période d’ étude s’ étale de 1986 à 2000 (15 ans). Un autre biais est constitué par le non respect de l’ hypothèse d’ absence d’ autocorrélation temporelle des RAit. Ce phénomène provient de l’ asynchronisme12 dans la fréquence des transactions : les RAit ne couvrent pas une période de temps constante. Ceci peut s’ expliquer par les données manquantes sur les bases de données boursières. Dans notre étude, les cours des firmes retenues doivent être disponibles pour tous les jours de la période d’ événement. Sur la période d’ estimation, différentes méthodes de lissage des données 11 : Un second test paramétrique consiste à calculer l’ écart-type en coupe instantanée. 29 peuvent être utilisées (Hachette, 1994) : en pratique, au vu du faible nombre de données manquantes pour les titres concernés, nous avons remplacé le cours manquant par le précédent. 2.3 Normes et modèles d’ estimation Pour calculer la norme E(Rit), trois modèles d’ estimation sont nécessaires pour assurer la validité interne de l’ étude. Dans le modèle de la moyenne, la norme est indépendante du temps, mais fonction du titre de chaque firme. E(Rit) est calculée sur la période d’ estimation de longueur L et correspond à la moyenne de la rentabilité « normale » de chaque titre : E(Rit) = 1/L Rit La période d’ estimation doit être suffisamment longue pour éviter le problème d’ instabilité de la moyenne. La période d’ estimation est fixée dans notre test sur l’ intervalle (-150 ; -51) et s’ étale donc sur 100 jours de cotation. Dans le modèle de l’ indice, la norme E(Rit) ne dépend que du temps et est identique pour chaque firme. La rentabilité anormale du titre i à la date t s’ écrit : RAit = Rit – Rmt, où Rmt (= E(Rit)) est la rentabilité de l’ indice de marché à la date t. Cette méthode permet de ne pas avoir recours à des données antérieures ou postérieures à l’ événement pour le calcul de la norme. Dans notre étude, en raison de l’ antériorité des données et de la durée importante de la période considérée (1986-2000), l’ indice retenu pour calculer la rentabilité normale est l’ indice CAC 40, seul indice disponible avant l’ apparition des indices SBF. 12 : L’ asynchronisme est la conséquence des différences de liquidité entre les titres et de fréquence de cotation ; 30 Enfin, pour le modèle de marché, la norme E(Rit) est définie par : E(Rit) = i + En pratique, i.Rmt i et i sont estimés sur la période d’ estimation par une régression des moindres carrés ordinaires : Rit = i + i.Rmt + it Pour chaque date de la période d’ événement, la norme E(Rit) est calculée à partir des paramètres estimés par : E(Rit) = i’ + i’ .Rmt Les deux coefficients sont calculés sur la période d’ estimation à partir des estimateurs des moindres carrés ordinaires. Dans notre étude, les différentes étapes de cette méthodologie sont appliquées sur un échantillon de firmes françaises cotées, filiales et sociétés mères uniquement, ayant réalisé une augmentation de capital entre 1986 et 2000. Les trois modèles sont testés et les rentabilités anormales moyennes simples et cumulées sont calculées à partir des cours quotidiens d’ ouverture, pour chaque jour de la période d’ événement. La section suivante présente la nature des données recueillies et décrit les caractéristiques des augmentations de capital retenues, et celles des firmes de l’ échantillon. Section 2 : Construction de l’échantillon et statistiques descriptives Cette section détaille les étapes de la méthode d’ échantillonnage, en insistant sur l’ identification des principaux actionnaires de chaque firme et sur la disponibilité des données boursières pour le calcul des rentabilités anormales. Puis les statistiques descriptives sont exposées, en ayant pour objectif d’ identifier les différences entre les caractéristiques des ce phénomène représente l’ absence de périodicité constante dans les données. 31 émissions réalisées par les sociétés mères et celles opérées par les filiales. Outre les termes de l’ opération (but, taille, et méthode d’ émission), les attributs financiers essentiels de chaque firme sont analysés. I - Echantillonnage et données recueillies La démarche consiste tout d’ abord à identifier les émissions d’ actions à partir de 1986 sur le marché français, puis à étudier les structures d’ actionnariat des sociétés émettrices. Toutes celles étant contrôlées à plus de 40% par une autre firme ont été retenues13. Le marché français est en effet caractérisé par l’ existence de structures d’ actionnariat concentrées, et la présence d’ un actionnaire majoritaire à la tête d’ une société cotée est relativement fréquente. Dans la plupart des cas, la règle « une action/un vote » n’ est pas vérifiée, et, lorsque les titres sont détenus entre 2 et 4 ans, c’ est au contraire la règle « une action/deux votes » qui prévaut (Gajewski et Ginglinger, 2002) : ainsi, en raison de droits de vote doubles, la limite de 40% de capital devrait être synonyme de majorité. La deuxième étape a alors permis de vérifier que les sociétés mères étaient elles-mêmes cotées, les autres ont été éliminées. Enfin, pour être ajoutées définitivement dans l’ échantillon, les cours des actions des firmes retenues devaient figurer sur la base Euronext. L’ échantillon final comporte d’ une part 43 filiales émettrices et les 43 sociétés mères correspondantes, et d’ autre part 19 sociétés mères émettrices et 21 filiales attachées. L’ échantillon est constitué de firmes industrielles et commerciales, mais aussi de banques et sociétés financières, car de nombreuses sociétés mères appartiennent au secteur financier. De plus, peu d’ indicateurs comptables de gestion et d’ exploitation sont nécessaires aux calculs des variables explicatives des modèles, ce qui ne provoque pas de problèmes d’ harmonisation des données entre les firmes. Les émissions primaires ont été réalisées sur le Règlement Mensuel, le Marché Comptant et le Second Marché entre 1986 et 200014. L’ identification des pourcentages de capital détenus par les sociétés mères proviennent de deux sources : les notes d’ émissions de la COB et les annuaires 13 : L’ analyse n’ a pas pu être réalisée en fonction des pourcentages de droits de vote détenus car cette donnée n’ était pas disponible en début de période. 14 : Les émissions secondaires et les combinaisons primaire-secondaire sont exclues. 32 DafsaLiens. En effet, la composition du capital de la filiale précisée par la note d’ émission ne permet pas de distinguer les sociétés mères indépendantes de celles contrôlées ellesmêmes par d’ autres firmes15. Pour l’ étude d’ événement, les cours boursiers sont extraits de la base Euronext (19772001). Les cours quotidiens ont été recueillis sur les douze mois précédant le mois de l’ annonce de l’ émission (date COB) et les deux mois suivants, ceci pour pouvoir calculer la sous- ou sur-performance des titres avant l’ émission16. La densité de cotation sur la base est très variable et les firmes dont les données boursières ne sont pas disponibles pour chaque jour de la période d’ événement sont systématiquement éliminées17. Pour le calcul des rentabilités anormales, il a été nécessaire de collecter les variations quotidiennes d’ un indice de marché (disponibles également dans la base Euronext) ; dans notre étude, la norme est déterminée par l’ indice CAC 40, qui, même s’ il peut présenter un biais « grandes sociétés », est le seul indice boursier recensé sur l’ ensemble de la période d’ étude (1986-2000). Nous avons également synthétisé les principales caractéristiques des émissions à partir des notes d’ information de la COB à travers divers indicateurs : le produit brut de l’ opération et le nombre d’ actions émises, le but de l’ émission, l’ existence d’ un droit préférentiel de souscription (DPS), les pourcentages de capital détenus par la société mère et le deuxième actionnaire de la firme avant l’ annonce de l’ émission, et le taux de désengagement des actionnaires principaux. Pour la réalisation des tests empiriques explicatifs (explication des rentabilités anormales et estimation de la probabilité d’ émission), il a été nécessaire de collecter des données boursières et comptables pour chaque type de firmes. Toutes les données financières sont collectées sur les trois années précédant l’ annonce de l’ émission, à la clôture des 15 : Par exemple, la société Axa détenait 68,4% de la firme Finaxa en 1991 et était elle-même contrôlée par la Compagnie du Midi. 16 : La base Euronext pose un problème de disponibilité des données : sur la période 1977-1991, elle représente 90% de la capitalisation du marché français et comprend les cours d’ ouverture, de clôture, les cours ajustés et parfois les volumes de transaction quotidiens des titres. Or, les cours d’ ouverture utilisés dans cette étude ne sont pas forcément disponibles pour chaque titre quotidiennement. Hamon et Jacquillat (1990) évoquent plusieurs raisons à ce problème : le cours peut être coté mais non transmis à la SBF, la cotation est suspendue par la SBF, des événements interviennent tels que pannes, grèves ou illiquidité du titre. Pour une analyse mensuelle détaillée sur la densité de cotation sur la base SBF-AFFI (1977-1991), se reporter à Hachette et Mai (1991). 17 : Pour les autres périodes, les cours manquants sont remplacés par les cours des jours précédents. D’ autres méthodes sont possibles (Hachette, 1994). 33 exercices. Pour les firmes émettrices, la quasi-totalité des données requises étaient mentionnées dans les notes d’ information de la COB. Pour les sociétés non émettrices, l’ accès aux données a été plus complexe. Les données boursières, principalement les capitalisations et le nombre d’ actions existantes, proviennent de l’ Année Boursière, document édité par la COB. Les données comptables ont été plus difficiles à collecter en raison de l’ antériorité requise dans l’ historique des données : en travaillant sur une période de trois ans, les données s’ étendent de 1983 à 2000. Pour la période 1995-2000, les valeurs comptables sont extraites de la base Diane. Pour quelques données récentes manquantes, nous avons eu recours également à la base Sophie, gérée par la COB et disponible sur Internet. Pour les sociétés non émettrices sur la période 1983-1995, les données sont directement extraites des rapports annuels d’ activité : ces derniers sont disponibles aux archives de la Chambre de Commerce et d’ Industrie de Paris (CCIP), et à la bibliothèque de France (BNF). Au cours de la collecte de données, nous n’ avons retenu que des chiffres « bruts » et non recalculés : la variété des sources d’ information nous a conduit à effectuer distinctement le calcul des ratios financiers classiques. Pour le calcul des variables des tests empiriques, les agrégats comptables suivants ont été collectés : le total de l’ actif net, les capitaux propres, les dettes financières à long terme, le chiffre d’ affaires, le résultat d’ exploitation et le résultat net. Les données comptables sont issues des comptes consolidés de chaque type de firmes. II - Statistiques descriptives : Emissions d’ actions de filiales et de sociétés mères sur le marché financier français entre 1986 et 2000 L’ échantillon d’ étude est constitué de 62 émissions d’ actions nouvelles réalisées au cours de la période 1986-2000 ; 43 proviennent de filiales et 19 de sociétés mères. La répartition des émissions est assez homogène (entre 2 et 6 émissions par an), sauf pour les années 1986 et 1994, qui sont sur-représentées avec 10 et 9 émissions (environ 30% du total), et pour l’ année 1995 qui n’ en comporte aucune. Le tableau 2 synthétise les caractéristiques descriptives des émissions et des sociétés cotées. 34 Tableau 2 : Caractéristiques des augmentations de capital et des firmes de l’échantillon Les variables liées aux caractéristiques des émissions (Emi1, Emi, Actio1, Garantie) ne concernent que l’ échantillon de sociétés émettrices (62 entreprises, dont 43 filiales et 19 sociétés mères). Les caractéristiques financières des firmes portent sur l’ échantillon agrégé (N=126, dont 64 filiales et 62 sociétés mères). (Emi1) désigne le produit brut de l’ émission en K , (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises / Nombre d’ actions existantes), (Actio1) mesure la part de capital détenue par le premier actionnaire de la firme, (Garantie) indique le pourcentage de souscription à la nouvelle émission annoncé par les anciens actionnaires, (Logcap) représente le logarithme de la capitalisation boursière de la firme au 31.12.t-1 (l’ année 0 étant celle de l’ annonce de l’ émission), (End) le ratio (Dettes financières long terme t-1/Total de l’ actif t-2) et (Bm) correspond au ratio (Total des capitaux propres comptables/Capitalisation boursière) en t-1. Le test t de comparaison des moyennes est donné pour l’ hypothèse d’ inégalité des variances, la signification du test est entre parenthèses. ** : significatif à 1%, * : à 5%, ° : à 10%. Variables Produit brut K (Emi1) % Dilution (Emi) % Premier actionnaire (Actio1) % souscription prévu (Garantie) Taille (Logcap) Ratio d’ endettement (End) Opportunités d’ investissement (Bm) Echantillon total Moyenne 50 436 Médiane 29 101 Sociétés mères Moyenne 161 585 Filiales 21.03 14.28 10.48 59.18 56.61 37.11 76.6667 95.00 51.80 84.4375 14.9389 14.9873 15.7926 14.0852 0.1634 0.1427 0.1539 0.1686 0.5592 0.5069 0.6617 0.5018 Test statistique Moyenne T (signification) 15 702 2.692** (0.009) 25.46 -2.597* (0.013) 63.20 -5.254** (0.000) -2.046° (0.064) 5.792** (0.000) -0.502 (0.617) 1.648 (0.106) 88,7% (55) des opérations s’ accompagnent d’ un droit préférentiel de souscription ; les 11,3% (7) restantes sont pour la plupart le fait de sociétés mères souhaitant ouvrir leur capital à l’ étranger, qui prévoient une tranche internationale. Seules deux filiales, récemment cotées, abandonnent le mécanisme du DPS, également pour attirer de nouveaux investisseurs. Il est important de souligner que l’ abandon du DPS va souvent de pair avec la non souscription des actionnaires de la société mère dans le cas des filiales émettrices et des actionnaires anciens pour les sociétés mères. Dans le tableau 2, la variable (Garantie) mesure le taux de souscription annoncé par les actionnaires anciens dans la note d’ information : pour l’ échantillon global, la moyenne s’ établit à 76.66% et la médiane à 95%. Il semble donc qu’ en règle générale les actionnaires anciens souhaitent souscrire à l’ augmentation de capital. Cependant, on note un taux de désengagement moyen significativement plus important pour le sous-échantillon de sociétés mères émettrices, avec un taux de souscription prévu de 51.8%, contre 84.44% pour les filiales. 35 Nous avons recensé également les buts et motivations des émissions évoqués par les sociétés cotées, et défini une variable de regroupement prenant les valeurs suivantes : - 0 : l’ émission a pour but de rééquilibrer la structure financière de la firme. - 1 : l’ émission doit financer un nouveau projet d’ investissement. - 2 : l’ émission doit financer une nouvelle acquisition. - 3 : l’ émission contribue à un processus de restructuration et de réorganisation du capital. - 4 : autres, et notamment, se conformer à des standards bancaires internationaux, modifier la structure de propriété existante (actionnariat), projet de cotation à l’ étranger, ou raisons mixtes ne permettant pas un classement précis dans les catégories précédentes. 35.5% (22) des firmes émettrices veulent rééquilibrer leur bilan. Dans 41,9% (26) des cas, les fonds levés lors de l’ émission seront affectés au financement de programmes d’ investissement, dont 11.3% (7) pour le financement d’ acquisitions. Seules 4,8% (3) des firmes sont concernées par des problèmes de restructuration ; la dernière catégorie rassemble quant à elle 17,8% des sociétés émettrices. Si l’ on considère exclusivement l’ échantillon de sociétés mères émettrices, on note dans 39% des cas une volonté de rétablir une structure financière équilibrée, pour 28% des firmes celle de financer un investissement nouveau, et surtout aucun cas de restructuration. Pour les filiales émettrices, 48% des émissions sont réalisées dans le but de financer un projet d’ investissement et 34% afin de diminuer le ratio d’ endettement. Il en résulte que les filiales semblent disposer de plus d’ opportunités d’ investissement rentables que les sociétés mères. Cette tendance se retrouve si l’ on examine les statistiques de la variable (Bm), mesurant les opportunités d’ investissement de chaque type de firmes avant l’ émission. Même si la différence n’ est pas significative, la moyenne du ratio (Total capitaux propres comptables / Capitalisation boursière en n-1) est plus faible pour les filiales que pour les sociétés mères (0.5018 contre 0.6617). Ce constat conforterait l’ idée que les filiales sont en moyenne des firmes jeunes en phase de croissance, plus risquées (dans 7% des cas, l’ émission s’ inscrit dans le cadre d’ un plan de restructuration de la firme), et que les sociétés mères sont au contraire des sociétés matures faiblement risquées et connaissant un taux de croissance modéré (Schipper et 36 Smith, 1986). De plus, on peut supposer que dans le cadre du financement de nouveaux investissements, ceux-ci ne concernent que l’ entité émettrice, alors que, dans la perspective d’ un rééquilibrage du bilan, l’ opération a une incidence sur le groupe dans son ensemble. Dans le tableau 2, la variable (Emi1) correspond au produit brut de l’ opération. En moyenne, les firmes collectent un montant de 50 436 K ; la valeur de la médiane (29 101 K ) indique l’ extrême hétérogénéité de l’ échantillon d’ émissions, celle-ci découlant des différences de taille entre sociétés mères et filiales, et de la durée de la période d’ étude (15 ans) où l’ on constate un accroissement significatif des montants collectés au cours du temps, surtout sur les années 1995-2000. De plus, nous avons construit un indicateur de taille relative grâce au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes) : la variable (Emi) montre que les actions émises représentent en moyenne (médiane) 21.03% (14.28%) du capital existant. Si l’ on décompose maintenant ces chiffres en fonction de la nature de la firme (filiale/société mère), des différences de moyennes significatives apparaissent entre les deux sous-échantillons. Les sociétés mères lèvent, en moyenne, environ 10 fois plus de fonds que les filiales (161 585 contre 15 702 K ). Ces émissions, d’ un montant imposant, ne représentent pourtant que 10,48% du capital existant des sociétés mères (les filiales émettent quant à elles 25,46% de leur capital). D’ autre part, nous avons collecté, toujours dans les notes de la COB, des informations sur la composition du capital des sociétés émettrices avant l’ opération. La variable (Actio1) mesure le pourcentage de capital détenu par l’ actionnaire principal de la firme, celui-ci variant entre 40 et 100% pour les filiales émettrices en raison des contraintes d’ échantillonnage. En moyenne, le premier actionnaire détient 59.18% du capital pour l’ échantillon total (médiane : 56.61%), ce qui confirme l’ idée que les sociétés cotées françaises possèdent une structure d’ actionnariat concentrée, à l’ inverse des grandes sociétés industrielles américaines. Pour l’ échantillon de filiales émettrices, la société mère dispose d’ un contrôle majoritaire avec 63,20% du capital. De plus, pour tenter d’ identifier l’ existence d’ un contre-pouvoir, le pourcentage de capital détenu par le second actionnaire 37 a été également collecté18 pour ce sous-échantillon : la variable (Actio2) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le deuxième actionnaire de la filiale détient plus de 15% du capital. Seules 23,5% (10) des filiales émettrices possèdent un second actionnaire significatif, pouvant influencer les décisions de gestion et s’ opposer au pouvoir des dirigeants de la société mère. Notre problématique suppose un contrôle exclusif de la mère sur la filiale, et notamment une implication déterminante dans les décisions de financement. La structure de propriété moyenne des filiales émettrices évoquée dans les statistiques précédentes correspond à une situation où la société mère peut, si elle le souhaite, « forcer » l’ émission d’ actions de la filiale dans le cas où elle préfère éviter d’ émettre ses propres actions. L’ absence d’ un contre-pouvoir significatif dans l’ échantillon offre la possibilité de tester efficacement l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires. Si l’ on examine les caractéristiques financières générales des firmes, on constate que les sociétés mères possèdent une capitalisation boursière plus importante que les filiales : la différence de moyennes est significative pour la variable (Logcap). Pour l’ échantillon total, la capitalisation moyenne des filiales à la fin de l’ année t-1 représente environ 37% de celle des sociétés mères. A partir du ratio d’ endettement financier à long terme (End), on relève un taux d’ endettement moyen de 16.34% du total de l’ actif (la médiane s’ élève à 14.27%), sans noter de différence entre les deux sous-échantillons. Nous avons commencé l’ analyse sectorielle des sociétés de l’ échantillon en distinguant les sociétés industrielles, commerciales et de services. L’ échantillon total comporte 24.6% (31) de firmes industrielles, 12.7% (16) d’ entreprises commerciales et 62.7% (79) de sociétés de services19. Cependant, 49 firmes sur les 79 sociétés de services appartiennent au secteur bancaire et financier. L’ impact de l’ appartenance au secteur financier sur la disponibilité des ressources de financement et le degré de contraintes financières semble être un élément essentiel de l’ analyse. En effet, les sociétés d’ intermédiation financière ont un accès privilégié au marché obligataire (capacité d’ émettre des dettes peu risquées) et des compétences spécifiques dans la collecte et le traitement des informations financières : toutes ces particularités doivent influencer la réaction du marché à l’ annonce d’ une 18 : La vérification de l’ indépendance du second actionnaire par rapport à la société mère a été réalisée à partir des annuaires DafsaLiens. 38 émission d’ actions, en réduisant l’ asymétrie d’ information potentielle au moment de l’ opération. Nous avons donc construit une variable dichotomique (Secteur) prenant la valeur 1 si la firme appartient au secteur financier et 0 sinon. Le sous-échantillon de sociétés financières comporte 67.3% (33) de sociétés mères. Les filiales représentent par contre 62.3% des autres sociétés. La section suivante expose les résultats des tests mettant en évidence les réactions des cours des firmes émettrices et non émettrices pour chaque sous-échantillon (mères/filiales). Ils permettent de conclure sur la validité des prédictions des quatre hypothèses déjà évoquées : l’ hypothèse de séparation de Nanda (1991), l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires, l’ hypothèse de sélection adverse et l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement. Section 3 : Etudes d’événements et résultats empiriques Dans le cas d’ émissions d’ actions de sociétés indépendantes, la plupart des études empiriques américaines rapportent des rentabilités anormales cumulées négatives de l’ ordre de –2 à –3% sur deux jours20. Sur le marché français des actions, les conclusions des tests montrent un impact moins important sur les cours. Hachette (1994) conclut à une rentabilité anormale cumulée non significative (+1.18%) ; Gajewski et Ginglinger (1996) n’ évoquent qu’ une réaction négative dans le cas des émissions directes (rentabilité anormale moyenne de –0.59% à la date d’ annonce). Ces différents résultats offrent une base de comparaison pour les réactions observées dans le cadre d’ une structure mère/filiale. Les résultats issus des études d’ événements sont présentés en deux temps : tout d’ abord, les rentabilités anormales moyennes des filiales émettrices et des sociétés mères correspondantes, puis celles des sociétés mères émettrices et de leurs filiales. Chaque paragraphe comporte également une analyse des combinaisons de signes observées et le calcul des performances passées (rentabilités anormales cumulées sur les 150 jours 19 : Les sociétés mères sont sur-représentées pour cette dernière catégorie : 59.5% du total contre 40.5% pour les filiales. 39 précédant l’ annonce). En effet, les prédictions du modèle de Nanda (1991), mais également les développements classiques sur l’ asymétrie d’ information et le phénomène de sélection adverse, reposent sur la possibilité pour la société mère d’ émettre la catégorie d’ actions surévaluées, et surtout d’ éviter l’ émission de titres sous-évalués21. I - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la filiale 1.1 Réaction du cours des actions des filiales émettrices Le tableau 3 récapitule les rentabilités anormales moyennes simples et cumulées pour chaque jour de la période d’ événement, calculées à partir des cours quotidiens d’ ouverture, ajustés pour les dividendes et les modifications de capital. L’ échantillon est constitué de 43 filiales émettrices sur la période 1986-2000. La période d’ événement est fixée sur l’ intervalle (-10 ; +10) et la période d’ estimation sur l’ intervalle (-150 ; -51). Trois statistiques différentes sont calculées : Tsérie, à privilégier en raison du nombre restreint d’ observations (rapport entre la rentabilité anormale moyenne et l’ écart type calculé en série temporelle), Tcoupe (écart type en coupe instantanée) et le test des signes. Les résultats du tableau 3 sont issus du modèle de la moyenne ; les résultats des modèles de marché et de l’ indice sont similaires. Tableau 3 : Réaction des cours des filiales émettrices La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 43 filiales cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt. DATE -10 -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 1 RAMt en % -0.23 -0.22 -0.4 -0.42 -0.14 0.24 0.20 -0.41 0.02 -1.30* 0.03 -0.61 RAMCt en % Tsérie -0.23 -0.45 -0.85 -1.27 -1.41 -1.17 -0.97 -1.38 -1.36 -2.66 -2.63 -3.24 20 Tcoupe -0.29 -0.28 -0.50 -0.54 -0.17 0.30 0.26 -0.52 0.02 -1.64 0.04 -0.77 -0.36 -0.35 -0.62 -0.66 -0.21 0.37 0.31 -0.64 0.03 -2.02 0.05 -0.95 Test des signes -1.34 -0.15 -1.04 -0.75 -0.15 1.34 0.45 -1.04 0.15 -1.23 0.15 -0.44 : Eckbo et Masulis (1995) offrent une synthèse complète de la littérature empirique sur le marché américain des actions. 21 : L’ appréciation de la valeur de la firme est ici celle des managers disposant d’ informations privilégiées, et non celle du marché reposant sur l’ information détenue par les investisseurs externes. 40 DATE 2 3 4 5 6 7 8 9 10 RAMt en % -0.45 -0.13 0.05 0.14 -0.78 -0.75 -0.3 -2.52* 0.53 RAMCt en % Tsérie -3.69 -3.83 -3.78 -3.64 -4.42 -5.16 -5.47 -7.99 -7.46 Tcoupe -0.57 -0.17 0.07 0.18 -0.99 -0.94 -0.38 -3.18 0.67 Test des signes -0.71 -0.21 0.08 0.22 -1.22 -1.16 -0.47 -3.92 0.83 -1.34 -0.45 0.15 0.44 -0.44 -2.83 0.15 -0.75 -0.44 Autour de la date d’ annonce, on constate une RAMt négative et significative au jour –1 (1.30%), proche de zéro à la date d’ annonce, et négative le jour suivant (-0.61%). Sur la période d’ événement, 67% des RAMt sont négatives. Les rentabilités anormales cumulées sont égales à –7.46% sur l’ intervalle (-10 ;10), significatives au seuil de 5%, et à –2,85% sur (-3 ;3)22. Les RAMC négatives indiquent que l’ émission est un signal de surévaluation et que l’ opération véhicule une information défavorable sur les opportunités d’ investissement à venir. En montrant l’ existence d’ une perte de valeur nette globale pour les actionnaires de la filiale lors de la période d’ événement, ces résultats tendent à conforter les hypothèses de Nanda (1991), d’ expropriation et de sélection adverse, mais infirment celle des opportunités d’ investissement. Seuls les résultats du test de Slovin et Sushka (1997), dont la problématique de recherche concerne directement les structures mère/filiale, sont disponibles pour offrir une comparaison pertinente avec les résultats précédents. A partir d’ un échantillon de 38 émissions d’ actions de filiales sur le marché américain sur la période 1975-1993, les auteurs mettent en évidence une RAMC de –4.06% pour les titres des filiales émettrices sur la fenêtre (-1 ;0). Les RAMC relevées sur les intervalles (-10 ;-2) et (1 ;10) sont égales respectivement à 1.20% et –0.67%, sans être significatives. Il est intéressant également de mettre en relation l’ effet d’ annonce sur les titres des filiales et celui observé traditionnellement sur le marché français des actions. Sur un échantillon de 238 augmentations de capital entre 1977 et 1990, Hachette (1992) détermine des rentabilités anormales faiblement positives et non significatives au moment de l’ annonce de l’ opération (date BALO), respectivement 0.21%, 0.14% et 0.21% pour les trois dates (1 ;0 ;1). Cependant, les tests montrent des rentabilités anormales significatives à la date de 22 : Les résultats concernant la valeur et la signification des RAMC sont récapitulés dans le tableau 7. 41 début d’ opération : 0,41 et 1,01 pour les jours –2 et –1 (seuil de 5%). Sur la fenêtre d’ événement totale (-5 ;5), la RAMC s’ élève à +2.65%. Gajewski et Ginglinger (2002)23 concluent à des RAMt négatives et significatives à la date d’ annonce (-0.58%) pour les émissions avec DPS, et non significatives pour les émissions directes. De plus, les rentabilités anormales cumulées sont également significatives sur les intervalles (0 ;1) et (0 ;5) avec des valeurs de –0.84% et –1.13%, toujours pour les émissions avec DPS. 1.2 Réaction des titres des sociétés mères correspondantes Le tableau 4 rapporte les résultats de la deuxième étude d’ événement portant sur la réaction des cours des 43 sociétés mères correspondantes : les chiffres sont également issus du modèle de la moyenne. A la date d’ annonce, la rentabilité anormale moyenne est égale à 0,27%, alors que pour les jours –1 et 1 les RAMt sont négatives (respectivement – 0,36 et –0,35%). Tableau 4 : Réaction des cours des sociétés mères correspondantes La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 43 sociétés mères cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt. DATE -10 -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 RAMt en % 0.03 -0.02 0.03 0.31 -0.44 0.21 -0.37* -0.19 -0.04 -0.36 0.27 -0.35 -0.10 0.06 0.34 -0.38 0.15 0.43 0.13* 0.13 0.07 RAMCt en % Tsérie 0.03 0.01 0.04 0.35 -0.10 0.12 -0.26 -0.45 -0.48 -0.85 -0.58 -0.93 -1.03 -0.96 -0.62 -1.00 -0.86 -0.43 -0.30 -0.16 -0.10 23 Tcoupe 0.07 -0.05 0.06 0.67 -0.96 0.46 -0.81 -0.41 -0.08 -0.78 0.57 -0.75 -0.21 0.13 0.74 -0.82 0.31 0.93 0.28 0.29 0.14 0.13 -0.09 0.11 1.19 -1.70 0.82 -1.44 -0.73 -0.14 -1.39 1.02 -1.33 -0.37 0.23 1.31 -1.45 0.56 1.65 0.50 0.51 0.25 Test des signes -1.34 -0.75 -2.24 0.15 -1.94 -0.45 -1.94 -1.34 -1.04 -0.15 0.15 -0.45 -0.15 -0.15 1.04 -0.45 -0.75 1.34 1.94 -0.15 -0.45 : L’ échantillon est constitué de 278 émissions d’ actions de 1986 à 1996 : 214 avec DPS, et 64 émissions directes. 42 D’ autre part, sur la période d’ événement, 57% des RAMt sont positives, alors que dans le même temps la RAMCt sur l’ intervalle (-10 ;10) est faiblement négative et égale à – 0,10%. Il semble que les rentabilités anormales moyennes soient plutôt négatives autour de la date d’ annonce (la RAMCt est égale à –0.71% sur l’ intervalle (-3 ;3) et à –0.44% sur (-1 ;1)). Dans l’ ensemble, l’ effet d’ une émission d’ actions d’ une filiale sur la valeur de la société mère n’ est pas significatif, et semble être légèrement négatif : ce résultat ne conforte pas l’ hypothèse d’ un accroissement de richesse des actionnaires de la mère, et va à l’ encontre des conclusions du test de Slovin et Sushka (1997). Les auteurs rapportent en effet des rentabilités anormales de +1,9% pour l’ échantillon de sociétés mères non émettrices. Les résultats empiriques montrent que la réaction des cours de la mère est moins négative que celle des titres de la filiale. Même si l’ impact global de l’ émission d’ actions d’ une filiale sur la valeur du groupe est négatif, les conclusions des deux études d’ événements ne sont pas en désaccord avec les hypothèses de séparation de Nanda (1991) et d’ expropriation de richesse. En effet, la décision de forcer l’ émission d’ actions de la filiale permet d’ éviter aux dirigeants du groupe d’ émettre des actions de la mère, et de ne pas subir l’ effet négatif sur la valeur consécutif à l’ augmentation de capital (cet effet est vérifié sur l’ échantillon de filiales émettrices). Les fonds levés sur le marché par l’ émission d’ actions de la filiale sont disponibles pour le financement des investissements (de la filiale ou de la mère), et ce à moindre coût pour les actionnaires principaux du groupe. Ainsi, l’ absence de réaction significative des cours de la mère ne va pas à l’ encontre des implications du modèle de Nanda (1991) sur la flexibilité financière liée à la structure de groupe. De même, l’ absence de réaction positive sur les cours de la mère n’ infirme pas l’ hypothèse d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires : en effet, l’ émission d’ actions a un effet significativement négatif sur la valeur de la filiale, et neutre sur celle de la société mère. L’ hypothèse de sélection adverse prévoit une réaction négative des cours de la filiale, et une réaction négative des actions de la mère proportionnelle à la part de capital qu’ elle détient. Même si l’ effet négatif d’ annonce sur les cours de la mère n’ est pas proportionnel à la part de capital qu’ elle détient pour notre échantillon, cette explication reste une alternative pertinente. 43 1.3 Etude des combinaisons de signes et calcul des performances passées Les différentes hypothèses testées dans cette recherche prévoient des combinaisons de signes spécifiques pour les réactions des cours des deux catégories de firmes. Ainsi, sur l’ intervalle (-1 ;1), pour l’ échantillon de filiales émettrices, 62.8% des RAMC (27/43) sont négatives. Pour celles-ci, on observe alors 66,70% (18/27) de RAMC négatives pour l’ échantillon de sociétés mères correspondantes. Toujours au moment de l’ annonce, sur l’ intervalle (-3 ;3), 57,80% (25/43) des RAMC des filiales sont négatives. Pour celles-ci, 69,20% (17/25) des RAMC des sociétés mères sont également négatives. Ainsi, à la date d’ annonce, il semble que la combinaison de deux réactions négatives soit la tendance prédominante, ce qui tendrait à conforter l’ hypothèse de sélection adverse. Les résultats de Slovin et Sushka (1997) sont plus significatifs. Sur 38 émissions des filiales, il existe 26 cas (68%) de combinaisons de rentabilité négative pour la filiale et positive pour la mère. Pour le sous-échantillon de 33 émissions se soldant par une baisse du cours de la filiale, 26 (79%) entraînent une hausse du cours de la mère. L’ hypothèse nulle est rejetée, et les auteurs concluent qu’ il existe deux effets contraires sur la valeur des firmes membres de groupe : ce résultat semble cohérent avec l’ hypothèse d’ expropriation et l’ hypothèse de séparation de Nanda (1991). Il convient également d’ étudier la question du timing de l’ émission en calculant les performances passées des deux types de titres par rapport à celles du marché. Nous avons calculé pour cela les rentabilités anormales cumulées pour chaque société de l’ échantillon sur la période (-151 ;-1). A partir d’ un indice de marché (indice CAC 40), la moyenne pour l’ échantillon de filiales s’ établit à +2,34% et celle pour l’ échantillon de sociétés mères à –8,83%. Ainsi, l’ émission fait suite à une période où les actions de la filiale « surperforment » le marché et les actions de la mère le « sous-performent »24. La sur- ou sousévaluation des titres n’ étant pas observable pour un investisseur externe, la plupart des tests empiriques existants l’ estime en calculant un indicateur similaire : une performance positive n’ est en effet pas synonyme de sur-évaluation sur un marché efficient, mais bien de rentabilité réelle et actuelle en hausse. 24 : Slovin et Sushka (1997) déterminent une performance passée de +33,62% pour les filiales et de –11,88% pour les sociétés mères sur l’ intervalle (-250 ;-2). 44 Ces chiffres semblent conformes aux implications du modèle de Nanda (1991) et confirment l’ hypothèse selon laquelle une structure mère/filiale offre la possibilité aux managers de la mère d’ émettre les actions de l’ entité qu’ ils estiment surévaluée. D’ autre part, ces résultats corroborent également les développements sur l’ asymétrie d’ information et l’ hypothèse de sélection adverse, puisque la réaction négative à l’ annonce représente en théorie un signal de sur-évaluation (Myers et Majluf, 1984 ; Lucas et McDonald, 1990). La performance boursière positive des filiales dans la période pré-émission confirme cette idée. II - Réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital réalisée par la société mère 2.1 Réaction des actions des sociétés mères émettrices Le troisième sous-échantillon de cette étude comporte 19 sociétés mères émettrices. Dans le tableau 5, on constate, à la date d’ annonce, une rentabilité anormale moyenne négative et non significative de –0.19%. Le jour suivant est marqué par une rentabilité anormale moyenne des titres de –1.16% (significative à 5%). Au total, sur la fenêtre d’ événement (3 ;3), seule une date comporte une RAMt faiblement positive ; sur ce même intervalle, la RAMC est égale à –3.76% (au seuil de 5%). De plus, 71% des RAMt sont négatives sur l’ intervalle (-10 ;10), et la rentabilité anormale moyenne cumulée sur la période d’ événement est de –6.90% (significative à 5%). Tableau 5 : Réaction des cours des sociétés mères émettrices La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 19 sociétés mères cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt. DATE -10 -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 RAMt en % -0.53 -0.14 0.06 -0.19 0.54 0.65 -0.05 -1.32* -1.01* -0.12 -0.19 RAMCt en % -0.53 -0.67 -0.61 -0.80 0.27 0.38 0.33 -0.99 -2.00 -2.12 -2.31 45 Tsérie Tcoupe -1.14 -0.31 0.13 -0.42 1.16 1.40 -0.11 -2.85 -2.20 -0.26 -0.40 -0.74 -0.20 0.09 -0.27 0.76 0.92 -0.07 -1.86 -1.43 -0.17 -0.26 Test des signes -1.61 0.23 -0.69 -0.69 1.15 0.69 -1.15 -2.52 -2.06 -0.69 0.23 DATE 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 RAMt en % -1.16* -0.02 0.06 0.69 0.75 -0.58 -0.35 -1.59* -1.53* -0.87 RAMCt en % -3.47 -3.49 -3.42 -2.74 -1.99 -2.57 -2.92 -4.50 -6.03 -6.90 Tsérie Tcoupe -2.51 -0.05 0.14 1.49 1.62 -1.25 -0.76 -3.43 -3.32 -1.87 -1.64 -0.03 0.09 0.97 1.06 -0.82 -0.49 -2.24 -2.16 -1.22 Test des signes -1.15 -1.61 -0.69 0.23 0.69 -0.69 -0.69 -2.52 -2.98 -1.15 L’ annonce d’ une émission d’ actions d’ une société mère a donc pour conséquence une diminution sensible de la rentabilité des titres de celle-ci, et une perte nette de richesse pour les actionnaires majoritaires. La réaction des cours des actions des sociétés mères émettrices est comparable à celle des titres des filiales émettrices (-6.90% contre –7.46%). Cependant, en raison de la différence de taille (et notamment de la capitalisation boursière) entre les filiales et les sociétés mères, la baisse de valeur agrégée pour les actionnaires des sociétés mères paraît d’ ores et déjà plus sévère lorsque la société mère décide d’ émettre ses propres actions plutôt que celles de la filiale. Si les dirigeants des sociétés mères sont rationnels et agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants, ils devraient éviter d’ émettre des actions consolidées et opter pour une émission de la filiale. Ce scénario rejoint l’ argument de flexibilité financière attachée à la structure de groupe pour modifier et améliorer sa politique de financement. L’ effet négatif d’ annonce constaté sur l’ échantillon de sociétés mères émettrices est cohérent avec les hypothèses de Nanda (1991), de sélection adverse et d’ opportunités d’ investissement. Slovin et Sushka (1997) arrivent à une conclusion comparable sur un échantillon de 37 sociétés mères émettrices américaines : sur l’ intervalle (-1 ;0), la rentabilité anormale cumulée de –2.68% est significative au seuil de 1%. 2.2 Réaction des actions des filiales correspondantes 21 filiales ont été identifiées comme étant directement contrôlées par les 19 sociétés mères précédentes. Les résultats de cette dernière étude d’ événement évoquent une réaction globalement négative des titres des filiales (tableau 6) : 52% des RAMt sont négatives sur l’ intervalle (-10 ;10). La date d’ annonce se solde par une RAMt négative de –0.45%, et les deux jours encadrant cette date par deux RAMt négatives et significatives de –1% et – 46 0.77%. Si l’ on analyse les rentabilités anormales moyennes cumulées sur la période, l’ effet d’ annonce négatif est confirmé : on relève notamment –2.22%, significatif, sur l’ intervalle (-1 ;1), et –1.53% sur (-10 ;10). Tableau 6 : Réaction des titres des filiales correspondantes La date d’ annonce COB est retenue comme date de référence (0). L’ échantillon comprend 21 filiales cotées sur le RM, Comptant ou Second Marché. * : significatif au seuil de 5%. Les tests concernent uniquement les RAMt. DATE -10 -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 RAMt en % -0.79 -0.10 0.51 -0.07 0.67 -0.17 1.03* -0.05 0.09 -1.00* -0.45 -0.77 0.09 -0.65 0.07 -0.31 0.10 0.02 -0.99 0.57 0.67 RAMCt en % -0.79 -0.88 -0.37 -0.44 0.23 0.06 1.09 1.04 1.13 0.13 -0.31 -1.08 -1.00 -1.65 -1.58 -1.89 -1.79 -1.78 -2.77 -2.21 -1.53 Tsérie Tcoupe -1.67 -0.20 1.09 -0.15 1.43 -0.36 2.20 -0.11 0.19 -2.12 -0.95 -1.63 0.18 -1.39 0.14 -0.66 0.21 0.03 -2.11 1.20 1.43 -1.39 -0.17 0.90 -0.13 1.18 -0.30 1.82 -0.09 0.15 -1.76 -0.79 -1.36 0.15 -1.15 0.12 -0.55 0.18 0.03 -1.75 1.00 1.18 Test des signes -1.09 -0.65 1.53 -0.65 1.09 -0.22 1.09 -0.65 0.22 -0.65 -1.09 -1.96 0.22 -1.09 -0.65 -0.65 0.22 0.22 -1.96 1.53 0.65 Ces résultats permettent de distinguer les hypothèses de séparation et de sélection adverse. Contrairement aux résultats du test de Slovin et Sushka (1997), il semble que l’ hypothèse de sélection adverse soit plus pertinente pour donner un éclairage théorique sur les effets d’ annonce au sein d’ une structure mère/filiale. Sur le marché américain, les auteurs relèvent une rentabilité anormale cumulée de 1.55% (significatif à 5%) sur l’ intervalle (1 ;0) pour les filiales non émettrices et penchent en faveur des développements théoriques de Nanda (1991). Sur le marché français des actions, l’ annonce d’ une émission au sein d’ un groupe est un signal négatif véhiculant une information défavorable sur la valeur de toutes les entités du groupe. 47 2.3 Analyse des combinaisons de signes et des performances passées A l’ occasion d’ une émission d’ actions de la part des sociétés mères de l’ échantillon, nous pouvons distinguer la validité des prédictions des hypothèses de Nanda (1991) et celle de sélection adverse en calculant les combinaisons de signes des réactions au cours de la période d’ événement. Ainsi, sur l’ intervalle (-3 ;3), 68.4% (13/19) des RAMC sont négatives pour l’ échantillon de sociétés mères émettrices25. Pour ces 13 firmes, on constate alors 84.6% (11/13) de RAMC négatives pour les filiales correspondantes. Au moment de l’ annonce, mais sur l’ intervalle (-1 ;1), on remarque que 63.2% (12/19) des RAMC des sociétés mères sont négatives, et pour celles-ci, 75% (9/12) des RAMC des filiales sont négatives. Comme dans l’ étude précédente sur un échantillon de filiales émettrices, il semble donc que la combinaison de signes la plus fréquente soit l’ association de deux signes négatifs au moment de l’ annonce. A partir de leur échantillon de sociétés mères émettrices, Slovin et Sushka (1997) constatent 57% (21/37) de cas de combinaisons d’ un signe négatif pour la société mère et d’ un signe positif pour la filiale. Pour les 30 observations pour lesquelles les auteurs ont relevé un signe négatif pour la mère émettrice, il existe 21 cas où la rentabilité anormale cumulée est positive pour la filiale (70%). Sur l’ intervalle (-151 ;-1), les sociétés mères émettrices présentent une rentabilité anormale cumulée de +6.75%, tandis que les filiales non émettrices connaissent une baisse sensible de leur rentabilité : -8.76%. Là encore, les dirigeants financiers ont opté pour l’ émission des titres qui sur-performent la rentabilité du marché, ce qui est en accord avec les développements de Nanda (1991), mais également ceux de Myers et Majluf (1984) et Lucas et McDonald (1990). Sur l’ intervalle (-250 ;-2), Slovin et Sushka (1997) évoquent une rentabilité anormale cumulée égale à +17.37% pour les sociétés mères émettrices (6.72% pour les filiales correspondantes). 25 : L’ analyse des combinaisons de signes porte ici sur 19 sociétés mères et 19 filiales. Les deux filiales non considérées et appartenant à une seule société mère présentaient des rentabilités anormales de même signe, ce qui ne fausse pas les résultats. 48 III - Synthèse et interprétation des résultats 3.1 Résumé des résultats empiriques Les différentes conclusions tirées des résultats des quatre études d’ événements peuvent être récapitulées en quelques points essentiels (le tableau 7 reprend les principaux résultats chiffrés) : - Globalement, et quelle que soit l’ entité émettrice, l’ opération d’ augmentation de capital au sein du groupe est une opération coûteuse et synonyme de perte de richesse nette pour toutes les catégories d’ actionnaires (actionnaires de la société mère et actionnaires minoritaires de la filiale). Cette conclusion diffère des effets d’ annonce peu représentatifs habituellement observés sur le marché français des actions, et surtout va à l’ encontre des résultats du test de Slovin et Sushka (1997) qui concluent à un gain net de valeur pour les actionnaires de la société mère, en agrégeant les réactions des titres des deux firmes. - Les combinaisons de signes observées permettent de rejeter l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement. - Le rejet de l’ hypothèse d’ expropriation et de celle de Nanda (1991) est plus indécis : même si l’ on ne constate pas de réaction positive des titres des sociétés non émettrices, il semble que les dirigeants de la société mère peuvent réaliser des arbitrages. En effet, l’ émission d’ actions consolidées a un effet plus négatif sur leur richesse qu’ une émission d’ actions des filiales, celle-ci ayant quasiment un effet neutre sur la valeur des titres consolidés. Ainsi, l’ opportunité d’ émettre des titres de la filiale leur offre non seulement une nouvelle alternative de financement, mais leur permet également d’ éviter la perte de valeur en cas d’ émission de la mère. D’ autre part, l’ intuition de Nanda (1991), selon laquelle l’ émission d’ actions au sein du groupe transmet une information différente sur les perspectives de la mère et celles de la filiale, est rejetée dans le cas des émissions des sociétés mères. Cependant, elle semble pertinente lorsque la filiale émet : en effet, l’ émission véhicule une information défavorable pour cette dernière et constitue un signal neutre sur la valeur des actifs de la mère. 49 - Les firmes de l’ échantillon ne procèdent à une émission d’ actions nouvelles que lorsque les performances boursières des titres sont en hausse. Les dirigeants évitent de ce fait d’ émettre des actions sous-évaluées par le marché. Ce résultat d’ ordre général est cohérent avec les implications des modèles d’ asymétrie d’ information, et notamment celui de Nanda (1991). Tableau 7 : Synthèse des résultats des études d’événements L’ échantillon est constitué de 43 filiales émettrices, 43 sociétés mères non émettrices, de 19 sociétés mères émettrices et 21 filiales non émettrices. La valeur du test de Student calculé sur les rentabilités anormales cumulées figure entre parenthèses. T = RAMC / Racine du nbre de jours * écart type RAM en coupe. Le pourcentage de RAMt négatives est donné pour l’ intervalle (-10 ;10). * : significatif au seuil de 5%. RAMC (-10 ;10) Filiales émettrices Sociétés mères non émettrices Sociétés mères émettrices Filiales non émettrices -7.46%* (-2.05) -0.10% (-0.05) -6.90%* (-2.12) -1.53% (-0.59) RAMC (-3 ;3) -2.85% (-1.36) -0.71% (-0.58) -3.76%* (-2.00) -2.74% (-1.83) RAMC (-1 ;1) -1.88% (-1.37) -0.44% (-0.55) -1.47% (-1.20) -2.22%* (-2.26) % de RAMt RAMC (-151; -1) négatives 67% + 2.34% (0.24) 43% -8.83% (-1.56) 71% +6.75% (0.78) 52% -8.76% (-1.28) Ainsi, le phénomène de sélection adverse parvient à expliquer les réactions des cours des sociétés émettrices (filiale ou société mère), mais n’ offre pas un éclairage théorique sur la réaction des titres des sociétés liées au sein du groupe. Dans le cas d’ une émission de la part de la filiale, l’ effet neutre sur les titres de la société mère peut être expliqué par les développements de Allen et McConnell (1998), consacrés au départ aux introductions de filiales sur le marché. 3.2 Réaction des titres des sociétés mères non émettrices : une autre interprétation possible L’ introduction d’ une filiale correspond soit à une vente d’ actifs, soit à une émission d’ actions nouvelles. Schipper et Smith (1986) se concentrent sur le second aspect. Allen et McConnell (1998) considèrent quant à eux que la vente d’ actifs représente un moyen de financer d’ autres activités de la mère ou de la filiale. Cette hypothèse de financement est empruntée à la littérature sur le désinvestissement (Lang, Poulsen et Stulz, 1995), et diffère largement de celle de Nanda (1991) : ce dernier considère en effet que les 50 managers agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants, en ignorant l’ existence de comportements opportunistes. Plusieurs caractéristiques permettent de distinguer la vente d’ un actif et la mise sur le marché d’ une filiale. La vente d’ actions lors de l’ introduction d’ une filiale s’ adresse à des investisseurs publics, et non à un acheteur unique, et se présente explicitement comme un moyen de financement externe. De plus, la société mère conserve généralement une part significative du capital de la filiale après l’ offre, ceci étant le cas pour l’ émission d’ actions nouvelles dans l’ étude de Slovin et Sushka (1997). Cependant, dans les deux cas, les fonds collectés sont soit redistribués aux créanciers ou aux actionnaires, soit utilisés par les managers pour des investissements discrétionnaires. L’ utilisation des fonds est un point crucial de l’ analyse de Allen et McConnell (1998). Deux hypothèses fondamentales sous-tendent leur raisonnement. Premièrement, pour certaines firmes, dans des conditions particulières, ils supposent que l’ introduction d’ une filiale est créateur de valeur26. De plus, la rémunération et les compensations tangibles ou intangibles des managers sont corrélées à la taille de la firme et à la valeur des actifs sous leur contrôle (Jensen, 1986), donc, s’ ils en ont le choix, ceux-ci préfèrent ne pas réaliser l’ introduction. Cette méthode de financement n’ est réalisée que lorsqu’ ils souhaitent financer des activités plus lucratives à leurs yeux et que la firme est contrainte financièrement (aucune alternative de financement moins coûteuse n’ est disponible). Plusieurs implications empiriques découlent de ces développements. Tout d’ abord, les firmes introduisant une filiale sur le marché devraient être sur-endettées et/ou avoir connu des performances financières médiocres, ceci diminuant leur capacité d’ émettre directement des obligations ou des actions à moindre coût. D’ autre part, la réaction positive du marché dépend de l’ affectation des fonds collectés. En particulier, en raison des coûts d’ agence provenant du contrôle exercé par les managers sur le capital discrétionnaire, le marché devrait réagir moins favorablement aux introductions annoncées dans le but de financer des investissements (les fonds sont conservés en interne et non redistribués aux créanciers et actionnaires). 26 : Plusieurs tests rapportent une réaction positive des titres de la société consolidée à l’ annonce de l’ introduction d’ une filiale : Schipper et Smith (1986), Klein, Rosenfeld et Beranek (1991), Allen et McConnell (1998). 51 Ces hypothèses sont confirmées par les résultats du test de Allen et McConnell (1998) sur un échantillon de 188 introductions de filiales entre 1978 et 1993. La rentabilité anormale des titres consolidés observée pour l’ échantillon global s’ élève à 2.12% sur l’ intervalle (1 ;1). Si l’ introduction est réalisée pour rembourser des dettes ou verser des dividendes, l’ effet d’ annonce est plus fortement positif (6.63%) ; il est égal à –0.01% si les fonds sont affectés au financement d’ investissements discrétionnaires (la différence est significative à 1%). Ce raisonnement permet d’ expliquer en partie les différences entre les rentabilités anormales des sociétés mères non émettrices dans notre étude et celles relevées par Slovin et Sushka (1997). Lors d’ une émission d’ actions de la filiale, la société mère peut désinvestir en optant pour une émission secondaire, ou se désengager et ne pas souscrire dans le cas d’ une émission primaire. L’ échantillon d’ émissions d’ actions de filiales de Slovin et Sushka (1997) est constitué pour 26% d’ émissions secondaires où la mère tend à revendre une partie de sa participation dans la filiale. Notre échantillon ne comporte quant à lui que des émissions primaires, mais, dans certains cas, la société mère annonce explicitement la volonté de se désengager. Dans le test de Slovin et Sushka (1997), la réaction positive sur les cours des sociétés mères peut être influencée par les gains inhérents au désinvestissement réalisé par un sous-échantillon de sociétés mères, ce gain étant d’ autant plus significatif que la filiale appartient à un secteur d’ activité différent de celui de la mère27 : il semble que cela soit le cas pour leur échantillon d’ étude où seules 18% des filiales partagent le même code d’ activité SIC avec leur société mère. De plus, pour 45% des émissions, la raison évoquée par les filiales émettrices américaines est le remboursement de dette, alors que, pour notre échantillon, la raison la plus fréquente (48% des cas) est le financement de projet d’ investissement. Ainsi, il est possible que la réaction des cours des sociétés mères non émettrices soit influencée par un sous-groupe de sociétés souhaitant désinvestir pour rembourser les dettes du groupe dans l’ échantillon de Slovin et Sushka (1997), et par une minorité de sociétés mères qui utilisent l’ émission d’ actions des filiales comme un moyen pour financer des investissements discrétionnaires dans notre échantillon. En s’ appuyant sur la littérature consacrée au désinvestissement, 27 : Une littérature théorique et empirique abondante existe sur les effets des désinvestissements et du recentrage d’ activité sur la valeur de la firme : les conclusions, certes contrastées, montrent que d’ une part les firmes diversifiées ont des valeurs de marché inférieures à celles des sociétés spécialisées (Berger et Ofek, 1995 ; 1996), et que l’ annonce de la revente d’ une unité non liée a un impact positif sur la valeur de la firme (Comment et 52 l’ hypothèse de financement de Allen et McConnell (1998) détaillée précédemment prévoit une réaction fortement positive des titres consolidés pour le premier échantillon, et plus proche de zéro pour le second : les résultats de notre étude et de celle de Slovin et Sushka (1997) semblent correspondre à cette tendance. Les résultats des études d’ événements offrent des conclusions originales, mais restent cependant descriptifs. Le chapitre 2 tente dans un premier temps d’ expliquer les effets d’ annonce observés au travers d’ un modèle de régression linéaire : les rentabilités anormales sont confrontées aux caractéristiques des augmentations de capital, et à celles de chaque catégorie de firmes. L’ élément central pour cette recherche est de parvenir à démontrer que la place de la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) influence les réactions des cours, et finalement la valeur de marché du groupe dans son ensemble. Toujours dans le second chapitre, une autre structure de modèle a pour but de déterminer les facteurs financiers qui viennent peser sur le choix de l’ entité émettrice. En effet, dans le processus de prise de décision, les dirigeants du groupe doivent s’ appuyer sur certaines variables financières : les performances boursières passées, la rentabilité des opportunités d’ investissement et le niveau d’ endettement. Jarrell, 1995 ; John et Ofek, 1995). Ces développements sont abordés plus en détail dans la deuxième partie consacrée aux marchés internes de capitaux. 53 !" $ % # & Une augmentation de capital réalisée au sein d’ une structure mère/filiale semble avoir des effets différents sur la valeur des deux entités. La firme émettrice connaît une perte de valeur nette, mais, dans le même temps, la réaction des cours des sociétés affiliées n’ est pas identique par rapport à la place qu’ occupent celles-ci au sein du groupe. En particulier, lorsqu’ une société mère émet des actions nouvelles, la filiale correspondante subit une baisse de valeur significative à l’ annonce, alors que si une filiale réalise l’ opération, l’ effet sur les cours de la mère correspondante reste neutre. Le chapitre 2 tente de déterminer les facteurs explicatifs des rentabilités anormales observées. Tout d’ abord, grâce à un modèle général appliqué à l’ ensemble de l’ échantillon, les tests empiriques ont pour objectif de montrer que la place de la firme au sein du groupe possède un impact significatif sur les effets d’ annonce. Cependant, afin de raisonner toutes choses égales par ailleurs, le modèle intègre également des paramètres identifiés par la littérature théorique et empirique comme étant des facteurs explicatifs déterminants des réactions des cours : les performances passées et les opportunités d’ investissement des firmes, la taille, le but et la méthode d’ émission. Pour compléter l’ analyse, deux autres modèles appliqués, l’ un aux réactions des filiales émettrices, l’ autre à celles des mères non émettrices, testent directement la validité des hypothèses d’ expropriation, de sélection adverse et de désinvestissement. La première section de ce chapitre 2 expose les modèles d’ analyse testés et les résultats empiriques sur l’ explication des rentabilités anormales à l’ annonce, pour conclure sur la nature des caractéristiques qui conduisent les investisseurs externes à une ré-estimation des cours à l’ annonce. La seconde section se concentre sur l’ identification des paramètres financiers influençant la probabilité d’ émission de chaque catégorie de firmes. La méthodologie empirique repose ici sur un modèle de régression logistique, et confronte les situations financières des sociétés mères et des filiales avant l’ émission d’ actions. L’ objectif est de comprendre quels sont les indicateurs financiers qui orientent le choix des dirigeants du groupe pour sélectionner l’ entité émettrice. Ces derniers ont l’ opportunité de choisir l’ option la moins discriminante pour la 54 valeur du groupe dans son ensemble, peut-être au détriment de la richesse des actionnaires minoritaires de la filiale. L’ opération peut donc être réalisée par l’ une ou l’ autre firme, et les fonds collectés sont alors réaffectés au sein du groupe vers les différents projets d’ investissement disponibles, grâce notamment à l’ endettement intragroupe : cette allocation interne des ressources est analysée en détail dans la deuxième partie de cette recherche. Les bases théoriques sont, dans cette deuxième section, constituées des implications des modèles de structure de capital, adaptées au contexte du groupe. Section 1 : Déterminants des réactions des cours à l’annonce Les nombreux tests empiriques existants, qui analysent les conséquences d’ une émission d’ actions nouvelles, s’ articulent autour d’ une étude d’ événement pour constater la réaction des cours, et d’ un modèle explicatif qui tente d’ isoler les paramètres financiers à l’ origine des effets d’ annonce calculés. Dans l’ étude des structures mère/filiale, une question originale émerge des résultats du chapitre 1 : les filiales connaissent-elles systématiquement des réactions plus négatives à l’ annonce que les sociétés mères ? La section 1 débute par la justification théorique, grâce à la description du problème de sélection adverse, de l’ existence de paramètres financiers essentiels pour l’ explication des rentabilités anormales à l’ annonce : le modèle de Myers et Majluf (1984) montre en effet que les effets d’ annonce sont largement influencés par les caractéristiques financières de la firme, le niveau d’ asymétrie d’ information et les termes de l’ opération. Après la définition des hypothèses de recherche, les premiers résultats empiriques issus d’ un modèle général, ayant comme variable centrale la place de la firme au sein du groupe, sont exposés. Le troisième et le quatrième paragraphes sont consacrés à l’ explication des rentabilités anormales des filiales émettrices et des sociétés mères non émettrices. En effet, nous avons vu dans le chapitre 1 que, dans le cas d’ une émission d’ actions de la mère, les réactions des titres des deux catégories de firmes semblent correspondre aux implications du modèle de sélection adverse. Cependant, dans le cas d’ une émission de la part de la filiale, les réactions observées ne coïncident pas directement avec les différentes hypothèses théoriques : ainsi les deux modèles spécifiques testés tentent de valider dans ce cas les hypothèses d’ expropriation, de sélection adverse et de financement (désinvestissement de la mère). 55 I – Hypothèses de recherche et présentation du modèle d’ analyse : quels facteurs influencent les effets d’ annonce ? 1.1 Nature du problème de sélection adverse L’ analyse du modèle classique de Myers et Majluf (1984) permet de déterminer les principaux facteurs explicatifs des réactions des cours à l’ annonce d’ une émission d’ actions. Les développements suivants offrent donc une base théorique solide pour démontrer notamment que les caractéristiques financières de la firme émettrice et les termes de l’ opération influencent significativement les effets d’ annonce observés. Les modèles d’ asymétrie d’ information supposent que l’ information privée détenue par les managers leur permet d’ évaluer plus précisément la valeur réelle des actions de la firme. Cet avantage informationnel vis-à-vis des investisseurs externes crée un problème de sélection adverse, car les firmes ont alors la possibilité d’ exploiter les erreurs d’ évaluation des investisseurs. Par conséquent, ces derniers interprètent l’ annonce d’ une émission d’ actions nouvelles comme une opération diffusant des informations défavorables sur la valeur de la firme. Cette réaction semble rationnelle, mais contribue à accroître le coût des émissions d’ actions pour les firmes dont les titres ne sont pas surévalués. Si les managers détiennent des informations privées sur les opportunités d’ investissement de leur firme, les investisseurs ajustent leurs estimations pour tenir compte de la valeur de cette information privée. Ainsi, la valeur de marché observée d’ une firme, Vo, est égale à la somme de : - la valeur de la firme calculée à partir de l’ information publique, Vc ; - et la valeur attendue de l’ information privée détenue par les managers, E(Vp) : Vo = Vc + E(Vp) La valeur intrinsèque, ou réelle, de la firme, Vi, est égale à la somme de la valeur estimée à partir de l’ information publique, et de la valeur réelle de l’ information privée, V’ p : Vi = Vc + V’ p 56 Une firme est surévaluée (sous-évaluée) lorsque E(Vp) est supérieure (inférieure) à V’ p. Dans les modèles d’ asymétrie d’ information, les investisseurs révisent à la baisse leur estimation de E(Vp) lorsque la firme annonce une nouvelle émission (Myers et Majluf, 1984 ; Miller et Rock, 1985). De ce fait, E(Vp) est une fonction des décisions prises par la firme, d : E(Vp) = Vp(d). L’ estimation corrigée des investisseurs de la valeur de l’ information privée lors de l’ annonce d’ une émission d’ actions peut s’ exprimer ainsi : Var E(Vp) = E(Vp – sans émission) – E(Vp – émission) > 0 Les coûts de sélection adverse apparaissent lorsque l’ estimation corrigée de l’ information privée est inférieure à la valeur intrinsèque28. Dans ce cas, si l’ on suppose que les firmes émettent des actions à E(Vp égale à V’ p – E(Vp – émission), – émission). la décision d’ émission entraîne une perte de valeur Les firmes peuvent réduire, et même éviter cette perte en finançant leurs projets d’ investissement grâce à des fonds internes ou par endettement, ou en réalisant l’ émission dans une période où le problème d’ asymétrie d’ information est moins significatif. Myers et Majluf (1984) proposent deux méthodes afin de réduire les coûts de sélection adverse. Tout d’ abord, il faudrait que les investisseurs interprètent favorablement l’ opération. Myers et Majluf (1984) soulignent que les caractéristiques spécifiques d’ une firme et les conditions de marché ont un impact significatif sur l’ interprétation des investisseurs quant à la raison de l’ émission. Par exemple, les firmes qui semblent posséder un projet d’ investissement attractif en raison de fortes dépenses en capital connaissent des effets d’ annonce moins négatifs (Cooney et Kalay, 1993). Par ailleurs, Myers et Majluf (1984) constatent que les coûts de sélection adverse sont variables lorsque la différence informationnelle entre managers et investisseurs varie au cours du temps. Considérons le cas où les deux parties détiennent les mêmes informations : dans ce contexte de symétrie d’ information, E(Vp) = V’ p et la variation de E(Vp) résultant de l’ annonce de l’ émission est 28 : Si l’ estimation corrigée n’ est pas inférieure à la valeur intrinsèque, les coûts de sélection adverse disparaissent, car les informations défavorables qui conduisent les investisseurs à une révision à la baisse de la valeur seraient devenues publiques (Korajczyk, Lucas et McDonald, 1990). 