24-30 novembre 2008
No1496
INC Hebdo
I
INC
document
ÉTUDE
LE MARKETING AGROALIMENTAIRE
ET LES ENFANTS : UNE TENTATIVE
DE DÉCRYPTAGE
Depuis plus d’une dizaine d’années, les scientifiques observent une montée sérieuse de la surpondération et de l’obési
en France, et tout particulièrement chez les enfants. Ce phénomène, caractéristique des pays européens et des États-
Unis, n’a cessé de s’accroître dans la seconde moitié du XXesiècle; alors que moins de 3 % des enfants français d’âge
scolaire souffraient de surpoids en 1965, on en trouvait près de 18 % en 2000. La mobilisation des pouvoirs publics et
de nombreux acteurs de santé a conduit à la mise en place du “programme national nutrition santé” (PNNS), qui am-
bitionne d’améliorer les comportements des Français en privilégiant une alimentation équilibrée et moins calorique.
Si l’on n’a pas encore de certitudes sur l’efficacité de ce programme, de récentes études semblent toutefois indiquer
une stabilisation du phénomène, tant dans la population adulte (l’enquête ObEpi de 2006 met en avant une diminution
des surpondérations et un ralentissement de l’augmentation de l’obésité par rapport à 2003) que chez les enfants. Ainsi,
selon l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans les classes de CE1 et CE2, on comptait 18,1 % d’enfants en surpondération
ou obèses en 2000; sept ans plus tard, une nouvelle étude aboutissait à des chiffres identiques. Parmi les éléments respon-
sables de cette montée de l’obésité, à côté de la modification des modes de vie (la femme au foyer qui cuisinait a laissé
la place à une femme active, dont le temps est compté; les métiers deviennent plus sédentaires; les rythmes de travail
imposent souvent une nourriture rapidement ingurgitée…) et de la baisse d’activité physique, c’est bien la manière dont
nous nous alimentons qui est en question. Le regard critique porté par les nutritionnistes sur notre modèle alimentaire
défaillant met en cause l’industrie agroalimentaire, qui propose des plats tout prêts, aux goûts attractifs mais souvent
“trop” gras, “trop” sucrés, “trop” salés…
Si les pouvoirs publics paraissent siter entre une collaboration assumée avec les industriels et une diabolisation pouvant
conduire à des mesures autoritaires, et si l’on ne peut par ailleurs incriminer un monde agroalimentaire qui répond à une
situation donnée (proposer une alimentation adaptée aux modes de production et aux modes de vie contemporains),
force est de constater que certains produits et certaines méthodes de vente semblent dépasser une stricte réponse à
des attentes de consommateurs et sont susceptibles de participer au développement de la pandémie d’obésité, princi -
pa le ment chez les enfants.
Un projet de recherche interdisciplinaire en cours, auquel collabore l’Institut national de la consommation (INC) dans le
cadre du programme national de recherche sur l’alimentation, financé par l’Agence nationale de la recherche, analyse
la construction du champ des produits “ludo-alimentaires” destinés aux enfants 1. Cet article est le premier d’une série
de quatre qui proposeront un état des connaissances actuelles sur les registres concourant à la formation des pratiques
de consommation de l’enfant en matière d’alimentation et les manières pour l’industrie agroalimentaire d’y répondre.
Ce premier article a pour ambition de donner à comprendre globalement les comportements alimentaires de l’enfant
consommateur et les stratégies du marketing agroalimentaire, dont certaines peuvent présenter des effets néga -
tifs. Il ne propose pas un état de l’art global de la recherche universitaire en marketing, mais plutôt une analyse
de ce qui se fait et se pense actuellement chez les professionnels du marketing agroalimentaire.
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1“Children and fun foods : La consommation enfantine d’aliments ludiques : entre plaisir, risque et éducation…”, travail de recherche interdis-
ciplinaire auquel participent le Centre de recherche en gestion (Cerege) de l’IAE de Poitiers, le laboratoire Langage, mémoire et développement
cognitif (LMDC) de l’université de Poitiers, le laboratoire Cité, territoire, environnement et société (Citeres) de l’université François-Rabelais de
Tours, le laboratoire Cultures et sociétés en Europe (CSE) de l’universi Marc-Bloch de Strasbourg, le centre d’étude et de recherche Travail, organisation,
pouvoir (Certop) de l’université du Mirail à Toulouse, le centre de recherches interuniversitaire Expérience, ressources culturelles, éducation (Expé -
rice) de l’université Paris 13-Villetaneuse, Danone, l’Institut national de la consommation (INC) et le Syndicat de la biscuiterie française.
