
IGAS, RAPPORT N°2015-037R 5
La télésurveillance inquiète. Le télé-suivi rassure. Préférer la seconde formulation à la
première peut n’être qu’un jeu de dupes, quand le suivi est fait bien sûr de surveillance. Quel que
soit le vocabulaire employé, le patient peut devenir l’objet d’une inquisition permanente
susceptible de dévoiler ses secrets les plus personnels. Un pas de plus et les données transmises,
objectivant enfin le niveau d’observance du traitement, pourraient faciliter la mise en œuvre de
mesures plus ou moins coercitives cherchant à remettre le « déviant » dans le droit chemin, en
poursuivant les objectifs les plus louables.
Selon certaines critiques, cette orientation a débuté avec la réforme récente de la tarification
des appareils à pression positive continue (PPC) prescrits pour traiter les patients souffrants
d’apnées du sommeil. A partir des données télétransmises sur l’observance, il s’agissait de moduler
le tarif rémunérant les activités du prestataire de service à domicile, en fonction du niveau
d’observance obtenu, pris comme marqueur de la qualité de l’accompagnement. Dans un second
temps, l’appareil à PPC pouvait être retiré. Ce retrait, considéré comme une sanction de la personne
malade, a masqué la disposition précédente et a paru donner tout son sens à la réforme.
Se plaindre de l’injustice de ces critiques empêcherait de tirer les leçons de cette expérience.
Lier la prise en charge financée par l’assurance maladie à l’observance ne saurait se concevoir sans
engager un débat public sur le principe, sans procéder aux consultations nécessaires de toutes les
parties prenantes. En second lieu, l’objectif de santé poursuivi doit être premier, sinon l’action
publique se trouve limitée à la seule recherche d’une bonne observance, qui n’est qu’un moyen de
traiter les personnes souffrant d’apnées du sommeil, négligeant la prévention et l’examen de la
pertinence des prescriptions. Enfin, le seuil d’observance retenu, quand il est rendu opposable au
patient, doit être incontestable sur le plan scientifique. Ce n’était pas le cas. Dans ces conditions,
améliorer la santé des personnes souffrant d’apnées du sommeil, objectif soutenu par la réforme,
est apparu servir d’alibi à la recherche d’économies immédiates. La contradiction irréductible entre
ces deux objectifs (une meilleure observance ne permet pas de faire des économies immédiates) n’a
pas su être gérée et dépassée. Aussi, les pouvoirs publics ont été accusés de dureté (laisser une
personne malade sans traitement), quand ils se voulaient protecteurs.
Il est difficile, impossible, d’échapper au reproche de vouloir sanctionner la personne malade
désobéissant, en conditionnant sa prise en charge au niveau d’observance du traitement constaté.
Le patient, déjà victime de sa maladie, devient, par un moindre remboursement de ses soins ou par
un arrêt du financement de sa prise en charge, puni d’une faute, celle de n’avoir pas respecté
correctement les prescriptions médicales. Ce ne peut être vécu que comme une double peine.
D’autant plus que le patient, a priori soucieux au premier chef de sa santé, a ses raisons pour s’être
montré non-observant, et parmi elles il peut y avoir la mauvaise qualité de la relation entre lui et
son médecin, un accompagnement insuffisant et parfois la dureté des traitements. Au bout du
compte, ce sont les plus faibles qui se trouveraient mis en face de responsabilités qu’ils étaient en
peine d’assumer, qui verraient se dresser devant eux une barrière financière compliquant l’accès
aux soins.
Pour autant, les raisons d’être non-observant ne sont pas toutes excellentes, par principe. La
non-observance est un comportement à risque adopté dans bien des cas en toute connaissance de
cause. L’apparition d’une maladie n’impose pas silence aux différentes aspirations qui donnent
toute sa valeur à une vie humaine. La nécessité de respecter les contraintes d’un traitement n’efface
pas les obligations et aspirations qui forment l’armature d’une existence. Mais cette prise de risque
intéresse l’individu. Jusqu’où la collectivité doit-elle supporter les conséquences d’une prise de
risque relevant de l’exercice d’une liberté individuelle ? Prétendre répondre à une telle question
conduit à s’engager sur une pente dont le terme est indiscernable. Aucun argument définitif ne
saurait parvenir à limiter la liste des comportements à risque, entraînant un moindre concours de la
solidarité collective.
La mission recommande de ne pas s’engager sur cette voie, et donc de ne pas lier le
remboursement des soins à l’observance du traitement, même pour une faible part.