57 nulle. Dans ce cas, l’ émission n’ a plus de contenu informatif, et l’ estimation de la valeur de la firme est identique pour les investisseurs et les managers29. Les hypothèses de Myers et Majluf (1984) montrent que la variation de E(Vp) observée à l’ annonce d’ une émission d’ actions dépend des caractéristiques de la firme émettrice, F, des conditions de marché M, des termes de l’ opération, O, et du niveau d’ asymétrie d’ information au moment (t) de l’ émission, AIt : Var E(Vp) = E(Vp – sans émission) – E(Vp – émission) = f (F ; M ; O ; AIt) La réaction des titres à l’ annonce d’ une augmentation de capital dépend donc, entre autres, des caractéristiques financières des firmes et des termes de l’ opération. Dans notre étude des émissions d’ actions au sein des structures mère/filiale, les principales variables explicatives correspondent d’ une part à la place de la firme au sein du groupe (filiale ou société mère) et à son statut (émetteur et non émetteur). Les autres paramètres sont inclus dans l’ analyse comme variables de contrôle. 1.2 Facteurs explicatifs liés à la structure de groupe Cette recherche est axée principalement sur l’ influence de la place de la firme au sein du groupe sur la valeur des rentabilités anormales calculées dans le chapitre 1. Si l’ on considère tout d’ abord le cas d’ un modèle général, tentant d’ expliquer les réactions des cours des titres des sociétés émettrices et non émettrices, les résultats du chapitre 1 ont montré que les filiales subissaient une perte de valeur significativement plus importante que celle des sociétés mères : ce résultat global est valide quelle que soit l’ entité émettrice. Il est alors possible de prévoir que le statut de filiale influence négativement la valeur des rentabilités anormales observées pour l’ échantillon d’ étude. Le modèle d’ analyse intègre une variable dichotomique (Fsm), prenant la valeur 1, si la firme est une filiale, et 0, si c’ est une société mère. Cependant, si l’ on ne prend en compte dans l’ analyse que les sociétés émettrices, les deux types de firmes connaissent une baisse significative des cours à l’ annonce : ainsi, aucune hypothèse ne peut être formulée quant au signe de la variable (Fsm) dans ce cas. 29 : Une réaction négative des cours à l’ annonce est encore possible dans cette situation, si les investisseurs n’ approuvent pas la décision d’ émission. 58 De plus, les sociétés émettrices subissent globalement des effets d’ annonce plus négatifs que les autres sociétés du groupe : le statut de la firme est représenté par une variable dichotomique (Ene) prenant la valeur 1, si la firme émet, et 0 sinon. Au vu des résultats des études d’ événements, cette variable devrait présenter un coefficient négatif et significatif. D’ autre part, on inclut dans le modèle une variable reflétant le pourcentage de capital détenu par l’ actionnaire principal de la firme (Actio1) : en effet, plus la participation de la mère au capital de la filiale est élevée avant l’ annonce, plus la probabilité d’ expropriation de richesse des minoritaires est importante. Si le marché tend à sanctionner de telles pratiques, la relation entre la rentabilité anormale à l’ annonce et (Actio1) devrait être négative. Toujours dans le cadre particulier des structures mère/filiale, nous intégrons une variable supplémentaire mesurant le pourcentage de souscription prévu par les actionnaires anciens, cette garantie figurant dans le prospectus de l’ opération. Dans le cas où une filiale émet, cet indicateur indique le taux de désengagement de la société mère. En règle générale, plus ce taux est élevé, plus l’ information véhiculée par l’ annonce est défavorable. Dans le cadre du groupe, ceci a pour conséquence un effet négatif sur la valeur de marché de la filiale émettrice et, pour la société mère non émettrice, la réaction des cours dépend de l’ utilisation des fonds collectés ; l’ effet sera positif si la vente d’ actions de la filiale sert à rembourser les dettes du groupe ou permet à la société mère de désinvestir et se défaire d’ actifs non liés. La réaction du marché sera non significative si les fonds sont utilisés par les dirigeants de la société mère pour financer des activités discrétionnaires (hypothèse de financement de Allen et McConnell, 1998). Deux variables dichotomiques sont donc introduites dans le modèle testé : (Garantie) prend la valeur 1 si le taux de désengagement est positif (les actionnaires anciens ne souhaitent pas souscrire à hauteur de leurs droits), et 0 si le taux est nul, et, (But) la valeur 1 si l’ émission est réalisée pour financer un projet d’ investissement ou d’ acquisition, et 0 sinon. La première devrait présenter un coefficient négatif, la seconde un coefficient positif. 59 1.3 Caractéristiques financières des firmes 1.3.1 Influence des opportunités d’ investissement Plusieurs courants théoriques soulignent le rôle du niveau des opportunités d’ investissement de la firme dans l’ explication des réactions des cours à l’ annonce d’ une émission d’ actions. Tout d’ abord, le modèle de Ambarish, John et Williams (1987) prévoit une relation entre les deux variables dans un contexte d’ asymétrie d’ information. Les termes du modèle supposent que les dividendes et les investissements nets peuvent être utilisés pour signaler la valeur de la firme. A l’ équilibre, les effets d’ annonce dépendent de l’ origine de l’ asymétrie d’ information : - si celle-ci découle des actifs existants, la réaction des cours sera négative ; - si celle-ci provient de la valeur des opportunités d’ investissement, la réaction sera positive30. Par ailleurs, dans les développements de la théorie des free cash-flows de Jensen (1986), les managers ont tendance à accroître les actifs sous leur contrôle au détriment de la valeur globale de la firme. La réaction du marché à l’ annonce d’ une émission d’ actions dépend alors de l’ estimation des investisseurs quant à la probabilité que les fonds soient affectés au financement de projets d’ investissement rentables. Pour les firmes disposant d’ opportunités rentables, la réaction des cours sera positive, et pour celles qui ne possèdent pas de projets rentables, elle sera négative. Enfin, dans le modèle de Myers et Majluf (1984), une augmentation de la VAN des opportunités d’ investissement réduit le problème de sélection adverse, et donc la réaction négative des cours. Dans le cas extrême où les opportunités sont suffisamment rentables, le problème de sélection adverse disparaît et la réaction des cours est nulle. Choe, Masulis et Nanda (1993) généralisent le modèle de Myers et Majluf (1984) pour tenir compte des variations de la valeur des opportunités d’ investissement au cours du temps, et prévoient que 30 : Cooney et Kalay (1993) arrivent à une conclusion similaire. Ils modifient les hypothèses du modèle de Myers et Majluf (1984), en autorisant les managers à accepter des projets à VAN négative. Dans cette situation, l’ effet d’ annonce peut être positif, si l’ incertitude sur la valeur des opportunités d’ investissement est élevée par rapport à celle concernant la valeur des actifs en place. 60 les émissions d’ actions seront concentrées dans des périodes où les opportunités d’ investissement sont particulièrement rentables31. Les courants théoriques précédents permettent de dégager des hypothèses testables sur le sens de la relation entre la valeur des opportunités d’ investissement et la réaction des cours à l’ annonce : ils prévoient notamment une relation linéaire positive entre les deux variables. Une alternative possible aux hypothèses du signal et de free cash-flows serait que les opportunités d’ investissement soient totalement anticipées avant l’ annonce de l’ émission : dans ce cas, la valeur des opportunités d’ investissement n’ aurait aucun effet sur la réaction des cours32. Les tentatives de validation empirique de ces hypothèses mènent à des résultats mitigés. Barclay et Lintzenberger (1988) constatent une relation positive, mais non significative, entre la valeur du Q de Tobin et la réaction du marché à l’ annonce de l’ émission. Denis (1994) conclut à l’ existence d’ une relation non monotone et peu significative. Les conclusions des tests de Dierkens (1991) et Pilotte (1992) montrent que l’ augmentation de la rentabilité des investissements à venir est un déterminant significatif de la baisse des cours à l’ annonce. Enfin, dans l’ étude de Jung, Kim et Stulz (1996), la valeur du Q de Tobin a un effet positif sur la réaction du marché. Dans notre étude, les opportunités d’ investissement sont mesurées, pour chaque firme, par le ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière) de l’ exercice t-1 : un coefficient négatif et significatif est attendu pour cette variable (Bm). 1.3.2 Influence des performances passées Les hypothèses des théories d’ information supposent que les managers, détenant des informations privées et agissant dans l’ intérêt des actionnaires existants, sont enclins à vendre de nouvelles actions lorsque celles-ci sont surévaluées. Ces théories justifient l’ influence des 31 : Bayless et Chaplinsky (1996) confortent cette hypothèse empiriquement sur le marché américain des actions. : Selon l’ hypothèse de sélection adverse, la corrélation positive entre les opportunités d’ investissement et les effets d’ annonce existerait encore, même si les opportunités étaient totalement anticipées. 32 61 performances passées des firmes sur la probabilité d’ émission33, et non sur la valeur de la réaction des cours à l’ annonce. Cependant, de nombreux tests empiriques intègrent cette variable dans les modèles d’ analyse. Asquith et Mullins (1986) analysent le lien entre l’ accroissement du cours avant l’ émission et la rentabilité anormale négative à l’ annonce, et démontrent l’ existence d’ une corrélation positive entre les deux phénomènes. Les auteurs supposent qu’ il existe une relation positive entre l’ augmentation du cours ex ante et la réduction de l’ asymétrie d’ information : dans ce cas, une firme dont la rentabilité anormale avant l’ annonce est plus fortement positive devrait connaître une baisse moins sensible du cours au moment de l’ annonce. Pourtant, d’ autres tests empiriques sur le marché américain évoquent une relation inverse, et notamment celui de Masulis et Korwar (1986). Cette divergence s’ explique par la période de référence retenue pour le calcul des rentabilités anormales avant l’ annonce. Les calculs de Asquith et Mullins (1986) sont réalisés sur une période de onze mois, et ceux de Masulis et Korwar (1986) sur une durée plus courte de trois mois. Les résultats du test de Korajczyk, Lucas et McDonald (1990) réconcilient les conclusions des deux articles, et soulignent l’ existence d’ une relation non linéaire entre les deux variables. Ils mettent en évidence : - une relation négative significative (à 5%) entre la rentabilité anormale à l’ annonce et la rentabilité anormale passée calculée sur l’ intervalle (-100j ; -2j) ; - l’ absence de relation significative entre les deux variables sur l’ intervalle (-250j ; 101j) ; - une relation positive significative lorsque la rentabilité anormale passée est calculée sur l’ intervalle (-500j ; -251j). Pour un échantillon de 214 émissions d’ actions avec DPS sur le marché français (1986-1996), Gajewski et Ginglinger (2002) constatent une corrélation négative et significative entre la rentabilité anormale passée (sur l’ intervalle –200j ; -1j) et celle au moment de l’ annonce. Ce résultat montre que les effets de sélection adverse sont plus prononcés lorsque la performance antérieure du titre est élevée. 33 : L’ étude théorique de l’ influence des performances passées sur la probabilité d’ émission est détaillée dans la section 2. 62 L’ indicateur de mesure des performances passées pour notre test correspond à la rentabilité anormale cumulée du titre sur la période (-151j ; -1j). Au vu des résultats des études existantes, le signe de cette variable (Perf) devrait être positif. 1.3.3 Indicateurs d’ asymétrie d’ information La réaction des titres à l’ annonce est d’ autant plus négative que l’ asymétrie d’ information entre les managers et les investisseurs externes est élevée. Le modèle d’ analyse testé dans le point suivant intègre deux indicateurs de mesure de l’ asymétrie d’ information. Ceux-ci représentent des variables de contrôle classiques : la taille de la firme et l’ appartenance sectorielle. Les firmes de plus grande taille sont moins soumises aux effets négatifs de l’ asymétrie d’ information. D’ autre part, l’ échantillon d’ étude comporte une proportion importante de sociétés financières, notamment dans le sous-échantillon de sociétés mères. Or, une société d’ intermédiation financière n’ est pas soumise au même degré de contraintes financières qu’ une firme industrielle ou commerciale. Si l’ on suppose que ces firmes disposent d’ un avantage significatif dans la collecte et la diffusion des informations financières, le contenu informatif négatif de l’ émission est atténué. Deux autres indicateurs sont donc ajoutés au modèle, l’ appartenance au secteur financier, variable dichotomique (Secteur) égale à 1 si c’ est une société financière et 0 sinon, et la taille de la firme, mesurée par le logarithme de la capitalisation boursière de la firme (Logcap). Ces deux variables devraient avoir une influence positive sur la réaction des cours à l’ annonce. 1.4 Caractéristiques de l’ opération 1.4.1 Taille de l’ offre Plusieurs courants théoriques prévoient une relation négative entre le montant de l’ augmentation de capital et la réaction du marché à l’ annonce. Les théories d’ asymétrie d’ information, celles de structure de capital, l’ hypothèse de pression des prix et celle de redistribution de richesses démontrent toutes qu’ une augmentation du montant des fonds collectés tend à accentuer la réaction négative des cours à l’ annonce. Dans le cadre des théories de l’ information, le montant de l’ opération peut représenter un indicateur de mesure de la « quantité d’ information défavorable » véhiculée par l’ annonce ou de la variation dans la valeur du ratio d’ endettement (Kalay et Shimrat, 1987). 63 L’ existence d’ une structure de capital optimale est due au fait que la valeur d’ une firme endettée est supérieure à celle d’ une firme comparable non endettée, en raison de la déductibilité des charges d’ intérêts (Modigliani et Miller, 1958 ; DeAngelo et Masulis, 1980). Puisqu’ une émission d’ actions nouvelles tend à diminuer la valeur du ratio d’ endettement, elle contribue également à la réduction des possibilités de déductions fiscales : ainsi, la réaction des cours à l’ annonce sera d’ autant plus négative que les montants collectés sont élevés. D’ autre part, Jensen et Meckling (1976) soulignent que les managers augmentent leurs rentes privées et entreprennent des projets d’ investissement non rentables, lorsque leur part de capital dans la firme diminue ; or, ceci est généralement le cas lors d’ une augmentation de capital (à moins qu’ ils n’ y souscrivent). Ainsi, plus la taille de l’ opération est importante, plus la part de capital du manager diminue et plus la valeur de marché de la firme est affectée. L’ hypothèse de pression des prix suppose que la courbe de demande d’ actions de la part des investisseurs est décroissante. L’ annonce d’ une émission d’ actions, qui entraîne une augmentation du nombre de titres disponibles, conduit à une baisse mécanique du cours des titres concernés. Enfin, l’ hypothèse de redistribution34 de richesses indique qu’ une baisse de la valeur de marché des actions entraîne une hausse équivalente de la valeur de marché des obligations. Une émission d’ actions nouvelles diminue la valeur du ratio d’ endettement de la firme, et rend la dette moins risquée. Par conséquent, la valeur de marché de la dette augmente ; l’ augmentation de richesse des obligataires se fait au détriment de celle des actionnaires. Plus l’ offre est conséquente, plus le transfert de richesse est important. Les résultats des tests empiriques existants sont pourtant partagés. Asquith et Mullins (1986), Gajewski et Ginglinger (2002) et Slovin, Sushka et Hudson (1990) trouvent une relation négative et significative, alors que Masulis et Korwar (1986), Hess et Bhagat (1986), Muhtaseb et Philippatos (1991) et Dierkens (1991) ne relèvent aucun coefficient significatif. Dans notre étude, (Emi1) mesure le montant brut de l’ opération en K , et 34 : Pour une revue de la littérature sur ces champs théoriques, se reporter à Smith (1986), ou Eckbo et Masulis (1995). 64 (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes), indicateur de dilution. Au vu des développements théoriques, une relation négative et significative est attendue pour ces variables. 1.4.2 Emissions directes et émissions avec DPS L’ existence d’ un droit préférentiel de souscription lors de l’ augmentation de capital a également une influence significative sur la réaction des cours à l’ annonce. La littérature théorique s’ est intéressée au départ à un paradoxe marquant dans le choix des méthodes d’ émission d’ actions de la part des sociétés cotées américaines : malgré des coûts de transaction directs moins élevés, moins de 10% des firmes émettrices utilisaient le mécanisme du droit de souscription (Kothare, 1997). Ainsi, des hypothèses théoriques concernant l’ existence de coûts cachés liés à cette méthode d’ émission ont émergé : on peut citer entre autres le modèle de sélection adverse de Eckbo et Masulis (1992) et l’ effet négatif sur la liquidité du titre (Kothare, 1997). Dans notre échantillon, les émissions sont réalisées en grande majorité avec DPS ; sur le marché français, Gajewski et Ginglinger (2002) constatent des rentabilités anormales négatives à l’ annonce d’ émissions avec DPS, et ne relèvent aucune réaction significative pour les émissions directes. Pour isoler l’ influence de la méthode d’ émission, une variable dichotomique (Dps) est introduite dans le modèle, celle-ci prend la valeur 1 si l’ émission est réalisée avec DPS, et 0 sinon. 1.5 Modèle d’ analyse testé et synthèse des hypothèses de recherche Le premier modèle d’ analyse testé repose sur l’ équation (1). Celle-ci est appliquée d’ une part à l’ échantillon dans son ensemble (dans ce cas, les termes de l’ opération ne sont pas pris en compte), et d’ autre part sur l’ échantillon de firmes émettrices : (RA)it = Cste + a.(Fsm) + b.(Ene) + c.(Soc)i + d.(Emi) + εit (1) ; Avec : (RA)it la rentabilité anormale à l’ annonce des titres de la firme (i) ; (Fsm) la place de la firme au sein du groupe ; (Ene) le statut de la firme ; 65 (Soc)i un vecteur de variables reflétant les caractéristiques financières de la firme (i) avant l’ émission ; (Emi) un vecteur de variables représentant les termes de l’ opération. De plus, le tableau 8 offre un récapitulatif des relations attendues entre les rentabilités anormales à l’ annonce et les différentes variables explicatives. Tableau 8 : Résumé des hypothèses de recherche : influence des variables explicatives sur les rentabilités anormales à l’annonce Nature de la variable Structure de groupe Place de la firme au sein du groupe (Fsm) Statut de la firme (Ene) % de capital détenu par le premier actionnaire (Actio1) Taux de désengagement de l’ actionnaire principal (Garantie) But de l’ émission (But) Caractéristiques financières des firmes avant l’émission Opportunités d’ investissement (Bm) Performances passées (Perf) Secteur d’ activité (Secteur) Taille de la firme (Logcap) Termes de l’opération Taille de l’ opération (Emi1) et (Emi) Méthode d’ émission (Dps) Méthode de calcul Signe attendu Variable dichotomique : =1 si filiale ; =0 si société mère. Variable dichotomique : =1 si émettrice ; =0 sinon. % de capital détenu par le premier actionnaire. Variable dichotomique : =1 si le taux est positif ; =0 sinon. Variable dichotomique : =1 si financement d’ un investissement ou d’ une acquisition, =0 sinon. (-) (-) (-) (-) (+) Ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière). Rentabilités anormales cumulées des titres sur l’ intervalle (-151j ; -1j). Variable dichotomique : =1 si secteur financier, =0 sinon. Logarithme du total de l’ actif net. (+) Montant brut de l’ émission ; Ratio (Nbre d’ actions émises/Nbre d’ actions anciennes). Variable dichotomique : =1 si existence d’ un DPS ; =0 sinon. (-) (-) (+) (+) (-) II – Résultats empiriques : Modèle général 2.1 Tests univariés de différences de moyennes Tout d’ abord, nous présentons dans le tableau 9 les résultats de tests de comparaisons de moyennes sur les mesures de rentabilités anormales en fonction des différentes variables 66 explicatives du modèle. L’ analyse est réalisée à partir de la variable (Car1), calculée sur l’ intervalle (-10 ;10). Tableau 9 : Comparaison des CARs en fonction des variables explicatives Test t de comparaison de moyennes entre deux échantillons indépendants pour l’ hypothèse de variances inégales. (Car1) mesure la rentabilité anormale cumulée, calculée par le modèle de la moyenne sur l’ intervalle (-10 ;10). (Fsm) prend la valeur 1 si la firme est une filiale et 0 si c’ est une société mère, (Ene) prend la valeur 1 si la firme émet, et 0 sinon, (Garantie) prend la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul, et (Secteur) prend la valeur 1 si la firme est une société financière et 0 sinon. Pour les deux premières variables et la variable (Secteur), le test est réalisé sur l’ échantillon global, et pour la variable (Garantie) l’ analyse ne porte que sur les firmes émettrices. ** : significatif à 1% ; * : à 5% ; ° : à 10%. Variables FSM ENE GARANTIE SECTEUR Filiales Sociétés Emetteurs Non Désengagement Désengagement Sociétés Autres mères émetteurs positif nul financières sociétés Car1 -5.97% -1.90% -7.78% -2.18% -11.91% -4.89% -1.33% -5.48% Test t 1.696° 3.213** 2.046* -1.818° (signification) (0.093) (0.002) (0.047) (0.072) On constate que sur cet intervalle la moyenne des rentabilités anormales cumulées est significativement plus faible pour les filiales que pour les sociétés mères (variable Fsm) : sur l’ échantillon global, la réaction négative s’ élève à –1.90% pour les sociétés mères et – 5.97% pour les filiales. Cette réaction plus fortement négative des titres des filiales de l’ échantillon indique que l’ opération d’ augmentation de capital, quel que soit l’ émetteur, est plus coûteuse pour les actionnaires minoritaires que pour les majoritaires. Ces derniers contrôlant la décision d’ émettre, ce résultat appuie la thèse de l’ existence d’ une forme d’ expropriation de richesse des minoritaires. La réaction des firmes émettrices est plus fortement négative que celle des firmes non émettrices (la différence est significative au seuil de 1%) : la moyenne des CARs est égale à –7.78% pour les émetteurs, et –2.18% pour les non émetteurs. Ce résultat va dans le sens de la majorité des modèles théoriques existants. Si l’ on s’ intéresse au sous-échantillon de firmes émettrices, il semble que les émissions accompagnées d’ une garantie complète de souscription de la part des actionnaires existants conduisent à des rentabilités anormales moins négatives à l’ annonce : celles-ci s’ élèvent en moyenne à –4.89%, contre –11.91% lorsque le taux de désengagement est positif. D’ autre part, les sociétés appartenant au secteur financier subissent une perte de valeur moindre que les autres firmes de l’ échantillon, avec une moyenne de –1.33%, contre –5.48% pour les autres. Usant d’ une variété de sources de financement et grâce à des compétences spécifiques dans le traitement et la diffusion de l’ information, les 67 sociétés financières parviennent à réduire l’ asymétrie d’ information avec les investisseurs externes : l’ émission d’ actions ne véhicule alors que peu d’ informations nouvelles au marché, et n’ affecte pas la valeur de la firme. Enfin, on ne note aucune différence significative pour les variables (Dps), (But) et (Bm). 2.2 Tests multivariés (I) Les résultats des statistiques explicatives sont récapitulés dans le tableau 10. La variable (Car1) est la variable dépendante dans tous les modèles. Les équations (1), (2) et (3) concernent l’ échantillon total , et les équations (4) et (5) seulement l’ échantillon de firmes émettrices. Tableau 10 : Résultats issus du modèle de régression Dans les cinq équations, la variable (Car1) est la variable dépendante (rentabilité anormale cumulée sur l’ intervalle –10 ;10). Les coefficients standardisés sont reportés ainsi que la signification du test t entre parenthèses. (Fsm) prend la valeur 1 si la firme est une filiale et 0 si c’ est une société mère, (Ene) prend la valeur 1 si la société émet, et 0 sinon, (Secteur) prend la valeur 1, si l’ entreprise est une société financière et 0 sinon, (Logcap) mesure le logarithme de la capitalisation boursière au 31.12.t-1, (Perf) représente la rentabilité anormale cumulée sur l’ intervalle (-151 ;-1), (Emi) le ratio Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions existantes, (Garantie) prend la valeur 1 si le taux de désengagement annoncé est positif, et 0 s’ il est nul, et (Actio1) mesure la part de capital détenue par le premier actionnaire de la firme. Les valeurs du test F de Fischer, et du R² ajusté sont données dans les deux dernières lignes du tableau. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° : significatif à 10%. Equation 2 -0.039* (0.064) -0.110 (0.231) - Logcap Equation 1 -0.012 (0.591) -0.033 (0.732) -0.254** (0.007) 0.105 (0.245) - Perf - Emi - -0.158° (0.075) - Garantie - - - Actio1 - - - -0.482 (0.000)** -0.393 (0.011)* - F R² ajusté 4.092** 0.069 2.587° 0.037 4.474** 0.082 9.776** 0.248 Constante Fsm Ene Secteur 0.118 (0.200) - Equation 3 -0.887 (0.432) -0.257** (0.008) 0.103 (0.254) 0.070 (0.465) - 68 Equation 4 0.021 (0.660) -0.138 (0.346) - Equation 5 0.254 (0.148) - 0.170 (0.276) - - - - 0.202 (0.183) -0.188 (0.175) -0.317 (0.042)* 2.715° 0.092 Dans un premier temps, l’ analyse des corrélations révèle des relations significatives entre la variable (Ene) et toutes celles correspondant aux caractéristiques de l’ offre. De plus, les variables de taille (Logcap) et d’ actionnariat (Actio1) sont corrélées significativement avec (Fsm) : toutes ces variables ne peuvent donc être introduites simultanément dans les modèles testés. Les deux variables (But) et (Bm) n’ apparaissent pas dans le tableau 10 en raison de leur très faible contribution à l’ explication de la variance des rentabilités anormales à l’ annonce : pour notre échantillon, le but de l’ émission35 et le montant des opportunités d’ investissement avant l’ émission ne semblent pas être des facteurs déterminants de la réaction des cours, ce qui conduit à infirmer l’ hypothèse d’ opportunités d’ investissement, et notamment les conclusions du modèle de Ambarish, John et Williams (1987). Cependant, cette absence de signification peut être révélatrice du caractère spécifique des firmes de l’ échantillon et de leur appartenance au groupe. Le coefficient de la variable (Fsm) est négatif sans être significatif dans les équations (1), (2) et (4). La place de la société dans le groupe (contrôlée ou contrôlante) n’ influence pas l’ effet d’ annonce observé : ce résultat concerne non seulement l’ échantillon dans sa totalité, mais également le sous-échantillon de firmes émettrices. Par contre, la variable (Ene) présente un coefficient négatif et significatif dans les équations (1) et (3). Ce résultat confirme la validité des résultats de l’ étude d’ événement, où, quel que soit l’ échantillon considéré, les firmes émettrices subissent une perte de valeur significativement plus élevée que les non émettrices. Ici, le statut émetteur ou non émetteur de la firme contribue à expliquer les variations en coupe transversale des rentabilités anormales cumulées. Tous les coefficients de la variable (Secteur) sont positifs indiquant que l’ appartenance au secteur financier permet de réduire la perte de valeur à l’ annonce ; cependant, aucun d’ entre eux n’ est significatif. De même, dans les équations (3) et (5), la variable taille (Logcap) est non significative. Ces deux indicateurs classiques d’ asymétrie d’ information n’ ont pas d’ impact sur la réaction des cours à l’ annonce. Les performances boursières passées des titres ont une influence négative sur l’ effet d’ annonce : plus la société « sur-performe » le marché dans la période pré-émission, plus la réaction à l’ annonce est négative (le coefficient n’ est significatif qu’ au seuil de 10% 35 : Cette conclusion va à l’ encontre des résultas de Mikkelson et Partch (1986) sur le marché américain, qui trouvent une réaction plus négative des cours à l’ annonce d’ une émission destinée à rééquilibrer le bilan de la firme. 69 dans l’ équation 2). Les résultats pour la variable (Perf) sont en accord avec les conclusions de nombreux autres tests empiriques : Gajewski et Ginglinger (2002), Korajczyk, Lucas et McDonald (1990), Muhtaseb et Philippatos (1991). A propos des caractéristiques de l’ offre, on constate dans l’ équation (4) un coefficient négatif et significatif pour la variable (Emi), mesurant la taille relative de l’ opération par rapport au capital existant. Ainsi, plus l’ offre représente une part importante du capital existant, plus la réaction des cours à l’ annonce est négative36. Les deux conclusions sur le pouvoir explicatif des performances passées et de la taille de l’ émission tendent à conforter l’ hypothèse de sélection adverse. La variable (Garantie) influence négativement les CARs à l’ annonce, le coefficient étant significatif dans l’ équation (4). La souscription des actionnaires principaux à la nouvelle émission constitue un signal favorable pour les investisseurs externes et atténue donc l’ effet de sélection adverse (réduction de l’ asymétrie d’ information). A l’ inverse, un désengagement, même partiel, des actionnaires anciens accentue l’ effet négatif d’ annonce. L’ analyse des CARs n’ étant pas réalisée sur le sous-échantillon de filiales émettrices, ce résultat ne permet pas de mettre en évidence l’ effet potentiellement positif d’ un désengagement de la mère sur la valeur des actions consolidées (désinvestissement et recentrage d’ activités). D’ autre part, le coefficient de la variable (Actio1) est négatif et significatif dans l’ équation (5), ceci signifiant que plus la structure de capital de la firme émettrice est concentrée, plus la réaction des cours est négative. Puisque les filiales de l’ échantillon possèdent des structures de propriété plus concentrées que les sociétés mères, ce résultat montre encore indirectement que les actionnaires des filiales subissent une perte de richesse supérieure à celle des actionnaires du groupe. En outre, plus la part de capital de la société mère est élevée, plus la baisse de valeur pour les minoritaires est sévère, ceci confortant la thèse de l’ expropriation. 36 : Ce résultat concorde, entre autres, avec les conclusions des tests de Masulis et Korwar (1986) et de Bayless et Chaplisky (1996). De plus, la variable (Emi1), qui mesure le produit brut de l’ opération, n’ est pas mentionnée ici, mais elle conduit à un résultat similaire. 70 Le paragraphe suivant se concentre particulièrement sur l’ explication des réactions des cours des filiales émettrices pour déterminer la validité des hypothèses de sélection de adverse et d’ expropriation. III – Explication des rentabilités anormales des filiales émettrices 3.1 Présentation du modèle d’ analyse La décision d’ augmentation de capital de la filiale dépend des choix de gestion réalisés par les dirigeants du groupe ; de ce fait, les dirigeants et les actionnaires minoritaires de la filiale subissent les effets d’ une décision contre laquelle ils ne peuvent s’ opposer. Ce paragraphe a pour objectif d’ identifier plus précisément les paramètres financiers qui conduisent à une réestimation de la valeur des titres des filiales émettrices de la part des investisseurs externes. Outre les caractéristiques financières des filiales avant l’ émission, il est intéressant de déterminer si les investisseurs prennent en considération la situation financière des sociétés mères correspondantes et les termes de l’ opération fixés dans la note d’ émission. L’ hypothèse de sélection adverse permet de justifier, en théorie, la baisse des cours observée à l’ annonce. Plus généralement, les modèles d’ asymétrie d’ information supposent que les performances boursières passées, la rentabilité des opportunités d’ investissement et la taille de l’ offre sont des variables explicatives pertinentes. Ainsi, si l’ hypothèse de sélection adverse est valide, des variations positives des performances boursières passées et de la taille de l’ offre devraient avoir un impact négatif sur la réaction des titres à l’ annonce. De plus, une hausse de la rentabilité des opportunités d’ investissement devrait avoir une influence positive. Le modèle d’ analyse testé dans ce paragraphe intègre donc les variables (PerfF), (Emi) et (BmF), dont les méthodes de calcul sont identiques à celles présentées dans le point II37. Par ailleurs, le niveau d’ asymétrie d’ information de la firme émettrice est un paramètre essentiel de l’ évaluation des investisseurs : le modèle comprend donc une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la filiale appartient au secteur financier (SecteurF), et 0 sinon, et un indicateur de taille qui correspond au logarithme du total de l’ actif net (LogactF). Des coefficients positifs sont attendus pour ces deux variables : en effet, les organismes de crédit 37 : Pour mesurer l’ impact de la situation financière des sociétés mères correspondantes avant l’ annonce sur l’ évaluation réalisée par les investisseurs externes, nous avons également calculé les variables (PerfSM) et (BmSM) : les résultats ne sont pas reportés dans l’ étude empirique, car aucune d’ entre elles n’ est significative. 71 et les sociétés financières sont soumises à un plus faible degré d’ asymétrie d’ information. Ce dernier décroît également avec la taille de la firme38. La réaction négative des actions des filiales émettrices constatée dans le chapitre 1 peut aussi provenir d’ une tentative d’ expropriation de richesse de la part des actionnaires de la société mère, par l’ intermédiaire des dirigeants du groupe. Plusieurs motivations distinctes peuvent inciter la direction du groupe à collecter des fonds sur le marché par l’ intermédiaire de la filiale. Tout d’ abord, il est possible que les dirigeants souhaitent éviter de faire subir aux actionnaires du groupe une perte de valeur à l’ annonce, si l’ émission concerne les titres consolidés. Par ailleurs, si les actions du groupe sont sous-évaluées et les actions de la filiale surévaluées, les dirigeants, agissant dans l’ intérêt des actionnaires majoritaires, opteront pour une émission de la part de la filiale. Il est important de noter que les fonds levés sur le marché des actions sont ensuite « mobiles » au sein du groupe par l’ intermédiaire de dettes et prêts intragroupes39 : dans le cas où le groupe souhaite investir dans un projet particulier, et que les actions consolidées sont sous-évaluées, la direction peut prendre la décision de « faire émettre » la filiale. Si les investisseurs externes sont rationnels et anticipent ce type de comportement, ils doivent sanctionner plus sévèrement les filiales pour lesquelles le problème d’ expropriation est significatif. Ainsi, le modèle d’ analyse comporte une variable mesurant le pourcentage de capital détenu par la société mère avant l’ annonce (Kalmere) : plus ce pourcentage est élevé, plus la probabilité d’ expropriation l’ est aussi, et plus la réaction des titres des filiales à l’ annonce devrait être négative. Enfin, la participation à l’ opération des actionnaires existants est un signal fort pour les investisseurs externes. En l’ occurrence, la question est de savoir si la société mère souscrit à hauteur de ses droits à la nouvelle émission, ou si elle décide de vendre une partie de sa participation. L’ intention des actionnaires existants est fournie dans les notes d’ information de la COB. D’ une part, un taux de désengagement positif pourrait constituer un signal défavorable sur les perspectives financières des filiales concernées. D’ autre part, un désinvestissement partiel où la société mère conserve le contrôle exclusif de la filiale pourrait Les investisseurs semblent donc effectuer une estimation de valeur sur la base des perspectives de la filiale émettrice et non en fonction des perspectives de la société mère. 38 : Là encore, nous avons essayé de déterminer si la taille de la société mère (LogactSM) et son secteur d’ activité (SecteurSM) avaient une influence positive sur la réaction des titres des filiales émettrices : ces variables ne possèdent malheureusement aucun pouvoir explicatif. 39 : La partie 2 de cette recherche décrit les caractéristiques du fonctionnement des marchés internes de capitaux au sein des groupes. 72 aussi avoir un impact positif sur la valeur des titres à l’ annonce : dans ce cas, l’ opération conduit à une structure de propriété moins concentrée, qui s’ accompagne d’ une plus grande diffusion et d’ une disponibilité accrue de l’ information financière40. Deux variables reflétant le taux de souscription des actionnaires principaux sont intégrées au modèle d’ analyse : (Souscription) correspond au taux de souscription annoncé dans la note d’ information, et (Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement est positif et 0 sinon. 3.2 Tests multivariés (II) Les résultats issus du modèle de régression figurent dans le tableau 11. Dans les quatre équations présentées, la variable dépendante mesure la rentabilité anormale cumulée du titre de la filiale émettrice sur l’ intervalle (-1j ; 1j), (Car1F). Si l’ on s’ intéresse aux variables permettant de vérifier la validité de l’ hypothèse de sélection adverse, on constate que toutes présentent le signe attendu. Le coefficient de la variable (PerfF) est négatif dans l’ équation (2), celui de la variable (BmF) est négatif dans les équations (1), (2) et (4). Le signe des deux indicateurs d’ asymétrie d’ information est également conforme aux prédictions : les coefficients de (SecteurF) et (LogactF) sont positifs, respectivement dans les équations (1) et (4), et, (2) et (3). Cependant, tous ces coefficients s’ avèrent être non significatifs et n’ influencent donc que marginalement la réaction des cours des filiales émettrices. Seule la variable (Emi) a un impact négatif et significatif sur les rentabilités anormales cumulées à l’ annonce dans l’ équation (1). Au vu de ces résultats, il semble que l’ hypothèse de sélection adverse ne permette de justifier qu’ une infime partie des effets d’ annonce observés pour le sous-échantillon de filiales émettrices. 40 : La concentration des structures de propriété réduit la capacité de contrôle du marché financier externe, et diminue également les flux d’ information disponibles sur la firme. Gajewski et Ginglinger (2002) montrent que l’ annonce d’ une émission directe a un effet moins négatif sur la valeur que l’ annonce d’ une émission avec DPS. L’ interprétation de leurs résultats repose sur le fait que les émissions avec DPS tendent à augmenter la concentration de l’ actionnariat, alors que les émissions directes contribuent à la diminuer. L’ annonce d’ une émission directe constitue donc un signal moins défavorable, surtout sur un marché financier où les structures de propriété sont traditionnellement très concentrées. 73 Tableau 11 : Explication de la réaction des cours des filiales émettrices Modèle de régression linéaire : dans les 4 équations, (Car1f) est la variable dépendante et mesure la rentabilité anormale cumulée sur l’ intervalle (-1 ;1). La variable (Souscription) représente le pourcentage de souscription à l’ émission annoncé par les anciens actionnaires de la firme, (Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul. (PerfF) mesure la rentabilité anormale cumulée des titres sur l’ intervalle (-151 ;-1), (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes) et mesure la taille relative de l’ émission, (Kalmere) indique le pourcentage de capital détenu par la société mère avant l’ annonce, (BmF) correspond au ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière en t-1), et mesure les opportunités d’ investissement avant l’ annonce, (SecteurF) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la filiale appartient au secteur financier et 0 sinon, (LogactF) mesure la taille des filiales émettrices par le logarithme du total de l’ actif net en t-1. Les coefficients standardisés sont reportés ainsi que la signification du test t entre parenthèses. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° : significatif à 10% (N=43). Constante Souscription Désengage PerfF Emi Kalmere BmF Equation 1 -0.339 (0.571) -0.362 (0.021)* -0.524 (0.000)** - LogactF -0.068 (0.613) 0.138 (0.345) - F R² ajusté 9.900** 0.387 SecteurF Equation 2 -4.495 (0.017) 0.371 (0.016)* -0.193 (0.332) -0.120 (0.547) 0.260 (0.125) 2.369° 0.146 Equation 3 -2.160 (0.240) -0.415 (0.015)* - Equation 4 -0.336 (0.828) 0.351 (0.037)* - - - -0.294 (0.086)° - -0.413 (0.011)* -0.088 (0.578) 0.258 (0.109) - 0.262 (0.117) 3.864* 0.217 4.462** 0.309 Les variables mesurant le taux de participation de la société mère à l’ opération présentent des coefficients significatifs. La variable (Souscription) a une influence positive et significative (à 5%) dans les équations (2) et (4) : plus le taux de souscription annoncé est élevé, plus la réaction des titres est positive. De même, les coefficients de la variable dichotomique (Désengage) sont négatifs et significatifs (à 5%) dans les équations (1) et (3). Ces résultats prouvent que les investisseurs externes valorisent l’ intention de l’ actionnaire principal quant au suivi de l’ opération. Un désengagement de la part de la société mère constitue un signal très défavorable sur les perspectives financières de la filiale. Même si le désinvestissement entraîne une réduction de la concentration de la structure de propriété, la décision des actionnaires du groupe de ne pas participer à l’ opération à hauteur de leurs droits a des répercussions très négatives sur la valeur des titres de la filiale. 74 D’ autre part, les coefficients de la variable (Kalmere) sont négatifs et significatifs dans les équations (3) et (4), aux seuils de 5 et 10%. Ainsi, plus la part de capital détenue par la mère avant l’ opération est importante, plus la perte de valeur à l’ annonce est sévère pour les titres de la filiale. Si les investisseurs interprètent le niveau de participation et de contrôle de la mère comme un indicateur potentiel de la probabilité d’ expropriation, alors plus cette probabilité est élevée, plus l’ effet d’ annonce est négatif. D’ autre part, la plupart des émissions de l’ échantillon sont réalisées avec DPS ; or, cette méthode d’ émission entraîne une augmentation de la concentration de la structure de propriété. Les investisseurs externes peuvent également sanctionner ce phénomène. Globalement, il semble que le niveau de participation de la société mère à l’ opération et la probabilité d’ expropriation de richesse représentent des facteurs explicatifs pertinents de la réaction des cours des filiales émettrices. Au contraire, l’ hypothèse de sélection adverse ne parvient pas à justifier les effets d’ annonce observés. Le paragraphe suivant est consacré à l’ étude des réactions des titres des sociétés mères correspondantes (non émettrices). IV – Explication des rentabilités anormales des sociétés mères non émettrices En complément de l’ analyse précédente, il est pertinent de déterminer la nature des facteurs explicatifs des réactions observées pour les sociétés mères non émettrices. Deux variables semblent dans ce cas pouvoir influencer l’ effet d’ annonce : l’ intensité de la perte de valeur subie par les filiales émettrices (et sa répercussion sur les cours de la mère), et la politique de désengagement de la société contrôlante. 4.1 Hypothèses de sélection adverse et de désinvestissement A l’ annonce d’ une émission des filiales, les cours des titres des sociétés mères correspondantes ne réagissent que très faiblement (réaction négative et non significative). Ce résultat s’ oppose aux implications des hypothèses de Nanda (1991), d’ expropriation de richesse et d’ opportunités d’ investissement : en effet, celles-ci prévoient une réaction positive des cours des sociétés mères. 75 L’ hypothèse de sélection adverse souligne que l’ effet négatif de l’ annonce sur la valeur des filiales doit se répercuter sur les cours de la mère, en fonction de la part de capital que celle-ci détient dans l’ entité contrôlée. Un nouveau modèle de régression, appliqué à l’ échantillon de sociétés mères non émettrices, a été construit pour évaluer la validité de cet argument. Pour cela, une variable explicative supplémentaire est calculée ; elle mesure l’ impact de la réaction des titres de la filiale sur ceux de la mère, par la formule : Variable (Croisée) = (CARf * % de capital détenu par la mère) * (Capitalisation de la filiale/Capitalisation de la société mère) ; (CARf) représente la rentabilité anormale cumulée des titres de la filiale à l’ annonce de l’ émission. La seconde partie de la formule permet de prendre en compte le différentiel de taille entre les deux entités. Si l’ hypothèse de sélection adverse est correcte, cette variable devrait présenter un coefficient positif et significatif. Deux variables croisées sont donc calculées : (Croisée05) sur l’ intervalle (0 ; 5j), et (Croisée55) sur l’ intervalle (-5j ; 5j). Une autre interprétation possible met en avant la volonté de la société contrôlante de désinvestir, en vendant une partie de sa participation au capital de la filiale. Le désengagement de la société mère lui procure des ressources supplémentaires, pouvant servir soit à rembourser des dettes, soit à financer des investissements. L’ affectation des fonds est un facteur explicatif essentiel de la réaction des cours : si les fonds sont redistribués aux créanciers, l’ effet d’ annonce devrait être positif, si les fonds sont conservés en interne, la réaction attendue est neutre ou négative (Allen et McConnell, 1998). D’ autre part, les groupes de sociétés sont en général des structures diversifiées. Or, une littérature financière abondante conclut à l’ inefficience des politiques de diversification, et reconnaît notamment l’ existence d’ une décote des grandes firmes diversifiées américaines par rapport à un portefeuille de firmes spécialisées comparables (Berger et Ofek, 1996 et 1999 ; Comment et Jarrell, 1995). Ainsi, la tendance au recentrage d’ activité observée dans les années 90 serait une stratégie créatrice de valeur (Kaplan et Weisbach, 1992 ; John et Ofek, 1995 ; Lang, Poulsen et Stulz, 1995) : l’ annonce d’ un désinvestissement a un effet d’ autant plus positif que la firme se dessaisit d’ une entité opérant dans un secteur d’ activité non lié. Pour mettre en évidence les conséquences d’ une politique de désinvestissement partiel, deux variables sont intégrées au modèle d’ analyse : (Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul. (Dés*secteur) est une variable croisée prenant 76 la valeur 1 si la société mère se désengage et si la mère et la filiale n’ appartiennent pas au même secteur d’ activité, et 0 dans le cas contraire. 4.2 Tests multivariés (III) Le tableau 12 contient les résultats issus du modèle de régression. Dans les 4 équations proposées, la variable dépendante mesure la rentabilité anormale cumulée de la société mère sur l’ intervalle (0 ; 5j). Les tests ont également été menés à partir de la rentabilité anormale cumulée sur l’ intervalle (-5j ; 5j) : les résultats sont similaires et ne sont pas reportés ici. Tableau 12 : Explication de la réaction des cours des sociétés mères non émettrices Modèle de régression linéaire : dans les 4 équations, (Car1sm) est la variable dépendante (rentabilité anormale cumulée sur l’ intervalle (0 ;5)). La variable (Croisée05) mesure l’ impact de la réaction des cours des filiales sur ceux des mères à partir du ratio : (Carf * % de capital détenu par la mère) * (Capitalisation filiale/Capitalisation mère), sur l’ intervalle (0 ;5). (BmF), le ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière en t-1), mesure les opportunités d’ investissement des filiales avant l’ annonce, (Emi) correspond au ratio (Nombre d’ actions émises/Nombre d’ actions anciennes) et mesure la taille relative de l’ émission, (SecteurSM) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la société mère appartient au secteur financier et 0 sinon, (Désengage) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si le taux de désengagement est positif, et 0 s’ il est nul. (Dés*secteur) est une variable croisée prenant la valeur 1 si la société mère se désengage et si la mère et la filiale n’ appartiennent pas au même secteur d’ activité. Les coefficients standardisés sont reportés ainsi que la signification du test t entre parenthèses. ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° : significatif à 10% (N=43). Constante Croisée05 BmF Emi Equation 1 2.423 (0.072)° 0.341 (0.062)° - Equation 2 0.713 (0.672) 0.335 (0.064)° 0.371 (0.052)° -0.489 (0.013)* - Equation 3 0.821 (0.656) - Equation 4 -0.656 (0.775) - 0.334 (0.095)° -0.452 (0.029)* - 0.420 (0.065)° -0.458* (0.042)* - - 0.125 (0.501) 2.512° 0.136 0.122 (0.549) - Désengage -0.388 (0.035)* 0.228 (0.202) - Dés*Secteur - - F R² ajusté 2.727° 0.152 3.553* 0.221 SecteurSM 2.440° 0.129 La variable (Croisée05) présente des coefficients négatifs et significatifs à 10% dans les équations (1) et (2)41. Ces résultats corroborent l’ hypothèse de sélection adverse et indiquent que la réaction des titres des sociétés mère non émettrices est proportionnelle à l’ effet 41 : La variable (Croisée55) a également été testée et possède un impact significativement positif sur la réaction des cours des sociétés mères non émettrices. 77 d’ annonce sur la valeur des actions des filiales émettrices. De plus, la variable de contrôle (Emi), mesurant la taille de l’ émission, possède des coefficients négatifs et significatifs dans les 4 équations, au seuil de 5%. Ce résultat est également en accord avec les implications de l’ hypothèse de sélection adverse : plus la taille relative de l’ émission est élevée, plus la réaction des cours de la filiale est négative (paragraphe III), et, par conséquent, plus l’ effet négatif d’ annonce se répercute sur les titres de la société mère. Par contre, les coefficients des variables mesurant le taux de désengagement de la société mère lors de l’ émission de la filiale s’ avèrent positifs mais non significatifs (dans les équations (3) et (4)), ceci ne permettant pas de valider l’ hypothèse de Allen et McConnell (1998). Par ailleurs, la variable (BmF), mesurant les opportunités d’ investissement des filiales émettrices, possède des coefficients positifs et significatifs dans les équations (2), (3) et (4) : ainsi, une baisse du niveau d’ opportunités d’ investissement des filiales semble avoir un effet positif sur la réaction des cours des sociétés mères42. L’ absence de projets d’ investissement rentables à la disposition de la filiale conduit à une évaluation moins négative de la valeur de la mère. Les investisseurs estiment que les fonds collectés seront redistribués aux créanciers ou aux actionnaires. Ce résultat corrobore partiellement le raisonnement de Allen et McConnell (1998). De plus, une baisse de la rentabilité des opportunités d’ investissement de la filiale, accompagnée d’ un désengagement de la société mère, devrait véhiculer un signal favorable sur la valeur de la société mère : en l’ occurrence, celle-ci revend les titres d’ une filiale non rentable. Enfin, la nature du secteur d’ appartenance de la société mère n’ a pas d’ impact significatif sur la réaction des cours à l’ annonce : (SecteurSM) possède un coefficient positif mais non significatif dans l’ équation (1). Cette section s’ est concentrée spécifiquement sur l’ explication des réactions des cours des deux entités à l’ annonce de l’ opération : elle a permis de mettre en évidence les caractéristiques financières sur lesquelles repose l’ évaluation des investisseurs externes au moment de l’ annonce. La section suivante tente d’ estimer la probabilité d’ émission de chaque type de firmes en fonction de leur situation financière avant l’ émission : l’ objectif consiste alors à identifier les modalités du choix des dirigeants du groupe, en interne. 42 : La variable (BmSM), non reportée ici, ne possède aucun pouvoir explicatif. 78 Section 2 : Choix de l’entité émettrice et probabilité d’émission de la filiale par rapport à la mère Les motivations conduisant les firmes à avoir recours à l’ émission d’ actions pour financer de nouveaux projets d’ investissement sont définies par les modèles de structure de capital. La plupart des problématiques existantes tendent à considérer les conditions du choix entre dettes et capitaux propres. Ainsi, trois courants théoriques essentiels adressent la question du choix du mode de financement à long terme : la théorie du financement hiérarchique (« Pecking Order Theory »), la théorie du compromis, qui intègre les développements sur les problèmes d’ agence (« Static Tradeoff theory »), et l’ hypothèse du timing. Les développements théoriques présentés au début de cette section essaient de déterminer dans quelles conditions les firmes optent pour une augmentation de capital. Pour chaque courant théorique, l’ analyse sera axée particulièrement sur l’ influence de trois variables financières fondamentales : les variations de l’ endettement financier, les performances passées et le niveau d’ opportunités d’ investissement. Ces paramètres sont à l’ origine de la décision d’ émission dans le cas général d’ une société indépendante. Transposé à l’ étude du choix de l’ entité émettrice au sein d’ une structure mère/filiale, le raisonnement nous amène à penser que les dirigeants du groupe sont obligés d’ analyser les trois paramètres précédents, pour chaque catégorie de firmes. Le second paragraphe de la section définit le modèle d’ analyse et rapporte les différents résultats empiriques issus du modèle de régression logistique qui tente de comparer la probabilité d’ émission de la filiale par rapport à celle de la société mère. I – Théories de structure de capital et adaptation à l’ étude des structures de groupe Les hypothèses de base des différents modèles sont exposées brièvement. Par ailleurs, l’ objectif n’ est pas ici d’ évaluer la probabilité d’ émission d’ actions par rapport à celle d’ une émission de dettes, mais bien d’ identifier les circonstances dans lesquelles les firmes décident d’ augmenter leur capital. Le niveau d’ endettement financier reste bien entendu, quel que soit le courant théorique considéré, une variable explicative déterminante. 79 1.1 Théorie du financement hiérarchique Les deux articles fondamentaux qui servent de référence à ce courant de pensée sont ceux de Myers, associé pour le second à Majluf (Myers, 1977 ; Myers et Majluf, 1984). Le premier article montre que, dans une situation où personne ne détient d’ information privilégiée, l’ existence d’ une dette risquée (dont la probabilité de ne pas être remboursée dans son intégralité n’ est pas nulle) peut empêcher une émission d’ actions destinée à financer un investissement rentable : c’ est le « debt overhang effect ». Ainsi, lorsque l’ information est symétrique, la structure de financement optimale est constituée des seuls capitaux propres. Le deuxième article souligne que, dans une situation où les dirigeants savent que la véritable valeur de l’ entreprise est supérieure à celle reflétée par le cours boursier, le fait qu’ ils servent les intérêts des actionnaires peut les amener à renoncer à une émission d’ actions pour financer un investissement rentable (lorsque le cours est surévalué, la firme procède au contraire à l’ émission). Si l’ investissement peut être financé par endettement, celui-ci sera préféré par les « bonnes » comme par les « mauvaises » firmes. Ainsi, lorsque l’ information est asymétrique, la structure de financement optimale n’ est composée que de dettes. Le niveau d’ asymétrie d’ information varie au cours du temps en fonction des révélations et de la diffusion publique d’ informations sur les résultats et les perspectives des firmes. Ce concept a donné naissance à la théorie du financement hiérarchique : l’ asymétrie d’ information provoque une hausse du coût global de l’ augmentation de capital par rapport à celui de la dette, ceci conduisant à une forme de hiérarchie entre ces deux modes de financement43. Ce courant théorique ne reconnaît pas l’ existence d’ une structure de capital optimale. Plus précisément, s’ il existe un ratio optimal d’ endettement, le coût de déviation par rapport à celui-ci n’ est pas significatif économiquement, en comparaison du coût lié au financement externe. Les diverses conclusions du modèle de Myers et Majluf (1984) peuvent être synthétisées : - en présence d’ un nouveau projet d’ investissement, le financement interne est systématiquement préféré au financement externe ; - l’ autofinancement ne pouvant suffire à la croissance de la firme, celle-ci aura donc recours à l’ emprunt. Dans ce cas, elle choisira la forme d’ endettement la plus sûre 43 : L’ asymétrie d’ information entre managers et investisseurs externes n’ implique pas nécessairement une hiérarchie de financement, comme le prouvent les modèles de Brennan et Kraus (1987) et de Noe (1988). 80 pour deux raisons : les coûts de faillite et la volonté de conserver une capacité ou réserve d’ emprunt ; - dans le choix du mode de financement externe, la dette est préférée aux capitaux propres. Les firmes ont de bonnes raisons d’ éviter l’ émission d’ actions, notamment à cause du dilemme entre laisser passer un projet à VAN positive ou émettre des actions sous-évaluées : les deux solutions se soldent par une perte de valeur nette. Ces développements démontrent que l’ émission d’ actions n’ est utilisée qu’ en dernier recours, et lorsque la firme ne dispose pas d’ autres alternatives de financement. Ainsi, une augmentation du ratio d’ endettement financier, qui tend à saturer la capacité d’ emprunt de la firme, aura une influence positive sur la probabilité d’ émission. La relation entre les performances boursières passées et la probabilité d’ émission pose un problème d’ interprétation dans le cadre de la théorie du financement hiérarchique (la corrélation entre les deux phénomènes est expliquée de manière plus pertinente par l’ hypothèse du timing). En effet, il n’ existe pas de raisons solides de croire que l’ information détenue en interne par les managers est systématiquement plus favorable lorsque les cours sont élevés. Pourtant, dans le raisonnement de Myers et Majluf (1984), les managers évitent d’ émettre des actions lorsque celles-ci sont sous-évaluées. De plus, l’ émission transmet une information défavorable sur la firme au marché : les managers sont donc réticents et préfèrent accumuler des fonds en interne pour financer les projets d’ investissement. L’ asymétrie d’ information peut être également un déterminant important de la hausse du cours qui précède l’ émission si les firmes sont capables de manipuler l’ information, et notamment l’ information comptable. Teoh, Welch et Wong (1995) constatent que les firmes manipulent effectivement les résultats et les données comptables avant l’ annonce d’ une émission d’ actions, et montrent que ces modifications affectent significativement le cours des actions. Le modèle de Myers et Majluf (1984) repose sur l’ hypothèse que les managers agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants : l’ absence de conflits d’ agence à ce niveau suppose que les managers n’ entreprennent pas de projets d’ investissement non rentables. Si elles ne disposent pas de projets rentables, les firmes conservent les bénéfices dégagés et tendent à accroître 81 leurs réserves financières (« financial slack »44). L’ apparition de nouvelles opportunités d’ investissement rentables avant l’ annonce de l’ émission contribue à accroître l’ asymétrie d’ information entre les managers et les investisseurs, si les managers ne parviennent pas à signaler la véritable valeur des projets. D’ un autre côté, l’ existence d’ opportunités rentables tend à épuiser les ressources internes de financement et à saturer la capacité d’ endettement. De plus, la raison fréquemment évoquée pour justifier l’ opération d’ augmentation de capital est le financement de projets émergents. Une version dynamique de la théorie du financement hiérarchique prévoit que les firmes disposant d’ opportunités d’ investissement futures rentables auront tendance à diminuer leur ratio d’ endettement, pour ne pas avoir recours à l’ augmentation de capital dans un avenir proche45. A partir de tous ces arguments, il est alors possible de prévoir une relation positive entre le niveau d’ opportunités d’ investissement et la probabilité d’ émission d’ actions46. La théorie du financement hiérarchique parvient à émettre des hypothèses valides sur le sens des relations qui lient le niveau d’ endettement financier, les performances boursières passées et la rentabilité des opportunités d’ investissements, à la probabilité d’ émission. Le point suivant analyse les fondements théoriques de l’ hypothèse du compromis, qui intègre également les développements sur les problèmes d’ agence. 1.2 Structure de capital optimale : théorie du compromis et problèmes d’ agence La théorie du compromis suppose l’ existence d’ un ratio d’ endettement cible Dettes/Capitaux propres. Si l’ on admet la présence d’ imperfections, les décisions de financement affectent la valeur de la firme, et la structure de capital doit évoluer en se déplaçant graduellement vers le ratio optimal. La valeur de ce ratio est déterminée par l’ arbitrage entre les coûts et les bénéfices liés à l’ endettement, en supposant que les actifs de la firme et ses opportunités 44 : Le « financial slack » caractérise tout montant facilement disponible pour l’ entreprise, qu’ il s’ agisse d’ actifs facilement cessibles, de disponibilités financières ou encore de dettes sans risque que la firme peut contracter. L’ avantage d’ une forte liquidité est de pouvoir faire face à une exigibilité imprévue. 45 : La version standard de la théorie implique que les périodes d’ investissement conduisent à des valeurs élevées du ratio d’ endettement, au-delà de la capacité d’ endettement de la firme. 46 : Les opportunités d’ investissement et la rentabilité sont instables, et leurs fluctuations souvent imprévisibles. Le déséquilibre entre le montant des cash-flows internes et les dépenses d’ investissement détermine les besoins en fonds externes de la firme. Celle-ci ne peut réaliser un ajustement optimal et une augmentation des opportunités d’ investissement entraîne une hausse de l’ endettement. Si le déséquilibre est trop important et que la firme ne peut émettre des dettes sans risque (saturation de la capacité d’ endettement), elle optera alors pour les obligations convertibles ou les actions. Ainsi, les opportunités d’ investissement influencent positivement la probabilité d’ émission. 82 d’ investissement sont maintenus constants. Plus spécifiquement, le ratio cible dépend des économies fiscales liées à la dette (Modigliani et Miller, 1963)47, des coûts de faillite, des possibilités de déductions fiscales hors dettes (DeAngelo et Masulis, 1980), de la rentabilité passée et de la structure de l’ actif (Harris et Raviv, 1991), et des coûts d’ agence de la dette. Le choix de financement n’ est pas orienté par un ordre hiérarchique entre les différentes sources de fonds, mais par la volonté de la firme de se rapprocher d’ une structure d’ endettement optimale. Même si elle admet l’ existence de multiples imperfections, dont les problèmes d’ agence, la théorie du compromis respecte les hypothèses d’ efficience et d’ information symétrique. La théorie du compromis indique que la firme aura recours à l’ augmentation de capital lorsque la valeur réelle de son ratio d’ endettement dépasse celle du ratio cible. Par conséquent, on peut prévoir qu’ une augmentation significative de l’ endettement financier provoque une hausse de la probabilité d’ émission d’ actions. En ce qui concerne la relation entre la performance boursière passée et la probabilité d’ émission, l’ existence d’ une corrélation positive est difficilement justifiable dans le cadre de la théorie du compromis. En effet, si la valeur de la firme augmente (rentabilités anormales positives avant l’ émission), le ratio Dettes/Capitaux propres diminue, et la firme est alors censée s’ endetter, et non émettre des actions pour équilibrer sa structure de capital. Une explication possible du timing de l’ émission d’ actions en accord avec la théorie du compromis repose sur le fait que la structure de capital évolue car les coûts et bénéfices de la dette varient au cours du temps. Par exemple, de nombreux articles montrent que les firmes avec de meilleures opportunités de croissance essaient de modérer l’ endettement. Ainsi, si l’ on admet que les firmes rentables ont de meilleures perspectives de croissance et que le cours de l’ action augmente pour cette raison, le phénomène est tout de même cohérent avec les implications de la théorie. De même, il apparaît difficile de prévoir une relation stable entre le niveau d’ opportunités d’ investissement et la probabilité d’ émission. Une version complète de la théorie du compromis se doit d’ intégrer au raisonnement les conflits d’ agence entre managers, actionnaires et créanciers. Les coûts d’ agence liés à la dette, qui résultent des divergences 47 : Op. cité Myers (1984), p.579. 