24-30 novembre 2008
No1496
INC Hebdo
III
Le fait que l’affectivité constitue le filtre initial dans les percep -
tions de l’enfant le conduit à s’impliquer totalement dans tout
ce à quoi il s’intéresse et tout ce qu’il entreprend. De nombreuses
recherches portant sur le rôle modérateur ou médiateur de l’im-
plication dans les modèles de traitement de la publicité ont ainsi
montré que le niveau d’implication a un impact sur la quanti -
té d’informations retrouvées en mémoire, et sur la formation
des attitudes de l’enfant à l’égard de la marque. De même, les
éléments centraux d’une annonce, à savoir son argumentation,
ont plus d’influence en situation de forte implication.
L’image avant le goût
Au-delà de l’affectivité et de l’implication qui en résulte chez
l’enfant consommateur, ses réactions sensorielles jouent éga-
lement un rôle prépondérant dans ses comportements de con -
sommation. En effet, les réactions sensorielles influent sur les
réactions émotionnelles et affectives de l’enfant, réactions qui
vont, à leur tour, engendrer des croyances et des préférences plus
ou moins stables dans le temps.
Dans ce registre des sens, l’enfant a tendance à privilégier le trai-
tement visuel de l’information, ce qui lui permet de stocker en
mémoire des informations imagées sur les produits et les mar -
ques. Ainsi, avant même d’être capable de lire, les enfants dès
deux ans peuvent reconnaître les emballages familiers en ma -
gasin et les personnages vedettes sur des produits comme les
jouets ou les vêtements. À partir de la crèche, ils commencent
à se rappeler les noms des marques, et cela particulièrement
lorsque les marques sont associées à des caractéristiques visuelles
telles que les couleurs, des dessins ou des héros.
Dans la chronologie de cet apprentissage sensoriel, ce n’est
qu’après l’approche visuelle, mais aussi tactile, qu’arrive le goût
dans les choix opérés par les enfants en bas âge. Ce sens va pren-
dre de plus en plus d’importance à mesure que l’enfant grandit,
permettant la réalisation d’un véritable apprentissage gustatif
qui conduit à la formation de préférences alimentaires relati-
vement stables.
Quatre modèles d’approche marketing
de l’enfant consommateur
On l’a vu, la consommation alimentaire n’est pas qu’une affaire
individuelle, mais relève également d’un phénomène social :
l’enfant ne se développe pas de façon isolée, et ses habitudes
de consommation alimentaire se construisent à travers des mé-
diations marchandes (publicité, packaging, produit, point de
vente…) et non marchandes (dons, échanges…), au croisement
de plusieurs univers sociaux : la famille, l’école, les pairs…
C’est sur ce constat que des spécialistes du marketing ont déve -
loppé une approche de l’enfant par l’interaction entre celui-ci
et son environnement; les travaux des chercheurs sur la ques-
tion, tout comme les préconisations prônées par certains ca-
binets de conseil spécialisés, conduisent à distinguer quatre élé-
ments principaux qui structurent le champ des connaissances
mobilisées à propos des capacités cognitives et sociales de l’en-
fant. Ces modèles, qui coexistent et se complètent, ont en com-
mun de s’appuyer sur le fait que la consommation alimentaire
des enfants constitue une activité sociale et culturelle complexe,
selon les types d’aliments considérés et selon les contextes de
consommation privilégiés.
• Une première approche repose sur le modèle du “gate keeper”.
Elle part de l’évidence selon laquelle, pour qu’un aliment soit
consommé par un mangeur, il faut d’abord qu’il parvienne jus-
qu’à lui. Dans les années 1940, une étude menée par Kurt Lewin
avait montré que la consommation ou la non-consommation
de lait ne dépendait pas d’un choix individuel de l’“homme amé-
ricain”, mais des décisions de son épouse qui détermine ce qui
est bon à manger pour les membres de sa famille. Ce rôle de
“portier économique”, même si les modes de vie ont changé et
si les femmes consacrent moins de temps à la gestion des af-
faires domestiques, prédomine encore aujourd’hui : les mères
prennent les décisions en ce qui concerne l’alimentation de la
famille, et plus particulièrement de leurs enfants. C’est pourquoi
une partie de la communication marketing s’adresse en prio-
rité à la figure parentale dans son lien protecteur et son rôle de
soutien de développement vis-à-vis de son enfant.
