Théâtre Denise-Pelletier DIRECTION ARTISTIQUE CL AUDE POISSANT L e s C a h i e r s / N um é r o 9 5 Cahier d’automne R e n d e z - v o u s g a r e d e l’ E s t ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR La Liberté L e s H a u t- Pa r l e u r s MÜNCHHAUSEN, LES MACHINERIES DE L’IMAGINAIRE Sh e r l o c k H o l m e s e t l e c h i e n d e s B a s k e r v i l l e © LM Chabot MOT DU DI R ECTEU R A R TISTI Q UE Des cahiers neufs. Il n’y a pas de changement sans un peu de danger, sans audace. Il n’y a pas de rupture sans douleur ou nostalgie. Il faut pourtant s’interroger sur nos manières de communiquer et ne pas prendre le parti de l’habitude. Cette habitude n’est d’ailleurs pas dans mes gènes, on me le reproche parfois. Mais elle m’aura été salutaire jusqu’ici. Je préconise donc un certain équilibre entre le sens de la tradition et l’intrépidité de la création pour nous garder alerte et sensible au temps qui passe, aux générations qui naissent. À partir d’aujourd’hui donc, en cet automne 2015, le cahier d’accompagnement, que plusieurs d’entre vous connaissent ou avez quelquefois côtoyé, prend un chemin différent. Je vous propose un nouveau complément à nos spectacles, un cahier qui respire au gré des saisons et qui, sans perdre sa mission d’informer, offre une réflexion sociale à la dramaturgie présentée au TDP. En cette ère d’électronique et de réseaux, en ces temps où nous trouvons des informations générales, pointues, éclectiques, sur les autoroutes du savoir, nous repensons donc les Cahiers du TDP et, après mûres réflexions, les déclinons autrement. Le Cahier d’automne et le Cahier d’hiver - il y en aura donc deux par année - sont de libres accompagnateurs, concis et adaptés à tous les lecteurs, jeunes et moins jeunes. Chaque Cahier est parrainé par un passionné, qu’il soit théoricien, praticien, professeur, sociologue, artiste ou journaliste. Ces concepteurs abordent les œuvres, quelle qu’en soit l’époque, en les interrogeant au cœur de l’instant présent. Ils ciblent des pistes de réflexion, proposent des regards, abordent avec divers collaborateurs les sujets et les thèmes que les quelques spectacles, à l’affiche de septembre à décembre ou de février à mai, leur ont inspirés. Dans ce Cahier d’automne, pensé par le metteur en scène et conseiller à l’artistique Jean-Simon Traversy, les amours de Musset et Sand, par le biais de Perdican et Camille, côtoient les histoires étonnantes du baron de Münchhausen, la vie de solitaire de Sherlock Holmes et les créations vibrantes de Guillaume Vincent, Martin Bellemare et Sébastien David. Ainsi, le sentiment amoureux, la foi, la liberté de parole, la bipolarité, le suicide assisté, la fin de l’adolescence et Holmes luimême, sont les sujets invités de ce premier opus. En lisant les textes proposés par Nathalie Boisvert et Nicolas Gendron et les entrevues avec Mara Tremblay, la comédienne Christiane Pasquier et sœur Violaine Paradis, en plongeant dans les correspondances de George Sand et d’Alfred de Musset, et leurs contemporains Sophie Torris et Jean-François Caron, vous voyagerez de thème en thème, entre les aspirations de la jeunesse, les forces et les failles de la vérité et la peur de l’engagement. Je souhaite que ce Cahier d’automne permette des échanges, des apprentissages, des réflexions sur nos responsabilités communes et individuelles. Et surtout, je souhaite que tous les Cahiers qui suivront provoquent de joyeuses rencontres entre les générations et entre les cultures. Les feuilles commencent à tomber, la neige viendra si vite, l’automne est déjà sur nos scènes. Merci d’être là, chers spectateurs, aussi généreux qu’exigeants. Claude Poissant 2 TABLE DES MATI È R ES Mot de J e a n - S i m o n Tr av e r s y 2 Mot du directeur artistique 4 coordonnateur invité du Cahier d’automne 2015 Rendez-vous gare de l’Est 5 Entretien avec Mara Tremblay 8 On ne badine pas avec l’amour 9 Prendre le voile pour fuir la réalité de son époque ? © Jeremie Battaglia 11 Conversation 14 Correspondances 18 Abécédaire 22 La Liberté 23 Le suicide assisté : enjeux et limites d’une liberté fondamentale 25 Quand Claude m’a parlé de sa vision pour les Cahiers, j’ai tout de suite été emballé. Quand il m’a demandé si je voulais piloter le premier Cahier d’automne, j’ai été apeuré. Puis, en (re)lisant les pièces, en discutant avec les artistes de la saison, j’ai eu envie, moi aussi, de faire découvrir les productions différemment. D’ailleurs, chaque article sera précédé d’un court texte vous expliquant ma réflexion derrière le travail avec les auteurs. Bonne lecture ! Et, surtout, restez curieux ! Les Haut-Parleurs 26 Entretien avec Richard Thériault 28 Vox-pop : Qu’est-ce que la musique représente pour vous ? 30 Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 31 Raconter son histoire ou forger son mythe grâce aux médias sociaux 33 De l’autre côté du miroir JEAN-SIMON TRAVERSY est conseiller artistique au Théâtre DenisePelletier, metteur en scène et codirecteur artistique de LAB87. 35 Entretien avec Hugo Bélanger 37 Trucs et machines de scène au XVIIIe siècle 42 Sherlock Holmes et le chien des Baskerville ISSN 2369-5374 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA INC 43 Sherlock Holmes Le Théâtre Denise-Pelletier remercie Théâtre Denise-Pelletier 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H1V 1Y2 Partenaire de de saison Partenaire saison Partenaire média Avec la participation du Ministère de la Culture et des Communications Le Théâtre Denise-Pelletier est membre des Théâtres Associés inc (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST). Administration : 514 253-9095 Billetterie : 514 253-8974 denise-pelletier.qc.ca Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs BonotauxBouchard. La rédaction de ce Cahier est coordonnée par Jean-Simon Traversy. Nous remercions les équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro. Design : Ping Pong Ping 3 s a l l e f r e d - b a r ry / 8 au 2 6 s e p t e m b r e 2 015 Rendez-vous gare de l’Est Texte et mise en scène Guill aume Vincent Dramaturgie Marion S toufflet A vec E milie I ncer t i F ormen t ini en savoir Une femme dans la trentaine évoque sa vie, son mari Fabien, son travail, et ses allers-retours à l’hôpital psychiatrique. Consciente de sa bipolarité, elle témoigne de son état. Guillaume Vincent obtient un DEUST d’études théâtrales et une Licence de cinéma avant de faire ses études au Théâtre National de Strasbourg en mise en scène (2001). Il est comédien, metteur en scène et auteur. Emilie Incerti Formentini suit les formations de l’École du Rond-Point des Champs Élysées et de l’École de Chaillot avant d’intégrer l’École du Théâtre National de Strasbourg en 1999. Elle intègre notamment la troupe du TNS lors de sa sortie de l’école en 2002. La Cie MidiMinuit a été créée par Guillaume Vincent (metteur en scène) et Marion Stoufflet (dramaturge) en 2003 et est basée à Romainville, en France. 4 ENT R ETIEN AVEC MA R A T R EMBLAY par Jean-Simon Traversy En plein coeur d’une tournée qui la mènera aux quatre coins du Québec, l’auteurecompositrice-interprète Mara Tremblay a gentiment accepté de discuter de bipolarité et des répercussions de cette maladie sur la famille et la création. Jeunesse Peut-être. Mara grandit dans une famille avec beaucoup d’ouverture. « Mes parents m’ont eu très jeune. Ma mère est tombée enceinte à 19 ans. » Son père, qui jouait du violon, de la guitare et du piano, était le meilleur ami de Plume Latraverse. « Ils avaient une maison de campagne ensemble. Un artiste sur le party, c’était la norme quand j’étais jeune. » À l’école secondaire Pierre-Laporte où elle étudie le violon, la jeune Mara est une très mauvaise étudiante. Dérangeante, elle n’a peur de rien et provoque souvent. De l’autre côté, elle est hyper-sensible. « J’avais pas beaucoup d’amis. » Devant ses problèmes à l’école, son père lui dit une phrase marquante : « L’important, c’est que tu sois épanouie. » La musique étant sa passion, à 17 ans, elle part en France avec le groupe Les Maringouins. Ses talents de musicienne et sa polyvalence (mandoline, violon, basse et voix) l’amènent à jouer avec Les Colocs, Nanette Workman, Mononc’ Serge et Lhasa de Sela, en plus de faire partie du groupe Les Frères à Ch’val. Je me reconnais dans certaines de ses définitions. Certains médicaments peuvent apparemment aider. Le médecin m’a mis sous antidépresseurs et j’ai l’impression que mes symptômes maniaques sont encore pires qu’avant. Ça ne marche pas. Ça ne marche plus. Le docteur Bouliane dit que je suis bipolaire à cycle ultra ultra-rapide. Mon cœur m’envoie des signaux violents. Je n’arrive plus à me situer face à l’amour.1 1 Mara Tremblay, Mon amoureux est une maison d’automne, Montréal, Les 400 coups, p.17, 2011. 4 P our q uoi ? (extrait du roman Mon amoureux est une maison d’automne) Sujet délicat que la bipolarité. Claude Poissant a été ébranlé après avoir vu Rendez-vous gare de l’Est à Avignon. Pour le Cahier d’automne, j’ai eu envie d’en discuter avec une artiste qui vit avec cette maladie. Le roman Mon amoureux est une maison d’automne de Mara Tremblay m’avait beaucoup touché. Mara est une artiste complète pour qui j’ai le plus grand respect. Cet entretien, accompagné d’extraits de son roman, représente, pour moi, une percée unique au coeur de cette maladie, encore taboue. J-S. Traversy Je consulte le Dr Bouliane, psychiatre. Je me rends compte que mon rapport à l’ordre est inquiétant. © Gabrielle Desmarchais J’ai besoin de me reposer. Je suis hyper-épuisée, même si j’ai arrêté de travailler. Je consacre je ne sais combien de temps et d’énergie à replacer un petit tapis, histoire de millimètres, sans pouvoir m’arrêter. C’est plus fort que moi. Ce n’est jamais assez centré, parfait. Jamais. J’en ai assez de cette obsession du droit et de la symétrique. Je n’en peux plus. Je veux me reposer. Le soir arrive et je suis épuisée d’avoir placé des choses. Même plus de sourires pour mes enfants. Trouble obsessionnel compulsif. TOC. Rendez-vous gare de l’Est 5 Vivre avec ses fantômes Puis, un jour, quelqu’un lui demande si elle aimerait faire un projet solo. « J’ai jamais voulu être devant. Avoir de l’attention, c’est malsain. Ça amplifie le problème. » Mais, en même temps, elle ne se voit pas faire un autre métier. « J’ai besoin de surprises, de changements. C’est un métier qui nourrit la bipolarité. » Quelques années plus tard, la maladie commence à prendre beaucoup de place. « Je changeais de char à chaque année. J’avais un TOC sur le H de Honda, je le trouvais tout le temps croche. Je conduisais pis je capotais. C’est le garagiste qui m’a dit que je devrais consulter. » Elle décide donc de consulter des médecins, mais ceuxci lui prescrivent des antidépresseurs. « Quand t’es bipolaire, ça marche pas. Ça amplifie. Ça te met encore plus down. Pis dans les downs, tu veux plus vivre. Tu veux plus te lever le matin, plus parler, plus être mère. J’ai annulé des shows. Tu vis plus. » Elle rencontre finalement un spécialiste qui lui prescrit des médicaments. « Parce qu’il y a ben trop de voix dans ma tête. Quand j’essaie de dormir, c’est comme si j’étais ici, au café. Y’a du monde qui jase. Partout. Tout le temps. Ce que j’ai trouvé de plus proche, de plus pertinent, c’est le générique d’ouverture de Homeland. C’est ça qui se passe dans ma tête quand je ne prends pas de médicaments. T’es remplie de fantômes. T’es jamais tranquille. » Au final, les médicaments ont changé sa vie. « En une semaine, j’ai eu envie de faire de la musique. J’ai été capable de parler. Avant, j’étais pas capable de parler aux gens. Même mes enfants me parlaient, pis j’étais pas là. J’étais pu une personne. J’attendais la mort. Si je la provoquais pas, c’était à cause de mes enfants. C’est la seule chose qui me gardait en vie. » 73 (extrait du roman Mon amoureux est une maison d’automne) Je me sens beaucoup mieux avec les nouveaux médicaments. Sauf que je suis trop high. Je retrouve ma phase maniaque et ma tête se remplit de voix. Je ne suis pas tranquille et je suis plus tranquille à la fois.2 Ne plus créer à tout prix Mara avoue qu’elle n’a jamais eu de misère à créer. « Je suis une machine. Dans des gros gros high, je m’installe devant un instrument pis je joue. C’est de la belle grosse magie. J’ai beaucoup créé dans ma vie. Maintenant, l’objectif c’est d’être bien. Quand je rentre en création, c’est dangereux après. Parce que c’est tellement fort. Le tourbillon est tellement fort. Après, c’est dur, c’est très dur. Même avec des médicaments. » Aujourd’hui, elle présente son spectacle, À la manière des anges, en famille. Son chum l’accompagne à la guitare. Son fils Victor, 19 ans, joue de la batterie. « Quand je cuisinais, je renversais des casseroles pis je lui donnais des cuillères de bois. Victor est né là-dedans. Il a plein de projets. Il écrit tout le temps. C’est un très grand créateur. C’est déjà un professionnel. » 2 Mara Tremblay, Mon amoureux est une maison d’automne, Montréal, Les 400 coups, p. 165, 2011. Rendez-vous gare de l’Est 6 80 (extrait du roman Mon amoureux est une maison d’automne) Quelque chose se dépose tranquillement au fond de moi. Je me sens reprendre la main du bonheur. Elle me tire vers lui. Comme sauvée de la mort par un ami, quand on saute du haut d’un pont et qu’une main apparaît et nous agrippe. Et tire. Fort. Je ne peux que reprendre l’existence avec respect pour ce qui me sort de là. Thérapie, médicaments, amour, cheminement, volonté. Je ne sais pas à quoi c’est dû, exactement. La volonté, surtout. Mais la maladie est forte. J’ai la volonté d’aller chercher de l’aide, et je crois que c’est ce qui me sauve. Les médicaments calment les voix dans ma tête et font de la place.3 que les gens allaient avoir mal aux yeux tellement j’étais laide. Maintenant, je peux faire des shows, avoir des amis, tripper avec mes gars. J’ai une vie. Avant, j’avais pu de vie. » 85 (extrait du roman Mon amoureux est une maison d’automne) Une journée d’automne Ne peut être plus belle Que celle d’aujourd’hui Le 11 octobre 2010 La lumière et le calme Dans ma cour et dans mon coeur Enfin libre d’aimer Ma vie.4 Mara Tremblay est auteure-compositrice-interprète. Son dernier album, À la manière des anges, parut en octobre 2014. Dompter le cheval sauvage En 2009, elle se fait tatouer un cheval sauvage. « Je trouve que c’est une belle métaphore de la maladie à apprivoiser. » Elle aimerait maintenant que la maladie devienne moins taboue. « La solitude, c’est la pire affaire. Il faut en parler, surtout pas rester tout seul. C’est à la société de rendre la maladie moins taboue. C’est pour ça que j’accepte d’en parler aujourd’hui. Il faut que les gens comprennent que c’est une maladie et que ça se soigne avec les bons médicaments. C’est un lien qui ne se fait pas dans le cerveau. C’est chimique. Quand t’es down, t’as plus envie de vivre. T’es laide. T’es trop laide pour aller au dépanneur. Quand j’étais ado, j’étais sûre 3 Mara Tremblay, Mon amoureux est une maison d’automne, Montréal, Les 400 coups, p. 181, 2011. 