83 d’ intérêts entre ces trois catégories d’ acteurs, interviennent dans l’ estimation du ratio optimal d’ endettement. Le modèle d’ agence résulte de l’ argument selon lequel les managers poursuivent parfois leurs propres objectifs (comme par exemple la croissance de la firme) au détriment de l’ intérêt et de la richesse des actionnaires existants. La théorie de l’ agence adaptée à l’ analyse des structures de capital reconnaît l’ existence d’ un ratio optimal Dettes/Capitaux propres qui minimise les coûts d’ agence : la structure de capital doit être un moyen d’ atténuer les conflits d’ intérêts entre les agents ayant un droit de regard sur les ressources de la firme (dirigeants, actionnaires créanciers). L’ endettement contribue notamment à atténuer les conséquences des conflits entre dirigeants et actionnaires48, mais provoque également l’ émergence de conflits entre créanciers et actionnaires49. La théorie de l’ agence ne dégage aucune implication quant à la relation entre la variation de l’ endettement financier et la probabilité d’ émission. Par contre, le lien entre l’ augmentation de la rentabilité boursière et la décision d’ émission peut s’ expliquer à partir des conséquences de la relation d’ agence entre managers et actionnaires (Zwiebel, 1996). Selon cet argument, les managers tentent de limiter l’ endettement, puisque ce mode de financement peut ralentir la croissance et provoque une augmentation de la probabilité de défaut, ceci mettant en danger leur situation au sein de la firme. Cependant, la possibilité pour les managers de conserver un endettement modéré dépend du contrôle exercé par le marché externe. La pression du contrôle externe est d’ autant plus sévère que les performances financières de la firme se dégradent (probabilité d’ éviction des dirigeants). Par conséquent, les managers sont totalement libres d’ émettre de nouvelles actions en phase d’ expansion et de profit, mais, lorsque les bénéfices 48 : Les comportements opportunistes et les prélèvements des dirigeants diminuent lorsque ceux-ci détiennent une part plus importante du capital. En admettant que le niveau d’ investissement personnel du dirigeant est constant, augmenter la fraction de l’ activité de la firme financée par dette permet d’ accroître la part relative du dirigeant et de réduire les pertes occasionnées par les conflits d’ agence. Par ailleurs, la dette oblige la firme à débourser régulièrement des liquidités pour assurer les remboursements et le paiement des intérêts : ceci tend à diminuer le montant des free cash-flows à la disposition des dirigeants. 49 : Ces conflits peuvent engendrer une politique d’ investissement sous-optimale, contraire à la maximisation de la valeur. Les propriétaires-dirigeants ont intérêt à choisir les projets d’ investissement risqués. Une première argumentation repose sur la théorie des options. Si la faillite survient, l’ entreprise est laissée aux créanciers et la perte des propriétaires est limitée au montant des fonds propres détenus. Si le projet est mené à bien, les propriétaires remboursent la dette et captent l’ ensemble des bénéfices. La transposition de ce modèle en tenant compte des imperfections de marché a été réalisée par Jensen et Meckling (1976) : entre deux investissements, l’ entrepreneur aura intérêt à choisir le plus risqué puisqu’ il accroîtra la valeur de ses fonds propres au détriment de la valeur économique de la dette. Myers (1977), en prenant en compte les actifs existants et les investissements futurs, arrive aux mêmes conclusions. Le risque de transfert de richesse et l’ effet de substitution d’ actifs génèrent des coûts d’ agence significatifs. 84 dégagés sont en baisse et les performances boursières médiocres, ils auront tendance à s’ endetter (une augmentation de capital pourrait conduire dans ce cas à leur remplacement). Le raisonnement lié à la théorie de l’ agence suppose que les performances boursières passées représentent un indicateur pertinent de la probabilité d’ émission pour les firmes soumises à des problèmes d’ agence significatifs. La théorie de l’ agence indique que l’ augmentation des cours doit avoir lieu sur une période de temps relativement longue avant l’ annonce de l’ émission, ce qui contraste avec les implications des modèles d’ asymétrie d’ information qui évoquent un lapse de temps plus court : toute mauvaise évaluation due à l’ asymétrie d’ information devrait être corrigée lors de la diffusion régulière des résultats intermédiaires de la firme. La problématique de l’ agence permet également de prévoir une relation positive entre la rentabilité de opportunités d’ investissement futures et la probabilité d’ émission. En présence de coûts d’ agence et d’ une information symétrique, considérons le cas d’ une firme totalement financée par capitaux propres et ne disposant pas, à priori, d’ opportunités d’ investissement rentables. Si les managers maximisent la richesse des actionnaires existants, une nouvelle émission réalisée dans le but de financer un projet constitue une information et un signal favorables pour les investisseurs : cela signifie en effet que la firme a obtenu de manière inattendue un projet à VAN positive. En revanche, en présence de coûts d’ agence liés au comportement opportuniste des managers, une nouvelle émission n’ est pas forcément synonyme de nouvelle favorable. Pour le financement d’ un projet à VAN négative, les dirigeants optent en général pour l’ augmentation de capital : l’ endettement conduit dans cette situation à une diminution des ressources sous leur contrôle, puisque la valeur actuelle des annuités de la dette excède celle des rentes dégagées par l’ investissement. Une augmentation des opportunités d’ investissement a pour conséquence une diminution des coûts d’ agence liés à l’ opportunisme des dirigeants, car leurs objectifs et ceux des actionnaires s’ accordent lorsque la rentabilité des investissements s’ améliore. Ainsi, une variation positive des opportunités d’ investissement contribue à augmenter la probabilité d’ émission d’ actions. Un troisième courant théorique offre une argumentation nouvelle sur les choix et les décisions de financement qui influencent la structure de capital des firmes : l’ hypothèse du timing. 85 1.3 Hypothèse du timing Sur un marché efficient et intégré, les coûts des différentes formes de financement ne varient pas indépendamment les uns des autres, ce qui élimine toute possibilité de gains opportunistes provenant d’ une substitution des deux alternatives principales, le dette et les capitaux propres (Modigliani et Miller, 1958). En présence d’ imperfections, les managers ont l’ opportunité de prévoir les émissions d’ actions et d’ obligations, pour faire bénéficier les actionnaires existants de conditions financières favorables (ceci au détriment des nouveaux entrants). Plusieurs aspects de la politique financière des firmes tendent à prouver que le timing est un déterminant important des décisions de financement. Tout d’ abord, plusieurs études montrent que les firmes choisissent d’ émettre des actions, plutôt que des obligations, lorsque la valeur de marché de la firme est élevée, par rapport à la valeur comptable et aux valeurs de marché passées (Marsh, 1982 ; Asquith et Mullins, 1986 ; Korajczyk, Lucas et McDonald, 1991) ; de même, les firmes ont tendance à racheter des actions lorsque la valeur de marché est plus faible. De plus, l’ analyse des rentabilités à long terme consécutives aux décisions de financement prouvent que le timing est en moyenne efficace : les firmes émettent des actions lorsque le coût est relativement faible, et en rachètent lorsque le coût est plus élevé (Loughran et Ritter, 1995). Enfin, les managers sur le terrain reconnaissent cette pratique. Dans l’ article de Graham et Harvey (2001), deux tiers des directeurs financiers interrogés indiquent que le montant de la sous- ou sur-évaluation des titres est un paramètre essentiel de la décision d’ émission ; autant soulignent que, si le cours a récemment augmenté, le prix auquel les actions peuvent être vendues est « élevé ». Le timing semble avoir des effets à long terme sur la structure de capital des firmes (Baker et Wurgler, 2001). Le cadre théorique du timing suppose que la structure de capital résulte des différentes tentatives passées de faire coïncider les décisions de financement avec l’ évolution du marché des actions. Il est important de souligner que la décision du timing repose sur l’ estimation de la valeur des actions réalisée en interne par les managers, en fonction de l’ information privée dont ils disposent. La justification d’ un tel phénomène réside dans une version dynamique du raisonnement de Myers et Majluf (1984), en prenant en compte des managers et des investisseurs rationnels, et des coûts de sélection adverse qui varient dans le temps et selon les firmes. Lucas et McDonald (1990) et Korajczyk, Lucas et McDonald (1991) considèrent que l’ intensité de la sélection adverse est différente pour chaque firme. 86 Choe, Masulis et Nanda (1993) prennent en compte des fluctuations au cours du temps. Les résultats de Korajzcyk, Lucas et McDonald (1991) et de Bayless et Chaplinsky (1996) corroborent cette première hypothèse du timing. Les premiers prouvent que les firmes tendent à annoncer une émission d’ actions nouvelles après la diffusion et la révélation d’ informations au marché, ceci dans le but de réduire l’ asymétrie d’ information. Les seconds trouvent que les émissions sont concentrées sur certaines périodes pour lesquelles la rentabilité des investissements est particulièrement élevée. Le raisonnement classique de Myers et Majluf (1984) a été adapté par Lucas et McDonald (1990) pour expliquer simultanément la hausse des cours pendant la période précédant l’ émission, la baisse à l’ annonce et la concentration du nombre des émissions lors de périodes d’ expansion. Leur modèle repose sur trois hypothèses fondamentales : (i) l’ existence d’ une asymétrie d’ information entre managers et investisseurs, (ii) retarder une émission d’ actions est une démarche coûteuse pour la firme car la VAN du projet diminue au cours du temps, (iii) pour certaines firmes, l’ évaluation par le marché peut être temporairement éloignée de la véritable valeur. Lorsque le marché reçoit de nouvelles informations, l’ évaluation est corrigée progressivement : l’ estimation de la valeur des firmes sous-évaluées (surévaluées) augmente (diminue). Selon ces hypothèses, on peut considérer deux firmes souhaitant émettre des actions pour financer un nouveau projet d’ investissement. Leurs caractéristiques financières sont identiques excepté le fait que l’ une est sous-évaluée et l’ autre surévaluée. La firme sousévaluée attend que le marché révise à la hausse son estimation et tend à retarder l’ émission : elle supporte alors le coût de ce délai. La firme surévaluée attend que le marché apprenne sa véritable valeur et émet dès l’ apparition de l’ opportunité d’ investissement. Ces deux stratégies impliquent l’ existence d’ une rentabilité anormale en moyenne positive au cours des mois qui précèdent l’ annonce de l’ émission. Les firmes sous-évaluées attendent que leurs cours remontent avant d’ émettre et les firmes surévaluées émettent immédiatement. Par conséquent, une hausse des rentabilités anormales des titres avant l’ annonce entraîne une augmentation de la probabilité d’ émission. L’ hypothèse du timing prévoit également une relation directe entre les variations des opportunités d’ investissement et la probabilité d’ émission. En effet, le ratio « Market/Book », traditionnellement utilisé pour mesurer les opportunités d’ investissement, représente ici une 87 évaluation de la valeur de marché de la firme : lorsque sa valeur est élevée (faible), la probabilité d’ émission d’ actions augmente (diminue). Cependant, la probabilité d’ émission n’ étant liée qu’ à l’ estimation de la valeur de la firme de la part des managers, celle-ci ne semble pas être affectée directement par les variations du ratio d’ endettement financier. Le tableau 13 récapitule le sens des relations entre les variations d’ endettement financier, les performances passées, le niveau d’ opportunités d’ investissement, et la probabilité d’ émission, en fonction des différents courants théoriques : Tableau 13 : Hypothèses des modèles de structure de capital sur les facteurs financiers influençant la probabilité d’émission d’actions Le signe mentionné entre parenthèses correspond à la relation attendue entre la variable évoquée et la probabilité d’ émission d’ actions. Variations de l’ endettement financier Théorie du financement hiérarchique (+) Performances boursières passées (+) Rentabilité des opportunités d’ investissement (+) Théorie du compromis et problèmes d’agence Hypothèse du timing (+) : compromis (??) : agence (+) : compromis (+) : agence (??) : compromis (+) : agence (??) (+) (+) Le paragraphe suivant aborde la question de l’ adaptation de ces conclusions théoriques générales au contexte du groupe. 1.4 Adaptation de l’ argumentation théorique au contexte du groupe A la lumière des développements théoriques précédents, il est nécessaire d’ isoler les spécificités des sociétés membres de groupe quant à l’ intensité de l’ asymétrie d’ information et des problèmes d’ agence. Tout d’ abord, les structures de groupe sont souvent issues de la création d’ un réseau de participations croisées entre le différentes sociétés membres. La complexité des relations et des liens entre les entités du même groupe rend difficile l’ appréciation de la situation financière globale du groupe. De même, la stratégie diversifiée de la plupart des grands groupes français contribue à compliquer l’ analyse de leurs performances financières. Ainsi, le niveau d’ asymétrie d’ information entre les dirigeants du groupe et les investisseurs externes semble plus élevé que dans le cas d’ une société indépendante classique. 88 D’ autre part, les conflits d’ intérêts et les luttes de pouvoir au sein même du groupe sont plus discriminants en raison de niveaux hiérarchiques plus nombreux. En effet, une relation d’ agence supplémentaire s’ établit entre les dirigeants de la société contrôlante et ceux de la société contrôlée. De plus, on distingue deux classes d’ actionnaires : les majoritaires qui détiennent le capital de la société mère et contrôlent les sociétés affiliées, et les minoritaires qui ne possèdent qu’ une faible part du capital des sociétés contrôlées. Une structure de groupe est donc plus soumise aux effets négatifs découlant des conflits d’ agence qu’ une firme intégrée indépendante. Si l’ on reprend maintenant les caractéristiques financières évoquées dans le paragraphe précédent, il convient d’ étudier le cas où les dirigeants du groupe souhaitent réaliser une augmentation de capital. Dans cette situation, ils ont l’ opportunité de contrôler deux entités distinctes ayant accès au marché financier, et l’ avantage de pouvoir choisir la firme qui entreprend l’ opération à moindre coût. Il faut noter que, quel que soit le but de l’ émission (investissement ou rééquilibrage de la structure financière), les fonds sont mobiles au sein du groupe grâce aux échanges financiers intragroupes, qui ont pour support les prêts et dettes intragroupes, les participations croisées et le crédit interentreprises50. Les théories de structure de capital démontrent qu’ une augmentation des performances boursières passées tend à accroître la probabilité d’ émission. Ainsi, lorsque les titres de la filiale connaissent une forte hausse dans la période pré-émission, il est probable que les dirigeants du groupe préfèrent émettre cette catégorie de titres. De même, une augmentation de la rentabilité des actions de la société mère avant l’ émission devrait inciter les dirigeants du groupe à choisir l’ augmentation de capital de la part de la société consolidée. Notons que ces hypothèses correspondent aux régularités observées dans les études d’ événements du chapitre 1. Sur l’ intervalle (-151j ; -1j), les cours des filiales émettrices présentent des rentabilités anormales cumulées de 2.34% ; le même indicateur de performance pour les titres des sociétés mères émettrices s’ élève à 6.75%. Ces arguments supposent également que les dirigeants de la société mère agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants (en émettant les titres qui leur 50 : La deuxième partie de cette recherche est consacrée spécifiquement à l’ allocation interne des fonds entre les différentes filiales et les conséquences sur la valeur des firmes membres de l’ utilisation de la dette intragroupe. 89 paraissent surévalués), sans se soucier des effets d’ annonce négatifs prévisibles pour les sociétés qui réalisent l’ opération51. La politique d’ endettement de chaque type de firmes (filiales et sociétés mères) doit également avoir une influence significative sur la probabilité d’ émission. Si l’ on respecte les implications classiques des théories de structure de capital, une variation positive de l’ endettement financier de la filiale (société mère) a pour conséquence une hausse de la probabilité d’ actions de la filiale (société mère). L’ opération serait réalisée soit dans le but de se rapprocher d’ une structure financière optimale (théorie du compromis), soit en raison de l’ absence d’ autres solutions alternatives de financement et d’ un épuisement de la capacité d’ emprunt (théorie du financement hiérarchique). Cependant, dans l’ optique de rééquilibrer la structure financière du groupe dans son ensemble, la société mère peut choisir d’ émettre les titres de la filiale, lorsque les titres de la société consolidée sont sous-évalués : l’ apport de fonds provenant de l’ augmentation de capital serait alors redistribué au sein du groupe. Une variation positive du niveau d’ endettement financier de la filiale devrait entraîner une plus forte probabilité d’ émission de titres de la filiale. L’ influence d’ une hausse du ratio d’ endettement de la société consolidée sur la probabilité d’ émission de la filiale est moins claire : elle peut tout aussi bien motiver une émission de titres consolidées, ou inciter les dirigeants du groupe à faire émettre la filiale. Enfin, l’ émergence de nouvelles opportunités d’ investissement pour l’ une ou l’ autre des sociétés du groupe tend à accroître la probabilité d’ émission. En raison de l’ existence d’ un marché interne qui permet une répartition des ressources entre les entités du groupe, il apparaît complexe d’ émettre des hypothèses stables sur l’ influence de l’ augmentation du niveau d’ opportunités d’ investissement de la mère ou de la filiale, sur la probabilité d’ émission de titres de la filiale. Pourtant, il semble que les dirigeants de la société mère privilégient l’ alternative d’ une émission de la part de la filiale, pour ne pas faire subir une perte de valeur importante aux actionnaires du groupe : si cet argument est valide, quelle que soit l’ entité qui dispose d’ un projet rentable, une augmentation de la rentabilité des investissements devrait avoir un impact positif sur la probabilité d’ émission de la filiale. 51 : En effet, plus les performances boursières pré-émission sont élevées, plus la perte de valeur à l’ annonce est conséquente. 90 II – Régression logistique et choix de l’ entité émettrice 2.1 Présentation du modèle d’ analyse Le modèle d’ analyse testé dans cette section 2 s’ appuie sur un modèle de régression logistique. La variable dépendante est une variable dichotomique et mesure la probabilité d’ émission de la filiale par rapport à celle de la mère : la variable (Proba) prend la valeur 1 si la filiale émet et 0 si la société mère émet. Le modèle n’ est appliqué que sur l’ échantillon de firmes émettrices (N=62). Le vecteur de variables explicatives comporte une mesure des performances boursières passées de chaque type de firmes : une mesure des rentabilités anormales cumulées sur l’ intervalle (-151j ; -1j) est intégrée pour les filiales (PerfF) et les sociétés mères (PerfSM). De plus, deux ratios de rentabilité économique comptable, (RecoF) et (RecoSM), sont calculés pour l’ année t-1 précédant l’ annonce de l’ émission, et inclus dans le modèle comme variables de contrôle. Par ailleurs, les variables (EndF) et (EndSM) correspondent aux variations du ratio d’ endettement financier entre t-3 et t-1 : (Ratio t-1)–(Ratio t-3) / (Ratio t-3)52. Enfin, la rentabilité des opportunités d’ investissement est mesurée par le ratio (Valeur comptable des capitaux propres/Capitalisation boursière) : variables (BmF) et (BmSM). Deux indicateurs de croissance passée de chaque type de firmes, reflétant la variation du total de l’ actif net entre t2 et t-1, sont également définis comme variables de contrôle : une croissance passée soutenue engendre un besoin supplémentaire de fonds externes. Le modèle de régression logistique testé et le signe des relations attendues sont présentés dans l’ équation (2) : (Proba) = a + b.(PerfF) – c.(PerfSM) + d.(EndF) +/- e.(EndSM) +f.(BmF) + g.(BmSM)+ ε (2) Le paragraphe suivant souligne les particularités des modèles de régression logistique, par rapport aux modèles linéaires classiques, en précisant la méthode d’ interprétation des tests statistiques. 52 : L’ endettement financier est mesuré par le ratio : Dette de caractère financier LT / Actif net. 91 2.2 Méthode de régression logistique La spécificité des modèles de régression logistique réside dans la nature de la variable dépendante Y. Celle-ci peut être de deux types, dichotomique (0 ;1) ou polytomique (0 ;1 ;2). Dans les deux cas, la variable à expliquer est qualitative et représente un choix entre plusieurs alternatives : d’ ailleurs, ce modèle statistique est fréquemment utilisé en finance d’ entreprise pour isoler les déterminants d’ un choix de financement (dettes versus capitaux propres ; introduction ou non introduction en Bourse…). Cependant, cette variable de comportement pose un problème par rapport aux hypothèses fondamentales classiques de la technique de régression linéaire. En effet, la normalité des résidus n’ est plus respectée (ei = ^Y - ^Xbéta). On distingue les techniques Logit, à résidus logistiques, et Probit, à résidus normaux. La première étape du modèle consiste donc à transformer la variable Y en variable latente pour tenter de la rendre continue53. Dans notre étude, la variable Y prend la valeur 1 si la filiale émet des actions nouvelles et 0 si la société mère réalise l’ opération. Pour chaque observation (firme i), on collecte des valeurs de Xi et on peut définir l’ intensité de la volonté d’ émettre (inobservable), et le niveau d’ utilité de l’ émission pour la firme i (en fonction de l’ objectif de maximisation de la valeur) : U(1 ;Xi) ; U(0 ;Xi). Si U(1 ;Xi) > U(0 ;Xi), alors la firme décide d’ émettre (Y=1). De ceci découle : Y=1 Et Y=0 U(1 ;Xi) – U(0 ;Xi) > 0 U(1;Xi) – U(0;Xi) < 0. La variable dichotomique d’ origine Y est alors transformée en variable continue Zi = U(1;Xi) – U(0;Xi), variable latente sous-jacente au phénomène. Les modèles théoriques servant de base aux fonctions de répartition établissent une relation du type : Zi = Xbéta + u. L’ objectif est d’ estimer la probabilité que Y=1 : P(Y=1) P(Zi>0) P(Xibéta + u>0) P(-u<Xibéta) F(Xibéta), fonction de répartition. Il existe deux fonctions de répartition : celle de la loi normale et celle de la loi logistique. 53 : Les variables explicatives X peuvent être de toute nature : continues, discrétisées ou dichotomiques. 92 D’ autre part, pour déterminer les coefficients bétas attachés aux variables explicatives, il faut utiliser la méthode du maximum de vraisemblance. La vraisemblance de l’ échantillon est égale au produit des n vraisemblances attachées à chacune des observations. Il faut alors maximiser la fonction log-vraisemblance (dériver dLogL/dbéta = 0). Enfin, les tests statistiques sur la nullité d’ un coefficient et la validité générale du modèle diffèrent de ceux utilisés pour les régressions linéaires (test t de Student, et test F de Fischer). Pour tester l’ hypothèse (H0 : bétai = 0), on dispose de la statistique de Wald (carré de celle de Student). Pour apprécier la validité générale du modèle et son pouvoir explicatif, il faut dans un premier temps examiner la valeur du R² de Cox et Snell54 ou celle du Chi-deux résiduel, puis commenter les pourcentages de reclassement correct obtenus (pour Y=1 et Y=0) à partir des coefficients et des variables de la régression testée55. 2.3 Déterminants du choix de l’ entité émettrice Les résultats issus du modèle (2) sont récapitulés dans le tableau 14. La variable dépendante (Proba) prend la valeur 1 si la filiale émet, et 0 si la société mère procède à l’ émission. Les performances passées de chaque catégorie de firmes ont un impact significatif sur la probabilité d’ émission des filiales. La variable (PerfF) possède des coefficients positifs et significatifs dans les équations (1), (2), (3) et (5) aux seuils de 5 et 10% : des rentabilités anormales élevées des actions des filiales dans la période pré-émission augmentent la probabilité d’ émission de celles-ci. (PerfSM) présente des coefficients négatifs et significatifs, également aux seuils de 5 et 10%, dans les équations (2), (3), (4) et (5) : des performances boursières passées élevées des titres consolidés tendent à diminuer la probabilité d’ émission des filiales (ou augmenter la probabilité d’ émission de la société mère). 54 : Ce coefficient représente le coefficient généralisé de détermination, utilisé pour estimer la proportion de variance dans la variable dépendante expliquée par les variables Xi. Cette mesure est basée sur une comparaison de la log-vraisemblance du modèle testé à celle du modèle de la fonction de base. 93 Tableau 14 : Choix de l’entité émettrice au sein du groupe : résultats issus du modèle 2 L’ échantillon comporte 62 sociétés émettrices, 43 filiales et 19 sociétés mères. La variable dépendante (Proba) dans toutes les équations prend la valeur 1 si la filiale émet, et 0 si c’ est la société mère : un coefficient positif indique donc qu’ une variation positive augmente la probabilité d’ émission de la filiale. (PerfF) et (PerfSM) mesurent respectivement les rentabilités anormales cumulées sur l’ intervalle (-151 ;-1) des filiales et des sociétés mères. (RecoF) et (RecoSM) indiquent les taux de rentabilité économique en t-1 pour les filiales et les sociétés mères (ratio de rentabilité comptable : Résultat d’ exploitation/Actif net). (CroiF) et (CroiSM) correspondent aux variations du total de l’ actif entre t-2 et t-1 pour chaque type de firmes (indicateurs de croissance passée). (EndF) et (EndSM) désignent les variations du ratio d’ endettement financier LT entre t-3 et t-1 pour chaque firme. (BmF) et (BmSM) mesurent les opportunités d’ investissement des filiales et des sociétés mère en t-1 : Valeur comptable des capitaux propres/capitalisation boursière . ** : significatif à 1%, * : significatif à 5%, ° : significatif à 10%. Variables Explicatives Constante Equation 1 Equation 2 Equation 3 Equation 4 Equation 5 RecoF - 1.970** (0.008) 7.679° (0.052) -7.716* (0.046) - -0.489 (0.589) 11.252* (0.031) -13.433° (0.054) - 0.219 (0.749) - PerfSM -0.416 (0.624) 9.447* (0.027) - RecoSM 0.171 (0.876) - - - -8.869* (0.038) 0.541 (0.551) - -1.047 (0.376) 16.338* (0.029) -19.012* (0.040) - - - - - - EndF -8.999 (0.130) - - EndSM - -10.762° (0.057) - -11.573* (0.036) - 25.439° (0.081) -8.419 (0.396) - - - BmF - 8.942° (0.096) - - - BmSM -1.756 (0.134) -0.148 (0.851) - - PerfF CroiF CroiSM Tests Khi-deux -2 Logvraisemblance R² de Cox et Snell % Reclassement correct : Y = 1 % Reclassement correct : Y = 0 % Reclassement correct global -0.200 (0.395) - - 17.401** (0.002) 22.490 19.605** (0.001) 27.559 20.646** (0.000) 15.938 12.310** (0.006) 25.082 25.305** (0.000) 12.088 0.451 0.360 0.548 0.366 0.568 76.9% 94.1% 84.6% 78.6% 85.7% 87.5% 60% 84.6% 76.9% 84.6% 82.8% 86.4% 84.6% 77.8% 85.2% Ces résultats montrent que les dirigeants du groupe choisissent d’ émettre les titres qui leur paraissent surévalués (en fonction de l’ information qu’ ils détiennent), et agissent dans l’ intérêt des actionnaires existants. De plus, cette conclusion prouve qu’ ils ont l’ opportunité de choisir l’ entité émettrice, dans le cas où une des sociétés est surévaluée et l’ autre sousévaluée : ce phénomène provient de la spécificité des structures de groupe et de l’ existence de 55 : L’ ouvrage de Aldrich et Nelson (1984) reprend en détail la méthodologie des modèles Logit et Probit. 94 transferts de fonds entre les sociétés membres. Ce résultat corrobore également l’ hypothèse du timing (Lucas et McDonald, 1990), qui prévoit que la décision d’ émission dépend étroitement des performances boursières de la firme. Le timing repose sur l’ idée que les managers ont un comportement opportuniste, qui les pousse à émettre lorsque le cours est haut : en l’ occurrence, dans le cas des structures de groupe, ce sont les dirigeants des sociétés mères qui, agissant dans l’ intérêt des actionnaires majoritaires, décident d’ émettre les titres qui semblent surévalués. Ce comportement opportuniste a des répercussions plutôt positives sur la valeur du groupe, mais entraîne dans certaines circonstances une perte de valeur nette pour les actionnaires minoritaires, ces derniers n’ ayant aucun recours pour s’ opposer à la décision. D’ autres tests empiriques font appel aux performances boursières passées pour expliquer la probabilité d’ émission d’ actions. C’ est le cas notamment du test de Jung, Kim et Stulz (1996) : en incluant une variable mesurant la rentabilité anormale cumulée du titre sur les 11 mois précédant l’ émission, les résultats évoquent des coefficients positifs et significatifs. Opler et Titman (1996) relèvent des résultats similaires en mesurant la rentabilité passée du titre sur une période de deux ans. Ces conclusions correspondent à celles de notre étude et tendent à corroborer l’ hypothèse du timing. Les coefficients des variables d’ endettement offrent des signes inattendus : une variation positive de l’ endettement financier des filiales favorise la probabilité d’ émission de la société mère. De même, une variation positive de l’ endettement financier des sociétés mères tend à augmenter la probabilité d’ émission des filiales (les coefficients sont significatifs à 10%). Ces résultats peuvent provenir du fait que les dirigeants se soucient davantage de la sur- ou sousévaluation des titres que de la valeur des ratios d’ endettement dans le choix de l’ entité émettrice : ceci conforterait l’ hypothèse du timing. Ces chiffres infirment également les implications des théories classiques de structure de capital (financement hiérarchique et théorie du compromis). La probabilité d’ émission de la filiale diminue donc avec son propre endettement et augmente avec celui de la société mère. Il est probable que, dans certains cas, le financement soit assuré par la filiale. Lorsque le groupe dans son ensemble est endetté, la filiale porte une part des 95 dettes du groupe56 ou émet des actions, sans tenter de s’ aligner sur une valeur optimale du ratio d’ endettement. L’ émission par la filiale est alors l’ expression d’ un besoin en fonds propres du groupe, indépendante de sa propre structure financière. Là encore, la structure de groupe offre une flexibilité financière accrue aux dirigeants de la société consolidée : le rééquilibrage de la structure financière de l’ ensemble s’ opère par l’ intermédiaire d’ une augmentation de capital de l’ une ou l’ autre entité. Les dirigeants du groupe, seuls décideurs, peuvent servir les intérêts des actionnaires majoritaires, encore une fois, au détriment de la richesse des minoritaires : l’ équilibre financier du groupe prime sur celui des comptes de la filiale. A partir de données de panel, Jung, Kim et Stulz (1996), sur un échantillon de 192 émissions d’ actions sur la période 1977-1984, constatent un coefficient positif, mais non significatif, pour la variable mesurant le niveau d’ endettement financier à long terme : ils concluent que le niveau d’ endettement ne parvient pas à expliquer la probabilité d’ émission d’ actions. La variable (CroiF) présente un coefficient positif et significatif à 10% dans l’ équation (5), ce qui indique qu’ un taux de croissance élevé des filiales dans les années qui précèdent l’ annonce augmente la probabilité d’ émission des filiales. (CroiSM) offre un résultat symétrique avec un coefficient négatif et significatif dans l’ équation (4), au seuil de 5%. Le niveau des opportunités d’ investissement de chaque catégorie de firmes ne semble pas influencer la probabilité d’ émission : les variables (BmF) et (BmSM) possèdent des coefficients négatifs mais non significatifs. Enfin, les variables de rentabilité économique (variables de contrôle) ne possèdent également aucun pouvoir explicatif. Le fait que la probabilité d’ émission dépende du niveau de croissance passée et non de la rentabilité des opportunités d’ investissements à venir semble indiquer que l’ opération est réalisée dans le but de rééquilibrer la structure financière de l’ une ou l’ autre firme après une période de croissance soutenue, plutôt que de financer des projets futurs. Cet argument correspondrait également au phénomène observé sur l’ impact du niveau d’ endettement financier : la société mère peut choisir de « faire émettre » la filiale, en raison d’ une 56 : Nous verrons dans la partie 2 que les filiales de l’ échantillon d’ étude sont significativement plus endettées que des firmes non contrôlées comparables : ce résultat tendrait à prouver que les filiales supportent une part significative des dettes du groupe. 96 augmentation significative du niveau d’ endettement global du groupe, provenant du financement de la croissance passée. Dans ce cas, la société mère évite d’ émettre les actions consolidées si celles-ci sont sous-évaluées. La représentativité des modèles est satisfaisante avec des valeurs de R² de Cox et Snell compris entre 0.360 et 0.568 selon les équations considérées. De même, les pourcentages de reclassement sont corrects : le modèle prévoit entre 76.9% et 94.1% des émissions de filiales, et, entre 60% et 87.5% des émissions de sociétés mères. Les pourcentages globaux sont compris entre 77.8% et 86.4%. 97 Conclusion Partie 1 : Synthèse des résultats empiriques, limites de l’analyse et autres voies de recherche L’ augmentation de capital est une alternative de financement assez rarement utilisée par les firmes cotées. Dans le cas général des sociétés non contrôlées, l’ émission d’ actions est réalisée après une hausse significative des cours ; l’ annonce de l’ opération entraîne généralement une baisse de la valeur des titres, et, les sociétés qui émettent connaissent, dans la période qui suit l’ opération, des performances comptables et boursières plus faibles que des sociétés comparables ne faisant pas appel à cette méthode de financement. Dans le cadre d’ une structure organisationnelle mère/filiale, l’ existence d’ un centre décisionnel unique disposant de deux entités cotées capables de lever des fonds sur le marché externe tend à modifier les effets de l’ augmentation de capital sur la valeur. Tout d’ abord, l’ annonce de l’ émission a un impact significatif sur la valeur de la firme émettrice, mais également sur celle de l’ autre société appartenant au périmètre du groupe : l’ opération véhicule une information différenciée sur les perspectives des deux entités du groupe. D’ autre part, la politique de financement des deux firmes (société mère et filiale) est dictée par la stratégie globale du groupe et obéit aux objectifs d’ investissement définis par les actionnaires majoritaires et entrepris par la direction du groupe. La collecte de fonds externes peut être assurée par l’ une ou l’ autre entité, et, les ressources disponibles sont alors réaffectées et orientées vers les projets d’ investissement à financer : la répartition interne des fonds entre les filiales repose sur l’ utilisation de dettes intragroupes, étudiée dans la seconde partie. Les résultats empiriques du chapitre 1 mettent en évidence les effets d’ annonce pour les deux types de firmes, tentent de déterminer les facteurs explicatifs des réactions observées, sur lesquels s’ appuient les investisseurs pour « corriger » la valeur des titres à l’ annonce en fonction de l’ information dont ils disposent, et d’ identifier les paramètres financiers qui orientent le choix de l’ entité émettrice, réalisé par la direction du groupe en interne. L’ impact sur la valeur totale du groupe de l’ annonce d’ une augmentation de capital est globalement négatif, quelle que soit l’ entité émettrice. Ce résultat diffère de celui rapporté par Slovin et Sushka (1997) pour le marché américain des actions. Les sociétés qui réalisent l’ opération connaissent une perte de valeur supérieure à celles qui n’ émettent pas. D’ autre part, lorsque la société mère émet, la baisse des cours observée se répercute sur les titres de la 98 filiale correspondante, ceci confortant l’ hypothèse de sélection adverse. Par contre, si la filiale émet, la réaction des titres de la société mère n’ est que très légèrement négative, voire nulle. Dans ce cas, l’ émission véhicule une information différenciée sur les valeurs des deux types de firmes. Les firmes de l’ échantillon émettent après une période de hausse des cours, ce constat correspondant aux implications de l’ hypothèse du timing (Lucas et McDonald, 1990). De plus, l’ impact sur la valeur est globalement plus négatif pour les filiales que pour les sociétés mères : ainsi, la richesse des actionnaires minoritaires est plus affectée que celle des actionnaires majoritaires. Si l’ on examine les facteurs explicatifs de la réaction des cours, on constate que la place de la société au sein du groupe (filiale ou société mère) n’ a pas une influence significative sur les rentabilités anormales à l’ annonce ; le statut d’ émetteur ou non émetteur constitue à l’ inverse un paramètre important. A partir des résultats issus du modèle testé sur l’ échantillon global, il est possible de conclure que l’ estimation de la valeur réalisée par les investisseurs externes dépend surtout de la concentration de la structure de propriété, du taux de souscription des principaux actionnaires et de la taille de l’ opération57. De ce fait, plusieurs variables explicatives identifiées par la littérature empirique n’ ont pas de pouvoir explicatif dans le cadre des structures mère/filiale : les opportunités d’ investissement, le but de l’ opération, la méthode d’ émission, la taille ou le secteur d’ activité de la firme, et les performances passées. D’ autre part, la réaction des titres des filiales émettrices dépend étroitement de la part de capital de la société mère avant l’ annonce, du taux de souscription de celle-ci et de la taille relative de l’ opération. Ainsi, plus le contrôle de la société mère est significatif, plus la réaction des titres de la filiale est négative : ce constat appuie l’ hypothèse selon laquelle les investisseurs supposent que la probabilité d’ expropriation de richesse augmente avec le niveau de contrôle de la mère. De plus, le taux de désengagement de la société mère constitue un signal défavorable pour les investisseurs, qui tendent à sanctionner le fait que l’ actionnaire principal ne souscrive pas à l’ opération à hauteur de ses droits : le désengagement est alors synonyme de perspectives financières médiocres pour la filiale émettrice. La réaction des titres des sociétés mères correspondantes est déterminée par l’ effet d’ annonce des filiales : la baisse de cours subie par la filiale se répercute sur les titres de la mère 57 : Cette variable est d’ ailleurs significative dans les trois tests réalisés : sur l’ échantillon global, sur celui de filiales émettrices et celui de sociétés mères non émettrices. 99 proportionnellement à la part de capital qu’ elle détient, en prenant en compte le différentiel de taille. Contrairement à l’ effet observé sur les titres des filiales émettrices, le taux de désengagement n’ a pas une influence significative sur les cours des sociétés mères. L’ hypothèse d’ un désinvestissement bénéfique pour la mère n’ est pas vérifiée : les investisseurs ne valorisent pas non plus le fait que la mère réduise sa participation dans des filiales appartenant à des secteurs non liés. L’ effet d’ annonce sur les actions des sociétés mères correspondantes dépend également du niveau d’ opportunités d’ investissement des filiales et de la taille de l’ opération. En conclusion, lorsque la filiale réalise l’ opération, les investisseurs semblent tenir compte surtout de l’ intention de la société mère de participer ou non à l’ opération. Plus le taux de souscription est élevé, moins la réaction des titres des filiales est négative. L’ effet d’ annonce sur la valeur des actions consolidées dépend alors de l’ intensité de la perte de valeur subie par la filiale. Enfin, les filiales émettrices connaissent une baisse de cours proportionnelle à la part de capital que la société mère détient : le marché sanctionne l’ existence de structures de propriété très concentrées, en raison notamment de l’ opacité de telles structures et de la faible disponibilité d’ information, mais aussi de la probabilité accrue d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires. Les déterminants de la probabilité d’ émission permettent de comprendre les fondements de la décision de financement prise en interne par la direction du groupe. Les résultats montrent que la probabilité d’ émission de la filiale est positivement corrélée aux performances boursières passées de celle-ci, et négativement aux performances de la société mère correspondante. Les dirigeants du groupe choisissent donc d’ émettre les titres qui leur paraissent surévalués en fonction de l’ information privée qu’ ils détiennent. Ce résultat corrobore l’ hypothèse du timing. De plus, il met en évidence la flexibilité financière qu’ offrent les structures de groupe composées de plusieurs entités cotées : lorsque les titres de la société consolidée sont sousévalués, la direction a l’ opportunité de réaliser l’ augmentation de capital par l’ intermédiaire de la filiale si ses titres sont surévalués. Cette option est créatrice de valeur pour les actionnaires du groupe, mais elle met en évidence également le comportement opportuniste de la direction. D’ autre part, l’ annonce de l’ opération fait suite à une période de croissance soutenue de la part d’ une des firmes du groupe, alors que la probabilité d’ émission ne dépend pas de l’ existence d’ opportunités d’ investissement rentables. Ce résultat indique que l’ opération a pour but de rééquilibrer la structure financière de la société consolidée ou de la filiale, plutôt que de financer des projets à venir. De plus, puisque les fonds collectés peuvent être réaffectés au sein du groupe par l’ intermédiaire d’ un marché interne, la direction peut 100 décider de faire émettre la filiale pour rééquilibrer sa propre structure financière : cette hypothèse est confirmée par le fait que la probabilité d’ émission de la filiale augmente avec le niveau d’ endettement de la société mère. Les tests détaillés dans cette première partie présentent toutefois quelques limites. Tout d’ abord, les équations tentant d’ expliquer les réactions des titres à l’ annonce n’ intègrent pas d’ indicateurs de mesure des performances globales des marchés, ceci ne permettant pas de prendre en compte l’ existence de fenêtres d’ opportunités (Bayless et Chaplinsky, 1996). De plus, les tests ne mettent en évidence que les effets d’ annonce, sans analyser les performances à long terme des sociétés qui émettent. En effet, la décision d’ émission a un impact à long terme négatif sur les performances comptables et boursières des firmes (Loughran et Ritter, 1995) : ce phénomène est d’ autant plus sensible que, dans une structure mère/filiale, la direction du groupe peut « forcer » la filiale à réaliser l’ opération, et que le choix de l’ entité émettrice semble reposer sur le comportement opportuniste des dirigeants qui prévoient le timing de l’ émission. Les tests présentés se limitent également à l’ étude d’ une structure simplifiée mère/filiale, et pourraient être généralisés à l’ échelle d’ un groupe dans sa totalité. De plus, pour mettre en relief le caractère particulier de ce type de structure, il aurait été utile de constituer un échantillon de contrôle, composé de sociétés indépendantes, pour comparer les rentabilités anormales à l’ annonce et déterminer si les filiales subissent une perte de valeur significativement plus élevée qu’ une société indépendante comparable (hypothèse d’ expropriation de richesse). Tout au long de cette première partie, l’ analyse s’ est concentrée sur une situation particulière où l’ une des sociétés du groupe recherche un financement externe. Or, les ressources collectées peuvent être redistribuées aux différentes entités par l’ intermédiaire d’ un marché interne. En amont de la problématique sur le financement des sociétés membres de groupe, il est essentiel de reconnaître l’ existence d’ une ré-allocation active des fonds au sein du groupe. Par exemple, les fonds collectés par la société mère lors d’ une augmentation de capital peuvent être transférés à une filiale disposant d’ une opportunité d’ investissement rentable, grâce à l’ endettement intragroupe. De même, la société mère peut se servir de la filiale pour lever les capitaux, puis les utiliser pour rembourser les dettes du groupe. Dans les limites du périmètre du groupe, le fonctionnement des marchés internes se caractérise par des échanges financiers intragroupes qui ont pour support des participations croisées, des prêts et dettes intragroupes et des crédits interentreprises. La flexibilité financière qu’ offre la structure 101 mère/filiale n’ a de sens que si le marché interne est actif, et si les dirigeants du groupe définissent une politique financière globale et opèrent une rotation active des fonds entre les différentes filiales. Ainsi, la deuxième partie de cette recherche, consacrée à l’ analyse de la dette intragroupe, est totalement dans la continuité de l’ étude réalisée sur les augmentations de capital. La dette intragroupe est également une autre forme de financement spécifique aux sociétés membres de groupe, et vient compléter le financement par capitaux propres internes et externes. La partie 2 détaille l’ impact de l’ utilisation de la dette intragroupe sur la valeur des filiales, au travers de ses conséquences sur le degré de contraintes financières et sur la politique d’ investissement. La dette intragroupe représente non seulement un instrument de financement supplémentaire pour les filiales, mais également un support des transactions financières intragroupes. Même si les échantillons d’ étude considérés dans les deux parties diffèrent, la dette intragroupe, au même titre que le choix de l’ entité émettrice lors d’ une augmentation de capital, représente une alternative de financement propre aux sociétés membres. Les dirigeants du groupe disposent non seulement des trois sources de financement classiques (fonds internes, endettement externe et augmentation de capital), mais aussi, pour assurer la mise en œuvre d’ une stratégie financière globale, de l’ endettement interne et de différentes catégories d’ actions. ***** 102 103 Introduction Partie 2 Après avoir relaté les conséquences de la décision d’ augmentation de capital au sein d’ une structure mère/filiale, la deuxième partie de cette recherche est consacrée à l’ étude de la dette intragroupe. Ce contrat de dette contracté entre deux sociétés membres d’ un même groupe représente un mode de financement interne tout à fait original. En effet, il vient compléter les alternatives classiques de financement que sont l’ autofinancement, l’ endettement externe et l’ augmentation de capital. Les caractéristiques de cette forme d’ endettement interne sont définies par la littérature théorique par rapport à celles des contrats de dette externe ; plus généralement, la littérature financière tend à comparer les règles de fonctionnement des marchés financiers interne et externe. La dette intragroupe se caractérise en premier lieu par l’ assouplissement des coûts liés à l’ asymétrie d’ information. En effet, contrairement à une forme d’ endettement bancaire classique, le fournisseur de capital est également propriétaire de l’ entité à laquelle il prête des fonds. Cette notion de propriété garantit un contrôle plus efficace de l’ utilisation des ressources : le rôle accru de cette fonction de contrôle crée les conditions d’ une meilleure circulation de l’ information entre le prêteur et l’ emprunteur sur les performances et les perspectives financières de la firme bénéficiaire. Par rapport à une société indépendante, une société membre de groupe, ayant accès à la dette intragroupe, profite d’ une source de financement supplémentaire, à moindre coût, lui permettant de financer des projets d’ investissement qu’ elle n’ aurait pu entreprendre si elle n’ appartenait pas au périmètre du groupe. Cette conclusion représente la première conséquence fondamentale de l’ utilisation de la dette intragroupe, à savoir la levée des contraintes financières. Les contraintes financières sont issues de l’ écart de coût existant entre les modes de financement interne et externe : l’ autofinancement n’ est en effet pas soumis aux problèmes d’ agence et d’ asymétrie d’ information, qui viennent alourdir les coûts de transaction des instruments de financement externe. Ces contraintes financières se traduisent sur le plan empirique par une relation positive entre le niveau des cash-flows générés par la firme et son niveau d’ investissement : plus le degré de contraintes financières est important, plus la sensibilité investissement/cash-flows est élevée. Le premier test empirique de cette seconde partie tente de modéliser cette relation et d’ en mesurer l’ intensité en distinguant un 104 échantillon de sociétés membres de groupe utilisant la dette intragroupe, et un échantillon de sociétés indépendantes n’ ayant accès qu’ à l’ endettement externe. La dette intragroupe est également un instrument pour transférer des fonds entre les différentes sociétés du groupe. Si l’ on considère une structure de groupe composée de sociétés industrielles contrôlées à plus de 50%, chaque firme représente une entité légale distincte : la direction du groupe, qui définit une politique financière globale, a l’ opportunité de répartir les ressources entre les firmes membres par l’ intermédiaire des prêts et dettes intragroupes, mais également grâce au crédit interentreprises et aux participations croisées (immobilisations financières). La forme organisationnelle de groupe donne naissance à un marché interne de capital dont les règles sont dictées par les dirigeants et les actionnaires de la société contrôlante. La littérature financière s’ est intéressé depuis quelques années au fonctionnement des marchés internes et ceci dans le cadre de l’ étude des comportements financiers des conglomérats américains. Ces conglomérats sont des firmes généralement diversifiées, composées de plusieurs divisions contrôlées à 100%, sans statut juridique indépendant. Dans ce contexte, la direction du conglomérat a la possibilité de transférer les cash-flows d’ une division à l’ autre, en fonction des opportunités d’ investissement qui émergent dans les différents secteurs d’ activité. Cette réaffectation des fonds en interne devrait en théorie constituer un avantage de flexibilité financière, avec des répercussions positives sur la valeur de la firme dans son ensemble. Cependant, le débat théorique autour de l’ efficience ou l’ inefficience des marchés internes de capitaux reste actif. Les implications empiriques issues des modèles sur le fonctionnement des marchés internes peuvent être testées dans le cadre d’ une structure de groupe de sociétés non financières. La dette intragroupe tend à augmenter le montant des fonds disponibles pour le financement des investissements des sociétés membres. Pourtant, en raison de niveaux hiérarchiques intermédiaires plus nombreux et de problèmes d’ agence plus sévères dans ce type de structure, la politique d’ investissement des sociétés membres peut se traduire par une tendance au sur-investissement, contraire à l’ objectif de maximisation de la valeur. Même si elle permet la levée de contraintes financières significatives, l’ utilisation de dette intragroupe ne garantit pas des performances financières plus élevées. 105 Les tests empiriques sur les conséquences financières de l’ utilisation de la dette intragroupe sont réalisés à partir de données de panel : deux échantillons indépendants de 170 sociétés industrielles, commerciales et de service, non cotées, sont constitués en fonction de l’ appartenance à un groupe et de l’ utilisation de dette intragroupe. Les variables financières sont calculées grâce aux données comptables issues des comptes sociaux, ceci sur 5 ans (entre 1997 et 2001). La première série de tests consiste à comparer les caractéristiques financières moyennes des deux sous-échantillons, en se concentrant particulièrement sur les indicateurs de performance et d’ investissement. Ensuite, un modèle de régression permet de statuer sur le degré de contraintes financières que subit chaque type de firme, en étudiant l’ intensité de la relation investissement/cash-flows. Enfin, la dernière série de tests tente de mettre en évidence l’ efficience de la politique d’ investissement de chaque catégorie de firmes. La partie 2 est composée de deux chapitres : le premier détaille l’ ensemble des développements théoriques, et recense les principaux résultats empiriques existants, concernant la levée des contraintes financières et le fonctionnement des marchés internes de capitaux. Les études empiriques réalisées sont présentées dans le second chapitre : après un bref exposé de la méthodologie, les tests abordent les conséquences financières de l’ utilisation de la dette intragroupe sur un échantillon de filiales françaises non cotées. 106 ! " # # $ $ Le chapitre 1 est consacré à l’ analyse théorique des notions de contraintes financières et de dette intragroupe (section 1), et au fonctionnement des marchés internes de capitaux (section 2). L’ étude de la littérature théorique est complétée par une revue de littérature empirique détaillant la méthodologie et les résultats des tests existants. La première section se concentre sur la définition et les instruments de mesure des contraintes financières. Celles-ci ont un impact sur la politique d’ investissement des firmes. En l’ absence d’ imperfections sur le marché financier externe, le niveau d’ investissement n’ est fonction que de la rentabilité des opportunités d’ investissement disponibles : pour se conformer à l’ objectif de maximisation de la valeur, les firmes ne retiennent et ne financent que les projets à VAN positive. Cependant, l’ existence de coûts de transaction significatifs, de problèmes d’ agence (Jensen et Meckling, 1976) et d’ asymétrie d’ information (Myers et Majluf, 1984) conduit à surenchérir l’ accès aux modes de financement externe (dettes et capitaux propres). Ainsi, il existe bel et bien un écart de coût important entre l’ autofinancement et toutes les alternatives de financement externe : cet écart représente le degré de contraintes financières auquel est soumise une firme. Plusieurs caractéristiques financières intrinsèques permettent de classer les firmes selon le degré de contraintes financières auquel elles sont soumises : le versement de dividendes (Fazzari, Hubbard et Petersen, 1988), la valeur du ratio d’ endettement (Whited, 1992), le niveau du BFR (Fazzari et Petersen, 1993), la disponibilité en fonds internes (Kashyap, Lamont et Stein, 1994), l’ âge de la firme (Schaller, 1993), la structure d’ actionnariat (Oliner et Rudebusch, 1992) ou la taille de la firme (Vogt, 1994). Toutes ces variables sont liées aux deux principales sources de contraintes financières que sont les problèmes d’ agence et l’ existence d’ une asymétrie d’ information. D’ autres tests s’ inscrivent directement dans la lignée de cette recherche et retiennent comme critère de classification l’ appartenance à un groupe (Deloof, 1998 ; Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991 ; Schaller, 1993), en considérant que les sociétés membres sont soumises à 107 des contraintes financières plus faibles. Ce dernier point fera l’ objet d’ une attention toute particulière et sera complété par une comparaison des caractéristiques de la dette intragroupe et de la dette externe. Cette section consacrée aux contraintes financières s’ achève par une étude détaillée et critique de la méthodologie empirique standard et des modèles d’ investissement testés. La seconde section tente d’ analyser les bases de fonctionnement des marchés internes de capitaux. Après une étude comparative des marchés interne et externe, la revue de littérature se focalise sur l’ allocation des fonds en interne. Ainsi, certains modèles mettent en évidence l’ efficience des transferts de fonds effectués au sein des conglomérats (Gertner, Scharfstein et Stein, 1994 ; Stein, 1997), alors que d’ autres justifient l’ hypothèse d’ inefficience (Rajan, Servaes et Zingales, 2000 ; Scharfstein et Stein, 2000). L’ efficience concerne l’ affectation des ressources aux projets d’ investissement rentables et influence les performances et la valeur des firmes considérées. Tous ces modèles prennent comme référence la structure organisationnelle des conglomérats américains. Les modèles d’ efficience identifient deux avantages fondamentaux liés à la répartition des fonds entre les différentes divisions : les conglomérats ont la possibilité de collecter plus de fonds externes en valeur absolue, et, par ailleurs, ils réalisent une allocation plus efficiente d’ un montant donné de ressources, car les dirigeants disposent d’ informations plus précises sur les perspectives financières des divisions et procèdent à une sélection plus efficace des projets d’ investissement. A l’ inverse, l’ hypothèse d’ inefficience reconnaît une tendance au sur-investissement et relève des dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds, ceuxci provenant pour la plupart des problèmes d’ agence entre, d’ une part, les managers de divisions et la direction du conglomérat (activités d’ influence des managers), et d’ autre part, entre la direction et les investisseurs externes. Après une synthèse des résultats empiriques existants, nous évoquerons les différences entre les structures organisationnelles donnant naissance à des marchés internes de capitaux : conglomérats, holdings et groupes de sociétés. Le chapitre 1 s’ achève avec une synthèse du cadre d’ analyse et des hypothèses (section 3) qui seront testées lors de l’ étude empirique du chapitre 2. 108 Section 1 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières Afin d’ avoir une idée précise des notions abordées lors des développements théoriques, une définition du concept de contraintes financières est proposée au début de cette section : en effet, un débat théorique oppose les partisans d’ une vision dynamique (Fazzari, Hubbard et Petersen, 1988 ; 1996), et les auteurs préférant une interprétation statique (Kaplan et Zingales, 1997 ; 2000). Quelle que soit la définition retenue, les contraintes financières proviennent des problèmes d’ agence et d’ asymétrie d’ information, qui accentuent le coût des modes de financement externe, particulièrement l’ endettement. Ensuite, le deuxième paragraphe détaille les mécanismes permettant l’ existence d’ une dette intragroupe, et analyse ses caractéristiques en les comparant à celles des contrats d’ endettement externe classiques. L’ originalité de cette forme de financement interne semble offrir aux sociétés membres de groupe l’ opportunité d’ assouplir le degré de contraintes financières qu’ elles subissent. Le troisième paragraphe est consacré exclusivement à une revue de littérature empirique, en distinguant les tests mesurant le degré de contraintes financières sur des données de panel, et les tests étudiant spécifiquement l’ influence de l’ appartenance à un groupe sur ce même paramètre. Enfin, une critique des méthodologies est proposée à la fin de ce paragraphe. I – Caractérisation des contraintes financières 1.1 Définition des contraintes financières La définition classique des contraintes financières repose sur l’ existence d’ un écart de coût entre le financement interne et les sources de fonds externes. Cette notion conduit à classer toutes les firmes dans cette catégorie : même un coût de transaction faible sur l’ acquisition de fonds externes suffirait à créer ces contraintes. Cette définition permet pourtant de développer un cadre d’ analyse pour différencier les firmes en fonction du niveau de contraintes 109 financières auquel elles sont soumises. La traduction empirique de ce concept consiste à mesurer la sensibilité des investissements aux cash-flows58. La notion de contraintes financières doit être considérée dans une optique dynamique et à long terme : par exemple, le fait qu’ une firme dispose de fonds internes en excès et garde une réserve d’ emprunt n’ est pas synonyme d’ absence de contraintes financières. En effet, l’ ajustement des dépenses d’ investissement par rapport aux fluctuations des fonds internes est coûteux pour la firme. Même si ces firmes peuvent investir plus à l’ équilibre, elles connaissent des contraintes financières : le concept de contraintes n’ est pas statique ou « actuel ». En pratique, une firme connaît des contraintes financières lorsqu’ elle ne peut financer tous les projets rentables disponibles. Cette situation apparaît en raison de contraintes de crédit, de l’ incapacité d’ emprunter ou d’ émettre des actions à un coût raisonnable, d’ une dépendance vis-à-vis du système bancaire, d’ une illiquidité des actifs de la firme ou d’ autres phénomènes similaires. Plusieurs hypothèses théoriques sont avancées quant à la justification et à l’ existence de telles contraintes. Elles appartiennent pour la plupart aux modèles d’ imperfections de marché. 1.2 Origine des contraintes financières Les contraintes financières s’ appréhendent grâce à l’ étude de la relation investissement/cashflows. De nombreuses études empiriques relatent le fort pouvoir explicatif des cash-flows sur les variations des dépenses d’ investissement des firmes industrielles. Cette relation investissement/cash-flows (en prenant en compte le coût du capital) s’ oppose aux implications du théorème de neutralité de Modigliani et Miller (1958) et à celles des théories d’ arbitrage ou de compromis (« Static trade-off theories ») du comportement financier. Selon le paradigme de Modigliani et Miller (1958), la décision d’ investir devrait dépendre exclusivement de la rentabilité de l’ investissement concerné, mesurée par la valeur du Q de Tobin. Aucun autre facteur ne devrait influencer la politique d’ investissement, y compris la 58 : La nature de la relation entre la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes financières n’ est pas clairement déterminée : Kaplan et Zingales (1997) remettent en cause l’ existence d’ une relation monotone entre les deux phénomènes. 110 répartition dettes/capitaux propres, le niveau de fonds internes disponibles ou les conditions sur le marché financier. Une des avancées essentielles de ces quinze dernières années sur les recherches portant sur l’ investissement est l’ infirmation de cette proposition théorique pionnière. Concrètement, en neutralisant le niveau des opportunités d’ investissement, les firmes dégageant des cash-flows élevés, et celles conservant une charge d’ endettement modérée, investissent plus à l’ équilibre. La littérature à l’ origine de ces résultats empiriques est désormais abondante, les contributions importantes incluant les articles de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991), Whited (1992), Schaller (1993), Calomiris et Hubbard (1995), Chirinko (1995), Gilchrist et Himmelberg (1995) et Lang, Ofek et Stulz (1996). Hubbard (1998) a réalisé une revue de littérature complète sur ce sujet. Deux remarques sont cependant fondamentales. Il faut noter que les validations empiriques concernant l’ effet de la disponibilité en fonds internes distinguent plusieurs types d’ investissements : dépenses en capital, immobilisations corporelles et dépenses en recherche et développement. Par ailleurs, le fondement même de la littérature théorique est confronté à un problème d’ endogénéité, à savoir que le montant des cash-flows et le ratio d’ endettement de la firme peuvent contenir des informations sur ses opportunités d’ investissement. Par exemple, les firmes auront tendance à accumuler des réserves financières lorsque la rentabilité des investissements est anormalement élevée, ceci pouvant indiquer une valeur élevée du Q marginal (celui-ci étant difficilement mesurable précisément). 1.3 Sélection adverse et existence de free cash-flows Deux explications plus récentes coexistent pour décrire la relation investissement/cash-flows, toutes deux fondées sur les imperfections informationnelles. La première, issue des développements de Myers et Majluf (1984), repose sur le problème de sélection adverse : une firme peut choisir de ne pas entreprendre un projet d’ investissement rentable (VAN > 0) en raison du coût excessif des financements externes. Lorsque la firme doit recourir à des fonds externes, les managers ne peuvent communiquer de manière crédible au marché la qualité des actifs existants et des opportunités d’ investissement disponibles. A l’ équilibre, les firmes sous-évaluées décident de renoncer à des projets à VAN positive pour ne pas transférer la richesse des actionnaires existants aux nouveaux investisseurs. Le coût d’ information identifié par Myers et Majluf (1984) est constitué de la rentabilité de l’ investissement non entrepris. 