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Sommaire
• La réalité du terrain :
une nécessaire
reconnaissance
• Respect des protocoles :
représentations
et réalités
• CLIN : rôle
et fonctionnement
• Infections
et environnement :
alerte à la légionellose
• Pose de cathéter :
savoir limiter les risques
• Architecture
et ergonomie :
une méthodologie
participative
Hygiène, facteur
de décloisonnement
des soins
Hygiène et qualité sont indissociables.
La création des CLIN renforce le rôle de cette
discipline reconnue majeure dans l’objectif d’amélioration
de la santé et la lutte contre les infections. L’hygiène est
un réflexe soignant reliant les équipes autour d’un projet
commun : la santé d’une personne en souffrance.
A.-L.P. – L’hygiène est souvent ressentie comme un secteur mineur par nombre de soignants. Certains vont
même jusqu’à l’assimiler à des tâches peu valorisantes.
Qu’en pensez-vous ?
Pr G. Brucker – Ces soignants ont tort. Le mot hygiène représente pour moi, un message très fort. Il
a pour origine le nom de la déesse grecque de la
santé, Hygie. La santé serait-elle mineure ? Le mot
hygiène est peut-être mal perçu parce qu’il regroupe
des champs d’application divers. On parle d’hygiène pour le médical, l’alimentaire, le relationnel,
d’hygiène de vie. Or tout cela converge vers l’objectif santé. Qu’est-ce que l’hygiène hospitalière ? C’est
le respect de la conformité des règles qui régissent
les soins et les relations aux malades. C’est une tâche
noble qui s’applique à tout le monde dans un ensemble relationnel avec le patient et l’environnement. Dans ce sens, l’hygiène est à relier au toucher,
certes avec les précautions qui s’imposent, mais
aussi au regard, à la considération, à l’accueil, à tous
les comportements envers le malade. L’hygiène est
indissociable de la qualité des soins.
A.-L.P. – Le métier d’hygiéniste est différemment perçu,
quelquefois même par les hygiénistes eux-mêmes qui
ont des difficultés à trouver leurs marques.
Entretien avec
M. le professeur
Gilles Brucker,
directeur du CLIN
Paris-Nord.
Pr G.B. – Le métier d’hygiéniste est d’identifier les
points critiques de la prise en charge des patients
pour une optimisation des soins, des techniques,
du relationnel, etc. C’est certes difficile, car les
champs d’application sont vastes et variés. Il est difficile de tout appréhender et les hygiénistes ne peuvent être responsables de toutes les défaillances.
Mais leurs connaissances leur permettent d’intervenir prioritairement. Ils ont une démarche essen-
tielle, car l’intérêt est de faire bouger, d’engager la
réflexion pour faire changer ce qui ne va pas. Et ils
doivent être capables de le dire, car l’objectif est la
santé du patient. Ils doivent être perçus comme
une aide pour améliorer la qualité des soins.
A.-L.P. – L’hygiène à l’hôpital : ce sont les réductions des
infections nosocomiales. En 1995, un défi était lancé afin
de réduire ces dernières de 30 % en l’an 2000.
Pr G.B. – De façon abrupte, c’est une utopie de
prévoir un résultat dans ce domaine. Cet objectif
était calqué sur un travail américain qui n’a pu être
validé aujourd’hui. En effet, aux États-Unis, il était
espéré une réduction des infections de 25 % sur
5 ans, or le résultat a été de 5 %. En outre, il est difficile de fixer des objectifs quantifiés à l’échelon
d’un hôpital entier ainsi que de mesurer l’impact
d’un tel programme, les types de soins et le profil
des malades évoluant très rapidement. La logique
est de pouvoir évaluer à partir de systèmes de surveillance des situations semblables. On ne peut
comparer que ce qui est comparable dans le cadre
de réseaux de surveillance. Par contre, se fixer des
objectifs peut servir à sensibiliser, à mettre en place
un plan actif d’organisation pratique, un axe stratégique de surveillance, des audits de soins, des
enquêtes de prévalence et d’incidence. Cela peut
inciter à définir des règles écrites accessibles à tous,
des programmes de formation, une véritable politique de santé publique. La mise en place des
CLIN, notamment les dernières dispositions
du décret de décembre 1999 vont dans ce sens.