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Manger n’est pas, comme on pourrait l’imaginer, une activité
banale. Si cela revient à absorber des aliments, et donc des nu-
triments, nécessaires à la vie, l’acte de mangerpasse ts lar-
gement ce seul cadre physiologique2. L’acte alimentaire est aussi
un acte social, fortement influencé par des éléments sociaux,
cul tu rels, affectifs. Et nos comportements alimentaires, nos goûts
mes, reposent largement sur des acquis plus que sur de l’in-
né. C’est ainsi que lapprentissage joue un rôle terminant dans
notre manière d’aborder l’alimentation, intervenant à divers
niveaux.
Donner une signification aux informations reçues : les ap-
pareils sensoriels, gustatif et olfactif notamment, sont fonc-
tionnels très précocement, dès le quatrième mois in utero. Les
messages envoyés par les organes des sens n’ont en soi pas de
signification particulière, et c’est lapétition, donc l’apprentis -
sage, leur situation dans le contexte général, leur association
avec d’autres événements, qui leur donnent une signification.
C’est par ce processus que l’individu peut alors communiquer
avec autrui, échanger sur des notions aussi complexes et indi -
viduelles que le goût, l’arôme…
Donner une échelle aux sensations : ce nest que par exrien -
ce que l’on apprend, en goûtant et comparant. C’est ainsi que
l’on peut percevoir que tel aliment est plus salé ou sucré que
tel autre… À cette échelle d’intensité individuelle s’ajoute, par
le jeu d’un apprentissage culturel, l’acquisition de bornes, fruit
d’un consensus collectif : tel aliment est assez salé” ou trop
salé” pour nous. C’est à partir de ce type d’apprentissage que
se met en place la reconnaissance des aliments comme faisant
partie de notre pertoire gustatif, comme étant tres” ou pas.
Passer de la sensation à la perception : la perception se cons-
truit à travers des expériences répétées, à travers l’assemblage
de plusieurs messages en une seule done, ce qui va permettre
par la suite une prise de décision plus rapide, à travers la mé-
morisation et l’élaboration des données emmagasinées dans
la mémoire.
Savoir manger : si le nouveau- dispose d’options gusta -
tives (prences pour ce qui est sucré, en particulier), l’accepta -
tion daliments nouveaux se fait par l’apprentissage, en par ticulier
par l’observation de ce que font les autres : parents et pairs. Le
rôle de l’entourage est évidemment capital lors de la confron-
tation avec des aliments ou des saveurs nouvelles; des travaux
ont montré qu’à cette occasion, une présentation chaleureuse,
positive, est bien plus efficace qu’une présentation neutre.
On le voit bien, apprendre à manger, c’est d’abord apprendre
un répertoire culturel de produits qui sont acceptés et consi-
dés comme comestibles. Cet apprentissage qui autrefois passait
presque exclusivement par les pairs et la famille connaît aujour -
d’hui de multiples sources; spécialistes, médias, mais aussi et
de plus en plus les professionnels du marketing et de la publicité,
qui jouent un rôle considérable dans ce fonnement du gt,
au risque de contribuer à créer une « cacophonie alimentaire »
(C. Fischler).
1. MANGER, CELA S’APPREND
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2Cette partie repose largement sur les travaux de Matty Chiva et de Claude Fischler, et en particulier le texte d’un article de Matty Chiva : “Le mangeur
et le mangé, la complexité d’une relation fondamentale”, in Identités des mangeurs, images des aliments, Cahiers de l’OCHA.