111 Cette hypothèse a été testée par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) pour les investissements en actifs corporels (usines et équipements) et par Himmelberg et Petersen (1994) pour les dépenses de recherche et développement. Ces tests évoquent le fait que le coût prohibitif des ressources externes conduit certaines firmes à des difficultés de liquidité, ceci entraînant la forte dépendance entre les investissements et le niveau des cash-flows. Le second courant théorique découle de l’ hypothèse de free cash-flows (FCF) de Jensen (1986). En raison de conflits d’ intérêts, les managers tendent à augmenter leur richesse personnelle au détriment des intérêts des actionnaires, en investissant les fonds internes en excès dans des projets non rentables, au lieu de reverser les surplus sous forme de dividendes. Jensen (1986) définit les free cash-flows comme étant « les cash-flows en excès par rapport aux fonds nécessaires pour financer tous les projets à VAN positive en prenant en compte le coût du capital » (p. 323). Les problèmes d’ agence naissent alors de l’ existence des free cashflows et du contrôle incomplet exercé par les actionnaires sur les managers. Ces derniers ont tendance à sur-investir pour bénéficier des rentes financières et non financières liées à l’ accroissement de la taille de la firme (Jensen et Meckling, 1976). Devereux et Schiantarelli (1990), Oliner et Rudebusch (1992) et Strong et Meyer (1990) ont testé empiriquement le rôle des problèmes d’ agence dans l’ intensité de la relation investissement/cash-flows, mais leurs conclusions semblent contradictoires. Le rôle des cash-flows dans la décision d’ investissement est donc dû soit à un gaspillage des ressources internes, soit à un coût élevé des fonds externes découlant de l’ asymétrie d’ information. Pour tester empiriquement ces propositions, la littérature existante s’ appuie sur des modèles Q d’ investissement et modélise la relation investissement/cash-flows pour le niveau d’ équilibre du Q de Tobin. A partir de cette traduction empirique, il est possible d’ émettre des hypothèses testables. Si la théorie des free cash-flows est valide, les firmes présentant de faibles Q devraient compter particulièrement sur les fonds internes pour le financement de leurs investissements. Parallèlement, si la POT est correcte, les firmes ayant des valeurs élevées de Q devraient dépendre plus que les autres des disponibilités internes. Nous verrons que les méthodes empiriques utilisées sont parfois fort contestées, et notamment en ce qui concerne la validité du facteur Q. 112 A partir des deux hypothèses d’ asymétrie d’ information et d’ agence, il est possible de prévoir le degré de contraintes financières d’ un échantillon de firmes à partir de ses caractéristiques. Pour les firmes disposant d’ un large éventail d’ opportunités d’ investissement rentables (asymétrie d’ information élevée), les investissements doivent être plus sensibles aux variations des cash-flows : ces firmes tentent de conserver les cash-flows existants en versant peu ou pas de dividendes. Les modèles d’ asymétrie d’ information prévoient que les entités pour lesquelles la relation investissement/cash-flows est fortement significative devraient présenter en moyenne des valeurs de Q élevées. Des modèles d’ agence, on peut déduire que, lorsque le coût du contrôle est significatif et que les managers ont la possibilité d’ investir dans des projets à VAN négative, les cash-flows jouent un rôle déterminant dans le montant des investissements. De plus, les investissements des firmes ne distribuant pas de dividendes sont plus influencés par le niveau des cash-flows que les investissements des autres firmes. Les premières devraient appartenir également à la catégorie des plus faibles valeurs de Q. En résumé, les deux courants théoriques prévoient une relation significativement positive entre cash-flows et investissement, qui doit être plus prononcée pour les firmes ne distribuant pas de dividendes. La distinction majeure entre les deux théories réside dans l’ interaction entre le Q de Tobin et l’ intensité de la relation investissement/cash-flows. Empiriquement, l’ effet taille offre également une distinction entre les deux hypothèses : les firmes de plus grande taille avec un actionnariat dispersé devraient être soumises à des coûts d’ agence significatifs, alors que les firmes de petite taille sont elles plus sensibles aux asymétries informationnelles. La figure 2 résume les étapes du raisonnement offrant une explication pertinente à l’ existence de contraintes financières. Le degré de contraintes financières est lié essentiellement à l’ existence d’ une asymétrie d’ information entre les agents internes et les investisseurs externes, lorsque la firme a recours au financement externe. Nous allons examiner maintenant les caractéristiques de la dette intragroupe et montrer comment ce mode de financement particulier permet d’ éliminer en partie le problème d’ asymétrie d’ information, et donc de lever les contraintes financières pour les firmes membres de groupe. 113 Figure 2 : Conditions d’existence des contraintes financières Nouveau projet d’ investissement : recherche d’ un financement externe Comportement opportuniste des dirigeants Asymétrie d’ information Et existence de free cash-flows Sélection adverse Augmentation du coût du financement externe : Coûts d’ agence et coûts d’ asymétrie d’ information Existence de contraintes financières significatives Relation positive et significative investissement/cash-flows II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières 2.1 Circulation des fonds au sein du groupe et création d’ une dette intragroupe La dette intragroupe qui n’ est pas accordée par une institution financière provient de deux sources possibles : soit la société tête de groupe (ou un membre) fait jouer sa réputation sur le marché financier externe pour collecter des fonds et les redistribuer aux autres entités du groupe59, soit les surplus de fonds internes sont alloués aux différents membres sous forme de prêts. Dans les deux cas, un marché interne de capital est créé au sein du groupe et la dette intragroupe apparaît alors comme un substitut, ou plutôt une alternative à la dette externe classique (Deloof (1996)60 relève une forte corrélation négative entre le niveau de dette bancaire et celui de dette intragroupe dans le total des dettes à long terme). L’ intuition d’ une meilleure flexibilité financière des firmes appartenant à un groupe provient de cette opportunité de pouvoir « emprunter en interne ». Cependant, ceci ne permet pas de conclure sur l’ efficacité de créer un marché interne de capital, pour trouver un financement 59 : C’ est le cas notamment lorsque l’ une des sociétés du groupe réalise une augmentation de capital (Partie 1). 114 alternatif au financement externe classique. Il faut pouvoir comparer les attributs respectifs d’ une relation d’ emprunt sur un marché interne et sur un marché externe. Le modèle de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) est fondé sur l’ idée qu’ un marché interne de capital procure aux fournisseurs de fonds les droits de contrôle sur la firme (contrôle sur l’ utilisation des actifs). Cette particularité a pour conséquence majeure d’ accroître le contrôle exercé par les fournisseurs du capital (direction du groupe). La notion de propriété dans un marché interne de capital implique que les dirigeants-actionnaires perçoivent plus que les gains résultant du contrôle exercé. Cet argument reprend les fondements théoriques d’ Alchian (1969)61 sur l’ avantage comparatif des marchés internes de capitaux en matière de flux d’ information entre les utilisateurs et les fournisseurs du capital. Une société membre de groupe serait alors moins soumise aux effets négatifs de l’ asymétrie d’ information traditionnellement observés dans une relation de crédit. 2.2 Comparaison des attributs des dettes interne et externe Supposons l’ existence d’ une filiale particulière, notée F1, qui détient non seulement des actifs en place mais aussi des opportunités d’ investissement futures. F1 est dirigée par un manager M1, qui, selon les avancées théoriques sur la fonction d’ utilité des dirigeants, présente une tendance naturelle à rechercher la croissance de la firme (création d’ un empire : « empirebuilding tendencies ») pour retirer un maximum de bénéfices personnels, et qui détient des informations privées sur la valeur des actifs existants et celle des projets d’ investissement à venir. F1 peut être financée soit comme une entité indépendante (en ayant recours aux sources de financement externe, bancaires ou liées au marché financier), soit comme une entité dépendante d’ un marché interne. Dans ce dernier cas, M1 a l’ obligation de négocier avec les dirigeants de la société contrôlante pour trouver un financement adéquat. Pour simplifier l’ analyse, on considère le cas simplifié où le dirigeant de la société mère agit dans l’ intérêt de ses actionnaires directs (le seul conflit d’ agence envisagé ici est celui opposant M1 et le dirigeant du groupe), et où celui-ci ne gère qu’ une seule filiale F1. Dans quelle mesure les attributs d’ un financement interne et d’ un financement externe diffèrentils ? La première remarque réside dans le fait que lors des négociations entre M1 et le dirigeant, le manager fait face à un unique interlocuteur, fournisseur du capital, en opposition 60 61 : Op. cité Deloof (1998), p. 947. : Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212. 115 à une multitude d’ investisseurs présents sur le marché externe. Un argument quasi-immédiat suggère que le dirigeant accordera plus de temps et d’ efforts aux fonctions de contrôle, pour collecter des informations fiables sur les performances actuelles et futures de la filiale : ceci représenterait un des bénéfices découlant de l’ allocation interne du capital. Même si la question de la centralisation du financement apparaît comme une caractéristique essentielle, elle ne représente qu’ une partie du raisonnement. Si l’ on se concentre uniquement sur le degré de centralisation, il n’ existe pas de différences significatives entre la relation M1/dirigeant, et, par exemple, la relation M1/prêteur bancaire. A partir de cette observation, Gertner, Scharfstein et Stein (1994) montrent que ce qui distingue le dirigeant des autres fournisseurs uniques de capital est que le premier possède des droits de contrôle inconditionnels et totaux, au sens des travaux de Grossman et Hart (1986), et Hart et Moore (1990). Le dirigeant a le pouvoir de décider unilatéralement de l’ utilisation des actifs corporels de la firme, ce qui n’ est pas possible pour un banquier lorsque la firme n’ éprouve aucune difficulté financière. Le droit résiduel sur les cash-flows dégagés n’ est pas synonyme de propriété, car la personne disposant des cash-flows ne décide pas nécessairement de l’ utilisation des actifs. Gertner, Scharfstein et Stein (1994) reprennent la définition de la propriété de Grossman et Hart (1986) : « droits résiduels du contrôle des actifs, contrôle de tous les aspects des actifs existants qui n’ ont pas été explicitement définis par contrat » (p.695). Ainsi, la notion de propriété prend tout son sens lorsqu’ il existe des actions qui ne peuvent être déterminées ex ante : le propriétaire est la personne qui décide d’ entreprendre ou non les actions non contractuelles. Le contrôle sur l’ utilisation des actifs et la fonction de contrôle des décisions des managers sont complémentaires. Le dirigeant a la possibilité de s’ assurer que toutes ses idées personnelles émergentes, conformes à l’ objectif de maximisation de la valeur, seront entendues et appliquées : un investisseur externe ne détenant pas le droit de contrôle ultime sur les actifs de la firme est incapable de s’ impliquer aussi fortement dans la gestion de l’ entité. Par exemple, dans le cadre d’ une restructuration des actifs de F1, le dirigeant peut entreprendre et appliquer directement les décisions pertinentes. Comparativement, une banque ne peut que suggérer le redéploiement d’ actifs au manager de la filiale, celui-ci étant libre de prendre en compte ou d’ ignorer ces suggestions. Par conséquent, la banque investira moins de temps et de fonds dans la collecte d’ information sur l’ activité et la gestion de la firme. Cet 116 argumentation formalise l’ idée de Alchian (1969)62 et de Williamson (1975) selon laquelle un marché interne de capital dégage des flux d’ information de plus grande qualité (ceci se répercutant directement sur la prise de décision) qu’ un marché externe. La description du fonctionnement des marchés internes est abordée plus particulièrement dans la section 2. Le paragraphe suivant s’ intéresse à l’ influence de l’ appartenance à un groupe sur la politique d’ endettement globale des sociétés affiliées. 2.3 Appartenance au groupe et utilisation de dette externe L’ appartenance à un groupe modifie les conditions de financement des entreprises concernées. Celle-ci va affecter les conditions d’ accès au marché financier, la surface financière du groupe étant plus facilement identifiable. Les taux d’ intérêt des emprunts euxmêmes sont moins élevés pour ce type de sociétés. Leur dépendance vis-à-vis du système bancaire paraît également moins nette, la société tête de groupe ayant la possibilité de répercuter sur certaines unités des emprunts négociés à des conditions favorables. Tous ces facteurs sont en relation avec le degré de contraintes financières pesant sur la politique financière de la firme. La possibilité d’ obtenir une dette intragroupe modifie l’ endettement total des sociétés membres. Celles-ci pourraient opérer avec un ratio d’ endettement plus élevé si la dette intragroupe est associée à des coûts d’ information faibles. De plus, l’ existence de dette intragroupe influence le recours à la dette externe : le financement interne conduit à diminuer les besoins en fonds externes, ou la dette intragroupe engendre une détérioration des relations de la firme avec les créanciers externes (en affaiblissant leur pouvoir de négociation et en augmentant la probabilité de non-remboursement). Cependant, l’ appartenance au groupe offre également aux créanciers externes les supports de garantie représentés par les actifs des autres sociétés membres de l’ ensemble (la garantie offerte par les actifs tangibles de la firme constitue la mesure classique des coûts de faillite attendus). L’ étude de Deloof et Verschueren (1999) confirme empiriquement que les sociétés membres de groupe présentent des niveaux d’ endettement plus élevés que des entreprises indépendantes comparables, et que la présence de dette intragroupe modifie l’ usage de la dette externe. 62 : Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212. 117 2.4 Synthèse : appartenance au groupe, utilisation de dette intragroupe et levée des contraintes financières Les contraintes financières ont pour conséquence directe l’ impossibilité pour une firme de financer tous les projets d’ investissement à VAN positive. Ce rationnement du crédit dû au coût élevé des modes de financement externe peut être évité lorsque qu’ une firme non seulement appartient à un groupe, mais également bénéficie de dettes intragroupes. En effet, l’ appartenance au groupe offre aux sociétés membres un surplus de fonds qui peut être affecté au financement des investissements productifs, ceci grâce à : - l’ accès à une forme d’ endettement originale : la dette intragroupe ; - un accès privilégié à l’ endettement externe : la garantie représentée par les actifs tangibles des autres sociétés du groupe permet de réduire les coûts de faillite liés à la relation d’ endettement classique ; les sociétés affiliées au groupe ont l’ opportunité de s’ endetter proportionnellement plus que les sociétés indépendantes. D’ autre part, en plus de ces sources de financement quantitativement plus importantes, la dette intragroupe présente des avantages particuliers qui rendent son utilisation moins onéreuse que la dette externe classique : - coûts de transaction moins élevés ; - diminution des coûts d’ asymétrie d’ information : droits de contrôle exclusifs pour les dirigeants du groupe, accroissement de la fonction de contrôle, et des flux d’ information qualitativement plus importants. Le point suivant s’ attache à analyser les résultats des tests empiriques existants. III – Revue de la littérature empirique La littérature empirique sur l’ existence de contraintes financières, et surtout sur les indicateurs financiers pouvant en indiquer la présence, est très abondante. Le premier paragraphe est consacré aux tentatives de validation des hypothèses d’ asymétrie d’ information et de free cash-flows dans un cas général. Le second paragraphe expose plus spécifiquement les résultats des tests concernant l’ appartenance à un groupe et la levée des contraintes 118 financières. Enfin, le dernier paragraphe propose une analyse critique de la méthodologie empirique utilisée et quelques remarques sur les erreurs de mesure potentielles. 3.1 Conclusions des tests existants : l’ hypothèse d’ asymétrie d’ information comme origine des contraintes est privilégiée A partir de modèles d’ investissement reposant sur le facteur Q, Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) relatent le pouvoir explicatif des cash-flows sur les investissements pour les firmes distribuant peu de dividendes. Ils interprètent ces résultats comme conformes aux implications de la POT : ces firmes connaissent des contraintes financières associées aux coûts d’ asymétrie d’ information liés au financement externe. Vogt63 (1994) confirme le pouvoir explicatif de la variable « dividendes » dans la distinction entre firmes contraintes et non contraintes. Plus récemment, Fazzari et Petersen (1993) montrent que cet échantillon de firmes tente d’ atténuer les fluctuations du niveau de fonds disponibles en interne grâce au besoin en fonds de roulement pour maintenir les investissements prévus. Ce résultat correspond aux implications de Myers et Majluf (1984) montrant que les actifs financiers liquides (« financial slack ») peuvent atténuer le phénomène de sous-investissement. Le test de Whited (1992) apporte une extension aux résultats de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) grâce à l’ étude du comportement financier de firmes ayant saturé leur capacité d’ endettement. La relation investissement/cash-flows semble plus prononcée pour les firmes avec des ratios d’ endettement et de couverture supérieurs à la moyenne64. Enfin, les cashflows influencent significativement les dépenses de recherche et développement dans la politique d’ investissement des firmes de petite taille (Himmelberg et Petersen, 1994). 63 : Les tests empiriques portent sur un échantillon de 359 sociétés industrielles américaines, sur la période 19731990. Vogt (1994) prend également en compte l’ effet taille pour distinguer les implications des hypothèses de la POT et des free cash-flows : les grandes firmes ayant une structure de propriété diffuse sont plus soumises aux problèmes d’ agence. La relation investissement/cash-flows devrait être plus significative pour ce type de firmes n’ ayant pas d’ opportunités rentables. De plus, les contraintes de liquidité inhérentes à l’ asymétrie d’ information devraient être plus sévères pour les firmes de petite taille. Ainsi, la relation investissement/cash-flows doit être significative pour ce type de firmes avec des valeurs élevées de Q. Les résultats des modèles statistiques testés semblent corroborer l’ hypothèse de free cash flows dans le cas des dépenses en capital, même si l’ hypothèse de la POT semble décrire efficacement le comportement financier des firmes de petite taille versant peu de dividendes. Pour les dépenses en recherche et développement, les conclusions des tests confortent la thèse de la POT. Les effets des investissements financés par des fonds internes sur la valeur de la firme dépendent étroitement de la valeur des actifs, de la politique de dividendes et de la nature des investissements. 64 : Il utilise le ratio charges d’ intérêts/cash-flows, et le rating de la firme en début de période. 119 La plupart des tests s’ intéressent exclusivement aux investissements productifs et corporels. Or, les dépenses de recherche et développement présentent d’ un point de vue théorique deux caractéristiques intéressantes. Tout d’ abord, la nature intangible et risquée de ce type de dépenses entraîne une plus grande sensibilité à l’ asymétrie d’ information que les investissements en actifs corporels. De même, le coût du contrôle pour les externes et les opportunités de sur-investissement pour les managers semblent accrus pour cette catégorie d’ investissement. De plus, l’ impact de la recherche et développement sur la taille des actifs et les cash-flows futurs est extrêmement incertain et non réalisable dans un avenir proche, or, de ces facteurs dépend la motivation des managers et la valeur des free cash-flows disponibles. Les investissements en actifs corporels génèrent des flux de fonds immédiatement (ne seraitce que par l’ effet des amortissements) et tendent à accroître la taille de la firme. Ainsi, les problèmes liés à l’ existence de free cash-flows devraient affecter dans une moindre mesure les investissements en actifs intangibles. Schaller (1993) suggère plusieurs caractéristiques exogènes des firmes liées aux problèmes d’ asymétrie d’ information et pouvant influencer le degré de contraintes financières : firmes jeunes/matures (différences dans le coût du financement externe), actionnariat concentré/dispersé (conflits d’ agence potentiels), appartenance à un groupe industriel (existence d’ un marché interne). Sur des données de panel de firmes canadiennes, l’ auteur montre que l’ effet des cash-flows sur les investissements est plus prononcé pour les firmes jeunes, à actionnariat dispersé et n’ appartenant pas à un groupe, confirmant ainsi les implications des modèles informationnels. D’ autres essais de validations empiriques se sont intéressés plus spécifiquement à l’ hypothèse de free cash-flows. Pour évaluer l’ importance des problèmes d’ agence, Oliner et Rudebusch (1992) analysent l’ effet de différentes caractéristiques intrinsèques des firmes sur la relation investissement/cash-flows. Les variables mesurant la structure de propriété et le degré d’ actionnariat interne restent marginales pour expliquer le phénomène ; la cotation et l’ âge de la firme détiennent un pouvoir explicatif plus élevé. Ces résultats ne corroborent pas l’ hypothèse de Jensen (1986). Strong et Meyer (1990)65 distinguent deux catégories d’ investissements et de cash-flows : les investissements productifs et discrétionnaires, et les cash-flows totaux et résiduels (après le service de la dette, les taxes et le versement de 65 : Ce test se concentre spécifiquement sur l’ industrie du papier : 34 firmes sont étudiées entre 1971 et 1986. 120 dividendes). Deux relations intéressantes et significatives se dégagent de leurs résultats. Les cash-flows résiduels et les investissements discrétionnaires sont corrélés positivement, alors que dans le même temps les investissements discrétionnaires et les performances boursières sont négativement liés. Ceci suggère que les cash-flows discrétionnaires sont affectés à des investissements non rentables et appuie la thèse des free cash-flows. Par ailleurs, en assimilant le facteur taille à un indicateur de mesure des problèmes d’ agence (actionnariat diffus), Devereux et Schiantarelli (1990)66 évoquent une relation investissement/cash-flows plus forte pour les firmes de plus grande taille. Il existe également toute une série de tests qui se sont focalisés spécifiquement sur les conséquences financières de l’ appartenance à un groupe : ils font l’ objet du point suivant. 3.2 Appartenance à un groupe et réduction des contraintes financières La sensibilité investissement/cash-flows a été étudiée dans différentes structures organisationnelles : les « Keiretsus » japonais (Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991), les groupes industriels coréens (Cho, 1995 ; Shin et Park, 1999), les sociétés holdings (Praet, 2002) et les groupes industriels belges (Deloof, 1998). Tous ces tests procèdent de la même manière. Les auteurs isolent un échantillon de firmes appartenant à un groupe (conglomérat ou holding), puis réalisent un pairage de ces sociétés en fonction de leur taille et de leur secteur d’ activité : un échantillon de firmes comparables, mais indépendantes, est ainsi constitué. Ensuite, ils comparent la signification et la valeur du coefficient de la variable « cash-flows » dans l’ équation d’ investissement. En utilisant un échantillon de groupes industriels japonais (« Keiretsus »), Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991) testent la relation investissement/cash-flows. Les firmes appartenant aux groupes japonais sont supposées être moins soumises aux effets de l’ asymétrie d’ information et des problèmes d’ agence que les firmes indépendantes car elles sont contrôlées et détenues en partie par la banque commune du groupe. Celle-ci est au centre des relations entre les firmes membres et fournit les fonds pour financer l’ ensemble des projets d’ investissement disponibles67. A l’ inverse, les firmes indépendantes n’ entretiennent pas forcément des rapports privilégiés avec les banques et devraient ainsi être plus affectées par une baisse de 66 67 : L’ échantillon est composé de 720 firmes anglaises, sur la période 1969-1986. : Pour une analyse détaillée de la structure des Keiretsus, se reporter à Berglof et Perotti (1994). 121 l’ autofinancement. Il s’ avère que les cash-flows déterminent le niveau d’ investissement des firmes indépendantes, ce qui n’ est pas le cas pour les firmes appartenant aux « Keiretsus ». Sur des données coréennes, Cho (1995) mesure la variation du total des actifs tangibles sur la période 1982-1991 pour examiner le lien entre les dépenses d’ investissement et les disponibilités internes. L’ argument qui sous-tend son raisonnement repose sur le fait que les firmes appartenant aux « chaebols » (forme de conglomérat coréen) ont été aidées par le gouvernement lors de la phase d’ expansion économique des années 70, cet avantage se matérialisant par un accès privilégié aux capitaux externes et se retrouvant lors des années 80. Cependant, la comparaison des résultats de Cho (1995) et des conclusions des études américaines est problématique : le montant de la variation des actifs tangibles diffère des dépenses d’ investissement totales (par exemple, le cas où la firme cède un actif tangible et réinvestit les fonds dans des dépenses de R&D). Le test de Shin et Park (1999) repose sur l’ étude de données coréennes. L’ échantillon est constitué de « chaebols » coréens, dont les caractéristiques semblent comparables à celles des conglomérats, utilisés dans les tests américains : le fonctionnement du marché interne relève de la même logique. L’ actionnaire principal des « chaebols » est soit une firme, soit une famille : celui-ci contrôle les décisions d’ investissement et de financement de chaque firme du groupe, en fonction de leurs besoins respectifs et des objectifs stratégiques du groupe dans son ensemble. En plus du test classique de la relation investissement/cash-flows, Shin et Park (1999) contrôlent la qualité des résultats, en réalisant des tests complémentaires en fonction de la taille et de l’ endettement des firmes de l’ échantillon. Enfin, pour vérifier si les résultats ne sont pas guidés par un biais dans la mesure des opportunités d’ investissement, ils réalisent également les tests en fonction du taux de croissance des ventes des firmes de l’ échantillon68. A partir d’ un échantillon de 52 firmes belges sur la période 1989-1996, Praet (2002) étudie l’ impact global des sociétés holding sur les sociétés qu’ elles contrôlent. Pour cela, ils comparent les données financières d’ un échantillon de firmes industrielles contrôlées par des holdings avec celles de sociétés dominées par des actionnaires familiaux. Ces holdings sont définies par Daems (1978) comme des « institutions financières qui gèrent un portefeuille d’ actions dans le but de contrôler les sociétés dans lesquelles elles possèdent des parts de 68 : Ce problème de mesure est réellement significatif lorsque la firme connaît un taux de croissance anormalement élevé (Kaplan et Zingales, 1997). 122 capital »69. Pour atteindre cet objectif, elles émettent des actions nouvelles et utilisent les fonds collectés pour investir dans d’ autres sociétés. Ceci donne lieu à une substitution de titres puisque l’ investisseur qui souscrit aux augmentations de capital de la holding investit indirectement dans plusieurs sociétés cotées ou non. Par conséquent, les holdings belges ont un impact significatif sur le plan économique, qui, contrairement à la situation sur le marché américain, donne naissance à des structures de propriété concentrées. Praet (2002) régresse les investissements par rapport au montant des cash-flows et met en évidence un coefficient significatif pour les deux sous-échantillons, mais plus faible pour les filiales de holdings : ce résultat prouve l’ existence de contraintes financières pour les deux types de firmes. Le test de Deloof (1998) est fondé sur la distinction entre les firmes utilisant la dette intragroupe et celles qui n’ ont pas recours à ce type de financement interne. A partir d’ un échantillon de firmes belges non financières cotées (entre 1981 et 1991), l’ auteur teste le pouvoir explicatif des cash-flows sur le niveau d’ investissement70. L’ investissement des firmes ne disposant pas de dette intragroupe est déterminé par le niveau de fonds internes disponibles, ce qui n’ est pas le cas pour les autres firmes de l’ échantillon. D’ autre part, l’ auteur conclut que la relation investissement/cash-flows est guidée par un phénomène de sur-investissement et non par l’ existence de contraintes financières. Enfin, Khanna et Palepu (2000) transposent la même étude sur un échantillon de firmes affiliées à des groupes industriels indiens71. Cependant, leurs résultats montrent la même intensité dans la relation investissement/cash-flows pour les deux sous-échantillons. 3.3 Synthèse des conclusions des tests empiriques Le tableau 15 tente de récapituler les principales caractéristiques des firmes soumises à des contraintes financières sévères. Sans être exhaustives, les données du tableau 15 permettent de saisir la complexité d’ isoler les nombreux déterminants de la relation cash- flows/investissement et de neutraliser les biais induits par d’ autres variables intervenant dans l’ explication de la politique d’ investissement. 69 : Op. cité Praet (2002) p. 3. : Deloof (1998) distingue l’ investissement total, l’ investissement en actifs tangibles et l’ investissement en actifs financiers. Les résultats montrent que les cash-flows ne possèdent pas de pouvoir explicatif sur la politique d’ investissement en actifs financiers. 71 : Les données concernent l’ année 1993, et l’ échantillon comporte 655 firmes affiliées et 654 firmes non affiliées. 70 123 Tableau 15 : Synthèse des validations empiriques sur la relation investissement/cashflows Tests empiriques Fazzari, Hubbard, Petersen (1988) ; Vogt (1994) ; Gilchrist et Himmelberg (1995) Whited (1992) Fazzari, Petersen (1993) Kashyap, Lamont, Stein (1994) Schaller (1993) ; Oliner, Rudebusch (1992) Schaller (1993) ; Oliner, Rudebusch (1992) Corrélation avec le degré de contraintes financières (intensité de la relation investissement/cash-flows) Versement de dividendes Asymétrie Les firmes versant peu de d’ information et dividendes sont soumises à POT. des contraintes financières significatives. Ratio d’ endettement Asymétrie Les firmes ayant saturé leur d’ information et capacité d’ endettement sont POT. soumises à des contraintes significatives. Besoin en Fonds de Asymétrie Les firmes conservant un Roulement d’ information et BFR faible sont soumises à POT. des contraintes financières significatives. Disponibilité en fonds Asymétrie Les firmes disposant de internes d’ information et faibles ressources internes POT. sont soumises à des contraintes significatives. Age de la firme Asymétrie Les firmes jeunes sont d’ information et soumises à des contraintes POT et hypothèse significatives. de Free CashFlows. Structure d’ actionnariat Hypothèse de Les firmes à actionnariat Free Cash-Flows. dispersé sont soumises à des contraintes significatives. Appartenance à un groupe Asymétrie Les firmes appartenant à un ou à une holding d’ information et groupe sont moins soumises POT. aux contraintes financières. Caractéristiques de la firme : critère de classification a priori Deloof (1998) ; Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991) ; Schaller (1993) ; Praet (2002) ; Cho (1995) ; Shin et Park (1999) ; Khanna et Palepu (2000). Devereux, Schiantarelli Taille de la firme (1990) ; Vogt (1994) ; Gilchrist et Himmelberg (1995) Hypothèses théoriques testées Asymétrie d’ information et POT et hypothèse de Free CashFlows. 124 Les deux hypothèses établissent des prédictions opposées. La taille de la firme est synonyme de moindre asymétrie d’ information (-) mais aussi de coûts d’ agence plus élevés (+). 3.4 Détails de la méthodologie empirique Les tests empiriques sur la sensibilité investissement/cash-flows sont confrontés à deux difficultés essentielles : l’ interaction entre le Q de Tobin et les autres variables financières, et la méthode de classification a priori des firmes. L’ enjeu est alors de déterminer si l’ intensité de la relation investissement/cash-flows est proportionnelle au degré de contraintes financières, hypothèse implicitement acceptée dans les tests existants. 3.4.1 Q de Tobin et relation avec les autres variables financières Le scepticisme des chercheurs sur la question de la sensibilité investissement/cash-flows provient de l’ utilisation abusive du facteur Q de Tobin, comme instrument de mesure fiable des opportunités d’ investissement. Dans la littérature, ce facteur ne détient qu’ un faible pouvoir explicatif et présente des coefficients extrêmement et étonnamment élevés dans l’ estimation des paramètres du coût d’ ajustement. Les opportunités d’ investissement sont généralement mesurées par le Q de Tobin. Le Q marginal est défini par le ratio entre la productivité marginale d’ une unité d’ investissement et le coût de remplacement du capital. Ainsi, un Q supérieur (inférieur) à 1 signifie que le retour d’ une unité de capital supplémentaire est positif (négatif). En présence de marchés parfaits et d’ une courbe de coûts d’ ajustement convexe, le Q marginal devrait être la seule variable pertinente pour rendre compte du niveau d’ investissement. Comme le Q marginal n’ est pas observable, les études empiriques utilisent le Q moyen, caractérisé par le ratio entre la valeur de marché des capitaux propres de la firme et le coût actuel de remplacement de ses actifs. Malheureusement, le Q marginal et le Q moyen ne sont pas liés par une relation quelconque, ceci remettant en doute la pertinence d’ une telle mesure. En fait, les deux valeurs ne coïncident que lorsque les deux coefficients sont égaux à 1, et les coûts d’ ajustement linéaires. Les articles étudiant la sensibilité investissement/cash-flows contournent ce problème en classant un échantillon de firmes en fonction de critères à priori censés représenter le degré de contraintes financières : la taille, la politique de dividendes, la structure de capital (ratio 125 d’ endettement). Cependant, il est probable que l’ ensemble de ces caractéristiques financières de la firme ait un rapport direct avec les variables intervenant dans le calcul du Q du Tobin72. Plusieurs raisons existent pour lesquelles les variations d’ intensité dans la relation investissement/cash-flows ne proviennent pas des imperfections de marché et des coûts d’ accès au capital. Tout d’ abord, les firmes subissant à priori des contraintes financières sévères sont typiquement des firmes de petite taille, jeunes avec un taux de croissance plus important que les autres firmes : le marché boursier n’ a dans ce cas pas accumulé le stock d’ information qui se dégage d’ une évaluation et d’ un contrôle précis des activités de ces firmes au cours du temps. Ainsi, le Q de Tobin devrait contenir moins d’ informations sur les opportunités d’ investissement de ces firmes « jeunes » que pour les autres firmes identifiées comme « non contraintes ». Le pouvoir explicatif du Q de Tobin diminue alors au profit de celui des cash-flows, ceci conduisant à classer des firmes dans la catégorie « contraintes » alors qu’ elles ne le sont pas en réalité. De plus, les firmes récentes réagissent plus rapidement à l’ émergence d’ opportunités d’ investissement, parce qu’ elles détiennent des technologies et des systèmes productifs différents, et qu’ elles sont moins soumises aux inconvénients d’ une structure organisationnelle avec plusieurs niveaux hiérarchiques et une délégation importante (structures conglomérales et relations d’ agence entre la direction et les managers de divisions). Si le Q de Tobin est un « proxy » satisfaisant de l’ investissement, une plus grande vitesse d’ ajustement devrait se solder par des valeurs élevées de Q. Si ce n’ est pas le cas, et si les cash-flows sont une variable fondamentale, les firmes réagissant rapidement devraient avoir des coefficients de cash-flows plus significatifs, ceci expliquant les variations observées en coupe transversale. 3.4.2 Critique des méthodes de classification a priori des firmes Plus généralement, c’ est de la méthode de classification a priori des firmes que dépend la validité des résultats. La stratégie idéale serait de construire une mesure directe des contraintes, ce qui semble quasiment impossible. La plupart des études évaluent les conséquences attendues des contraintes financières pour réaliser leur classification. Par exemple, si une firme est contrainte, elle ne versera pas ou peu de dividendes. Cependant, 72 : Une des solutions au problème de mesure des opportunités d’ investissement est d’ avoir recours à l’ équation d’ Euler. Pour une analyse détaillée, se référer à Whited (1992), Hubbard, Kashyap et Whited (1995) et Hubbard (1998). 126 cette méthode engendre de multiples interprétations : le critère employé peut provenir des contraintes financières comme il peut découler d’ autres facteurs. Dans ce cas, une firme peut conserver de faibles dividendes à cause d’ un effet de clientèle (actionnaires fortement imposés) ou pour éviter les effets indésirables de signalisation liés à des variations dans la politique de dividendes. Pour contourner le problème, il convient d’ inverser la causalité. Lhabitant et Tinguely (1999), sur un échantillon de firmes suisses, utilisent des indicateurs de mesures d’ asymétrie d’ information liés à la structure particulière du marché financier local : structures de propriété concentrées et rôle actif des banques en tant qu’ actionnaires des sociétés industrielles cotées. Ainsi, les auteurs classent les firmes en fonction des problèmes informationnels auxquels elles sont soumises, puis étudient l’ intensité de la relation investissement/cash-flows : la relation entre les problèmes informationnels et les contraintes financières étant monotone croissante, cette méthode permet de résoudre le problème de causalité. Kaplan et Zingales (1997) reprennent l’ échantillon constitué par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) et tentent de déterminer la disponibilité et la demande de fonds en fonction de données qualitatives (observation directe : interviews des managers sur la liquidité des actifs, information publique) : là encore, l’ objectif est d’ obtenir une mesure directe des contraintes financières, sans recourir aux variables financières classiques. En étudiant le sous-échantillon de firmes considérées comme « contraintes » par Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), les auteurs montrent que ce type de firmes auraient pu à un moment donné augmenter leurs dépenses d’ investissement et concluent à l’ absence de contraintes financières. Les résultats évoquent une relation entre la sensibilité investissement/cash-flows qui ne serait pas monotone croissante, ceci remettant en cause les apports et les conclusions de l’ ensemble des tests précédents. La réponse de Fazzari, Hubbard et Petersen (1996) critique vivement le test précédent : les auteurs reprochent notamment à Kaplan et Zingales (1997) leur vision « statique » des contraintes financières73 et la confusion entre contraintes et détresse 73 : Kaplan et Zingales (1997) retiennent une définition opérationnelle originale des contraintes financières. L’ existence de contraintes financières repose sur la possibilité pour la firme d’ investir plus de fonds à la demande des managers à un moment donné. Pour indiquer que le manque de financement ne pose pas une barrière à un investissement supplémentaire, ils utilisent comme indicateur de mesure la présence de disponibilités en interne et de lignes de crédit inutilisées. Cette définition suppose une politique financière à court terme de la part des firmes étudiées. En supposant que les firmes doivent payer une prime importante en cas de financement externe, il leur est coûteux d’ ajuster les dépenses d’ investissement par rapport aux variations du montant des fonds internes disponibles, qui suivent les cycles économiques. Un comportement rationnel pour des firmes évoluant sur des marchés imparfaits serait de conserver un stock de liquidités et une marge de sécurité 127 financières, le manque d’ hétérogénéité de l’ échantillon étudié et la fiabilité des commentaires des managers financiers recueillis. D’ autre part, Matsusaka et Nanda (2000), à partir d’ un modèle sur l’ allocation du capital au sein d’ un marché interne, démontrent que la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas monotone en fonction du niveau de fonds internes disponibles. Si les ressources sont rares, la firme fait appel au marché financier externe, et le niveau d’ investissement ne dépend pas de celui des cash-flows. Lorsque les ressources augmentent, le montant des cash-flows détermine le niveau d’ investissement et la sensibilité entre les deux variables augmente. Si les ressources sont assez élevées pour financer tous les projets d’ investissement rentables, la sensibilité diminue jusqu’ à s’ annuler. Ainsi, le modèle confirme les conclusions de Kaplan et Zingales (1997), qui soulignent que la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas un bon indicateur du niveau de contraintes financières qui pèsent sur la firme. Au vu de ces développements, il apparaît fondamental de définir un critère de classification des firmes ayant un lien direct et monotone avec l’ asymétrie d’ information. Dans le cadre de notre recherche, il semble que l’ appartenance à un groupe et l’ utilisation de la dette intragroupe soient des caractéristiques pertinentes reposant sur une base théorique solide (Gertner, Scharfstein et Stein, 1994). Le recours à la dette intragroupe tend à réduire l’ asymétrie d’ information liée à une relation de crédit classique, et augmente les fonds disponibles pour la société affiliée : ces deux hypothèses garantissent une levée partielle des contraintes financières. De plus, les problèmes de mesure liés au facteur Q ne peuvent concerner l’ échantillon d’ étude de cette recherche, puisque celui-ci est constitué de sociétés non cotées : dans ce cas, les opportunités d’ investissement sont calculées à partir de ratios comptables passés, et notamment l’ équivalent du « ROA ». Enfin, il convient d’ étudier la sensibilité investissement/cash-flows en fonction de différents niveaux de disponibilité en fonds internes, pour vérifier le caractère linéaire de la relation74. La levée des contraintes financières n’ est qu’ une des conséquences probables de l’ utilisation de la dette intragroupe. Celle-ci représente aussi un instrument, à la disposition de la direction pour leur capacité d’ endettement. De telles firmes seraient alors capables d’ investir plus à l’ équilibre, à un moment donné, mais ceci ne prouverait pas l’ absence de contraintes financières. 74 : Très peu de sociétés de l’ échantillon d’ étude versent des dividendes ; il n’ est donc pas nécessaire de prendre en compte cette variable pour juger du degré de contraintes financières. De même, le pairage s’ opère en fonction 128 du groupe, pour transférer les ressources entre les différentes filiales. Ces échanges financiers intragoupes conduisent à identifier les limites d’ un marché interne de capital. Le fonctionnement de ce type de structure est détaillé dans la section 2. Section 2 : Efficience ou inefficience des marchés internes de capitaux La plupart des développements théoriques de cette section ont été réalisés dans le but d’ expliquer le fonctionnement des marchés internes de capitaux pour l’ étude de l’ efficience des conglomérats américains, et ceci à partir des caractéristiques des marchés financiers externes classiques. Cependant, il est possible d’ étendre les implications des modèles théoriques à l’ analyse des sociétés holdings ou des groupes de sociétés, formes organisationnelles plus courantes en Europe occidentale. De plus, ce courant théorique a été élaboré à l’ origine pour justifier l’ existence de structures diversifiées (vague de diversification dans les années 60 aux Etats-Unis), puis pour démontrer les causes liées à la sous-évaluation de ce type de firmes (Berger et Ofek, 1995 ; Comment et Jarrell, 1995). L’ explication la plus répandue pour expliquer la décote que subissent les firmes diversifiées correspond à une mauvaise allocation des fonds internes entre les différentes entités (divisions) des conglomérats. La dette intragroupe est un moyen pour transférer les fonds entre les filiales d’ un même groupe industriel : le périmètre du groupe représente alors les frontières d’ un marché interne de capital. L’ étude du fonctionnement de l’ allocation interne des fonds au sein des conglomérats constitue une base théorique indispensable pour l’ analyse des conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe sur la valeur des sociétés affiliées au groupe. Tous les développements théoriques analysés dans cette deuxième section s’ attachent à démontrer l’ efficience ou l’ inefficience de l’ allocation des ressources en interne (rotation des fonds entre les différentes divisions). L’ efficience est ici caractérisée par l’ affectation des ressources aux entités disposant d’ opportunités d’ investissement rentables, et, in fine, par de la taille et du secteur d’ activité de chaque firme : ces deux facteurs ne peuvent pas engendrer de différences dans l’ intensité des contraintes financières entre les deux sous-échantillons. 129 l’ accroissement des performances financières des divisions concernées (des filiales de groupe) avec un impact globalement positif sur la valeur des conglomérats (groupes). Le premier point est consacré à l’ étude du fonctionnement des marchés internes de capitaux au sein des conglomérats américains. Le second retrace les résultats des études empiriques réalisées sur le sujet. Enfin, le troisième point considère explicitement le cas des groupes de sociétés. I – Fonctionnement des marchés internes de capitaux : allocation des ressources au sein des structures conglomérales 1.1 Différences entre marchés internes et marchés externes Une des questions fondamentales posées par Coase (1937)75 sur les développements de la théorie de la firme est de comprendre comment les règles de prise de décision au sein d’ une structure hiérarchique diffèrent de celles existantes dans une structure de marché. Coase (1937)76 supposait que les décisions au sein d’ une hiérarchie déterminée était dominée par des luttes de pouvoir alors que le fonctionnement des marchés reposait sur la valeur des prix. Cependant, plus de 60 ans après, les conditions dans lesquelles la hiérarchie domine le marché ne sont pas encore clairement définies. Un des obstacles majeurs à la progression de l’ avancée théorique dans ce courant de recherche a été le manque de données : en effet, les critères sur lesquels repose la prise de décision en interne sont généralement confidentiels. Même lorsque ces données étaient disponibles pour les chercheurs, il était difficile de trouver un ensemble de décisions financières comparables prises sur le marché. Cependant, depuis 1978 aux EtatsUnis, les firmes diversifiées cotées ont l’ obligation de publier les informations sur les ventes, la profitabilité et la politique d’ investissement des principales divisions qui les composent77,78. 75 : Op. cité Rajan, Servaes et Zingales (2000), p. 35. : Op. cité Rajan, Servaes et Zingales (2000), p. 35. 77 : L’ objet de publications sectorielles serait de permettre une meilleure appréciation du risque et du potentiel de croissance des groupes pour les investisseurs. Les obligations françaises sont en la matière minimalistes au regard de leurs équivalents anglo-saxons. Seuls les chiffres d’ affaires par secteur géographique et par secteur d’ activité sont nécessaires dans les annexes des comptes consolidés. Le rapport de gestion est supposé contenir aussi une information sur l’ activité et les résultats des filiales par branche d’ activité. De plus, les publications trimestrielles au BALO pour les sociétés cotées doivent contenir une ventilation du chiffre d’ affaires par activité. L’ information désagrégée disponible en France semble somme toute sommaire. La norme IAS est de loin plus contraignante puisqu’ elle comporte entre autres des obligations concernant le résultat d’ exploitation (ou un indicateur de résultat économique), le montant des actifs et la valeur des flux intersectoriels. 76 130 Les études empiriques ont eu alors l’ opportunité d’ analyser l’ une des décisions financières les plus importantes, au sein d’ une hiérarchie et d’ une structure de marché : la décision d’ investissement. Considérons le cas simplifié d’ une structure ne possédant qu’ une seule division D1, dirigée par un manager M1. D1 peut être financée soit comme une entité indépendante, soit comme une entité dépendante d’ un marché interne. Dans ce dernier cas, M1 a l’ obligation de négocier avec les dirigeants de la société contrôlante pour trouver un financement adéquat. De plus, on suppose que le dirigeant de la société contrôlante agit dans l’ intérêt de ses actionnaires directs : le seul conflit d’ agence oppose alors M1 et le dirigeant du conglomérat. Dans cette situation, nous avons évoqué dans la section 179 une des caractéristiques essentielles d’ un financement interne (dette interne versus dette externe) : le dirigeant du conglomérat possède un droit de contrôle inconditionnel et total sur l’ utilisation des actifs corporels de la division, ce qui n’ est pas le cas d’ un banquier lorsque la firme n’ éprouve aucune difficulté financière (Grossman et Hart, 1986 ; Hart et Moore, 1990). Par ailleurs, une seconde application directe de la logique de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) postule que l’ existence des droits de contrôle exclusifs du dirigeant réduit la motivation de M1 quant à une gestion efficace de la division, et le décourage d’ entreprendre des actions coûteuses et non contractuelles pouvant augmenter la valeur globale de la firme. Aghion et Tirole (1997) développent ce raisonnement et démontrent pourquoi un manager est plus démotivé lorsqu’ il dépend d’ un dirigeant que lorsqu’ il est soumis au contrôle d’ investisseurs externes. Même si des actionnaires dispersés détiennent également des droits de contrôle complets au sens formel (légal), le contrôle exercé est plus diffus puisqu’ ils ne disposent pas d’ informations internes. 78 : Pourtier (1996) analyse les flux d’ information sectorielle pour 80 grands groupes industriels français. Sans étudier les motifs poussant certains groupes à ne divulguer aucune information sur leurs filiales et d’ autres à publier des informations complémentaires au minimum légal, il est intéressant de relater les résultats descriptifs de cet article. Pour les annexes des comptes consolidés, environ 14% des groupes observés ne publient aucune information dans les annexes et environ 39% ne respectent pas tout ou partie de leurs obligations en la matière. Le contenu du rapport de gestion est également peu informatif : 43% des groupes n’ y publient que des informations incomplètes. Seuls 34% des groupes étudiés font un effort de publication supérieur à la norme requise, en divulguant une ou plusieurs des informations suivantes : résultats net et d’ exploitation, total des actifs, autofinancement ou investissement. 79 : Implications du modèle de Gertner, Scharfstein et Stein (1994). 131 Le fait que le dirigeant, qui, au sein d’ un marché interne est également le pourvoyeur de fonds, détienne des droits de contrôle exclusifs sur l’ utilisation des actifs d’ une division engendre donc deux conséquences fondamentales sur la politique d’ investissement des divisions : - conséquence positive : une fonction de contrôle accrue80 et des flux d’ information de meilleure qualité garantissant la mise en œuvre d’ une politique d’ investissement efficiente. - conséquence négative : une baisse de motivation du manager de division et une hausse de la probabilité de comportements opportunistes contraires à l’ objectif de maximisation de la valeur de l’ ensemble. 1.1.1 Autre configuration : un dirigeant unique gère plusieurs divisions La seconde étape de l’ analyse consiste à envisager le cas où un dirigeant unique doit gérer plusieurs divisions, chacune contrôlée par un manager81. Dans cette situation, le modèle de Stein (1997) prouve que le dirigeant dispose d’ une plus grande latitude pour redistribuer les ressources entre les différentes divisions sous son contrôle (par rapport à un banquier). Concrètement, supposons l’ existence de deux divisions distinctes D1 et D2, chacune ayant la capacité de collecter une unité de financement (actifs servant de garantie et résultats financiers corrects). Un dirigeant a alors l’ opportunité de lever deux unités de financement, en s’ appuyant sur la valeur de garantie des actifs des deux divisions, et d’ affecter ces fonds uniquement à la division D1. En d’ autres termes, le dirigeant s’ engage dans une sélection efficace des projets d’ investissement à financer en priorité (« winner-picking »). Si les deux divisions fonctionnent comme des entités indépendantes empruntant les fonds auprès d’ une banque, il ne pourrait imposer une telle restructuration : s’ il décide de ne pas accorder de 80 : La fonction de contrôle peut avoir pour conséquence un remplacement plus fréquent et plus efficient des managers de divisions. McNeil, Niehaus et Powers (2002) développent un modèle issu de la littérature économique sur le marché du travail. Le fil conducteur du raisonnement est le suivant : lorsque le manager (agent) est congédié, l’ agent et le principal ne connaissent pas les capacités du manager avec certitude. Le principal utilise les performances ex post comme base de décision : celles-ci dépendent de la qualité du manager mais également de facteurs aléatoires. Si l’ on suppose que les dirigeants de conglomérats sont plus compétents et/ou motivés pour identifier correctement les capacités du manager par rapport aux facteurs aléatoires que les conseils d’ administration, ces dirigeants s’ appuieront plus largement sur le niveau de performance ex post. Par conséquent, le turnover des managers de filiales sera plus sensible aux performances que celui des managers de firmes indépendantes. Les résultats empiriques de McNeil, Niehaus et Powers (2002) valident cette dernière hypothèse : la sensibilité turnover/performance est trois fois supérieure pour les divisions que pour les firmes indépendantes (ceci en incluant dans l’ analyse diverses variables de contrôle : l’ âge du manager, la structure de propriété et les performances boursières). 81 : Cette seconde étape ne tient compte que du conflit d’ agence entre les managers de divisions et le dirigeant du conglomérat. 132 fonds à la division D2, M2 pourra se tourner vers d’ autres organismes de crédit proposant une offre de financement adaptée. Les droits de contrôle du dirigeant lui permettent d’ empêcher M2 de rechercher d’ autres sources de financement. Les actifs de D2 appartiennent au dirigeant, et celui-ci peut interdire à M2 d’ utiliser ces actifs comme garantie d’ une transaction à laquelle il s’ oppose. Ces développements rejoignent l’ idée de Hart et Moore (1990), qui notent que « le seul droit conféré au détenteur d’ un actif réside dans sa capacité d’ exclure tout autre agent de son utilisation. » (p.1121). Une question émerge alors sur l’ usage à des fins créatrices de valeur de cette autorité de la part du dirigeant. De plus, cette structure de pouvoir provoque des conséquences directes (positives et négatives) sur l’ efficience ex post de la politique d’ investissement. D’ un côté, Milgrom et Roberts (1988) et Meyer, Milgrom et Roberts (1992) pensent que les managers de divisions s’ attachent à poursuivre des activités d’ influence non rentables pour convaincre le dirigeant de leur accorder une plus grande part relative du budget total. Alternativement, Brusco et Panunzi (2000) et Inderst et Laux (2000) démontrent que la menace d’ un redéploiement d’ actifs contribue à diminuer la motivation du manager de division. Puisqu’ il n’ est pas certain en effet de pouvoir réinvestir les bénéfices dégagés par sa division, il consacrera proportionnellement moins d’ efforts à la recherche du profit maximal. Cependant, l’ analyse de Stein (2001) souligne que l’ autorité inhérente au statut de dirigeant du conglomérat peut également avoir des effets positifs ex ante. Dans la mesure où la volonté de convaincre le dirigeant conduit les managers à une gestion efficace, en dévoilant des informations supplémentaires sur les perspectives financières de la division, l’ efficience totale peut être améliorée dans certaines circonstances. 1.1.2 Prise en compte de la relation d’ agence entre le dirigeant du conglomérat et les investisseurs externes Une autre ligne de raisonnement consiste à considérer le dirigeant du conglomérat comme l’ agent des actionnaires externes : cette nouvelle relation d’ agence lève l’ hypothèse d’ un dirigeant agissant automatiquement en fonction des intérêts des actionnaires du conglomérat. Ainsi, un modèle généralisé du processus d’ allocation interne du capital doit intégrer deux types de relations d’ agence : celle entre le dirigeant et ses actionnaires, et celle entre les managers de divisions et le dirigeant. Cette relation d’ agence à deux vitesses a déjà été envisagée dans d’ autres modèles ne traitant pas de l’ allocation interne du capital. Par exemple, l’ article de Diamond (1984) sur l’ intermédiation reconnaît explicitement 133 l’ importance des relations d’ agence entre la banque et les investisseurs. Cependant, il faut comprendre que l’ effet de la relation d’ agence entre le principal (l’ actionnaire final) et les agents (dirigeant ou banque) dépend étroitement de la structure des droits de contrôle régissant la relation d’ agence au niveau inférieur de l’ organisation (dans notre exemple, celle entre le dirigeant et les managers de divisions). Dans le modèle de Diamond (1984), où la banque n’ a pas l’ autorité suffisante pour transférer la totalité des fonds d’ une catégorie de clients vers une autre, la diversification dans de multiples projets s’ avère être un instrument utile pour atténuer le problème d’ agence en haut de la hiérarchie (entre dirigeants et actionnaires principaux de la banque). En comparaison, sur un marché interne de capital, où le dirigeant dispose de l’ autorité nécessaire, la diversification peut dans certains cas aggraver les effets liés à ce même niveau de relation. Cette hypothèse est à la base des règles d’ allocation interne du capital dans le modèle de Scharfstein et Stein (2000). Ce modèle met en évidence un phénomène de « socialisme » dans les structures conglomérales, où un transfert de richesse s’ opère entre les divisions rentables et non rentables : une organisation conglomérale ne parvient pas à maîtriser les dépenses en capital des divisions les moins performantes. En s’ appuyant sur les implications de la théorie de l’ agence, Scharfstein et Stein (2000) examinent les rapports d’ intérêts entre trois catégories d’ agent : l’ investisseur externe, la direction du conglomérat et les managers de divisions. La direction du groupe est obligée de verser une compensation supplémentaire au manager de division pour le dissuader d’ investir et de consacrer du temps à des activités non rentables : cette rémunération supplémentaire s’ avère, dans certaines situations, plus importante pour les managers des divisions les plus faibles. En effet, le coût d’ opportunité pour ces managers d’ agir contre les intérêts de la firme est plus faible, ainsi la menace d’ un comportement opportuniste est-elle crédible. Cependant, cette recherche de rentes privées ne génère pas directement des dysfonctionnements dans l’ allocation des ressources au sein du conglomérat : la direction pourrait par exemple rémunérer les managers grâce aux liquidités internes, cette compensation n’ influencerait pas la politique d’ allocation du capital. Si l’ on introduit dans le raisonnement les problèmes d’ agence entre la direction du groupe et les investisseurs externes, il est alors possible de mettre en évidence la cause de l’ inefficience des marchés internes. Les investisseurs externes préféreraient que les fonds versés aux managers proviennent des cash-flows internes, mais ils ne peuvent pas l’ imposer. Cette tâche est déléguée naturellement à la direction du groupe. Le modèle montre, qu’ en tant qu’ agent, la direction considère qu’ il est moins coûteux pour elle de modifier la politique d’ investissement 134 en faveur des divisions non rentables que de respecter les attentes des investisseurs externes82. Les deux formes de relation d’ agence permettent donc d’ expliquer comment certains managers de division bénéficient de budgets supplémentaires. 1.2 Hypothèse d’ efficience des marchés internes : avantages liés à l’ allocation interne des fonds De nombreux articles (Lamont, 1997, et Shin et Stulz, 1998, entre autres) soulignent que l’ allocation des ressources au sein des firmes diversifiées diffère de celle des firmes indépendantes et spécialisées : l’ allocation interne entre les divisions semble ignorer les indicateurs de marché classiques mesurant la rentabilité des investissements, comme le Q de Tobin. La littérature théorique identifie plusieurs mécanismes grâce auxquels l’ allocation du capital sur un marché interne conduit à une augmentation ou une réduction de l’ efficience, par rapport à une référence constituée par le fonctionnement d’ un marché externe. Si l’ on suppose l’ absence de synergies opérationnelles, il existe deux moyens liés à la politique financière pour créer de la valeur en regroupant différents métiers sous une seule et même firme (centre décisionnel unique). Dans un premier temps, cette forme d’ intégration permet de collecter proportionnellement plus de fonds externes que si les unités fonctionnaient comme des entités indépendantes : cet effet est bénéfique s’ il existe en moyenne un problème de sous-investissement. Lewellen (1971) suggère que la co-garantie représentée par les actifs des divisions (non corrélés entre eux) tend à augmenter la capacité d’ endettement des firmes intégrées. Inderst et Muller (2003) apportent un éclairage récent et nouveau sur cette question, en montrant comment l’ existence d’ un marché interne façonne la nature du contrat financier optimal liant la firme et ses investisseurs externes. Cependant, Berger et Ofek (1995) et Comment et Jarrell (1995) remettent en question la pertinence de cette hypothèse en prouvant empiriquement que les firmes intégrées n’ empruntent que marginalement plus que des firmes indépendantes comparables (secteur et taille). D’ autre part, Hadlock, Ryngaert et Thomas (1998) ont construit un modèle dans lequel la diversification parvient à atténuer le problème de sousinvestissement de Myers et Majluf (1984), en agrégeant le risque de chaque entité et en 82 : Ce résultat dépend de la nature du contrat financier optimal qui lie la direction du groupe et les investisseurs. 135 réduisant la variance de l’ information privée détenue par les managers en interne83. En accord avec cette hypothèse, les auteurs trouvent que les émissions d’ actions de la part de firmes diversifiées engendrent des effets d’ annonce moins négatifs que celles réalisées par des firmes indépendantes comparables. Dans un second temps, à capacité de financement égale, un marché interne offre l’ opportunité d’ allouer de manière plus efficiente un montant donné de ressources entre différents projets d’ investissement. Cette hypothèse a été évoquée entre autres par Alchian (1969)84, Williamson (1975) et Donaldson (1984)85 et repose sur deux arguments essentiels : - le dirigeant régissant le marché interne de capital a accès à une partie de l’ information privée sur les perspectives financières des divisions appartenant au groupe ; - ce dernier utilise cet avantage informationnel pour entreprendre une réallocation active des fonds entre les différentes divisions (« winner-picking »). Plusieurs articles théoriques86 relient explicitement la performance de l’ une ou des deux fonctions (contrôle et sélection efficiente) aux droits de contrôle particuliers détenus par le dirigeant sur un marché interne de capital. Stein (1997) met en évidence que la sélection efficiente réalisée par le dirigeant est plus abordable lorsque les divisions d’ une même firme opèrent dans des activités liées. La logique du raisonnement repose sur l’ idée d’ une évaluation relative des projets d’ investissement : dans l’ objectif de distribuer de manière plus efficiente un montant fixe de ressources, la valeur absolue des projets (VAN) n’ a que peu d’ importance par rapport à la valeur relative de chaque projet par rapport aux autres. Comparer la performance relative de chaque projet est plus aisé lorsque ceux-ci concernent des activités liées. Cet avantage dû au fonctionnement des marchés internes de capitaux émerge naturellement lorsque l’ on considère que le dirigeant agit dans l’ intérêt des investisseurs externes. Mais, il peut également exister le même phénomène si l’ on suppose que le dirigeant possède des objectifs personnels distincts (conflit d’ agence). Ce point est développé par Stein (1997). La recherche de bénéfices privés et la 83 : Afin de modérer cet argument, les professionnels supposent fréquemment que les firmes diversifiées éprouvent des difficultés à recourir au financement externe, car la complexité de leur structure rend plus délicate l’ évaluation de la valeur de l’ ensemble par les investisseurs externes (Nanda et Narayanan, 1999). 84 : Op. cité Gertner, Scharfstein et Stein (1994), p. 1212. 85 : Op. cité Stein (1997), p.112. 