L’hôpital public s’est même montré précurseur
puisque, désormais, les établissements privés doi●●●
vent se doter d’une équipe opérationnelle.
15
Hygiène
A.-L.P. – L’hygiéniste est parfois ressenti comme
quelqu’un qui “contrôle”.
●●●
Pr G.B. – Les choses ont notablement évolué
même si, dans le quotidien, on trouve que cela ne
va pas toujours assez vite. Le contrôle ou plutôt
l’évaluation était un sujet tabou. Or, on voit une
progression significative de la participation volontaire des services. Ainsi, en trois ans au sein
du réseau de surveillance de l’infection postopératoire du CCLIN Paris-Nord, on est passé de 50
à 100 puis à180 services de chirurgie qui ont pris
la décision de s’investir dans cette surveillance.
Le contrôle ne doit pas être ressenti comme une
sanction, car personne n’est à l’abri d’une défaillance. L’erreur est de déroger à la sécurité du
contrôle qui permet de corriger avant qu’il ne soit
trop tard. Aujourd’hui, prescrire devient un acte
complexe. Quand on sait, par exemple, le nombre
de médicaments pris par des personnes âgées et le
pouvoir des principes actifs, il est facile de donner
des médicaments incompatibles. Il en est de même
dans une démarche de désinfection avec des produits très agressifs et spécifiques. Il faudra s’appuyer sur des outils de contrôle comme des logiciels qui vont être une aide à la décision et au
contrôle de qualité. L’essentiel est de ne pas cacher
l’erreur, la transparence doit être la règle.
en plus toutes celles liées à l’environnement. Il faut
aussi souligner l’âge de plus en plus avancé des
personnes hospitalisées, soumises à des thérapeutiques à risques. D’autant que ces personnes souffrant de pathologies multiples vont d’un service à
un autre, véhiculant leurs bactéries. Ce qui est préoccupant par ailleurs, ce sont les BRM. Un grand
effort avait été fait sur les germes de staphylocoques, réduisant notamment des taux de résistance des staphylocoques isolés à l’hôpital de 40 à
30 %. Or ce chiffre stagne sans qu’on sache s’il faut
modifier notre stratégie de prévention vis-à-vis de
ces germes résistants. L’Europe du Nord est moins
touchée que celle du Sud vis-à-vis de cette résistance bactérienne. Une vigilance épidémiologique
sans relâche doit aller avec une bonne information
des patients sur les risques qu’ils courent et leur
participation à cette prévention. D’autant que les
risques d’infection à l’hôpital sont parfois exagérés
et que les récentes jurisprudences sont assez inquiétantes, notamment dans l’exigence d’une sécurité de résultat. Or, en médecine, il est impossible de prévoir un risque nul puisque le “terrain”
est un être humain qui comprend toujours une
part non maîtrisable. Supprimer les infections nosocomiales est une utopie. Mais les soignants doivent poursuivre le double objectif : surveillance et
recherche de la non-qualité.
A.-L.P. – Comment accepter l’erreur ?
Pr G.B. – Le patient comprend presque toujours l’erreur, mais il ne pardonne pas qu’on la lui
cache. Sous certaines conditions relationnelles,
l’accès au dossier médical est quelque chose de très
positif. Reconnaître l’erreur, c’est la réparer, alerter,
informer et rappeler qu’on n’est pas infaillible. Le
métier de soignant change, caractérisé par l’évolution des connaissances et des techniques. La prise
en charge individuelle n’est plus possible. Le recours à des avis diagnostiques variés est nécessaire.