Les techniques de marketing, nées après la Seconde Guerre mon-
diale, ont largement évolué et se sont sophistiqes. Il s’est long-
temps agi de tenter de capter l’attention de consommateurs adul-
tes, voire d’orienter leur choix. À mesure que l’enfant, dès les
années quatre-vingt, est devenu un consommateur au pouvoir
d’achat réel, par le jeu de l’argent de poche, et capable d’impo -
ser lui-même des choix par une influence sur son milieu familial
et amical, il est devenu une nouvelle ciblepour les profession -
nels du marketing. Une critique qui peut être faite à ceux-là est
d’avoir trop calq, du moins au but, les techniques qui fonc-
tionnaient pour les adultes, en direction de leurs cibles nouvel -
les et plus jeunes. Parfois, un manque de discernement dans
l’appréhension des caractéristiques propres à l’enfant a pu con -
duire à des risques de dérive.
L’enfant, un consommateur affectif
et hédoniste
De fait, les choix alimentaires des enfants et des adultes ne re-
posent pas sur le me processus. Alors que, chez l’adulte, l’at-
titude en matière de consommation est structurée selon une
hiérarchie qui mène de la dimension cognitive (face à une pu-
blicité ou à un produit, la première perception s’établit sur des
croyances déjà établies ou en provoque de nouvelles) à la di-
mension conative (intention d’achat), en passant par une di-
mension affective intermédiaire (après le prisme de la croyance,
on s’ouvre à l’émotion suscitée éventuellement par le stimulus),
ces étapes semblent organisées différemment chez l’enfant : ce-
lui-ci, devant une annonce ou un stimulus, psente en premier
lieu une action affective susceptible d’entraîner une demande
(choix, intention d’achat), le changement cognitif (croyance)
ne s’établissant qu’en dernier lieu. C’est donc sur la dimension
affective que s’appuierait initialement l’appréhension d’un ob-
jet de consommation chez l’enfant consommateur, pour se -
velopper selon une dimension conative (intention d’achat)
aboutis sant à la construction de la croyance, élément cognitif,
sultante de ce processus. Cette ordonnance des étapes reflète
bien un être en plein apprentissage (non seulement de la con -
sommation, mais de l’ensemble des éléments contextuels de
son existence), qui va fonder ses choix de consommation prin -
cipalement sur ses émotions.
Les facteurs affectifs constituent pour un enfant un moyen de
faciliter ses choix. L’enfant, qui présente un certain nombre de
limites au niveau de ses connaissances déclaratives et procédu -
rales, peut donc suivre ses émotions pour réaliser des discri-
minations entre plusieurs alternatives aux attributs objectifs
(fonctionnels ou utilitaires) équivalents, et par procéder à des
choix de consommation.
Par ailleurs, il est important de souligner que les comportements
de l’enfant sont gouvers par des motivations hédonistes, alors
que chez l’adulte les motivations sont plurielles et incluent des
dimensions utilitaires et fonctionnelles qui, bien souvent, pré -
do minent sur des aspects plus immatériels.
2. LE REGARD HABITUELLEMENT PORTÉ PAR LE MARKETING
SUR L’ENFANT CONSOMMATEUR
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Le fait que l’affectivité constitue le filtre initial dans les percep -
tions de l’enfant le conduit à s’impliquer totalement dans tout
ce à quoi il s’intéresse et tout ce quil entreprend. De nombreuses
recherches portant sur le rôle morateur ou diateur de l’im-
plication dans les modèles de traitement de la publici ont ainsi
montré que le niveau d’implication a un impact sur la quanti -
té d’informations retrouvées en mémoire, et sur la formation
des attitudes de l’enfant à l’égard de la marque. De même, les
éléments centraux d’une annonce, à savoir son argumentation,
ont plus d’influence en situation de forte implication.
L’image avant le goût
Au-delà de l’affectivité et de l’implication qui en résulte chez
l’enfant consommateur, ses réactions sensorielles jouent éga-
lement un rôle prépondérant dans ses comportements de con -
sommation. En effet, les réactions sensorielles influent sur les
réactions émotionnelles et affectives de l’enfant, réactions qui
vont, à leur tour, engendrer des croyances et des préférences plus
ou moins stables dans le temps.