4 Mara Tremblay, Mon amoureux est une maison d’automne, Montréal, Les 400 coups, p. 191, 2011. Rendez-vous gare de l’Est 7 salle denise-Pelletier 3 0 s e p t e m b r e a u 2 4 o c t o b r e 2 015 On ne badine pas avec l’amour Texte Alfred de Musset Mise en scène Cl aude Poissant A vec A drien B le t t on , H enri C hass é , F rancis D ucharme , O livier G ervais - C ourchesne , R achel G ra t on , M ar t in H é rou x , A lice P ascual , C hris t iane P as q uier e t D enis R o y © Mathilde Corbeil en savoir Après dix ans de séparation, Perdican retrouve Camille. Mais comme la candeur de l’enfance est disparue sous la jeunesse, les deux amoureux semblent incapables de s’avouer leur flamme. Camille préfère se donner à Dieu plutôt que d’épouser Perdican et les discours de fantoches risquent fort d’aggraver la situation… 8 PRENDRE LE VOILE POUR FUIR LA RÉALITÉ DE SON ÉPOQUE ? © picjumbo par Judith Lussier Dans On ne badine pas avec l’amour, le personnage de Camille décide de devenir sœur parce qu’elle a peur de l’amour : peur de s’y abandonner, peur de s’y perdre, peur des infidélités de son partenaire. Elle préfère aimer un être absent, mais qui la remplit intérieurement et qui ne risque pas de la décevoir : Dieu. Les mœurs ont beaucoup changé depuis l’époque d’Alfred de Musset. Mais se peut-il que les motivations d’une jeune femme à entrer en religion soient similaires ? Nous avons posé la question à Violaine Paradis qui, après des débuts prometteurs comme comédienne, a décidé de devenir sœur Violaine. Comment avez-vous décidé de devenir soeur ? J’avais 28 ans quand j’ai reconnu que ça pouvait être « ça ». Après un été où j’ai joué dans la pièce Les Nonnes, j’ai senti que je devais aller voir ce qui se passait pour moi de ce côté-là. J’ai alors entrepris une retraite silencieuse à l’Abbaye d’Oka. J’écrivais, je pleurais, puis j’ai rencontré un moine qui m’a suggéré des lectures. Au cœur du silence, j’ai repris contact avec cette source d’amour en moi qui est Dieu. Avant, j’étais ailleurs, j’étais beaucoup dans le « plaire aux autres ». Je cherchais à l’extérieur un bonheur que j’avais à l’intérieur de moi. Est-ce que ça a été difficile de trouver cette voie ? P our q uoi ? L’hésitation de Camille dans On ne badine pas avec l’amour entre l’amour sacré et l’amour profane a piqué ma curiosité. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qui pousse une jeune femme à entrer chez les sœurs en 2015 ? Voici la très généreuse rencontre entre Sœur Violaine Paradis et Judith Lussier. J-S. Traversy Le seigneur était présent dans mon cœur depuis que j’étais toute petite, mais ma famille n’était pas pratiquante. C’est un défi, de trouver sa voie, en ce moment. Tout va vite, on est submergés par la vitesse des communications. Le bruit, ça n’aide pas à retrouver sa petite voix intérieure : on n’encourage pas ça aujourd’hui et ça peut être plus difficile de l’entendre. C’est pour ça que plusieurs veulent se ressourcer dans le silence. Pensez-vous que la cacophonie engendrée par les moyens de communication comme Facebook et les textos puisse être une motivation, en 2015, pour vouloir se réfugier dans le silence ? Échapper à la tyrannie des communications ? Malheureusement on ne peut pas ! La Congrégation de NotreDame, à laquelle j’appartiens, est proactive dans les communications parce que c’est le moyen de rejoindre les gens. J’essaie de ne pas être esclave de ces outils. J’ai un cellulaire depuis peu et je capote ! Je comprends maintenant que c’est à moi de garder mes distances. On ne devient pas religieuse pour échapper à ça : au contraire, les religieuses sont appelées à comprendre la réalité dans laquelle elles évoluent. Dans On ne badine pas avec l’amour, les proches de Camille ne sont pas tous heureux de son choix. Avezvous été bien accueillie dans votre décision ? Ce n’est pas tout le monde qui a accepté ma décision sur le coup. Ma famille pensait que c’était un trip, que ça allait passer. Je suis une fille de party, de gang : moi-même On ne badine pas avec l’amour 9 Vous avez dû renoncer à la vie de couple. Est-ce que c’est difficile ? Notre société est hypersexualisée. Est-ce qu’on entretient le beau, le sacré et le mystérieux en l’autre ? En mettant des hommes ou des femmes sur des affiches publicitaires où on révèle tout, surtout la femme, qui est présentée comme un objet, on perd le sens de la beauté, on vide la personne de son sens en la réduisant à son enveloppe. Dans l’abstinence, on choisit de ne plus faire de la sexualité ce qui nous mène. Il fut un temps où les femmes voyaient dans la vie religieuse le seul moyen pour elles d’avoir un métier. Ça leur permettait de devenir enseignantes ou infirmières, notamment. Au moment du concile Vatican II – un genre de réforme dans l’Église catholique – les communautés religieuses sont revenues aux fondements de leurs vocations. Des communautés ont laissé leurs habits religieux pour revenir à quelque chose de plus simple. Ça a fait du ménage dans les raisons pour lesquelles les femmes s’engageaient en religion et certaines ont réalisé, par exemple, qu’elles voulaient seulement enseigner. Des religieuses ont alors quitté leur communauté parce qu’elles n’y étaient pas entrées pour les bonnes raisons. Encore aujourd’hui, dans certains pays plus pauvres, la peur de manquer de ressources peut motiver des jeunes femmes à vouloir devenir religieuses. Avant de les accepter, les communautés religieuses prennent le temps de s’assurer que les candidates désirent s’engager pour les bonnes raisons. Si les sœurs pouvaient dorénavant avoir des relations amoureuses, cèderiez-vous à la tentation ? Est-ce qu’on vous a reproché de vouloir fuir quelque chose ? Je ne sais pas ! Il y a quelque chose de radical dans le fait d’être abstinente. J’ai reconnu que je devais lâcher prise sur ce désir d’être en couple. Je trouve ça difficile, mais dans cet abandon-là, j’accueille beaucoup d’amitié. Je préfère ne pas entretenir de fantasme de relation conjugale ou sexuelle. Par exemple, je n’irai pas voir le film Cinquante nuances de Grey ! Ce n’est pas par peur : c’est pour être cohérente avec mes choix. Oui, on a pensé que je voulais fuir les hommes, l’engagement amoureux. Mon père, sans penser que c’était de la fuite, était déçu parce qu’il trouvait que j’étais une bonne comédienne. Moi, j’ai reconnu que je ne suis plus en accord avec certains aspects du métier : la compétition, téter des rôles, le côté « épater la galerie », je ne m’ennuie pas de ça du tout. Ma vocation, c’est d’aimer. Mais il y a aussi de la beauté dans le théâtre : créer des rôles, travailler ensemble, c’est beau. La passion que j’ai pour Dieu, je peux la transmettre à travers le théâtre. En pastorale, j’utilise beaucoup mon art. Je continue de me réaliser comme comédienne, mais pas de la même manière. C’est tout ! C’est exigeant parce que je voulais des enfants et que, foncièrement, je suis une amoureuse. J’ai connu les relations de couple et j’étais bien là-dedans. Au départ, ça n’a pas été facile. Je me disais que je n’aurais plus jamais d’amoureux, de tendresse, mais j’ai été bien accompagnée. J’ai décidé de me concentrer davantage sur ce que j’ai choisi que sur ce à quoi j’ai renoncé. © Droits réservés Qu’est-ce qu’on choisit dans l’abstinence ? Soeur Violaine Paradis j’étais surprise d’être attirée par la religion. Si j’étais entrée il y a 50 ans, ça aurait peut-être été différent. C’était plus encouragé et les sœurs étaient plus nombreuses à se soutenir. Mais pour moi, ça a été un soulagement. Un peu de la même façon qu’une personne peut se sentir libérée lorsqu’elle découvre son orientation sexuelle. Pensez-vous qu’il soit possible qu’encore en 2015, des jeunes femmes choisissent la religion pour fuir quelque chose, de la même façon que Camille tente d’échapper à l’amour ? Il est possible que certaines femmes, de manière inconsciente, fassent ce choix-là pour échapper à la peur de s’engager en couple ou en famille. En même temps, la vie religieuse, c’est tout un engagement ! JUDITH LUSSIER est auteure, journaliste et chroniqueuse au Journal Métro. SOEUR VIOLAINE PARADIS est membre de la Congrégation de Notre-Dame. On ne badine pas avec l’amour 10 c o n v e r s at i o n Christiane Pasquier et Claude Poissant Claude Poissant Quand as-tu vraiment plongé dans l’œuvre de Musset la première fois ? Christiane Pasquier Il me semble que c’est quand je l’ai enseigné. Claude Tu n’avais jamais joué auparavant dans une pièce de Musset ? Christiane Ah oui ! J’avais fait un monologue. « Me voilà bien chanceuse ; il n’en faut plus qu’autant. Le sort est, quand il veut, bien impatientant. » Plus ou moins l’histoire d’une paysanne courtisée par son maître. © Anaïs Bonotaux P our q uoi ? Christiane Pasquier et Claude Poissant se connaissent depuis leur rencontre sur Le Prince travesti de Marivaux au TNM en 1992. Ils se retrouvent, cette fois, autour de la pièce romantique d’Alfred de Musset : On ne badine pas avec l’amour. J’ai eu la chance d’être témoin de cette foisonnante discussion sur le théâtre, sur Musset et sur la portée de son œuvre aujourd’hui. J-S. Traversy On ne badine pas avec l’amour 11 Claude Claude Christiane C’est une de ses courtes pièces ? Quelles sont les difficultés que les étudiants ont rencontrées devant des pièces qui ont été écrites au XIXe siècle ? Le romantisme a beau être de toute époque. Comment appliquer ce romantisme, aujourd’hui, avec des jeunes étudiants assoiffés de connaissance, mais ignorants de ces temps-là ? L’amour. Christiane Louison. C’est ça. Louison. J’avais travaillé le monologue du début en audition pour Jean Gascon. J’étais impressionnée de me trouver devant lui, mais lui avait l’air découragé. Je n’ai pas eu le rôle. Claude Revenons au moment où tu as enseigné Musset à l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx. Qu’est-ce qui t’a le plus marquée en lisant l’œuvre de Musset ? Christiane Le fait que ça n’est pas si éloigné de la façon dont j’ai été éduquée. La façon de Musset de voir les choses, sa façon de voir la religion. Musset était athée, mais, malgré cela, il parlait beaucoup de religion dans ses pièces. C’est un thème très présent dans son univers. 1 Téléfilm français de Claude Santelli, sorti en 1974. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, Flammarion, 1993. Christiane Il faut pénétrer le XIXe siècle. Nous avons écouté La Confession d’un enfant du siècle 1 . Nous avons aussi approfondi certains aspects de l’histoire et de la mentalité de l’époque. La génération de Musset était une génération désenchantée, ne sachant « à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris 2 » . De la même manière qu’on en veut aujourd’hui aux baby-boomers, Musset était sans pitié pour la génération de ses parents. Claude Claude Le thème de l’amour ? Christiane Oui. Le thème de l’amour. C’est un langage universel et intemporel. Je suis certaine qu’On ne badine pas avec l’amour parle aux adolescents d’aujourd’hui. Je ne doute pas que mon filleul de 16 ans, quand il viendra voir le spectacle, comprendra tout. Ces sentiments ne meurent pas. Moi-même, ça me fait vibrer à l’âge que j’ai. J’ai ressenti toutes ces choses-là. J’ai joué le jeu de Camille. J’ai joué à faire semblant, à vouloir être religieuse. Vouloir être pure et, aussi, rester pure. Ne pas vouloir souffrir d’amour. Que veux-tu ? L’homme et la femme sont deux continents qui se connaissent mal et, malheureusement, ils ne se connaissent pas mieux au XXIe siècle qu’au XIXe. Qu’est-ce que tu voulais mettre de l’avant dans cet univers ? La religion ? Les relations entre les personnages ? La langue ? 2 Alfred On ne badine pas avec l’amour 12 Claude Claude Quand t’es-tu éloignée de la religion ? D’où la réaction de Musset, athée, qui tombe en amour avec George Sand, elle, qui s’habille en homme. Sand est la première femme à s’habiller en homme. Elle déclenchera cette mode, chez les femmes, du veston, pantalon. Christiane À l’adolescence. Lors d’une confession, je m’étais accusée d’avoir embrassé un garçon. Le prêtre m’a dit : « C’est un péché mortel. Mortel. Mortel. » Il a failli s’étouffer, tellement il était indigné. À partir de ce moment-là, j’ai décroché. « Péché mortel. Mortel. Mortel. » Il criait presque dans son confessionnal. Claude (Rires) As-tu étudié chez les sœurs ? Christiane Oui, deux années. C’est à cette époque que j’ai voulu rester pure. (Rires) Très vite, je suis retournée au campus scolaire à Sainte-Foy où j’ai joué Zerbinette dans Les Fourberies de Scapin. C’est Normand Chouinard qui jouait le rôle de Scapin. Je comprends donc les idéaux de Camille, qu’elle ait été impressionnée par les récits des religieuses. La vie des femmes, au XIXe siècle, n’était pas très drôle, je crois. Au XVIIIe siècle, pendant la période des Encyclopédistes, il y avait eu une espèce de vent de liberté qui avait soufflé sur la société ou, du moins, sur l’aristocratie. Alors qu’au XIXe, on retrouve la primauté du corset. Les femmes ont été de nouveau emprisonnées dans le carcan des principes. Ce que dit Dame Pluche évoque cette oppression : « Il est inconvenant de tenir un gouvernail. » Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de malséant dans le fait de tenir un gouvernail ? Le XIXe siècle, c’était la contrainte. Christiane C’était révolutionnaire à l’époque. Sand était une femme très courageuse. Ça prenait de l’audace. Féministe, avant l’heure. Musset pouvait bien être amoureux d’elle. Claude George Sand par Nadar, 1864 Côté jeu, comment abordes-tu le personnage de Dame Pluche ? Christiane Ce sont des fantoches. Le Baron, Blazius, Bridaine et Dame Pluche sont des fantoches. Musset les fait pendre au-dessus de la scène. Il met ses beaux jeunes personnages à l’avant plan. Et là, les vieux, il les fait presque apparaître du haut des cintres. Comme des marionnettes d’un temps considéré comme révolu. Claude Ce sont des personnages schématiques, graphiques. Comment une actrice, comme toi, plonge dans Dame Pluche ? Christiane Si je le savais … Claude Poissant est directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier depuis 2014. Il a été auparavant codirecteur artistique et l’un des fondateurs (1978) du Théâtre PàP. Figure de proue du théâtre québécois depuis plus de trente ans, Claude Poissant est un défricheur et un défenseur de paroles. Parmi ses mises en scène récentes, rappelons Marie Tudor de Victor Hugo, Cinq visages pour Camille Brunelle de Guillaume Corbeil et Grande Écoute de Larry Tremblay. Il portera à la scène L’orangeraie de Larry Tremblay en mars 2016 au TDP. On ne badine pas avec l’amour 13 CO R R ES P ONDANCES flickr.com/photos/britishlibrary P our q uoi ? On ne pouvait passer à côté de la correspondance tumultueuse (et ô combien amoureuse !) de George Sand et Alfred de Musset. Correspondance qui a inspiré Musset dans l’écriture de la pièce On ne badine pas avec l’amour. Voici, ici, un extrait de leur séparation au cœur de ces magnifiques échanges. En contrepartie, la naissance d’une correspondance contemporaine, mais amicale cette fois, entre un romancier et poète québécois, Jean-François Caron et une professeure de théâtre française d’origine établie au Saguenay, Sophie Torris. J-S. Traversy 14 D’Alfred de Musset à George Sand De George Sand à Alfred de Musset Baden, 1er septembre 1834 Voilà huit jours que je suis parti et je ne t’ai pas encore écrit. J’attendais un moment de calme, il n’y en a plus. Je voulais t’écrire doucement, tranquillement par une belle matinée, te remercier de l’adieu que tu m’as envoyé, il est si bon, si triste, si doux : ma chère âme, tu as un cœur d’ange. Je voudrais te parler seulement de mon amour, ah ! George, quel amour ! Jamais homme n’a aimé comme je t’aime. Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d’amour ; je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle ; je sais que je t’aime. Ah ! si tu as eu toute ta vie une soif de bonheur inextinguible, si c’est un bonheur d’être aimée, si tu ne l’as jamais demandé au ciel, oh ! toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimée, regarde le soleil, les fleurs, la verdure, le monde ! Tu es aimée, distoi, cela autant que Dieu peut être aimé par ses lévites, par ses amants, par ses martyrs ! Je t’aime, ô ma chair et mon sang ! Je meurs d’amour, d’un amour sans fin, sans nom, insensé, désespéré, perdu ! Tu es aimée, adorée, idolâtrée jusqu’à en mourir ! Et non, je ne guérirai pas. Et non, je n’essaierai pas de vivre ; et j’aime mieux cela, et mourir en t’aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie bien de ce qu’ils en diront. Ils disent que tu as un autre amant. Je le sais bien, j’en meurs, mais j’aime, j’aime, j’aime. Qu’ils m’empêchent d’aimer ! Nohant, vers le 7 septembre 1834 Vois-tu, lorsque je suis parti, je n’ai pas pu souffrir ; il n’y avait pas de place dans mon cœur. Je t’avais tenue dans mes bras, ô mon corps adoré ! Je t’avais pressée sur cette blessure chérie ! Je suis parti sans savoir ce que je faisais ; je ne sais si ma mère était triste, je crois que non, je l’ai embrassée, je suis parti ; je n’ai rien dit, j’avais le souffle de tes lèvres sur les miennes, je te respirais encore. Ah ! George, tu as été tranquille et heureuse làbas. Tu n’avais rien perdu. Mais sais-tu ce que c’est que d’attendre un baiser cinq mois ! Sais-tu ce que c’est pour un pauvre cœur qui a senti pendant cinq mois, jour par jour, heure par heure, la vie l’abandonner, le froid de la tombe descendre lentement dans la solitude, la mort et l’oubli tomber goutte à goutte comme la neige, sais-tu ce que c’est pour un cœur serré jusqu’à cesser de battre, de se dilater un moment, de se rouvrir comme une pauvre fleur mourante, et de boire encore une goutte de rosée, vivifiante ? Oh, mon Dieu, je le sentais bien, je le savais, il ne fallait pas nous revoir. Maintenant c’est fini ; je m’étais dit qu’il fallait revivre, qu’il fallait prendre un autre amour, oublier le tien, avoir du courage. J’essayais, je tentais du moins. Mais maintenant, écoute, j’aime mieux ma souffrance que la vie ; vois-tu, tu te rétracterais que cela ne servirait de rien ; tu veux bien que je t’aime ; ton cœur le veut, tu ne diras pas le contraire, et moi, je suis perdu. Vois-tu, je ne réponds plus de rien. Je t’écris sur un album, d’un petit bois où je suis venue me promener seule, triste, brisée, et où je lis ta lettre de Baden. Hélas ! hélas ! qu’est-ce que tout cela ? pourquoi oublies-tu donc à chaque instant, et cette fois plus que jamais, que ce sentiment devait se transformer et ne plus pouvoir par sa nature faire ombrage à sa personne ? Ah ! tu m’aimes encore trop il ne faut plus nous voir. C’est de la passion que tu m’exprimes, mais ce n’est plus le saint enthousiasme de tes bons moments. Ce n’est plus cette amitié pure dont j’espérais voir s’en aller, peu à peu, les expressions trop vives. Et pourtant, je ne m’en inquiétais pas de ces expressions, elles étaient la poétique habitude de ton langage de poète : Et moi-même, est-ce que je pesais et mesurais les mots ? Pour d’autres que pour nous ils eussent peut-être signifié autre chose, je n’en sais rien. […] Est-ce que l’amour élevé et croyant est possible ? Estce qu’il ne faut pas que je meure sans l’avoir rencontré ? Toujours saisir des fantômes et poursuivre des ombres ! je m’en lasse. [...] Oh ! que je suis malheureuse, je ne suis point aimée, je n’aime pas ! Me voilà insensible, un être stérile et maudit ! — Et toi, tu viens me parler de transports d’ivresse, de désirs. Que t’ai-je fait, insensé, pour que tu brises tout dans mon âme, la confiance en toi et en moi-même ? — J’ai consommé mon suicide le jour où j’ai cru te sauver par l’amitié. On ne badine pas avec l’amour 15 CO R R ES P ONDANCES flickr.com/photos/britishlibrary Correspondance entre le romancier et poète JeanFrançois Caron et l’enseignante et blogueuse Sophie Torris. Ils partagent tous deux une correspondance épistolaire sur le blogue in absentia (cliquez pour voir le blogue) entre octobre 2011 et avril 2014, sur l’écriture et comment l’amour de celle-ci peut créer un partage de connaissances inouï. JEAN-FRANÇOIS CARON est écrivain (roman, poésie et théâtre) et rédacteur en chef de l’Unique, le journal de l’union des écrivaines et écrivains québécois. Précédemment, il était rédacteur en chef à l’hebdomadaire Voir Saguenay. SOPHIE TORRIS est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis vingt ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre et le français dans la région. Elle écrit du théâtre scolaire et tient une chronique bi-hebdomadaire sur le blogue littéraire Le chat qui louche. 16 Octobre 2011 Une petite brise Bonsoir Jean-François, Voici une petite requête qui te semblera peut-être déplacée voire indigne d’intérêt. Si c’est le cas, ça aura été un coup pour du beurre et j’en tartinerai ma biscotte en solitaire, ravalant l’allusion sans plus me faire d’illusion. Cela fait quelques jours que l’idée me trottine dans la tête et voilà, je m’entête. (Tu constateras que pour ne point te déplaire, j’ai étêté mon point final d’une potentielle marque exclamative. Je me pointe déjà avec mes gros sabots, c’est assez). quand même de réussir à faire vibrer quelques tamtams sauvages dans ta tête. Qu’en dis-tu ? On se dit tu ? Sophie L’édition n’est qu’un sceau Sainte-Béatrix, le 27 octobre 2011 Chère Sophie, Je n’irai donc pas par quatre rangs, prendrai délibérément le 450 afin de te faire part de mes velléités inouïes. Tu auras peut-être saisi au travers de mes statuts FB le désir d’écriture qui taraude et le ras le bol d’un huis clos entre moi et mes écrits vains. Or, en m’échouant, béate, sur tes rivages romanesques et poétiques, j’ai découvert tes affinités narratives avec la deuxième personne du singulier. Alors voilà, j’ose ici la prétention d’une demande singulière : être pour toi, le temps d’une correspondance, un de tes tu. Tu me disais récemment qu’il serait amusant de se rencontrer, mais tes écuries sont à perpette. Voilà une proposition qui, franchement, me sourit. Aurions-nous alors à gagner à ce que tu me dises oui ? Pour moi, l’éventuelle convivialité féconde d’un dialogue épistolaire ne peut qu’exacerber ce désir de quête identitaire. Imagine que dans mon rapport à toi, je sente enfin sourdre les premiers balbutiements de ma langue. Même si je ne me suis pas penché sur les pratiques épistolaires, vous touchez donc un point : l’adresse à l’Autre fait effectivement partie de mes préoccupations et l’exercice serait certainement stimulant pour moi aussi (il n’y a pas de petites ou de grandes stimulations, la petite brise peut pousser loin, tandis que le vent de tempête oblige souvent à rester à bon port…) Pour toi, toi qui as trouvé ton propre souffle, je ne peux être qu’une petite brise certes, mais de celle qui invite à la balade. Quelque chose de ludique qui ne se prend pas la tête, des rendez-vous inopinés et l’ambition secrète Pour tenir l’argumentaire que vous développez, vous savez sans doute que j’ai justement fait une maîtrise sur l’utilisation de la deuxième personne… Cela dit, ce n’est pas tant son utilisation épistolaire qui m’intéressait que sa portée identitaire dans le rapport narratif. Je vous invite à fouiller sous la poussière de la bibliothèque universitaire de l’UQAC, vous pourrez peut-être encore y trouver le volet théorique de mon mémoire (s’il n’a pas été avalé par le néant où s’engouffrent les connaissances). J’ose toutefois une condition que je vous introduis ici. Les premiers balbutiements de votre langue, ils vous coulent déjà de bouche en clavier toutes vannes ouvertes et depuis longtemps. Vous n’avez pas publié ? Soit. Mais on est écrivain bien avant de publier, dès que forme et fond se côtoient et se confondent dans nos préoccupations. L’édition n’est qu’un sceau. Ma condition, donc : vous devrez vous empêcher de faire des courbettes et de vous excuser de votre talent, vous refuser à réduire la pertinence, la beauté, la justesse de vos écrits. Alors, seulement, je vous dirai tu dans ce projet épistolaire perfectible mais emballant. Et c’est ainsi que je me permets d’aller un peu plus loin, déjà, que votre proposition. Je trouve que ce projet de correspondance vous permet de rester dans une zone un peu trop confortable. Si nous n’avons qu’une relation épistolaire conventionnelle, vous vous rendrez compte en peu de temps que je suis aussi inintéressant que n’importe qui d’autre, et vous n’y aurez pas gagné grand chose. Voici donc ce que je vous propose (enfin !). Cette correspondance, nous pourrions la publier, directement, par l’intermédiaire d’un blogue qui y serait consacré. Il est possible, en effet, d’écrire un blogue à plusieurs mains (je pourrais nous organiser ça en peu de temps, c’est très simple). La forme demeurerait évidemment épistolaire, puisque c’est là, justement, l’intérêt du projet. Ce que cela vous apporterait : l’éventualité d’être lu par d’autres est une contrainte fort stimulante. Et cela permettrait d’agir en écrivains plutôt que de se contenter de vains écrits. Si vous le souhaitez, donc, je vous dirai tu. Un mot de vous et ce sera fait. JFrançois On ne badine pas avec l’amour 17 abécédaire par Claude Poissant Badiner P our q uoi ? Belle surprise que cet abécédaire. Durant ses vacances, et en pleine période de recherche sur Musset et son œuvre phare, On ne badine pas avec l’amour, Claude a préparé ce magnifique abécédaire qui couvre largement les inspirations, l’époque et l’homme qu’était Musset. J-S. Traversy Plaisanter, prendre à la légère, badiner, c’est ce qu’il faut éviter avec l’amour selon Musset. Perdican et Camille n’ont rien d’héroïque, cependant la complexité de leurs sentiments fait que leur amour, fort de ses incertitudes, prend cette place de héros. Musset réussit donc, avec sa pièce la plus inclassable, le discours le plus honnête et cruel qui soit sur l’amour. Car les insistances de Perdican et les méfiances de sa cousine Camille nous font, nous les spectateurs, tanguer entre l’immaturité de leur comportement et la lucidité de leurs paroles. Ils ne badinent donc pas. Deux Mondes (Revue des) Les œuvres des jeunes auteurs sont souvent inédites et la Revue des Deux Mondes vient de naître en 1829. Musset y publiera beaucoup de ses œuvres. La Revue existe toujours et présente Michel Houellebecq à la une dans son numéro de juillet 2015. À ma mère Cénacle Enfant du siècle Tel est le titre de la première œuvre de Musset. Il a alors 13 ans. En fait, c’est une chanson qui se termine ainsi : À toutes époques, les artistes se trouvent des endroits pour se réunir. Lire des textes, discuter, organiser des soirées pour échanger sur l’art, la société, la politique, voilà ce qui se vivait dans les Salons du XIXe siècle. Entre 1820 et 1830, alors que Musset n’a pas 20 ans, il lui arrive de fréquenter le Cénacle. Ce club privé dont le nom s’inspire du Cénacle de Jérusalem où ont eu lieu la Cène et la Pentecôte, est ici un salon privé pour romantiques, où Musset rencontre les écrivains Victor Hugo, Gérard de Nerval et Alexandre Dumas ; les musiciens Chopin, Liszt, Berlioz et le peintre Delacroix. C’est ainsi qu’on a souvent nommé Musset puisque La Confession d’un enfant du siècle, une œuvre phare du romancier, créée en même temps que sa pièce On ne badine pas avec l’amour, reste sa grande œuvre autobiographique, un roman qui plonge au cœur de sa tristesse et de sa colère. Les Enfants du siècle, c’est aussi le titre du film de Diane Kurys datant de 1999 où les comédiens Benoit Magimel et Juliette Binoche jouent la passion tumultueuse entre Musset et l’écrivaine George Sand. Ô toi, dont les soins prévoyants, Dans les sentiers de cette vie Dirigent mes pas nonchalants, Ma mère, à toi je me confie. Des écueils d’un monde trompeur Écarte ma faible nacelle. Je veux devoir tout mon bonheur À la tendresse maternelle. (Bis) On ne badine pas avec l’amour 18 Fauteuil Hugo Jeunesse À partir de 1832, Musset fait paraître ce qu’il nommera « un spectacle dans un fauteuil ». Ainsi, il offre aux lecteurs du théâtre à lire. Musset leur dit en somme : « Vous n’aurez plus besoin de vous déplacer, vous n’aurez qu’à lire les dialogues et à imaginer ce que vous désirez ». Irrité par la critique, Musset ne croit plus tant à la représentation publique de ses œuvres, il pose alors ce geste téméraire qui lui donnera raison, puisqu’ On ne badine pas avec l’amour ne sera jouée que 27 ans après sa publication. Parmi ses pièces dites pour fauteuil, il y a Fantasio, Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne. Durant tout le siècle, en France, Victor Hugo règne sur la vie littéraire, sociale et politique. Comme il vivra longtemps, (Hugo meurt à 83 ans, Musset à 46) il traverse donc le XIXe avec une vie encore plus fabuleuse, en raison entre autres de son engagement politique, que