Je manque d`air! » La dyspnée chez les aînés

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Tout sur la toux
« Je manque d’air! »
La dyspnée chez les aînés
Marcel Julien, M.D.
Article basé sur une
présentation
donnée dans le
cadre des 19es
Journées annuelles
du Département de
médecine de
l’Université de
Montréal : Docteur,
je manque de
souffle!, organisées
par l’Université de
Montréal en
novembre 2010.
L
’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que, dans notre société
moderne, une personne est âgée à partir de 60 ans et plus. C’est donc à cette
tranche d’âge de la population que cet article s’adresse.
La dyspnée consiste en la sensation désagréable de faire un effort inhabituel pour
respirer à l’exercice ou au repos. La personne qui consulte qualifiera cette sensation par
l’impression de manquer d’air ou de souffle, d’étouffer, d’avoir de la difficulté à respirer ou encore de se sentir oppressée, étranglée, etc. Cette condition est influencée par
des facteurs tels le statut social, les tensions familiales, le niveau d’éducation, l’origine
ethnique et la personnalité anxio-dépressive provoquée, entre autres, par une perception
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de soi pessimiste. Le fait d’accepter difficilement de vieillir et de se
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Dans ce premier cas, elle est souvent présente au repos, et cette situation amène
est la
habituellement la personne à consulter à l’urgence ou en clinique sans rendez-vous peu
importe l’heure du jour ou de la nuit. C’est le cas, par exemple, de la crise d’asthme,
sensation
de l’œdème aigu du poumon, de l’embolie pulmonaire et du pneumo-thorax.
désagréable La dyspnée chronique d’apparition graduelle
de faire un Dans ce second cas, la dyspnée est d’apparition insidieuse, de sorte que, contrairement
à un symptôme perçu sans équivoque comme anormal, telle la douleur, la dyspnée
effort
chronique est perçue comme un symptôme plus normal, attribuable à l’âge, à la fatigue,
et
ce, jusqu’à ce que l’autonomie soit compromise ou qu’elle devienne alors un handiinhabituel
cap poussant la personne à finalement consulter. C’est le cas de la maladie pulmonaire
pour
obstructive chronique (MPOC), de l’hypertension pulmonaire, de la fibrose pulmonaire, de l’anémie ferriprive d’un cancer colorectal ou encore de l’hypothyroïdie.
respirer à
dyspnée subaiguë
l’exercice ou La
Il existe également la dyspnée subaiguë qui survient non pas sur des années, mais sur
au repos.
quelques semaines ou mois. Celle-ci est assez caractéristique, par exemple, d’un
L
épanchement pleural unilatéral néoplasique.
Il est donc à convenir que la dyspnée touche plusieurs systèmes et qu’il faut aborder
le diagnostic différentiel de manière structurée comme dans le Tableau 1.
le clinicien septembre 2011
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« Je manque d’air! »
Tableau 1
Types de dypnées selon les systèmes et les symptômes
Étiologie
Dyspnée aiguë
Dyspnée subaiguë
Dyspnée chronique
Respiratoire
Asthme
Nouvel épanchement
MPOC
Cardiaque
Embolie pulmonaire
Hypertension pulmonaire
Pneumothorax
Fibrose pulmonaire
Œdème aigu du poumon
Insuffisance cardiaque
Arythmie
Tamponade
Hématologique
Anémie
Endocrinienne
Hypothyroïdie
Rénale
Acidose métabolique
Neuromusculaire
État général
Médication
Myasthénie
Hyperventilation
Déconditionnement
Obésité
Bêta-bloqueur
Causes respiratoires de la dyspnée : asthme,
MPOC ou hyperventilation?
[
Parmi les causes respiratoires de dyspnée, il n’est pas toujours facile de distinguer
l’asthme de la MPOC. Il est ainsi primordial de se rappeler que, dans la MPOC, la
dyspnée n’est pas présente au repos ni la nuit, ce qui est par contre le cas de
l’asthme. Aussi, à l’effort, la dyspnée est constante dans la MPOC mais inconstante dans l’asthme.
