Vieillot, Musset?
Tourné dans les rues de Carouge, le film d’Elena Hazanov nous prouve que non.
Du théâtre filmé? L’appellation elle-même distille sa part d’ambiguïté. Depuis toujours, le
théâtre art noble et la télévision média populaire s’observent en chiens de faïence, peu
disposés aux unions ancillaires.
Du coup, quand Jean Liermier, le directeur du Théâtre de Carouge, a annonaux côtés du
producteur David Rhis (Point Prod) qu’il s’apprêtait à mettre en boîte Les caprices de Marianne
d’Alfred de Musset, le scepticisme le disputait à la curiosité.
Pour Elena Hazanov, en revanche, les choses étaient claires. Les classiques du théâtre ont
bien leur place sur le petit écran. A condition, toutefois, de ne pas procéder à leur simple mise
en images. «Je pense que trop souvent les captations traditionnelles d’une pièce de théâtre
n’arrivent pas à transmettre l’énergie et la vie dégagées par les comédiens sur le plateau»,
constate la jeune réalisatrice russo-suisse.
Ceux qui, au hasard de leurs zappings nocturnes, sont tombés sur un plan fixe l’on voit
s’agiter au loin quatre comédiens comprendront ce qu’elle veut dire. A ce jeu-là, le théâtre perd
souvent son âme. Voilà pourquoi Elena Hazanov et Jean Liermier ont opté pour un «téléfilm
théâtral», qualifié par la réalisatrice de «forme fourmilière». Marianne, Octave et les autres
personnages de la pièce sont ainsi propulsés dans les rues de Carouge, le film a été tourné
il y a quelques mois.
Distribution remarquable
Le résultat est un vrai régal. Outre que la belle langue de Musset ne perd rien de sa force vive,
c’est toute l’intrigue qui, faisant fi des anachronismes, se concilie les exigences d’un
environnement contemporain.
Jean Liermier, en charge de la direction d’acteurs, parvient à articuler les dialogues de telle
sorte qu’aucune pesanteur n’en affecte le cours. Le texte, paru pour la première fois en 1833,
résonne ainsi d’une manière étonnamment moderne.
Une fraîcheur à mettre sur le compte d’une distribution remarquable: Anne Pieri campe une
Marianne séduisante et volontaire, Bastien Semanzato un Octave faussement désinvolte et
Stéphane Boschung un Coelio romantique en diable. Philippe Suberbie, Lionel Brady, Pascale
Güdel et Caroline Gasser complètent avec talent cet efficace casting.
Aux manettes, Elena Hazanov parvient à donner chair à ses personnages. Les natels ont beau
remplacer les lettres manuscrites, les protagonistes se déplacer en scooter ou en tram et les
guitares se nourrir d’électricité, la tragicomédie de Musset conserve toute sa crédibilité. Pari
gagné, donc ! Lionnel Ciuch
© TdG
30 décembre 2008
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