celle de Musset. C’est Paul Foucher, ami de jeunesse de Musset, et frère d’Adèle Foucher qui lui présente Hugo. Musset a alors 11 ans, Hugo 19 et Adèle est sa célèbre fiancée. L’auteur de Les Contemplations, de La Légende des siècles et de Marie Tudor, participe donc à ce désir de Musset de choisir la carrière littéraire, lui dont le regard lorgne vers le droit ou encore les beaux-arts, vu son talent inné pour le dessin. Avant d’être l’auteur qui court les cafés littéraires, Musset a déjà des prédispositions. Sa mère, Edmée Claudette Guyot-Desherbiers, est la fille d’un homme politique et son père, Victor de Musset-Pathay, est un homme de lettres qui se penchera entre autres, avec justesse, sur l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, l’auteur de Les Rêveries du promeneur solitaire, précurseur du mouvement romantique. Quant à son frère, Paul de Musset, de cinq ans son aîné, il sera un ardent défenseur d’Alfred et écrira sa biographie après sa mort. Le poète et dramaturge avait aussi une jeune sœur, Hermine, sa dite bienfaitrice, qui a vécu jusqu’en 1905. George George Sand a un prénom d’homme. En fait, son vrai nom est Amantine Aurore Lucile Dupin. Par ses tenues vestimentaires masculines, son pseudonyme, son œuvre belle et révoltée, ses amours tumultueux dont celui, marquant, avec Musset, Sand bouscule les mentalités et crée de nombreux débats tant dans la population que dans les cercles littéraires. Sa relation avec Musset est aussi brève qu’intense, elle devient inévitablement une source d’inspiration pour tous deux. On ne badine pas avec l’amour sera écrit en plein tourment de leur relation. Mais Perdican n’est pas Alfred et Camille n’est pas Sand. Leurs propos et leurs tensions sont cependant nés des déchirements sentimentaux entre les deux auteurs. Interdit Si à la Comédie-Française, On ne badine pas avec l’amour n’a été présentée pour la première fois qu’en 1861, soit quatre ans après la mort de Musset, c’est que la pièce était considérée comme une œuvre irréligieuse. Même ceux qui savaient y lire une œuvre majeure de Musset craignaient que les associations religieuses ne se manifestent si la pièce était programmée. C’est la dure bataille de Paul de Musset et quelques changements opérés dans l’œuvre qui ont finalement permis la première le 18 novembre 1861. Krejca Le grand acteur français Gérard Philippe joue et dirige un mémorable et mythique Lorenzaccio en 1952 dans l’immense Palais des Papes au festival d’Avignon. En 1979, c’est au grand metteur en scène tchèque Otomar Krejca que revient le défi de mettre en scène Philippe Caubère dans le rôle de Lorenzaccio, sur cette même immense scène extérieure. Philippe Caubère, fort de son succès du rôle-titre dans le film Molière d’Ariane Mnouchkine, y vit l’enfer, luttant contre la complexité du personnage de Lorenzaccio, bravant les huées de plusieurs spectateurs qui quittent bruyamment leur place et affrontant le mistral qui vente sur Avignon comme si le fantôme de Gérard Philippe soufflait sur le Palais. En l’an 2000, la même aventure est reprise au Festival, mais cette fois le metteur en scène Jean-Pierre Vincent et Jérôme Kircher en Lorenzo s’en tirent mieux. On ne badine pas avec l’amour 19 Malheur L’homme est un apprenti, la douleur est son maître. Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. C’est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu’il nous faut du malheur recevoir le baptême Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté. Musset, La nuit d’octobre. Nuits La nuit d’octobre est un poème, un dialogue entre le poète et la muse. La nuit vénitienne, elle, est une des premières pièces de Musset, celle qui fut si maltraitée par la critique et qui le fit opter pour « un spectacle dans un fauteuil ». Mais il y a aussi les nuits folles de débauche, de tristesse et d’alcool qui auront raison de la santé de Musset. Octave Octave et Octave sont deux personnages, alter ego de Musset. D’abord, Octave est cet éternel désabusé, narrateur pour La Confession d’un enfant du siècle. Et l’autre Octave est le virulent, inconvenant mais attachant personnage qui manie bien le cynisme dans Les Caprices de Marianne. Alfred est donc un Octave. Lorenzaccio Parlant du loup. C’est, on dit, la plus grande pièce de Musset. C’est l’histoire d’un meurtre, celui d’Alexandre de Médicis, par son cousin Lorenzo, un sordide assassinat, inutile en apparence, mais dont la gratuité vise à l’éveil des consciences et des regards sur le pouvoir. Mais d’autres vous diront que la pièce a mille défauts et qu’On ne badine pas avec l’amour est sa plus belle réussite. Proverbe Musset inclut On ne badine pas avec l’amour dans ses Comédies et Proverbes et ne se soucie qu’à peine des conventions théâtrales classiques, ne respectant pas les unités de temps, de lieu et d’action. Aussi, la comédie et le proverbe appellent à une légèreté qu’ici, Camille et Perdican, avec leur propos dramatiques et malgré les autres personnages comiques, brouillent entièrement. Qui ne risque rien n’a rien. Québec Au Québec, On ne badine pas avec l’amour est présentée au TNM en 1988 dans une mise en scène du directeur Olivier Reichenbach avec Sophie Faucher et David La Haye pour jouer les amoureux. Deux ans plus tard, le Théâtre de l’Opsis propose un spectacle où l’on peut voir six fois la même scène 5 de l’acte 2 jouée par six Camille et six Perdican. Albert Millaire signe aussi une mise en scène de la pièce pour le Théâtre du Trident en 1991 avec MarieThérèse Fortin dans le rôle de Camille. Denise Filiatrault met en scène Le Chandelier au Théâtre Populaire du Québec en 1995 avec Gabriel Sabourin en Fortunio. De mon côté, en complicité avec le scénographe Raymond Marius Boucher, je mets en scène, ici même au TDP, Lorenzaccio en 1999 avec 24 comédiens, dont Luc Picard dans le rôle-titre et le regretté Jean-Louis Roux et deux ans plus tard, au Théâtre du Trident à Québec, Les Caprices de Marianne, avec Nadine Meloche, Hugues Frenette et JeanSébastien Ouellette. Romantiques Le romantisme nait à la fin du XVIIIe siècle chez les Allemands pour éclore pleinement en France au XIXe siècle, avec poètes, romanciers et dramaturges pour porte-étendards. Si Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Sainte-Beuve, Vigny en revendiquent cet éloignement nécessaire des classiques, Musset est plutôt tiède à l’idée de faire l’éloge de ce grand mouvement à la fois littéraire et politique. Musset s’isole ainsi, ne se réclamant d’aucun mouvement. Sa passion, son infinie mélancolie, l’art comme remède à sa douleur, ses dérives amoureuses et ses nuits blanches, puis son œuvre imprévisible, moins construite que celles de ses semblables, plus impulsive et toute aussi politique parce que sans concession, en font pourtant le plus limpide des romantiques. On ne badine pas avec l’amour 20 Tebaldeo C’est le jeune peintre Tebaldeo dans Lorenzaccio qui prendra le discours de l’artiste Musset : « Je ne ris point du malheur des familles ; je dis que la poésie est la plus douce des souffrances, et qu’elle aime ses sœurs. Je plains les peuples malheureux, mais je crois en effet qu’ils font les grands artistes. Les champs de bataille font pousser les moissons, les terres corrompues engendrent le blé céleste. » Un caprice Un caprice fait partie de ses courtes pièces en un acte que Musset sait écrire avec finesse et économie qu’on joue dans des salons. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée en est une autre : deux personnages dans un petit espace et une simple question posée de la Marquise au Comte déclenchent une Comédie et Proverbe : « Est-ce que vous avez quelque chose à me dire ? » Venise C’est lors de leur mythique voyage à Venise que les blessures amoureuses de Musset et Sand se font fatales. En arrivant à Venise, George tombe malade mais continue ses travaux. Alfred se sent seul. Puis à son tour, Alfred est atteint d’une frénétique fièvre qui oblige Sand à confier son amant à un jeune médecin, Pagello. Tous deux prennent soin du poète mais contre toute attente, Sand et le donjuanesque Pagello développent l’un pour l’autre des sentiments, ce qui bouleverse Musset qui, dès qu’il le peut, rentre à Paris pour, dit-il, chercher un nouvel amour. Wilde Oscar Wilde, l’écrivain britannique, homosexuel avoué et dandy assumé, s’est fortement inspiré d’une pièce de Musset, Il ne faut jurer de rien, pour créer son œuvre phare, où libertinage et langage sont bons amis, soit L’Importance d’être Constant. XXIe siècle Lorenzaccio parle encore en 2015 si justement de la lutte contre la corruption. On ne badine pas avec l’amour décrit avec modernité la difficulté d’aimer, de s’engager, de se donner et à la fois de croire. Les Caprices de Marianne traitent de la candeur, du cynisme et de la violence des hommes. C’est la preuve que l’œuvre de Musset entre avec grandeur dans le nouveau millénaire. lYrisme Qu’est-ce que le lyrisme ? Un peu d’emphase mais pas d’effusion, plus de vocabulaire, une musicalité dans les phrases, un idéalisme dans les images, une certaine obéissance à l’inconscient, une sublimation de la vie intime et des sentiments qui la font. Donc Musset, comme Hugo, est un romantique lyrique. Zola Émile Zola est un autre admirateur de Musset. L’auteur de Germinal est de ceux qui ont défendu avec détermination l’unicité et la beauté de son œuvre, que d’autres comme Rimbaud et Baudelaire ont raillée. Malgré admirateurs, défendeurs et détracteurs, Musset, l’homme comme l’écrivain, reste, deux siècles après sa jeunesse, un modèle fort du romantisme. Claude POISSANT est directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier et metteur en scène de la pièce On ne badine pas avec l’amour. flickr.com/photos/britishlibrary Shakespeare Dès son enfance, Musset déclare : je voudrais être Shakespeare ou Schiller. Les deux auteurs, l’Anglais comme l’Allemand, étaient donc déjà parmi ses maîtres influents. Comme le seront Rousseau et Molière. On ne badine pas avec l’amour 21 s a l l e f r e d - b a r ry / 6 au 2 4 o c to b r e 2 015 La Liberté Malgré la désapprobation de sa femme Mary, Paul poursuit son travail au sein d’un nouveau service gouvernemental. Et voilà que Max, leur fils de 18 ans, vient de décrocher un emploi dans le même service que son père, là où la mort est une donnée. Où se situe cette Liberté quand le pouvoir prend en charge certains choix individuels ? en savoir TEXTE MARTIN BELLEMARE MISE EN SCÈNE G A É TAN PAR É A vec F r é d é ric B lanche t t e , G abrielle C ô t é , G é rald G agnon , S imon L andr y - D é s y e t D omini q ue L educ Martin Bellemare est diplômé en 2008 de l’École nationale de théâtre du Canada en écriture dramatique. En 2009, il remporte le prix Gratien-Gélinas pour Le Chant de Georges Boivin. Il écrit ensuite La Liberté qui est sélectionnée par le bureau des lecteurs de la ComédieFrançaise en 2012. gratisography.com Le Collectif ad hoc La Liberté réunit le metteur en scène Gaétan Paré et l’auteur Martin Bellemare. Leur complicité s’est d’abord établie à l’École nationale de théâtre du Canada en 2009. 22 Le suicide assisté : enjeux et limites d’une liberté fondamentale par Cyrielle Dodet Toutefois, il reste délicat au XXIe siècle de débattre du suicide assisté. Grandes émotions et vives polémiques l’entourent souvent, pour tout un ensemble de raisons. P our q uoi ? La très belle pièce de Martin Bellemare, La Liberté, parle d’un sujet délicat et d’actualité : le suicide assisté. Article très intéressant de Cyrielle Dodet sur un débat de société dont on n’a pas fini d’entendre parler. J-S. Traversy Deux en particulier. D’une part, le suicide constitue un tabou. Aussi assisté qu’il puisse être, le suicide demeure un choix et un acte profondément individuels, longtemps interdit car il est non seulement dangereux pour la personne qui le commet, mais aussi pour la communauté 1. L’ombre du tabou plane encore au-dessus des discussions menées sur le suicide assisté. D’autre part, la participation de la société à ce choix n’est pas simple à déterminer. En effet, jusqu’où peut-on aider une personne à se suicider ? Quel rôle un accompagnateur peut-il tenir dans cet acte de destruction tourné contre soi ? La société doit-elle légiférer à propos de cette liberté individuelle fondamentale ? Quels critères établir afin de décider si le choix de mourir d’une personne mérite un certain accompagnement ? © gratistography.com Voici quelques années que le suicide assisté est présent explicitement au cœur de nombreux débats dans les sociétés occidentales, ce qui souligne une prise de conscience collective qui se veut de plus en plus assumée. Si les progrès scientifiques permettent d’allonger l’espérance de vie, beaucoup considèrent qu’il est important de mener une vie de qualité. C’est pourquoi par exemple l’acharnement thérapeutique – qui peut maintenir en vie des malades gravement atteints – paraît de moins en moins acceptable et supportable. Ce choix médical est de plus en plus contesté. Les questions sont bien plus nombreuses que les réponses apportées, signe que des zones sont nécessaires pour dialoguer et réfléchir ensemble. La Liberté de Martin Bellemare est une de ces zones. 