Chaque soignant doit considérer le rôle de chacun
comme important. Il faut prendre le temps de la
concertation et bannir le morcellement du travail
envers un patient qui est, lui, un être unique. Il est
vrai que le temps et les échanges entre soignants
manquent cruellement. C’était d’ailleurs un point
très important évoqué aux États Généraux de la
Santé dont j’ai été chargé l’an passé. Le rôle infirmier émerge positivement dans cet objectif de
“non-morcellement” du malade, dans ce temps de
communication nécessaire, dans la prévention et
l’éducation thérapeutique du patient.
A.-L.P. – Quelles sont les infections qui sont préoccupantes aujourd’hui ?
Pr G.B. – Toujours les mêmes, celles dues aux staphylocoques, acinetobacter, aspergillus, et de plus
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A.-L.P. – Quel devenir pour les services d’hygiène quand
celle-ci se fond si étroitement dans la qualité des soins ?
Pr G.B. – Les hygiénistes apportent des compétences spécifiques de santé publique. A l’hôpital,
plusieurs compétences se rejoignent autour d’une
personne unique : le malade. Le grand problème
n’est pas le non-respect de l’hygiène et de la qualité. C’est la difficulté à travailler ensemble, à engager ce nécessaire partenariat entre tous les soignants. Qu’est-ce que la qualité, sinon mettre en
place un projet accepté et respecté par tous ? Comprendre les difficultés des autres membres de
l’équipe, apporter un regard critique mais positif,
accepter soi-même la remarque d’autrui, même si
ce n’est pas facile, réfléchir ensemble sur les
moyens de faire face à un problème sans l’occulter.
Aucun projet de soin n’a de sens s’il est désarticulé
par rapport au projet de l’hôpital mis en place par
des équipes. Hygiène et qualité ne font qu’un parce
que l’objectif est la santé. Et pour définir la santé, je
paraphraserai Michel Foucault qui dit à propos de
la vérité : « Ce n’est pas un endroit où l’on se trouve
mais une démarche vers laquelle on tend. » Et bien,
pour l’hygiène, c’est sans doute comme cela.
Propos reccueillis par
Andrée-Lucie Pissondes
La réalité du terrain
Plus de vingt ans après sa naissance officielle, la fonction
d’infirmière hygiéniste hospitalière se dessine de plus
en plus précisément. Elle suppose autant de patience
que de passion, se voit mieux reconnue, mais
essuie encore ignorance... ou mépris. Témoignages croisés.
C’
est en 1978 qu’apparaissent en France les
premiers postes d’infirmière hygiéniste,
dans les hôpitaux de Montfermeil, La Rochelle et
Tours. Actuellement, on considère qu’il en existe
environ 600, occupés par des infirmières, des
cadres infirmiers, voire des cadres supérieurs infirmiers hygiénistes. Ces postes ont en fait été
majoritairement créés après la parution du décret du 6 mai 1988, rendant obligatoire la surveillance des infections nosocomiales, et la circulaire du 19 avril 1995, qui place les hôpitaux
devant la nécessité de mettre en place une
équipe opérationnelle d’hygiène, constituée notamment d’une infirmière.
La création de ces unités a d’autant plus modifié
les conditions d’exercice que les champs de
compétences et les zones d’autonomie des différents membres constituant l’équipe n’ont pas été
clairement définis. Ce qui engendre parfois des
difficultés dans les liaisons fonctionnelles, voire
hiérarchiques.
Un champ d’action transversal
Le guide des soins infirmiers de 1990 donne de
l’infirmière hygiéniste hospitalière (IHH) la définition suivante : elle est une “infirmière conseil
dont la fonction s’exerce dans le domaine de
l’hygiène et vise notamment à la prévention des
risques infectieux et autres, liés à l’environnement. Ses activités peuvent concerner la formation du personnel et la mise en œuvre de moyens
de lutte appropriés. Cette fonction requiert une
formation spécifique”.
En résumé, les missions de l’IHH sont de participer à la lutte contre les infections hospitalières
et de mettre en place des actions de prévention.