136 tendance à vouloir constituer des « empires » peuvent amener le dirigeant à classer les différents projets disponibles selon un ordre conforme aux intérêts des actionnaires, et même s’ ils sur-investissent (du point de vue des actionnaires), leur politique d’ investissement n’ est pas nécessairement contraire à l’ objectif de maximisation. Même s’ il existe certainement des contre-exemples (des dirigeants souhaitant investir uniquement dans des domaines d’ activité où ils détiennent des compétences spécifiques, Shleifer et Vishny, 1989), l’ existence d’ un comportement opportuniste, seule, n’ est pas antithétique avec l’ efficience de l’ allocation interne du capital. Au vu de ces développements, il est nécessaire d’ isoler les caractéristiques d’ un marché interne efficient. Lorsqu’ une firme ne possède que des fonds limités pour investir, un marché interne efficient devrait orienter les fonds vers les opportunités les plus rentables. De ce constat, on peut déduire les conditions d’ un fonctionnement efficient : (1) Dans l’ allocation des ressources en interne, la priorité doit être accordée aux divisions disposant des opportunités investissement les plus rentables. (2) Les investissements d’ une division doivent être moins sensibles au niveau de ses propres cash-flows qu’ à celui des autres divisions. (3) Les fonds alloués à une division diminuent lorsque les autres divisions disposent de projets plus rentables. Si les objectifs des managers de divisions sont favorables à une croissance rentable de la firme, et si leurs intérêts s’ alignent avec ceux des dirigeants du groupe (absence de conflits d’ intérêts), ces derniers favorisent alors les divisions rentables et se défont des non performantes. Dans une situation où le coût des ressources externes est élevé, où la firme est fortement endettée et ne détient pas d’ investissements profitables, les cash-flows seront un moyen de financement essentiel des investissements. Les autres divisions bénéficieront alors du mécanisme d’ allocation des ressources si la division la plus importante possède des ressources en excès et peu d’ options d’ investissement. Le transfert des fonds internes s’ opère en faveur des plus petites divisions appartenant à des industries à fort taux de croissance. 86 : Voir notamment Gertner, Scharfstein et Stein (1994), Stein (1997) et Matsusaka et Nanda (2000). 137 1.2 Hypothèse d’ inefficience des marchés internes : inconvénients liés à l’ allocation interne des fonds Parallèlement aux développements précédents, la littérature théorique identifie deux caractéristiques du fonctionnement des marchés internes entraînant une perte de valeur. Tout d’ abord, si l’ on suppose une tendance générale au sur-investissement, la possibilité de collecter proportionnellement plus de fonds (budget plus important pour une division appartenant à un groupe que pour une firme indépendante) devient un élément problématique. De plus, si le niveau d’ investissement global est maintenu constant, plusieurs arguments théoriques évoquent l’ existence de dysfonctionnements dans l’ allocation du capital en interne. Les recherches récentes se sont surtout intéressées au deuxième point : ces travaux incluent les articles de Rajan, Servaes et Zingales (2000), de Scharfstein et Stein (2000) et de Wulf (1999), et se concentrent sur les divergences d’ intérêts entre les managers de divisions et le dirigeant du conglomérat. A la suite des articles sur les activités d’ influence (Milgrom et Roberts, 1988, et Meyer, Milgrom et Roberts, 1992), les managers de divisions sont décrits comme des agents opportunistes tentant activement de détourner auprès du dirigeant des compensations, du pouvoir et des ressources supplémentaires87. Introduire dans le raisonnement la relation d’ agence entre les managers de divisions et le dirigeant est une étape nécessaire, mais non suffisante, à la fondation d’ un modèle général sur l’ inefficience des marchés internes. Par exemple, dans le modèle de Meyer, Milgrom et Roberts (1992), les managers essaient d’ influencer le dirigeant pour obtenir une part significative du budget en surestimant volontairement leurs perspectives de croissance, mais ce dernier réagit rationnellement en reconnaissant ce type de comportement. La seule inefficience ici est représentée par le temps et les efforts gaspillés par les managers pour exercer cette pression inutile. D’ autres modèles soulignent les efforts des managers pour améliorer leur pouvoir de négociation vis-à-vis du dirigeant, en se créant des options externes et en rendant leur remplacement problématique (Shleifer et Vishny, 1989, Edlin et Stiglitz, 1995). Ces modèles mettent en lumière les méthodes utilisées par les managers pour obtenir des compensations supplémentaires auprès du dirigeant, mais ne parviennent pas à expliquer pourquoi ces fonds 87 : Bagwell et Zechner (1993) offrent une illustration convaincante du concept de coûts d’ influence. 138 sont distribués sous forme de ressources budgétées en excès plutôt que de rétributions financières directes. Le modèle de Rajan, Servaes et Zingales (2000) aborde cette question en considérant que le dirigeant agit dans l’ intérêt des actionnaires existants (le seul conflit d’ agence envisagé est celui entre les managers de divisions et le dirigeant). Lorsque les opportunités d’ investissement diffèrent entre les divisions, l’ allocation du capital réalisée par le dirigeant s’ éloigne du point d’ efficience pour prendre la forme d’ une allocation « socialiste » des fonds, où les divisions les moins profitables reçoivent proportionnellement plus de fonds. Ce phénomène intervient dans leur modèle en raison de la nature de la technologie : un budget en capital équitable tend à améliorer la motivation des managers pour s’ engager en coopération dans des activités créatrices de valeur, à l’ opposé des comportements opportunistes. En résumé, Rajan, Servaes et Zingales (2000) supposent que le budget d’ investissement est un instrument pour le dirigeant, le principal, pour contenir les activités de recherche de rentes privées de la part des managers. Selon un autre fonctionnement, le modèle de Wulf (1999) considère également que les règles d’ allocation du capital en interne constituent un mécanisme de contrôle des comportements opportunistes des dirigeants. En comparaison, l’ hypothèse fondamentale du modèle de Scharfstein et Stein (2000) repose sur l’ existence de deux types de relation d’ agence, avec un dirigeant agissant selon ses propres intérêts (non conformes à ceux des actionnaires). Dans leur raisonnement, les managers des divisions les moins rentables sont aussi les plus enclins à avoir un comportement opportuniste, ceci obligeant le dirigeant à leur accorder des compensations plus importantes. Si le dirigeant était le principal, la compensation se ferait grâce à un transfert de « cash », et le processus d’ allocation du capital serait efficient. Mais s’ il est lui-même agent des investisseurs externes, cette option lui paraît plus coûteuse que celle consistant à déséquilibrer le budget d’ investissement en faveur des divisions les moins rentables : le dirigeant conserve alors les cash-flows pour d’ autres usages plus privés. Ce modèle partage avec celui de Rajan, Servaes et Zingales (2000) la conclusion générale sur une forme de « socialisme » dans l’ allocation du capital. De plus, les deux modèles s’ accordent sur le fait que le problème sera d’ autant plus sévère que les opportunités d’ investissement des divisions diffèrent (mesurée par le Q de Tobin au niveau de l’ industrie). La seule différence notable entre les deux articles réside dans le fait que Scharfstein et Stein (2000) montrent que les 139 effets négatifs liés au phénomène de « socialisme » sont proportionnels à l’ intensité du conflit d’ intérêts qui oppose le dirigeant et les investisseurs externes. Le tableau 16 résume l’ ensemble des arguments qui permettent d’ identifier les spécificités du fonctionnement d’ un marché interne, en les regroupant selon les hypothèses d’ efficience et d’ inefficience. Tableau 16 : Synthèse des apports théoriques Hypothèse d’efficience Hypothèse d’inefficience - Collecte d’un montant plus élevé de fonds - Tendance générale au sur-investissement accrue en raison de la disponibilité d’ un montant plus en valeur absolue : Co-garantie représentée par les actifs des autres important de ressources. - Dysfonctionnements divisions du conglomérat. - Allocation plus efficiente d’un montant donné de ressources : des fonds en interne : Sélection efficace des projets d’ investissement à entreprendre et rotation des fonds entre divisions (transfert de ressources des divisions non rentables vers les divisions rentables). dans la répartition 1/ Relations d’ agence multiples : managers de divisions / dirigeant du conglomérat, et dirigeant du conglomérat / investisseurs externes : Phénomène de socialisme et subventionnement des divisions non rentables par les divisions rentables. 2/ Activités d’ influence des managers de divisions visà-vis du dirigeant du conglomérat : les ressources ne sont pas forcément affectées aux divisions rentables. 1.3 Synthèse des différentes avancées théoriques : dans quelles circonstances la création d’ un marché interne est-elle efficiente ? Plutôt que d’ envisager séparément les avantages et les inconvénients des marchés internes de capitaux, il semble plus pertinent de synthétiser les différents apports et de dégager des prédictions sur les relations en coupe transversale. Tout d’ abord, un marché interne de capital est une alternative profitable pour les firmes membres de groupe lorsque le marché financier externe local est sous-développé ou en voie de développement, en raison par exemple de faiblesses au niveau de l’ environnement légal et contractuel, du système comptable ou des mécanismes de protection des actionnaires. Dans le cas extrême où le manque fondamental de mécanismes de protection des investisseurs décourage ces derniers de fournir du capital, les firmes ne comptent que sur les bénéfices dégagés pour investir : un marché interne représente alors l’ unique moyen de transférer des ressources d’ une entité à l’ autre. Hubbard et Palia (1999) utilisent cet argument pour montrer 140 que la vague de création de conglomérats dans les années 60 et 70 aux Etats-Unis était a posteriori profitable pour les firmes ayant choisi cette forme d’ organisation. De plus, plusieurs tests empiriques tentent de vérifier les avantages en termes d’ investissement et de performance de l’ appartenance à un groupe de sociétés ou à une société holding, dans des pays où les marchés financiers sont moins développés qu’ aux Etats-Unis : Khanna et Palepu (2000) en Inde, Shin et Park (1999) en Corée et Praet (2002) en Belgique. Les modèles théoriques relatant les inconvénients des marchés internes s’ accordent pour conclure que le fonctionnement d’ un marché interne devient problématique lorsque l’ écarttype des rentabilités des opportunités d’ investissement au niveau des divisions est important (Rajan, Servaes et Zingales, 2000). Troisièmement, les problèmes d’ allocation interne du capital semblent être plus sévères lorsque : (i) les managers de divisions ont pour objectif de maximiser le montant des ressources allouées à leur propre division plutôt que de maximiser les bénéfices de l’ ensemble du conglomérat, (ii) les managers de divisions détiennent un pouvoir de négociation significatif vis-à-vis du dirigeant (capital humain spécifique), et peuvent exercer une pression sur ce dernier pour déséquilibrer en leur faveur le processus d’ allocation du capital. Pour illustrer ces idées, considérons le cas de General Electric (GE) qui a longtemps été considérée comme l’ exemple du conglomérat diversifié américain rentable : GE a adopté une politique consistant à opérer une rotation régulière des managers de divisions dans les différentes activités du groupe. Selon la logique précédente, cette politique comporte deux avantages particuliers. Les managers ne tenteront plus de réclamer des fonds supplémentaires pour la croissance d’ une division qu’ ils risquent de quitter rapidement. De plus, cette rotation des équipes dirigeantes empêche les managers d’ acquérir des compétences spécifiques et limite ainsi leur pouvoir de négociation vis-à-vis du dirigeant. 141 1.4 Typologie des modèles d’ allocation du capital en interne 1.4.1 Modèles d’ efficience Outre les développements de Williamson (1975) et Donaldson (1984)88, les principaux modèles d’ efficience sont ceux de Stein (1997), de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) et de Matsusaka et Nanda (2000) 89. Les deux hypothèses qui sous-tendent le modèle de Stein (1997) correspondent à l’ existence de contraintes de crédit significatives, non seulement lorsqu’ un projet d’ investissement unique est financé sur le marché externe, mais également lorsque la direction tente de lever des fonds pour financer plusieurs projets90, et à la détention de la part de la direction des droits de contrôle garantissant un contrôle accru des activités des managers, mais aussi une sélection efficace des projets d’ investissement. Cette autorité leur permet notamment de transférer les fonds d’ une division à l’ autre. La principale implication du modèle postule que la sélection des projets d’ investissement semble plus efficace au sein d’ un marché interne, même si la direction ne parvient pas à lever la totalité des contraintes de crédit. Le modèle de Gertner, Scharfstein et Stein (1994) repose en grande partie sur l’ argument qu’ un marché interne offre à la direction de la firme les droits de contrôle résiduels sur l’ utilisation des actifs. Ainsi, ces droits de contrôle reviennent aux fournisseurs de capital, alors que dans une relation de crédit classique, ces droits sont détenus par le manager. De cette hypothèse découle trois implications essentielles : une fonction de contrôle accrue (flux d’ information de meilleure qualité entre le fournisseur et l’ utilisateur des fonds), une baisse de motivation des managers (ces derniers sont plus vulnérables face à d’ éventuels comportements opportunistes de la part de la direction), et un redéploiement efficient des actifs non performants (ces actifs peuvent être associés directement à d’ autres actifs de la firme). 88 : Op. cité Stein (1997), p. 112. : Il a été souvent évoqué que la réallocation des ressources est l’ une des missions les plus importantes attachées au statut de direction : « Sur de nombreux points, l’ affectation des cash-flows à des fins rentables est l’ un des attributs fondamentaux des firmes M » (Williamson, 1975, p. 147). 90 : Les contraintes de crédit sont modélisées en supposant que les managers et la direction détournent des bénéfices privés qui augmentent en fonction du montant des ressources sous leur contrôle. 89 142 Matsusaka et Nanda (2000)91 développent une théorie d’ organisation centrée sur les coûts et bénéfices liés à l’ existence des marchés internes de capitaux. L’ hypothèse qui sous-tend le raisonnement souligne que le coût de transaction des fonds externes est supérieur à celui des fonds internes. L’ avantage d’ un redéploiement de ressources au sein d’ un marché interne est l’ option qui permet d’ éviter d’ avoir recours au marché externe : ceci distingue les firmes membres de groupe des firmes indépendantes. L’ inconvénient principal d’ un marché interne est au contraire l’ exacerbation du problème de sur-investissement, due aux conflits d’ agence. L’ étendue optimale du groupe (spécialisation versus diversification) est déterminée par l’ arbitrage réalisé entre la valeur de l’ option du financement interne et le coût du surinvestissement. Dans le modèle, l’ efficience d’ une intégration ou d’ une séparation des firmes dépend principalement de la correspondance entre le droit aux cash-flows et le droit de vote. L’ analyse théorique offre notamment des hypothèses testables sur le niveau d’ investissement et la sensibilité investissement/cash-flows des divisions, et sur la décote liée à la diversification. Le modèle dégage quelques hypothèses testables empiriquement, certaines d’ entre elles allant à l’ encontre des intuitions identifiées dans d’ autres articles. Par exemple, l’ existence d’ un marché interne efficient n’ implique pas nécessairement que : - la firme multidivisionnelle fasse appel moins souvent au marché financier externe (Comment et Jarrell, 1995) ; - l’ investissement des entités les plus productives soit moins sensible aux variations des cash-flows que celui des entités les moins productives (Shin et Stulz, 1998) ; - les firmes diversifiées investissent moins (ou autant) que des firmes comparables dans les secteurs les moins productifs (Rajan, Servaes et Zingales, 2000). Le modèle de Matsusaka et Nanda (2000) prouve que les relations identifiées par les articles précédents peuvent avoir des signes différents en fonction des variations des paramètres financiers. De plus, le modèle génère d’ autres implications totalement nouvelles sur la relation entre la décote liée à la diversification et l’ existence d’ un marché interne de capital : - la valeur d’ un marché interne dépend de façon non monotone du volume des ressources internes. En effet, il serait probable que l’ intégration soit d’ autant plus profitable que les 91 : Ce modèle peut également être classé avec les modèle d’ agence à une relation. 143 flux de fonds internes sont abondants. Cependant, ce raisonnement n’ est correct que dans certaines conditions. L’ opportunité de répartir les fonds entre les divisions représente surtout une option pour éviter les coûts liés au financement externe. Lorsque le groupe dans son ensemble dispose de ressources internes suffisantes pour financer tous les projets d’ investissement rentables, l’ option n’ a plus de valeur et les coûts d’ agence du surinvestissement dominent. - La valeur d’ un marché interne augmente lorsque la variabilité des opportunités d’ investissement s’ accroît. Cette variabilité contribue en effet à augmenter la valeur de l’ option réelle. - Une baisse d’ opportunités d’ investissement dans le secteur principal d’ une firme diversifiée rend la diversification moins attractive lorsque les ressources sont abondantes, et plus attractive lorsque les ressources sont rares. Si le secteur principal stagne ou décline, les cash-flows pour investir dans d’ autres secteurs plus risqués sont gelés. Si les cash-flows sont faibles, cette situation augmente la valeur de l’ option réelle. Si les cashflows sont élevés, le problème du sur-investissement est aggravé. 1.4.2 Modèles d’ agence On distingue au sein de cette catégorie les développements reposant sur l’ existence de relations d’ agence à un niveau, les modèles de coûts d’ influence et les modèles d’ agence à deux niveaux. Les trois modèles de Gautier et Heider (2001), de Inderst et Laux (2000) et de Rajan, Servaes et Zingales (2000) reposent sur l’ existence d’ un conflit d’ intérêts entre les managers de divisions et la direction du conglomérat (une seule relation d’ agence). Ils supposent que l’ autorité et le pouvoir que détient la direction sur l’ allocation des ressources entraînent une baisse de motivation des managers. Le problème principal réside dans l’ aptitude de la direction à inciter les managers à entreprendre des projets d’ investissement rentables pour la firme. Gautier et Heider (2001) considèrent qu’ une division performante sur une période n’ est pas forcément rentable sur les périodes qui suivent, et envisagent donc l’ allocation du capital dans un modèle dynamique : le marché interne a alors pour fonction de répartir les fonds, non 144 seulement entre les divisions, mais aussi d’ une période à l’ autre, en prévoyant l’ évolution des performances des différentes divisions au cours du temps. Une seconde tâche importante est dévolue à la direction du conglomérat lors de la redistribution des fonds. En effet, les dirigeants n’ ont pas les compétences nécessaires pour gérer la variété d’ actifs productifs sous leur contrôle et font donc appel au savoir-faire de managers. La deuxième fonction essentielle des dirigeants est alors de déterminer une forme de contrat incitatif vis-à-vis des managers, ayant pour but de favoriser l’ efficience de chaque division. La principale implication du modèle détermine l’ émergence de coûts de gestion et de contrôle pour assurer le fonctionnement d’ un marché interne, ces coûts ne résultant pas des transferts de fonds entre divisions rentables et non rentables. L’ hypothèse qui justifie ce raisonnement suppose que la direction peut rédiger un contrat incitatif complet de manière bilatérale avec chaque manager, sans parvenir à une forme multilatérale de contrat permettant de fixer les règles de répartition des ressources entre divisions. Cette incapacité d’ identifier ex ante (avant que les managers décident ou non de consacrer des efforts productifs et du temps à la gestion de leur division) quelle division recevra des fonds supplémentaires et quelle division verra sa part de budget d’ investissement diminuée est à l’ origine de la décote de valeur observée pour les firmes diversifiées. Le point de départ du raisonnement de Inderst et Laux (2000) est l’ existence d’ un problème de motivation et d’ une tendance des managers à accroître le montant des ressources qui sont affectées à leur division : il existe donc une compétition entre les managers au sein des conglomérats. Les dirigeants du conglomérat disposent de deux moyens substituables pour inciter les managers à réaliser des efforts productifs, notamment dans la collecte d’ informations privées : l’ allocation des fonds et un système de compensations financières directes. Une des implications principales du modèle (qui rejoint les conclusions du modèle de Rajan, Servaes et Zingales, 2000) réside dans le fait que la motivation des managers et la valeur de la firme diminuent proportionnellement à la diversité des opportunités d’ investissement. Rajan, Servaes et Zingales (2000) modélisent les dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds que peuvent engendrer les luttes de pouvoir au sein des marchés internes. Les 145 auteurs supposent que les managers de divisions ont le choix entre deux projets d’ investissement : l’ un efficient et l’ autre défensif. Même si le premier type d’ investissement contribue à maximiser la valeur de la firme, les managers préfèrent l’ investissement défensif (les retombées leur seront directement attribuées), surtout lorsque le montant des ressources et la rentabilité des investissements sont plus élevés que ceux des autres divisions. En effet, si les managers entreprennent l’ investissement efficient, ils devront partager le surplus de valeur avec les autres divisions. Ces dysfonctionnements proviennent de l’ incapacité des dirigeants à préciser les règles de partage des surplus dégagés : pourtant ces derniers doivent transférer les fonds ex ante. Certains transferts seront réalisés car des divisions possèdent des opportunités rentables, mais d’ autres auront pour but d’ inciter les autres divisions à entreprendre le projet efficient. Dans ce cas, ces transferts contribueront à diminuer la diversité des opportunités et des ressources entre les divisions et consisteront à subventionner les divisions peu rentables au détriment des divisions rentables. L’ allocation inefficiente résulte de la volonté de diminuer la diversité des caractéristiques des investissements entre les divisions. Les coûts d’ influence proviennent de deux sources. Tout d’ abord, le temps « gaspillé » par les managers pour influencer les dirigeants sur la procédure d’ allocation interne des fonds n’ est pas consacré à des activités productives, créatrices de valeur (Meyer, Milgrom et Roberts, 1992). De plus, les activités d’ influence tendent à « brouiller » l’ information reçue par les autres acteurs (notamment les dirigeants) et conduisent à des décisions de gestion non optimales (Wulf, 2000). Dans le modèle de Wulf (2000), ces activités d’ influence ont pour conséquences directes une allocation inefficiente des fonds entre les divisions et des politiques d’ investissement non conformes à l’ objectif de maximisation de la valeur. Pour réaliser une sélection des projets d’ investissement à entreprendre, les dirigeants s’ appuient sur des flux d’ information privés (qui peuvent être manipulés) et des flux d’ information publique (non manipulables). En raison de l’ existence de comportements opportunistes, Wulf (2000) démontre que les managers des divisions de grande taille peuvent perturber la transmission des informations privées concernant les perspectives financières des projets d’ investissement des petites divisions, opérant dans des secteurs où l’ information publique n’ est pas disponible. 146 Laux (2002) propose un modèle original, dans lequel les activités d’ influence engendrent des coûts significatifs pour les managers de divisions et non pour la direction des conglomérats. Une procédure d’ allocation des fonds, où les dirigeants incitent les managers à entreprendre des activités d’ influence, peut avoir des conséquences positives sur la motivation de ces derniers. Cette procédure particulière permet, d’ une part, de contrôler la tendance qu’ ont les managers à surestimer les perspectives financières des projets d’ investissement disponibles, et, d’ autre part, d’ inciter ces derniers à collecter des informations coûteuses sur les caractéristiques de ces projets. Ainsi, le contrôle de l’ allocation des fonds exercé par les dirigeants ne les rend pas vulnérables aux activités d’ influence des managers, mais au contraire, il leur procure le pouvoir d’ imposer ces activités d’ influence. Enfin, Scharfstein et Stein (2000) ont développé un modèle d’ agence à deux niveaux ; celui-ci ayant été détaillé précédemment (paragraphe 1.2), il n’ est pas exposé ici. Le tableau 17 regroupe la quasi-totalité des modèles théoriques concernant l’ allocation des fonds au sein des marchés internes. Tableau 17 : Typologie des modèles de marché interne de capital Modèles d’efficience Modèles d’agence à un niveau Modèles d’agence et coûts d’influence Modèles d’agence à deux niveaux Williamson (1975) ; Donaldson (1984)92 ; Stein (1997) ; Matsusaka et Nanda (2000) ; Gertner, Scharfstein et Stein (1994). Rajan, Servaes et Zingales (2000) ; Gautier et Heider (2001) ; Inderst et Laux (2000). Wulf (1999 ; 2000) ; Laux (2002) ; Meyer, Milgrom et Roberts (1992). Scharfstein et Stein (2000). La littérature théorique récente a produit une multitude d’ implications testables. La grande majorité des tests se sont concentrés sur l’ analyse des conglomérats américains. Cependant, quelques articles ont tenté la transposition des conclusions théoriques au contexte des groupes. Le paragraphe suivant dissèque les résultats des tests des hypothèses d’ efficience et d’ inefficience. 92 : Op. cité Stein (1997), p. 112. 147 II – Revue de la littérature empirique Les tests empiriques se sont tout d’ abord attachés à prouver le lien entre le montant de la décote de diversification et l’ inefficience des marchés internes. Puis, des articles plus récents ont tenté d’ analyser en détail les mécanismes de rotation des fonds entre les divisions. 2.1 Existence d’ un marché interne de capital et valeur des firmes diversifiées 2.1.1 Diversification et la valeur de la firme Même si la littérature sur la diversification ne traite pas exclusivement de l’ efficience des marchés internes de capitaux, l’ étude de l’ impact de cette stratégie sur la richesse des actionnaires offre un premier éclairage empirique. En effet, une structure diversifiée offre les conditions d’ existence d’ un marché interne et la possibilité pour la direction de transférer les fonds internes d’ une entité à l’ autre. Dans l’ ensemble, sur les données postérieures à 1980, les articles empiriques s’ accordent sur l’ impact défavorable d’ une telle stratégie sur la valeur de la firme. Par exemple, le marché des actions semble encourager et valoriser positivement les transactions entraînant un recentrage d’ activités, et pénaliser les actions des sociétés annonçant une diversification de leur portefeuille d’ activités, par le biais d’ un rachat93. Cependant, il faut noter qu’ environ un tiers des firmes diversifiées étudiées (selon les tests considérés) possèdent une valeur supérieure à celle de firmes indépendantes comparables. Rajan, Servaes et Zingales (2000) montrent que 39.3% des firmes de leur échantillon (en 1990) présentent un excès positif de valeur. Les mêmes proportions peuvent être déduites des chiffres rapportés par Lang et Stulz (1994), Berger et Ofek (1995) et Servaes (1996), entre autres. Si l’ on considère spécifiquement les études d’ événements, les mêmes conclusions se retrouvent : Schipper et Thompson (1983), Matsusaka (1993), Hubbard et Palia (1999) concluent à l’ existence d’ une réaction positive des cours pour les firmes annonçant des opérations de diversification dans le milieu des années 1970. Pour les années 1980, Morck, Shleifer et Vishny (1990) rapportent des réactions négatives ; les résultats de Kaplan et Weisbach (1992) sont mitigés et Hyland (1999) trouve des rentabilités positives à l’ annonce. 93 : Se reporter par exemple à Kaplan et Weisbach (1992), John et Ofek (1995), Comment et Jarrell (1995), Berger et Ofek (1996, 1999), Denis, Denis et Sarin (1997). Contrairement aux travaux précédents, Matsusaka 148 Une mesure de la valeur de l’ effet de la diversification ayant reçu récemment une attention particulière est constituée par la décote liée à la diversification (« diversification discount »). Développée par Lang et Stulz (1994) et Berger et Ofek (1995), la décote compare le prix des actions d’ une firme diversifiée à la valeur intrinsèque de ses différentes divisions, celle-ci étant basée sur une approximation à partir des caractéristiques de firmes de mêmes taille et industrie. A partir de données américaines, les auteurs montrent l’ existence d’ une décote moyenne de l’ ordre de 15%, et interprètent ce résultat comme l’ évidence de la destruction de valeur causée par la diversification. Ces travaux ont été étendus à d’ autres périodes d’ étude et d’ autres pays par Servaes (1996), et Lins et Servaes (1999) entre autres, et les résultats confirment le statut stable du phénomène de décote. D’ autres articles ont tenté de tester l’ hypothèse selon laquelle un marché interne est d’ autant plus profitable que les marchés financiers locaux sont sous-développés, en régressant la valeur de la décote par rapport à diverses variables reflétant le niveau de développement financier national : les résultats de ces premières recherches ne sont que peu concluants. 2.1.2 Problèmes d’ endogénéité et erreurs de mesure De nombreuses recherches sur le thème de la diversification et ses conséquences sur la valeur soulignent l’ existence d’ un biais d’ endogénéité, en raison du fait que seules les firmes non rentables entreprennent à l’ origine une politique de diversification. Fluck et Lynch (1999) apportent une explication théorique de ce phénomène : pourquoi les firmes peu performantes ont-elles intérêt à fusionner ? Lamont et Polk (2001) montrent par ailleurs que la mesure de décote est en partie constituée d’ erreur d’ évaluation, à savoir que les actions des firmes diversifiées possèdent une meilleure rentabilité attendue que celles de firmes comparables. Ces développements suggèrent que, si l’ on prend en compte l’ endogénéité et les problèmes de mesure, la valeur réelle de la décote (associée au lien de causalité entre la diversification et la destruction de valeur), sans disparaître, est largement diminuée. Le scepticisme est également renforcé par les résultats de l’ étude de Chevalier (2000) qui démontrent que, même si les actions des firmes acquéreuses tendent à diminuer lors d’ opérations visant à diversifier les activités, l’ effet combiné sur les valeurs de l’ acquéreur et de la cible est soit proche de zéro, soit faiblement positif. (1993) détermine des rentabilités anormales positives pour les actions des firmes annonçant des opérations de diversification dans les années 60. 149 Même si le débat méthodologique autour de la valeur de la décote est intéressant, il faut noter que, dans le but de tester les implications théoriques sur le fonctionnement des marchés internes de capitaux, la valeur moyenne de cette décote n’ est pas forcément l’ élément central ou la variable la plus pertinente. Globalement, les avancées théoriques ne permettent pas de réaliser des prédictions précises sur l’ effet positif ou négatif lié à la diversification et la création d’ un marché interne de capital : les prédictions théoriques mettent plutôt en évidence les circonstances dans lesquelles un marché interne tend à détruire la valeur (tests en coupe transversale). Il serait ainsi plus constructif de considérer les variations dans la valeur de décote et non sa valeur moyenne. Pour illustrer ce propos, il convient d’ évoquer les articles de Rajan, Servaes et Zingales (2000), et de Lamont et Polk (2002) qui indiquent que la décote augmente proportionnellement avec les mesures de diversité des opportunités d’ investissement existantes. Ces résultats offrent une validation empirique indirecte d’ une implication des théories sur les inconvénients des marchés internes, à savoir qu’ une plus grande différence entre les caractéristiques des opportunités d’ investissements entraîne une allocation moins efficiente du capital en interne. Le test de Billet et Mauer (2001) tente d’ établir un lien direct entre la valeur de la décote et la valeur du marché interne créé. L’ idée originale consiste à mesurer la valeur d’ un marché interne en fonction du montant des transferts de fonds entre les divisions, de la valeur relative des différentes opportunités d’ investissement disponibles au sein de la firme diversifiée et de la probabilité pour que la division soit soumise à des contraintes financières significatives si elle fonctionnait comme une entité indépendante. Les résultats empiriques94 montrent que certaines caractéristiques spécifiques du marché interne représentent des déterminants importants de la décote liée à la diversification. Plus précisément, il semble que les transferts opérés en faveur des petites divisions, soumises à des contraintes financières et disposant d’ opportunités d’ investissement rentables, tendent à augmenter la valeur de la firme diversifiée dans son ensemble. A l’ inverse, une diminution des fonds affectés aux divisions présentant des opportunités rentables conduit à une baisse de valeur de la firme diversifiée. L’ agrégation de l’ ensemble des résultats de l’ étude semble indiquer que le degré de contraintes financières est un déterminant fondamental de la relation entre la valeur du marché interne et la valeur de la firme diversifiée. 94 : L’ échantillon est composé de 3 734 observations, relatives à 844 divisions sur la période 1990-1998. 150 2.2 Existence d’ un marché interne actif : rotation des fonds entre les divisions Existe-t-il en réalité une réallocation active des fonds entre les différentes divisions d’ un groupe ? Concrètement, cette question peut être reformulée de la manière suivante : si l’ on considère que les perspectives d’ investissement et les cash-flows de D1 sont constants, les investissements de D1 sont-ils influencés par les cash-flows de D2 ? Le premier article à apporter une réponse à cette question est celui de Lamont (1997) : ce dernier souligne que lors de la crise sur le marché pétrolier dans les années 1970, les firmes intégrées ont décidé de diminuer leurs investissements sur l’ ensemble des secteurs sur lesquels elles étaient présentes. Les divisions incluent non seulement des entités évoluant dans des secteurs totalement non liés à la branche pétrolière, mais aussi des divisions pétrochimiques. Le fait particulièrement intéressant concerne justement l’ industrie pétrochimique : la baisse des cours du pétrole aurait théoriquement dû favoriser les divisions pétrochimiques, pour lesquelles le pétrole constitue la matière première principale. Les cashflows des divisions non liées aux activités pétrolières ont en majorité augmenté lors de la crise : le fait que leurs investissements aient chuté dans le même temps représente une preuve évidente d’ un marché interne actif, où le montant des cash-flows d’ une division affecte l’ investissement d’ une autre. Shin et Stulz (1998) apportent également une preuve de l’ activité des marchés internes de capitaux, même si l’ intensité des transferts de fonds entre divisions n’ apparaît pas comme un facteur déterminant de la politique d’ investissement. Les résultats statistiques montrent que le niveau d’ investissement d’ une division appartenant à une firme diversifiée dépend plus des variations de ses propres cash-flows que de celles des cash-flows des autres entités de la firme. De plus, pour les firmes les plus diversifiées95, l’ investissement des divisions n’ est que faiblement lié à la variation des cash-flows, cette relation étant plus prononcée pour un échantillon de firmes indépendantes comparables. 95 : L’ indicateur de diversification est ici le nombre de secteurs sur lesquels la firme est présente. 151 2.3 Mise en évidence des dysfonctionnements dans l’ allocation interne des fonds : validation de l’ hypothèse d’ inefficience Rajan, Servaes et Zingales (2000) testent les implications de leur modèle à partir d’ un échantillon de 13 647 observations (divisions*années), sur la période 1980-1993. Tout d’ abord, grâce à une analyse univariée de différence de moyennes, ils constatent que les firmes diversifiées transfèrent plus de fonds vers les divisions disposant de peu d’ opportunités d’ investissement rentables96 : ce résultat corrobore l’ hypothèse d’ inefficience. De plus, les tests explicatifs prouvent qu’ une augmentation de la diversité des opportunités d’ investissement au sein du conglomérat entraîne un accroissement des transferts de fonds des divisions ayant des projets rentables vers les autres divisions moins rentables97. Enfin, une autre série de tests montre qu’ une hausse de la diversité a un impact direct négatif sur la valeur des firmes diversifiées. Ces conclusions soulignent donc que la dispersion des valeurs du Q de Tobin entre les divisions est une variable explicative essentielle de la politique d’ investissement et des performances financières des divisions appartenant aux firmes diversifiées. Scharfstein (1998) teste les implications du modèle de Scharfstein et Stein (2000) sur l’ allocation « socialiste » des fonds au sein des conglomérats98. A partir d’ un modèle de régression, les conclusions des tests indiquent que les dépenses d’ investissement des sociétés indépendantes (et spécialisées) dépendent de la valeur du Q de Tobin, ce qui ne semble pas être le cas des divisions affiliées à un conglomérat. Ainsi, les divisions disposant d’ opportunités d’ investissement rentables tendent à investir moins que des sociétés indépendantes comparables. Le phénomène est plus prononcé pour les divisions de petite taille99, et pour celles appartenant à un conglomérat où le dirigeant ne possède qu’ une faible part du capital100. Palia (1999) arrive à une conclusion similaire en ajoutant que l’ intensité du 96 : Ils scindent l’ échantillon d’ étude en comparant le Q de la division et le Q à l’ échelle du secteur. : Pour appuyer la validité de ce résultat, les auteurs prennent en compte l’ évolution de la taille du segment, et le degré de diversification (ou de spécialisation) du conglomérat grâce au calcul de l’ indice Herfindahl. 98 : L’ échantillon comporte 165 conglomérats, qui opèrent au moins dans deux secteurs non liés : les données sont collectées pour l’ année 1979. 99 : La politique d’ investissement des divisions de grande taille est quasiment identique à celle de sociétés indépendantes comparables. 100 : Il est également intéressant de noter que, jusqu’ en 1994, seuls 32% des conglomérats continuent leur activité avec cette forme organisationnelle. 33% ont choisi de se recentrer et de vendre des divisions opérant dans des secteurs non liés : dans ce cas, ces firmes se sont séparées des divisions les plus petites. A la suite de cette opération, leur politique d’ investissement possédait les mêmes caractéristiques que celle des sociétés indépendantes. Les 35% restants ont été soit rachetées, soit liquidées. 97 152 « socialisme » est également corrélée positivement à la taille du conseil d’ administration : l’ auteur suppose que plus le nombre d’ administrateurs est élevé, moins les décisions de gestion s’ avèrent efficientes. Ces résultats sur les caractéristiques des mécanismes de gouvernance d’ entreprise corroborent les hypothèses issues du modèle d’ agence à deux niveaux de Scharfstein et Stein (2000), mais infirment les modèles à un niveau de Rajan, Servaes et Zingales (2000) et de Wulf (1999) : dans ces deux derniers modèles, le dirigeant est considéré comme le principal dans sa relation avec les managers de divisions, sans être simultanément l’ agent des actionnaires externes. Palia (1999) montre également que l’ allocation « socialiste » des fonds est plus prononcée lorsque les rémunérations et les compensations accordées aux managers de divisions sont moins corrélées aux performances globales de la firme (participation directe au capital ou stock options). Dans la mesure où l’ on considère que la rémunération des managers est une caractéristique exogène, ce résultat semble en accord avec la plupart des modèles relatant les inconvénients des marchés internes et reposant sur les problèmes d’ agence au niveau des divisions. Shin et Stulz (1998) étudient exclusivement la politique d’ investissement des divisions de petite et de grande taille sur des données concernant la période 1980-1992101. Les résultats des tests soulignent que la sensibilité des investissements d’ une division au montant des cashflows des autres divisions de la firme ne dépend pas de l’ existence d’ opportunités d’ investissement rentables. D’ autre part, le niveau d’ investissement d’ une division augmente avec la valeur du Q de Tobin de cette division, mais ne dépend pas des variations de la valeur de ce même indicateur mesuré pour les autres divisions. Ces conclusions impliquent donc que les transferts de fonds opérés au sein du conglomérat ne sont pas dictés par la volonté d’ orienter les ressources vers les divisions les plus rentables : le test de Shin et Stulz (1998) conforte l’ hypothèse d’ inefficience. 101 : L’ échantillon d’ étude comporte 49 851 observations correspondant à 3 265 firmes différentes. D’ autre part, la segmentation de l’ échantillon selon la taille de la division est réalisée à partir du total des ventes. 153 2.4 Diversification liée et efficience des marchés internes de capitaux : le test de Khanna et Tice (2001) Contrairement aux avancées théoriques récentes qui se sont focalisées sur la diversification non liée (structures conglomérales) et qui concluent à une forme d’ inefficience des marchés internes de capitaux, Khanna et Tice (2001) examinent la politique d’ investissement des firmes possédant plusieurs divisions dans le même secteur d’ activité (diversification liée), particulièrement le commerce de détail aux Etats-Unis (par exemple, la firme Dayton Hudson). Les auteurs montrent que les divisions concernées réagissent de manière efficiente à un choc exogène affectant les volumes d’ activité ; dans leur article, ce choc est constitué par l’ entrée d’ un nouveau concurrent, Wal-Mart. Les résultats de l’ étude empirique peuvent être synthétisés comme suit : - avant l’ arrivée du nouveau concurrent, les divisions des firmes diversifiées et les firmes spécialisées possèdent des caractéristiques de taille, d’ endettement et de localisation géographique des points de vente similaires : seul le critère de productivité semble distinguer les deux types de firmes, avec un avantage pour les divisions ; - à l’ arrivée du nouveau concurrent, il semble que les firmes diversifiées soient plus réactives et plus promptes à prendre une décision urgente, soit de quitter le secteur, soit de « rester et se battre ». Lorsqu’ elles décident de se maintenir dans le secteur, les firmes diversifiées investissent proportionnellement plus, et ces investissements sont plus sensibles à la productivité de chaque division que les investissements entrepris par les firmes spécialisées pour contrer l’ entrée du nouveau concurrent ; - les marchés internes de capitaux tendent donc à exercer un transfert de fonds entre les divisions ; cependant, ces mouvements de fonds sont réalisés en faveur des divisions les plus productives et ne correspondent pas au phénomène de « socialisme » identifié dans d’ autres articles. Ces résultats corroborent les avantages reconnus de la diversification liée : ils sont également à l’ opposé des conclusions de Shin et Stulz (1998) et de Scharfstein (1998) sur les conséquences d’ une diversification non liée. Si l’ on agrège les différents résultats, la diversification conduit à des coûts (coûts d’ influence et luttes de pouvoir liés à la complexité de la structure organisationnelle) et des bénéfices potentiels (sélection efficiente des projets 154 d’ investissement). Dans le cas d’ une diversification liée, il semble que l’ avantage d’ une sélection efficiente des projets domine les coûts inhérents aux structures diversifiées, ce qui rend cette forme organisationnelle attractive. Comme le test de Lamont (1997), celui de Khanna et Tice (2001) se concentre sur l’ étude d’ un choc exogène affectant la politique d’ investissement des divisions de firmes diversifiées. Cependant, dans le second article, le choc a une dimension permanente et les auteurs étudient la réaction des divisions touchées directement par l’ événement, tandis que, dans le premier, la crise pétrolière n’ affecte que temporairement le comportement des firmes du secteur et les auteurs s’ attachent à examiner les conséquences sur les divisions n’ appartenant pas au secteur pétrolier. De même, l’ article de Khanna et Tice (2001) s’ inscrit dans la continuité des études de Shin et Stulz (1998) et de Scharfstein (1998), car il tente d’ évaluer si l’ existence d’ un marché interne affecte la sensibilité des dépenses d’ investissement aux perspectives de la firme. Cependant, plutôt que de faire appel à une mesure du ratio Q au niveau de l’ industrie, Khanna et Tice (2001) utilisent une mesure relative de productivité spécifique à chaque firme du secteur : chaque firme peut ainsi disposer de perspectives différentes. 2.5 Résumé des résultats empiriques sur l’ efficience des marchés internes au sein des conglomérats Les travaux empiriques sur l’ investissement au sein des conglomérats sont tout à fait récents, et la plupart des questionnements intéressants restent largement sans réponses. Cependant, plusieurs conclusions récurrentes peuvent être exploitées de manière quasi-certaine : - un marché interne peut générer des réallocations de ressources entre les différentes divisions, celles-ci ayant des conséquences économiques significatives : les choix d’ investissement des divisions d’ une firme diversifiée possèdent des caractéristiques différentes de ceux des firmes indépendantes comparables ; - dans les situations où l’ intégration est associée à de fortes pertes de valeur, il est possible d’ affirmer que ces pertes sont dues en partie aux inefficiences dans le processus d’ allocation interne du capital ; - si ces inefficiences existent bel et bien, elles semblent « socialistes » de nature, c’ està-dire que les divisions les moins rentables reçoivent trop de fonds, et les divisions les plus rentables pas assez (il n’ existe pas à l’ heure actuelle d’ évidence concernant une 155 forme d’ inefficience inverse, une sorte de « darwinisme excessif » où les divisions les plus rentables recevraient trop de fonds et les plus faibles pas assez) ; - le phénomène de « socialisme » est plus prononcé lorsque les divisions opèrent dans des secteurs d’ activité non liés, et lorsque les opportunités d’ investissement qui s’ offrent à elles présentent des VANs différentes. Les voies de recherche futures les plus prometteuses sont celles qui s’ intéressent non plus à l’ allocation des fonds au niveau des divisions, mais à la répartition des ressources au niveau inférieur, celui des sites industriels (usines). Deux articles récents de Maksimovic et Phillips (2002)102 et de Schoar (2002) abordent cette question. Existe-t-il des cas où l’ allocation des fonds est inefficiente entre les divisions, mais efficiente au sein d’ une division ? Dans ce cas, quelles sont les aspects de la structure organisationnelle permettant d’ expliquer ce phénomène ? Par exemple, d’ un point de vue heuristique et dans l’ optique des modèles sur les inconvénients des marchés internes, il est possible de supposer que les situations précédentes émergent lorsque les managers de divisions ont un pouvoir de négociation significatif dans le processus d’ allocation du capital, alors que les responsables des usines ne possèdent qu’ une influence limitée. Dans le cadre des groupes de sociétés, il faut envisager le fonctionnement et l’ efficience de la rotation des fonds entre les filiales. Toutes les hypothèses théoriques concernant les marchés internes peuvent être transposées à l’ étude des groupes. Ceux-ci confrontent également trois classes d’ agents : les dirigeants des filiales, ceux de la société mère et les investisseurs externes. Pourtant, contrairement aux divisions, les filiales ont un accès libre au marché financier externe (lorsqu’ elles sont cotées), et disposent d’ une variété d’ alternatives de financement : une des sociétés membres peut par exemple réaliser une augmentation de capital, et redistribuer les fonds collectés aux autres entités (Partie 1). Les particularités des structures de groupe sont abordées dans le paragraphe suivant. 102 : Maksimovic et Phillips (2002) offrent une vision plus positive des marchés internes, en utilisant des données relatives aux différentes usines d’ une société industrielle : lorsqu’ une usine dégageant un fort niveau de productivité par rapport à son secteur d’ appartenance connaît une augmentation soudaine de la demande, la croissance des autres usines de la firme s’ en trouve réduite. Ainsi, le marché interne semble ici réagir efficacement à un choc affectant l’ activité, et favoriser les usines les plus productives au détriment des autres. 156 III – Groupes de sociétés et création d’ un marché interne de capital Le contexte économique et l’ environnement financier dans les pays d’ Europe ne sont pas caractérisés par la présence prédominante de structures conglomérales. L’ analyse théorique et empirique sur le comportement financier des grandes firmes diversifiées américaines offre un cadre d’ analyse pour l’ étude des décisions financières des sociétés affiliées à des groupes. La structure industrielle du Japon et de nombreux pays européens (Allemagne, France, Italie et Belgique entre autres) est dominée par un réseau de participations croisées entre les firmes. Cette particularité est encore représentative malgré le processus d’ intégration des différents marchés financiers européens. Notre recherche se concentre sur les conséquences de l’ appartenance à un groupe et surtout sur l’ utilisation de la dette intragroupe et les décisions de financement et d’ investissement. Avant de synthétiser les hypothèses de recherche (section 3) qui seront testées dans le chapitre 2, il est nécessaire de définir les causes financières de l’ émergence des groupes, la fonction financière assurée par cette structure centralisée, de déterminer les différentes catégories de groupes et enfin d’ identifier les différences entre les marchés internes de capitaux existants au sein des conglomérats et au niveau des groupes. 3.1 Emergence des groupes et fonction financière centralisée La structure de groupe est une forme intermédiaire entre l’ indépendance et l’ intégration. Elle permet de réduire les coûts de transaction (accès au marché des capitaux, prestations interfirmes, partage de frais fixes, synergies), tout en maîtrisant les coûts d’ organisation. La théorie des coûts de transaction analyse la structure de groupe comme étant celle qui minimise les coûts de recours au marché, ainsi que les coûts d’ intégration dans l’ organisation. De son point de vue, la firme peut économiser en formant ou en rejoignant un groupe, sur les coûts de transaction qu’ elle aurait supportés si la transaction avait été faite sur le marché, et, en même temps, elle peut éviter les « déséconomies » d’ échelle ou la perte de contrôle qu’ aurait entraînées la croissance interne et l’ intégration. Si le bénéfice net retiré de la formation ou de l’ intégration à un groupe excède celui de la réalisation des transactions dans la firme ou sur le marché, la firme est incitée à former ou à rejoindre un groupe. Les groupes 157 sont essentiellement des coalitions de firmes poursuivant leurs intérêts communs à travers un système qui coordonne les décisions prises par les firmes membres. La fonction financière des groupes s’ entend en deux sens. Elle désigne le rôle de la structure de groupe dans la mobilisation des ressources financières, et l’ attention a été souvent attirée sur des montages financiers jouant de l’ effet multiplicateur de la structure de groupe103. Mais la fonction financière est aussi, dans un sens classique, celle remplie par un service spécialisé attenant aux filiales opérationnelles, et assurant la collecte des moyens de financement, la circulation des ressources vers les filiales prioritaires, et l’ optimisation du rendement de la trésorerie de l’ ensemble. L’ organisation en groupe est de plus en plus associée au renforcement de cette fonction financière d’ entreprise au sens traditionnel. La structure de groupe ne sert pas seulement à mobiliser des actifs sans commune mesure avec les capitaux avancés, mais aussi à remplir une fonction financière rendue complexe par l’ évolution des marchés financiers. La grande dimension n’ attribue pas seulement une position meilleure de négociation du crédit bancaire, elle permet éventuellement de contourner le système bancaire et de recourir directement aux marchés financiers. On peut donc formuler l’ hypothèse que l’ évolution des marchés financiers est un des facteurs d’ incitation au regroupement des petites firmes et à la constitution des groupes. Dans ce cas, la concentration ne serait pas un produit direct de la sélection d’ un marché, mais un moyen de préserver la capacité concurrentielle de chaque entité, en lui permettant un accès plus facile et moins coûteux aux capitaux extérieurs. A l’ intérieur du groupe, la redistribution s’ opère par la modulation du crédit interentreprises, ainsi que par le volume et le coût des dettes et prêts intragroupes. 103 : La structure de groupe est un moyen de démultiplier le rapport Actif/Capital. L’ enchaînement des participations permet à la tête de groupe de contrôler un ensemble de firmes sans en posséder l’ intégralité du capital. Soit l’ exemple d’ une holding H au capital de 100 qui consacre la totalité de son capital à contrôler 50% de la première filiale F1. Le capital de F1 est donc de 200. On suppose aussi que chaque filiale (F1, F2, F3…) consacre un quart de son capital à prendre une participation de 50% dans le capital de la suivante. La filiale F1 consacre donc un montant de 50 à contrôler 50% du capital de F2 (soit 100). La filiale F2 à son tour agit comme la précédente : elle investit 25 dans le contrôle d’ une filiale F3 de capital égal à 50… Dans cet exemple, où chaque filiale consacre un quart de son capital à acquérir la moitié du capital d’ une autre, le montant des capitaux contrôlés s’ approche rapidement de 400 (en plus du capital de la holding). La « cascade » de participations aboutit à conférer le contrôle d’ un capital de près de 400 à la holding dont le capital est de 100 (le coefficient multiplicateur tend vers 4). 158 3.2 Classification des groupes Les participations croisées entre firmes sont élaborées pour créer des groupes industriels, définis comme un ensemble d’ entités juridiquement indépendantes liées par des intérêts communs : ces participations assurent une unité de contrôle ou favorisent simplement une certaine coordination entre les firmes sur l’ ensemble des décisions de gestion. Il est possible de distinguer deux catégories de groupes : les groupes associatifs et les groupes hiérarchiques. Les premiers, particulièrement nombreux au Japon, sont caractérisés par l’ absence de sociétés holding et constituent des confédérations de firmes reliées par des prises de participation mutuelles et non majoritaires. La coordination des activités du groupe est assurée par l’ existence d’ intérêts communs, par des échanges d’ informations et des règles tacites de gestion. Les groupes hiérarchiques, dont l’ impact économique est surtout significatif en Europe continentale, sont définis par un ensemble de firmes contrôlées (et en général pas à 100%) par un actionnaire majoritaire (une personne, une famille, une coalition d’ actionnaires ou l’ Etat). Ces groupes hiérarchiques sont organisés selon un système pyramidal et contrôlés par l’ intermédiaire d’ une société holding. Il est important de noter que la séparation du contrôle et de la propriété caractérisant les structures pyramidales permet à l’ actionnaire majoritaire d’ exercer un contrôle exclusif en ne détenant qu’ une part limitée du capital. Les holdings sont définies comme des institutions financières qui gèrent un portefeuille d’ actions dans le but de contrôler les sociétés dans lesquelles elles possèdent des parts de capital. Le concept de contrôle consiste ici en une représentation au conseil d’ administration ou la détention d’ une part importante du capital pour juger de la performance des dirigeants d’ une firme. En tant qu’ investisseurs majoritaires, les holdings ont la possibilité d’ influencer les décisions de gestion, mais ceci grâce à l’ apport de fonds des petits actionnaires. Plusieurs arguments en faveur du contrôle exercé par une holding ont été avancés par la littérature financière. Tout d’ abord, les holdings offrent la possibilité aux petits porteurs d’ investir dans des sociétés non cotées et de disposer d’ un portefeuille diversifié, cette hypothèse n’ étant viable que dans des marchés imparfaits. Le contrôle peut également accroître les performances financières. De plus, l’ ensemble des caractéristiques positives attribuées aux sociétés diversifiées peuvent s’ appliquer aux sociétés holdings. On peut citer 159 entre autres les avantages fiscaux104, la création d’ un marché interne et l’ allocation efficiente des fonds, et l’ accroissement du niveau optimal d’ endettement en raison de la garantie représentée par les actifs de l’ ensemble de la holding. D’ un autre côté, la décote de valeur des sociétés holding est souvent interprétée comme un signe d’ inefficience et d’ expropriation des actionnaires. Même si les firmes américaines présentent typiquement des structures d’ actionnariat diffus, les firmes de nombreux pays hors Etats-Unis sont caractérisées par des structures plus concentrées (Shleifer et Vishny, 1997, La Porta et al., 1999). Ceci a pour conséquence l’ émergence d’ un conflit d’ intérêts entre l’ actionnaire principal et les actionnaires minoritaires. Fan et Wong (2000) suggèrent que ce conflit est d’ autant plus sérieux qu’ il existe une différence entre les droits de vote et les droits aux cash-flows. Lorsque l’ actionnaire dominant possède la majorité des droits de vote avec une part plus faible des cash-flows, il a l’ autorité suffisante pour imposer des décisions sans en subir les conséquences financières. Cette divergence est bien présente dans les structures holdings, et le problème de l’ expropriation des minoritaires est bien significatif. De même, sur le marché financier français, la règle « d’ une action/deux voix » semble être assez courante (Gajewski et Ginglinger, 2002). Une autre cause possible de la décote réside dans la politique d’ investissement des différentes filiales, et notamment le sur-investissement exercé par les filiales ne disposant pas d’ opportunités rentables ou le subventionnement des filiales non performantes par les entités performantes. 3.3 Création d’ un marché interne de capital au sein des groupes et comparaison des structures de groupe et des structures conglomérales Les conclusions sur l’ existence des marchés internes de capitaux peuvent paraître triviales dans le sens où les divisions des firmes diversifiées n’ ont pas accès aux marchés financiers externes. Lorsqu’ une division souhaite investir, la direction de la firme fait en sorte de lever les fonds nécessaires, si les cash-flows dégagés par la division ne suffisent pas pour couvrir l’ investissement. Parfois, certaines divisions ne génèrent aucune ressource mais investissent quand même grâce aux fonds dégagés par les autres divisions de la firme. Dans tous les cas, les programmes d’ investissement des divisions dépendent du marché interne au sein de la firme diversifiée. Un problème théorique important émerge donc puisque l’ ensemble des 104 : Banerjee, Leleux et Vermaelen (1997) démontrent que la question fiscale n’ apparaît pas essentielle pour un échantillon de holdings françaises. 160 modèles étudiés précédemment, décrivant les caractéristiques des marchés internes, prennent comme référence les règles de fonctionnement des marchés financiers externes, alors que les divisions n’ y ont pas accès. Il semble que la comparaison des comportements financiers des sociétés affiliées à un groupe avec ceux de sociétés indépendantes comparables soit plus pertinente pour tester les hypothèses d’ efficience ou d’ inefficience des marchés internes. Ainsi, les firmes membres de groupe ont l’ opportunité d’ avoir recours aux différentes sources de financement externe classiques (bancaires mais également issues des marchés financiers par l’ intermédiaire d’ autres sociétés du groupe) ; elles peuvent disposer par ailleurs du soutien financier des autres firmes du groupe. Cette concurrence entre financements interne et externe est nécessaire pour identifier les véritables conséquences de l’ existence d’ un marché interne sur la valeur et les performances financières des firmes concernées. La structure de groupe est une forme d’ organisation permettant l’ émergence d’ un marché interne de capital, dans la mesure où le processus d’ acquisition des fonds sur le marché externe et au sein du groupe est indépendant du processus d’ allocation de ces ressources entre les différentes filiales. En d’ autres termes, une firme peut tenir le rôle d’ intermédiaire financier du groupe, en collectant les fonds et en les redistribuant entre les firmes105. Ainsi, comparées aux structures conglomérales où les transferts de fonds s’ opèrent par une simple réallocation des cash-flows entre les divisions, les structures de groupe utilisent les prêts et dettes intragroupes, le crédit interentreprises et les participations croisées entre firmes membres. Enfin, une autre différence fondamentale permet de distinguer les conglomérats américains des groupes européens : les filiales des groupes ne sont pas forcément détenues à 100% par la société contrôlante. Même si cette dernière exerce tout de même un contrôle exclusif sur les décisions de gestion et notamment sur la politique d’ investissement des filiales, cette particularité provoque l’ émergence d’ une autre catégorie d’ actionnaires : les actionnaires minoritaires des filiales. Les conséquences, positives ou négatives, des décisions financières centralisées ont un effet non seulement sur la richesse des actionnaires du groupe mais 105 : L’ augmentation de capital étudiée dans la partie 1 est un moyen de collecter des fonds externes. Même si les échantillons utilisés dans les tests des parties 1 et 2 diffèrent, les alternatives de financement sont elles 161 également sur celle des actionnaires minoritaires des filiales. Le pouvoir exercé par la direction du groupe peut donc entraîner une forme d’ expropriation de richesse des minoritaires si l’ allocation des fonds et la politique d’ investissement des filiales sont inefficientes. Le tableau 18 regroupe, en les confrontant, les principales caractéristiques des conglomérats et des groupes. Tableau 18 : Conglomérats versus groupes de sociétés % de capital détenu dans les entités sous contrôle Conglomérats Les divisions des firmes conglomérales sont toutes détenues à 100%. Accès aux différentes Les divisions n’ ont accès qu’ aux modes de financement interne : cashsources de flows propres dégagés, et cash-flows financement des autres divisions. Le niveau de ressources disponibles est déterminé par la direction. Financement exclusivement interne. Modes de transfert de fonds Rotation des cash-flows d’ une division à l’ autre. Groupes de sociétés Les filiales des groupes sont détenues à plus de 50%. Ce pourcentage varie en fonction des entités considérées : création d’ une nouvelle classe d’ actionnaires. Les filiales, en tant qu’ entités juridiques distinctes de la société mère, ont accès aux modes de financement externe classiques, mais également à la dette intragroupe et l’ autofinancement. Choix entre financement interne et financement externe. Dette et prêt intragroupes, crédit interentreprises et prises de participation. Si l’ on s’ intéresse spécifiquement aux relations d’ agence et aux conflits d’ intérêts existants entre les parties prenantes, il est important de noter les différences entre une société indépendante, une structure conglomérale et une structure de groupe. Dans le cas d’ une société industrielle non contrôlée, une seule relation d’ agence existe ; elle oppose les intérêts des dirigeants à ceux des actionnaires. Au sein d’ un conglomérat, trois classes distinctes d’ acteurs interviennent dans la prise de décision et les luttes de pouvoir, ce qui conduit à distinguer deux relations d’ agence : les dirigeants du conglomérat, les actionnaires et les managers de divisions. Enfin, une structure de groupe simplifiée avec une société mère contrôlant à plus de 50% une filiale implique la présence de quatre catégories d’ acteurs : les dirigeants de la société mère, les actionnaires majoritaires, les dirigeants de la filiale et les actionnaires minoritaires. Ainsi, les effets négatifs découlant des conflits d’ intérêts entre actionnaires et dirigeants ont un impact différent sur la valeur de ces trois formes organisationnelles : plus le nombre d’ acteurs est important, plus la probabilité de complémentaires : l’ augmentation de capital alimente le marché interne en ressources, et la dette intragroupe sert 162 comportements opportunistes aux différents niveaux de l’ organisation est élevée. La structure de groupe est dans ce cas celle qui subit les problèmes d’ agence les plus significatifs, avec un effet globalement négatif sur la valeur des sociétés membres et celle du groupe dans son ensemble. La figure 3 illustre ce propos en mettant en évidence les relations d’ agence au sein des trois structures organisationnelles. Figure 3 : Relations d’agence, niveaux hiérarchiques et formes organisationnelles Les schémas ne prennent pas en compte le rôle des créanciers, qui, en théorie, participent au partage des gains réalisés par la firme. Société industrielle non intégrée Dirigeants Structure conglomérale Actionnaires Dirigeants du conglomérat Actionnaires Managers de divisions Structure de groupe Dirigeants de la société mère Actionnaires majoritaires Dirigeants de la filiale Actionnaires minoritaires 3.4 Efficience des marchés internes au sein des groupes : validations empiriques existantes Le test de Shin et Park (1999) est réalisé sur le marché coréen et consiste à identifier deux sous-échantillons de firmes, l’ un composé de 123 firmes appartenant à un « chaebol », l’ autre comprenant 194 firmes non affiliées. Les « chaebols » représentent des groupes de sociétés gravitant autour d’ une société mère. Cette dernière est généralement contrôlée par des actionnaires familiaux et possède une part significative du capital dans chacune des sociétés membres. Ces groupes sont diversifiés et intégrés verticalement : par exemple, Samsung de support aux transferts de fonds. 