Dans ce registre des sens, l’enfant a tendance à privigier le trai-
tement visuel de l’information, ce qui lui permet de stocker en
mémoire des informations imagées sur les produits et les mar -
ques. Ainsi, avant même d’être capable de lire, les enfants dès
deux ans peuvent reconnaître les emballages familiers en ma -
gasin et les personnages vedettes sur des produits comme les
jouets ou les vêtements. À partir de la crèche, ils commencent
à se rappeler les noms des marques, et cela particulièrement
lorsque les marques sont assoces à des caractéristiques visuelles
telles que les couleurs, des dessins ou des héros.
Dans la chronologie de cet apprentissage sensoriel, ce n’est
qu’après l’approche visuelle, mais aussi tactile, qu’arrive le goût
dans les choix os par les enfants en bas âge. Ce sens va pren-
dre de plus en plus d’importance à mesure que l’enfant grandit,
permettant laalisation d’un véritable apprentissage gustatif
qui conduit à la formation de préférences alimentaires relati-
vement stables.
Quatre modèles d’approche marketing
de l’enfant consommateur
On l’a vu, la consommation alimentaire n’est pas qu’une affaire
individuelle, mais relève également d’un phénomène social :
l’enfant ne se développe pas de façon isolée, et ses habitudes
de consommation alimentaire se construisent à travers des -
diations marchandes (publicité, packaging, produit, point de
vente…) et non marchandes (dons, échanges…), au croisement
de plusieurs univers sociaux : la famille, l’école, les pairs…
C’est sur ce constat que des spécialistes du marketing ontve -
loppé une approche de l’enfant par l’interaction entre celui-ci
et son environnement; les travaux des chercheurs sur la ques-
tion, tout comme les préconisations prônées par certains ca-
binets de conseil scialisés, conduisent à distinguer quatre élé-
ments principaux qui structurent le champ des connaissances
mobilisées à propos des capacis cognitives et sociales de l’en-
fant. Ces modèles, qui coexistent et se complètent, ont en com-
mun de s’appuyer sur le fait que la consommation alimentaire
des enfants constitue une activité sociale et culturelle complexe,
selon les types d’aliments considérés et selon les contextes de
consommation privilégiés.
Une première approche repose sur le mole du gate keeper.
Elle part de l’évidence selon laquelle, pour qu’un aliment soit
consom par un mangeur, il faut d’abord qu’il parvienne jus-
quà lui. Dans les anes 1940, une étude menée par Kurt Lewin
avait montré que la consommation ou la non-consommation
de lait ne pendait pas dun choix individuel de l’homme amé-
ricain, mais des décisions de son épouse qui détermine ce qui
est bon à manger pour les membres de sa famille. Ce rôle de
portier économique, même si les modes de vie ont changé et
si les femmes consacrent moins de temps à la gestion des af-
faires domestiques, prédomine encore aujourd’hui : les mères
prennent lescisions en ce qui concerne l’alimentation de la
famille, et plus particulièrement de leurs enfants. C’est pourquoi
une partie de la communication marketing s’adresse en prio-
rité à la figure parentale dans son lien protecteur et son rôle de
soutien de développement vis-à-vis de son enfant.
Seconde ente vers les choix de lenfant, le modèle de lauto-
nomie concertée. Celui-ci repose sur lidée que les parents trans-
mettent trois catégories de savoir-faire en matière de choix de
consommation : l’apprentissage de la dimension économique,
celui de l’achat lui-même, et celui des fondements d’un pro-
cessus de consommation. Ainsi, commençant à maîtriser la com-
préhension du fonctionnement de la consommation, plus
l’enfant sera familier d’un produit, plus il saura mobiliser des
arguments en vue de persuader ses parents de l’acheter, utili-
sant ainsi, et d’une certaine manière en leur retournant leurs
propres arguments («ça fait grandir », «c’est sain », «c’est plein
de vitamines», etc.), des capacités qui lui ont étransmises par
les adultes. Ce mole table sur les capacités d’influence de l’en-
fant sur ses parents, sachant par ailleurs que les enfants jouent
un rôle de plus en plus actif dans les décisions d’achat, et ce à
toutes les étapes de la décision, pour des produits de consom-
mation familiale ou même des produits touchant plus spécifi -
quement les parents (cosmétiques, liquide vaisselle…).