1 Outre les raisons morales et religieuses invoquées, le suicide du comédien américain Robin Williams en août 2014 a montré cette dimension taboue. Sa mort a été largement médiatisée, compte tenu de sa célébrité. Plusieurs associations ont réclamé que les hommages ne mentionnent pas son suicide, estimant qu’il pourrait être imité par des personnes vulnérables. On appelle ce phénomène l’effet copycat. La Liberté 23 Du droit de mourir dans la dignité : quelques exemples Si selon Albert Camus « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : le suicide 2 », cette question est posée dans la société par des cas particuliers, c’est-à-dire des demandes de personnes qui réclament le droit d’être aidées à mourir dans la dignité 3 . À cet égard, la Cour Suprême du Canada a invalidé en 2015 un arrêt qu’elle a formulé en 1993 : elle refusait à Sue Rodriguez, jeune femme atteinte d’une maladie neurodégénérative incurable, le droit au suicide assisté. Vingt-deux ans après, la Cour Suprême est revenue sur cette décision, l’annulant de façon unanime en précisant qu’elle portait atteinte au « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de [l]a personne », tel que stipulé dans l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Si Sue Rodriguez a mis fin à ses jours illégalement en 1994, la nouvelle décision de la Cour Suprême du Canada offre un cadre légal favorable à des demandes similaires. Au Canada, deux raisons sont absolument nécessaires pour que l’aide au suicide soit permise : la personne qui souhaite être aidée doit formuler précisément sa demande et elle doit souffrir d’un problème grave et irrémédiable. Cependant, les médecins ne sont pas contraints de prescrire la médicamentation nécessaire au suicide assisté. Si la législation en ce domaine varie d’un pays à un autre, la Suisse qui a autorisé le suicide assisté dès 1942 est devenue célèbre pour son « tourisme de la mort ». En Europe, elle est en effet le seul pays qui autorise le suicide assisté à des étrangers. C’est le cas à Zurich où Ludwig Minelli a fondé en 1998 Dignitas 4, association qui propose à ses adhérents le suicide assisté. Le protocole est le suivant : deux consultations sont nécessaires, à deux jours d’intervalle, avant qu’un médecin ne rédige l’ordonnance mortelle, qui sera exécutée par un accompagnateur de Dignitas. Le patient boit une dose de pentobarbital de sodium, au moment où il le souhaite. Des zones éthiques inconnues Les critères légaux ne cessent d’évoluer : en Suisse, la loi permet à certains malades mentaux invalidés par leur maladie ou à des personnes souffrant de polypathologies liées à l’âge d’être accompagnés dans leur suicide. Comment s’assurer de la pertinence et de la fiabilité de ces critères ? Dans Le Voyage d’Alice en Suisse, Lukas Bärfuss présente le cas d’Alice, une jeune femme qui demande à être accompagnée dans son suicide, alors qu’elle souffre de dépression – maladie ne correspondant pas aux critères établis aujourd’hui par la loi. Dans La Liberté, Martin Bellemare pousse plus loin ces questions dans une sorte de théâtre d’anticipation. C’est un service gouvernemental qui assure le suicide assisté. Un test psychologique et un échange ont lieu lors des deux rendez-vous accordés, à quelques jours d’intervalle. Face à une telle organisation, est-on encore libre de choisir délibérément le suicide assisté ? En ne centrant pas sa pièce sur la dimension médicale, Martin Bellemare nous place au plus près de ce qu’une société est prête à accepter, voire à autoriser quant à cette liberté fondamentale. Et montre, sans trancher moralement, la complexité du paradoxe qui réside au cœur du suicide assisté. 3 Par exemple, en France, Vincent Humbert, jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet après un accident de la route a adressé une requête en 2002 au Président de la République Jacques Chirac. Si ce dernier l’a refusée, un rapport a ensuite été mené et a abouti en 2005 à la Loi Léonetti qui autorise et encadre ces pratiques. 4 Cette association a notamment inspiré plusieurs œuvres, comme par exemple les pièces de théâtre Service suicide de l’auteur et metteur en scène danois Christian Lollike, publié en 2006 et Le Voyage d’Alice en Suisse du dramaturge suisse germanophone Lukas Bärfuss paru en 2007. Elle est aussi présente dans le film Quelques heures de printemps, de Stéphane Brizé qui est sorti en 2012. 2 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Paris, La Pléiade, Essais, p. 97-200, 1965, p. 99. Dans La Liberté de Martin Bellemare, Paul y fait allusion dans le « Morceau deux ». CYRIELLE DODET est chercheuse en Études théâtrales, enseignante à Paris III-Sorbonne Nouvelle et collaboratrice à la revue JEU. La Liberté 24 en savoir s a l l e f r e d - b a r r y / 3 a u 21 n o v e m b r e 2 0 15 Les haut-parleurs TEXTE ET MISE EN SCÈNE S É BASTIEN DA V ID A vec M arie - H é l è ne B é langer , G uillaume G au t hier e t R ichard Th é riaul t Sébastien David est diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada en interprétation en 2006. Il est aussi auteur et metteur en scène. Il écrit notamment T’es où Gaudreault précédé de Ta Yeule Kathleen (Prix du meilleur texte original au Gala des Cochons d’or 2011 et Prix auteur dramatique Banque Laurentienne du Théâtre d’Aujourd’hui) et Les Morb(y)des, tous publiés chez Leméac. © Mélanie Ouellette L’été s’annonce long et ennuyant pour le Fils, nouvellement arrivé dans une ville que tout le monde a quittée pour les vacances. Tout le monde sauf le Voisin, un homme solitaire dans la soixantaine, compositeur d’étranges musiques, et Greta, une adolescente au caractère explosif. Fondé en 1990, le Théâtre Bluff est une compagnie de création qui privilégie la parole d’auteurs abordant les grands enjeux actuels et susceptibles de rejoindre, par leurs préoccupations thématiques ou esthétiques, les adolescents et les jeunes adultes. Le Théâtre Bluff amorce une résidence au TDP jusqu’en 2018. 25 CONVE R SATION av e c R i c h a r d Th é r i a u l t par Nathalie Boisvert Ce que Sébastien David, l’auteur, a réussi à faire, c’est de mettre le jeune dans le contexte d’un village où tout le monde est parti. Il n’y a pas de gang vraiment. Il est confronté à deux personnes. Une personne qui représente, pour le village, la marginalité et une autre qui représente l’extravagance ; mais lui ne le sait pas, il arrive dans le village. Donc il va se promener entre ces deux personnes et ça va le forger tout au long de l’été, parce qu’il se compromet dans ces relations-là. Il va dans des endroits où il ne veut pas nécessairement aller P our q uoi ? J’avais envie que Nathalie Boisvert rencontre le Voisin dans Les Haut-Parleurs pour discuter transmission et amitié entre jeunes et vieux. Richard Thériault est un acteur précis que j’aime beaucoup voir jouer. Ses réflexions, ici, sur l’adolescence, sont très intéressantes. J-S. Traversy et doit revenir sur ses positions, sur son jugement, sur ce qu’il est capable de dire, de nommer, d’affronter. Il se tient debout, mais pas toujours, il y a des moments où il vit des échecs et où ça ne fonctionne pas, mais ce sont justement ces moments qui le forgent. La force de Sébastien est d’avoir isolé les personnages sur une ligne horizontale, ce qui fait qu’on les voit dans leur entièreté : le voisin à travers ses passions, et le jeune à travers son manque. Que serait selon vous la trajectoire émotive du personnage du Fils ? Il vit un genre de passage initiatique. C’est beau aussi de se voir confronté à nos préjugés dans une expérience vivante. Parce qu’on peut avoir des préjugés sur les gens, mais quand tu es en contact avec les médias sociaux par exemple, il faut se demander avant de publier quelque chose : ce que je compte écrire sur cette personne-là, est-ce que je lui dirais également si elle était face à moi ? C’est ce qu’ils appellent « la violence froide d’Internet ». Il est en contact avec ça, pas parce qu’il l’a cherché mais parce que c’est sur son chemin. Et ce sont les deux seules personnes qu’il rencontre, le village est désert. Les deux seules portes qui s’ouvrent sont celles de ce voisin et © Annie Éthier Il y a plusieurs thèmes qui se retrouvent dans cette pièce, qui touchent à cette période importante de la vie qu’est l’adolescence, comme la résilience, la fragilité, l’amitié entre deux personnes de générations différentes, l’exclusion, le choix de se tenir debout. Richard, j’aimerais connaître votre vision du personnage du jeune. Les Haut-Parleurs 26 celle de cette jeune fille. Donc, il y a quelque chose qui va se déployer, une expérience, bien sûr, il faut avoir la capacité de la saisir, et lui réussit à le faire. Il n’est pas dans une zone confortable, ce n’est pas quotidien, mais en même temps c’est agréable, car il y a de l’horizon, les murs se décloisonnent… Là où les choses deviennent complexes, quand tu es un adolescent (j’ai justement un fils qui sort de l’adolescence), c’est la difficulté de trouver tes repères, de les identifier. Ce n’est pas évident de se rendre compte que tu es enfermé. Souvent, tu ne le sais pas. Enfermé dans le sens de conditionné ? Oui, enfermé dans le sens de vouloir se fondre dans ta gang, alors que ta gang ne te représente pas. Tu l’as choisie pour toutes sortes de raisons : il était beau, elle était fine… Des fois, tu es pris à l’intérieur de cette gang sans savoir que tu te perds. C’est très complexe et j’ai le sentiment que ça l’est un peu plus présentement. Il y a beaucoup de complexité qui s’ajoute étant donné que le paraître est plus important. Les gens sont tout le temps en représentation... Tout le temps. Notamment à travers les médias sociaux et en même temps le virtuel prend une place dans le réel, ce qui est difficile à gérer, ça devient très complexe. Le personnage arrive à baisser sa garde à plusieurs reprises et c’est ça que je trouve beau, que les gens puissent l’entendre et je suis certain que les jeunes ont beaucoup de questionnements similaires. Comment fait-on pour se rendre compte qu’on est prisonniers quand on a seize ans ? Ce ne sont pas tous les ados qui sont prisonniers. Moi je pense au mien et oui, il était prisonnier. Qu’aimeriez-vous que les jeunes retiennent en sortant de la pièce ? Richard, pourquoi le Voisin entretient-il cette amitié avec ce jeune ? La tolérance. On vit dans un monde où il n’y en a pas beaucoup. Des gens se font agresser sur les médias sociaux parce qu’ils émettent simplement une opinion. Je pense que c’est un homme très seul qui a besoin de communiquer. C’est un homme chaleureux, ce n’est pas un homme froid. Il porte l’opprobre du village pour des raisons mesquines. Parfois, on est dans une société où les perceptions sont souvent plus importantes que les faits, et où on est pris dans une zone. Il est beaucoup trop marginal pour le village. On le perçoit comme quelqu’un de dangereux. Que fais-tu quand tu es victime de ça ? Il sait très bien que plus il essaiera de contrecarrer cette position, plus il l’entretiendra. Alors quand arrive quelqu’un de jeune, de vif, d’intelligent, il se dit : « tiens, on va jaser ! » Le jeune homme cherche une amitié qui s’apparente un peu à un rapport père-fils ? Le rapport avec son père est difficile. C’est beau aussi, surtout à cet âge-là, de comprendre que la famille ne réside pas uniquement dans la cellule familiale. L’amitié, ça peut mener à toutes sortes d’horizons et à l’extérieur de la cellule familiale, on peut trouver des figures qui prennent une place que des gens de la famille n’ont pas réussi à prendre. Avec le Voisin, il a un rapport, une complicité qu’il n’a ni avec son père ni avec un homme de son âge. Alors oui, ils développent un lien très fort qui s’apparente à une relation père-fils. Nous sommes en plein cœur de cette merveilleuse histoire de l’amitié entre les générations… La tolérance, on ne mesure pas bien ce que ça veut dire, on est souvent intolérant devant plein de choses : des enfants turbulents, des gens différents de nous, des situations de stress. On devrait plutôt être intolérants envers les meurtriers et les agresseurs. Je pense qu’il faut se questionner à ce propos parce que la vie devrait être plus simple. La pièce parle beaucoup de ça. Si les jeunes s’identifient au personnage du jeune et s’ils sont capables de faire une partie du chemin comme lui le fait, ils vont en sortir avec plus d’outils, beaucoup plus riches. RICHARD THÉRIAULT est acteur, auteur et professeur. Il a été de la création de la pièce Incendies de Wajdi Mouawad. NATHALIE BOISVERT est auteure et rédactrice. Elle a remporté le Prix Gratien-Gélinas 2007 avec Buffet chinois. Les Haut-Parleurs 27 Vox-pop © Droits réservés Qu’est-ce que la musique représente pour vous? P our q uoi ? La musique est très présente dans Les HautParleurs. Le personnage du Voisin compose d’étranges musiques. Mais que représente la musique pour des artistes qui travaillent dans ce domaine? Petit vox pop poétique. J-S. Traversy Fanny Bloom © Jocelyn Michel © Christine Grosjean La musique pour moi est un mode de vie qui me remplit autant qu’il ne me vide. C’est comme une respiration, inspire-expire. Elle est nécessaire à ma vie. Elle est aussi belle que laide, parfois. En y pensant, c’est le parfait élément qui maintient mon équilibre intérieur. Olivier Girouard, concepteur sonore Les Haut-Parleurs La musique, c’est beaucoup. Je pense que pour moi, c’est d’abord une façon d’aborder le monde. Par l’écoute. Une façon de voir ce qui ne se voit pas. Une façon de sentir aussi. Les émotions, l’énergie. La musique, c’est une façon d’habiter le monde. Pour moi la musique, c’est le son. Le pouvoir évocateur du son. Parce que j’écoute la musique autant que je la fais. J’aime donner à entendre l’environnement qui nous entoure. Une idée mélodique au violon, le son d’un lac, le grondement d’un réfrigérateur, la nuit, la canicule, le voyage, le vide, l’espoir. C’est tellement vaste. Impossible à saisir. Un appel à l’imaginaire, une résonance de la beauté, la poésie de l’inutile. C’est ce qui, en écrivant ces lignes, rend la musique essentielle à mes yeux. Émile Proulx-Cloutier La musique me console de ne pas être un oiseau. Les Haut-Parleurs 28 Karim Ouellet La musique, c’est les mots que je cherche en me réveillant et que je ne trouve pas. Un rêve passé, qu’on ne se rappelle pas. Une présence dans la tête. Des fantômes par les fenêtres. La musique, c’est renaître. Aimer, des fois. La musique est partout, comme le p’tit Jésus, seulement, elle n’a pas de père. Pas de mère. Des bruits s’entrefroissent. Des orages qui se cognent. Un ruisseau qui coule et qui rend la vie plus lente. Comme un nuage. Avant tout, la musique est une passion depuis l’enfance. Ma mère est musicienne, il y a donc toujours eu des instruments de musique à la maison. Mon père est mélomane, et il m’a fait découvrir toutes sortes de choses dès un très jeune âge. Sans oublier qu’être musicien, c’est le plus beau métier du monde ! © le Petit Russe Philémon Cimon Courtoisie Coyote records Jérôme Minière La liberté. Aucune loi, aucun ordre, personne pour te dire quoi faire ni comment le faire. La musique est une tunique légère : n’importe qui peut s’y glisser. Quand nous la portons, elle s’ajuste et prend exactement la taille et la couleur de nos âmes. Notre vie en est changée et dépasse alors du rebord de nos yeux. On voit, on sent, on touche, on entend, on aime, on respire autrement. © Le Pigeon Philippe Brach Courtoisie 7 ième ciel Pour moi la musique, c’est transposer des émotions en mélodies et en images fortes. C’est mon échappatoire, mon gagne-pain et ma passion. C’est une clé vers le cœur des gens et une porte sur le monde. Et c’est surtout l’amour de ma vie. © Marie-Pier Normand Koriass 29 salle denise-pelletier 11 n o v e m b r e a u 9 d é c e m b r e 2 0 1 5 Münchhausen Les machineries de l’imaginaire D’après les aventures véritables et véridiques du baron de Münchhausen ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE H U G O B É LAN G ER UNE PRODUCTION DE TOUT À TRAC A vec F é li x B eaulieu - D uchesneau , Éloi C ousineau , B runo P iccolo , C arl P oli q uin , A udre y Talbo t e t M arie - Ève Trudel © Mathilde Corbeil en savoir Grand fabulateur devant l’éternel, digne descendant de Don Quichotte et du Capitan de la commedia dell’arte, ancêtre du Capitaine Bonhomme et grand cousin de Cyrano, Münchhausen symbolise la quintessence du pouvoir de faire rêver. Les histoires du Baron sont surnaturelles, extravagantes, impossibles, insensées, et pourtant, à l’écoute de ses exploits, on se laisse envahir par ses idées absurdes et le désir d’y croire l’emporte sur tout le reste. 