163 possède des firmes dans des secteurs aussi variés que l’ électricité, les machines et équipements industriels, l’ industrie chimique et les activités financières. Les firmes membres réalisent la grande majorité de leurs opérations de prêts et d’ emprunts au sein du groupe. La co-garantie leur permet également de collecter des fonds externes (dettes bancaires et obligations). Les « chaebols » sont par ailleurs plus concentrés que les Keiretsus japonais puisqu’ ils fonctionnent grâce à un centre décisionnel unique : la stratégie générale et la politique financière sont définies à l’ échelle du groupe, au sein d’ un pôle de contrôle centralisé. Les résultats de l’ étude empirique montrent que le niveau d’ investissement d’ une firme affiliée dépend du montant des cash-flows des autres firmes membres, ce qui met en évidence l’ existence d’ un marché interne actif. En prenant en compte les opportunités d’ investissement des autres firmes du groupe et celles du secteur, les tests indiquent que : - l’ investissement d’ une firme affiliée est moins sensible aux cash-flows des autres firmes lorsque celles-ci disposent d’ opportunités d’ investissement rentables ; - cependant, l’ intensité de la relation entre le niveau d’ investissement d’ une firme (i) et les cash-flows des autres firmes n’ est pas affectée par les opportunités d’ investissement de la firme (i) par rapport à celles du secteur. Ces deux résultats n’ apportent qu’ une validation partielle de l’ hypothèse d’ efficience du marché interne au sein des groupes coréens. Enfin, les auteurs indiquent que les firmes membres investissent proportionnellement plus que des firmes indépendantes comparables, alors qu’ elles disposent d’ opportunités d’ investissement moins rentables : ce résultat confirme l’ hypothèse de sur-investissement et d’ inefficience de la politique d’ allocation interne des fonds. A partir de trois sous-échantillons de sociétés belges sur une période d’ étude s’ étalant de 1989 à 1996, Praet (2002) analyse les différences en termes de performances financières, de politiques d’ endettement et d’ investissement, entre des échantillons de filiales de holdings et de sociétés indépendantes d’ une part, et, entre un échantillon de filiales de holding et un échantillon de filiales de groupes industriels d’ autre part. Les résultats empiriques ne corroborent pas l’ hypothèse de l’ efficience liée à la substitution de titres effectuée par les holdings. Par rapport aux sociétés à actionnariat familial, les filiales de 164 holdings présentent des performances significativement plus faibles. Le niveau d’ investissement en actifs fixes ne diffère pas d’ un échantillon à l’ autre, même si, pour l’ échantillon de filiales de holdings, l’ investissement dépend moins du niveau des cash-flows générés en interne. L’ appartenance à une holding n’ entraîne pas un taux d’ endettement plus élevé (par rapport au total de l’ actif). Les sociétés membres d’ une holding possèdent des performances financières significativement plus faibles que les filiales de groupes industriels. Ces dernières présentent des caractéristiques d’ investissement et d’ endettement identiques aux firmes « holding », même si elles font plus appel à la dette intragroupe, et entretiennent des relations commerciales plus fréquentes au sein du groupe. Praet (2002) prouve également que les différences de performances observées sont dues à la diversification : les filiales de groupes industriels spécialisés sont plus performantes que les autres firmes de l’ échantillon. En conclusion, il semble que les groupes industriels spécialisés représentent une forme organisationnelle plus efficiente que les holdings diversifiées. Khanna et Palepu (2000) étudient les conséquences de l’ appartenance à un groupe sur les performances des firmes membres : la problématique centrale de leur test consiste à mettre en relation le niveau de diversification du groupe et les performances financières. En utilisant le Q de Tobin comme indicateur de performance, les analyses univariées montrent que les firmes affiliées aux groupes les plus diversifiés possèdent des performances supérieures à celles de firmes indépendantes comparables. En effet, les modèles de régression indiquent qu’ une augmentation de la diversification du groupe entraîne une baisse de performance des sociétés affiliées, ceci jusqu’ à ce que le groupe atteigne un certain degré de diversification : au-delà de ce « palier », une hausse de l’ indicateur de diversification conduit à une amélioration des performances106. Cependant, grâce à une série de tests complémentaires, les auteurs soulignent que cette différence au niveau des performances entre firmes membres et firmes indépendantes est due à un accès privilégié aux marchés financiers internationaux, et non au rôle actif d’ un marché interne de capital. En résumé, les résultats des études empiriques existantes concernant le rôle des marchés internes au sein des groupes de sociétés penchent, pour la plupart, en faveur de l’ hypothèse d’ inefficience, même si le nombre de tests est assez restreint et les conclusions ne reposent 106 : En plus du Q de Tobin, les auteurs mesurent la performance à partir de la rentabilité nette des actifs (ROA). 165 pas sur des résultats assurément significatifs. D’ autre part, l’ hypothèse d’ efficience n’ est testée que sur des marchés émergents, où les marchés financiers sont peu développés. A partir de l’ ensemble des développements théoriques proposés dans les sections 1 et 2, il est possible de définir le cadre d’ analyse général de cette recherche, et de poser des hypothèses testables. En ce qui concerne les conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe, deux axes de recherche sont définis : la levée des contraintes financières et l’ efficience des marchés internes de capitaux. Section 3 : Synthèse du cadre d’analyse Nous avons identifié les deux conséquences principales de l’ utilisation de la dette intragroupe pour les sociétés affiliées : la levée partielle des contraintes financières grâce à une source de financement supplémentaire à moindre coût, et la création d’ un marché interne de capital, la dette intragroupe étant un moyen de transférer les ressources d’ une entité à l’ autre. Pour tester ces deux hypothèses sur le plan empirique, il est nécessaire d’ isoler un échantillon de sociétés françaises, affiliées à un groupe et bénéficiant de dette intragroupe107. De même, pour mettre en évidence les spécificités financières de cette catégorie de firmes, il faut définir un échantillon de référence composé de sociétés non affiliées, aux caractéristiques identiques. La méthode d’ échantillonnage est présentée au début du chapitre 2, mais, pour détailler les hypothèses de recherche, il est nécessaire de décrire succinctement les échantillons d’ étude. Les tests empiriques portent sur deux échantillons indépendants de 170 sociétés françaises non cotées, hors sociétés publiques et financières. Les données sont collectées sur cinq ans : pour la grande majorité des firmes, sur la période 1997-2001. Les filiales du premier échantillon sont contrôlées à plus de 50% et possèdent un montant significatif de dette intragroupe pour chacun des cinq exercices comptables considérés. L’ échantillon de référence 107 : L’ appartenance au groupe n’ est pas un critère suffisant pour garantir l’ existence d’ un marché interne : il convient de s’ assurer qu’ il existe des transferts de fonds entre les sociétés membres, ceci grâce à l’ utilisation de dette intragroupe. 166 est composé de sociétés indépendantes (aucun actionnaire ne possède plus de 50% du capital), de même taille (montant du chiffre d’ affaires) et de même secteur (code NAF à deux chiffres). I – Dette intragroupe, levée des contraintes financières et recours à l’ endettement externe 1.1 Levée des contraintes financières Comparée à une société indépendante, une société membre de groupe a l’ opportunité de bénéficier d’ une source de financement originale, par l’ intermédiaire d’ une forme d’ endettement interne. Dans une situation de rationnement du crédit, ces fonds en excès peuvent permettre aux sociétés affiliées d’ entreprendre certains projets d’ investissement, qu’ elles n’ auraient pu financer si elles fonctionnaient comme des entités indépendantes. Grâce à une analyse statistique univariée et un test de différence de moyennes, il est possible de tester la première hypothèse de recherche : H1 : Les sociétés affiliées bénéficiant de dette intragroupe investissent plus que des sociétés indépendantes comparables. Cette hypothèse concerne non seulement l’ investissement total (acquisition d’ immobilisations), mais également l’ investissement en actifs productifs (acquisition d’ immobilisations corporelles). La principale source de financement à long terne des sociétés françaises est l’ autofinancement. Cependant, celui-ci ne semble pas suffisant pour financer l’ ensemble des opportunités d’ investissement disponibles. Dans ce cas, une société est contrainte de se tourner vers différents types de financement externe : en premier lieu l’ endettement (exclusivement bancaire pour les sociétés non cotées), puis l’ augmentation de capital (sur le marché financier pour les sociétés cotées, ou par l’ intermédiaire de sociétés de capital risque pour les autres). Plus le coût du financement externe est élevé, plus le risque de ne pouvoir entreprendre certains projets rentables est significatif. Une hausse du coût du financement externe entraîne donc une augmentation du degré de contraintes financières. Ce dernier est mesuré par la relation investissement/cash-flows au travers d’ un modèle de régression. Si l’ on suppose que le coût de la dette intragroupe est moins élevé que celui de la dette bancaire en 167 raison de l’ absence de coûts d’ asymétrie d’ information, et que la dette intragroupe représente une option réelle d’ éviter la dette externe, alors les sociétés affiliées sont soumises à de plus faibles contraintes financières. Ce raisonnement permet de formuler les deux hypothèses suivantes : H2 : Pour les sociétés affiliées utilisant la dette intragroupe, la relation investissement/cash-flows est positive et non significative (absence de contraintes financières). H3 : Pour les sociétés non contrôlées, la relation investissement/cash-flows est positive et significative (existence de contraintes financières). Ces hypothèses sont testées grâce à un modèle de régression. La variable dépendante est le niveau d’ investissement de la firme (investissement total et investissement en actifs tangibles). La variable explicative principale est le montant des cash-flows générés par la firme : celle-ci est accompagnée de variables de contrôle, et, en particulier, de deux indicateurs de mesure de la croissance passée (chiffre d’ affaires) et une variable mesurant le niveau d’ opportunités d’ investissement (rentabilité de l’ actif net : ROA). 1.2 Dette intragroupe et dette externe : compléments ou substituts ? Comment le montant de la dette intragroupe influence-t-il la politique d’ endettement globale des sociétés membres ? L’ appartenance au groupe peut modifier les relations d’ une société membre avec ses banques partenaires. Tout d’ abord, le fait de disposer de fonds internes supplémentaires assouplit la dépendance des filiales vis-à-vis du système bancaire. Cependant, si l’ endettement externe s’ avère nécessaire au financement d’ investissements particuliers, une filiale peut bénéficier de la garantie représentée par les actifs tangibles des autres sociétés du groupe pour collecter un montant supérieur de ressources externes. Ainsi, l’ appartenance au groupe permettrait d’ augmenter la valeur du ratio d’ endettement optimal des sociétés membres ; dans le même temps, la dette intragroupe diminue le recours à l’ endettement externe. En considérant les différents niveaux d’ endettement financier externe (total, long terme et court terme), il est possible de tester les hypothèses suivantes : H4 : Les sociétés affiliées aux groupes présentent des ratios d’endettement totaux plus élevés que ceux de sociétés indépendantes comparables. 168 H5 : Le montant de la dette intragroupe influence négativement le niveau d’endettement externe des sociétés affiliées. La première hypothèse peut être testée grâce à un test de différence de moyennes entre les deux sous-échantillons d’ étude. La seconde est testée au travers d’ un modèle de structure de capital expliquant les variations du ratio d’ endettement. Dans le modèle de régression considéré, différentes variables dépendantes sont calculées : les ratios d’ endettement financier externe total, à long terme et à court terme. La principale variable explicative est le montant de la dette intragroupe. La structure du modèle est complétée par une série de variables de contrôle, classiques dans la littérature empirique sur l’ explication des structures de capital : performances financières, taille et secteur d’ activité. Ce test ne concerne que l’ échantillon de filiales. II – Dette intragroupe et marché interne de capital 2.1 Mise en évidence du rôle actif du marché interne de capital La dette intragroupe est un instrument à la disposition de la direction du groupe pour répartir les ressources entre les différentes filiales. Si l’ on suppose l’ existence d’ une politique financière centralisée au sein du groupe, les transferts de fonds entre les entités du groupe donnent naissance à un marché interne de capital. L’ activité de ce marché interne peut être mesurée par l’ intensité des échanges financiers intragroupes. Il existe deux autres moyens pour affecter les ressources aux différentes filiales en fonction des besoins de financement de chacune : les participations croisées qui ont pour support les investissements en immobilisations financières et le crédit interentreprises par l’ intermédiaire des crédits clients et fournisseurs. Des tests univariés de différence de moyennes permettent de tester les deux hypothèses suivantes : H6 : Le pourcentage d’immobilisations financières dans le total de l’actif est plus élevé pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées. H7 : Les crédits clients et fournisseurs sont plus importants pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées. 169 2.2 Efficience des marchés internes au sein des groupes L’ efficience d’ un marché interne de capital consiste en une affectation interne des ressources à des fins rentables. In fine, il est possible d’ apprécier l’ efficience d’ un marché interne grâce à des indicateurs classiques de performance. Les tests empiriques du chapitre 2 reposent sur des mesures comptables de performance : rentabilité économique (à partir de l’ EBE et du résultat d’ exploitation), rentabilité financière (à partir du RCAI, du résultat net et de la CAF), et indicateurs de marge (en fonction du chiffre d’ affaires). Si la direction du groupe a un rôle actif pour sélectionner les projets d’ investissement et transférer les ressources d’ une entité à l’ autre, les filiales doivent présenter des indicateurs de rentabilité supérieurs à ceux des sociétés non contrôlées. L’ efficience peut donc dans un premier temps être évaluée au niveau des performances de chaque sous-échantillon : H8 : Les performances financières des filiales utilisant la dette intragroupe sont supérieures à celles des sociétés non contrôlées. Dans un second temps, il est nécessaire d’ étudier plus particulièrement l’ allocation interne des fonds au sein du groupe. Un marché interne efficient doit orienter les ressources internes vers les entités les plus rentables, et surtout ne pas accorder des fonds excédentaires aux divisions les moins rentables. Ainsi, si le marché interne créé au sein du groupe est efficient, les filiales les plus rentables doivent investir plus que les autres filiales, toutes choses égales par ailleurs (investissement total et investissement en actifs tangibles). De plus, les filiales les plus rentables doivent bénéficier d’ un montant plus élevé de dette intragroupe. En segmentant l’ échantillon de filiales en fonction de la valeur des ratios de rentabilité comptables, il est possible de tester les hypothèses suivantes : H9 : Si le fonctionnement du marché interne au sein du groupe est efficient, les filiales les plus rentables doivent investir plus que les autres filiales de l’échantillon. H10 : Si le fonctionnement du marché interne au sein du groupe est efficient, les filiales les plus rentables doivent disposer d’un montant plus élevé de dette intragroupe. Enfin, grâce à un modèle de régression, il est possible de mesurer l’ influence directe de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon. En 170 appliquant le test à l’ ensemble de l’ échantillon, les variables mesurant les rentabilités économique et financière constituent les variables dépendantes testées. La principale variable explicative est le statut de la firme (variable dichotomique, = 0 si la firme n’ a pas accès à la dette intragroupe, = 1 si la firme utilise la dette intragroupe). Si le marché interne existant dans les limites du périmètre du groupe est efficient, cette variable doit présenter un coefficient positif et significatif. Le modèle est complété par une série de variables de contrôle : taille, secteur et croissance de la firme. H11 : Si le marché interne créé au sein du groupe est efficient, le recours à la dette intragroupe a un impact positif et significatif sur les performances des firmes de l’échantillon. Le paragraphe 3 reprend la déclinaison des hypothèses de recherche et la méthodologie empirique des tests. III – Synthèse du cadre d’ analyse : hypothèses de recherche et traduction empirique Le tableau 19 résume les différentes hypothèses testées dans le chapitre 2, en évoquant les arguments théoriques sous-jacents et la méthodologie empirique utilisée. Tableau 19 : Cadre d’analyse de la Partie 2 Développements théoriques Hypothèses de recherche Dans une situation de rationnement du crédit, l’ usage de la dette intragroupe procure aux sociétés membres des fonds supplémentaires pour le financement des investissements. Par rapport à une dette externe classique, la dette intragroupe n’ entraîne pas de coûts d’ asymétrie d’ information. Cette source de financement à moindre coût permet une levée partielle des contraintes financières. H1 : Les sociétés affiliées bénéficiant de dette intragroupe investissent plus que des sociétés indépendantes comparables. L’ appartenance au groupe permet aux filiales d’ opérer avec un ratio d’ endettement total supérieur à celui de firmes non contrôlées, en raison de la co-garantie représentée par les actifs tangibles des autres entités. H4 : Les sociétés affiliées aux groupes présentent des ratios d’ endettement totaux plus élevés que ceux de sociétés indépendantes comparables. H2 : Pour les sociétés affiliées utilisant la dette intragroupe, la relation investissement/cash-flows est positive et non significative. H3 : Pour les sociétés non contrôlées, la relation investissement/cash-flows est positive et significative. 171 Tests empiriques Test de différence de moyennes entre un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe, et un échantillon de firmes non contrôlées n’ ayant pas recours à la dette intragroupe. Modèle (3) de régression linéaire : (Iit / Ait-1) = ait + b.(CFit / Ait-1) + c.(CAit / Ait-1) + d.(CAit-1 / Ait-2) + e.(ROAit) + f.(ROAit-1) + g.(IMOit / Ait-1) ; avec (Iit / Ait-1), variable mesurant le niveau d’ investissement, et (CFit / Ait-1), variable mesurant le montant des cash-flows disponibles. Test de différence de moyennes entre un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe, et un échantillon de firmes non contrôlées n’ ayant pas recours à la dette intragroupe. Développements théoriques Le recours à la dette intragroupe diminue le besoin en fonds externes, et notamment l’ utilisation de dette externe. Hypothèses de recherche H5 : Le montant de la dette intragroupe influence négativement le niveau d’ endettement externe des sociétés affiliées. Tests empiriques Modèle (4) de régression linéaire : modèle de structure de capital : (DetfiEX)it = ait + b.(Intra) + c.(ROA)it + d.(Taille)it + e.(VarCA)it ; avec (DetfiEX)it mesurant l’ endettement financier externe (Total, LT et CT), et (Intra) représentant la part de dette intragroupe dans le total du bilan. Les transferts de fonds au sein du H6 : Le pourcentage Test de différence de moyennes marché interne s’ opèrent non d’ immobilisations financières dans entre un échantillon de firmes seulement par l’ intermédiaire de le total de l’ actif est plus élevé pour utilisant la dette intragroupe, et un dettes et prêts intragroupes, mais les filiales que pour les sociétés non échantillon de firmes non contrôlées également grâce aux participations contrôlées. n’ ayant pas recours à la dette croisées et au crédit interentreprises. H7 : Les crédits clients et intragroupe. Mise en évidence du rôle actif du fournisseurs sont plus importants marché interne. pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées. L’ hypothèse d’ efficience des H8 : Les performances financières Pour H8 : Test de différence de marchés internes de capitaux des filiales utilisant la dette moyennes entre un échantillon de suppose que l’ allocation interne des intragroupe sont supérieures à celles firmes utilisant la dette intragroupe, fonds est réalisée pour favoriser les des sociétés non contrôlées. et un échantillon de firmes non filiales les plus rentables. H9 : Si le fonctionnement du contrôlées n’ ayant pas recours à la L’ affectation des ressources aux marché interne au sein du groupe dette intragroupe. projets d’ investissement rentables est efficient, les filiales les plus doit garantir des performances rentables doivent investir plus que Pour H9 et H10 : Segmentation de financières supérieures pour les les autres filiales de l’ échantillon. l’ échantillon de filiales en fonction firmes ayant accès au marché H10 : Si le fonctionnement du des valeurs médianes des ratios de interne. marché interne au sein du groupe performance, puis tests de est efficient, les filiales les plus différences de moyennes entre un rentables doivent disposer d’ un échantillon de filiales rentables et montant plus élevé de dette un échantillon de filiales non intragroupe. rentables. Si l’ hypothèse d’ efficience est H11 : Si le marché interne créé au Modèle (5) de régression linéaire : sein du groupe est efficient, le (ROA)it = ait + b.(INTRA) + correcte, l’ utilisation de la dette c.(TAILLE)it + d.(SECTEUR) + intragroupe doit être un déterminant recours à la dette intragroupe a un essentiel du niveau de performance. impact positif et significatif sur les e.(CROISSANCE)it ; avec (ROA)it mesure de rentabilité financière, et En effet, une politique performances des firmes de (INTRA), variable dichotomique d’ investissement efficiente garantit l’ échantillon. des ratios de rentabilité élevés. prenant la valeur 1, si la firme a recours à la dette intragroupe et 0 sinon. 172 ! # $ $ % # & Les développements théoriques du chapitre 1 impliquent que le recours à la dette intragroupe présente des avantages significatifs pour les sociétés concernées : levée des contraintes financières, performances financières supérieures, répartition efficiente des fonds entre les filiales rentables et non rentables, politique d’ investissement orientée vers les opportunités les plus rentables. Les tests empiriques de ce deuxième chapitre tentent de valider ces hypothèses dans le cas de sociétés françaises non cotées. Ces tests sont regroupés en trois sections distinctes. La section 1 présente tout d’ abord la méthode d’ échantillonnage qui permet d’ identifier deux groupes de 170 firmes industrielles, commerciales et de services, toutes non cotées : le premier est composé de filiales détenues à plus de 50% et utilisant la dette intragroupe, le second est constitué de sociétés non contrôlées de même secteur et de taille équivalente. Cette section est également consacrée à la description et surtout à la comparaison (avec une première série de tests univariés de différences de moyennes) des caractéristiques financières des deux sous-échantillons. L’ hypothèse de levée des contraintes financières est testée dans la section 2, à partir d’ un modèle de régression linéaire confrontant le niveau d’ investissement et le montant des cashflows. Le modèle (3) est testé séparément sur les deux sous-échantillons pour déterminer les différences de sensibilité investissement/cash-flows ; un test complémentaire est réalisé dans le but de vérifier si l’ intensité de la relation investissement/cash-flows dépend du niveau de fonds internes disponibles. D’ autre part, l’ interaction entre les formes d’ endettement interne et externe est abordée au travers d’ un modèle de structure de capital (modèle 4) mettant en relation les variations du ratio d’ endettement externe (variable dépendante) et celles du ratio d’ endettement intragroupe. Des variables de contrôle classiques sont intégrées au modèle d’ analyse : taille, secteur, rentabilité et croissance passée. 173 Le fonctionnement des marchés internes est détaillé dans la section 3. La répartition de la dette intragroupe entre les filiales et leur politique d’ investissement sont étudiées en distinguant les filiales rentables des non rentables, grâce à des tests de différences de moyennes. En effet, l’ hypothèse d’ efficience suppose que les ressources sont allouées en priorité aux filiales rentables, et que celles-ci doivent proportionnellement présenter des niveaux d’ investissement plus élevés que les filiales non rentables. Cette troisième section est complétée par un modèle de régression appliqué à l’ échantillon global (modèle 5), qui tente d’ analyser le lien direct entre les performances financières et l’ utilisation de la dette intragroupe. Section 1 : Méthodologie empirique et description des échantillons d’étude Toutes les données collectées sont des données de panel issues de la base Diane (version 2003). La totalité des sociétés retenues sont non cotées ; en effet, les grandes sociétés cotées n’ utilisent que marginalement la dette intragroupe, et sont surtout très difficiles à pairer. Une grande variété de secteurs d’ activité est représentée. Ceux-ci sont regroupés en trois catégories principales : industrie, commerce et services. Les filiales et les sociétés indépendantes sont comparées en fonction de leurs caractéristiques financières. On isole plusieurs axes d’ analyse : les performances opérationnelles et financières, l’ endettement, la croissance, la structure de l’ actif, la politique d’ investissement, les ratios d’ activité et les ratios financiers, et la taille. Cette première section a pour objet de présenter la méthode de collecte de données, la nature des données comptables recueillies pour le calcul des différentes variables et les principales caractéristiques des firmes retenues. Cette section s’ achève par les résultats des tests univariés de différences de moyennes entre les échantillons de filiales et de sociétés indépendantes. 174 I – Méthode d’ échantillonnage et données collectées 1.1 Procédure de sélection des firmes Pour tester les hypothèses concernant les conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe, il faut tout d’ abord avoir accès à des données comptables suffisamment détaillées, et notamment pouvoir consulter l’ annexe « Etat des créances et des dettes » de la liasse fiscale. En effet, celle-ci contient les items « Dettes envers le groupe et les associés » et « Dettes auprès des associés personnes physiques » : la différence entre ces deux postes donne un montant précis de la dette intragroupe brute. Toutes les données comptables brutes sont extraites de la base Diane, actualisée en Mai 2003. Elle regroupe les comptes de 158 017 entreprises françaises, d’ au moins trois personnes. Elle est gérée par le bureau Van Dijk et la COFACE. Les informations contenues dans la base de données proviennent de l’ administration fiscale et comprennent les bilans, comptes de résultats, annexes108, et des données d’ analyse financière pour les cinq derniers exercices clos. Il est en outre possible d’ extraire les comptes sociaux et les comptes consolidés. Pour identifier les sociétés membres de groupe industriel bénéficiant de dette intragroupe, il a fallu procéder à plusieurs étapes de tri. Dans un premier temps, toutes les sociétés, dont la situation juridique et financière était « précaire », ont été écartées, en particulier celles faisant l’ objet d’ une obligation de dépôt, de plan de continuation ou de cessation de paiement : le nombre d’ entreprises restantes s’ élève alors à 145 929. Ensuite, on a isolé l’ ensemble des sociétés qui possèdent un actionnaire majoritaire connu, détenant plus de 50% du capital de l’ entreprise : ce second tri porte le nombre de sociétés sélectionnées à 75 519. Enfin, nous avons introduit un critère de taille, en ne retenant que les sociétés dont le chiffre d’ affaires était supérieur à 15 000 k en 2000 : un premier ensemble de 12 154 entreprises est donc constitué. La seconde étape d’ échantillonnage consiste alors à isoler les sociétés utilisant la dette intragroupe, tous les ans sur les cinq exercices disponibles, et ceci pour un montant 108 : La base est assez complète puisqu’ elle regroupe les annexes : « immobilisations », « amortissements », « état des créances et des dettes », « affectation du résultat », « provisions ». D’ autre part, les agrégats classiques et de nombreux ratios d’ analyse financière (fonction Score) sont déjà calculés. Enfin, Diane offre des informations sur l’ identité des dirigeants et des actionnaires, et, pour les sociétés cotées, les principales données boursières. 175 significatif minimum de 50 k 109 . De plus, toutes les sociétés financières, d’ assurance et immobilières, ainsi que les sociétés publiques, sont exclues de l’ échantillon. Cette étape permet de réduire le total des sociétés retenues à 927. A partir des coordonnées des entreprises fournies par la base de données, la troisième étape a pour but d’ identifier le statut et l’ identité de l’ actionnaire majoritaire, ceci afin d’ éliminer de l’ échantillon toutes les sociétés familiales et de ne conserver que celles qui sont contrôlées par une autre société industrielle. Cette recherche a été effectuée sur Internet : ceci a contribué à éliminer de nombreuses entreprises moyennes ne disposant pas de sites d’ information publique. En effet, les sociétés évoluant exclusivement sur des marchés locaux n’ offrent pas une information financière suffisante pour connaître la composition de l’ actionnariat. L’ échantillon issu de cette sélection comporte 210 sociétés de services, commerciales ou industrielles. Afin de déterminer les particularités financières des sociétés ayant recours à la dette intragroupe, il est nécessaire de constituer également un échantillon de référence, d’ entreprises « jumelles », n’ étant pas contrôlées à plus de 50% et n’ utilisant pas de dette intragroupe110. La méthode de pairage repose sur 5 critères de sélection : - comptes sociaux disponibles sur cinq ans ; - absence de dette intragroupe pour les cinq exercices consécutifs ; - sociétés sans actionnaire majoritaire détenant plus de 50% du capital ; - même code sectoriel NAF à deux chiffres ; - même chiffre d’ affaires HT en 2000, avec un intervalle de plus ou moins 20%. A partir de ces caractéristiques, il a été possible de pairer 170 sociétés. Pour le reste de l’ analyse, le premier échantillon est appelé « filiales », le second « jumelles ». Toutes les sociétés sont non cotées111 et l’ ensemble des données comptables sont issues de comptes sociaux112. Certaines entreprises sont des filiales de groupes français ou étrangers cotés, ceuxci ayant accès aux financements disponibles sur les marchés financiers. Le tableau 20 résume les différentes étapes de sélection des firmes : 109 : Toutes les sociétés ne disposant pas de comptes sociaux sur 5 ans sont également éliminées à ce stade de la sélection. 110 : L’ absence d’ actionnaire majoritaire ne garantit ni la non appartenance à un groupe, ni la non utilisation de dette intragroupe. 111 : Aucune donnée en valeur de marché ne peut donc être calculée. 112 : En effet, les comptes consolidés ne permettent pas d’ analyser les échanges financiers entre sociétés d’ un même groupe. 176 Tableau 20 : Etapes de l’échantillonnage Etapes de l’échantillonnage Base de données Diane. Hors sociétés faisant l’ objet d’ obligation de dépôt, de plan de continuation ou de cessation de paiement. Sociétés possédant un actionnaire majoritaire connu (> 50%). Sociétés avec un chiffre d’ affaires supérieur à 15 millions d’ euros en 2000. Montant de dette intragroupe supérieur à 50 000 euros ; Hors sociétés financières, d’ assurance, immobilières et publiques. Comptes sociaux disponibles sur 5 ans. Sociétés contrôlées par une autre société industrielle. Pairage par taille et secteur d’ activité. Nombre de sociétés retenues 158 017 145 929 75 519 12 154 927 210 170 1.2 Données collectées et nombre d’ observations retenues Toutes les données sont extraites des comptes sociaux. La grande majorité des variables sont calculées à partir de données du bilan et du compte de résultat. Cependant, les annexes « Etat des créances et des dettes » et « Immobilisations » sont nécessaires pour calculer : - le montant de la dette intragroupe ; - le montant des dettes à court terme et long terme ; - le montant des acquisitions d’ immobilisations (totales, corporelles, incorporelles et financières). De plus, quelques données d’ analyse financière sont nécessaires ; la base Diane contient notamment les agrégats du bilan fonctionnel (FRNG ; BFR ; Trésorerie nette), le montant de la CAF avant répartition (pour le calcul des cash-flows), et des ratios de structure financière (autonomie et indépendance financières, équilibre financier) et d’ activité (crédits clients et fournisseurs). Les sociétés présentant des indicateurs de résultat négatifs (EBE, résultat d’ exploitation, RCAI ou résultat net) sont intégrées aux échantillons, puisque l’ étude empirique se concentre notamment sur la comparaison des performances des deux sous-échantillons : à partir de caractéristiques comparables (taille et secteur), une société peut dégager des résultats positifs et une autre des résultats négatifs. Sont exclues de l’ analyse les sociétés à chiffre d’ affaires nul et à capitaux propres négatifs. 177 L’ analyse empirique de la section 2 fait appel à deux types de variables différentes : les variables statiques calculées sur 1 an, et celles qui nécessitent des données sur deux années consécutives (taux de variation, variables dont le dénominateur est le total de l’ actif de l’ année précédente). La quasi-totalité des statistiques descriptives nécessitent le calcul de ratios statiques (sauf pour les indicateurs de croissance). Ainsi, le nombre d’ observations prises en compte dans l’ analyse devrait être de 850 par échantillon (170 firmes * 5 ans). Cependant, certaines sociétés ont modifié au cours des cinq années la date de clôture de leurs exercices et quelques données comptables spécifiques sont manquantes. Finalement, le nombre d’ observations pour le calcul des variables statiques s’ élève à 837 pour les sociétés indépendantes et 813 pour les filiales. Pour le calcul des variables « dynamiques », les données de la première année sont systématiquement éliminées puisqu’ elles ne permettent pas de calculer de taux de variation (l’ année précédente n’ existe pas dans la base). Par conséquent, le nombre d’ observations pour ces variables devrait être de 680 (170 firmes * 4 ans). Cependant, la méthode de pairage exige que les deux périodes d’ étude soient exactement identiques. Or, encore une fois à cause de données manquantes et de changements de dates de clôture d’ exercice, le nombre d’ observations valides est plus faible. De plus, certaines « paires » de sociétés disposent de cinq années de données, mais sur des périodes différentes : par exemple, 1997-2001 et 19982002. Dans ce cas, seules les années communes sont retenues. Ainsi, le nombre d’ observations pour les tests de statistiques explicatives s’ élève à 554 par échantillon. Le paragraphe suivant décrit les caractéristiques de chaque catégorie de firmes : filiales et jumelles. 178 II – Statistiques descriptives : présentation et comparaison des caractéristiques financières des deux sous-échantillons 2.1 Analyse sectorielle Le tableau 21 décrit la répartition sectorielle des firmes de l’ échantillon : cette classification n’ est effectuée que sur 170 sociétés, les deux sous-échantillons étant strictement identiques selon les codes sectoriels NAF à deux chiffres. Tableau 21 : Analyse sectorielle des échantillons Codes NAF 15 17 18 20 21 22 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 36 40 45 50 51 52 60 63 71 72 73 74 90 92 TOTAL Intitulés Industries alimentaires Industrie textile Industrie de l’ habillement Travail du bois et fabrication Industrie du papier et du carton Edition, imprimerie, reproduction Industrie chimique Industrie du caoutchouc et des plastiques Fabrication d’ autres produits minéraux non métalliques Métallurgie Travail des métaux Fabrication de machines et d’ équipements Fabrication de machines de bureau et de matériel Fabrication de machines et appareils électriques Fabrication d’ équipements de radio, télévision et communication Fabrication d’ équipements médicaux, de précision, d’ optique Industrie automobile Fabrication de meubles, industries diverses Production et distribution d’ électricité, de gaz et de chaleur Construction Commerce et réparation automobile Commerce de gros et intermédiaires de commerce Commerce de détail et réparation d’ articles domestiques Transports terrestres Services auxiliaires de transport Location sans opérateur Activités informatiques Recherche et développement Services fournis aux entreprises Assainissement, voirie et gestion des déchets Activités récréatives, culturelles et sportives Nombre de sociétés 6 4 4 1 1 2 10 6 9 2 7 9 1 1 2 2 2 1 1 11 3 48 3 5 6 2 7 1 10 2 1 170 Pourcentages 3.5 2.4 2.4 0.6 0.6 1.2 5.9 3.5 5.2 1.2 4 5.3 0.6 0.6 1.2 1.2 1.2 0.6 0.6 6.5 1.8 28.2 1.8 2.9 3.5 1.2 4 0.6 5.9 1.2 0.6 100 On dénombre 33 secteurs d’ activité différents. Le secteur le plus représenté est celui du commerce de gros et des intermédiaires de commerce avec 48 sociétés (28.2% du total). 179 Quatre autres secteurs comptent un effectif significatif : la construction avec 11 firmes (6.5%), l’ industrie chimique avec 10 firmes (5.9%), les services fournis aux entreprises avec également 10 sociétés (5.9%) et la fabrication de machines et équipements avec 9 sociétés (5.2%). Ces quatre secteurs comptent au total 88 firmes et représentent à eux seuls 51.7% de l’ effectif total. Par ailleurs, 15 secteurs d’ activité ne comportent qu’ une à deux sociétés. En complément de l’ analyse sectorielle détaillée, il est possible de déterminer deux catégories globales de secteurs. Ce regroupement sectoriel consiste à classer les firmes selon leur appartenance à : - l’ industrie manufacturière : codes sectoriels de 15 à 45 : 82 sociétés au total, soit 48.2% de l’ échantillon ; - le commerce, la réparation, la location et les services aux entreprises et aux particuliers : codes sectoriels 50 à 92 : 88 sociétés, soit 51.8% de l’ échantillon. L’ échantillon total est donc relativement bien équilibré entre les sociétés industrielles (48.2%), et les sociétés de services, au sens large (51.8%). 2.2 Comparaison des caractéristiques financières des deux sous-échantillons Le tableau 22 met en évidence les principales caractéristiques des firmes de l’ échantillon. Les statistiques sont données pour l’ échantillon de filiales, puis pour l’ échantillon de sociétés indépendantes (« jumelles »). Le test t de différence de moyennes permet de rejeter ou d’ accepter l’ hypothèse nulle d’ égalité des moyennes entre deux échantillons indépendants. Tableau 22 : Test t de différence de moyennes La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses) sont donnés dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons113. L’ échantillon de filiales comporte 813 observations ; l’ échantillon de jumelles compte 837 observations, ceci pour toutes les variables, sauf pour celles qui mesurent un taux de variation (variables de croissance) : les deux sous-échantillons comportent alors chacun 554 observations. Les cash-flows sont calculés par la formule suivante : CAF – Variation BFR – dividendes. La capacité de remboursement est mesurée par le ratio (Dette de caractère financier/CAF avant répartition). Pour les variables de structure d’ actif, les % d’ immobilisations considérés correspondent aux montants bruts des immobilisations par rapport au total de l’ actif brut. Les crédits clients et fournisseurs sont donnés en nombre de jours et calculés comme suit : (Clients+EENE/CA TTC)*360 ; (Fournisseurs/Achats TTC)*360. L’ indépendance et l’ autonomie financières sont données en % et mesurées respectivement par les ratios : (Fonds propres/Ressources durables)*100 ; (Fonds propres/Total bilan)*100. Enfin, les indicateurs de liquidité générale et réduite sont 113 : Les résultats sont inchangés si l’ on considère l’ hypothèse de variances inégales. 180 calculés par les ratios : (Actif circulant net – Stocks nets)/Dettes CT ; Actif circulant net / Dettes CT. ° : significatif au seuil de 10% ; * : significatif au seuil de 5% ; ** : significatif au seuil de 1% Variables Performance VA / actif net (Reco) EBE / CA (Marge1) Résultat d’ exploitation / CA (Marge2) RCAI / actif net (Rfi1) Résultat net / actif net (ROA) Cash-flows / actif brut (Rfi2) Endettement Dette intragroupe / actif net (Dintra1) Dette intragroupe / dette totale (Dintra2) Dette financière LT / actif net (Dfi) Dette totale / actif net (Dto1) Dette totale CT / actif net (Dto2) CBC / actif net (Cbc) Intérêts et charges ass. / dette financière (Int) Capacité de remboursement (Remb) Croissance Variation CA en % (VarCA) Variation VA en % (VarVA) Variation Total actif brut en % (VarACT) Structure de l’actif % d’ immobilisations totales (ImoT) % d’ immobilisations corporelles (ImoC) % d’ immobilisations financières (ImoF) Degré d’ amortissement des immobilisations (DegA) Politique d’investissement Acquisition d’ immobilisations / Actif brut (Acq1) Acquisition d’ immos corporelles / Actif brut (Acq2) Ratios d’activité Crédit clients, en jours (Client) Crédit fournisseurs, en jours (Fourni) Créances clients / Actif net (Créance) Ratios financiers Indépendance financière, en % (Indéfi) Autonomie financière, en % (Autofi) Liquidité réduite (LiquiR) Liquidité générale (LiquiG) Taille Chiffre d’ affaires net, en k (CA) Total actif brut, en k (ACT) Considérations fiscales Total dotation / immobilisations brutes (Dot) Charges exceptionnelles / actif net (Chexc) Montant total des impôts et taxes, en k (Imp) Filiales Moyenne Médiane Jumelles Moyenne Médiane Test t (signification) 0.567 0.064 0.036 0.049 0.025 0.032 0.423 0.052 0.031 0.046 0.026 0.039 0.475 0.080 0.057 0.087 0.049 0.052 0.413 0.056 0.037 0.065 0.037 0.053 1.571 (0.116) -2.336 (0.020)* -3.570 (0.000)** -4.403 (0.000)** -2.690 (0.007)** -1.698 (0.09)° 0.191 0.221 0.278 0.831 0.769 0.036 0.966 2.4230 0.104 0.160 0.105 0.741 0.673 0.039 0.076 0.768 0.114 0.480 0.431 0.027 1.868 0.971 0.063 0.567 0.499 0.009 0.084 0.609 1.674 (0.094)° 2.427 (0.015)* 2.350 (0.019)* 2.117 (0.034)* -1.755 (0.079)° 1.082 (0.279) 11.44 9.20 14.31 6.44 5.85 7.09 11.41 9.29 13.72 6.40 5.69 6.59 0.014 (0.988) 0.248 (0.843) 0.243 (0.808) 43.98 29.93 5.15 62.48 38.07 20.11 0.86 64.19 40.54 29.77 6.76 60.09 40.08 27.01 1.03 62.59 1.163 (0.245) 0.069 (0.945) -2.094 (0.036)* 2.838 (0.005)** 0.061 0.038 0.031 0.017 0.038 0.025 0.010 0.006 5.020 (0.000)** 4.389 (0.000)** 83.21 84.92 0.536 80.41 73.72 0.413 67.11 72.08 0.373 63.81 66.64 0.364 7.674 (0.000)** 1.994 (0.046)* 1.596 (0.111) 29.94 22.93 1.24 1.61 35.59 22.42 1.13 1.36 48.81 33.17 1.33 1.71 45.88 31.77 1.17 1.47 -5.882 (0.000)** -9.434 (0.000)** -2.353 (0.019)* -2.095 (0.036)* 32 277 31 088 25 799 19 560 33 739 36 133 26 096 17 429 -0.744 (0.457) -1.615 (0.107) 0.087 0.041 1 120 0.073 0.013 734 0.065 0.024 1 117 0.053 0.009 743 6.443 (0.000)** 3.276 (0.001)** 0.035 (0.972) 2.2.1 Indicateurs de taille et de croissance Deux variables permettent de mesurer la taille des firmes de l’ échantillon : le total du chiffre d’ affaires net (CA), et le total de l’ actif brut (ACT). Aucune différence significative ne distingue les filiales des sociétés indépendantes. Pour l’ échantillon de filiales, la moyenne du 181 chiffre d’ affaires s’ établit à 32 277 k (la médiane est égale à 25 799 k ). Pour l’ échantillon de sociétés indépendantes, cette même moyenne s’ élève à 33 739 (26 096) k 114 . Pour le total de l’ actif brut, les moyennes respectives des deux sous-échantillons sont égales à 31 088 k (19 560) pour les filiales et 36 133 k (17 429) pour les sociétés non contrôlées115. Les coefficients du test t ne sont pas significatifs. Les moyennes des ratios de croissance sont également très proches d’ un échantillon à l’ autre : aucune différence significative n’ est à noter à partir des trois variables (VarCA), (VarVA) et (VarACT). Les filiales et les jumelles de l’ échantillon connaissent des taux de croissance identiques : +11% par an environ pour le chiffre d’ affaires, +9% de croissance pour la valeur ajoutée et +14% pour le total de l’ actif brut. 2.2.2 Mesures de performance Tous les indicateurs de performance sont des ratios comptables. Si l’ on s’ intéresse aux ratios de marge et de rentabilité d’ exploitation, deux ratios sur trois soulignent des performances économiques supérieures pour l’ échantillon de sociétés indépendantes. Tout d’ abord, la moyenne du ratio (Marge1) s’ élève à 6.4% (5.2%) pour les filiales, et 8% (5.6%) pour les sociétés indépendantes : la différence est significative au seuil de 5%. De plus, le ratio (Marge2) est également plus élevé pour les jumelles que pour les filiales : 5.7% (3.7%) contre 3.6% (3.1%) en moyenne, la différence étant significative au seuil de 1%. Les valeurs médianes sont pourtant sensiblement identiques entre les deux sous-échantillons. Seules les valeurs du ratio (Reco) s’ avèrent supérieures pour les filiales (56.7% contre 47.5%), mais la différence n’ est pas significative. Si l’ on considère les indicateurs de rentabilité financière, la différence de performance est encore plus nette. Le ratio (Rfi1) est égal à 4.9% (4.6%) pour les filiales et 8.7% (6.5%) pour les jumelles. Les moyennes du ratio (ROA) s’ élèvent successivement à 2.5% (2.6%) pour les filiales et 4.9% (3.7%) pour les jumelles. Pour ces deux ratios, le coefficient du test t est significatif à 1%. 114 : Pour le reste de l’ analyse, les chiffres donnés entre parenthèses correspondent aux valeurs médianes. : Les chiffres, non reportés, sont sensiblement identiques si l’ on considère le total de l’ actif net : 24 557 k en moyenne pour les filiales et 26 607 k pour les « jumelles ». 115 182 Par ailleurs, il est possible de calculer la valeur des cash-flows dégagés par chaque firme à partir de la CAF avant répartition, en prenant en compte le montant des dividendes versés et la variation du BFR entre t-1 et t. La moyenne du ratio (Rfi2) s’ établit à 3.2% (3.9%) pour les filiales et 5.2% (5.3%) pour les jumelles : ce résultat n’ est significatif qu’ au seuil de 10%. Pour ces trois indicateurs de rentabilité financière, les valeurs médianes sont également plus faibles pour l’ échantillon de filiales. En conclusion, il semble que les filiales présentent des indicateurs de performances économiques et financières statistiquement plus faibles que des sociétés indépendantes comparables. Ce résultat va à l’ encontre de l’ hypothèse 8 sur l’ efficience des marchés internes : si les ressources internes étaient affectées au financement de projets d’ investissement rentables, les performances générales des filiales devraient être sensiblement supérieures à celles des autres firmes. Il infirme également l’ hypothèse d’ une fonction de contrôle plus efficace de la part des dirigeants du groupe sur la gestion des filiales bénéficiant de dette intragroupe. Dans leur étude sur les conséquences de l’ appartenance à un groupe sur le marché indien, Khanna et Palepu (2000) ne relèvent aucune différence significative de performance entre les sociétés affiliées et les sociétés indépendantes. En utilisant la rentabilité nette de l’ actif, les auteurs rapportent des moyennes (médianes) de 8.68% (9.05%) pour les sociétés membres, et 8.38% (8.90%) pour les sociétés indépendantes. Les valeurs du Q de Tobin offrent des résultats similaires : 1.40 (1.14) pour les filiales et 1.38 (1.07) pour les sociétés indépendantes. Shin et Park (1999) comparent également la valeur du Q de Tobin entre un échantillon de filiales de groupes coréens et un échantillon de firmes indépendantes : les filiales présentent des valeurs de Q significativement plus faibles que celles des firmes non contrôlées (en moyenne, 1.06 contre 1.16 pour 1994, et 1.11 contre 1.33 en 1995). Il faut souligner cependant que les test de Khanna et Palepu (2000) et de Shin et Park (1999) ne prennent pas en compte l’ utilisation de dette intragroupe. Les résultats du test de Deloof (1998) étudiant l’ influence de la dette intragroupe sur les contraintes financières sont plus comparables à ceux de notre recherche. En distinguant les caractéristiques financières d’ un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe et celles d’ un échantillon de firmes ne bénéficiant que de dettes bancaires, les auteurs soulignent que : 183 - la valeur du ratio (Résultat net/actif net) est significativement supérieure pour les firmes « groupe » ; - le montant des cash-flows générés est en revanche plus élevé pour les firmes « banque ». Enfin, Praet (2002) compare les performances d’ un échantillon de filiales de holding et celles d’ un échantillon de firmes familiales116. Les résultats des tests univariés montrent que les filiales de holding possèdent des performances significativement plus faibles que les sociétés familiales : les indicateurs utilisés sont la valeur ajoutée (22.96% du total de l’ actif net en moyenne contre 43.87%), la rentabilité d’ exploitation (-4.44% contre 3.56%), et la rentabilité financière (-0.05% contre 7.78% pour le ratio Cash-flows/actif net, et –4.68% contre 1.85% pour le ratio Résultat net/actif net). 2.2.3 Ratios d’ endettement Pour l’ échantillon de filiales, la dette intragroupe représente en moyenne 19.1% (10.4%) du total de l’ actif net (Dintra1), et 22.1% (16%) de l’ endettement total des sociétés (Dintra2). Ces montants significatifs empruntés en interne garantissent l’ existence d’ échanges financiers intenses entre les différentes filiales, et mettent ainsi en évidence le rôle actif des marchés internes créés. Deux ratios mesurent l’ endettement financier externe, l’ un à long terme (Dfi), l’ autre à court terme (Cbc). En moyenne, les filiales sont plus endettées à long terme que les sociétés indépendantes : le premier ratio s’ élève à 27.8% (10.5%) pour les filiales, et 11.4% (6.3%) pour les jumelles. La différence n’ est significative qu’ au seuil de 10%. De même, les filiales semblent plus endettées à court terme que les sociétés indépendantes : la moyenne du second ratio est égale à 3.6% (3.9%) pour les filiales et à 2.7% (0.9%) pour les jumelles. Ce résultat est significatif au seuil de 5%. Ainsi, l’ utilisation de la dette intragroupe ne semble pas intervenir comme un substitut de la dette externe à long ou à court terme. Au contraire, il semble que les filiales ont la possibilité de contracter proportionnellement plus de dettes financières externes que des sociétés 116 : La comparaison des résultats du test de Praet (2002) avec ceux de notre étude doit être analysée avec précaution. Tout d’ abord, il étudie particulièrement les filiales de holdings. De plus, les deux types de firmes (familiales et filiales) sont contrôlées à plus de 50%. 184 indépendantes comparables. L’ appartenance au groupe constitue un avantage particulièrement intéressant pour les sociétés membres, en vue de l’ obtention de crédits bancaires à court terme. Cette conclusion découle certainement de l’ existence d’ une garantie supplémentaire représentée par les autres actifs du groupe117. De plus, deux autres ratios permettent d’ évaluer l’ endettement total des firmes de chaque sous-échantillon : l’ endettement total comprend les dettes financières internes et externes et les dettes d’ exploitation. La moyenne du ratio (Dto1) s’ élève à 83.1% (74.1%) pour les filiales, contre 48% (56.7%) pour les sociétés indépendantes. Ce résultat est également valide si l’ on ne considère que le total des dettes à moins d’ un an (Dto2) : 76.9% (67.3%) pour les filiales et 43.1% (49.9%) pour les jumelles. Les coefficients du test t sont significatifs au seuil de 5% pour les deux ratios. Ces résultats corroborent l’ hypothèse 4 sur la possibilité pour les firmes membres de groupe d’ évoluer en conservant un ratio optimal d’ endettement supérieur à celui des firmes indépendantes. Il est également intéressant de mesurer le coût de la dette financière externe à partir du ratio (Int). Les filiales semblent payer moins d’ intérêts financiers que les sociétés indépendantes, même si la différence de moyennes n’ est significative qu’ au seuil de 10%. Enfin, la capacité de remboursement (Remb) des filiales (mesurée par le ratio Dettes financières/CAF avant répartition) est plus faible que celle des sociétés indépendantes, ceci en raison d’ une CAF moins importante et d’ un endettement global largement plus élevé (le test t n’ est pas significatif). Le test de Deloof et Verschueren (1999) analyse les politiques d’ endettement d’ un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe (firmes « groupe ») et un échantillon de firmes n’ ayant recours qu’ à la dette bancaire (firmes « banque »). A partir d’ un échantillon total de 873 firmes belges non cotées, les résultats des tests univariés montrent que les firmes bénéficiant de dette intragroupe présentent un ratio d’ endettement à long terme significativement plus élevé que celui des firmes « banque » (en moyenne 20% contre 10% du total de l’ actif). Cependant, les firmes « groupe » empruntent moins en externe que les firmes « banque » (5% contre 10%). Ce résultat va à l’ encontre des conclusions concernant l’ endettement externe des filiales de notre échantillon. Shin et Park (1999) révèlent que les sociétés coréennes membres 117 : En effet, les filiales et les sociétés indépendantes de l’ échantillon sont sensiblement identiques si l’ on considère le pourcentage des immobilisations corporelles dans le total de l’ actif net (voir paragraphe suivant). 185 de groupe sont globalement plus endettées à long terme que des sociétés indépendantes comparables. Les auteurs expliquent ce résultat par l’ avantage d’ une co-garantie des emprunts au sein du groupe et de l’ existence de cash-flows non corrélés, générés par divers secteurs d’ activité : ces deux phénomènes tendent à augmenter la capacité d’ endettement des firmes membres. Praet (2002) tente également de comparer l’ endettement total de filiales de holding et de filiales de groupes industriels. Les statistiques descriptives indiquent que les filiales de groupes industriels sont significativement moins endettées que les filiales de holding. De plus, les ratios d’ endettement à long terme et de dette bancaire sont sensiblement égaux d’ un échantillon à l’ autre. En revanche, les filiales de groupes s’ appuient plus largement sur la dette intragroupe : en moyenne, celle-ci représente 32.16% de la dette totale pour les filiales de groupes contre seulement 16.96% pour les filiales de holdings. 2.2.4 Structure de l’ actif L’ analyse de la structure de l’ actif consiste à mesurer le pourcentage des différentes catégories d’ immobilisations brutes dans le total de l’ actif brut. Si l’ on considère les pourcentages d’ immobilisations totales et corporelles, (ImoT) et (ImoC), aucune différence significative ne permet de distinguer les deux sous-échantillons. Les immobilisations totales représentent 43.98% (38.07%) du total de l’ actif brut pour les filiales, et 40.54% (40.08%) pour les sociétés indépendantes. Par ailleurs, 29.93% (20.11%) du total de l’ actif brut est composé d’ immobilisations corporelles pour l’ échantillon de filiales : cette proportion est égale à 29.77% (27.01%) pour l’ échantillon de jumelles. La part des immobilisations corporelles dans le total de l’ actif est souvent considérée comme un indicateur de garantie par les organismes de crédit : les sociétés indépendantes possèdent autant d’ immobilisations corporelles que les filiales, pourtant ces dernières sont largement plus endettées. Ceci tend à prouver que les filiales font appel aux autres sociétés du groupe pour garantir leurs emprunts bancaires. L’ investissement en immobilisations financières est un moyen pour les dirigeants de groupes de transférer les ressources entre les différentes filiales. Cette hypothèse implique donc que le pourcentage d’ immobilisations financières dans le total du bilan est supérieur pour l’ échantillon de filiales que pour celui des sociétés indépendantes. Les statistiques du tableau 186 22 montrent pourtant que les sociétés indépendantes possèdent une part plus importante d’ immobilisations financières que les filiales, (ImoF) : en moyenne, 6.76% (1.03%) contre 5.15% (0.86%), ce résultat étant significatif au seuil de 5%. Ce résultat infirme l’ hypothèse 6, même s’ il ne prouve pas l’ absence de participations croisées entre les filiales d’ un même groupe. Enfin, le degré d’ amortissement des immobilisations (DegA) des filiales est plus élevé que celui des jumelles : 62.48% (64.19%) contre 60.09% (62.59%), significatif au seuil de 1%. La vétusté des immobilisations des filiales implique que celles-ci doivent investir proportionnellement plus que les jumelles, notamment pour remplacer des équipements obsolètes. 2.2.5 Politique d’ investissement La dette intragroupe représente un apport de capitaux supplémentaires pour le financement des investissements des filiales. Outre la disponibilité de fonds en excès, cette source de financement offre des conditions de crédit avantageuses : modulation de remboursement, taux d’ intérêts plus faibles. La moyenne du ratio (Acq1) est significativement plus élevée pour les filiales que pour les sociétés indépendantes, au seuil de 1% : 6.1% (3.1%) contre 3.8% (1%). De même, l’ investissement en actifs tangibles, (Acq2), est plus élevé pour les filiales que pour les jumelles : la moyenne du ratio (Acquisitions d’ immobilisations corporelles/actif brut) est égale à 3.8% (1.7%) pour les premières, et à 2.5% (0.6%) pour les secondes, la différence étant significative à 1%. Ces résultats corroborent l’ hypothèse 1 de cette recherche. En mesurant les dépenses en capital totales, Shin et Park (1999) arrivent à une conclusion similaire : les filiales des groupes coréens investissent proportionnellement plus que les sociétés indépendantes. Les résultats montrent que le montant des dépenses en capital représente en moyenne 8.95% en 1994, et 9.89% du total de l’ actif en 1995 pour l’ échantillon de filiales ; ces chiffres s’ élèvent respectivement à 6.69% et 7.43% pour les sociétés non affiliées. De même, Deloof (1998) montre que l’ investissement total des firmes « groupe » est significativement plus important que celui des firmes « banque » : 36% du total de l’ actif immobilisé pour les firmes « groupe », contre 27.7% pour les firmes « banque ». Cette 187 différence significative se retrouve au niveau des investissements en immobilisations financières (0.6% de l’ actif immobilisé pour les firmes « groupe », et seulement 0.2% pour les firmes « banque »). En revanche, la politique d’ investissement en immobilisations corporelles (actifs tangibles) des deux types de firmes est identique. 2.2.6 Ratios d’ activité et d’ analyse financière Le crédit interentreprises est, au même titre que les participations croisées, un moyen de transférer des fonds d’ une entité à l’ autre du groupe. Les filiales devraient donc présenter des valeurs de crédits clients et fournisseurs supérieures à celles des jumelles. L’ hypothèse 7 est confirmée par les résultats du tableau 22. Le crédit clients118, (Client), s’ élève en moyenne à 83.21 (80.41) jours pour les filiales, et à 67.11 (63.81) jours pour les sociétés non affiliées : le test de différence de moyennes est significatif au seuil de 1%. De même, le crédit fournisseurs, (Fourni), correspond à 84.92 (73.72) jours pour les filiales, et à 72.08 (66.64) jours pour les autres firmes : ce résultat est également significatif à 1%. Même si la différence n’ est pas significative, il faut noter que la valeur du ratio (Créance) est supérieure pour l’ échantillon de filiales. Les ratios d’ indépendance et d’ autonomie financières mesurent la proportion des fonds propres, par rapport, respectivement, au total des ressources durables et au total du bilan. Ces deux ratios, (Indéfi) et (Autofi), sont significativement plus faibles (à 1%) pour les filiales que pour les sociétés indépendantes. De plus, les indicateurs de liquidité119 sont plus élevés pour les sociétés indépendantes que pour les filiales. En moyenne, la liquidité réduite (LiquiR) s’ établit à 1.24 (1.13) pour les filiales et à 1.33 (1.17) pour les jumelles ; de même, la liquidité générale (LiquiG) est égale à 1.61 (1.36) pour les filiales, et à 1.71 (1.47) pour les autres firmes. Ces deux résultats sont significatifs à 5%. 2.2.7 Considérations fiscales La direction d’ un groupe peut réaliser une gestion active des résultats de ses filiales pour minimiser la charge d’ imposition de chacune. Cet avantage est lié notamment à la possibilité 118 : Les crédits clients et fournisseurs sont calculés comme suit : (Clients+EENE / CA TTC)*360 ; (Fournisseurs / Achats TTC)*360. 188 de transférer les fonds d’ une entité à l’ autre. Outre le crédit interentreprises et les participations croisées, des prix de cession interne avantageux et une centralisation efficace des achats et des ventes au sein de la structure de groupe peuvent représenter des moyens pertinents pour tenter de minimiser les résultats comptables et diminuer les charges d’ imposition. Dans le même temps, ce phénomène est potentiellement un instrument d’ expropriation de richesse des minoritaires à la disposition de la direction du groupe. Pour juger de l’ importance de ces considérations fiscales, nous avons vérifié si les filiales payaient proportionnellement moins d’ impôts et taxes, en valeur absolue, que les sociétés indépendantes. La moyenne du montant total d’ impôts et taxes, (Imp), s’ avère être quasiment identique pour les deux sous-échantillons. Cependant, si l’ on examine certains postes comptables souvent laissés à la discrétion des dirigeants et pouvant influencer le montant du résultat net, des différences significatives apparaissent entre les deux sous-échantillons. C’ est le cas notamment pour le total des dotations aux amortissements rapporté au total de l’ actif immobilisé, (Dot) : la moyenne de ce ratio s’ élève à 8.7% (7.3%) pour les filiales et seulement 6.5% (5.3%) pour les jumelles (différence significative à 1%). De plus, la moyenne du ratio (Chexc) est significativement plus élevée (à 1%) pour l’ échantillon de filiales que pour celui de sociétés indépendantes : 4.1% (1.3%) contre 2.4% (0.9%). En conclusion, même si elles ne parviennent pas à diminuer la charge totale d’ impôts, les filiales semblent gérer activement leurs résultats comptables. 