Dans la pratique, le rôle de l’infirmière hygiéniste est extrêmement vaste. « Il faut d’abord
comprendre qu’elle occupe un poste transversal, indique Marie-Hélène Coureul, cadre supérieur in-
© Voisin-Phanie
Une nécessaire reconnaissance
firmière hygiéniste à l’Hôtel-Dieu (AP-HP). Elle
est en communication avec tous les services de
l’établissement, qu’ils soient cliniques ou médicotechniques, logistiques ou techniques. En outre, elle a
une mission de formation et d’information, en particulier pour tout ce qui touche à l’épidémiologie, dans
le respect des procédures d’hygiène évidemment. Elle
doit aussi se former elle-même en permanence, et
faire partie de réseaux pour être en coordination avec
les recommandations du CLIN, du C-CLIN, du service d’hygiène de l’AP, etc. Enfin, elle a un rôle important dans la maîtrise de l’environnement (air, surfaces, eaux), dans l’hygiène de l’alimentation, du
traitement des déchets, du linge... pour lesquelles sa
fonction de coordinatrice lui permet de mener des actions de prévention et/ou correctives ».
Muriel Rivet et Michèle Ciais sont toutes deux
cadres experts en hygiène hospitalière sur l’ensemble du groupe hospitalier Cochin (AP-HP),
qui “pèse” aujourd’hui 1 400 lits et qui comprend, outre l’hôpital Cochin stricto sensu, un
hôpital pédiatrique, deux maternités et quelques
appendices comme Tarnier, ou encore La RocheGuyon, à une soixantaine de kilomètres de
Paris... Leur conception de l’hygiène se différencie sensiblement de celle de leur consœur de
l’Hôtel-Dieu. « Nous nous considérons comme des
prestataires, au service des unités cliniques en priorité, disent-elles. Notre objectif est d’abord le malade. Nous ne sommes pas en charge de tout ce qui
est intendance ou hôtellerie. Ce sont des pré-requis.
Que nous participions à une réflexion transversale
sur ces sujets, que nous donnions notre avis, oui ;
mais en aucun cas, ce doit être notre quotidien. L’hygiène hospitalière est la prévention du risque infectieux lié aux pratiques de soins. Notre rôle est tout
entier contenu dans cette définition, à laquelle il faut
ajouter l’enseignement et la recherche ».
Franceline Bichet, cadre infirmière hygiéniste à la
Cellule Hygiène de l’hôpital Sainte-Anne à ●●●
17
Hygiène
●●● Paris, a donc raison de souligner “l’extrême
variété” des missions qui sont confiées aux IHH.
« Nous avons tous et toutes des objectifs communs qui
sont la prévention, la qualité des soins et le confort du
patient, dit-elle. Mais c’est un métier varié. Il dépend
des structures et de l’organisation des établissements.
A l’AP-HP par exemple, l’IHH dépend de la Direction
du service de soins infirmiers (DSSI) tandis que moi,
je suis directement rattachée au directeur de l’hôpital.
Ce métier dépend surtout de la personnalité même de
ceux qui l’exercent ».
Diplomatie, écoute et disponibilité
« La fonction transversale de l’IHH ne vaut que si
elle est intellectuellement et physiquement libre,
constate Marie-Carmen Aubry-Roces, cadre supérieur infirmière hygiéniste à l’hôpital Tenon
(AP-HP) et présidente de la Société des infirmiers et infirmières en hygiène hospitalière de
France (SIIHHF). Elle intervient sur les soins infirmiers en tant que conseil. Elle doit donc avoir un minimum d’autonomie. Or, le risque aujourd’hui, c’est
qu’avec la création des comités d’hygiène, le médecin la prenne pour sa petite main ou la contrôle ».
« L’hygiène hospitalière a longtemps été méprisée,
ajoute Franceline Bichet. Maintenant que c’est à
la mode, les médecins veulent s’en occuper. Alors,
effectivement, notre indépendance est menacée ».