Pour identifier une composante d’hyperventilation, affection assez fréquente, il faut
demander au patient s’il ressent un engourdissement des extrémités ou des lèvres avec
une sensation d’étourdissements ou de tête légère. De plus, ces manifestations d’hyperventilation seront reproductibles lors des grandes inspirations consécutives à l’examen
physique. On pourra observer que ces personnes auront tendance, en entrevue, à
prendre d’occasionnelles inspirations profondes en utilisant les muscles accessoires de
la respiration comme les scalènes et sterno-cléido-mastoïdiens.
...] l’échelle
est aussi
un bon
indice pour
prédire la
survie des
La dyspnée d’effort et de repos : leurs
patients
conséquences
atteints
Comme la dyspnée d’effort est quantifiable chez les patients atteints de la MPOC,
d’une
il existe une échelle adaptée gradée sur cinq échelons (Tableau 2). Cette échelle,
mise
sur pied par le Conseil de recherche médical de Grande-Bretagne, est plus
MPOC3.
fiable et reproductible entre observateurs différents que celle de la NewYork Heart
Association (NYHA), qui est gradée sur quatre échelons1,2. Complémentaire aux
épreuves objectives de fonction respiratoire, l’échelle est aussi un bon indice pour
prédire la survie des patients atteints d’une MPOC3. À titre d’exemple, selon une
étude de Nishimura et coll. menée en 2002, la moitié des patients avec une
dyspnée d’effort de grade IV sont décédés en 40 mois alors que ceux avec une dyspnée d’effort de grade V sont décédés après 25 mois de suivi.
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le clinicien septembre 2011
« Je manque d’air! »
Tableau 2
Échelle de gradation de la dyspnée
I/V
Très légère, pas d’essouflement, sauf lors d’efforts vigoureux.
II/V Légère, essouflement à la marche rapide sur terrain plat ou dans une pente légère.
III/V Modérée, essoufflement à la marche d’un pas normal relativement à une personne
de son âge sur terrain plat.
IV/V Grave, doit s’arrêter après une marche de 100 mètres sur terrain plat.
V/V Très grave, essoufflé au moindre effort comme le simple fait de s’habiller.Trop
essoufflé pour sortir. Ce n’est pas une dyspnée de repos!
Dans la MPOC, la dyspnée d’effort d’apparition insidieuse conduit à la perte
d’autonomie et au confinement à domicile des patients atteints de cette maladie.
Pour contrer cette situation qui génère stress et anxiété, la solution ne réside pas
uniquement en l’ajustement de la médication, mais surtout en les programmes de
réadaptation respiratoire et d’enseignement comme il en existe au Québec. Une
étude québécoise a clairement démontré que de telles initiatives réduisaient les
hospitalisations pour exacerbation de MPOC de 40 % et les hospitalisations pour
toute autre cause de 60 %4.
La dyspnée de repos
Elle ne se grade pas mais se décrit par son caractère, son intensité, sa chronologie
et sa durée, ses facteurs apaisants et déclenchants. Les symptômes qui accompagnent souvent la dyspnée de repos, tels la présence ou l’absence de toux, les
expectorations, les hémoptysies, la douleur thoracique, de même que les symptômes systémiques comme la fièvre, les frissons, la perte de poids et d’appétit,
etc., contribuent à orienter le diagnostic différentiel.
Lorsqu’elle est reliée à l’insuffisance cardiaque
Il a été démontré chez une population dont l’âge moyen était de 65 ans que les personnes qui souffrent de dyspnée reliée à l’insuffisance cardiaque avaient une perception négative de la vie et que plus de 25 % devaient recevoir des traitements pour état
dépressif5. Pour une dyspnée reliée à la MPOC, le pourcentage de dépression grimpe
à 50 %, soit trois fois celui de la population générale pour le même groupe d’âge6.