2.3 Synthèse des résultats issus des tests univariés Cette analyse détaillée des données comptables de chaque sous-échantillon permet de dégager des conclusions stables sur les différences de comportement financier entre les filiales et les sociétés non contrôlées. Ainsi, par rapport à des sociétés indépendantes comparables, les filiales de l’ échantillon : - possèdent des performances significativement moins élevées ; ce résultat concerne non seulement les indicateurs marge mais également ceux mesurant la rentabilité financière ; - présentent des ratios d’ endettement financier, externe et total, significativement plus élevés ; ce résultat est valable pour les dettes à long terme et à court terme ; 119 : Les indicateurs de liquidité générale et réduite sont calculés par les ratios : (Actif circulant net – Stocks nets)/Dettes CT ; Actif circulant net/Dettes CT. 189 - possèdent significativement moins d’ immobilisations financières dans le total de l’ actif immobilisé ; - investissent significativement plus ; ce résultat concerne l’ investissement total, et l’ investissement en actifs tangibles ; - utilisent significativement plus les crédits clients et fournisseurs (crédit interentreprises) ; - présentent des ratios d’ autonomie et d’ indépendance financières, et des indicateurs de liquidité significativement plus faibles ; - opèrent une gestion active des résultats comptables sans parvenir à minimiser la charge totale d’ impôts. Ainsi, sans être définitives, plusieurs conclusions émergent de ces statistiques descriptives : - le degré de contraintes financières semble être plus faible pour les filiales que pour les sociétés indépendantes ; - la structure de groupe permet la création d’ un marché interne actif, où les échanges financiers entre filiales s’ opèrent surtout par l’ intermédiaire de la dette intragroupe et du crédit interentreprises ; - l’ hypothèse d’ efficience des marchés internes pourrait être rejetée sur cet échantillon de filiales : en effet, celles-ci investissent proportionnellement plus, pour des performances financières significativement plus faibles120. Les conclusions issues des tests univariés ont une portée limitée, puisqu’ elles ne correspondent qu’ à des constats descriptifs. Aucun lien de causalité entre l’ existence de la dette intragroupe et les particularités de la situation financière des filiales n’ est établi à ce stade de l’ analyse121. Pourtant, il est nécessaire de déterminer si ces résultats correspondent aux relations attendues par les hypothèses évoquées dans la section 3 du chapitre 1. Le tableau 23 résume les validations et les infirmations des hypothèses à partir des résultats des tests univariés précédents : 120 : Cette conclusion est semblable à celle de Shin et Park (1999) sur les caractéristiques financières d’ un échantillon de filiales coréennes : par rapport à des firmes non affiliées, ces dernières possèdent des opportunités d’ investissement plus faibles, des ratios d’ endettement plus élevés et pourtant, elles investissent proportionnellement plus. 121 : Le relation entre l’ utilisation de la dette intragroupe et les performances financières est analysée dans la section 3 de ce chapitre. Il faut donc rester prudent quant à l’ interprétation de la validation empirique du phénomène d’ inefficience. 190 Tableau 23 : Synthèse des validations empiriques à partir des tests univariés Hypothèses de recherche Validation empirique H1 : Les sociétés bénéficiant de dette intragroupe investissent plus que des sociétés indépendantes comparables. Hypothèse validée pour les investissements totaux et les investissements en actifs tangibles. H4 : Les sociétés affiliées aux groupes présentent des ratios d’ endettement totaux plus élevés que ceux de sociétés indépendantes comparables. Hypothèse validée pour les dettes à long terme et à court terme. H6 : Le pourcentage d’ immobilisations financières dans le total de l’ actif est plus élevé pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées. Hypothèse rejetée. H7 : Les crédits clients et fournisseurs sont plus importants pour les filiales que pour les sociétés non contrôlées. Hypothèse validée. H8 : Les performances financières des filiales sont supérieures à celles des sociétés non contrôlées. Hypothèse rejetée pour les indicateurs de rentabilité économique, de rentabilité financière et de marge. La section 2 est consacrée à l’ analyse des degrés de contraintes financières que subissent les firmes des deux sous-échantillons. A partir d’ un modèle d’ investissement, les tests présentés tentent de valider l’ hypothèse d’ une levée des contraintes financières grâce à l’ utilisation de la dette intragroupe. Section 2 : Dette intragroupe et levée des contraintes financières : test empirique à partir d’un modèle d’investissement La section 2 se concentre sur l’ étude de l’ influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur le degré de contraintes financières des filiales. Les contraintes financières proviennent d’ une différence de coûts significative entre les ressources internes et les fonds externes destinés au financement des investissements. L’ existence de contraintes financières crée un problème de sous-investissement : lorsque le degré de contraintes financières est élevé, une firme ne peut financer l’ ensemble des projets d’ investissement à VAN positive dont elle dispose. Depuis l’ article de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988), le degré de contraintes financières est mesuré par l’ intensité de la relation investissement/cash-flows, à partir de modèles d’ investissement. Cette méthodologie empirique suppose une relation monotone croissante 191 entre le niveau de contraintes financières et la relation investissement/cash-flows. Cependant, plusieurs auteurs remettent en cause ce résultat empirique et démontrent l’ existence d’ une relation non linéaire entre les deux phénomènes (Kaplan et Zingales, 1997, Matsusaka et Nanda, 2000) : plus spécifiquement, l’ intensité des contraintes financières et la relation investissement/cash-flows varieraient en fonction du montant des fonds internes disponibles. L’ objectif des tests présentés dans cette section est de prouver que l’ utilisation de dette intragroupe de la part des filiales permet une levée partielle des contraintes financières. Ainsi, la relation entre le niveau d’ investissement et le montant des cash-flows devrait être significativement positive pour l’ échantillon de sociétés indépendantes, et non significative pour l’ échantillon de filiales. De plus, pour vérifier l’ hypothèse sur le caractère non monotone de la relation, les tests sont répétés en segmentant les deux sous-échantillons en fonction du montant des cash-flows disponibles. Il est également intéressant de confronter les niveaux d’ endettement interne et externe des filiales de l’ échantillon. En effet, le recours à la dette intragroupe offre d’ une part la possibilité à la firme bénéficiaire de modérer son endettement financier externe (baisse du besoin en fonds externes), et d’ autre part, grâce à la garantie que représentent les actifs tangibles des autres sociétés du groupe, il permet à la firme affiliée de collecter proportionnellement plus de fonds externes. Un modèle de structure de capital, tentant d’ expliquer le niveau d’ endettement financier externe, est donc construit pour tester le caractère substituable ou complémentaire des deux formes d’ endettement. Cette section débute par la présentation des modèles d’ investissement classiques. La structure du modèle de régression testé dans cette recherche est ensuite détaillée. Les premiers résultats empiriques sont analysés dans le paragraphe suivant ; ceux-ci sont complétés par une analyse plus détaillée à partir d’ une segmentation des échantillons en fonction du montant des fonds internes disponibles. Enfin, les résultats sur la relation liant les niveaux d’ endettement interne et externe sont exposés. 192 I – Analyse des modèles d’ investissement 1.1 Structure des modèles généraux existants La littérature empirique distingue quatre catégories de modèles d’ investissement : le modèle néo-classique, le modèle « d’ accélérateur », le modèle Q de Tobin et l’ équation d’ Euler122. La méthode de construction des équations d’ Euler n’ est pas analysée dans ce paragraphe ; plusieurs articles offrent une présentation détaillée de ces modèles (Whited, 1992 ; Gilchrist et Himmelberg, 1995 ; Hubbard, Kashyap et Whited, 1995). Tous les modèles présentés dans cette section intègrent une variable de cash-flows même s’ ils n’ en comportaient pas dans leur version originale. Dans le modèle néo-classique, le coût du capital de la firme est le principal déterminant du niveau d’ investissement : (I/K)it = ai + b.(C/K)it + c.(C/K)it-1 + d.(CF/K)it + εit Avec : Iit : le niveau d’ investissement de la firme i à l’ instant t ; K : le capital total ; C : le coût du capital ; CF : montant des cash-flows. Bien que les investissements actuels génèrent des fonds futurs, ce modèle n’ inclut pas de variables calculées ex post. De même, le modèle « d’ accélérateur »123 ne comprend pas de mesures du potentiel de croissance de la firme et suppose que l’ investissement croît avec le total des ventes : 122 : Pour une revue de littérature complète sur les modèles d’ investissement, se reporter à Chirinko (1993). : La notion d’ accélérateur financier provient de travaux récents en macroéconomie, cherchant des pistes pour expliquer les fluctuations des cycles économiques sans mettre en cause exclusivement les chocs liés à la production comme seul facteur explicatif. Le mécanisme d’ accélérateur repose sur la notion que les imperfections liées au fonctionnement du marché financier amplifient et propagent les chocs économiques. En présence d’ un tel phénomène, toute récession conduit à détériorer la rentabilité des entreprises, diminuant ainsi les fonds générés par l’ activité et le montant des actifs : ceci entraîne une détérioration des termes de crédit car les firmes emprunteuses éprouvent des difficultés à signaler la vraie valeur de leurs opportunités 123 193 (I/K)it = ai + b.(S/K)it + c.(S/K)it-1 + d.(CF/K)it + εit Avec : S : le total des ventes. Une des critiques fondamentales de ces deux modèles réside dans le fait qu’ une relation positive et significative entre investissement et cash-flows n’ est pas forcément synonyme de contraintes de liquidité. Elle peut représenter la relation existant entre les investissements présents et la rentabilité attendue des opportunités à venir. Le montant des investissements actuels dépend en effet des cash-flows présents et futurs. C’ est pourquoi, les auteurs étudiant la pertinence du concept de contraintes financières ont inclus dans les modèles d’ analyse un indicateur de mesure des opportunités d’ investissement, le facteur Q de Tobin. La structure générale des modèles Q d’ investissement se présente comme suit : (I/K)it = ait + b.Qit + c.(CF/K)it + εit 124 Avec : Q : Valeur de marché des actifs / Coût de remplacement des actifs. Un coefficient c positif et significatif indique l’ existence de contraintes financières. Au contraire, si ce coefficient est non significatif, la firme a la possibilité de collecter des fonds externes suffisants, et ceci à un coût raisonnable : si la variable « cash-flows » ne possède pas un pouvoir explicatif déterminant sur le niveau d’ investissement de la firme, celle-ci ne subit pas de contraintes financières significatives. Cette équation du modèle Q est la plus fréquemment utilisée dans la littérature empirique (Devereux et Schiantarelli, 1989 ; Hoshi, Kashyap et Scharfstein, 1991 ; Oliner et Rudebusch, 1992 ; Schaller, 1993 ; Himmelberg et Petersen, 1994 ; Vogt, 1994). d’ investissement. De plus, si les conditions de crédit se font de moins en moins favorables pour les entreprises, celles-ci contractent leurs dépenses d’ investissement, et le mouvement récessif se prolonge dans le temps. 124 : Cette équation est celle testée par Fazzari, Hubbard et Petersen (1998) sur un échantillon de 421 firmes industrielles américaines entre 1970 et 1984. 194 D’ autre part, Fazzari et Petersen (1993) et Lhabitant et Tinguely (1999) intègrent dans le modèle de référence une mesure de la variation du BFR de la firme. Modifier son niveau d’ investissement est une décision coûteuse pour une firme. Si une firme subit des contraintes financières externes, une baisse des cash-flows implique soit un coût de financement supplémentaire, soit une réduction de ses investissements productifs. Pourtant, une alternative moins pénalisante serait de diminuer son niveau d’ investissement en limitant la valeur de ses actifs à court terme, et, par conséquent, le montant du BFR. Ainsi, le signe attendu du terme mesurant la variation de BFR est négatif : une baisse du BFR augmente la disponibilité en fonds internes. 1.2 Modèle d’ analyse et calcul des variables Le modèle de régression (3) utilisé dans cette section repose sur l’ équation suivante : (Iit / Ait-1) = ait + b.(CFit / Ait-1) + c.(CAit / Ait-1) + d.(CAit-1 / Ait-2) + e.(ROAit) + f.(ROAit-1) + g.(IMOit / Ait-1) + εit (3) La variable dépendante (Iit / Ait-1) représente le niveau d’ investissement de la firme i pour l’ exercice t. Le dénominateur est égal à la valeur du total de l’ actif brut de la firme i pour l’ exercice t-1. Deux variables dépendantes distinctes sont construites : la première (VARic) mesure le taux de variation du total des immobilisations corporelles entre t-1 et t (investissement en actifs tangibles), la seconde (VARib) représente le taux de variation du total des immobilisations brutes entre t-1 et t125 (investissement total). La variable (CFit / Ait-1) mesure le montant des cash-flows disponibles pour l’ exercice t. Les cash-flows sont obtenus à partir de la formule : CAF avant répartition – versement de dividendes – variation du BFR. Les souscriptions et les remboursements d’ emprunts externes de l’ exercice, à long terme et court terme, ne sont pas pris en compte. De même, le calcul exclut la valeur des cessions et des acquisitions d’ actifs de la période (Deloof, 1998)126. 125 : D’ autres tests à partir du taux de variation du total des immobilisations financières (VARif) ont été réalisés : le coefficient de la variable « cash-flows » étant très faible et non significatif, quel que soit l’ échantillon considéré, les résultats ne sont pas reportés. 126 : Les études empiriques existantes utilisent différentes formules pour mesurer le montant des cash-flows. On peut citer par exemple : Résultat d’ exploitation + amortissement (Shin et Park, 1999) ; Résultat net + amortissement – dividendes (Praet, 2002) ; RCAI + amortissement (Vogt, 1994). 195 Les deux variables (CAit / Ait-1) et (CAit-1 / Ait-2) mesurent le niveau du chiffre d’ affaires pour les exercices t et t-1, et sont intégrées au modèle de régression pour prendre en compte un éventuel effet d’ accélérateur. Ce dernier relie la demande en capital et les variations de la production et des ventes de la firme. Le principe d’ accélérateur repose sur des hypothèses théoriques très simples, mais les modèles d’ investissement intégrant ces variables sont souvent plus performants sur le plan empirique que des modèles beaucoup plus sophistiqués. Une variable mesurant la variation du chiffre d’ affaires (VarCA) est également ajoutée au modèle : cet indicateur permet de vérifier si l’ investissement des deux populations de firmes réagit de la même manière aux variations du taux de croissance de l’ activité. D’ autre part, le modèle comporte deux indicateurs de mesure des opportunités d’ investissement. Traditionnellement, le calcul du Q de Tobin permet d’ obtenir une approximation de la valeur des opportunités d’ investissement ; cependant, les sociétés de l’ échantillon d’ étude n’ étant pas cotées, il est impossible de calculer ce ratio. Pour contourner ce problème, nous suivons la méthodologie de Strong et Meyer (1990) et Deloof (1998) qui utilisent le « ROA » pour les exercices t et t-1, comme variables d’ opportunités d’ investissement. Le « ROA » est mesuré par le ratio (Résultat net/ actif net). La valeur de ce ratio pour l’ année t-1 reflète l’ information passée dont dispose le manager sur les performances récentes de la firme ; ce même ratio calculé pour l’ année en cours correspond à une approximation de la rentabilité attendue des investissements à venir. Enfin, une autre variable de contrôle est incluse dans le modèle, (IMOit / Ait-1). Cette variable générale est déclinée en deux variables explicatives, mesurant respectivement le total des immobilisations brutes de l’ exercice t (IMOb), et les immobilisations financières (IMOf)127, dans le total de l’ actif brut. La première variable est un indicateur de taille : les firmes de petite taille connaissent des taux de croissance supérieurs à ceux des grandes firmes. De plus, la productivité marginale et l’ investissement devraient diminuer au fur et à mesure de l’ accumulation du capital. Le pourcentage d’ immobilisations financières (IMOf) est introduit dans le modèle, car une variation de la proportion d’ immobilisations financières peut entraîner une relation positive 127 : Ces deux variables ne sont pas introduites simultanément dans les modèles car elles sont fortement corrélées entre elles. 196 entre l’ investissement et les cash-flows qui ne provienne pas de l’ existence de contraintes financières. En effet, le montant des cash-flows et le niveau d’ investissement sont tous les deux corrélés négativement à la proportion d’ immobilisations financières (Deloof, 1998). Si l’ on considère la relation entre les immobilisations financières et le niveau d’ investissement, il faut souligner que les actifs financiers ne se déprécient pas : les firmes ayant une part élevée d’ actifs financiers présentent un ratio (Investissement de remplacement/total de l’ actif) plus faible, toutes choses égales par ailleurs. De même, si l’ on s’ intéresse à la relation entre les immobilisations financières et les cash-flows, on peut remarquer que les actifs financiers sont utilisés pour financer des activités à l’ extérieur de la firme. La firme reçoit alors le revenu net de ces activités sous forme de dividendes et d’ intérêts. En comparaison, les actifs tangibles génèrent non seulement des revenus nets, mais aussi des fonds qui pourront être réinvestis pour remplacer les immobilisations obsolètes. Ainsi, les firmes possédant une proportion significative d’ immobilisations financières génèrent moins de cash-flows, encore une fois toutes choses égales par ailleurs. Toutes les variables du modèle (3) sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf celle mesurant le chiffre d’ affaires t-1 (divisée par le total de l’ actif brut en t-2), et celles mesurant les opportunités d’ investissement (divisées respectivement par le total de l’ actif net en t et t1). II – Dette intragroupe et levée des contraintes financières : résultats empiriques Le modèle d’ investissement est appliqué aux deux sous-échantillons, afin de comparer le degré de contraintes financières des filiales et des jumelles. 2.1 Sensibilité investissement/cash-flows Les résultats concernant l’ intensité de la relation investissement/cash-flows sont reportés dans les tableaux 24 et 25. L’ utilisation de la dette intragroupe constitue le critère de classification des firmes et une mesure à priori du niveau de contraintes financières. 197 Tableau 24 : Contraintes financières et sensibilité investissement/cash-flows (I) La variable dépendante des trois modèles est (VARic), elle représente le taux de variation du total des immobilisations corporelles entre t-1 et t. Pour chaque sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La variable cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF – Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1) représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net en t et t-1. (VarCA) est la variation du chiffre d’ affaires entre t-1 et t. Les variables (IMOb) et (IMOf) correspondent respectivement aux montants bruts du total des immobilisations et des immobilisations financières. Toutes ces variables sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut t-2. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%. Variables Constante CF CAt CAt-1 Filiales (1) 0.006 (0.138) 0.008 (0.192) 0.200 (3.747)** -0.142 (-3.033)** VarCA (2) 0.002 (0.332) 0.009 (0.778) - IMOf 0.201 (4.257)** - 0.212 (5.263)** 0.251 (6.158)** - R² ajusté128 F de Fischer129 Durbin - Watson130 0.098 16.047** 1.824 0.118 25.696** 1.860 IMOb (3) 0.007 (0.318) 0.006 (0.146) 0.341 (6.981)** -0.174 (-3.713)** -0.098 (-2.227)* 0.077 12.488** 1.804 128 Jumelles (1) -0.047 (-5.522)** 0.067 (1.724)° 0.200 (3.212)** -0.036 (-0.571) (2) -0.033 (-5.119)** 0.084 (1.987)* - 0.422 (10.09)** - 0.183 (4.712)** 0.387 (9.907)** - 0.167 28.726** 1.711 0.175 39.973** 1.741 (3) 0.028 (4.930)** 0.108 (2.567)* 0.132 (1.968)* -0.139 (-2.07)* -0.075 (-1.771)° 0.025 4.564** 1.813 : Le R² ajusté tient compte du nombre d’ observations et du nombre de variables explicatives : il permet ainsi la comparaison du pouvoir explicatif de plusieurs modèles de régression. 129 : Le test F constitue un autre moyen pour apprécier la validité et la pertinence de l’ ensemble des variables indépendantes. Le calcul de F est fondé sur l’ observation de la part de la variance de Y expliquée par la régression, relativement à la variance non expliquée (F = Variance factorielle / Variance résiduelle). Le t de Student est calculé pour chaque variable, alors que F est calculé sur l’ ensemble du modèle. 130 : Le test de Durbin – Watson permet d’ évaluer l’ autocorrélation des résidus. L’ une des hypothèses de l’ analyse de régression est qu’ il n’ y a pas de corrélation entre les statistiques consécutives. La valeur théorique de la statistique de Durbin – Watson est de 2. 198 Tableau 25 : Contraintes financières et sensibilité investissement/cash-flows (II) La variable dépendante des trois modèles est (VARib), elle représente le taux de variation du total des immobilisations brutes entre t-1 et t. Pour chaque sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La variable cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF – Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1) représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net en t et t-1. (VarCA) est la variation du chiffre d’ affaires entre t-1 et t. Les variables (IMOb) et (IMOf) correspondent respectivement aux montants bruts du total des immobilisations et des immobilisations financières. Toutes ces variables sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut t-2. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%. Variables Constante CF CAt CAt-1 Filiales (4) -0.006 (-0.107) 0.056 (1.328) 0.185 (3.350)** -0.030 (-0.613) VarCA (5) 0.093 (2.499)* 0.041 (0.890) - IMOf 0.054 (1.105) - 0.165 (3.922)** 0.118 (2.774)** - R² ajusté F de Fischer Durbin - Watson 0.036 6.198** 2.064 0.043 9.198** 2.075 IMOb (6) -0.0005 (-0.010) 0.028 (0.650) 0.189 (3.790)** -0.034 (-0.718) 0.084 (1.872)° 0.040 6.793** 2.085 Jumelles (4) -0.490 (-2.236)* 0.074 (1.768)° 0.156 (2.328)* -0.076 (-1.124) (5) -0.368 (-2.203)* 0.079 (1.889)° - 0.165 (3.662)** - 0.128 (3.050)** 0.153 (3.628)** - 0.032 5.521** 1.854 0.039 8.398** 1.861 (6) 0.286 (1.773)° 0.090 (2.121)* 0.141 (1.983)* -0.115 (-1.704)° -0.011 (-0.247) 0.021 4.132* 1.894 Dans les équations (1), (2) et (3), la variable dépendante représente le taux de variation des immobilisations corporelles (VARic), et mesure le niveau d’ investissement en actifs tangibles des deux catégories de firmes. Pour l’ échantillon de firmes ayant recours à la dette intragroupe (filiales), le coefficient de la variable cash-flows (CF) est positif et non significatif dans les trois équations. A l’ inverse, pour l’ échantillon de firmes non contrôlées, ne bénéficiant pas de dette intragroupe, cette même variable présente un coefficient positif et significatif au seuil de 5% dans les équations (2) et (3), et faiblement significatif (à 10%) dans la première équation. La variable (VARib) correspond au taux de variation de l’ actif immobilisé brut : elle mesure le taux d’ investissement total des sociétés de l’ échantillon et constitue la variable dépendante des équations (4), (5) et (6). On retrouve la tendance observée dans les trois premières équations : la variable (CF) a une influence positive et non significative pour l’ échantillon de firmes bénéficiant de dette intragroupe, alors que les coefficients de cette variable sont positifs et significatifs pour les autres firmes non contrôlées (à 10% dans les équations (4) et (5), et à 5% dans l’ équation (6)). Une autre série de tests a été réalisée en calculant le taux de 199 variation des immobilisations financières (investissement en actifs financiers) : les résultats ne sont pas rapportés car aucune régression n’ indique un coefficient significatif pour la variable (CF). Ainsi, la disponibilité en fonds internes ne représente pas un déterminant important du niveau d’ investissement en actifs financiers, pour les deux catégories de firmes. L’ intensité de la relation investissement/cash-flows n’ est pas identique entre les deux souséchantillons. Les résultats mettent en évidence une dépendance moins importante du niveau d’ investissement total et productif vis-à-vis des fonds internes générés pour l’ échantillon de filiales. Ainsi, le recours à la dette intragroupe constitue une source de financement supplémentaire à moindre coût permettant d’ assouplir le degré de contraintes financières des firmes contrôlées. A l’ inverse, les firmes n’ ayant pas accès aux ressources du marché interne subissent des contraintes financières significatives. Ces conclusions corroborent les hypothèses 2 et 3 de cette recherche. Pour tester la validité de ces résultats, une variable mesurant le niveau des cash-flows pour l’ année précédente (CFt-1) a également été testée : les résultats, non rapportés, sont similaires à ceux évoqués précédemment. Ces résultats concordent avec les conclusions de plusieurs tests empiriques, prenant comme instrument de mesure à priori du niveau de contraintes financières l’ appartenance à un groupe. C’ est le cas notamment des articles de Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1991) pour le marché japonais et l’ appartenance à un Keiretsu, de Cho (1995) et Shin et Park (1999) sur le marché coréen, et de Khanna et Palepu (2000) sur le marché indien. A l’ exception de Khanna et Palepu (2000), tous les autres tests évoquent une relation investissement/cash-flows positive et non significative pour les firmes membres de groupe, et une relation positive et significative pour les autres firmes des échantillons d’ étude. Si la sensibilité investissement/cash-flows est une mesure pertinente du degré de contraintes financières, il semble que l’ appartenance à un groupe réduise le degré de contraintes financières. Seul le test de Deloof (1998) compare un échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe, et un échantillon de firmes se finançant exclusivement en externe. Les résultats sont semblables aux nôtres : la relation investissement/cash-flows est non significative pour les firmes disposant de dette intragroupe, ceci pour le taux d’ investissement total, et le taux d’ investissement productif. De même, le taux d’ investissement en actifs financiers n’ est pas influencé par le niveau des cash-flows, quel que soit l’ échantillon considéré. 200 2.2 Influence des variables de contrôle sur les niveaux d’ investissement Si l’ on s’ intéresse aux coefficients des variables de contrôle, il faut noter que la variable (CAt) présente des coefficients positifs et significatifs aux seuils de 5% et 1% dans les équations (1), (3), (4) et (6), pour les deux sous-échantillons. Ainsi, une augmentation de la croissance des ventes de l’ année en cours entraîne une augmentation des différents niveaux d’ investissement. A l’ inverse, la coefficient de la variable (CAt-1) est significativement négatif pour l’ échantillon de filiales dans les équations (1) et (3) dans l’ explication des variations du niveau d’ investissement en actifs tangibles (à 1%), et pour l’ échantillon de jumelles dans les équations (3) et (6). Dans les autres équations, le signe est également négatif sans être significatif. Une hausse des ventes au cours de l’ exercice t-1 influence négativement les niveaux d’ investissement de l’ exercice t. Le taux de croissance de l’ activité a une influence positive et significative sur les différents niveaux d’ investissement : les coefficients de la variable (VarCA) sont positifs et significatifs dans les équations (2) et (5), au seuil de 1%. Cependant, l’ intensité de la relation ne permet pas de distinguer les deux sous-échantillons, et notamment, il ne semble pas que l’ investissement soit plus réactif à la croissance pour l’ échantillon de jumelles. Deloof (1998) relève des coefficients positifs et significatifs concernant les deux variables mesurant le niveau des ventes pour les exercices t et t-1, pour les deux sous-échantillons d’ étude. Shin et Park (1999) rapportent quant à eux des coefficients négatifs et non significatifs pour le ratio mesurant la variation des ventes entre t-1 et t. Les autres études empiriques mesurant la sensibilité investissement/cash-flows, et reposant sur d’ autres méthodes de classification à priori des firmes, évoquent également des résultats contrastés. Les résultats du test de Vogt (1994) indiquent un coefficient positif et significatif pour le niveau des ventes de l’ exercice en cours. Les équations du modèle utilisé par Praet (2002) révèlent des coefficients instables et peu significatifs. Les résultats concernant l’ influence du niveau d’ activité sur l’ investissement sont donc contradictoires. D’ autre part, dans les équations (1) et (4) sur les données des deux sous-échantillons, la variable (IMOb) a une influence positive et significative (au seuil de 1%) sur les différents niveaux d’ investissement (à l’ exception de l’ équation (4) pour l’ échantillon de filiales). 201 L’ hypothèse selon laquelle plus le capital accumulé est important, moins la firme tend à investir n’ est pas vérifiée pour notre échantillon131. Ce résultat s’ oppose aux conclusions de Deloof (1998). Si l’ on compare la nature des firmes de l’ échantillon de Deloof (1998) et celle des firmes étudiées dans ce test, peu de différences significatives apparaissent. Seules les périodes d’ étude sont très éloignées : 1989-1991 pour le test de Deloof (1998) et 1997-2001 pour ce test132. Enfin, la part d’ immobilisations financières dans le total de l’ actif (IMOf) a une influence significativement négative sur les niveaux d’ investissement (sauf dans l’ équation (6) pour l’ échantillon de jumelles). Les résultats concernant les variables (ROAt) et (ROAt-1), mesurant la valeur des opportunités d’ investissement, ne sont pas rapportés car l’ intégration de ces variables dans le modèle d’ analyse entraîne une instabilité des coefficients des autres variables explicatives (changements de signes et de significations), ceci en raison de corrélations significatives entre ces variables et les autres variables explicatives du modèle (et notamment la variable (CF)). Il semble que ces ratios de rentabilité ne soient pas des indicateurs de mesure satisfaisants des opportunités d’ investissement à venir. En effet, elles ne sont que marginalement significatives, et présentent des signes négatifs contraires aux prédictions : une hausse des opportunités d’ investissement doit entraîner une augmentation du niveau d’ investissement de la firme. Globalement, les sociétés affiliées sont soumises à un degré moindre de contraintes financières, ce qui se traduit par une faible sensibilité investissement/cash-flows. Cependant, ces tests reposent sur une hypothèse sous-jacente contestée par plusieurs auteurs (Kaplan et Zingales, 1997 ; Matsusaka et Nanda, 2000), qui suppose que la relation investissement/cashflows et le degré de contraintes financières évoluent de façon monotone. Le paragraphe suivant tente, par l’ intermédiaire d’ une segmentation des deux sous-échantillons, de mettre en évidence le caractère non monotone de la relation. 131 : L’ échantillon total est constitué de grandes sociétés, connaissant des taux de croissance élevés (+11.44% par an en moyenne pour les filiales et +11.41% pour les jumelles) : ces firmes ne semblent pas avoir atteint une taille « critique » à partir de laquelle l’ accumulation du capital tend à freiner l’ investissement (le total de l’ actif brut pour les filiales s’ établit en moyenne à 31 088 k et 36 133 k pour les jumelles). 202 III – La relation investissement/cash-flows est-elle monotone ? 3.1 Modèle de Matsusaka et Nanda (2000) et segmentation des échantillons d’ étude Les différentes études empiriques classent un échantillon de firmes à partir d’ un paramètre financier (dividendes, ratio d’ endettement, taille…), censé représenter à priori le degré de contraintes financières. Ensuite, les tests empiriques mettant en évidence des différences d’ intensité dans la relation investissement/cash-flows sont interprétés comme la preuve de l’ existence de degrés de contraintes financières variables. Kaplan et Zingales (1997) adressent une critique sévère à la méthodologie classique, en soulignant qu’ aucun des tests existants n’ a tenté de valider l’ hypothèse fondamentale, sans fondement théorique solide, qui suppose une relation monotone entre la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes financières. A partir de données qualitatives et quantitatives133, les auteurs reclassent les firmes de l’ échantillon de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) en fonction du degré réel de contraintes financières. Leurs résultats sont éloquents puisque les firmes classées comme étant « non contraintes » possèdent en fait la plus grande sensibilité investissement/cash-flows. Outre la question de savoir si la sensibilité investissement/cash-flows constitue un instrument de mesure efficace des contraintes financières, la classification réalisée dans cette recherche en fonction de l’ utilisation de la dette intragroupe semble pertinente, puisqu’ elle repose sur des fondements théoriques valides (modèle de Gertner, Scharfstein et Stein, 1994). Cependant, il est également possible que la sensibilité investissement/cash-flows dépende du niveau des fonds internes disponibles : c’ est une des implications du modèle Matsusaka et Nanda (2000). Plus précisément, les auteurs supposent que, lorsque les ressources internes sont rares, la firme fait appel au marché externe, et, par conséquent, la relation investissement/cash-flows n’ est pas significative. Au fur et à mesure que les fonds internes disponibles augmentent, l’ intensité de la relation s’ accroît. Puis, lorsque les ressources sont suffisamment élevées pour financer l’ ensemble des investissements disponibles, l’ intensité de la relation redevient très faible. Les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000) sont testées en scindant les deux sous-échantillons en quatre catégories de firmes, en fonction du niveau de fonds internes disponibles. La premier quartile correspond aux firmes ayant les 132 : Les proportions d’ actif immobilisé et d’ immobilisations corporelles dans le total du bilan sont comparables entre les deux études, et n’ apportent pas d’ éclairage sur les différences de résultats observées. 133 : Les données qualitatives incluent notamment les rapports des managers sur la liquidité actuelle et future des firmes concernées. Les données quantitatives sont essentiellement : les ratios d’ endettement, les ratios de 203 cash-flows les plus faibles ; le quatrième correspond au contraire aux firmes disposant de ressources internes très élevées. L’ équation testée reprend la structure du modèle (3). Seule une variable dépendante est prise en compte, la variable (VARic). Les variables de contrôle sont également identiques, mais une seule variable de structure de l’ actif est conservée, (IMOb). 3.2 Sensibilité investissement/cash-flows et niveau de fonds internes disponibles Le tableau 26 rapporte les résultats des différentes régressions ; les firmes sont réparties en quatre quartiles, en fonction du niveau des cash-flows disponibles. Tableau 26: Sensibilité investissement/cash-flows, en fonction du montant de fonds internes disponibles Les deux sous-échantillons sont segmentés en fonction de la valeur de la variable (CF) : le quartile 1 (4) est composé des firmes disposant du plus faible (fort) montant de cash-flows. La variable dépendante est la variable (VARic) qui représente le taux de variation du total des immobilisations corporelles entre t-1 et t. Pour chaque sous-échantillon, on dénombre 554 observations. La variable cash-flows (CF) est mesurée par la formule : (CAF – Variation du BFR – dividendes). (CAt) et (CAt-1) représentent respectivement le total du chiffre d’ affaires net en t et t-1. La variable (IMOb) correspond au montant brut du total des immobilisations. Toutes ces variables sont divisées par le total de l’ actif brut en t-1, sauf la variable (CAt-1) qui est divisée par le total de l’ actif brut en t-2. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%. FILIALES Constante CF CAt CAt-1 IMOb R² ajusté (F ; Durbin-Watson) JUMELLES Constante CF CAt CAt-1 IMOb R² ajusté (F ; Durbin-Watson) Quartile 1 0.006 (0.302) 0.093 (1.023) 0.146 (1.384) -0.168 (-1.091)° 0.018 (0.175) 0.072 (3.679**; 1.986) Quartile 1 -0.024 (-2.393)* 0.139 (1.733)° 0.290 (2.588)* -0.045 (-0.393) 0.352 (4.167)** 0.134 (6.448**; 1.812) Quartile 2 -0.187 (-6.682)** 0.072 (0.961) 0.453 (3.933)** -0.013 (-0.112) 0.561 (7.627)** 0.372 (20.683**; 1.789) Quartile 2 -0.012 (-1.018) 0.015 (0.181) 0.266 (1.199) -0.099 (-0.450) 0.338 (3.773)** 0.080 (3.798**; 1.898) Quartile 3 -0.121 (-4.049)** 0.019 (0.252) 0.361 (3.875)** -0.024 (-0.258) 0.562 (6.857)** 0.264 (13.471**; 2.130) Quartile 3 -0.012 (-0.864) 0.024 (0.294) 0.021 (0.153) 0.094 (0.685) 0.369 (4.175)** 0.090 (4.429**; 1.979) Quartile 4 -0.015 (0.968) 0.213 (1.668)° 0.075 (0.564) -0.241 (-2.744)** 0.258 (1.910)° 0.212 (10.441**; 1.848) Quartile 4 -0.168 (-5.787)** 0.238 (3.445)** 0.050 (0.508) 0.054 (0.560) 0.622 (8.976)** 0.406 (25.067**; 2.051) couverture, la présence de restrictions sur les dividendes et les réserves financières (cash-flows et lignes de crédit 204 Pour l’ échantillon de filiales, on constate que les coefficients de la variable (CF) sont positifs et non significatifs pour les trois premiers quartiles. Si la sensibilité investissement/cash-flows représente un instrument de mesure valide des contraintes financières, il semble que ce type de firmes ne soit pas soumis à un degré de contraintes pouvant engendrer un phénomène de sous-investissement. Seules les filiales disposant des fonds internes les plus élevés (quartile 4) présentent une sensibilité faiblement significative (à 10%). Si les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000) sont pertinentes, le coefficient de la variable (CF) devrait être significatif pour les jumelles appartenant aux quartiles 2 et 3, et, au contraire, non significatif pour les quartiles 1 et 4. Or, les résultats issus du tableau 26 montrent exactement l’ inverse. La variable (CF) est faiblement significative (à 10%) pour les jumelles du premier quartile. Le pouvoir explicatif de la variable (CF) semble largement plus important pour les jumelles du quatrième quartile, avec un coefficient positif et significatif à 1%. D’ ailleurs, la représentativité du modèle est beaucoup plus élevée pour le quartile 4 (R² égal à 0.406), par rapport aux quartiles 2 et 3 (0.080 et 0.090) ; de même, le pouvoir explicatif pour le premier quartile est proportionnellement plus fort (R² égal à 0.134). La relation investissement/cash-flows n’ est pas significative pour les jumelles appartenant aux quartiles 2 et 3, ces firmes possédant des niveaux moyens de fonds internes disponibles. Ces résultats tendent à prouver que la sensibilité investissement/cash-flows dépend étroitement du montant des cash-flows dégagés par la firme, et surtout, que cette relation n’ est pas monotone. Même si les résultats semblent infirmer les implications du modèle de Matsusaka et Nanda (2000), ils appuient tout de même leur conclusion générale, selon laquelle les tests empiriques doivent prendre en compte le caractère non monotone de la relation, et, de ce fait, considérer la variabilité des paramètres financiers134. Ceci est valable pour les cash-flows, mais également pour le niveau d’ endettement (Whited, 1992) et la taille de la firme (Vogt, 1994). D’ autre part, les résultats précédents peuvent provenir de niveaux d’ investissement différents entre les jumelles de l’ échantillon : plus spécifiquement, celles appartenant au quartile 4 pourraient également être celles qui investissent le plus, ceci pouvant expliquer la forte corrélation entre le niveau d’ investissement et les cash-flows. Le test de Kashyap, Lamont et Stein (1994) repose sur une classification à priori d’ un échantillon de firmes américaines en fonction du niveau de fonds internes disponibles : leurs résultats indiquent que les firmes disposant des inutilisées). 134 : Cette conclusion s’ applique également aux tests empiriques traitant de l’ allocation interne des fonds au sein des structures conglomérales. 205 plus faibles montants de cash-flows sont aussi celles qui sont soumises à un degré de contraintes financières significatif. Cette conclusion s’ oppose à celle de notre étude. Si l’ on s’ intéresse aux variables de contrôle, les résultats issus du tableau 26 correspondent à ceux évoqués dans le paragraphe précédent. La valeur du chiffre d’ affaires de l’ année en cours a une influence positive sur les niveaux d’ investissement des deux types de firmes : le coefficient de la variable (CAt) est significatif pour les quartiles 2 et 3 de l’ échantillon de filiales, et pour le quartile 1 de l’ échantillon de jumelles. Le montant du chiffre d’ affaires de l’ année précédente (CAt-1) présente des coefficients négatifs et non significatifs. Enfin, la proportion d’ immobilisations dans le total du bilan (IMOb) a un impact positif et fortement significatif sur les niveaux d’ investissement des deux catégories de firmes : l’ accumulation progressive du capital ne constitue pas un frein à l’ investissement. En résumé, la segmentation en fonction du niveau de fonds internes disponibles corrobore également l’ hypothèse de levée partielle des contraintes financières pour les firmes utilisant la dette intragroupe. En effet, la relation investissement/cash-flows est plus significative pour les jumelles que pour les filiales. Cependant, ces tests plus détaillés montrent que : - la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas monotone, et dépend de nombreux paramètres financiers ; - les contraintes financières touchent plus particulièrement les jumelles possédant des niveaux de fonds internes anormalement faibles ou élevés (quartiles 1 et 4). Le paragraphe suivant se concentre sur l’ interaction entre les modes d’ endettement interne et externe. L’ objectif est de déterminer si l’ utilisation de la dette intragroupe de la part des filiales modifie leur politique d’ endettement externe : il s’ agit de vérifier si la dette intragroupe est un substitut ou, au contraire, un complément à la dette financière externe classique. IV – Utilisation de la dette intragroupe et politique d’ endettement externe des filiales 4.1 Spécificité de la dette intragroupe et théories de structure de capital La dette intragroupe représente une alternative de financement supplémentaire pour les sociétés membres. Le cadre théorique de référence pour l’ analyse du financement à long 206 terme provient des théories de structure de capital, déjà évoquées dans la partie 1. Il apparaît alors naturel de s’ interroger sur l’ interaction entre la spécificité de la dette intragroupe et les prédictions des théories du compromis et de financement hiérarchique. La valeur du ratio optimal d’ endettement est-elle affectée par le recours à l’ endettement interne ? En théorie, le ratio cible dépend des coûts et bénéfices qui découlent de la dette externe. La dette intragroupe a pour caractéristique principale le fait que le prêteur (la direction du groupe) soit également propriétaire d’ une part majoritaire de l’ entité bénéficiaire des fonds. Dans ce cas, les coûts de faillite liés à ce type d’ endettement sont minimisés, au même titre que la probabilité de défaillance ; dans le même temps, l’ emprunt « en interne » donne lieu au paiement de charges d’ intérêts, qui réduisent l’ impôt total. Ces deux arguments tendent à prouver que les bénéfices attachés à la dette interne sont identiques à ceux de l’ endettement externe, alors que les coûts liés à cette forme originale d’ endettement sont quant à eux moins importants. La dette intragroupe a donc pour conséquence une hausse de la valeur du ratio optimal d’ endettement total. Cette idée est confirmée si l’ on prend en compte les coûts d’ agence liés à la dette. L’ endettement intragroupe minimise dans ce cas les conflits d’ intérêts traditionnels entre créanciers et actionnaires, et, comme la dette externe classique, atténue les conflits entre dirigeants et actionnaires : ainsi, les coûts d’ agence totaux sont diminués. La dette intragroupe représente avant tout une source de financement interne, qui vient compléter l’ autofinancement dégagé par la firme. Ce constat permet de comprendre comment cette alternative de financement s’ insère dans la hiérarchie définie par Myers et Majluf (1984). Cette forme d’ endettement devrait être utilisée par les firmes membres, lorsqu’ elles ont épuisé leurs ressources internes, mais avant d’ avoir recours au financement externe (dettes puis capitaux propres). En effet, la dette intragroupe est moins soumise aux effets d’ asymétrie d’ information que la dette externe. Les deux courants théoriques principaux prévoient donc des relations différentes entre le montant de la dette intragroupe, et celui de l’ endettement total de la firme. La théorie du compromis suppose que l’ utilisation de la dette intragroupe permet d’ augmenter la valeur du ratio cible, et offre l’ opportunité aux sociétés membres de s’ endetter proportionnellement plus. A l’ inverse, la théorie du financement hiérarchique souligne que la dette intragroupe 207 permet d’ éviter le recours à l’ endettement externe, en augmentant le montant des fonds disponibles en interne. 4.2 Nature de l’ interaction entre l’ endettement interne et l’ endettement externe Le recours à le dette intragroupe modifie non seulement le besoin en fonds externes des sociétés membres de groupe, mais aussi, la perception des organismes de crédit de la situation financière et de la solvabilité de ce type de firmes. Tout d’ abord, pour un niveau d’ investissement donné, l’ utilisation de la dette intragroupe permet aux sociétés affiliées de limiter l’ usage de la dette financière externe : le financement des investissements est alors assuré exclusivement par les fonds dégagés par la firme et les ressources prêtées par les autres sociétés membres. Dans cette situation, la corrélation entre l’ endettement intragroupe et l’ endettement externe devrait être négative (hypothèse H5). L’ impact de la dette intragroupe sur les problèmes d’ agence entre prêteurs et emprunteurs est différent de celui d’ une forme d’ endettement bancaire ou publique. Les firmes ayant accès au marché interne pourraient opter pour un niveau d’ endettement global différent. En effet, les sociétés membres auraient la possibilité d’ évoluer avec un ratio d’ endettement plus élevé, si la dette intragroupe était associée à des coûts d’ asymétrie d’ information plus faibles, et si l’ asymétrie d’ information obligeait les firmes n’ ayant pas accès au marché interne à s’ endetter proportionnellement moins. De plus, l’ existence de dette intragroupe peut avoir un effet négatif sur les relations entre une firme membre et ses créanciers, en affaiblissant le pouvoir de négociation de ces derniers, ou en augmentant la probabilité de non remboursement. A l’ inverse, les firmes bénéficiant de dette intragroupe peuvent également profiter de la garantie représentée par les actifs tangibles des autres sociétés du groupe pour contracter des emprunts bancaires supplémentaires. A partir d’ un échantillon de 1083 firmes belges sur la période 1992-1994, Deloof et Verschueren (1999) montrent que l’ utilisation de la dette intragroupe : (i) est associée à des ratios d’ endettement totaux supérieurs, (ii) réduit le besoin en fonds externes, puisque les firmes ayant accès au marché interne possèdent des ratios d’ endettement externe proportionnellement plus faibles. Nous avons vu précédemment que les filiales de l’ échantillon sont globalement plus endettées que des sociétés non contrôlées aux caractéristiques comparables. Cependant, l’ influence de la dette intragroupe sur la politique 208 d’ endettement externe des firmes membres n’ a pas été explorée. Ce paragraphe tente d’ identifier la nature de l’ interaction entre les deux formes d’ endettement au travers d’ un modèle de structure de capital. Plusieurs variables dépendantes sont testées : la dette financière externe totale (DetfiTO), la dette financière externe à long terme (DetfiLT) et la dette financière externe à court terme (DetfiCT). La principale variable explicative du modèle (4) est la proportion de la dette intragroupe dans le total de l’ actif net (Intra). Si la dette intragroupe constitue un substitut valable de la dette externe, le coefficient de la variable (Intra) devrait être négatif (baisse du besoin en fonds externes). Si, au contraire, la dette intragroupe s’ avère être un complément de la dette financière externe, le coefficient de la variable (Intra) devrait être positif. Les différentes théories de structure de capital ont identifié plusieurs paramètres financiers pouvant influencer le niveau d’ endettement externe de la firme. Ainsi, trois variables de contrôle sont intégrées au modèle (4). Tout d’ abord, une mesure de la rentabilité passée (ROA), calculée à partir du ratio (Résultat net/Actif net) pour l’ année t-1, vient compléter la structure du modèle. En effet, la théorie du compromis suppose que le ratio d’ endettement est corrélé positivement à la rentabilité passée. Ceci découle du fait qu’ une firme plus rentable dégagera un résultat supérieur sur lequel les déductions fiscales peuvent s’ opérer. Par ailleurs, la rentabilité garantit un niveau de risque de faillite inférieur et offre à la société la possibilité de s’ endetter : vis-à-vis des créanciers, une firme plus rentable que la moyenne du secteur sera plus à même d’ assurer le service de la dette. La théorie du financement hiérarchique prévoit au contraire un coefficient négatif pour la variable (ROA). Les développements de Myers et Majluf (1984) supposent que le financement interne sera systématiquement préféré au financement externe : plus la rentabilité passée est élevée, plus les fonds internes disponibles sont importants, ce qui diminue mécaniquement le besoin en fonds externes135. 135 : Cette hypothèse est validée, entre autres, par Baskin (1989), Rajan et Zingales (1995), Titman et Wessels (1988) et Biais, Hillion et Malécot (1994). 209 Un indicateur de mesure de la taille de la firme est ajouté au modèle (4) : il correspond au logarithme du total de l’ actif net de l’ année t (Taille). Les différents développements théoriques s’ accordent pour prévoir une influence positive de la taille de la firme sur le ratio d’ endettement financier136. En effet, plus la taille est importante, moins la firme est risquée du point de vue des investisseurs en raison d’ une diversification accrue des activités. De plus, la taille peut représenter un seuil à partir duquel la firme a accès plus facilement à d’ autres sources de financement137. Enfin, la taille est un indicateur de moindre asymétrie d’ information. Le modèle (4) comporte également une mesure de la croissance passée, avec le taux de variation du chiffre d’ affaires entre l’ année t-1 et t (VarCA). Un taux de croissance passée élevé tend à accroître le besoin en fonds externes de la firme, car les ressources internes sont consommées plus rapidement. Les résultats des tests de Titman et Wessels (1988) et de Baskin (1989) confirment cette tendance. La structure générale du modèle (4) est la suivante138 : (DfiEX) = Cste + a.(Intra) + b.(ROA) + c.(Taille) + d.(VarCA) + ε (4) 4.3 Mise en évidence de l’ influence de la dette intragroupe sur l’ endettement externe des filiales Les résultats empiriques issus du modèle (4) sont présentés dans le tableau 27. Le test ne concerne que l’ échantillon de filiales, et le nombre d’ observations valides est de 554. 136 : L’ influence positive de la taille sur les variations du ratio d’ endettement financier est confirmée entre autres par les résultats des tests de Marsh (1982) et Smith et Watts (1992). 137 : Cette hypothèse est testée avec succès par Biais, Hillion et Malécot (1994). 138 : L’ influence de l’ appartenance sectorielle sur le niveau d’ endettement externe a été également testée. Les résultats ne sont pas présentés car les variables dichotomiques sectorielles ne possèdent aucun pouvoir explicatif. 210 Tableau 27 : Influence de la dette intragroupe sur le niveau d’endettement financier externe Ce test ne concerne que l’ échantillon de filiales (N=554). Dans l’ équation 1, la variable dépendante est (DetfiLT), qui mesure le ratio d’ endettement financier externe à long terme : (Dette financière – CBC)/Actif net. La variable expliquée (DetfiCT) dans l’ équation 2 correspond au ratio d’ endettement financier externe à court terme : (CBC/Actif net). Enfin, dans l’ équation 3, (DetfiTO) est la variable dépendante et représente le ratio d’ endettement financier externe total : (Dette financière / Actif net). (Intra) est la principale variable explicative du modèle, et mesure l’ endettement intragroupe par le ratio : (Dette intragroupe/Actif net). (ROA) est un ratio de rentabilité financière : (Résultat net/Actif net), pour l’ année t-1. La variable (Taille) correspond au logarithme du total de l’ actif net. (VarCA) mesure le taux de variation du chiffre d’ affaires entre t-1 et t. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. ° : significatif à 10% ; * : significatif à 5% ; ** : significatif à 1%. Variables Constante Intra ROA Taille VarCA R² ajusté F Durbin-Watson Equation 1 -0.128 (-0.956) 0.510 (14.273)** 0.236 (6.314)** 0.029 (0.857) 0.211 (5.637)** 0.383 86.762** 1.686 Equation 2 0.017 (0.261) -0.095 (-2.134)* -0.199 (-4.269)** 0.023 (0.533) -0.016 (-0.341) 0.040 6.759** 1.313 Equation 3 -0.112 (-0.928) 0.526 (14.792)** 0.179 (4.786)** 0.042 (1.238) 0.228 (6.108)** 0.388 88.599** 1.692 Dans l’ équation (1), la variable dépendante (DetfiLT) mesure l’ endettement financier externe à long terme. Le ratio d’ endettement intragroupe (Intra) a une influence positive et significative (à 1%) sur le niveau d’ endettement externe à long terme ; ce résultat semble donc infirmer l’ hypothèse H5. La dette intragroupe représente un complément de la dette externe classique. L’ utilisation de ce type d’ endettement prouve l’ appartenance à un groupe, et offre aux créanciers externes la garantie procurée par les autres actifs du groupe. Les prêteurs externes tendent à valoriser l’ affiliation au groupe, synonyme d’ une solvabilité plus importante pour les sociétés membres. Ce résultat est également en accord avec le fait que les sociétés affiliées subissent des contraintes financières moins importantes en ayant la possibilité de collecter plus de fonds externes qu’ une société indépendante139. Cette conclusion est également valable si l’ on examine le coefficient de la variable (Intra) dans l’ équation (3) : la proportion de dette intragroupe influence positivement le niveau global d’ endettement financier externe (à 1%). Ces deux résultats infirment l’ hypothèse selon laquelle l’ utilisation de la dette intragroupe détériore les relations entre les sociétés membres 139 : Le test a été également conduit sur l’ ensemble de l’ échantillon (jumelles et filiales), en considérant comme variable explicative, une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la firme a accès à la dette intragroupe et 0 sinon. Les trois variables dépendantes ont été testées et les résultats sont similaires : la variable dichotomique a une influence positive et significative sur le niveau d’ endettement financier externe total et à long terme. 211 et les organismes de crédit, en affaiblissant leur pouvoir de négociation. Ils penchent également en faveur des prédictions de la théorie du compromis, et réfutent dans le même temps les implications de la théorie du financement hiérarchique. De plus, le signe des coefficients de la variable (Intra) ne correspond pas à celui déterminé par Deloof et Verschueren (1999). En effet, ces derniers constatent une corrélation négative entre la part de dette intragroupe et le ratio d’ endettement externe (total et à long terme) : ils concluent alors que la dette intragroupe constitue un substitut efficace de la dette externe classique. A l’ inverse, si l’ on s’ intéresse à l’ influence de la dette intragroupe sur l’ endettement financier à court terme (équation 2), le signe de la variable (Intra) est significativement négatif (à 5%). L’ utilisation de la dette intragroupe tend ainsi à diminuer le recours aux crédits bancaires à court terme. Ce résultat est à mettre en relation avec le constat selon lequel les firmes affiliées s’ appuient plus largement sur le crédit interentreprises : ainsi, les ressources à court terme sont fournies d’ une part par les dettes fournisseurs, et, d’ autre part, par les dettes financières intragroupe, l’ ensemble de ces fonds provenant d’ autres sociétés membres. L’ utilisation de la dette intragroupe constitue donc un avantage précieux dans le sens où les dettes financières court terme génèrent des charges financières importantes. De plus, le poids des dettes financières court terme pèse également sur le montant de la trésorerie nette de l’ entreprise. Le niveau de rentabilité passée a une influence positive et significative sur l’ endettement financier externe total et à long terme : les coefficients de la variable (ROA) sont significatifs au seuils de 1% dans les équations (1) et (3). Ceci tend à confirmer les implications de la théorie du compromis, qui supposent qu’ une hausse de la rentabilité passée diminue le risque de faillite de la firme tout en augmentant les possibilités de déductions fiscales. Dans le même temps, ce résultat infirme l’ hypothèse de financement hiérarchique, selon laquelle des fonds internes plus importants diminuent le recours au financement externe, et, en premier lieu, à l’ endettement externe. Le coefficient de la variable (ROA) présente un signe négatif et significatif dans l’ équation (2) : plus la rentabilité passée est élevée, moins la firme a recours aux crédits bancaires à court terme. De plus, l’ indicateur de taille ne possède qu’ un très faible pouvoir explicatif dans les trois équations. Enfin, la variable (VarCA) possède des coefficients positifs et significatifs (à 1%) dans les équations (1) et (3), mais n’ a aucune influence sur le niveau d’ endettement financier externe à court terme. Ainsi, un taux de croissance passée élevé augmente mécaniquement le besoin en fonds externes, même si les filiales ont accès à la dette intragroupe. 212 V – Synthèse des résultats empiriques de la section 2 La dette intragroupe représente globalement un avantage conséquent pour les firmes affiliées en termes de financement. Grâce à un apport de fonds supplémentaires provenant d’ autres sociétés appartenant au périmètre du groupe, elle conduit à une levée partielle des contraintes financières. En effet, la sensibilité investissement/cash-flows n’ est pas significative pour l’ échantillon de filiales, alors que la relation s’ avère déterminante dans le cas des jumelles. Pour ces dernières, l’ intensité de la relation provient surtout d’ un sous-échantillon de firmes disposant de ressources internes importantes, et, dans une moindre mesure, de sociétés possédant des cash-flows très faibles. La segmentation opérée en fonction de la disponibilité en fonds internes montre que l’ intensité de la relation investissement/cash-flows n’ est pas linéaire : ce résultat met en évidence la nécessité de faire varier différents paramètres financiers pouvant être corrélés avec le degré de contraintes financières, pour étudier la dépendance de la politique d’ investissement vis-à-vis du montant des ressources internes. En complément de l’ apport de fonds qu’ elle représente, la dette intragroupe modifie la politique d’ endettement externe des sociétés affiliées. En effet, les variations du ratio de dette intragroupe sont corrélées positivement aux variations de la dette financière externe, ce résultat ne concernant que la dette financière totale et à long terme. Ainsi, plus la société a recours à l’ endettement interne, plus elle a la possibilité de s’ endetter en externe : dans ce cas, la levée des contraintes financières résulte non seulement de l’ utilisation de la dette intragroupe, mais aussi de l’ accroissement de la capacité d’ emprunt (en externe) qu’ elle procure à la firme. Cependant, en raison du fonctionnement des marchés internes et de la rotation des fonds entre les filiales, les ressources externes collectées peuvent être affectées à d’ autres entités du groupe : la filiale qui contracte la dette n’ est pas forcément celle qui bénéficie des fonds. Malgré cela, pour financer un nouveau projet d’ investissement, une société ayant accès au marché interne dispose de fonds internes et externes en excès, par rapport à une société indépendante. Bien entendu, ces ressources excédentaires ne sont pas forcément synonymes de création de richesse. Le risque le plus probable est tout d’ abord celui d’ une tendance au sur-investissement pour les sociétés affiliées, se traduisant par l’ acceptation de projets à VAN négative et un certain gaspillage des fonds collectés. Par ailleurs, une hausse de l’ endettement entraîne l’ émergence de charges financières pénalisantes pour la filiale qui contracte l’ emprunt, mais également, lorsque le service de la dette dépasse la capacité de remboursement de la société, une augmentation de la probabilité de défaillance : 213 malgré la garantie représentée par les actifs des autres sociétés du groupe, le risque de faillite existe bel et bien si les dirigeants du groupe décident de ne plus prendre en charge le remboursement de la dette. La levée des contraintes financières constitue un avantage précieux pour les firmes ayant recours à la dette intragroupe. Cependant, l’ analyse de la relation investissement/cash-flows ne permet pas de juger les conséquences de la dette intragroupe sur les performances et la valeur des firmes contrôlées. La section 3 tente de répondre à la question : l’ utilisation de la dette intragroupe est-elle accompagnée d’ une politique d’ investissement efficiente de la part des sociétés bénéficiaires, et de conséquences positives sur les performances de ces firmes ? Section 3 : Dette intragroupe et efficience des marchés internes Cette section 3 a pour but de juger l’ efficience des marchés internes créés au sein des groupes industriels français. Les filiales disposant de dette intragroupe bénéficient des facilités de financement offertes par le fonctionnement des marchés internes. Les résultats exposés dans les sections précédentes montrent que ce recours au marché interne : (i) permet aux filiales considérées d’ investir proportionnellement plus que des sociétés non contrôlées comparables, et (ii) diminue la sensibilité investissement/cash-flows et le degré de contraintes financières. Malgré ces deux avantages, il s’ avère que les filiales présentent des ratios de rentabilité significativement plus faibles que ceux des autres sociétés de l’ échantillon. Il convient alors d’ analyser en détail la politique d’ investissement de chaque catégorie de firmes. Un marché interne efficient doit orienter les fonds vers les entités les plus rentables du groupe : autrement dit, les filiales les plus rentables de l’ échantillon doivent recevoir proportionnellement plus de dette intragroupe que les filiales moins rentables. Les premières devraient également investir plus, toutes choses égales par ailleurs. Si le fonctionnement des marchés internes est plus efficient que celui des marchés externes, les sociétés non contrôlées (jumelles) les moins rentables devraient investir autant (ou plus) que les autres jumelles plus rentables. Si ces hypothèses sont vérifiées, il est possible de conclure que les marchés internes procèdent à une allocation plus efficiente des fonds entre les firmes rentables et non rentables : ce dernier point offrirait une explication valide pour justifier d’ un point de vue financier l’ existence des structures de groupe. 214 D’ autre part, il est possible de vérifier l’ influence directe de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon, grâce à un modèle de régression. La structure du modèle confronte en variables dépendantes les différents indicateurs de performance, et, en variables explicatives, le statut de la firme (recours ou non à la dette intragroupe) et des variables contrôlant les différences de taille, de secteur d’ activité et de croissance entre les firmes de l’ échantillon. Cette section débute par l’ examen des résultats de tests univariés sur les politiques d’ investissement des firmes, en segmentant chaque sous-échantillon en fonction des indicateurs de performance. Le second paragraphe est consacré aux résultats des statistiques explicatives. I – Segmentation des échantillons : performances, investissements et allocation interne des fonds 1.1 Performances des filiales et répartition de la dette intragroupe La dette intragroupe est un des principaux moyens pour transférer les ressources entre les entités du groupe, avec le crédit interentreprises. L’ hypothèse d’ efficience des marchés internes suppose que les ressources sont attribuées en priorité aux firmes disposant d’ opportunités d’ investissement rentables. Cependant, le caractère non coté des firmes de l’ échantillon ne nous permet pas de calculer une approximation valide de la rentabilité des investissements à venir. Pour analyser l’ allocation de la dette intragroupe entre les filiales, nous avons donc segmenté l’ échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe en fonction de la valeur médiane des ratios de rentabilité passée pour isoler une catégorie de filiales « rentables » et une catégorie de filiales « non rentables ». Le tableau 28 résume les résultats issus des tests de différences de moyennes. 215 Tableau 28 : Indicateurs de rentabilité des filiales et utilisation de la dette intragroupe : Tests de différences de moyennes Les moyennes des ratios (Dette intragroupe brute/Actif brut) et (Dette intragroupe brute/Total endettement brut) sont données en distinguant un échantillon de filiales rentables et un échantillon de filiales non rentables : la segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios : (Résultat d’ exploitation/CA) ; (RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses) sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est effectué exclusivement sur l’ échantillon de filiales ; le nombre d’ observations valides est de 813.