Le positionnement de l’IHH dépend donc de
plusieurs éléments, au premier rang desquels
son rattachement hiérarchique et fonctionnel, et
surtout, comme le fait observer Marie-Hélène
Coureul, le comportement de la communauté
hospitalière face à elle. « L’IHH est une intruse qui
pénètre partout, dit-elle. Il faut qu’à cette perception se substitue celle de la collègue qui apporte une
aide, mais au bon moment. Il faut beaucoup écouter,
se montrer très disponible pour se faire accepter,
évaluer les besoins et agir. Il ne sert à rien de s’imposer, il faut seulement se rendre nécessaire. Si l’IHH
ne fait qu’évaluer ce qui ne va pas, elle ne sera pas
reconnue. En clair, il faut beaucoup donner pour
recevoir. Mais ça, c’est la vie ».
« Les gens sont pragmatiques, acquiesce Franceline
Bichet. Si je leur complique la vie et ne leur apporte
rien quand ils s’adressent à moi, ils ne reviendront
pas. Il faut donner des réponses à leurs questions, et
avoir l’honnêteté de dire qu’on ne peut pas répondre
si c’est le cas. La meilleure des armes, c’est la vérité.
On apprend beaucoup de choses sur le terrain : nous
avons en face de nous des individus qui, a priori, se
moquent totalement de notre activité. Il faut donc
d’abord les convaincre, puis susciter leur confiance
qui s’installe progressivement, souvent par le biais de
groupes de travail qui permettent des moments d’intimité professionnelle. J’ai compris qu’en matière
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d’hygiène, il faut semer plein de petites graines pour
arriver à quelque chose... ».
Le tandem de Cochin résume pour sa part : « On
ne peut pas prendre ce type de fonction sans un minimum d’autorité, de diplomatie... et de bonne
santé ! C’est un poste très physique : on bouge beaucoup. Il exige du dynamisme et de la curiosité ».
Un dialogue permanent mais parfois difficile
« Dans ce métier, il faut savoir s’essuyer les pieds sur
le paillasson devant chaque porte, résume en
termes imagés Marie-Hélène Coureul. Encore
une fois, il ne faut pas s’imposer mais être présent et
disponible, pouvoir proposer une documentation
toujours actualisée, dire oui par principe. Alors, on
aura besoin de nous. Il faut aussi encourager nos référents à se former. Ce qui n’est pas facile, faute de
temps ». Franceline Bichet estime aussi : « Il faut
être capable d’engranger les connaissances grâce
auxquelles on pourra discuter avec les uns comme
avec les autres, quel que soit le domaine : soins, hôtellerie, environnement, épidémies, choix des matériels techniques ou médicaux... A ce titre, c’est un
poste d’une grande richesse intellectuelle, mais qui
prend du temps. Être bon sur tous les sujets ne se fait
pas du jour au lendemain. On peut mettre à notre
disposition les plus beaux diplômes d’hygiène du
monde, il faut savoir s’en servir ».
Michèle Ciais et Muriel Rivet disent de leur côté :
« Nous sommes tout de même reconnues grâce à
notre titre et surtout à nos formations ! Bien sûr, certains mandarins continuent de nous ignorer comme
ils ignorent d’ailleurs toutes les infirmières. Mais
ceux qui sont dans les services à haut risque sont très
sensibilisés ».
Marie-Carmen Aubry-Roces dit : « Une réflexion
sur l’évolution de notre fonction est opportune. A
titre d’exemple, une formation de type universitaire,
accessible après l’école des cadres, correspondrait à
nos attentes. Pour autant, elle ne réglerait pas tous
les problèmes si elle ne s’accompagnait pas d’une reconnaissance statutaire... ».
La lancinante question du statut
« Infirmière hygiéniste, ça n’existe pas dans nos statuts, regrette en effet Franceline Bichet. C’est bien
tout le problème... ».
Cette reconnaissance statutaire a longtemps été
l’un des fers de lance de la SIIHHF, pour qui “le
champ d’activité transversal de l’IHH ainsi que la
conduite des projets requièrent la position cadre
pour faciliter l’accomplissement de sa mission”.