Les signes physiques
Certains signes cliniques peuvent être très contributifs, comme la présence d’hyppocratisme digital dans les cas de fibrose pulmonaire, de cyanose dans les cas de
pathologies responsables de courts-circuits artérioveineux (shunts), évidemment
les râles ou les sibilances à l’auscultation pulmonaire ou encore les souffles cardiaques. Cela fait en sorte que l’examen physique doit être complet et minutieux.
À quels types d’examens faut-il procéder?
Les examens paracliniques pour évaluer la dyspnée chez la personne âgée exigent
minimalement une radiographie pulmonaire, une formule sanguine complète
D
ans la
MPOC, la
dyspnée
d’effort
d’apparition
insidieuse
conduit à la
perte
d’autonomie
et au
confinement
à domicile
des patients
atteints de
cette
maladie.
Dr Julien
enseigne à la
Faculté de
médecine de
l’Université de
Montréal.
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« Je manque d’air! »
[
(FSC), un électrocardiogramme et une mesure des débits expiratoires forcés,
soit le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) et la capacité vitale
forcée (CVF). Des examens plus poussés peuvent ensuite s’avérer utiles selon
le cas, comme un échocardiogramme, une tomodensitométrie axiale du thorax,
une pléthysmographie dans les maladies pulmonaires obstructives ou restrictives ou une bronchoprovocation à la métacholine dans l’asthme. Il en va de
même pour l’épreuve d’effort sur tapis roulant ou sur bicyclette ergométrique.
Toutefois, chez la personne âgée, le test de marche de six minutes7 est de plus
en plus utilisé (la marche étant l’activité physique la plus indispensable dans la
vie de tous les jours), car il est simple et permet d’évaluer le degré d’autonomie
du patient.
...] chez la
personne
âgée, le test
de marche
de six
minutes7 est En bref...
Il existe, au moyen du questionnaire, de l’examen physique et, avec l’aide d’exade plus en
mens complémentaires, une manière méthodique de procéder à l’évaluation de la
plus utilisé
dyspnée chez la personne âgée. Par contre, lorsqu’un diagnostic est établi, il ne faut
pas que l’on attribue à un seul problème la dyspnée ressentie par la personne, car on
[...].
constate souvent par la suite que la dyspnée est multifactorielle.
J’ai moi-même été dupé pendant un certain temps au sujet de la dyspnée d’un de
mes patients. Ce dernier était connu pour être atteint d’une MPOC grave alors que
ce n’était pas sa condition respiratoire qui se détériorait, mais plutôt une insuffisance
rénale qui s’était aggravée, et ce, à cause d’un diabète concomitant. Ce diabète a
causé une acidose métabolique et, en conséquence, une plus grande exigence pour la
ventilation du patient qui a compensé par une alcalose respiratoire, d’où la dyspnée
accrue. Dans ce contexte, pour le médecin de famille comme pour le spécialiste, il
faut rester modeste et, dans le doute, ne pas hésiter à consulter des documents ou un
spécialiste sur l’évaluation d’un symptôme complexe comme la dyspnée chez la personne âgée. C
Références
1. ATS News 1982; 8:12-16.
2. Stenton C.The MRC breathlessness scale. Occup Med 2008; 58(3):226-227.
3. Nishimura K, Izumi T et coll. Dyspnea is a better predictor of 5-year survival than air
way obstruction in patients with COPD. Chest 2002; 121(5):1434-40.
4. Bourbeau J, Julien M et coll. Reduction of hospital utilization in patients with chronic
obstructive pulmonary disease: a disease-specific self-management intervention. Arch
Intern Med 2003; 163(5):585-91.
5. Ramasamy R, Hildebrandt T et coll. Psychological and social factors that correlate
with dyspnea in heart failure. Psychosomatics 2006; 47(5):430-4.
6. Laurin C, Lavoie KL et coll. Sex differences in the prevalence of psychiatric disorders
and psychological distress in patients with COPD. Chest 2007; 132(1):148-155.
7. ATS statement: guidelines for the six-minute walk test. Am J Respir Crit Care Med
2002; 166(1):111-117.
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