** ; * ; ° : significatifs aux seuils de 1%, 5% et 10%. Ratios d’endettement Intragroupe Moyenne pour Filiales ayant un ratio (RE/CA) > Médiane Moyenne pour Filiales ayant un ratio (RE/CA) < Médiane Dette intragroupe brute/ Total endettement brut 20.14% 23.95% Ratios d’endettement Intragroupe Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (RCAI/Actif net) > Médiane Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (RCAI/Actif net) < Médiane Dette intragroupe brute/ Total endettement brut 19.53% 24.60% Ratios d’endettement Intragroupe Moyenne pour filiales Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) > Médiane Moyenne pour filiales Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) < Médiane 20.01% 24.18% Dette intragroupe brute/ Actif brut Dette intragroupe brute/ Actif brut Dette intragroupe brute/ Actif brut Dette intragroupe brute/ Total endettement brut 17.06% 21.04% 16.61% 16.98% 21.53% 21.21% Test t (signification) -1.063 (0.288) -2.774** (0.006) -1.315 (0.189) -3.697** (0.000) -1.131 (0.259) -3.036** (0.002) Si l’ on s’ intéresse aux statistiques du premier ratio (Dette intragroupe/Actif brut), il semble que les filiales les moins rentables disposent d’ un montant de dette interne plus important que les autres filiales plus rentables : cependant, quel que soit le ratio de performance considéré, la différence entre les deux sous-échantillons n’ est pas significative. A l’ inverse, les résultats reposant sur la valeur du ratio (Dette intragroupe/Endettement total) révèlent des différences significatives entre les deux sous-échantillons de filiales. A partir de la segmentation en fonction de la valeur médiane du ratio (Résultat d’ exploitation/CA), on peut constater que les filiales non performantes présentent un ratio d’ endettement interne moyen de 23.95%, contre seulement 20.14% pour les filiales plus performantes. De même, la segmentation en fonction du ratio (RCAI/Actif net) engendre une différence d’ endettement interne significative : les filiales les moins rentables présentent un ratio moyen de 24.60%, contre 19.53% pour les autres filiales plus rentables. Des résultats similaires sont déterminés à 216 partir du ratio (Résultat net/Actif net) : les ratios moyens d’ endettement interne s’ élèvent respectivement à 24.18% pour les filiales les moins rentables, et 20.01% pour les filiales rentables. Les différences observées sont dues exclusivement aux montants de dette intragroupe accordés. D’ autres tests de différences ont en effet été menés sur les souséchantillons issus des segmentations : les résultats précédents ne proviennent pas de différences de taille (Total de l’ actif et CA) ou de secteur d’ activité (industrie, commerce et service). Par ailleurs, il convient d’ être prudent quant à l’ interprétation des résultats issus de la segmentation réalisée à partir du ratio de marge (Résultat d’ exploitation/CA) : une marge élevée n’ implique pas forcément l’ existence de résultats financiers positifs. Ainsi, les filiales présentant des taux de marge supérieurs à la médiane de l’ échantillon ne sont pas forcément celles qui sont les plus rentables (et inversement), car elles peuvent supporter des charges spécifiques plus conséquentes, comme par exemple la rémunération de prestations réalisées au sein du groupe à des prix supérieurs à ceux du marché. Ces conclusions montrent que les filiales les moins rentables reçoivent proportionnellement plus de dette intragroupe que les filiales ayant des indicateurs de performance plus élevés. Ce phénomène infirme l’ hypothèse d’ allocation efficiente des fonds au sein du groupe, et, dans le même temps, concorde avec les résultats des tests sur la répartition « socialiste » des ressources au sein des structures conglomérales (Scharfstein, 1998 ; Rajan, Servaes et Zingales, 2000). L’ hypothèse 10 de cette recherche est donc rejetée. L’ étude de la répartition de la dette intragroupe en fonction des performances des filiales doit être complétée par une analyse des politiques d’ investissement de chaque sous-échantillon. En effet, même si les filiales les moins rentables bénéficient de ressources supplémentaires, il n’ est pas certain que les politiques d’ investissement des filiales et des sociétés non contrôlées diffèrent. 1.2 Indicateurs de performance et politique d’ investissement : comparaison des deux sous-échantillons La comparaison des niveaux d’ investissement en fonction de la performance relative des firmes permet d’ isoler les différences entre le fonctionnement d’ un marché interne et celui d’ un marché externe. Si les marchés internes (externes) sont efficients, les filiales (sociétés non contrôlées) les plus rentables doivent investir plus que les filiales (sociétés non 217 contrôlées) moins performantes. En effet, le niveau d’ investissement dépend directement du montant des ressources dont disposent les deux types de firmes : les filiales utilisent principalement l’ endettement interne, alors que les sociétés non contrôlées collectent des fonds externes, principalement grâce aux emprunts bancaires. Or, ces ressources sont issues d’ une part du marché interne, d’ autre part du marché externe. Ces marchés parviennent-ils à orienter les fonds vers les entités les plus rentables ? Le tableau 29 met en évidence les résultats des tests de différences de moyennes pour l’ échantillon de filiales. Trois segmentations sont réalisées à partir des ratios : (EBE/CA), (RCAI/Actif net) et (Résultat net/Actif net). Si l’ on examine le premier ratio d’ investissement qui mesure le taux d’ investissement total en fonction de l’ actif brut, on s’ aperçoit que les filiales les moins rentables investissent plus que les autres filiales de l’ échantillon, même si aucun coefficient n’ est significatif. Tableau 29 : Investissement et indicateurs de rentabilité des FILIALES : Tests de différences de moyennes Les moyennes des ratios (Acquisitions d’ immobilisations totales/Actif brut) et (Acquisitions d’ immobilisations corporelles/Actif brut) sont données en distinguant un échantillon de filiales rentables et un échantillon de filiales non rentables : la segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios : (EBE/CA) ; (RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses) sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est effectué exclusivement sur l’ échantillon de filiales ; le nombre d’ observations valides est de 813.** ; * ; ° : significatifs aux seuils de 1%, 5% et 10%. Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Moyenne pour Filiales ayant un ratio (EBE/CA) > Médiane Moyenne pour Filiales ayant un ratio (EBE/CA) < Médiane Test t (signification) 6.20% -0.428 (0.669) 3.12% 4.49% -2.861** (0.004) Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (RCAI/Actif net) > Médiane Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (RCAI/Actif net) < Médiane 6.55% -1.459 (0.145) 3.11% 4.51% -2.890** (0.004) Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) > Médiane Moyenne pour Filiales Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) < Médiane 3.25% 4.38% 5.91% 5.56% 5.83% 218 6.28% -0.649 (0.517) -2.364* (0.018) Les résultats obtenus sur les moyennes du ratio d’ investissement en actifs tangibles (acquisitions d’ immobilisations corporelles) sont plus déterminants. Les différences sont significatives aux seuils de 1% et 5%. Selon les segmentations effectuées, les filiales les moins performantes présentent des taux d’ investissement compris entre 4.38% et 4.51% du total de l’ actif brut. La fourchette est comprise entre 3.11% et 3.25% pour les filiales les plus performantes140. En résumé, les filiales les moins rentables sont celles qui (i) disposent de plus de dette intragroupe, et (ii) investissent plus en actifs tangibles. L’ allocation et l’ utilisation des ressources internes observées sur l’ échantillon de firmes utilisant la dette intragroupe correspondent aux implications de l’ hypothèse d’ inefficience des marchés internes. Les transferts de fonds s’ opèrent en faveur des filiales les moins rentables. Ces résultats infirment l’ hypothèse 9 de cette recherche. Le tableau 30 présente les résultats des mêmes tests reproduits sur l’ échantillon de jumelles. Les segmentations sont réalisées selon les mêmes ratios de rentabilité et de marge, et les ratios d’ investissement sont identiques. La première segmentation en fonction de la médiane du ratio (EBE/CA) offre des différences significatives entre les jumelles performantes et non performantes. Les premières présentent des ratios d’ investissement moyens supérieurs (les différences sont significatives aux seuils de 5% et 1%) : 4.45% contre 3.19% pour le taux d’ investissement total, et 2.95% contre 1.96% pour le taux d’ investissement en actif tangibles. 140 : Là encore, il est important de souligner que le ratio (EBE/CA) est un indicateur de marge et non de rentabilité. 219 Tableau 30 : Investissement et indicateurs de rentabilité des JUMELLES : Tests de différences de moyennes Les moyennes des ratios (Acquisitions d’ immobilisations totales/Actif brut) et (Acquisitions d’ immobilisations corporelles/Actif brut) sont données en distinguant un échantillon de jumelles rentables et un échantillon de jumelles non rentables : la segmentation de l’ échantillon est réalisée à partir des valeurs médianes des ratios : (EBE/CA) ; (RCAI/Actif net) ; (Résultat net/actif net). La statistique t et le coefficient de signification (entre parenthèses) sont indiqués dans l’ hypothèse de variances égales entre les deux sous-échantillons. Ce test est effectué exclusivement sur l’ échantillon de jumelles ; le nombre d’ observations valides est de 837.** ; * ; ° : significatifs aux seuils de 1%, 5% et 10%. Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Ratios d’investissement Acquisitions d’ immobilisations totales / Actif brut Acquisitions d’ immobilisations corporelles / Actif brut Moyenne pour Jumelles ayant un ratio (EBE/CA) > Médiane Moyenne pour Jumelles ayant un ratio (EBE/CA) < Médiane 2.95% 1.96% Moyenne pour Jumelles Ayant un ratio (RCAI/Actif net) > Médiane Moyenne pour Jumelles Ayant un ratio (RCAI/Actif net) < Médiane 2.57% 2.36% Moyenne pour Jumelles Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) > Médiane Moyenne pour Jumelles Ayant un ratio (Résultat net/Actif net) < Médiane 2.45% 2.44% 4.45% 3.19% 4.14% 4.11% 3.52% 3.53% Test t (signification) 2.227* (0.026) 2.620** (0.009) 1.093 (0.275) 0.560 (0.575) 1.020 (0.308) 0.145 (0.885) Les deux autres segmentations montrent également l’ existence de taux d’ investissement supérieurs pour les jumelles rentables, mais les coefficients des tests ne sont pas significatifs. Ainsi, même si l’ on ne peut pas conclure sur l’ efficience des marchés externes, il est important de souligner les différences entre les politiques d’ investissement des filiales et des jumelles. D’ un côté, les filiales rentables investissent moins en actifs tangibles que les filiales non rentables (quel que soit l’ indicateur de rentabilité considéré) ; de l’ autre, en fonction d’ un indicateur de marge, les jumelles performantes investissent plus que les jumelles non performantes. Ces résultats mettent en évidence l’ inefficience des marchés internes au sein des groupes pour la répartition des ressources et la politique d’ investissement. Ces conclusions sont en accord avec les résultats des tests empiriques validant l’ hypothèse d’ inefficience au sein des structures conglomérales, et notamment ceux de Rajan, Servaes et 220 Zingales (2000), Palia (1999), Scharfstein (1998) et Shin et Stulz (1998). Ces études montrent que les divisions appartenant à des secteurs d’ activité possédant des perspectives d’ investissement rentables (valeur de Q supérieure à la médiane du secteur) investissent proportionnellement moins que les divisions évoluant dans des secteurs non rentables. Shin et Park (1999) scindent leurs deux sous-échantillons (firmes appartenant à un groupe et autres firmes) en fonction de la valeur médiane du Q de Tobin des firmes (et non du secteur). Leurs résultats indiquent que les dépenses en capital pour les firmes « groupe » ne sont pas différentes entre les deux sous-catégories de firmes : valeurs de Q supérieures ou inférieures à la médiane. Au contraire, pour les firmes n’ appartenant pas à un groupe, les dépenses en capital sont significativement plus élevées pour la sous-catégorie de firmes ayant des valeurs de Q supérieures à la médiane. L’ interprétation de ces résultats confirme également l’ hypothèse d’ inefficience de la politique d’ investissement des filiales de groupes. Cette série de tests descriptifs est complétée par un modèle de régression confrontant directement la performance financière des firmes de l’ échantillon et l’ utilisation de la dette intragroupe. La construction du modèle et les résultats obtenus sont exposés dans le paragraphe suivant. II – Influence de l’ utilisation de la dette intragroupe sur les performances des firmes de l’ échantillon : tests multivariés 2.1 Présentation du modèle d’ analyse Au vu des résultats précédents, il semble que l’ allocation des ressources au sein du groupe par le biais du montant de dette intragroupe favorise les filiales les moins rentables. Cependant, aucun lien de causalité directe n’ a encore été établi entre le recours à la dette intragroupe et les performances des firmes concernées. L’ utilisation de la dette intragroupe permet-elle d’ expliquer les variations des performances des firmes de l’ échantillon ? Le modèle de régression testé dans ce paragraphe repose sur l’ équation suivante : (ROA)it = ait + b.(INTRA) + c.(TAILLE)it + d.(SECTEUR) + e.(CROISSANCE)it + εit (5) 221 Cette équation est appliquée à l’ échantillon total (filiales et jumelles). La variable dépendante (ROA)it correspond à la valeur du ratio (Résultat net/Actif net) de la firme i pour l’ exercice t. La principale variable explicative du modèle est une variable dichotomique (INTRA), prenant la valeur 1 si la firme bénéficie de dette intragroupe, et 0 sinon. Un coefficient négatif pour cette variable validerait l’ hypothèse d’ inefficience des marchés internes : l’ utilisation de dette intragroupe tendrait à diminuer la performance financière des firmes concernées. Les autres variables explicatives sont des variables de contrôle. (TAILLE)it correspond au logarithme du total de l’ actif net et mesure l’ influence de la taille de la firme sur le niveau de performance. L’ appartenance sectorielle (SECTEUR) se décline en trois variables dichotomiques : - (SECTEURi) : = 1, si la firme est une société industrielle, = 0 sinon ; - (SECTEURc) : = 1, si la firme est une société commerciale, = 0 sinon ; - (SECTEURs) : = 1, si la firme est une société de services, = 0 sinon. Enfin, l’ indicateur de croissance passée (CROISSANCE) est mesuré par deux variables distinctes, testées séparément : (VarCA) représente la variation du chiffre d’ affaires entre t-1 et t, et (VarACT) correspond à la variation du total de l’ actif brut entre t-1 et t. Ces deux variables devraient présenter des coefficients positifs : une croissance passée soutenue tend à augmenter le niveau de performance financière de l’ exercice en cours. En ce qui concerne l’ échantillon de filiales, il est possible que le pourcentage de contrôle de la société mère soit un déterminant significatif des variations des performances financières. Le degré de contrôle de la société mère permet d’ identifier la part de capital détenue par les actionnaires minoritaires. En l’ occurrence, le phénomène d’ inefficience devrait être relié directement à la présence de cette classe d’ actionnaires : plus la participation des actionnaires minoritaires est élevée, plus les conflits d’ intérêts ont des répercussions négatives sur la politique d’ investissement, et donc, sur la performance de la firme. Cette variable n’ est pourtant pas intégrée dans le modèle (5), en raison du manque de données précises sur la composition des structures de propriété141. Il faut noter que Khanna et Palepu (2000) testent l’ influence de l’ appartenance à un groupe sur les performances d’ un échantillon de firmes indiennes, à partir d’ un modèle de régression assez semblable. Les auteurs utilisent comme variables dépendantes le Q de Tobin, et le 141 : Les sites d’ information des filiales de l’ échantillon ne donnent pas systématiquement le pourcentage de capital détenu par la société contrôlante, et se contentent de mentionner que la firme est détenue majoritairement par une autre société. 222 « ROA » ; ils intègrent également une variable explicative dichotomique qui reflète l’ appartenance au groupe. D’ autres variables sont incluses dans leur modèle pour mesurer notamment le degré de diversification et la taille des groupes auxquels appartiennent les firmes membres. Le degré de diversification est mesuré par le nombre de secteurs d’ activité différents sur lesquels le groupe est présent. Leur échantillon d’ étude est composé de 655 firmes affiliées à des groupes diversifiés et 654 firmes spécialisées indépendantes ; les données portent sur l’ année 1993. 2.2 Résultats empiriques Le modèle (5) est testé sur l’ ensemble de l’ échantillon ; le nombre total d’ observations s’ élève à 1 108. La tableau 31 synthétise les résultats empiriques. Tableau 31 : Influence de la dette intragroupe sur les performances financières Nombre d’ observations valides : 1 108. La valeur de la statistique t est donnée entre parenthèses. Le ratio (Résultat net/Actif net) de l’ exercice t est la variable dépendante dans les 4 équations. (INTRA) est une variable dichotomique prenant la valeur 1 si la firme a recours à la dette intragroupe et 0 sinon. La variable (TAILLE) correspond au logarithme du total de l’ actif net de l’ année t. Les variables (VarCA) et (VarACT) sont des indicateurs de croissance, et mesurent respectivement la variation du chiffre d’ affaires net entre t-1 et t, et la variation du total de l’ actif brut entre t-1 et t. Les trois variables sectorielles sont dichotomiques : (SECTEURi) prend la valeur 1 si la firme est une société industrielle et 0 sinon ; (SECTEURc) prend la valeur 1 si la firme est une société commerciale et 0 sinon ; (SECTEURs) prend la valeur 1 si la firme est une société de services et 0 sinon. ° : significatif au seuil de 10% ; * : significatif au seuil de 5% ; ** : significatif au seuil de 1%. Variables Constante INTRA TAILLE VarCA VarACT SECTEURi SECTEURc SECTEURs R² ajusté F Durbin-Watson (1) 0.156 (3.480)** -0.155 (-5.409)** -0.059 (-1.875)° 0.265 (9.216)** - (2) 0.155 (3.725)** -0.155 (-5.421)** -0.058 (-1.850)° 0.265 (9.206)** - 0.010 (0.259) 0.002 (0.060) - 0.007 (0.188) - 0.101 25.988** 1.185 -0.002 (-0.066) 0.101 25.965** 1.185 223 (3) 0.199 (4.348)** -0.163 (-5.550)** -0.087 (-2.718)** - (4) 0.199 (4.337)** -0.164 (-5.563)** -0.086 (-2.690)** - 0.128 (4.371)** 0.005 (0.122) 0.008 (0.191) - 0.128 (4.360)** - 0.046 12.322** 1.206 0.004 (0.119) -0.003 (-0.108) 0.049 12.316** 1.206 La variable (INTRA) présente des coefficients négatifs et significatifs au seuil de 1% dans les 4 équations. La valeur du coefficient est plus élevée dans les équations (3) et (4), qui incluent comme variable de croissance (VarACT). Cependant, le pouvoir explicatif de ces deux équations est largement inférieur à celui des deux premières : le R² ajusté passe de 0.101 à 0.046 et 0.049. Ces résultats démontrent que l’ utilisation de la dette intragroupe influence négativement le niveau de rentabilité financière, et conduisent à réfuter l’ hypothèse 11 sur l’ efficience des marchés internes. Les résultats du test de Khanna et Palepu (2000) révèlent également un coefficient négatif et significatif pour la variable dichotomique reflétant l’ appartenance à un groupe : cette conclusion concorde avec les statistiques précédentes. L’ analyse a été répétée en prenant en compte d’ autres variables de performance, et notamment les ratios de rentabilité suivants : (EBE/Actif net), (Résultat d’ exploitation/Actif net) et (RCAI/Actif net). Dans chacune des équations, le coefficient de la variable (INTRA) s’ avère négatif et significatif. Ainsi, l’ impact de la dette intragroupe sur la rentabilité des firmes membres est stable, quel que soit le niveau de rentabilité considéré. Cependant, les conclusions sont différentes si l’ on s’ appuie sur des ratios de marge, comme les ratios (EBE/CA) ou (Résultat d’ exploitation/CA) : dans ce cas, la variable (INTRA) a une influence négative, mais non significative. Ce constat implique qu’ une marge importante n’ est pas forcément synonyme de résultat élevé : pour une marge donnée, les filiales peuvent éventuellement supporter des charges plus importantes (notamment les charges financières liées à un endettement externe plus élevé). Le groupe peut faire supporter à une filiale, dans certains cas, une partie de l’ endettement global : dans cette situation, le montant des charges financières vient mécaniquement diminuer le taux de rentabilité de la firme. De plus, les prestations croisées entre les différentes entités du groupe peuvent s’ opérer à des prix de cession interne différents de ceux du marché. La taille de la firme influence également négativement le niveau de performance : les coefficients de la variable (TAILLE) sont significatifs au seuil de 10% dans les deux premières équations, et significatifs au seuil de 1% dans les équations (3) et (4). D’ autre part, les variables de croissance possèdent des coefficients très élevés et significatifs, qui expliquent une large part de la variance des performances. Ces coefficients sont positifs pour les deux variables (VarCA) et (VarACT), ce qui indique qu’ une croissance passée soutenue entraîne une augmentation des performances actuelles. 224 Enfin, les variables reflétant l’ appartenance sectorielle des firmes de l’ échantillon n’ ont aucun pouvoir explicatif, quel que soit le regroupement sectoriel considéré : la valeur des coefficients est très faible et non significative dans les 4 équations. L’ ensemble des tests empiriques analysés dans la section 3 permettent d’ identifier des régularités dans les différences de comportement financier entre les firmes utilisant la dette intragroupe et celles qui n’ y ont pas accès. 225 Conclusion PARTIE 2 : Discussion, interprétation des résultats et limites de l’analyse Dans le cas des groupes hiérarchiques, la structure de groupe est gérée par une société mère (ou une holding), qui coordonne les échanges financiers intragroupes. Ceux-ci doivent répondre aux objectifs définis par la stratégie globale du groupe dictée par les dirigeants de la société contrôlante. Cependant, les résultats issus des tests détaillés dans cette section montrent que les flux de fonds intragroupes tendent à favoriser les filiales les moins rentables. En effet, en classifiant les filiales en fonction d’ indicateurs de rentabilité économique et financière, il s’ avère que les entités les moins rentables de l’ échantillon : - reçoivent des ressources excédentaires par rapport aux autres filiales plus rentables ; - investissent plus que les autres filiales plus rentables. L’ ensemble des résultats empiriques de la section 3 conduisent à infirmer les hypothèse 9, 10 et 11, concernant l’ efficience des marchés internes. Si l’ on suppose l’ existence d’ une politique financière centralisée au sein du groupe, ce phénomène semble tout à fait original, d’ autant que ce comportement ne semble concerner que les filiales bénéficiant de dette intragroupe, et non les sociétés non contrôlées, aux caractéristiques comparables, qui dépendent exclusivement des sources de financement externe. La même segmentation effectuée sur cette catégorie de firmes engendre des résultats opposés : les jumelles plus performantes investissent proportionnellement plus, ou autant, que celles qui présentent des indicateurs de rentabilité plus faibles. Ces conclusions penchent en faveur de l’ hypothèse d’ une allocation inefficiente des fonds entre les différentes entités du groupe. Il est alors intéressant de se demander quelle est la cause principale de ces dysfonctionnements dans la politique de répartition des ressources au sein du groupe. La tendance générale au sur-investissement des filiales non performantes nous amène à penser que les luttes de pouvoir et les conflits d’ intérêts sont à l’ origine des problèmes d’ allocation évoqués. En effet, une structure de groupe simplifiée, avec une société mère et une filiale, engendre non seulement des conflits d’ influence entre les dirigeants de la société mère et ceux de la filiale, tous deux enclins à des comportements opportunistes, mais aussi des conflits d’ intérêts entre deux classes d’ actionnaires : les majoritaires de la société mère et les minoritaires de la filiale. 226 Nous avons évoqué les conséquences de l’ existence d’ un marché interne sur la motivation des managers de divisions, dans le cas des conglomérats américains. Malgré les différences existantes entre la structure conglomérale et la structure de groupe, il est probable que le problème de motivation touche également les dirigeants des filiales. La baisse de motivation liée au fonctionnement des marchés internes est plus sévère pour les dirigeants des filiales les moins rentables. Des flux financiers supplémentaires, transitant grâce à l’ endettement interne, permettraient de résoudre partiellement le problème de motivation et de diminuer la probabilité de comportements opportunistes de la part des dirigeants des filiales. De plus, comme dans le modèle de Scharfstein et Stein (2000), la relation d’ agence qui lie les dirigeants du groupe (agents) et les actionnaires majoritaires ne fait qu’ aggraver les distorsions dans la politique d’ allocation des fonds entre les filiales. Cette politique est en définitive un moyen pour les deux niveaux hiérarchiques existants (dirigeants de la société mère et de la filiale) d’ accroître leurs bénéfices privés, et d’ augmenter la taille des actifs sous leur contrôle en entreprenant des projets d’ investissement plus risqués et pas forcément rentables. Ce phénomène rejoint les conclusions évoquées dans la partie 1 : les dirigeants des sociétés mères ont un comportement opportuniste en choisissant d’ émettre des actions surévaluées. La structure de groupe augmente la probabilité d’ opportunisme lorsque deux entités du groupe sont cotées. Cependant, il faut également s’ interroger sur les conséquences de ces dysfonctionnements sur la richesse des deux classes d’ actionnaires. La politique d’ investissement observée pour les filiales les moins performantes, contraire à l’ objectif de maximisation de la valeur, a surtout un impact négatif sur la richesse des actionnaires minoritaires des filiales, qui ne peuvent influencer significativement les décisions de gestion. Les structures pyramidales tendent à réduire les coûts de faillite liés à la dette externe : en effet, aucune obligation n’ est imposée à une société contrôlante en cas de défaillance d’ une des filiales. Ainsi, les sociétés mères ne sont que partiellement responsables des conséquences des décisions de financement et d’ investissement à l’ échelle des filiales. La dette intragroupe peut provenir d’ un emprunt externe, qui est redistribué entre les filiales. Si la filiale bénéficiaire des fonds entreprend un projet d’ investissement risqué, qui s’ avère non rentable, les actionnaires de la société mère ne subissent que partiellement les effets négatifs. De plus, si la filiale qui a contracté l’ emprunt connaît des difficultés financières, la possibilité d’ une liquidation partielle de celle-ci, en cas de pertes importantes mettant en péril la solvabilité du groupe dans son ensemble, représente une option rentable pour les actionnaires majoritaires qui peuvent continuer l’ exploitation et 227 l’ activité d’ autres filiales opérationnelles plus rentables (Bianco et Nicodano, 2002). Ce raisonnement conduit à identifier une autre source probable d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires des filiales, de la part des actionnaires majoritaires du groupe. Ainsi, la dette intragroupe, après l’ augmentation de capital analysée dans la partie, représente également un moyen pour exproprier la richesse des minoritaires à travers la politique de financement intragroupe, dictée par les actionnaires et les dirigeants de la société contrôlante. En conclusion, les dysfonctionnements dans la politique d’ allocation interne des fonds au sein des groupes proviennent de deux sources distinctes : - l’ existence de deux niveaux hiérarchiques entraînant la multiplication des problèmes d’ agence et une probabilité plus élevée de comportements opportunistes de la part des dirigeants des sociétés mères (ou holdings), et de ceux des filiales ; - la possibilité d’ expropriation de richesse des minoritaires de la part des actionnaires de la société ayant le contrôle du groupe. Ces problèmes, et leurs répercussions sur la valeur des filiales, sont d’ autant plus sévères que la structure de groupe offre un accès privilégié à des ressources excédentaires (internes et externes), et que les sociétés membres ne subissent qu’ un faible degré de contraintes financières. De plus, le pouvoir conféré aux dirigeants du groupe sur le devenir des filiales sous leur contrôle n’ est pas entravé par des règles de protection des minoritaires trop contraignantes dans le droit boursier français. En effet, la règle « une action/un vote » n’ est pas une réalité sur le marché français, où l’ existence fréquente de droits de vote double contribue à accentuer la concentration de l’ actionnariat : ce phénomène est d’ ailleurs un des freins au développement de mécanismes pertinents de protection des actionnaires minoritaires. L’ hypothèse d’ efficience des marchés internes a été pour l’ instant testée sur des populations de firmes très différentes : les conglomérats américains (Shin et Stulz, 1998 ; Scharfstein, 1998), les holdings (en Belgique par Praet, 2002) et les structures de groupe (en Inde par Khanna et Palepu, 2000 ; en Corée par Shin et Park, 1999). Cependant, l’ originalité du test proposé tient au fait que l’ allocation interne des fonds au sein de groupes industriels n’ avait été l’ objet d’ aucune étude empirique dans le contexte français, voire européen. Ainsi, les résultats ouvrent une nouvelle voie de recherche pour tenter d’ analyser plus précisément les causes des dysfonctionnements observés. En effet, les conclusions exposées dans cette 228 deuxième partie ne prennent pas en compte le degré de diversification des groupes étudiés et, plus généralement, les données financières agrégées à l’ échelle du groupe. Dans ce cas, la question se pose de savoir si l’ allocation inefficiente des fonds au sein du groupe provient des problèmes d’ agence inhérents à la structure organisationnelle, ou à la stratégie de diversification suivie par les dirigeants du groupe, les deux phénomènes pouvant interagir. Le test précédent pourrait être complété par une étude de cas détaillant, au sein d’ un groupe particulier, les modalités de répartition des ressources internes. Une étude sur plusieurs années pourrait mettre en évidence la corrélation entre l’ intensité des problèmes d’ allocation des ressources et les variations du degré de diversification du groupe. L’ analyse empirique du chapitre 2 ne comporte pas de variables mesurant les pourcentages de capital détenus par les sociétés mères et les actionnaires minoritaires. Or, cette donnée pourrait s’ avérer pertinente, car elle permet d’ obtenir une approximation de l’ intensité des luttes de pouvoir entre les classes d’ actionnaires. Ainsi, ce paramètre pourrait augmenter le pouvoir explicatif du modèle (5), mais également affiner l’ analyse issue des tests univariés en mesurant son impact sur la répartition de la dette intragroupe, les niveaux d’ investissement et, in fine, les performances financières des filiales. Si l’ on s’ intéresse plus particulièrement à la situation des filiales, il faudrait également réussir à prouver que ce type de firmes tend à surinvestir par rapport à une moyenne sectorielle, la difficulté résidant dans la disponibilité de données précises sur l’ investissement global des différents secteurs d’ activité. Enfin, il serait pertinent de parvenir à prouver que les filiales connaissent des taux de faillite ou de rachat plus importants que des sociétés indépendantes comparables, et de démontrer que ce phénomène résulte d’ une politique d’ investissement non optimale : les mécanismes de contrôle externe doivent à terme sanctionner ce genre de pratiques. ***** 229 CONCLUSION GENERALE Cette recherche a permis de mettre en évidence les conséquences de la politique de financement des filiales sur les décisions d’ investissement et leurs performances financières. Le raisonnement global repose sur l’ existence d’ un centre décisionnel unique au sein du groupe (équipe dirigeante de la société mère) qui régit les décisions de financement et d’ investissement des sociétés membres. Ainsi, la direction du groupe définit les orientations de la stratégie financière en fonction des intérêts des actionnaires majoritaires ; or, les objectifs de ces derniers ne coïncident pas forcément avec ceux des actionnaires minoritaires des filiales opérationnelles. Les résultats issus des tests empiriques concernent exclusivement deux modes de financement particuliers : l’ augmentation de capital et la dette intragroupe. Dans un premier temps, l’ émission d’ actions a un effet globalement négatif sur la valeur des firmes émettrices, mais également sur la valeur des autres sociétés affiliées. Pourtant, il est important de noter que la perte de richesse des actionnaires minoritaires est systématiquement plus importante que celle des actionnaires majoritaires. De plus, la répercussion de la réaction des cours de la société émettrice sur la valeur des titres des autres sociétés membres s’ explique grâce au phénomène de sélection adverse. Les dirigeants du groupe choisissent l’ entité émettrice en fonction de la surévaluation des actions avant l’ annonce de l’ opération (hypothèse du timing), et des besoins en fonds externes du groupe dans son ensemble. La structure de groupe rend l’ augmentation de capital plus attractive en raison des arbitrages que peuvent réaliser les dirigeants et de l’ existence de transferts de fonds au sein du groupe, qui permettent de réaffecter les ressources externes collectées entre les différentes sociétés. La rotation interne des fonds entre les filiales et l’ établissement d’ une politique financière centralisée représentent les conditions nécessaires à la création d’ un marché interne de capital. Le fonctionnement des marchés internes a été abordé dans cette recherche à partir de l’ analyse des conséquences de l’ utilisation de la dette intragroupe. D’ autres supports pour les échanges financiers intragroupes existent pourtant : les participations croisées et le crédit interentreprises. Les filiales de l’ échantillon utilisant la dette intragroupe disposent de fonds supplémentaires pour le financement des investissements : ce phénomène provient du fait que les sommes investies ne dépendent pas du montant des cash-flows générés en interne (levée des contraintes financières), et que les filiales ont l’ opportunité de contracter 230 proportionnellement plus d’ emprunts externes grâce à la garantie représentée par les autres actifs tangibles du groupe. Cependant, la disponibilité de ressources en excès n’ est pas synonyme d’ amélioration des performances financières. Plus généralement, il semble que le fonctionnement des marchés internes au sein des groupes résulte en une politique d’ investissement non optimale. L’ inefficience de l’ allocation interne des fonds entre les différentes filiales est soulignée par les constats suivants : (i) les filiales les moins rentables de l’ échantillon semblent disposer d’ une part d’ endettement interne plus importante ; (ii) ces mêmes firmes sont celles qui investissent le plus. Ainsi, la direction du groupe favorise les filiales les moins rentables, au détriment des entités plus performantes, ce qui contribue à déséquilibrer la politique d’ investissement globale. Les résultats montrent également que la tendance au sur-investissement des filiales les moins rentables ne se retrouve pas lorsque l’ on analyse l’ investissement de sociétés non contrôlées aux caractéristiques comparables : ceci tend à prouver que les marchés financiers externes sont plus efficients que les marchés internes. Les conclusions générales peuvent être synthétisées en distinguant l’ impact des décisions de financement sur la richesse des deux classes d’ actionnaires (majoritaires et minoritaires) et sur les objectifs des dirigeants. Si l’ on s’ intéresse tout d’ abord à la société mère, il semble que la structure de groupe permette de collecter proportionnellement plus de fonds externes : l’ augmentation de capital peut être réalisée plus fréquemment en fonction de la valeur des titres des différentes entités, et les filiales ont l’ opportunité d’ opérer avec des ratios d’ endettement externes supérieurs. Cet excès de fonds constitue un avantage pour les dirigeants du groupe, puisque les bénéfices privés qu’ ils peuvent retirer sont proportionnels à la valeur des actifs sous leur contrôle : des ressources supplémentaires leur offrent la possibilité d’ investir plus. De plus, la décision d’ émission d’ actions est prise au regard des intérêts des actionnaires du groupe : les dirigeants ont en effet tendance à émettre les titres surévalués. Si l’ on analyse les conséquences des décisions de financement au niveau des filiales, les effets ne sont pas identiques. L’ allocation inefficiente des fonds au sein du groupe a pour effet de diminuer la motivation des dirigeants des filiales : les ressources étant accordées prioritairement aux filiales les moins rentables, les dirigeants des autres filiales sont pénalisés. 231 Les rentes privées des dirigeants des filiales non performantes augmentent, et celles des dirigeants des filiales performantes diminuent. Par ailleurs, quelle que soit la rentabilité de l’ entité considérée, les dirigeants des filiales doivent appliquer les consignes émanant de la direction du groupe. De plus, les actionnaires minoritaires subissent systématiquement des pertes de richesse. Une augmentation de capital au sein du groupe se solde par un effet d’ annonce négatif, et le recours à la dette intragroupe résulte en une politique d’ investissement non optimale. En résumé, les marchés internes créés au sein des groupes ont pour conséquence l’ existence d’ une nouvelle forme d’ expropriation de richesse des actionnaires minoritaires des filiales. L’ originalité des réflexions proposées réside dans le fait de transposer l’ étude du fonctionnement des marchés internes au contexte de groupe, et surtout de mettre en évidence les conséquences financières des échanges intragroupes. Cette adaptation des champs théoriques développés à l’ origine pour comprendre l’ intérêt financier des structures conglomérales s’ avère d’ autant plus pertinente que les filiales d’ un groupe ont accès aux modes de financement externe : la comparaison de l’ efficience des marchés interne et externe est alors plus représentative. Les quelques articles existants sur l’ analyse des marchés internes au sein des groupes ont été réalisés dans des contextes particuliers où les marchés financiers externes étaient peu développés (Khanna et Palepu, 2000 ; Praet, 2002) : le contexte français offre une validation de l’ hypothèse d’ inefficience dans une situation où le développement du marché financier externe est avancé. Enfin, la prise en compte de l’ appartenance à un groupe, sur un marché où les structures de propriété sont traditionnellement concentrées, est une étape nécessaire à toute étude empirique tentant d’ expliquer les décisions financières des firmes. Cet exposé permet également d’ entrevoir d’ autres pistes de recherche possibles. En premier lieu, l’ adaptation des théories classiques de structure de capital devrait intégrer dans les critères de choix de financement l’ alternative de l’ endettement intragroupe. Celle-ci modifie non seulement la hiérarchie de financement, mais aussi la valeur du ratio optimal d’ endettement. L’ hypothèse d’ expropriation de richesse des minoritaires pourrait être également validée en étudiant les prestations croisées entre les firmes d’ un même groupe : l’ objectif serait alors de montrer que les prix de cession internes favorisent les entités contrôlantes. D’ une manière générale, les développements proposés soulignent la nécessité de renforcer les mécanismes de 232 protection des actionnaires minoritaires, et notamment de favoriser leur droit de regard sur les décisions d’ investissement et de financement. Enfin, il serait intéressant de relier, sur le plan empirique, l’ intensité des dysfonctionnements dans l’ allocation du capital au sein du groupe avec, d’ une part, le pourcentage de capital que la société mère détient dans les filiales, et, d’ autre part, le nombre d’ échelons hiérarchiques existants (intensité des problèmes d’ agence potentiels). En effet, il semble que la cause principale de l’ inefficience des marchés internes au sein des groupes provienne de la multiplication des conflits d’ intérêts due à l’ existence de plusieurs niveaux hiérarchiques. ***** 233 '( Aghion P., Tirole J., 1997, “Formal and real authority in organizations”, Journal of Political Economy, 105, p. 1-29. Aldrich J., Nelson F., 1984, “Linear probability, logit, and probit models”, Sage University Paper, Series : Quantitative Applications in the Social Sciences, n°45. Allen J., McConnell J., 1998, “Equity carve-outs and managerial discretion”, Journal of Finance, 54, p. 163-185. Ambarish R., John K., Williams J., 1987, “Efficient signalling with dividends and investments”, Journal of Finance, 42, p. 321-343. Asquith P., Mullins D., 1986, “Equity issues and offering dilution”, Journal of Financial Economics, 15, p. 61-90. Bagwell L., Zechner J., 1993, “Influence costs and capital structure”, Journal of Finance, 48, p. 975-1008. Baker M., Wurgler J., 2001, “Market timing and capital structure”, Journal of Finance, 57, p. 1-32. Banerjee S., Leleux B., Vermaelen T., 1997, “Large shareholdings and corporate control : an analysis of stake purchases by French holding companies”, European Financial Management, 3, p. 23-43. Barclay M., Litzenberger R., 1988, “Announcement of new equity issues and the use of intraday price data”, Journal of Financial Economics, 26, p. 71-99. Baskin J., 1989, “An empirical investigation of the pecking order hypothesis”, Financial Management, 18, p. 26-35. Bayless M., Chaplinsky S., 1996, “Is there a window of opportunity for seasoned equity issuance?”, Journal of Finance, 50, p. 253-278. Berger P., Ofek E., 1995, “Diversification’ s effect on firm value”, Journal of Financial Economics, 37, p. 39-65. Berger P., Ofek E., 1996, “Bust-up takeovers of value-destroying diversified firms”, Journal of Finance, 51, p. 1175-1200. Berger P., Ofek E., 1999, “Causes and effects of corporate refocusing programs”, Review of Financial Studies, 12, p. 311-345. Berglof E., Perotti E., 1994, “The governance structure of the Japanese keiretsu”, Journal of Financial Economics, 36, p. 259-284. 234 Biais B., Hillion P., Malécot JF., 1994, “The capital structure of French corporations : an empirical investigation”, Cahier de recherche du CEREG, n°9407. Bianco M., Nicodano G., 2002, “Business groups and debt”, Working Paper, Bank of Italy and Universita di Torino. Billet M., Mauer D., 2000, “Diversification and the value of internal capital markets : the case of tracking stock”, Journal of Banking and Finance, 24, p. 1457-1490. Billet M., Mauer D., 2001, “Cross-subsidies, external financing constraints, and the contribution of the internal capital market to firm value”, Working Paper, University of Iowa. Bornet J., 1995, “Le pouvoir des sans pouvoirs ou comment s’ organise le pouvoir des minoritaires”, Les petites Affiches, 33, p. 18-21. Brennan M., Kraus A., 1987, “Efficient financing under asymmetric information”, Journal of Finance, 42, p. 1225-1243. Brusco S., Panunzi F., 2000, “Reallocation of corporate resources and managerial incentives in internal capital markets”, Working Paper, Universidad Carlos III de Madrid and Universita Bocconi di Milano. Calomiris C., Hubbard R., 1995, “Internal finance and investment : evidence from the undistributed profits Tax of 1936-37”, Journal of Business, 68, p. 693-728. Chevalier J., 2000, “What do we know about cross-subsidization ? Evidence from investment policies of merging firms”, Working Paper, University of Chicago GSB. Chirinko R., 1993, “Business fixed investment spending : modeling strategies, empirical results, and policy implications”, Journal of Economic Literature, 31, p. 1875-1911. Chirinko R., 1995, “Why does liquidity matter in investment equations ?”, Journal of Money, Credit, and Banking, 27, p. 527-548. Cho Y., 1995, “Company investment decisions and financial constraints : an analysis of a panel of Korean manufacturing firms”, Working Paper, University of Sheffield. Choe H., Masulis R., Nanda V., 1993, “Common stock offerings across the business cycle: theory and evidence”, Journal of Empirical Finance, 1, p. 3-31. Comment R., Jarrell A., 1995, “Corporate focus and stocks returns”, Journal of Financial Economics, 37, p. 67-87. Cooney J., Kalay A., 1993, “Positive information from equity issue announcements”, Journal of Financial Economics, 33, p. 149-172. DeAngelo A., Masulis R., 1980, “Optimal capital structure under corporate and personal taxation”, Journal of Financial Economics, 8, p. 3-29. 235 Deloof M., 1998, “Corporate groups, liquidity, and overinvestment by Belgian firms quoted on the Brussels stock exchange”, Managerial and Decision Economics, 19, p. 31-41. Deloof M., 1998, “Internal capital markets, bank borrowing, and financing constraints : evidence from belgian firms”, Journal of Business Finance & Accounting, 25, p. 945-968. Deloof M, Verschueren I., 1999, “Intragroup debt, intragroup guarantees, and the capital structure of Belgian firms”, Working Paper, Free University of Brussels. Denis D., 1994, “Investment opportunities and the market reaction to equity offerings”, Journal of Financial and Quantitative Analysis, 29, p. 159-176. Denis D., Denis D., Sarin A., 1997, “Agency problems, equity ownership, and corporate diversification”, Journal of Finance, 52, p. 135-160. Devereux M., Schiantarelli F., 1990, “Investment, financial factors, and cash-flows : evidence from UK panel data”, Asymmetric information, Corporate finance, and Investment, (University of Chicago Press), p. 279-306. Diamond D., 1984, “Financial intermediation and delegated monitoring”, Review of Economic Studies, 51, p. 393-414. Dierkens N., 1991, “Information asymmetry and equity issues”, Journal of Financial and Quantitative Analysis, 26, p. 181-199. Eckbo B., Masulis R., 1992, “Adverse selection and the rights offer paradox”, Journal of Financial Economics, 32, p. 293-332. Eckbo B., Masulis R., 1995, “Seasoned equity offerings : a survey”, R. Jarrow et al., Eds, Handbook in operations research and management science, vol. 9, p. 1017-1072. Edlin A., Stiglitz J., 1995, “Discouraging rivals : managerial rent seeking and economic inefficiencies”, American Economic Review, 85, p. 1301-1312. Fan J., Wong T., 2000, “Corporate ownership structure and the informativeness of accounting earnings in East Asia”, Working Paper, The Hong Kong University of Science and Technology. Fazzari M., Hubbard G., Petersen B., 1988, “Financing constraints and corporate investment”, Brookings Papers on Economic Activity, 1, p. 141-206. Fazzari M., Hubbard G., Petersen B., 1996, “Financing constraints and corporate investment : response to Kaplan and Zingales”, NBER Working Paper, n°5462. Fazzari M., Petersen B., 1993, “Working capital and fixed investment : new evidence on financing constraints”, Rand Journal of Economics, 24, p. 328-342. Fluck Z., Lynch A., 1999, “Why do firms merge and then divest ? A theory of financial synergy”, Journal of Business, 72, p. 319-346. 236 Gajewski JF., Ginglinger E., 1996, « Information asymétrique et choix du mode d’ émission d’ actions », Finéco, 6, p. 31-54. Gajewski JF., Ginglinger E., 2002, “Seasoned equity issues in a closely held market : evidence from France”, European Finance Review, 6, p. 291-319. Gautier A., Heider F., 2001, “What do internal capital markets do ? Redistribution vs incentives”, Working Paper, Université Catholique de Louvain. Gertner R., Scharfstein D., Stein J, 1994, “Internal versus external capital markets”, Quarterly Journal of Economics, 109, p. 1211-1230. Gilchrist S., Himmelberg C., 1995, “Evidence on the role of cash-flow for investment”, Journal of Monetary Economics, 36, p. 541-572. Godon L., 2001, “La protection des actionnaires minoritaires dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques”, Bulletin Joly Sociétés, p. 728-740. Graham J., Harvey C., 2001, “The theory and practice of corporate finance : evidence from the field”, Journal of Financial Economics, 60, p. 187-243. Grar A., 1993, « Etude d’ événement et modification des risques systématique et spécifique : application au cas des divisions d’ actions en France », Cahier de Recherche du CEREG, n° 9306. Grossmann S., Hart O., 1986, “The costs and benefits of ownership: a theory of vertical and lateral integration”, Journal of Political Economy, 94, p. 691-719. Hachette I., 1992, “L’ impact d’ une modification de la structure financière sur la valeur de la firme et la richesse des actionnaires”, Cahier de Recherche du CEREG, n°9204. Hachette I., 1994, « Opérations financières et transfert de richesse », Presses Universitaires de France, 197 p. Hachette I., Mai HM., 1991, « Le traitement des données manquantes pour la recherche en finance : le cas de la base de données AFFI-SBF », Cahier de Recherche du CEREG, n°9112. Hadlock C., Ryngaert M., Thomas S., 1998, “Corporate structure and equity offerings : are there benefits to diversification ?”, Working Paper, Michigan State University. Hamon J., Jacquillat B., 1990, « Les données action de la banque de données boursières AFFI-SBF », Cahier de Recherche du CEREG, n°9014. Harris M., Raviv A., 1991, “The theory of capital structure”, Journal of Finance, 46, p. 297349. Hart O., Moore J., 1990, “Property rights and the nature of the firm”, Journal of Political Economy, 98, p. 1119-1158. 237 Hess A., Bhagat S., 1986, “Size effects of seasoned stock issues: empirical evidence”, Journal of Business, 59, p. 567-584. Himmelberg C., Petersen B., 1994, “R&D and internal finance : a panel study of small firms in high-tech industries”, Review of Economics and Statistics, 76, p. 38-51. Hoshi T., Kashyap A., Scharfstein D., 1991, “Corporate structure, liquidity, and investment : evidence from Japanese industrial groups”, Quarterly Journal of Economics, 106, p. 33-60. Hubbard G., 1998, “Capital-market imperfections and investment”, Journal of Economic Literature, 36, p. 193-225. Hubbard G., Kashyap A., Whited T., 1995, “Internal finance and firm investment”, Journal of Money, Credit, and Banking, 27, p. 683-701. Hubbard G., Palia D., 1999, “A re-examination of the conglomerate merger wave in the 1960’ s : an internal capital markets view”, Journal of Finance, 54, p. 1131-1152. Hyland D., 1999, “Why firms diversify? An empirical examination”, Working Paper, University of Arlington, Texas. Inderst R., Laux C., 2000, “Incentives in internal capital markets : capital constraints, competition, and investment opportunities”, Working Paper, University College London. Inderst R., Muller H., 2003, “Internal versus external financing : an optimal contracting approach”, Journal of Finance, 58, p. 1033-1062. Jensen M., 1986, “Agency costs of free cash-flow, corporate finance, and takeovers”, American Economic Review, 76, p. 323-329. Jensen M., Meckling W., 1976, “Theory of the firm : managerial behavior, agency costs, and capital structure”, Journal of Financial Economics, 3, p. 305-360. John K., Ofek E., 1995, “Asset sales and increase in focus”, Journal of Financial Economics, 37, p. 105-126. Jung K., Kim Y., Stulz R., 1996, “Timing, investment opportunities, managerial discretion and the security issue decision”, Journal of Financial Economics, 42, p. 159-185. Kalay A., Shimrat A., 1987, “Firm value and seasoned equity issues: price pressure, wealth redistribution, or negative information”, Journal of Financial Economics, 19, p. 109-126. Kang J., Stulz R., 1996, “How different is Japanese corporate finance? An investigation of the information content of new security issues”, Review of Financial Studies, 9, p. 109-139. Kaplan S., Weisbach M., 1992, “The success of acquisitions : evidence from divestitures”, Journal of Finance, 47, p. 107-138. Kaplan S., Zingales L., 1997, “Do financing constraints explain why investment is correlated with cash-flow ?”, Quarterly Journal of Economics, 112, p. 159-216. 238 Kaplan S., Zingales L., 2000, “Investment-cash flows sensitivities are not valid measures of financing constraints”, Quarterly Journal of Economics, 115, p. 707-712. Kashyap A., Lamont O., Stein J., 1994, “Credit conditions and the cyclical behavior of inventories”, Quarterly Journal of Economics, 109, p. 565-592. Khanna T., Palepu K., 2000, “Is group affiliation profitable in emerging markets ? An analysis of diversified Indian business groups”, Journal of Finance, 55, p. 867-891. Khanna T., Tice S., 2001, “The bright side of internal capital markets”, Journal of Finance, 56, p. 1489-1528. Klein A., Rosenfeld J., Beranek W., 1991, “The two stages of an equity carve-out and the price response of parent and subsidiary stock”, Managerial and Decision Economics, 12, p. 449-460. Korajczyk R., Lucas D., McDonald R., 1990, “Understanding stock price behavior around the time of equity issues”, Asymmetric information, Corporate finance, and Investment, (University of Chicago Press), p. 257-277. Korajczyk R., Lucas D., McDonald R., 1991, “The effect of information releases on the pricing and timing of equity issues”, The Review of Financial Studies, 4, p. 685-708. Kothare M., 1997, “The effects of equity issues on ownership structure and stock liquidity: a comparison of rights and public offerings”, Journal of Financial Economics, 43, p. 131-148. La Porta R., Lopez-De-Silvanes F., Shleifer A., 1999, “Corporate ownership around the world”, Journal of Finance, 54, p. 471-518. La Porta R., Lopez-De-Silanes F., Shleifer A., Vishny R., 2000, “Agency problems and dividend policies around the world”, Journal of Finance, 55, p. 1-33. Lamont O., 1997, “Cash-flow and investment : evidence from internal capital markets”, Journal of Finance, 52, p. 83-109. Lamont O., Polk C., 2001, “The diversification discount : cash flows vs returns”, Journal of Finance, 56, p. 1693-1721. Lamont O., Polk C., 2002, “Does diversification destroy value ? Evidence from industry shocks”, Journal of Financial Economics, 63, p. 51-77. Lang L., Ofek E., Stulz R., 1996, “Leverage, investment and firm growth”, Journal of Financial Economics, 40, p. 3-29. Lang L., Poulsen A., Stulz R., 1995, “Asset sales, firm performance, and the agency costs of managerial discretion”, Journal of Financial Economics, 37, p. 3-37. Lang L., Stulz R., 1994, “Tobin’ s q, corporate diversification, and firm performance”, Journal of Political Economy, 102, p. 1248-1280. 239 Laux V., 2002, “On the value of influence activities : is lobbying in internal capital markets always detrimental to the firm ?”, Working Paper, University of Mannheim. Leland H., Pyle D., 1977, “Informational asymmetries, financial structure, and financial intermediation”, Journal of Finance, 32, p. 371-387. Lewellen W., 1971, “A pure financial rationale for the conglomerate merger”, Journal of Finance, 26, p. 521-537. Lhabitant F., Tinguely O., 1999, “Financial constraints and investment : the Swiss case”, Working Paper, University of Basle and HEC Lausanne. Lins K., Servaes H., 1999, “International evidence on the value of corporate diversification”, Journal of Finance, 54, p. 2215-2239. Loughran T., Ritter J., 1995, “The new issues puzzle”, Journal of Finance, 50, p. 23-51. Lucas D., McDonald R., 1990, “Equity issues and stock price dynamics”, Journal of Finance, 45, p. 1019-1039. Maksimovic V., Phillips G., 2002, “Do conglomerate firms allocate resources inefficiently across industries ?”, Journal of Finance, 57, p. 721-767. Marsh P., 1982, “The choice between equity and debt : an empirical study”, Journal of Finance, 37, p. 121-144. Masulis R., Korwar A., 1986, “Seasoned equity offerings: an empirical investigation”, Journal of Financial Economics, 15, p. 91-118. Matsusaka J., 1993, “Takeover motives during the conglomerate merger wave”, Rand Journal of Economics, 24, p. 357-379. Matsusaka J., Nanda V., 2000, “Internal capital markets and corporate refocusing”, Working Paper, University of Southern California and University of Michigan. McNeil C., Niehaus G., Powers E., 2002, “Management turnover in subsidiaries of conglomerates versus standalone firms”, Working Paper, University of South Carolina. Meyer M., Milgrom P., Roberts J., 1992, “Organizational prospects, influence costs and ownership changes”, Journal of Economics and Management Strategy, 1, p. 9-35. Mikkelson W., Partch M., 1986, “Valuation effects of security offerings and the issuance process”, Journal of Financial Economics, 15, p. 31-60. Milgrom P., Roberts J., 1988, “An economic approach to influence activities in organizations”, American Journal of Sociology, 94, p. 154-179. Miller M., 1977, “Debt and taxes”, Journal of Finance, 32, p. 261-275. 240 Miller M., Rock K., 1985, “Dividend policy under asymmetric information”, Journal of Finance, 40, p. 1031-1051. Modigliani F., Miller M., 1958, “The cost of capital, corporation finance, and the theory of investment”, American Economic Review, 48, p. 261-297. Morck R., Shleifer A., Vishny R., 1990, “Do managerial objectives drive bad acquisitions ?”, Journal of Finance, 45, p. 31-48. Muhtaseb M., Philippatos G., 1991, “Determinants of stock price reaction to announcements of equity financing by US firms”, Applied Financial Economics, 1, p. 61-69. Myers S., 1977, “Determinants of corporate borrowing”, Journal of Financial Economics, 5, p. 147-175. Myers S., 1984, “The capital structure puzzle”, Journal of Finance, 39, p. 575-592. Myers S., Majluf N., 1984, “Corporate financing and investment decisions when firms have information that investors do not have”, Journal of Financial Economics, 13, p. 187-221. Nanda V., 1991, “On the good news in equity carve-outs”, Journal of Finance, 5, p. 17171737. Nanda V., Narayanan M., 1999, “Disentangling value : financing needs, firm scope, and divestitures”, Journal of Financial Intermediation, 8, p. 174-204. Noe T., 1988, “Capital structure and signaling equilibria”, Review of Financial Studies, 1, p. 331-356. Oliner S., Rudebusch G., 1992, “Internal finance and investment : testing the role of asymmetric information and agency cost”, Review of Economics and Statistics, 1, p. 643-654. Opler T., Titman S., 1996, “The debt-equity choice”, Working Paper, Ohio State University. Palia D., 1999, “Corporate governance and the diversification discount”, Working Paper, UCLA. Pariente M., 1999, “Les actionnaires des sociétés liées au groupe”, Revue Sociétés, 4, p. 805815. Pilotte E., 1992, “Growth opportunities and the stock price response to new financing”, Journal of Business, 65, p. 371-395. Pourtier F., 1996, “L’ information sectorielle dans les comptes consolidés”, Revue du Financier, 103, p. 4-19. Praet A., 2002, “The efficiency of security substitution by diversified holding companies in Belgium”, Working Paper, Economische Hogeschool Sint-Aloysius, Brussels. 241 Rajan R., Zingales L., 1995, “What do we know about capital structure ? Some evidence from international data”, Journal of Finance, 50, p. 1421-1460. Rajan R., Servaes H., Zingales L., 2000, “The cost of diversity : the diversification discount and inefficient investment”, Journal of Finance, 55, p. 35-80. Ross S., 1977, “The determination of financial structure: the incentive-signalling approach”, Bell Journal of Economics, 8, p. 23-40. Schaller H, 1993, “Asymmetric information, liquidity constraints, and Canadian investment”, Canadian Journal of Economics, 26, p. 552-574. Scharfstein D., 1998, “The dark side of internal capital markets II : evidence from diversified conglomerates”, NBER Working Paper, n°6352. Scharfstein D., Stein J., 2000, “The dark side of internal capital markets : divisional rentseeking and inefficient investment”, Journal of Finance, 55, p.2537-2564. Schipper K., Smith A., 1986, “A comparison of equity carve-outs and seasoned equity offerings”, Journal of Financial Economics, 15, p. 153-186. Schipper K., Thompson R., 1983, “Evidence on the capitalized value of merger activity for acquiring firms”, Journal of Financial Economics, 11, p. 85-119. Schoar A., 2002, “Effects of corporate diversification on productivity”, Journal of Finance, 57, p. 2379-2403. Servaes H., 1996, “The value of diversification during the conglomerate merger wave”, Journal of Finance, 51, p. 1201-1225. Shin H., Park Y., 1999, “Financing constraints and internal capital markets : evidence from korean ‘chaebols’ ”, Journal of Corporate Finance, 5, p. 169-191. Shin H., Stulz R., 1996, “An analysis of the divisional investment policies of diversified firms”, NBER Working Paper, n°5639. Shin H., Stulz R., 1998, “Are internal capital markets efficient”, Quarterly Journal of Economics, 113, p. 531-552. Shleifer A., Vishny R., 1989, “Management entrenchment : the case of manager-specific investments”, Journal of Financial Economics, 25, p. 123-139. Shleifer A., Vishny R., 1997, “A survey of corporate governance”, Journal of Finance, 52, p. 737-783. Slovin M., Sushka M., 1997, “The implications of equity issuance decisions within a parentsubsidiary governance structure”, Journal of Finance, 53, p. 841-857. Slovin M., Sushka M., Hudson C., 1990, “External monitoring and its effect on seasoned common stock issues”, Journal of Accounting and Economics, 12, p. 397-417. 242 Smith C., 1986, “Investment banking and the capital acquisition process”, Journal of Financial Economics, 15, p. 3-30. Smith C., Watts R., 1992, “The investment opportunity set and corporate financing, dividend, and compensation policies”, Journal of Financial Economics, 32, p. 263-292. Stein J., 1997, “Internal capital markets and the competition for corporate resources”, Journal of Finance, 52, p. 111-133. Stein J., 2001, “Agency, information and corporate investment”, Handbook of the Economics of Finance, edited by G. Constantinides, M. Harris et R. Stulz. Strong S., Meyer R., 1990, “Sustaining investment, discretionary investment, and valuation: a residual funds study of the paper industry”, Asymmetric information, Corporate finance, and Investment (University of Chicago Press), p. 127-148. Stulz R., 1990, “Managerial discretion and capital structure”, Journal of Financial Economics, 26, p. 3-28. Teoh S., Welch I., Wong T., 1995, “Earnings management in seasoned equity offerings”, Working Paper, University of Michigan. Titman S., Wessels R., 1988, “The determinants of capital structure choice”, Journal of Finance, 43, p. 1-19. Vogt S., 1994, “The cash-flow / Investment relationship : evidence from US manufacturing firms”, Financial Management, 23, p. 3-20. Whited T., 1992, “Debt, liquidty constraints, and corporate investment : evidence from panel data”, Journal of Finance, 47, p. 1425-1459. Williamson O., 1975, “Markets and hierarchies : analysis and antitrust implications”, Collier MacMillan Publishers Inc. New York. Wulf J., 1999, “Influence and inefficiency in the internal capital market : theory and evidence”, Working Paper, University of Pennsylvania. Wulf J., 2000, “Internal capital markets and firm-level compensation incentives for division managers”, Working Paper, University of Pennsylvania. Zwiebel J., 1996, “Dynamic capital structure under managerial entrenchment”, American Economic Review, 86, p. 1197-1215. 243 RESUME L’ analyse de la politique de financement au sein des structures de groupe est abordée à travers l’ étude des augmentations de capital et de l’ endettement intragroupe. Un centre décisionnel unique définit une stratégie financière globale, qui oriente les choix de financement et d’ investissement des sociétés membres. Lors d’ une émission d’ actions, lorsque deux entités sont cotées, le choix de la firme émettrice offre aux dirigeants du groupe des possibilités d’ arbitrage dans le timing de l’ opération. Les échanges financiers intragroupes, et l’ allocation des fonds entre les filiales conditionnent l’ émergence d’ un marché interne de capital. L’ utilisation de la dette intragroupe diminue le degré de contraintes financières et accroît la capacité d’ endettement externe des filiales. Cependant, les transferts de fonds favorisent les filiales les moins rentables, qui reçoivent plus de ressources et investissent plus que les entités performantes. L’ inefficience des marchés internes de capitaux résulte de l’ existence de plusieurs niveaux hiérarchiques (filiales et société mère), et de deux classes d’ actionnaires (majoritaires et minoritaires). ABSTRACT Corporate group financing policy is analyzed through the consequences of seasoned equity offerings and intragroup debt. Group headquarters define a financial strategy for the group as a whole, that affects financing and investment decisions of member firms. When two entities are listed and headquarters decide to issue new equity, the choice of the issuing firm represents a real option to issue the overvalued equity. Moreover, intragroup financial transactions and internal allocation of funds lead to the creation of an internal capital market. The use of intragroup debt tends to smooth financing constraints, and improves debt capacity of subsidiaries. However, transfers of funds give an advantage to less performing subsidiaries : they receive proportionately more resources and invest more than profitable entities. The inefficiency of internal capital markets comes from the existence of a hierarchy between managers (parent firm and subsidiaries), and the emergence of two classes of shareholders (group and minority shareholders). Mots clés : Structure de groupe ; augmentation de capital ; dette intragroupe ; marché interne de capital ; financement des filiales ; expropriation de richesse ; actionnaires minoritaires. Key words : Corporate group ; seasoned equity offering ; intragroup debt ; internal capital market ; subsidiaries financing ; wealth expropriation ; minority shareholders.