« Notre seul moyen d’agir passe par la reconnaissance de notre statut, explique Marie-Carmen
Aubry-Roces. Je dois pouvoir donner mon avis sur
ma sphère de compétence. Faute de quoi, je n’aurai
pas d’autorité pour conduire des projets, en particulier face au corps médical ».
Las. En février dernier, la direction des Hôpitaux
opposait une fin de non-recevoir à cette revendication, confirmant sa position “de ne pas
créer de nouveaux statuts particuliers dans la
fonction publique”.
« Tout compte fait, je ne suis pas intimement persuadée que ce soit nécessaire, reprend Franceline
Bichet. Je n’aime pas être enfermée ; or, un statut
d’hygiéniste pourrait me bloquer. Pour moi, la
reconnaissance tout court est plus importante que
le statut. Mais comme toutes les disciplines nouvelles, l’hygiène est souvent considérée comme subalterne par le corps médical. C’est vrai que c’est un
travail tout à fait infirmier. Notre but, c’est le patient dans sa globalité, c’est-à-dire y compris ses repas et sa toilette. Évidemment, ce n’est pas très
noble pour certains... ».
Muriel Rivet souligne son accord sur ce point :
« Un statut nous enfermerait. Or, nous exerçons
une fonction que nous devons pouvoir quitter dès
l’instant que l’on n’a plus le “punch” pour l’exercer.
Il faut de la lecture, de la jugeotte, savoir organiser
et animer des réunions, savoir rédiger. C’est une
charge intellectuelle et mentale énorme et permanente. Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie que
depuis que je suis à ce poste. Pourtant, lorsque
j’étais IBODE, j’ai travaillé jour et nuit ! D’un autre
côté, je suis indépendante, et ça, c’est précieux,
même si je regrette parfois le travail en équipe ».
L’hygiène au cœur de la qualité des soins ?
« Dans la pratique, je le crois, répond MarieHélène Coureul. Cela vient de la création des
CLIN et des unités opérationnelles d’hygiène.
Évidemment, quand on recherche, qu’on notifie et
qu’on évalue les infections, on fait ressortir ce qui
se passe. A contrario, cette transparence a fait
revenir le monde hospitalier à l’hygiène. En outre,
le malade demande désormais des comptes. Reste
que l’hygiène se fait en continu, c’est une vigilance
de tous les instants, et partant, une contrainte
difficile à respecter car elle change les habitudes
de travail. Or la rupture de la vigilance, c’est humain : il existe toujours de l’automatisme dans les
gestes ».
Michèle Ciais se réjouit pour sa part : « Les médias ont joué un rôle considérable dans la prise en
compte de l’hygiène. Il n’y a plus de grosses erreurs
de procédure ou d’utilisation de produits non efficaces. De plus, avec l’accréditation, tous les moyens
de contrôle mis en place font bouger les choses ».
Marie-Carmen Aubry-Roces est moins optimiste : « On a fait de l’hygiène une science à
part. Or comment la dissocier de la pratique des
soins ? ». Franceline Bichet reconnaît à son tour :
« Ce n’est pas encore du 100 %. Il existe des tas
d’écueils comme les contraintes de la réalité ou
l’inadaptation de certains matériels. C’est d’ailleurs
ce qui participe à l’insatisfaction qu’éprouvent
souvent les infirmières ».
Stéphane Henri
Mots choisis
• Marie-Carmen Aubry-Roces, cadre supérieur
infirmière hygiéniste à l’hôpital Tenon (AP-HP) et
présidente de la Société des infirmiers et infirmières en hygiène hospitalière de France (SIIHHF).
« Il existe une grande lassitude professionnelle. Le
turn over y est important car la fonction transversale
est particulièrement inconfortable ».
• Franceline Bichet, cadre infirmière hygiéniste à la
Cellule Hygiène de l’hôpital Sainte-Anne à Paris :
« Si on fait de l’hygiène, ce n’est pas pour faire carrière. C’est pour le plaisir intellectuel qu’une telle
fonction procure, et pour l’intérêt qu’il y a à travailler
avec différentes équipes. Mais on est toujours l’étranger : on appartient à tout le monde et à personne ».