30 Raconter son histoire ou forger son mythe grâce aux médias sociaux Avatar de Nadia Seraiocco généré par Bitstrip par Nadia Seraiocco Photos de profil de Nadia Seraiocco Dans la pièce de théâtre Münchhausen, les machineries de l’imaginaire, un personnage fait irruption en plein spectacle, interrompant les comédiens qui jouent une pièce dédiée au célèbre baron de Münchhausen, pour annoncer qu’il est bel et bien le vrai baron et il entend le prouver par ses récits... Ainsi, il se raconte, revit ses extravagantes aventures et se donne la mission de les rendre crédibles aux yeux de ceux à qui il s’adresse. P our q uoi ? Au XVIIIe siècle, le Baron de la pièce Münchhausen, les machineries de l’imaginaire a forgé son mythe de soupers en salons. Il racontait, embellissait, inventait ses exploits et le tout captivait son public. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’estce qu’un mythe en 2015 ? Quels sont les outils à notre disposition pour raconter notre propre histoire ? J-S. Traversy Or, c’est souvent ainsi sur les réseaux sociaux : chacun raconte des événements de sa vie, met même des photos ou vidéos pour « prouver » ses dires et le succès des petits récits se mesure au nombre de « j’aime » ou de « repartages » desdites histoires. Mais pourquoi fait-on cela ? Pour construire sa propre histoire et se dévoiler pour entrer en relation avec les autres utilisateurs qui sont des amis, des connaissances ou tout simplement des abonnés. Peut-être aussi a-t-on besoin de forger son mythe, de construire, une publication à la fois, le récit explicatif de ce que l’on est. Et, bien évidemment pour ce faire, il faut montrer les côtés que l’on trouve les plus flatteurs de sa personne… Produire sa vie comme on produirait un spectacle ou une pièce de théâtre Sur les réseaux sociaux, on peut dire que l’on produit littéralement sa vie, on la met en scène, esquissant ainsi « son histoire », par l’utilisation du langage, des photos, des vidéos et autres « données » que l’on ajoute à son profil. Regardez par exemple votre profil Facebook : la photo est choisie pour dire quelque chose sur soi – si je choisis une photo de moi avec des verres fumés dans une pose de star, je dis que je veux qu’on me voie comme une fille « cool » – ce qu’on publie aussi. Quelles photos est-ce que je choisis pour me présenter à mes amis Facebook ? Pourquoi celle-là plus que d’autres avec mes parents que peut-être je n’ai pas envie de rendre publiques ? Qu’est-ce je dis de moi quand je publie sur un réseau social? Est-ce que je peux me construire une personnalité autre que celle que j’ai dans la vie ? Une chose est certaine, je choisis les aventures que je partagerai avec mes amis ou abonnés. Les égoportaits (ou « selfies ») que l’on met, racontent chacun un moment glorieux de la vie de ceux qu’on y voit. L’avatar ou le pseudonyme que l’on choisira sur certains réseaux viendra aussi construire l’image que l’on présente tous les jours aux autres. Inventer une nouvelle façon de communiquer En accédant à un réseau social, que ce soit Snapchat, Tumblr, Facebook, Twitter ou Instagram, on accède à Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 31 un espace « dématérialisé » qu’on ne peut pas explorer physiquement, seulement en virtuel. On accepte donc d’adhérer à une certaine conception du monde. On accepte une série de conventions, quant à l’espace évoqué (mon mur Facebook, n’est pas un vrai mur comme dans une maison, c’est évident et je le comprends), on accepte le mode de communication proposé (on sait pourquoi on fait un « j’aime » ou pourquoi on republie une photo ou une vidéo) et même, des nouveaux codes de communication liés aux messages échangés. À propos des nouveaux codes de communication que chaque réseau génère, en 2010, des chercheurs ont étudié les différentes significations d’un tweet ou d’un retweet, sur le réseau Twitter, et ils ont constaté que sur ce réseau, pour communiquer efficacement, il fallait comprendre la « syntaxe1 », ou structure des phrases, propre à Twitter. Cela dit, sur Twitter ou Facebook, on ne republie pas toujours pour dire qu’on aime… Parfois, on ajoute un mot-clic critique et hop ! on dévoile le « #fail » d’une personne. On a tous vu quelqu’un qui arrive sur un réseau social sans comprendre comment cela marche, qui ne connaît pas les codes et les abréviations, et qui par ses actions dérange les autres. Il ne comprend pas les codes entre les utilisateurs et cela peut le mener à être déstabilisé, voire être rejeté ou ignoré des autres utilisateurs. En ce sens, on peut comparer l’espace du réseau social à celui des « espaces théâtraux » qui sont évoqués sur scène. On trouve sur scène une évocation du réel, résumé par quelques éléments ou des signes que l’on connaît. On évoque par exemple une maison ou un appartement par quelques éléments réels (une porte, un mur) que le spectateur doit connaître et interpréter. Ce sont donc des conventions théâtrales, comme on disait plus tôt qu’il y a des conventions de communication sur les réseaux sociaux. Animer un double de soi sur les réseaux Amber Case, une anthropologue qui étudie comment les humains agissent avec les technologies, disait dans une conférence intitulée We are all cyborgs2 (nous sommes tous des cyborgs), que chacun a maintenant un double qui vit sur le Web. Chaque jour, on prend soin de son double, on change sa photo d’avatar, on lui fait dire quelque chose par un statut et il a parfois une vie indépendante sur le réseau. Pendant que l’on dort, ou qu’on est en pyjama devant la télé, un ami Facebook peut publier un commentaire sur une photo de soi à une fête, interagir avec un message écrit plus tôt. Or, dit Amber Case, en créant un double de soi dans un réseau social, on met à la portée d’autrui sa vie, son intimité et celle-ci peut-être commentée à tout moment du jour ou de la nuit. Par ce dévoilement ou cette exposition de soi, on se met dans un état « d’intimité ambiante constante ». C’est-à-dire, que l’on vit connecté à son appareil mobile toujours prêt à réagir à une notification d’un réseau. Cette intimité ambiante est ce que le partage d’information sur soi, dans toute sorte de situation de la vie privée, a créé. Mais ce faisant, on a réduit beaucoup d’aspects de ce qui est privé, comme son intimité (des gens qui me connaissent à peine me voient en pyjama, avec mes amis etc.), à une représentation (au sens du spectacle théâtral) sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi, il serait souvent préférable de considérer le contenu des médias sociaux, comme une série d’histoires dans lesquelles nos amis sont les héros, héros de leur profil Facebook, de leur compte Snapchat ou Instagram. Ces médias permettent d’avoir des moments de gloire, d’exprimer ses opinions ou tout simplement de voir ce que les autres font. Un peu comme le Baron qui a tout vu, tout vécu et connu des aventures incroyables, chacun est libre de créer son mythe. Il faut donc, les jours où on a le cafard, prendre les grandes déclarations et le censé bonheur des autres avec un grain de sel… Au risque de voir les mythes de tout un chacun, causer chez soi de petites déprimes passagères3 . Parce que lorsqu’on se sent obligé de prouver quelque chose par des publications sur les réseaux sociaux, ce qui augmente assurément n’est pas la popularité, mais bien le stress que cause la surexposition de soi. Et si le baron de Münchhausen avait un compte Snapchat ou Facebook, il serait sûrement ce contact qui publie sans cesse des photos de lui dans des situations plus extravagantes les unes que les autres ! Avatar de Nadia Seraiocco dessiné par elle-même Mon mythe, ma vie En faisant ressortir ce qui est spécial de soi, on se trouve à en dire toujours plus, parfois même trop. On peut être tenté d’enjoliver les faits, de ne présenter que le plus beau pour paraître mieux que les autres gens de sa tribu. Mais si on admet que l’on est tous tentés de le faire, de se créer un personnage un peu plus heureux sur Facebook que l’on ne l’est vraiment dans la vie, les autres le font donc aussi. 1 Boyd, Golder et Lotan, « Tweet, Tweet, Retweet: Conversational Aspects of Retweeting on Twitter. » HICSS-43. IEEE: Kauai, HI. Disponible ici. 2 Cette conférence présentée dans un événement TedX, mise en ligne en 2011, a été ensuite transcrite (ici) et utilisée pour l’événement Le corps en question. L’original est ici sur YouTube 3 Est-ce que Facebook nous rend déprimés ? : cliquez ici NADIA SERAIOCCO est conseillère en communication Web et médias sociaux, chroniqueuse, conférencière et auteure. Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 32 De l’autre coté du miroir par Nicolas Gendron Le vrai du faux Ma propre queue me tire d’affaire ainsi que mon cheval que je serrai fortement entre mes genoux. Gravure de Gustave Doré De 1720 à 1797 vécut en Allemagne un certain Hieronymus Karl Friedrich von Münchhausen. Ce dernier servit l’armée russe jusque dans les années 1760, alors qu’il prit sa retraite en tant que Baron, un titre de noblesse qui multipliait les invités à sa table. C’est d’ailleurs après de copieux soupers qu’il aurait pris l’habitude de raconter à ses convives, avec un enthousiasme légendaire, ses exploits militaires contre la Turquie et ses aventures en Russie. Le baron de Münchhausen serait probablement aux oubliettes du XVIIIe siècle si les hommes de lettres de son pays n’avaient pas cru bon amplifier sa nature de conteur. En effet, l’auteur allemand Rudolf Erich Raspe puis le poète Gottfried August Bürger se sont approprié le récit fantaisiste des exploits du Baron, volant soudainement sur un boulet de canon ou marchant sur la Lune. Les versions se propagèrent jusqu’à aujourd’hui dans la littérature allemande, prirent d’assaut le monde francophone dans une traduction de Théophile Gautier fils, puis débordèrent des pages sur scène, à la radio et au cinéma. Souvent dépeint avec un nez à la Cyrano de P our q uoi ? Nicolas Gendron est un ami depuis le Cégep. Il s’intéresse au cinéma depuis toujours. Avec sa curiosité légendaire, il nous présente le personnage du baron de Münchhausen et ses déclinaisons, au cinéma, chez Georges Méliès et Terry Gilliam. J-S. Traversy Bergerac, ce Baron réinventé est sculpté pour le cinéma, avec son goût marqué pour le merveilleux et, surtout, sa conviction profonde de détenir la vérité, jusque dans la démesure. Deux de ses incarnations au grand écran ont traversé le temps avec plus de panache, portées par la signature unique de leurs maîtres d’œuvre : Les Hallucinations du Baron de Münchausen 1, de Georges Méliès (1911), et Les Aventures du Baron de Münchausen, de Terry Gilliam (1988). De la Terre à la Lune D’abord illusionniste, le Français Georges Méliès2 allait découvrir, avec l’apparition du Cinématographe en 1895, le meilleur véhicule pour démocratiser non seulement ses trucages, mais plus encore son envie de rêver le monde. Plus de 500 courts métrages plus tard, on le considère comme le père des effets spéciaux, lui qui a mis au point ou perfectionné plusieurs procédés encore actuels, que ce soit le ralenti, la surimpression ou le fondu enchaîné. Pour le 150e anniversaire de Méliès, en 2011, le cinéaste Martin Scorsese lui rendait hommage avec Hugo, où se profile la genèse de ses films, dont son célèbre Le Voyage dans la Lune, que n’aurait pas renié le Baron ! En sol québécois, le metteur en scène Robert Lepage convoquait l’homme et son œuvre pour nourrir la trame de fond de sa pièce Cœur. 1 Le nom de Münchhausen perd souvent un « h » dans sa francisation. 2 Pour en savoir plus sur Méliès, on peut consulter son site officiel www.melies.eu Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 33 Avec Les Hallucinations du Baron de Münchausen, réalisé vers la fin de sa carrière, qui correspondait à l’âge d’or du cinéma muet, Méliès offre un condensé de son savoirfaire plutôt qu’une adaptation fidèle des aventures du personnage – si tant est qu’on puisse être (in)fidèle aux fantaisistes. Le Baron y est dépeint dans les excès de sa noblesse, plus bon fêtard que grand conteur, sans doute parce que privé de la parole. Au sortir d’un dîner arrosé, son ivresse le confine au sommeil, mais l’imposant miroir adjacent à son lit lui réserve « visions suaves et cauchemars incohérents », comme le suggère un intertitre du film. Par des jeux de trompe-l’œil et des arrêts de caméra décuplant les transformations, le subconscient du Baron prend vie sous nos yeux, son lit se dérobant sous ses pieds. Menacé de toutes parts, qui par des pharaons ou des dragons, qui par une femmearaignée tissant sa toile, il va jusqu’à basculer de l’autre côté du miroir, telle Alice au pays des merveilles. Enfin, quand la Lune elle-même lui tire la langue, c’en est trop, et hop ! la commode fracasse le miroir. À défaut d’un conte en images, ce sommeil agité se veut la preuve d’un imaginaire débridé. Rêver le présent Créateur délinquant, Terry Gilliam restera pour toujours associé aux Monty Python, un groupe britannique à l’humour absurde qui sévit au plus fort des années 1970. Au Québec seulement, RBO, les Denis Drolet et les Appendices se réclament de leur univers décapant. Le comique devient également cinéaste et bâtit une filmographie où le temps devient une matière élastique, le futur s’emmêlant au présent pour en esquisser le meilleur et le pire, comme dans ses films Bandits, bandits, Brazil et L’ Armée des 12 singes. L’imaginaire y est échappatoire devant l’adversité (Le Roi pêcheur, Tideland) ou encore la nourriture première des artistes (Les Frères Grimm, L’Imaginarium du docteur Parnassus). Dans le lot, Les Aventures du Baron de Münchausen se présente telle la joyeuse synthèse de ses obsessions. La vision de Gilliam et celle du metteur en scène Hugo Bélanger se ressemblent en plusieurs points. Prenant toutes deux appui sur le procédé du théâtre dans le théâtre, leurs adaptations s’ouvrent sur une troupe qui ose présenter la vie du Baron sur scène, avant que le spectacle ne soit interrompu par le vrai personnage ! Si les comédiens doutent d’abord de