Une troisième façon d’envisager l’enfant au cœur de la
cision d’achat renvoie au modèle du pester power, qui met
en scène une relation essentiellement conflictuelle entre pa-
rents et enfants à propos de produits spécifiquement conçus
pour l’enfant : caprices, bouderies, blocages dans les lieux pu-
blics constituent alors une stragie visant à créer une situation
embarrassante, voire intenable pour les parents. Même s’il s’agit
de situations extrêmes, et qui ne recouvrent qu’une petite par-
tie des comportements enfantins, ce modèle est en réalité lar-
gement diffu par les professionnels du marketing dans la com-
munication publicitaire. Le risque de mettre en scène ce type
de situation, clairement proscrit par le Bureau de vérification
de la publici (BVP, devenu en juin 2008 l’Autori de gulation
professionnelle de la publicité), est de présenter une autorité
parentale affaiblie.
Enfin, un quatrième éclairage sur la construction du choix
relève du modèle du child empowerment : les enfants ont ac-
cès à un grand nombre d’informations qui leur sont directement
destinées, du fait de leur interaction permanente avec leurs pairs,
leurs parents, leur fratrie, les médias… Des études ont montré
que les enfants changent leurs prérences alimentaires en fonc-
tion de celles de leurs pairs. Par ailleurs, certaines occasions so-
ciales sont construites comme des espaces spécifiques de l’en -
fance (anniversaires, fêtes voire Halloween, Noël, Mardi gras ou
Pâques). À ces occasions, l’enfant est placé au centre de l’évé -
nement et il lui est reconnu un pouvoir certain, voire une réelle
autonomie pour faire des choix alimentaires. On peut ainsi par-
ler de cultures enfantines” scifiques, qui ne sont pas toujours
accessibles aux adultes mais dont les responsables marketing
savent parfois ts bien accompagner l’émergence, contournant
ainsi l’autorité – et un éventuel contrôle – des parents.
On voit bien qu’en proposant une telle vision d’un enfant con -
sommateur à part entière, autonome dans ses choix, et sachant
les faire valoir, les entreprises cherchent à légitimer l’action des
responsables marketing s’adressant aux enfants : puisque ces
derniers sont finalement capables de faire des choix sur les pro-
duits qui les concernent, ce n’est ni de l’immoralité, ni de l’abus
de confiance que de chercher à les influencer.
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3Longman, Ben (2003), “Marketing Food and Drink to Kids, Effective Marketing and Innovation Strategies to 2007, Business Insights.
4Stratton, P. (1997), “Influences on Food Choice within the Family”, Childrens Food : Marketing and Innovation, London, Blackie Academic and
Professional, pages 1 à 18.
5Voir sur ce sujet : “Vulnérabilité et responsabilité des jeunes en matière de consommation, C. Bernès, J.-P. Loisel, INC Hebdo no1393, juillet 2006.
6Rouen, Caroline (2002), Sensibilité aux marques et formation de l’ensemble évoqué chez l’enfant, tse de doctorat, universi de Paris 1- Panthéon-
Sorbonne.
Des logiques de management qui tablent
sur la dimension “plaisir”
Une étude réalie aux États-Unis (2003) sur plus de 12000 lan-
cements de produits laisse apparaître que le plaisir constitue le
vecteur principal de valorisation des produits agroalimentaires
destinés aux enfants. En fait, selon certains chercheurs3, on peut
regrouper le positionnement des lancements de produits agro -
alimentaires en trois segments principaux : la santé, le plaisir
et la praticité.
Comparativement aux produits destinés aux adultes, le posi-
tionnement des produits alimentaires pour enfants est construit
autour de la notion de plaisir plutôt que sur une dimension santé.
Ainsi, les politiques marketing tendant à valoriser les aliments
positionnés conjointement santé” et plaisir” font-elles l’objet
d’une communication disjointe et simultanée vers deux cibles
différentes : les aspects santé et nutrition sont relayés aups des
parents, alors que la notion de plaisir est directement adressée
à l’enfant.