• Seconde entrée vers les choix de l’enfant, le modèle de l’“auto-
nomie concertée”. Celui-ci repose sur l’idée que les parents trans-
mettent trois catégories de savoir-faire en matière de choix de
consommation : l’apprentissage de la dimension économique,
celui de l’achat lui-même, et celui des fondements d’un pro-
cessus de consommation. Ainsi, commençant à maîtriser la com-
préhension du fonctionnement de la consommation, plus
l’enfant sera familier d’un produit, plus il saura mobiliser des
arguments en vue de persuader ses parents de l’acheter, utili-
sant ainsi, et d’une certaine manière en leur retournant leurs
propres arguments («ça fait grandir », «c’est sain », «c’est plein
de vitamines», etc.), des capacités qui lui ont été transmises par
les adultes. Ce modèle table sur les capacités d’influence de l’en-
fant sur ses parents, sachant par ailleurs que les enfants jouent
un rôle de plus en plus actif dans les décisions d’achat, et ce à
toutes les étapes de la décision, pour des produits de consom-
mation familiale ou même des produits touchant plus spécifi -
quement les parents (cosmétiques, liquide vaisselle…).
• Une troisième façon d’envisager l’enfant au cœur de la
décision d’achat renvoie au modèle du “pester power”, qui met
en scène une relation essentiellement conflictuelle entre pa-
rents et enfants à propos de produits spécifiquement conçus
pour l’enfant : caprices, bouderies, blocages dans les lieux pu-
blics constituent alors une stratégie visant à créer une situation
embarrassante, voire intenable pour les parents. Même s’il s’agit
de situations extrêmes, et qui ne recouvrent qu’une petite par-
tie des comportements enfantins, ce modèle est en réalité lar-
gement diffusé par les professionnels du marketing dans la com-
munication publicitaire. Le risque de mettre en scène ce type
de situation, clairement proscrit par le Bureau de vérification
de la publicité (BVP, devenu en juin 2008 l’Autorité de régulation
professionnelle de la publicité), est de présenter une autorité
parentale affaiblie.
• Enfin, un quatrième éclairage sur la construction du choix
relève du modèle du “child empowerment” : les enfants ont ac-
cès à un grand nombre d’informations qui leur sont directement
destinées, du fait de leur interaction permanente avec leurs pairs,
leurs parents, leur fratrie, les médias… Des études ont montré
que les enfants changent leurs préférences alimentaires en fonc-
tion de celles de leurs pairs. Par ailleurs, certaines occasions so-
ciales sont construites comme des espaces spécifiques de l’en -
fance (anniversaires, fêtes voire Halloween, Noël, Mardi gras ou
Pâques). À ces occasions, l’enfant est placé au centre de l’évé -
nement et il lui est reconnu un pouvoir certain, voire une réelle
autonomie pour faire des choix alimentaires. On peut ainsi par-
ler de “cultures enfantines” spécifiques, qui ne sont pas toujours
accessibles aux adultes mais dont les responsables marketing
savent parfois très bien accompagner l’émergence, contournant
ainsi l’autorité – et un éventuel contrôle – des parents.
On voit bien qu’en proposant une telle vision d’un enfant con -
sommateur à part entière, autonome dans ses choix, et sachant
les faire valoir, les entreprises cherchent à légitimer l’action des
responsables marketing s’adressant aux enfants : puisque ces
derniers sont finalement capables de faire des choix sur les pro-
duits qui les concernent, ce n’est ni de l’immoralité, ni de l’abus
de confiance que de chercher à les influencer.