l’identité du troublefête, ils se laissent peu à peu gagner par la vigueur de son récit, jusqu’à entrer dans ses souvenirs pour mieux les (ré)interpréter. Et la Mort le guette non loin de là, prête à tout moment à lui ravir son âme, dès lors qu’il ose douter lui-même de son rôle à jouer dans ce monde gouverné par la raison et le progrès. Chez Gilliam, cependant, on pousse la nature séductrice du personnage et surtout son implication dans la guerre, dont il sera à la fois cause et dénouement. Des missiles nucléaires au langage irrévérencieux, les anachronismes se fondent dans cette histoire échevelée, tissée d’un tour de montgolfière sens dessus dessous (féminins !), d’une discussion décousue avec la tête du Roi de la Lune (Robin Williams) ou d’un ballet aérien avec Vénus (Uma Thurman). Mais chez Gilliam comme chez Bélanger, c’est le regard d’une enfant qui empêche la raison de tout faire dérailler. Et si l’enfance était la plus précieuse alliée de l’imaginaire ? Comme « le rêve est immortel », aux dires du Baron en visite au Théâtre Denise-Pelletier, il est encore permis de rêver sur nos deux oreilles… Affiche du film Les Aventures du Baron de Münchausen de Terry Gilliam (1988) NICOLAS GENDRON est critique cinéma, metteur en scène et acteur. Il est aussi directeur artistique de la compagnie de théâtre ExLibris. GEORGES MÉLIÈS (1861-1938) est un réalisateur de films français et est considéré comme l’un des principaux créateurs des premiers effets spéciaux suite à l’invention du Cinématographe (projecteur) par les frères Lumière. Terry Gilliam est un acteur, dessinateur, scénariste et réalisateur. Il se penche tout particulièrement, à travers ses œuvres, sur l’imaginaire et le paradoxe temporel. Extrait du film Les Hallucinations du Baron de Münchhausen de George Mélies (1911) Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 34 ENT R ETIEN AVEC H UGO BÉLANGE R © Frédéric Bouchard Propos recueillis et mis en forme par Aurélie Olivier Hugo Bélanger Les aventures du Baron ont souvent été adaptées et constamment enrichies. Pourquoi les raconter à votre tour ? Le spectacle relate certes les aventures de Münchhausen, mais la véritable histoire que l’on raconte est celle du Théâtre Gustave Galimard et fils, une troupe foraine fondée en 1797 et qui a survécu jusqu’en 1974 en jouant inlassablement une seule et même histoire : celle du © Frédéric Bouchard P our q uoi ? Très bon entretien entre Aurélie Olivier et Hugo Bélanger, tiré du Cahier / numéro 78 (Hiver 2011) du Théâtre Denise-Pelletier, au moment de la création de Münchhausen : les machineries de l’imaginaire. Hugo m’a enseigné au Conservatoire d’art dramatique de Montréal à l’automne 2006. Sa vision du jeu de l’acteur et l’importance qu’il accorde au rythme font de lui un metteur en scène qui m’inspire beaucoup. J-S. Traversy Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 35 baron de Münchhausen. Ce qui me fascine dans l’histoire de cette troupe, c’est son côté jusqu’au-boutiste. Raconter la même histoire pendant 200 ans traduit une obstination et une folie qui ressemblent à celles du Baron. En fait, le discours du baron me rejoint dans tout ce que je défends et revendique en tant qu’artiste : le droit de raconter une histoire, d’emmener les gens ailleurs, de les faire rêver. Être émerveillé au théâtre, ce n’est pas rien. J’adore que les gens sortent d’un spectacle dans cet état. C’est ce que j’appelle l’art populaire non-populiste : il regroupe tout le monde, sans niveler par le bas. C’est ce que j’essaie de faire. Dans le spectacle, le Baron rencontre plusieurs fois la mort. Pourquoi en avoir fait un personnage ? Le Baron parle souvent de la façon dont il a vaincu la mort et je trouvais intéressant qu’il la rencontre et jase avec elle. Cela fait référence à la fois à la mort véritable, et à la mort des idées. La Mort rappelle au Baron qu’il est anachronique, qu’il devrait se résoudre à tomber dans l’oubli. Elle représente les raisonnables, les sceptiques, ceux qui demandent à quoi sert de s’obstiner à raconter des histoires. Je pense qu’une personne est vivante tant qu’on parle d’elle, tant que quelqu’un s’en souvient. Le Baron est mort en 1797, mais la compagnie Galimard a continué à en parler pendant presque 200 ans, alors tout est possible ... Quelle est l’influence des machineries sur la mise en scène et sur le jeu des acteurs ? Mon but était que l’on voie les machines et les « trucs », mais que les spectateurs acceptent d’y croire quand même. Sur scène, on joue avec les machines et les objets, on montre les manipulations, la façon dont sont fabriqués les effets, et ainsi on va et vient constamment entre le vrai et le faux. D’une manière générale, j’aime que les comédiens soient toujours actifs ; c’est le principe du comédien qui fait tout, comme dans les compagnies familiales telles que Galimard & fils. Vu le travail colossal que cela demande, je me suis adressé à des comédiens qui connaissaient mes méthodes de travail. Ce sont des musiciens, ils ont de l’expérience avec les marionnettes, sont habiles de leurs mains et capables de faire plusieurs choses à la fois. Par ailleurs, il fallait qu’ils soient responsables et qu’ils aient l’esprit de groupe. Les gens que j’ai choisis sont des curieux qui aiment être mis au défi, notamment les concepteurs que je pousse toujours à aller plus loin, à qui je présente des demandes a priori irréalisables, mais qui les forcent à se dépasser et à s’éloigner des idées toutes faites. On a passé beaucoup de temps à travailler techniquement nos rôles de machinistes. Sur scène, la technique de jeu doit être tellement assimilée qu’on doit pouvoir introduire de la folie sans perdre la technique. © Frédéric Bouchard AURÉLIE OLIVIER est collaboratrice à Jeu, revue de théâtre et viceprésidente de l’Association québécoise des critiques de théâtre. Elle est également consultante en communication et rédactrice pigiste. HUGO BÉLANGER est metteur en scène, auteur, pédagogue et directeur artistique de la compagnie de théâtre Tout à Trac. Il créé plusieurs spectacles récipiendaires de nombreux prix. Au TDP il a mis en scène L’Oiseau vert, La Princesse Turandot, et Münchhausen, les machineries de l’imaginaire. Il signait l’adaptation et la mise en scène du Tour du monde en 80 jours au TNM au printemps 2015. Fondé en 1998, Tout à Trac est déjà bien connu du public adulte et adolescent québécois. C’est l’une des rares compagnies à s’immiscer avec beaucoup de précision et de finesse dans les mondes du rêve, de l’illusion et du faux-semblant. Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 36 Trucs et machines de scène au xviiie siècle par Hélène Beauchamp Le sous-titre du spectacle, « les machineries de l’imaginaire », annonce les intentions du metteur en scène et écrivain scénique Hugo Bélanger. Il est également indicatif des demandes faites au scénographe. Dès le début du texte1, le bâtiment du théâtre est joliment comparé à un bateau, et la didascalie laisse entendre que le spectacle utilisera machines et machineries, comme celles de l’époque – le XVIIIe siècle – où les aventures du Baron ont été racontées par lui-même puis consignées par écrit. La scène doit faire penser à un vieux rafiot qui a connu les plus grandes tempêtes. Comme pour un voyage en bateau, le voyage théâtral ne se fait jamais sans risque. Le bateau a une cale, la scène a ses dessous et des machines, des cordages, des rideaux qui rappellent les voiles, des poutres qui rappellent de vieux mâts fêlés. À la scène 7, une des répliques enjoint les comédiens à se faire machinistes de plateau : « Tout le monde à son poste ! Hissez le rideau ! Préparez les accessoires ! Actionnez les soufflets à fumée ! Machinistes, à vos machineries ! Comédiens à vos répliques ! Public à vos sièges ! ». Et à la scène 9, alors que le Baron entraîne Sarah dans une de ses folles envolées, les indications scéniques contenues dans sa réplique laissent entrevoir l’utilisation d’une « machine à vent », et le consentement à l’illusion de l’envol par l’incrédule Sarah. Baron Il faut se concentrer un peu. Monte sur mon dos. Accrochetoi à moi. Ferme tes yeux. Sens le vent qui se lève tranquillement... La brise devient peu à peu bourrasque... Entend le vent qui siffle dans tes oreilles... Nous prenons de l’altitude... (Les comédiens créent les effets que raconte le Baron.) (Le Baron et Sarah sont soulevés dans les airs par une planche manipulée par les acteurs.) Sarah On vole, monsieur le Baron ! On vole ! P our q uoi ? Clin d’œil à Hélène Beauchamp, qui coordonna de main de maître les Cahiers du Théâtre DenisePelletier pendant les cinq dernière années. Elle signe, ici, un dossier complet et passionnant sur les machines au théâtre dans le cadre du Cahier numéro 78 (Hiver 2011), lors de la création originale de Münchhausen : les machineries de l’imaginaire. J-S. Traversy 1 Selon la version consultée. Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 37 Plancher de scène : plans, trappes, châssis. Hugo Bélanger aime le théâtre et son mentir-vrai, il sait que raconter une histoire exige toujours une part importante d’invention, voire de rêve. Dans ce sens aussi, il fait sienne l’attitude du conteur Münchhausen dont la préoccupation première est toujours de s’éloigner le plus rapidement possible de la réalité... pour mieux y faire croire... Ce qu’exprime très clairement la dernière réplique de la pièce que le Baron adresse à la fonctionnaire qui voudrait bien faire démolir le théâtre. « Vous pouvez démolir ce théâtre, il y en aura toujours un autre qui se redressera pour le remplacer. Vous pouvez tenter de faire taire les rêveurs mais le rêve est immortel et sans fin. Vous pouvez tenter de l’étouffer, il ressuscitera toujours ne serait-ce que dans une chansonnette, un air de flûte ou une histoire racontée au coin d’un feu. Les histoires continueront malgré vous, malgré votre cynisme et votre ennui. Nous ne disparaîtrons que le jour où l’humanité ne voudra plus d’elle-même. Car sans les rêveurs, plus rien n’existe, pas même vous, madame la faucheuse d’idées, embaumeuse de rêves... » Qu’en était-il donc des machines, machineries et trucs scéniques ainsi que du bâtiment de théâtre à l’époque où vécu Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen ? Questions d’architecture Le Baron raconte ses aventures au moment où les représentations théâtrales quittent les tréteaux des places publiques et les amphithéâtres de plein air. Les architectes et les scénographes 2 inscrivent alors la salle et la scène à l’intérieur même d’édifices construits pour les recevoir. Ce grand mouvement a surtout lieu en Italie où l’on tente vraiment d’intégrer la scène et l’amphithéâtre dans un bâtiment. L’exemple le plus probant en est le Théâtre de Palladio à Vicence en Italie. Puis, autant la scène que la salle se transforment sous l’influence de la peinture italienne de la Renaissance et de la découverte de la perspective. Perspective: art de représenter les objets sur une surface plane, de telle sorte que leur représentation coïncide avec la perception visuelle qu’on peut en avoir, compte tenu de leur position dans l’espace par rapport à l’œil de l’observateur. -Le Petit Robert Dès lors, les concepteurs ne peuvent plus ignorer que les spectateurs sont assis devant une scène où va se dérouler la représentation d’une action vécue par des personnages et qu’il faut rendre cette représentation le plus crédible possible. Car il faut entraîner chez le spectateur l’adhésion à la fiction de l’œuvre. Et le premier réflexe semble avoir été de prendre tous les moyens pour établir l’adéquation la plus juste possible entre la fiction et la réalité. Ainsi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le principe de l’illusion de réalité commence à s’imposer comme but de la représentation théâtrale. La mimèsis cherche une ressemblance identitaire entre le réel et le visible. Le décor planté sur scène doit représenter le mieux possible une rue, l’intérieur d’un palais ou une mer déchaînée ; la scène doit rendre possible les apparitions de fantômes, de divinités ou de phénomènes naturels comme les tempêtes. Les textes dramatiques et les livrets d’opéras demandent souvent de tels effets, voire même des incendies ou l’effondrement de colonnes ou de murs. La même époque voit la fin d’une deuxième révolution technique, celle des poulies et engrenages, et l’amorce de la troisième, celle du rail et de la vapeur. Nicola Sabbattini, architecte, publie les deux volumes de son Pratica di fabricar scene e macchine ne’teatri en 1637 et 1638. Rappelons que Diderot et D’Alembert publient leur Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers à Paris de 1751 à 1772 dont les articles expliquent les phénomènes et les fonctionnements de façon rationnelle et technique. Et c’est tout au cours du XVIIIe siècle que s’impose dans les cours d’Europe le « théâtre à l’italienne » par l’intermédiaire des scénographes italiens qui y sont appréciés pour leur art et leur savoir-faire en matière d’architecture théâtrale, de scénographie, d’effets de machines et de fêtes éphémères. 