Compliance aux traitements Comment observer le mental du patient L’observance des traitements prescrits pour les maladies chroniques pose problème en France mais également dans le monde entier. L’OMS s’en est émue. L’éducation thérapeutique devient nécessaire et peut s’appuyer sur ce que l’on appelle des “modèles mentalistes de l’observance”. Q uel que soit le type de la maladie, le phénomène est constaté dans toutes les situations imposant au patient de s’administrer lui-même ses médicaments. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des études ont établi que, dans les pays développés, la proportion de malades chroniques respectant leur traitement n’était que de 50 % (1). Un comportement dangereux De cette observance insuffisante découle la raison principale pour laquelle les patients ne retirent pas tous les bienfaits qu’ils pourraient attendre de leurs médicaments. Elle entraîne des complications médicales et psychosociales, diminue la qualité de vie des patients, augmente la probabilité de développer des pharmacorésistances et provoque un gaspillage des ressources. Pour l’OMS, il est indubitable que, le plus souvent par manque de formation, les équipes de soins n’apportent pas une aide suffisante aux patients. On définit habituellement la nonobservance thérapeutique comme “le manque d’adéquation entre les comportements des patients et les prescriptions médicales”. Le suivi des prescriptions dépend surtout de l’adhésion mentale du patient. Or, trop souvent, les soignants ont tendance à attribuer aux autres leurs propres croyances, désirs et émotions, entamant en cela un processus d’incompréhensions qui mène à la non-observance thérapeutique. C’est pourquoi la formation à une “approche mentaliste” peut les aider à mieux convaincre les patients. L’observance par l’observation Plusieurs modèles de perception mentale ont été définis pour identifier l’adoption des comportements et les différentes étapes qui y conduisent. « Ils peuvent être utilisés pour comprendre pourquoi un patient est ou devient non observant. En effet, l’observation concrète de la réalité par le soignant éclaire sur l’observance ou la non-observance thérapeutique, qui peut se manifester parfois de manière dissociée, à l’occasion de chacun des gestes du traitement », souligne le Dr G. Reach (2) (hôpital Avicenne, Bobigny). Le patient doit s’engager dans une action qui oscille entre désir et croyance : « je désire (ou non) faire cesser mon mal et je crois (ou non) que les médicaments prescrits vont m’aider ». En outre, certains états mentaux comme la honte, la peur, les regrets, interfèrent et disposent ou non à l’action (la peur de l’hypoglycémie, la honte de certains traitements, etc.). Ils modifient l’action, donc le résultat. C’est en analysant les différentes habitudes que le soignant essaie de connaître l’étape stratégique que les spécialistes de l’éducation thérapeutique appellent le “diagnostic éducatif”. Un bon interrogatoire préalable permet de connaître le patient dans sa vie affective et sociale, dans son mode de vie, et de s’enquérir de ce qu’il sait sur sa maladie, de ce qu’il croit, espère, craint, etc. En fonction de ces informations, le thérapeute peut être alerté sur le risque de la non-observance. Car un patient peut être non observant vis-àvis d’un traitement ou d’un geste de ce traitement parce qu’il “ne sait pas” ce qu’il doit faire et “comment” le faire, qu’il n’a pas les “moyens” de le faire. Entrent en considération également les possibles inhibitions et expériences passées au cours desquelles le malade “croit qu’il ne peut pas” le faire, ou “croit qu’il est dangereux” de le faire, parce que le poids des inconvénients est pour lui plus important que celui du bénéfice escompté. Ainsi une personne âgée peut perdre la mémoire au point de ne pas se rappeler de prendre son médicament ou encore de ne pas vouloir le prendre de peur de l’avoir déjà pris. D’autres fois, les problèmes économiques et sociaux sont une entrave (la prise du médicament au moment d’un repas sauté par manque de moyens, par exemple). Ces facteurs, qui entravent le suivi du traitement, peuvent être ensuite classés en connaissances (je connais le soin nécessaire), en compétences (je suis capable de me soigner) et en croyances (je crois au bénéfice du soin). Les émotions (ex. : j’ai eu si peur lors du dernier soin) entrent alors dans la composante et interviennent sur le désir de se soigner ou non. Il s’agit donc d’appréhender les multiples états mentaux du patient. Le Dr G. Reach cite Vincent Descombes (3) : « Lorsque je veux savoir si telle personne croit telle histoire, je ne me demande pas principalement si l’histoire est croyable, s’il y a des raisons de la croire. Je me demande si elle est croyable par la personne en question, avec les idées et les dispositions qu’on lui connaît. Il en va de même pour l’attribution d’un désir. L’enfant veut-il ce gâteau ? Je ne me demande pas si le gâteau est bon, s’il y a des raisons de le trouver appétissant, mais s’il y a bien des raisons de juger que l’enfant le trouve appétissant ». Andrée-Lucie Pissondes (1) Adherence to long-term therapies. Evidence for action, à l’adresse Internet : www. who. int/chronic-conditions/adherencereport/en. (2) Entretiens de Bichat, 2003. (3) Descombes V. La denrée mentale. Paris : Éditions de Minuit, 1995. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 50 - novembre 2003 9