À cette dimension plaisir s’ajoute l’attractivité liée à un usage
pratique du produit. Cette praticité doit être entendue comme
permettant à l’aliment d’être consommable immédiatement,
ce qui implique que le packaging soit facile à manipuler par len-
fant lui-me, de fon à favoriser sa consommation autonome
et son plaisir.
Ces deux tendances semblent se rejoindre dans une notion un
peu floue de nouveauté et de fun. Contrairement aux adultes,
seuls 13 % des enfants considèrent que les cisions alimentai -
res de la famille sont routinières4. En tant qu’apprenti-con som -
ma teur, l’enfant découvre en permanence de nouveaux usages
et de nouvelles situations de consommation, de nouvelles tex-
tures, de nouvelles saveurs, et considère la plupart des actes de
consommation comme sortant de l’ordinaire. L’importance de
la dimension nouveauté” est de ce fait terminante dans l’ex-
périence de consommation des enfants, et cela en particulier
sur le plan alimentaire.
D’une façon générale, la notion de fun foodouvre la voie à de
nombreuses innovations produit, allant de la couleur aux for-
mes, et incluant également l’intégration d’une valeur ludique.
Par exemple, le ketchup vert permet de faire des dessins avec
différentes couleurs, de donner un sens nouveau à la consom-
mation et de transformer la nature même de l’activité de
manger.
On note également que, sur tous les lancements de produits pour
enfants axés sur la notion de plaisir, seule se trouve associée la
dimension nouveauté.
Il semble que l’innovation dans le segment des produits agroali -
mentaires pour enfants n’a pas besoin d’être radicale pour sus-
citer l’intérêt de l’enfant. Provoquer des formes inédites d’in-
teraction entre l’objet alimentaire et le consommateur, associer
des primes cadeaux à des aliments existants, trouver des noms
aux sonorités amusantes, développer un packaging adapté aux
capacités motrices des enfants, chercher des solutions de mi-
niaturisation des portions : autant de voies d’innovation qui ex-
ploitent le recouvrement des notions de plaisir et de nouveauté.
Rien qu’en jouant sur la combinaison de ces deux notions, les
professionnels du marketing ont un large champ de manœuvre.
Selon les occasions et les âges, Michelle Poris (2005) du cabinet
de recherche stratégique Just Kid Inc., centré sur les 2-12 ans,
a caractérisé dix formes de lucidité reposant sur des logiques
contrastées : elles peuvent renvoyer à des interactivités sociales
tre avec ses amis et faire des activis par exemple), auxquelles
vont correspondre les offres alimentaires en mini-condition-
nement, à des stades de développement (2-3 ans, riode pen-
dant laquelle les mères souhaitent que l’enfant construise son
autonomie et son indépendance; avant 7 ans, l’attrait pour des
actions relatives à l’humour, au rire et à la capacité de faire rire,
que suscitent des produits qui surprennent et amusent les en-
fants…), ou encore à des activités (sportives, de performance,
familiales, personnelles). Une telle classication introduit donc
un grand nombre de nuances, soulignant les multiples dimen -
sions du concept de funet, par là, le champ particulièrement
vaste d’interventions possibles des professionnels du marketing
agroalimentaire.
La marque, élément structurant
Les travaux centrés sur les relations qu’entretient l’enfant avec
le produit ont révélé l’importance que revêt la marque auprès
de ces apprentis consommateurs. La marque permet à l’enfant
de se repérer parmi les produits, de communiquer avec les autres
consommateurs, de se faire accepter dans des groupes de pairs
et d’intégrer peu à peu différents cercles de socialisation5. La
dimension affective et l’interactivité constituent des éléments
clés dans la relation que les marques établissent avec les en-
fants.
Chaque enfant peut évidemment présenter plusieurs types de
comportements vis-à-vis des marques, selon le type de produit.
Toutefois, cinq types de comportements vis-à-vis des marques
ont été identifiés6: l’enfant consommateur devant la marque
peut aller de la vraie fidélité, exclusive, à l’infidéliinsensible,
les marques ne revêtant alors aucune importance, en passant
par trois autres types d’attitudes : la fidélité habituelle (l’enfant
reste inerte, n’est pas à l’origine de l’achat, par exemple pour un
dentifrice), le panachage entre quelques marques (multifidéli -
té, par exemple les céréales), ou le côté aventurier du goût” :
l’enfant teste un produit sur plusieurs achats avant de chan-
ger pour un nouveau (par exemple, les nouveautés Kinder Pingu).