2 Rappelons que le mot « scénographie » (1545) vient de « scène » et se définit comme l’art de représenter en perspective. Le Petit Robert Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 38 Dans son traité de scénographie, l’architecte Pierre Sonrel 3 qualifie le Théâtre de Bordeaux, construit de 1774 à 1778, de « type parfait de nos théâtres, tant par la disposition architecturale de la salle que par l’harmonie et l’élégance de ses dégagements ». Le plan de la salle, comme il le décrit, est tracé selon un cercle légèrement ouvert sur la scène. Le plafond est voûté, soutenu par quatre colonnes dont deux encadrent la scène ; il y a trois étages de balcon. La scène, encore très profonde, comprend 12 plans. C’est que les interminables décors en perspective sont encore en faveur. Il n’y a pas de cadre de scène proprement dit. Les spectateurs et les acteurs se trouvent donc face à face, tout comme la réalité et la fiction. L’illusion de réalité est posée comme nécessaire et la recherche plastique se fait par les artifices de la perspective frontale avec point de fuite central qui dirige fortement le regard du spectateur vers le lointain. La représentation en perspective peut tromper l’œil au point qu’un observateur ne puisse faire la différence entre la réalité et sa représentation en perspective. Le décor évolue vers une image qui cherche de plus en plus à ressembler au réel. Perspective, machineries et trucages Dans le décor à l’italienne, la perspective a pour lieu l’espace de la scène. Elle est réalisée grâce à la série de châssis qui sont disposés de chaque côté de la scène et en parallèle au cadre de scène, où se compose et se décompose l’espace à représenter. Une rue, par exemple, qui part de l’avant-scène et qui se termine en fond de scène, est représentée, selon les lois de la perspective, de façon à faire croire à sa réalité. Les séries de châssis qui limitent le décor sur les côtés peuvent être complétées par un ensemble de frises, suspendues à des perches, qui limitent le décor en hauteur. Les rideaux limitent le décor au lointain. La scène, plancher sur lequel jouent les acteurs et reposent les décors, fait partie de ce que l’on appelle la cage de scène, verticale, que l’on peut diviser en trois zones qui se superposent. Le plateau est au milieu de cette cage de scène, et il est complété par deux autres volumes, l’un appelé dessus – ou cintre - et l’autre dessous. Ces trois volumes superposés occupent une superficie beaucoup plus grande que celle de la salle – parfois le double – alors que sa hauteur atteint fréquemment trois fois celle de la salle. Les dessus et les dessous sont utilisés pour les changements de décor et les effets de machinerie. La machinerie qui nous intéresse s’y trouve cachée. Au-dessus se trouvent les cintres : espace aussi vaste que la scène et qui pourrait contenir tout un décor disposé tel que le public le voit. On y trouve les treuils et les tambours, pour des vols complexes (spectres et fantômes par exemple) et les passerelles de service utilisées par les machinistes (les cintriers). La passerelle inférieure est réservée aux électriciens pour y disposer les projecteurs, accéder aux herses et autres appareils suspendus. Audessus encore se trouve le gril. Et du gril jusqu’aux dessous, le long d’un des murs de côté de la scène, sont tendus les fils qui permettent toutes les manœuvres. Sous le plateau se trouve un espace aussi important que la scène et les cintres, capable également de contenir un décor entier. Plusieurs planchers y sont superposés. Le premier est le plus souvent à environ deux mètres sous le plateau, puis le 2e et le 3e dessous. Le premier, sert à la manœuvre des trappes, pour les apparitions et disparitions ; le 2e à la manœuvre des fermes et des treuils ; le 3e à celle des tambours. 3 Pierre Sonrel, Traité de scénographie, Paris, 1956 Cage de scène Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 39 En France, c’est dès le XVIIe siècle qu’on présente ce que l’on appelle des « pièces à machines » dont l’action nécessite des changements de lieux spectaculaires : les comédies-ballets, les opéras, les tragédies ou les comédies comme le Dom Juan ou l’Amphytrion de Molière. Machine, traduction de macchina, désigne l’ensemble du dispositif permettant les changements de décor. Grâce à ces machines, les effets pour surprendre et émerveiller sont mis en œuvre : apparitions spectaculaires par les dessus, disparitions inquiétantes par les dessous, vols complexes de dieux et de déesses, changements rapides de tableaux. L’utilisation des machines est associée à une dramaturgie qui les appelle. Les trucs sont des effets de surprise pendant la représentation. Les chars célestes, les bateaux qui apparaissent en scène, les décors qui sortent du sol sont des machines ; tandis que les trappes au travers desquelles surgissent les acteurs, les transformations rapides de décors ou de personnes relèvent des trucs. Pour les voleries – de divinités mythologiques par exemple – , les organes moteurs sont disposés dans les cintres. Dès que ces personnages disparaîtront, la machine ne sera plus utilisée. Les gloires étaient des machines descendant des cintres portant parfois un nombre considérable de comédiens ou de chanteurs et qui se modifiaient, se développaient à mesure qu’elles apparaissaient aux spectateurs. Trois principes mécaniques sont à la base de la machinerie théâtrale Le contrepoids : l’objet à soulever est fixé à l’extrémité d’un fil, on fait passer ce fil dans la gorge d’une poulie et l’on suspend à l’autre extrémité une masse de poids sensiblement égal à l’objet ; le treuil sert à élever verticalement de lourdes charges et se compose d’un cylindre horizontal tournant sur son axe. Les fils auxquels sont suspendus les poids à soulever s’enroulent autour de ce cylindre ; le tambour à démultiplication qui se compose de deux cylindres de diamètre différent. Le contrepoids Le tambour Le treuil Les treuils, les tambours, les contrepoids et les porteuses (tubes d’acier de longueurs variées auxquelles on suspend les châssis, les herses d’éclairage et les projecteurs) sont reliés, et le dispositif qui résulte de leur combinaison constitue une équipe : l’équipe d’un décor ou d’un rideau, par exemple. Volerie 40 Salle et scène du théâtre de Drottningholm Le théâtre de Drottningholm Le théâtre du Château royal de Drottningholm, à quelques kilomètres de Stokholm en Suède, fut inauguré en 1766. À l’extérieur, il est d’une belle simplicité architecturale. À l’intérieur, l’une de ses caractéristiques les plus frappantes est l’extraordinaire unité formée par la scène et la salle, la seconde n’étant en quelque sorte qu’une image inversée de la première. L’impression d’unité qui se dégage des proportions architectoniques est encore renforcée par la lueur de l’éclairage qui plonge la scène et la salle dans une même atmosphère. Les acteurs y ont joué les grandes œuvres françaises, les vaudevilles et les petits opéras-comiques puis des œuvres qui demandaient des ressources techniques, une décoration spéciale et une machinerie compliquée. Après 1800, le théâtre tomba dans l’oubli et les couches de poussière s’accumulèrent jusqu’en 1921. Pourtant, une trentaine de décors plus ou moins complets avaient été conservés et la machinerie, construite par le maître italien Donato Stopani, existait toujours dans son état primitif. Les travaux de remise en état furent entrepris. Le plus difficile fut de pourvoir de fils la machinerie compliquée de Stopani et d’actionner toutes les roues, les chariots et les contrepoids qui interviennent dans les changements de décors, les apparitions de divinités ou les voyages aux Enfers effectués par l’une des nombreuses trappes. Une nouvelle inauguration du théâtre eut lieu en 1922, et depuis on y présente des opéras, entre autres de Gluck, Händel, Mozart, Pergolèse, Purcell. Il est ouvert aux visiteurs. Le Théâtre Denise-Pelletier est un théâtre à l’italienne, et son impressionnante cage de scène est pourvue de trappes, de dessous et de cintres... à la mode technologique ! Historienne et essayiste, HÉLÈNE BEAUCHAMP s’intéresse à la dramaturgie et à l’évolution du théâtre professionnel au Québec et au Canada français. Elle a aussi agi à titre de coordonnatrice des Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier de 2010 à 2015. Münchhausen, les machineries de l’imaginaire 41 s a l l e f r e d - b a r r y / 1 e r a u 19 d é c e m b r e 2 0 15 SHERLOCK HOLMES ET LE CHIEN DES BASKERVILLE TEXTE SIR ART H UR CONAN DOYLE ADAPTATION STE V EN CANNY ET J O H N NIC H OLSON MISE EN SCÈNE ET TRADUCTION FR É D É RIC B É LAN G ER A vec É t ienne P ilon , F ran ç ois - S imon P oirier e t P hilippe R ober t unsplash.com en savoir Une énigmatique série de meurtres terrorise les habitants du Devonshire. Un esprit menaçant se cache dans les landes désolées qui entourent les falaises d’Angleterre. Sous la forme d’une bête sanguinaire, elle se nourrit de la chair tremblante des héritiers de Baskerville. Le célèbre détective et son fidèle acolyte Watson usent de toutes leurs forces de déduction « élémentaires » pour résoudre le terrifiant mystère auquel ils sont confrontés. Frédéric Bélanger est acteur, auteur et metteur en scène. Il a suivi une formation en interprétation à l’École nationale de théâtre du Canada. Scénariste et comédien principal de la populaire série jeunesse Toc Toc Toc, il a participé à de nombreuses productions télévisuelles. Il a signé la mise en scène de tous les spectacles d’Advienne que pourra et l’adaptation des Aventures de Lagardère, du Tour du monde en 80 jours et de D’Artagnan et les trois mousquetaires, au TDP. Théâtre Advienne que pourra s’engage à élargir les horizons culturels des jeunes en créant et développant l’art théâtral dans la région de Lanaudière, depuis sa création en 2005. 42 Sherlock Holmes pour se défendre. De plus, les policiers ne sont pas capables d’arrêter tous les criminels. C’est la raison pour laquelle Sherlock Holmes exerce le travail de détective privé consultant. Il va sans dire qu’on a nettement besoin de lui pour venir résoudre les enquêtes. Sans compter que ce dernier vit au centre même de la ville, au 221B Baker Street, ce qui lui permet d’être au milieu de l’action. Sherlock Holmes est un être hors du commun qui pense d’une façon très méthodique et lucide. par Christina Brassard Les aventures fictives de Sherlock Holmes marquent profondément la culture populaire. Leur réalisme et leur ancrage dans le temps permettent au grand public de se familiariser très vite au personnage de Sherlock Holmes. Créé en 1887 par Arthur Conan Doyle, il est d’abord mis en scène dans quatre romans et cinquante-six nouvelles. Il se retrouve par la suite maintes fois à l’écran, il est abondamment illustré et il est récupéré par de nombreux auteurs. Conan Doyle s’est inspiré d’éléments divers afin de réussir à imaginer un personnage aussi convaincant. Le choix de la personnalité de son héros est sans nul doute influencé par celle de ses mentors, le Dr Joseph Bell et le Professeur Rutherford. On reconnaît également son intérêt pour le genre policier et l’importance de quelques prototypes de l’enquêteur, tels que le détective fictif C. Auguste Dupin imaginé par Edgar Allan Poe ou le célèbre détective privé Eugène François Vidocq, dans l’élaboration de son personnage. personnage. Encore quelque peu sous l’emprise des bonnes mœurs victoriennes, il a des manières raffinées et une très grande intelligence, mais il est également un être marginal qui s’oppose à certaines valeurs morales de cette période historique, comme celles du mariage, de la famille et de la richesse. P our q uoi ? Les histoires de Sherlock Holmes se déroulent dans le contexte de l’Angleterre du XIXe siècle, à une époque où les avancées scientifiques prennent de l’expansion. Le crime fait rage dans cette société : Londres est d’ailleurs la ville des bandits, des escrocs et des meurtriers. Les citoyens s’inquiètent et la plupart possèdent une arme © the commons 221B Baker Street Dans le cadre de la pièce Sherlock Holmes et le chien des Baskerville, j’ai eu envie d’en découvrir plus sur ce personnage mythique de la culture populaire. Comment est-il né dans l’imaginaire de son créateur Sir Arthur Conan Doyle ? Cet article vous donnera, à coup sûr, le goût de vous munir d’un parapluie et de partir à la recherche de Sherlock sur les routes étroites de l’Angleterre. J-S. Traversy Sherlock Holmes et le chien des Baskerville 43 © the commons © unsplash.com Méthode de travail Un être solitaire Baskerville Sherlock Holmes connaît les nouvelles sciences. Il est un adepte de la technologie et remet en cause les techniques policières. Son travail de détective relève du raisonnement inductif : il déduit grâce à l’observation des faits, à la collection de données ainsi qu’aux indices. Il ne fait ainsi aucune réflexion spéculative et il scrute les scènes de crime dans les moindres détails. Par exemple, il utilise la chimie et il est un excellent pisteur. L’analyse des résidus de poudre ou le repérage des douilles lui permet aussi de déterminer la position du tireur ou la distance du coup de feu. Une autre de ses expertises est son art du déguisement : Sherlock Holmes est un as de la mise en scène et aime se donner en spectacle. Changer d’apparence sans se faire reconnaître lui donne l’occasion de pénétrer des sphères inconnues sans se faire repérer. Du reste, il ne change pas seulement son allure, mais aussi sa voix, ses expressions et sa personnalité. Tel un caméléon, il se faufile dans la ville avec une efficacité prestigieuse. Bien que nous en sachions peu sur l’enfance de Sherlock Holmes, nous sommes tout de même portés à croire qu’elle est empreinte de solitude. Un état qui semble perdurer tout au long de sa vie. Hormis le fait qu’il ait des liens avec son frère Mycroft Holmes, ses rapports à la vie mondaine sont quasi absents et ceux avec les femmes aussi. Il développe toutefois une grande amitié pour John Watson, docteur en médecine. Ce dernier devient son fidèle acolyte et met fin à sa solitude. Leur relation a souvent été source de plaisanteries dans plusieurs adaptations cinématographiques ou littéraires puisque ce binôme peut apparaître parfois comme un couple d’amoureux. Or, ce ne sont que des moqueries puisque John Watson se marie avec une dénommée Mary et que Sherlock Holmes tombe sous le charme de la fameuse criminelle Irene Adler. Le Chien des Baskerville est l’une des histoires les plus connues de Conan Doyle – entre autres pour son excellente intrigue et ses revirements de situations. Elle est aussi l’une des plus adaptées au cinéma et au théâtre. Le récit débute à Londres où un homme, le Docteur Mortimer, vient demander l’aide de Sherlock Holmes et de John Watson. Ceux-ci doivent alors se rendre dans la contrée de Baskerville pour comprendre les mystères qui entourent la mort suspicieuse de Sir Charles de Baskerville. Ils entendent parler d’une légende familiale qui serait la source d’une malédiction : un chien descendu des enfers attaquerait la lignée des Baskerville. Sherlock Holmes ne croit pas à l’aspect surnaturel et tente de chercher une hypothèse logique aux événements. CHRISTINA BRASSARD étudie au doctorat en littérature à l’Université de Toronto. Sherlock Holmes et le chien des Baskerville 44 à venir en 2016 salle denise-Pelletier 2 3 m a r s a u 16 av r i l 2 016 © Robert S. Donovan salle denise-Pelletier 3 a u 2 7 f év r i e r 2 0 1 6 Cahier d’hiver sous la direction de Nicol as Gendron Le miel est plus doux que le sang T e x t e S i m o n e Ch a r t r a n d e t Ph i l i p p e S o l d e v i l a Mise en scène C atherine Vidal L’orangeraie T e x t e L a r ry T r e m b l ay Mise en scène Cl aude Poissant S alle fred - barr y : M U L I A T S - L O V E I S I N T H E B I R D S - F R A T R I E ( F R A N C E ) - S I M O N E E T L E W H O L E S H E B A N G - L E S Z U R B A I N S 2 0 1 6 LES ARTS AUX PREMIÈRES LOGES Sortir du quotidien, découvrir l’arrière-scène, faire de nouvelles découvertes artistiques en ayant + de choix et + de coups de cœur. GRATUIT TOUS LES JOURS LaPressePlus.ca