• Michèle Ciais, cadre expert en hygiène hospitalière à Cochin (AP-HP) :
« Nous n’avons que des relations fonctionnelles,
aucun rôle hiérarchique. C’est d’ailleurs ce que nous
revendiquons. Mais si nous ne sommes pas persuasives, un peu directives, nous ne sommes pas crues,
donc pas suivies ».
• Marie-Hélène Coureul, cadre supérieur infirmière hygiéniste à l’Hôtel-Dieu (AP-HP) :
« C’est un métier extrêmement enrichissant, très vivant, en évolution permanente. Mais il a l’inconvénient de tout poste transversal : on se cherche un
peu, rien n’est vraiment formalisé, il n’y a pas de code
de fonctionnement. On vit parfois des moments
lourds et solitaires ».
• Muriel Rivet, cadre expert en hygiène hospitalière à Cochin (AP-HP) :
« Il faut casser l’image de l’infirmière malléable,
“petite main”. Nous devons montrer notre compétence propre. Ce n’est pas normal qu’en France,
notre profession ait autant de mal à devenir
adulte ».
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Hygiène
Respect des protocoles
Représentations et réalités
L’apprentissage de l’hygiène ne peut se résumer
à une accumulation technique de connaissances concernant
les procédures, la bactériologie, l’antisepsie. En effet, une grande
partie du travail soignant repose sur deux ordres
de données : les savoir scientifiques et relationnels
et les représentations subjectives de la maladie et de la fonction.
L’
action soignante s’inscrit d’abord au sein
d’une relation qui fait obligatoirement appel à une dimension subjective et affective. Ensuite, les soignants (autant que les patients) appliquent le soin à la représentation qu’ils se font
de la maladie qu’ils soignent, et plus généralement, de la santé. Ces deux raisons expliquent
pourquoi, bien que la grande majorité des soignants accepte et intègre sans difficulté une
donnée aussi simple que le lavage des mains,
très peu l’appliquent. En effet, chaque soignant
est habité, parallèlement à ses connaissances
scientifiques, par des croyances internes qui
sont le moteur de son action soignante.
Des modèles théoriques
Ces croyances sont d’abord alimentées par des
“modèles” de maladies auxquels va se référer le
soignant. Qu’est-ce qu’une maladie ? Une réaction face à un germe infectieux qu’il faut traiter
par antibiothérapie selon le modèle pasteurien ?
Une réaction face à une rupture de l’homéostasie agressant l’individu par rapport à son environnement ou nuisant à son équilibre neurobiologique, selon le modèle Claude-Bernard ? En
corollaire de la maladie, se posent aussi les questions de la guérison. Guéri, le patient est-il le
même qu’avant, rétabli dans son intégrité ? A ces
modèles théoriques s’ajoute celui tout aussi
théorique d’une médecine préventive. Le soignant se doit de déceler les signes précoces de
la maladie.
Toutes ces croyances fondées sur un savoir
scientifique se nourrissent ensuite d’autres
croyances : le rôle du soignant vis-à-vis de la
santé, et surtout la place exclusive que celui-ci
croit avoir vis-à-vis de son patient. Ce dernier
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point est fondamental dans la mesure où
chaque soignant pense, légitimement, qu’il est
un “bon” soignant, qui ne peut s’imaginer autrement que véhiculaire du bien. D’autant que,
souvent, son exercice professionnel revêt la
forme d’un engagement personnel. Le soignant
se sent “investi” et sa représentation du soin est
basée aussi sur la “toute-puissance” : il ne peut
imaginer pouvoir être vecteur de pathologie
alors qu’il s’inscrit dans une dynamique du bien
et du dévouement.
L’imaginaire du soignant s’alimentant aussi de
représentations abstraites tels la mort, la douleur, la santé, le bien et le mal, l’autre enfin,
côtoyées et interrogées sans écho, donne au soin
une dimension relationnelle subjective. C’est
pourquoi le savoir est indissociable des représentations faites par les mouvements affectifs qui
traversent le soignant par rapport à son vécu, à
son propre corps et aussi le corps de l’autre.