De toute évidence, les enfants développent très tôt une véri-
table sensibiliaux marques, plus particulièrement en ce qui
concerne les produits dits de consommation ostentatoire. Car
la valeur d’une marque ne s’explique pas uniquement par sa
dimension affective, mais dérive en grande partie de sa valeur
symbolique. La signification d’une marque peut être révée en
comprenant comment elle est utilisée symboliquement au sein
de groupes de pairs.
3. LES PRATIQUES MARKETING AGROALIMENTAIRES
CIBLANT LES ENFANTS
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7Muratore, Isabelle (1999), “La sensibilité de l’enfant aux marques et aux promotions, Décisions Marketing, 18, septembre-octobre, 51-59.
8Advergaming” : jeu mettant en scène des éléments de la marque et accessible gratuitement via le site de la marque.
Tout passe par la communication
Pour que l’enfant puisse avoir connaissance d’une marque, celle-
ci doit nécessairement s’adresser à lui, et distiller des arguments,
des valeurs qui vont émouvoir sa sensibili et susciter sa délité.
Aujourdhui, les marques agroalimentaires recourent à trois grands
canaux de communication : les promotions, la publiciet, plus
récemment, les sites web ou les réseaux sociaux.
La promotion des ventes vise à renforcer la relation affective.
Alors que son le principal chez l’adulte est daccélérer les ventes
et d’en accroître le volume, il semble que les promotions nour -
rissent positivement les réactions affectives de l’enfant en fa-
veur de la marque. Plus précisément, on relève trois formes de
sensibilité enfantine à la promotion, qui génèrent trois types
d’influence 7:
la sensibilité à la promotion commen en soi : quel que soit
le produit, c’est la promotion qui importe et va créer la demande;
la sensibilité à la promotion comme critère d’évaluation : la
promotion permet une différenciation entre les marques pour
un produit donné;
la sensibilité à la promotion comme moyen : la promotion
est utilisée par l’enfant comme argument pour convaincre ses
parents.
Ces différents types de sensibilité se trouvent confrontés à des
types de promotions qui peuvent varier. On peut en dresser les
grandes catégories : la promotion qui propose un produit
moins cher; celle qui propose pour un même prix davantage
de produit; celle qui offre un cadeau, la promotion préférée des
7-8 ans; enfin celle qui propose un jeu, une loterie pour éven-
tuellement gagner un cadeau, très appréciée par les 7-11 ans.
Au final, en combinant ces informations, on relève quatre types
de profils d’enfants relatifs aux promotions :
des hypersensibles, principalement de 7-8 ans, qui perçoivent
la promotion comme un cadeau que fait la marque, ce qui ren-
force leur lien affectif à la marque ;
des insensibles, à l’inverse, pour lesquels les promotions n’ont
pas d’intérêt ; cette attitude est plus souvent le fait de filles de
9-11 ans ;
de purs hédonistes : un quart d’enfants seraient uniquement
sensibles à l’aspect ludique de la promotion, à savoir le jeu ou
le cadeau offert. Les filles de 7-11 ans sont un peu plus présentes
dans ce profil;
et enfin des évaluateurs de 9-10 ans, représentant un petit
cinquième des enfants, qui sont attirés par l’opportunité de la
baisse de prix ou d’une plus grande quantité de produit, et pas
par le cadeau.
Ce genre d’analyse et de coupage de la population enfantine
est évidemment très prisé par les entreprises qui vont pouvoir
adapter leurs stratégies promotionnelles aux caractéristiques
de la cible visée par leur produit.
Second étage de la communication, la publici qui est d’évi -
dence un média clé de la communication vers l’enfant. Les tra-
vaux en marketing se sont orientés vers une comphension de
l’efficacité de la publici sur trois dimensions gigognes : tout
d’abord, la publicité doit capter l’attention; ensuite, elle doit
persuader le consommateur d’agir dans le sens voulu; enfin,
elle doit rendre durable ce changement de comportement.
La publicité est généralement appréciée par les enfants, dont
elle capte facilement l’attention, d’autant plus lorsqu’ils sont
jeunes (moins de 10 ans). S’ils sont très rapidement capables
de difrencier les publicitésvisées des autres programmes,
ils ne peoivent ellement l’intention persuasive d’une publi -
ci qu’à partir de l’âge de 8 ans environ, alors que, plus jeunes,
ils retiennent essentiellement la dimension “informative” du
message. La réponse des enfants à la publicité est donc avant
tout d’ordre affectif.
De nombreuses recherches ont été effectuées sur les publicités
destinées aux enfants, principalement télévisées. Plusieurs études
américaines mettent en évidence la pdominance des discours
sur deux catégories de produits : les jouets et les aliments pour
enfants. Pour ce qui concerne les produits alimentaires, la plupart
des travaux insistent sur limportance du divertissement (le fun)
dans le traitement des communications, ainsi que sur la ten-
dance à construire le message autour de l’attrait représenpar
le plaisir gustatif et par la nouveauté.
On retrouve dans ces publicités pour des goûters, des céréales,
des produits laitiers, etc., des stratégies de caractérisation et de
personnification, soit à travers l’animation du produit, soit par
l’emploi de mascottes. De nombreuses publicités enfantines
mettent en scène des ambiances et des héros fabuleux et trans -
posent les produits objets de la communication dans une di-
mension magique, accente par lutilisation d’images ingrant
des effets spéciaux.
Toutes les études soulignent la tendance à une forte segmenta -
tion par genre et à une stéréotypisation très marquée des les
dans les publicités. Les garçons sont deux fois plus souvent pré-
sents que les filles et sont représentés dans des rôles plus actifs
et dominants. La mode, les contes de fées, le plaisir du shop-
ping, la tendresse, les activités maternelles sont les thèmes ré-
currents de la publicité adressée aux filles, alors que la force,
la vitesse, l’aventure, les défis dominent les spots ciblant les gar-
çons. En outre, la segmentation touche aussi la manière de jouer
entre enfants : alors que les filles jouent ensemble, les garçons
sont souvent représentés comme des adversaires.
Une autre caractéristique de ces publicités pour enfants est le
recours à la transposition d’un univers à un autre : dans nom-
bre de spots sont convoqués des histoires, des tmes, des per-
sonnages issus de livres d’aventures, de contes de es, de films
ou de bandes dessinées. Ainsi, pour promouvoir des produits
destinés aux plus jeunes, les professionnels de la publicité pui-
sent de manre fragmentaire dans un univers de connaissances
et d’images largement partagées, liées à la culture de masse en-
fantine, point de rencontre certain entre enfants et parents ainsi
qu’entre enfants de différentes nationalités.
Plus récemment, avec la création et l’animation de sites de
marques, Internet a permis d’élargir le champ d’action de la pu-
blicité. Des estimations américaines font valoir que 98 % des
sites pour enfants autorisent la publicité, et que plus des deux
tiers de ces sites annoncés comme déds à l’enfant sontnancés
par la publicité.
La capacité d’Internet à engendrer un haut niveau d’implication
et d’engagement constitue l’une des principales forces de ce
média. Internet n’est pas un média passif, dans la mesure où
l’internaute doit chercher le site, naviguer dans son contenu
et interagir avec lui. Ainsi, l’utilisateur se trouve totalement im-
pliqué et engagé dans une activité divertissante. Alors quun spot
publicitaire dure environ trente secondes, la durée moyenne
de navigation sur un site de jeu est d’approximativement vingt-
cinq minutes; l’attention de l’enfant sera donc focalisée sur la
marque plus longtemps. De plus, les sites pour enfants sont re-
connus comme amusants et fortement implicants.
Les sites de marque et les advergamings 8tendent à se déve-
lopper, compte tenu des différentes contraintes auxquelles les
annonceurs sont soumis sur les médias traditionnels. En effet,
les annonceurs développent de plus en plus des logiques de ratio -
nalisation des coûts et de contrôle de l’efficacité de leurs inves -
tissements publicitaires. Alors qu’une annonce télévisée coûte
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