Des difficultés du soin
• L’a priori de bienveillance :
Je ne peux en aucun cas être vecteur de maladie.
• L’a priori d’excellence :
Parce que je dédie ma vie au soin, je connais mon
métier.
• L’a priori de suffisance :
J’ai fait le maximum en ce qui me concerne.
• L’a priori de savoir :
Puisque je sais, je suis au maximum de ma performance.
Confondre excellence et progrès
© Garo-Phanie
En matière d’hygiène, les avancées technologiques (matériel plus stérile, antibiotiques plus
puissants, investigations plus sophistiquées) ont
pu laisser croire que le danger était moindre. On
comprend mieux comment un soignant, investi
par la certitude de la bienveillance de son action,
dévoué à la cause du malade et en outre protégé
par ces progrès, ne peut, en aucune façon, penser pouvoir être le vecteur de pathologies. Pourtant si le savoir et la technique sont nécessaires,
ils ne sont pas suffisants. Le risque est de se
laisser surprendre par trop d’assurance, de
confondre excellence et progrès technologiques.
Si les précautions d’hygiène sont nécessaires,
c’est certainement davantage pour les autres soignants que pour lui-même, peut-il penser. Ce
dernier point souligne aussi l’importance qu’il
faut accorder au sentiment d’appartenance du
soignant au groupe thérapeutique afin que les
procédures qu’il utilise soient compatibles avec
celles des autres.
Aucun soin ne peut être envisagé sans une inscription dans le temps, c’est-à-dire qu’il existe
un après du soin, dans d’autres structures, pour
d’autres problèmes, avec d’autres soignants.
L’hygiène trouve donc sa place à tous les maillons du soin.
L’hygiène hospitalière dépend donc, non seulement de la connaissance scientifique et des procédures techniques, mais aussi – et pour une
part égale – des représentations que se font les
soignants de la maladie, de leur rôle propre et
de leur place au sein du groupe thérapeutique.
Ces derniers points doivent être discutés et réfléchis en équipe. Ils participent à la prévention
des maladies nosocomiales au même titre que
des données bactériologiques, épidémiologiques ou microbiologiques. Quelle que soit la
générosité du soignant, elle n’a pas de vertu antibiotique. Le travail doit permettre la liberté du
patient et celle des membres de l’équipe soignante. Chaque place est éphémère mais incontournable. Et une inattention peut avoir de
lourdes conséquences.
Dr Philippe Nuss
Psychiatre, CHU Saint-Antoine, Paris
Un exemple de formation des référents en hygiène non médicaux
(1999 - Hôtel-Dieu)
Hygiène hospitalière
– entretien des réfrigérateurs ;
– entretien des carafes d’eau ;
– les blattes et l’hygiène hospitalière.
Techniques de soins
– fiche de traçabilité de la décontamination des DM ;
– fiche de traçabilité de la procédure à appliquer aux
matériels avant réparation ;
– méthode HACCP ;
– les toxi-infections alimentaires collectives ;
– préparation préopératoire du malade en service
d’hospitalisation ;
– préparation préopératoire du malade au bloc
opératoire.
Cours
– notions de microbiologie aux référents en hygiène
non médicaux (3 cours) ;
– cours d’épidémiologie ;
– quelles nouveautés en termes de sida ? ;
– accidents d’exposition du sang.
Présentation de matériels ou produits dans le
cadre de l’hygiène et de la sécurité
– systèmes de prélèvement d’urine en vue d’un examen de laboratoire ;
– système de corps de pompe avec sécurité intégrée ;
– conteneurs à objets piquants et tranchants ;
– alternative au glutaraldéhyde : l’acide peracétique.
Évaluation
– audit sur les pratiques de décontamination des
DM ;
– audit sur les moyens disponibles pour réaliser la
décontamination des DM ;
– audit sur l’application de la procédure d’isolement
pour les malades porteurs de BMR.
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